Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
MéMoIRES Et DoCuMENtS DE L’éCoLE DES ChARtES 102 ChARLES-éLoI VIAL LE gRAND VENEuR DE NAPoLéoN Ier à ChARLES X 94 école des chartes LE gRAND VENEuR DE NAPoLéoN Ier à ChARLES X Ce livre a été publié grâce au soutien du Centre de recherche du château de Versailles, de la Fondation François Sommer pour la chasse et la nature, de la Fondation Napoléon et de la Société de l’école des chartes (prix Madeleine-Lenoir 2014). École nationale des chartes © école nationale des chartes 2016 tous droits réservés. Aucune reproduction, même partielle, sous quelque forme que ce soit, n’est permise sans l’autorisation écrite du détenteur des droits. ISBN 978-2-35723-079-8 ISSN 1158-6060 MéMoIRES Et DoCuMENtS DE L’éCoLE DES ChARtES 102 ChARLES-éLoI VIAL LE gRAND VENEuR DE NAPoLéoN Ier à ChARLES X PARIS éCoLE DES ChARtES 2016 Illustration de couverture : Jean-François Robert et Christophe-Ferdinand Caron, cabaret des Chasses impériales, plateau ovale première grandeur (détail), vers 1812, porcelaine dure, argent doré, cofret en maroquin vert. Paris, Fondation Napoléon, donation Lapeyre, inv. 1111. © Fondation Napoléon. Suivi éditorial : Isabelle Pelletier Correction : Raphaëlle Roux INtRoDuCtIoN géNéRALE I. — Infortunes historiographiques et politiques d’un plaisir royal 1. Les partis pris D’emblée, parler des chasses des souverains français sous l’Empire et la Restauration, c’est prendre le risque de n’intéresser personne, tant le sujet comporte d’éléments répulsifs. Si Napoléon est toujours l’un des personnages les plus étudiés au monde, sa légende ne s’est pas bâtie sur ses prouesses physiques, et sa pratique de la chasse, réputée pour friser le ridicule, ne fait pas partie des aspects de sa vie que les historiens traitent volontiers. Pour Charles X, c’est le contraire, ce qui est pire : la Restauration, qui était jusqu’à ces dernières années l’une des périodes de l’histoire de France les moins étudiées, semble parfois se réduire aux parties de chasse d’un roi taxé d’obscurantisme et d’étroitesse d’esprit, ne pensant – à l’instar de son grand-père Louis XV, ou de son frère Louis XVI – qu’à courir le cerf et tirer des perdrix, alors même que la Révolution gronde devant les grilles du château. Et c’est sans compter Louis XVIII, roi podagre, dont on imagine mal les exploits cynégétiques. une évocation des chasses de ces trois souverains se heurte donc à un premier obstacle, qui semble insurmontable, celui du ridicule. Vient ensuite un second écueil : le politiquement correct. En efet, quoi de plus mal vu et de plus controversé que la chasse, surtout quand elle est associée au pouvoir politique ? Les critiques semblent fuser de partout, qu’il s’agisse de celles des défenseurs des droits des animaux, prompts à condamner « le privilège de citadins aisés venus s’encanailler à la campagne et incapables de tuer à dix pas un éléphant »1, ou encore des opposants politiques de tout bord, prêts à s’insurger devant les supposées dérives monarchiques du pouvoir républicain : les chasses présidentielles, encore fréquentes sous les septennats de Valéry giscard d’Estaing et de François Mitterrand, ont été amplement critiquées ces dernières années par la presse, jusqu’à leur suppression et leur remplacement par des « battues de régulation » en 2010, certains journalistes les évoquant alors comme un héritage 1. P. Bourrieau, Le monde de la chasse…, p. 1. 12 INtRoDuCtIoN géNéRALE gênant, en mêlant les souvenirs de l’Ancien Régime, du Premier Empire, du Second, de la Restauration et de la République2. Pourtant, durant des siècles, la chasse a fait partie du quotidien des rois de France : les visiteurs de Versailles, de Fontainebleau, de Compiègne ou de Chambord ne peuvent manquer d’entendre un guide leur expliquer que la passion pour la chasse des monarques est à l’origine de la construction de leurs palais. Si, après la visite – souvent menée au pas de charge – des grands appartements et des jardins3, la perspective d’une promenade en forêt ne leur semble pas trop fatigante, ils peuvent se rendre compte par eux-mêmes de l’immensité des réserves de chasse léguées par la monarchie, et se rappeler leurs cours d’histoire du collège ou du lycée : Louis XIV remontrant le Parlement de Paris, botté, son fouet de chasse à la main, Louis XV partant chasser et croisant le cortège funèbre d’un paysan mort de faim4, ou Louis XVI rentrant d’une chasse le 14 juillet 1789 et écrivant dans son journal le célèbre « rien »5. Les chasses royales appartiennent donc au moins à une culture commune de l’Ancien Régime. Longtemps dédaignées, les études sur la chasse semblent revenir en faveur chez les historiens, grâce aux contributions d’Andrée Corvol sur l’histoire forestière et à la thèse de Philippe Salvadori 6. Le grand public a pu découvrir le résultat de ces travaux lors de plusieurs expositions sur les chasses princières et aristocratiques. La réouverture du musée de la Chasse et de la Nature à Paris en 2007 a aussi contribué à relancer l’intérêt pour les représentations artistiques de la chasse7. Les chasses du xixe siècle bénéicient en outre de l’attention grandissante des historiens et des historiens de l’art pour l’étude des sociétés curiales et aristocratiques du Premier Empire au Second : longtemps méconnues, les cours postrévolutionnaires ont réussi à trouver une légitimité universitaire. Plusieurs études se sont déjà focalisées sur les chasses des orléans et de Napoléon III8. Le rôle des « sports aristocratiques » comme symbole de richesse ou d’ascension sociale au xixe siècle a récemment été mis en évidence, en prenant comme point 2. Par exemple Stéphane Denis, « La chasse, afaire d’état », dans Valeurs actuelles, 8 avril 2010, où le journaliste parle d’une « tradition qui traverse les régimes ». 3. on lira J.-L. Martres, « L’image politique de la forêt »… : « la vente d’images à des spectateurs pressés : coucher dans le lit de Diane de Poitiers, dîner avec Louis XIV, combattre avec Napoléon ». 4. Voir C. Amalvi, Les héros de l’histoire de France…, p. 73, ill. 37, « Les méfaits du règne de Louis XV ». on y retrouve une vignette tirée d’un ancien livre scolaire, intitulée « La chasse du roi », où l’équipage royal croise le convoi funèbre d’un paysan mort de faim. 5. J.-D. Bourzat, Les après-midi de Louis XVI…, p. 100. 6. P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime… 7. C. d’Anthenaise, Portraits en costume de chasse…, p. 42 et suiv. 8. J. d’orléans, Les chasses des princes d’Orléans… ; g. Péoc’h, Les chasses impériales de Napoléon III… INtRoDuCtIoN géNéRALE 13 de départ la Restauration et les chasses de Charles X9. Les loisirs cynégétiques des derniers occupants des palais français sont de plus en plus souvent évoqués par des expositions, comme celle organisée en 2012 par le musée des Beaux-Arts de Bordeaux et le musée national de Fontainebleau, intitulée « Napoléon III et Eugénie reçoivent à Fontainebleau ». Au xxe siècle, la chasse, ravalée au rang de poncif, aura pourtant été presque entièrement passée sous silence par la succession des écoles historiques10. Il n’y eut guère que les biographes pour s’y intéresser, l’évocation des chasses étant un passage obligé du portrait physique et moral des rois, en particulier ceux de l’Ancien Régime11. Le moment semble donc idéal pour revenir sur cette composante du pouvoir monarchique, en particulier pour les chasses des souverains de l’Empire et de la Restauration, périodes de reconiguration de la pratique et des représentations du pouvoir politique léguées par l’Ancien Régime, qui ont souvent été caricaturées mais qui n’ont jamais été étudiées. Leur intérêt est d’autant plus grand que cette étude se double d’une rélexion historiographique visant à mettre en lumière le traitement réservé aux chasses impériales et royales par les historiens du xixe et du xxe siècle et à éclaircir les conditions de la construction autour des chasses d’une « légende noire ». L’étude des chasses fait en outre appel à plusieurs compétences : l’histoire forestière, l’histoire politique et diplomatique, l’histoire des sociétés curiales. Il s’agit aussi d’histoire de l’art, avec l’étude des représentations, des objets et des bâtiments dédiés aux chasses. Enin, la réception des chasses par la presse implique de s’intéresser à l’histoire de l’opinion publique. Cette multiplicité des champs exige de bien déinir, dès le départ, les limites et les enjeux, ainsi que les sources utilisées. Sans cette mise au point historique, historiographique et méthodologique, toute étude sur un objet aussi complexe risque de s’égarer. 2. Déinitions La cour a toujours été un objet d’interrogations : après les rélexions de témoins comme Saint-Simon, de nombreux chercheurs, comme Norbert élias12, Emmanuel Le Roy Ladurie et Jean-François Solnon ont étudié la cour de l’Ancien 9. C. Cropper, Playing at Monarchy…, p. 85-118. 10. à l’exception de deux grandes études sur l’administration forestière : Y. Cazenave de La Roche, La Vénerie royale et le régime des capitaineries… ; F. Vidron, La Vénerie royale au XVIIIe siècle… 11. Par exemple dans J. de Viguerie, Louis XVI, le roi bienfaisant…, p. 109, où, dans le chapitre « Portrait du roi », igure un passage intitulé « Les goûts et les centres d’intérêt de Louis XVI », dans lequel sa passion pour la chasse est évoquée. 12. N. élias, La société de cour… 14 INtRoDuCtIoN géNéRALE Régime selon une grille de lecture bien précise, qui en fait le lieu où s’exprime le pouvoir du souverain et où le statut social sert aux membres de la cour à se positionner dans le système13. La cour doit être envisagée au sens large : il s’agit de l’entourage du souverain, famille, amis et serviteurs, mais aussi d’un organe de gouvernement et de représentation du pouvoir, car c’est en son sein que se déroulent les grands moments de la vie de l’état, comme les réunions du conseil des ministres. La richesse de la cour relète aussi la puissance du monarque et du pays qu’il dirige. Au jour le jour, la vie de la cour s’adapte aux horaires et aux exigences du souverain, ainsi qu’aux règles de l’étiquette dont il s’entoure. Enin, la cour est une machine administrative, dotée de revenus, d’un budget, d’un personnel et d’une mémoire archivistique. on distingue les courtisans, qui côtoient le monarque en n’occupant qu’une charge honoriique – on pense aux chambellans, aux dames du palais –, des employés de la Maison, qui reçoivent un traitement sur les fonds de la Liste civile14, qu’ils soient oiciers de la Couronne, en charge du fonctionnement de la cour ou simples domestiques. Selon le Larousse, la chasse est, au premier sens, « l’action de chasser, de guetter ou de poursuivre les animaux pour les prendre ou les tuer », et, au deuxième, la « partie d’un terrain, d’un domaine réservée pour la chasse ; ensemble de ceux qui prennent part à une chasse ». Le terme « vénerie », dans le même dictionnaire, se comprend à la fois comme « l’art de chasser avec des chiens courant des animaux sauvages, tels que le cerf, le chevreuil, le sanglier, le lièvre, le renard », et comme « autrefois, administration des oiciers de chasse d’un souverain ». C’est dans ce cadre que les chasses de l’Empire et de la Restauration doivent s’étudier, à une nuance près : selon l’Étiquette du palais impérial, la vénerie comporte tout ce qui a trait à la chasse à courre, mais aussi à tir. 3. Apports et limites de l’historiographie 3.1. Généralités a. Le regard du xixe siècle sur la chasse Dans les décennies qui suivirent la chute de la monarchie restaurée, de nombreux historiens se plurent à évoquer le faste des chasses d’antan, par goût du pittoresque et parfois avec nostalgie. Eugène Chapus, premier historien des chasses royales, fut ainsi prompt à faire fonctionner son imagination pour ressusciter les laisser-courre du Moyen Âge et de l’Ancien Régime. Associée à la naissance du tourisme sous la monarchie de Juillet, une vaste bibliographie autour de la forêt de 13. Pour une synthèse sur les enjeux historiographiques et les déinitions de la cour, on lira t. trétout, « Introduction. La cour, objet d’histoires »…, p. 19 et suiv. 14. X. Mauduit, « Le ministère du faste… », p. 73. INtRoDuCtIoN géNéRALE 15 Fontainebleau exalta les notions de pittoresque et de nature, à l’instar de ce guide promettant la promenade « la plus intéressante de la forêt de Fontainebleau »15 tout en évoquant des récits de chasses ou des légendes, telle celle du fantôme du grand veneur qui, selon Pierre de l’Estoile, serait apparu à henri IV pour annoncer la mort de gabrielle d’Estrées16. L’importance de la chasse dans la vie politique avait aussi été comprise par les écrivains, à l’instar d’Elzéar Blaze, qui traduisit son sentiment à la in de la monarchie de Juillet : « le cœur de l’homme ne peut pas nourrir deux grandes passions à la fois. Voilà pourquoi la chasse a souvent servi à masquer des projets politiques d’une haute importance. on ne soupçonne pas qu’un chasseur puisse conspirer » 17. Le rôle de la chasse comme attribut de l’autorité allait donc toujours de soi pour les historiens de cette époque, dont certains avaient pu connaître les chasses royales ou impériales, avant d’être confrontés aux premières chasses présidentielles. Au début de la IIIe République, Rambouillet servait ainsi de résidence d’été aux chefs de l’état. Félix Faure y écrivit une longue étude intitulée Les chasses de Rambouillet depuis les temps primitifs de la Gaule jusqu’à nos jours 18. Sadi Carnot passait encore ses étés à Fontainebleau, et Compiègne fut restauré pour la visite du tsar Nicolas II en 190119. Ces échos monarchiques ne purent que conforter le sentiment de continuité ressenti par les historiens. Cependant, les chasses royales irent très tôt partie d’un imaginaire collectif, amalgamant idées préconçues et préjugés sur la monarchie, relayés par l’historiographie républicaine et les livres scolaires peu favorables aux anciens rois de France20. Au-delà de ces poncifs, la chasse s’est peu à peu imposée aux yeux des historiens comme une extension de la vie de cour, un moyen pour le roi absolu de l’époque moderne d’exercer sa domination sur ses courtisans. Réservée à la noblesse au détriment des roturiers depuis 1396, assimilée aux plaisirs des rois fainéants mérovingiens, aux pendaisons de braconniers par les seigneurs médiévaux, à la passion un peu futile de François Ier ou de Charles IX, aux dépenses inconsidérées de Louis XIV, mais aussi aux excès de Louis XV et à la bêtise de 15. C.-F. Denecourt, Guide du voyageur…, p. 112. 16. on lira avec proit J.-C. Polton, Tourisme et nature au XIXe siècle… 17. E. Blaze, Le chasseur-conteur…, p. 207. 18. F. Faure, Les chasses de Rambouillet… 19. Un tsar à Compiègne…, p. 68 et suiv. 20. Par exemple E. Lavisse, Histoire de France…, p. 94, 120 et 129 : « François Premier vivait entouré de seigneurs ; il allait avec eux à la chasse et il leur donnait de très belles fêtes » ; « [Louis XV] n’était pas bon, il s’amusait à égorger des oiseaux, il avait une biche apprivoisée qui lui faisait des caresses. un jour il tira sur elle d’un coup de fusil et la tua » ; « [Louis XVI] était bien jeune, il n’avait que vingt ans. Puis il n’était pas très intelligent. Son plus grand plaisir était de chasser. Il chassait plusieurs heures tous les jours ». 16 INtRoDuCtIoN géNéRALE Louis XVI, somme toute associée à tous les rois de France depuis les origines, la chasse devint, par excellence, le symbole du privilège royal et nobiliaire. b. La Vénerie royale au xxe siècle Plus éloigné de la tradition monarchique, le xxe siècle a livré des analyses sur le rôle des chasses dans la construction de l’image royale, dans leur organisation et dans l’administration des forêts royales. La chasse revient souvent, en histoire médiévale et moderne, comme une marque identitaire de la vie aristocratique et une manifestation du pouvoir. Les rélexions de Jean-Paul Roux sur les symboles royaux, dont la chasse et la guerre font partie, sont ainsi un bon exemple d’une analyse basée sur les légendes et l’histoire antique, mais où les références à la Vénerie royale sont absentes21. Les théories de René girard sur la violence primitive et la dimension rituelle de la chasse ont permis de mettre en lumière le rôle de la mise à mort de l’animal comme exercice de paciication, sans s’intéresser à ses répercussions politiques ou sociales, en particulier sur le plan historique22. Peu d’historiens se sont penchés sur l’histoire des chasses royales et de leur rapport à la vie de cour, à l’exception de Philippe Salvadori, dont la thèse permet de retracer l’histoire de la Vénerie royale et de comprendre son association avec la monarchie, au-delà des notions de privilège ou de propriété foncière. La chasse était un instrument de pouvoir, nécessaire à la régulation de la vie de la cour. Il s’agissait, comme le suggère son analyse du Journal du duc de Croÿ, de la première étape du parcours du courtisan à Versailles, avant le souper en présence du souverain et l’invitation à Marly ou dans d’autres résidences intimes23. Néanmoins, l’approche la plus valorisée semble être l’histoire de l’environnement. Plusieurs auteurs se sont concentrés sur l’étude d’un domaine forestier sur le long terme, comme Jean-Michel Derex, pour les bois de Vincennes et de Boulogne, et Vincent Maroteaux, sur Versailles. Cependant, la chasse semble toujours être, au début du xxie siècle, un sujet délaissé et peu attractif. une évocation de l’Ancien Régime s’impose comme préliminaire à toute étude sur la chasse au xixe siècle, où le souvenir des chasses royales d’avant 1789 était encore présent, particulièrement dans le milieu des veneurs tel que le marquis de Foudras le décrit24, où les usages, les noms et les thèmes abordés indiquent une forte continuité par-delà la Révolution française. 21. J.-P. Roux, Le roi, mythes et symboles…, p. 137-140. 22. R. girard, De la violence à la divinité…, p. 788. Le sociologue Norbert élias a également travaillé sur le sport en tant que « combat physique non violent », nécessaire à la résolution des conlits humains et, par extension, politiques et diplomatiques, en prenant comme exemple la société anglaise et la chasse au renard, dans Sport et civilisation…, p. 34. 23. E. de Croÿ-Solre, Journal…, t. I, p. 21 ; P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime…, p. 216 et 219 ; A. Maral, Le roi, la cour et Versailles…, p. 238 ; B. hours, Louis XV…, p. 229. 24. on retrouve par exemple un « ancien page du roi Charles X » dans t.-L.-A. de Foudras, INtRoDuCtIoN géNéRALE 17 3.2. Les chasses de l’Ancien Régime : état de la question a. une institution venue du passé Par manque de sources, l’histoire de la Vénerie royale ne peut remonter plus loin que le règne de saint Louis (1214-1270). Aux époques antérieures, l’iconographie des tapisseries et enluminures, les traités de fauconnerie et de vénerie, comme ceux de Frédéric II de hoenstaufen (1194-1250) ou de gaston Phébus (1331-1391), informent plus sur les techniques que sur le cérémonial. on sait que les rois de France chassaient régulièrement, que saint Louis avait à son service « deux fauconniers, deux ou trois veneurs, cinq valets de chiens, deux oiseleurs et deux fureteurs », que Philippe le Bel (1268-1314) chassait avec « onze veneurs, dix valets de chiens, sept fauconniers et dix valets de fauconnerie, sept archers »25 et qu’il délaissait les afaires du royaume pendant les « expéditions plus ou moins longues qui le menaient tout au long de l’année dans les grandes forêts de chasse de la région parisienne »26. Le premier registre de comptes de la Vénerie royale, ouvert sous Charles VI (1368-1422), date de 138927. En 1413, les charges de grand veneur, de grand fauconnier et de capitaine de l’équipage du vautrait furent créées et, en 1467, Louis XI (1423-1483) y ajouta la charge de grand louvetier. Le grand veneur commandait sous Charles VIII (1470-1498) « neuf écuyers, neuf veneurs, deux aides, six valets de limiers, un garde des chiens à renards ; le grand fauconnier a sous ses ordres quatre chefs de vol, dix fauconniers, deux espreveteurs (chargés des éperviers) »28. Ces efectifs, impressionnants pour le Moyen Âge, où l’hôtel du roi était une organisation réduite, montrent le soin apporté à l’organisation des chasses. à la Renaissance, la chasse devint l’activité princière par excellence, associée à l’image de force et de magniicence du monarque29, ce qui s’accompagna d’un raidissement administratif, avec la création des capitaineries des chasses, institutions de gestion et de surveillance du patrimoine cynégétique et forestier des domaines royaux. La première fut celle de Fontainebleau en 153430. En plus de son équipage du cerf, François Ier (1494-1547) créa un équipage pour le sanglier d’une soixantaine de veneurs, et il eut cinquante-quatre fauconniers à ses ordres. henri II (1519-1559) entretint trois équipages, l’un de quarante-sept gentilshommes, quatre valets de limiers, sept valets de chiens, un boulanger et un Une vie aventureuse…, p. 17. 25. P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime…, p. 194. 26. R.-h. Bautier, « Diplomatique et histoire politique… », p. 9. 27. BNF, Mss, Fr. 7839, comptes de la Vénerie de Charles VI pour 1389. 28. P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime…, p. 194. 29. Voir C. d’Anthenaise, Chasses princières dans l’Europe de la Renaissance… et id., « La chasse, le plaisir et la gloire »…, p. 94. 30. M. Chalvet, Une histoire de la forêt… 18 INtRoDuCtIoN géNéRALE fourrier, le second de soixante-dix gentilshommes et onze valets, et le troisième de dix-sept gentilshommes, quatre valets de limiers et quatre valets de chiens, efectifs qui restèrent stables au xvie siècle et qui représentaient une dépense de 30 000 livres par an sur les 2 164 600 livres dépensés pour la cour, soit 1,3 % du total. Bien qu’aléatoire, compte tenu des frais annexes d’entretien des bâtiments, des forêts et des routes, ce calcul donne l’impression d’un plaisir peu coûteux. Le passage d’un monarque peu chasseur, henri III (1551-1589), à un grand amateur de vénerie, henri IV (1553-1610), amena peu de changements puisqu’en 1609, sur les 6 460 496 livres de dépenses, « la vénerie et la fauconnerie comptaient pour 88 670 livres, soit encore 1,3 % » des dépenses de la cour31. b. Les Bourbons Sous henri IV et Louis XIII, les équipages de chasse à courre et à tir continuèrent à se développer, employant respectivement cent quatre-vingt-deux et cent trente-sept personnes. Sous Louis XIV (1638-1715), l’intérêt des contemporains, à commencer par Saint-Simon ou Dangeau, a permis de garder un souvenir précis des chasses. Le roi, qui chassa presque quotidiennement jusqu’en 1715, ne perdit jamais de vue l’importance des revenus engendrés par la forêt et l’intérêt stratégique du bois pour la construction navale32. Sous son règne fut élaborée l’ordonnance des Eaux et Forêts de 1669, œuvre de Colbert et premier grand travail législatif réglementant les chasses et la gestion forestière. L’oice de grand veneur, peu rentable mais rapprochant du roi, passa à la famille de Lorraine entre 1526 et 1602, appartint aux Rohan jusqu’en 1669, puis aux La Rochefoucauld, avant d’échoir en 1714 au comte de toulouse, un des ils illégitimes de Louis XIV, puis à son ils, le duc Louis-Jean-Marie de BourbonPenthièvre. Les oiciers des chasses représentaient un tiers de la Maison du roi sous Louis XIV, soit trois cent quatre-vingts personnes, dont cent soixante-quinze pour la fauconnerie. Au xviiie siècle, la Vénerie royale suivit l’évolution générale de la Maison du roi : expansion du personnel et des moyens et multiplication des oices, tout en devenant un des équipages les plus performants d’Europe. La fauconnerie, passée de mode à la in du règne de Louis XIV, ne servit plus qu’une fois par an, par souci de la tradition. Louis XV fut un passionné de chasse à courre, qui était pour lui « un sport, une science, une nécessité de caractère »33. En 1748, il créa un second équipage du cerf et transforma son équipage du lièvre en un équipage dédié à la chasse de son gibier favori, le daim, appelé l’« équipage des chiens verts »34. La 31. 32. 33. 34. P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime…, p. 194. M. Chalvet, Une histoire de la forêt…, p. 156. F. Bluche, Louis XV…, p. 65. P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime…, p. 194-195. INtRoDuCtIoN géNéRALE 19 Vénerie royale connut un véritable apogée. Le roi chassait à courre en moyenne cinq fois par semaine, « un jour pour le grand équipage ; un autre pour le petit, dit les six chiens ; un autre pour le vautrait ou le sanglier, un autre pour le chevreuil, jusqu’à ce que la chasse à tirer fût ouverte »35. Il chassait plusieurs fois la semaine à tir à Versailles et Saint-germain-en-Laye, et it développer l’élevage du gibier à plumes. Plus que sous le règne précédent, les traditionnels séjours d’automne de la cour à Fontainebleau eurent beaucoup de retentissement36. C’est aussi sous Louis XV que la pratique de la chasse commença à prendre une connotation négative dans les esprits et en vint peu à peu à être perçue comme une marque du désintérêt du roi envers les afaires de l’état. Dans le cadre de la « privatisation accrue des résidences royales » et du déclin de l’inluence de la cour, la mauvaise perception des chasses participa à la désacralisation du monarque37. La passion de Louis XV it scandale pour son caractère onéreux et ostentatoire : il multiplia les châteaux de chasse, comme La Muette au bois de Boulogne, Choisy-le-Roi, Saint-hubert, Meudon et Bellevue ; il it reconstruire Compiègne38 et s’entoura d’œuvres d’art en rapport avec la chasse, qu’il it disposer dans ses petits appartements de Versailles. La construction de résidences, de routes et de murs dans les forêts, les dépenses en chiens et en chevaux, mais surtout les rumeurs concernant les « soupers de retour de chasse », les soirées du Parc-aux-Cerfs ou les conseils des ministres interrompus pour partir en forêt inirent par nuire à l’image du roi, considéré comme débauché et éloigné des afaires. Dès la seconde moitié du règne de Louis XV, « la chasse aurait perdu son caractère moral, qui en faisait la modératrice des passions, et cette déqualiication mine la igure du roi »39. La Vénerie n’échappa pourtant pas aux mesures d’économie, principalement pour la chasse au vol. En 1737, quatre-vingt-treize charges y furent supprimées, et encore quarante-trois en 1748. Louis XVI supprima en 1776 les meutes du chevreuil, du daim, du lièvre, et réduisit le nombre des oiciers. En 1786 disparut l’équipage des lévriers de Champagne et, l’année suivante, le contrôleur général des inances it supprimer la louveterie, les toiles et la fauconnerie40. Il ne restait en 1789 que deux équipages du cerf et les oiseaux du cabinet, soit une quinzaine de fauconniers. Les chasses coûtaient alors entre 1 000 000 et 1 200 000 livres par an41. Dans le même temps, les économies doivent être nuancées en raison 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. J.-N. Dufort de Cheverny, Mémoires…, t. I, p. 69. P. Daguenet, Les séjours de Marie-Antoinette…, p. 11. R. Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française…, p. 254. B. hours, Louis XV…, p. 255. D. Reytier, « Voyage au cœur des chasses de Louis XV »…, p. 126. J.-R.-P. de Semallé, Souvenirs…, p. 19. P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime…, p. 194. 20 INtRoDuCtIoN géNéRALE des coûteux achats, voulus par Louis XVI, des domaines de Rambouillet en 1783 et de Saint-Cloud en 1784. c. Après 1789 La question du lieu où les états généraux se réuniraient fut posée à Louis XVI au début de 1789. Ses ministres lui proposaient une ville de province comme tours ou Blois, à l’abri des risques d’insurrection parisienne : « ce ne peut être que Versailles, dit-il, à cause des chasses »42. La Vénerie royale it sa dernière apparition lors du déilé précédant l’ouverture des états généraux. un « courant d’opinion puissant » s’était élevé depuis plusieurs années contre les chasses royales43. Les cahiers de doléance avaient été particulièrement critiques envers les capitaineries : le gibier détruisait les cultures des paysans sans qu’ils puissent s’y opposer, tandis que les nobles, qui ne pouvaient pas y chasser, réclamaient leur suppression44. Au cours de la nuit du 4 août, le privilège de la chasse, un des symboles de l’Ancien Régime, fut aboli, décision qui fut suivie d’un déchaînement du braconnage45. La liberté de chasser fut renforcée par les lois du 30 avril 1790, du 11 juillet 1810 et du 4 mai 1812, qui assurèrent la protection des propriétés particulières, établirent les règles d’ouverture de la chasse et instaurèrent le permis de port d’armes46. Louis XVI chassait encore le 5 octobre 178947, quand la foule des Parisiennes vint le chercher à Versailles ; cette journée d’émeute sonna le glas de sa vie de roi chasseur, avec l’installation de la cour aux tuileries. Les chasses royales ne furent pas tout de suite oubliées, comme le montre un projet de réforme de la Maison du roi publié en 1790, qui prévoyait d’en ramener les dépenses à 800 000 livres par an : « C’est encore un de ces articles sur lesquels il ne faut pas regarder à quelques mille livres de plus ou de moins. Pourvu que Sa Majesté soit heureuse, & jouisse des seuls plaisirs qu’elle se permet, c’est tout ce que nous devons désirer »48. Dans les premiers temps, la Révolution ne remit pas en cause l’existence des chasses. Le 9 juin 1790, un décret de la Constituante régla ainsi la Liste civile du souverain, à qui une somme de 25 millions de livres devait être annuellement allouée. Le 4 septembre 1790, l’Assemblée vota un décret qui prévoyait que Louis XVI pourrait chasser dans les forêts de sa Liste civile qui devaient être 42. A.-g.-P. Brugière de Barante, Études historiques et biographiques…, t. I, p. 218. 43. h. Revel, « Le droit de chasse… », p. 80. 44. é. guillemot, « Les forêts de Senlis… », p. 302-303. 45. J.-M. Derex, Histoire du bois de Vincennes…, p. 157. 46. P. Bourrieau, Le monde de la chasse…, p. 20-22. 47. Son journal porte la mention « tiré à la porte de Châtillon. tué quatre-vingt-une pièces. Interrompu par les événements » (J.-J.-A.-é.-é. Dunoyer de Noirmont, Histoire de la chasse en France…, t. I, p. 261). 48. Anonyme, De la future Maison du roi…, p. 53. INtRoDuCtIoN géNéRALE 21 enceintes de murs, qu’il pourrait agrandir son domaine par des achats ou des échanges avec les particuliers ou avec l’état, et que les propriétaires pourraient tuer le gibier qui endommagerait leurs cultures. Les seules mesures sévères étaient la possibilité qu’avaient les gardes forestiers d’arrêter les braconniers, et la peine de trois mois de prison prévue pour toute personne arrêtée en possession d’armes à feu dans les parcs royaux les jours de chasse49. Le décret du 26 mai 1791 ixa la liste des biens attribués au roi, qui correspondaient aux résidences, forêts et domaines qui appartenaient à la Couronne avant 178950. Ces décrets ne furent jamais appliqués. Louis XVI chassa une dernière fois à courre le 11 mars 1790 au bois de Boulogne, et il tua trois pièces de gibier en 179151, année où le budget des chasses s’élevait à seulement 17 032 livres52. Dans cette période du déclin de la cour, la in des chasses et les restrictions imposées aux déplacements du roi annonçaient la diminution de l’autorité royale, au même titre que la disparition de l’étiquette et l’émigration des courtisans53. La Vénerie disparut en 1792, en même temps que la monarchie. Les domaines royaux et les bâtiments dédiés aux chasses furent vendus comme biens nationaux. Les équipages furent dispersés et la pratique de la chasse à courre, trop aristocratique, fut abandonnée. un des derniers équipages à subsister fut celui du duc Louis-Philippe d’orléans, qui cessa ses activités en 1792. Autrefois apanage d’une société privilégiée, la chasse à courre, devenue libre en 1789, fut rapidement adoptée par la société aisée qui émergea sous le Directoire. Les dirigeants politiques ou militaires, qui devaient leur ascension à la Révolution, étaient avides de pratiquer ce sport : Joseph Bonaparte organisa des chasses aux lambeaux dans la forêt du Raincy, ancienne propriété de la famille d’orléans rachetée par le munitionnaire gabriel-Julien ouvrard54, tandis que le directeur Paul Barras installait un petit équipage de chasse à grosbois, ancien château du comte de Provence55. Il fallut cependant attendre 1802 pour voir réapparaître un équipage de chasse d’état, quand Bonaparte établit la Vénerie consulaire, qui devint en juillet 1804 le service du grand veneur, dirigé par le maréchal Alexandre Berthier, successivement ministre de la guerre et major-général de la grande Armée, qui fut fait prince de Neuchâtel puis de Wagram. grâce à ses compétences administratives et à sa connaissance de l’art cynégétique, Napoléon put faire de ses chasses un instrument politique puissant, une distraction de cour prisée, le tout avec une économie substantielle de moyens. Malgré des vicissitudes, 49. 50. 51. 52. 53. 54. 55. L. gagnereaux, Code forestier…, t. II, p. 142-145. C. granger, L’empereur et les arts…, p. 22. J.-J.-A.-é.-é. Dunoyer de Noirmont, Histoire de la chasse en France…, t. I, p. 261, n. 2. V. Maroteaux, Versailles. Le roi et son domaine…, p. 227. A. A. Caiani, Louis XVI and the French Revolution… L.-C. Wairy, Mémoires de Constant…, t. III, p. 72. À courre, à cor et à cri…, p. 10. 22 INtRoDuCtIoN géNéRALE cet équipage de chasse fondé pour Bonaparte, passé au service des Bourbons, fonctionna jusqu’en 1830. 3.3. Chasse et historiographie a. Napoléon, un chasseur méconnu L’intérêt de Napoléon pour la chasse a souvent été négligé par ses biographes, même si la plupart évoquent au moins une des anecdotes cynégétiques qui émaillent l’histoire du Premier Empire. Ce peu d’intérêt est dû au fait que la gloire militaire et la légende de Napoléon font écran56. à la diférence de ses prédécesseurs de l’Ancien Régime, de Charles X ou de son neveu Napoléon III, jamais Napoléon n’a été considéré comme un grand chasseur, même si certains de ses détracteurs se sont plu à raconter ses mésaventures forestières ain de mieux le ridiculiser. De nombreux historiens en ont conclu que Napoléon se contraignait à chasser de temps en temps car cela faisait partie des obligations de représentation des monarques57, mais qu’il n’aimait pas, voire qu’il « détestait » cette activité58. Pour d’autres, la chasse n’était qu’un accessoire du décorum imposé par Napoléon pour imiter l’Ancien Régime59. Napoléon s’est pourtant attaché à posséder un équipage de chasse et des forêts bien avant la proclamation de l’Empire. Les témoins en parlent fréquemment et de nombreuses œuvres d’art représentant les chasses ont été commandées par Napoléon. Les journaux évoquaient des chasses dans leurs colonnes et l’empereur en tenue de vénerie était visible dans tout Paris. La chute de l’Empire a dû amener un oubli, qui doit remonter à la période où s’est construite la légende napoléonienne, sous la Restauration et dans les années qui suivirent60. L’exclusion de la chasse de la légende s’explique par la volonté de mettre en avant les souvenirs militaires, à une époque où la chasse était dévalorisée, car associée aux Bourbons détrônés par la Révolution de 1830. Comme l’a récemment souligné Pierre Branda, les convictions libérales de certains historiens, à commencer par hiers, expliquent que l’histoire militaire fut privilégiée au détriment des aspects monarchiques du régime61. Ce n’est qu’au tournant des années 1830 et 1840 que dans de rares comparaisons entre l’Empire et la Restauration, quelques anecdotes sur Napoléon à la chasse vinrent se confronter à celles de Charles X. Il ne s’agissait plus alors d’histoire, mais d’images populaires62. 56. N. Petiteau, « Le patrimoine mémoriel de l’Empire… », p. 21. 57. L. Chardigny, L’homme Napoléon…, p. 88 : « Napoléon chassait parce qu’à son époque tout souverain chassait ». 58. Pour citer S. Englund, Napoleon…, p. 388. 59. A. Soboul, La civilisation et la Révolution française…, t. III, p. 180. 60. N. Petiteau, « Le patrimoine mémoriel de l’Empire… », p. 21. 61. P. Branda, Napoléon et ses hommes…, p.19. 62. S. Hazareesingh, La légende de Napoléon…, p. 249. INTRODUCTION GÉNÉRALE 23 On peut pourtant remarquer un tournant pendant la monarchie de Juillet. Malgré la gloriication des guerres napoléoniennes au musée de l’Histoire de France de Versailles et la cérémonie grandiose du retour des Cendres en 1840, Napoléon s’humanisa peu à peu, les allusions à l’Empire ne furent plus soumises à la censure et le culte napoléonien se détacha de l’histoire militaire. À ce moment, le souvenir de la chasse devint plus acceptable, comme les évocations de la cour impériale. C’est aussi à cette époque que parurent le plus de mémoires de contemporains, dont certains devinrent des références incontournables : les Mémoires du premier valet de chambre de Napoléon, Constant, ceux du préfet du palais Bausset, ceux du ministre de la Police Savary, ou encore le Mémorial de Sainte-Hélène rédigé par Las Cases à partir de ses conversations avec Napoléon en exil. Dans ces témoignages, les anecdotes cynégétiques venaient illustrer tour à tour la volonté de Napoléon d’imiter le modèle monarchique, sa générosité, ou encore l’aspect militaire de sa cour, menée au son du tambour chasser la perdrix. C’est donc peut-être plus par souci de rigueur que l’historiographie a longtemps évité de parler des chasses : que ce soit sur le mode ironique ou hagiographique, les récits de témoins, bientôt repris et déformés par des anecdotes apocryphes, brouillent l’image originale. La bibliographie des chasses napoléoniennes s’en ressent fortement. Seuls trois auteurs y ont consacré plus d’une quinzaine de pages, mais les travaux de Frédéric Masson63 et de Charles-Otto Zieseniss64 ne peuvent être considérés que comme des incursions rapides. De plus, la cour de Napoléon semble n’avoir intéressé que peu d’historiens. Pour Pierre Branda, auteur de Napoléon et ses hommes, paru en 2011, ce désintérêt ne s’explique pas seulement par l’aspect rebutant des sources originales, mais aussi par la prédominance de l’histoire militaire, par la personnalité écrasante de l’empereur, qui « rejette son entourage dans l’ombre », et surtout, par « l’échec patent de cette institution », complètement dépassée à l’heure des institutions républicaines65. Cette dernière constatation semble aussi s’appliquer à l’histoire de la Maison du roi sous la Restauration. b. Charles X, un chasseur trop connu ? Bien qu’elle fût une passion reconnue de Charles X, les premières études sur la Restauration, parues après 1830, n’accordèrent que peu d’attention à la chasse et se concentrèrent sur la vie parlementaire, l’instabilité ministérielle ou le combat pour la liberté de la presse. Leurs auteurs, souvent de convictions libérales, voyaient dans le triomphe de leurs idées l’origine de la chute du régime, minimisant ainsi le rejet du roi, qui fut un courant d’opinion puissant. Cette 63. F. Masson, Napoléon chez lui… 64. C.-O. Zieseniss, Napoléon et la cour impériale… 65. P. Branda, Napoléon et ses hommes…, p. 19-20. 24 INTRODUCTION GÉNÉRALE vision oubliait que les chasses avaient été décrites par la presse oicielle, que de nombreuses peintures de chasses avaient été exposées et que les caricaturistes de la révolution de Juillet avaient systématiquement moqué l’imagerie cynégétique du régime, jusqu’à en faire un signe de ralliement de l’opposition. Il fallut attendre le Second Empire pour voir apparaître les premières études sur la Restauration, avec Alfred Nettement, Alphonse de Lamartine et Louis de Viel-Castel. Malgré la parution de nombreux mémoires, les chasses ne furent évoquées ni dans les descriptions de la cour, ni dans les exposés des causes de la chute du régime. Ce n’est qu’englobées dans un champ plus large, l’histoire des chasses princières, que les chasses de Charles X furent étudiées, dès 1837, comme une « étude de mœurs »66 et non comme un objet historique. Les chasses de l’Empire et de la Restauration furent à nouveau évoquées en 1853 par Eugène Chapus dans son livre Les chasses princières en France de 1589 à 1841 67, paru dans la « Bibliothèque des chemins de fer », à destination d’un grand public friand d’anecdotes. Plus de la moitié de l’ouvrage était consacré à Charles X. Napoléon n’y était pas présenté comme un grand chasseur, ce qui contribuait à le mettre à part, tout en ixant son image d’empereur plus fait pour les champs de bataille que pour la cour. Au même moment, pour les historiens de la chasse, le refus d’aborder le xixe siècle était perceptible, car beaucoup d’entre eux regrettaient l’Ancien Régime. Un des meilleurs spécialistes arrêta ainsi son étude en 1789, en regrettant les « nobles chasses françaises, dont les traditions vont tous les jours se perdant »68. Pour un écrivain légitimiste du début de la IIIe République, l’histoire récente de la chasse ne pouvait être associée qu’à l’idée de décadence69. Accolées à la mémoire d’un roi assimilé à l’Ancien Régime, regrettées par un petit groupe de légitimistes, raillées par la majorité des historiens confrontant la progression des convictions libérales sous la Restauration aux mœurs d’une cour incapable de s’adapter au siècle nouveau, les chasses de Charles X irent donc dès 1830 partie d’un passé lointain, même si la chasse demeura un loisir pratiqué par Napoléon III puis par les présidents de la IIIe République. Au xxe siècle, il n’y eut que peu d’études sur la Restauration, à l’exception des synthèses de Bertier de Sauvigny puis d’Emmanuel de Waresquiel et Benoît Yvert, où la vie de cour n’est presque pas abordée. Quelques biographies de Louis XVIII, comme celles de Philip Mansel (1981) et d’Évelyne Lever (1987), ou celle de Charles X par José Cabanis (1972) ont été écrites, sans que la chasse y trouve sa place, si ce n’est au chapitre de la description morale et physique des 66. 67. 68. 69. E. Chapus, Les chasses de Charles X… E. Chapus, Les chasses princières… J.-J.-A.-É.-É. Dunoyer de Noirmont, Histoire de la chasse en France…, t. I, p. 352. A. de Pontmartin, Nouveaux samedis…, p. 111. INTRODUCTION GÉNÉRALE 25 personnages70. Dans l’histoire de la Restauration, la chasse apparaît donc comme un épiphénomène. À partir de cette série de désintérêts ponctuée d’anecdotes, est-il encore possible de créer un nouvel objet historiographique et de dégager un ou plusieurs champs d’étude ? II. — Les sources et leur approche 1. Les archives Si les chasses de l’Empire ont été parfois évoquées par des historiens, ce fut en général grâce aux anecdotes des mémorialistes. Pour aller plus loin, il semble essentiel de privilégier les sources directes, puis de les croiser avec des témoignages autobiographiques. Les archives de la Maison de l’empereur et de la Maison du roi, conservées aux Archives nationales, dans les sous-séries O2 et O3, permettent, malgré des destructions ou dispersions advenues en 1814, 1815 et 1830, de reconstituer l’activité des oiciers des chasses, tandis que les devis, rapports, plans, inventaires ou listes de personnels évoquent celle du secrétariat. Les livres de comptes donnent un aperçu des dépenses nécessaires à la vie des veneurs et de plusieurs centaines de chevaux, de chiens et animaux sauvages. Les correspondances de l’intendant général de la Maison, de l’intendant des Bâtiments et de l’administrateur des Forêts permettent d’étudier la gestion d’un domaine mobilier et immobilier immense. Les échanges entre les grands oiciers évoquent le protocole et la vie quotidienne de la cour. Les archives du Garde-Meuble donnent des informations sur les palais et leurs occupants. À ce corpus, on a pu ajouter les archives du secrétariat du grand maréchal du palais Géraud-Christophe-Michel Duroc, conservées au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, ainsi que les archives des palais nationaux et de la manufacture de porcelaine de Sèvres. Quelques collections, comme celle de l’historien Frédéric Masson, constituées de copies, de notes de travail et de documents achetés sur le marché des autographes, ont été également utiles. On peut aussi mentionner les archives privées, comme le fonds Daru, intendant général de la Maison de l’empereur de 1805 à 1811, les papiers Mounier, intendant des bâtiments de la Couronne de 1813 à 1830, ou encore plusieurs témoignages de personnes ayant pu assister aux chasses, comme l’érudit compiégnois Léré. 70. On mettra peut-être à part la « passion anormale » pour la chasse décrite dans V. W. Beach, Charles X of France…, p. 33. 26 INTRODUCTION GÉNÉRALE 2. Les sources imprimées Pour l’Empire, la plus célèbre des sources imprimées est sans doute la Correspondance de Napoléon, publiée sous le Second Empire, dont une nouvelle édition augmentée est en cours de publication. Pour la presse, ce sont le Journal des débats, le Journal de Paris et la Gazette de France qui sont les plus riches. Enin, on peut considérer comme faisant partie des sources les romans ou les brochures publiés entre la Révolution et la monarchie de Juillet, qui s’insèrent dans la même actualité politique, littéraire et artistique. Les nombreux journaux et mémoires concernant la période allant de la Révolution à la in de la Restauration constituent un réservoir immense de témoignages, à la iabilité parfois douteuse, mais qui complètent les archives. Certains ont été écrits pour répondre à la demande du public, à l’époque où des « nègres » littéraires payés à la ligne rédigeaient en s’inspirant de mémoires déjà parus, de témoignages oraux ou de sources imprimées. Même sans cela, il est diicile de juger dans quelle mesure un mémorialiste aurait pu être inluencé par ses lectures. Le lot de publication de mémoires relatifs à la Révolution, l’Empire et la Restauration se divise en trois temps71. De 1820 à 1840, la plupart des ouvrages étaient soit d’authentiques témoignages d’importants acteurs, qui ressentaient le besoin de raconter ou de se justiier après la mort de Napoléon en 1821 ou la révolution de 1830, soit de faux mémoires rédigés ain de répondre à la demande du public 72. On constate un ralentissement des publications sous le Second Empire, du fait de la disparition des survivants de l’Empire et du mutisme des nostalgiques de la Restauration opposés à Napoléon III. Il y eut enin une reprise après 1870, grâce à des éditions scientiiques de textes inédits. Ce processus se poursuit de nos jours, avec des publications ponctuelles de témoignages inconnus et des rééditions commentées. Dans cette masse d’imprimés, l’authenticité des informations se vériie souvent par une comparaison avec d’autres textes ou avec les archives : des anecdotes de chasses entièrement inventées ou reconstruites ont ainsi été identiiées, tandis que d’autres ont pu être conirmées par des documents d’archives (voir annexe I). 3. Les sources matérielles Les sources iconographiques, qu’il s’agisse de peintures, de dessins, de gravures ou d’objets d’art, se révèlent d’une aide précieuse. Les documents graphiques, peintures ou gravures, apportent des informations sur les couleurs des uniformes, des robes des chevaux, ou sur le matériel utilisé, tandis que l’identiication des 71. J. Tulard, Bibliographie critique des mémoires…, p. viii. 72. N. Petiteau, Écrire la mémoire…, p. 10. INTRODUCTION GÉNÉRALE 27 contextes de production et des commanditaires souligne l’évolution dans les représentations des chasses. Les cartes et plans d’architectes documentent les aménagements architecturaux ou paysagers nécessités par les chasses à courre et à tir. De même, les objets conservés dans les musées, les bâtiments ou les aménagements forestiers peuvent être pris en compte en tant que sources. Par exemple, la faisanderie de Rambouillet, construite sous la Restauration et toujours en activité, témoigne de la continuité dans les pratiques d’élevage du gibier. L’observation des bâtiments ou des décors permet de mieux comprendre les archives qui les évoquent et dans quel contexte se déroulaient les chasses des cours du Premier Empire et de la Restauration. Les objets peuvent aussi apporter des informations sur leur propriétaire ou sur leur usage, par exemple les armes de Napoléon, ajustées à sa taille, ou les selles et les harnachements, qui renseignent sur la pratique de l’équitation. Sans aller jusqu’au catalogue, la richesse des témoignages matériels et graphiques permet donc d’enrichir et d’approfondir la compréhension des archives et des sources imprimées. III. — Axes et champs d’étude 1. L’étude d’un milieu : la Maison du souverain L’étude des chasses de l’Empire et de la Restauration peut s’envisager selon diférentes approches. Sur le plan biographique, la personnalité des souverains et de leur entourage peut être éclairée par une étude centrée sur une partie précise de leur emploi du temps. Le service du grand veneur donne un aperçu de la haute administration de la cour, des personnels et de la continuité des usages par-delà la Révolution. La chasse permet d’étudier la vie de cour dans ses aspects sociaux et politiques, comme instrument de pouvoir et de diplomatie : les déplacements d’une résidence à l’autre, les invitations, les rencontres entre souverains, la propagande relayée par la presse ou les gravures. Il s’agit également d’un sujet d’histoire économique : le grand veneur avait un budget conséquent à gérer ; l’organisation des chasses, l’achat et l’exploitation de forêts représentaient un investissement. Enin, en tant qu’administration, la Vénerie doit être étudiée en prenant en compte son intégration au sein de la Maison du souverain, constituée de diférents services aux attributions complémentaires73. L’étude du service du grand veneur doit aussi permettre de revenir à des questions plus concrètes, sur la dimension humaine d’une administration constituée d’employés travaillant et vivant dans les bâtiments de la Couronne. Elle doit mettre en valeur l’un des aspects les moins connus de l’histoire de la cour, celui 73. P. Branda, Napoléon et ses hommes…, p. 15. 28 INTRODUCTION GÉNÉRALE du fonctionnement des palais, « des espaces de vie, non seulement des souverains et de la cour, mais aussi des invités et du personnel »74. À cette question de l’envers du décor s’ajoute celle de l’aménagement et de l’entretien des locaux et des territoires, ainsi que l’étude des conditions de travail des employés. L’histoire du cheval peut également être enrichie par une étude des écuries du grand veneur. Seuls les chevaux de Napoléon, qui font partie intégrante de la légende napoléonienne, sont bien connus, mais l’intérêt qu’ils suscitent dissimule l’histoire d’une administration complexe, celle des Grandes Écuries de l’Empire à la Restauration, qui peut être complétée par l’étude des chevaux de chasse : « on pourrait donc reconstituer l’économie d’une population d’équidés sur près de trente ans et à un moment décisif de la transformation de la culture des écuyers »75. Le choix d’étudier un service de l’Empire à la Restauration vise à éviter d’envisager la Maison de l’empereur comme une administration attachée à Napoléon, le suivant à l’île d’Elbe et à Sainte-Hélène, mais permet au contraire de la lier au cadre de vie de la cour. Une recherche centrée sur un seul des deux régimes aurait présenté un caractère incomplet, en coupant des carrières ou des phénomènes administratifs en deux. 2. Un portrait à esquisser : la igure du monarque L’étude de l’organisation des chasses doit en outre permettre de replacer cette activité, omniprésente dans la vie de la cour, au centre d’une rélexion plus globale sur les raisons, les modalités et les enjeux politiques et symboliques de l’utilisation d’un équipage de chasse par Napoléon, puis la transmission en 1814 de cet instrument de pouvoir à une dynastie aux ambitions, aux goûts et aux habitudes diférents. Le fait d’étudier une activité souvent pratiquée permet aussi d’évoquer, sur le temps long, l’emploi du temps des souverains, de leur famille et de leurs courtisans, en mettant en valeur l’articulation des activités quotidiennes, les inlexions annuelles ou saisonnières et l’imbrication entre les loisirs, les activités de représentation et les afaires du gouvernement. L’étude d’un phénomène curial sur près de trois décennies et sous deux régimes doit aussi permettre de mieux comprendre les évolutions de la représentation du pouvoir, entre les appels à la tradition monarchique et la recherche de nouvelles formules d’incarnation de l’autorité. Dans le cas de l’Empire et de la Restauration, il serait presque possible de parler de reconstruction de la igure du souverain, et peut-être de déconstruction, ce que le cas de la chasse, tradition royale instrumentalisée, met particulièrement en valeur. En ce sens, cette étude doit aussi 74. E. Starcky, Compiègne, palais impérial et royal…, p. 164. 75. D. Roche, La gloire et la puissance…, p. 283. INTRODUCTION GÉNÉRALE 29 permettre d’éclairer la dimension politique d’une telle activité et de révéler les modes d’incarnation et de représentation du pouvoir, dans la lignée des travaux sur la symbolique royale sous l’Ancien Régime76, des études sur les entrées royales et les voyages oiciels au xixe siècle ou de celles sur la « dignité de roi »77. L’ambition est aussi de redonner la place qui est la sienne à la chasse. Non pas la première, ni la deuxième mais, pour certains épisodes de l’Empire, une place clé, et, pour la biographie de Charles X et l’étude des causes de la chute de la Restauration, un rôle essentiel. La chasse réunit en efet les protagonistes principaux de la vie politique, diplomatique et militaire, lors d’épisodes privilégiés qui peuvent avoir l’air de parenthèses : les séjours de Napoléon dans ses palais, loin des champs de bataille, et ceux de Charles X, à l’écart des tumultes de la vie politique et parlementaire. C’est souligner avec d’autant plus de force le paradoxe de la chasse, activité du quotidien recouvrant des enjeux symboliques et politiques importants. 3. Limites Sur un plan méthodologique, il est possible de poser plusieurs limites à cette étude. Le sujet est bien la pratique de la chasse à courre et à tir à la cour de France sous l’Empire et la Restauration. Il ne s’agit en aucun cas d’une étude sur la pratique de la vénerie en France au lendemain de la Révolution ou sur l’administration forestière dans les domaines de la Couronne au début du xixe siècle : ces deux sujets seront évoqués, mais seuls les aspects concernant les chasses seront traités. Les services des archives départementales des Yvelines, de l’Oise et de Seine-et-Marne, qui conservent des fonds relatifs à la gestion des forêts depuis la période révolutionnaire, n’ont donc pas été exploités. Les fonds des Archives nationales sur la Liste civile ont été dépouillés en priorité, conjointement à ceux concernant le grand veneur. Il a ainsi été possible d’établir un dialogue entre les deux administrations. Dans un second temps, ce dialogue a pu être étendu aux archives d’autres services et à plusieurs fonds privés, ce qui a posé la question des limites du périmètre administratif recouvert par l’organisation des chasses. S’il ne paraissait pas envisageable d’ofrir un tableau complet du fonctionnement de la cour, il a fallu tenter d’équilibrer l’étude du volet administratif avec celle des implications politiques de la chasse ou sa place à la cour. L’exemple du grand veneur semble bien se prêter à la question de l’équilibre entre les diférents aspects d’une étude centrée sur la cour. Frédéric Masson, dans l’introduction à Napoléon chez lui, imagina par exemple ce que serait un livre centré sur les chasses impériales : « arrivé à la in du volume, le lecteur pourra 76. G. Sabatier, Versailles ou la igure du roi… ; L’image du roi… 77. Imaginaire et représentations des entrées royales… ; La dignité de roi… 30 INTRODUCTION GÉNÉRALE s’imaginer que Napoléon, en toute sa vie, n’a fait que chasser »78. Il conseille ainsi de replacer la chasse dans ses diférents contextes, qu’ils soient chronologique, institutionnel ou géographique. Masson évoque aussi l’étude des caractères : pour lui, « Charles X, c’est le roi chasseur »79, tandis que Napoléon était simplement, de temps en temps, « pris d’un zèle de chasse »80. Cependant, une biographie croisée, basée sur la confrontation de leurs pratiques cynégétiques, ne peut qu’amener à des comparaisons dénuées de profondeur. Il semble plus intéressant de restituer les individus dans leur dimension quotidienne, à la lumière de l’histoire politique : la construction du pouvoir impérial par des symboles forts, la mise en place d’une diplomatie axée non plus seulement sur les armes, mais aussi sur la sociabilité de cour pour Napoléon, le retour à une incarnation traditionnelle de l’autorité face à une opposition critiquant à la fois le gouvernement et les formes du pouvoir pour la Restauration. L’imbrication entre les aspects biographiques et institutionnels semble donc risquée. Le premier enseignement à en tirer est de dissocier l’étude de la place de la chasse dans la vie de la cour et dans la politique de celle dans l’administration. 4. Problématisation et présentation du plan Pour résumer les objectifs de cette étude, il s’agit d’analyser comment, et avec quels moyens, la chasse a pu redevenir l’un des instruments privilégiés du pouvoir impérial, alliant tradition royale et usages nouveaux, comment cette activité fut utilisée par Napoléon d’une manière suisamment habile pour que ni la postérité, ni les artisans de la légende napoléonienne n’en soient frappés, puis d’expliquer comment cet héritage a pu devenir, sous Charles X et jusqu’à nos jours, l’incarnation même de l’hostilité à la monarchie. Le seul moyen d’éviter le piège signalé par Masson, qui serait d’accorder à la chasse une trop grande place, semble être de diviser l’étude selon diférents axes : pouvoir, administration, réception. La première partie sera centrée sur la place de la chasse dans la vie de cour. La deuxième s’attachera à restituer la complexité de l’organisation des chasses et de l’administration du grand veneur. Enin, une troisième partie tentera d’étudier les représentations des chasses par l’image ou l’écrit et de mesurer leur rôle dans la propagande, qu’elle soit impériale, monarchique ou antimonarchique. 78. F. Masson, Napoléon chez lui…, p. iv. 79. F. Masson, « La vénerie de Napoléon à Charles X »…, p. 306. 80. F. Masson, Joséphine, impératrice et reine…, p. 56. TABLE DES MATIÈRES Remerciements .................................................................................................... 5 Normes, principes d’édition et de présentation ................................. 7 Abréviations ......................................................................................................... 9 Institutions et cotes d’archives, 9 — Notes de bas de page, 9 — Abréviations utilisées de façon normalisée pour les transcriptions des sources, 10 Introduction générale .................................................................................. 11 I. Infortunes historiographiques et politiques d’un plaisir royal ............. 11 Les partis pris, 11 — Déinitions, 13 — Apports et limites de l’historiographie, 14 II. Les sources et leur approche ..................................................................... 25 Les archives, 25 — Les sources imprimées, 26 — Les sources matérielles, 26 III. Axes et champs d’étude ............................................................................ 27 L’étude d’un milieu : la Maison du souverain, 27 — Un portrait à esquisser : la igure du monarque, 28 — Limites, 29 — Problématisation et présentation du plan, 30 PREMIÈRE PARTIE CHASSE ET POUVOIR DE L’EMPIRE À LA RESTAURATION Introduction : Un service victime de la Révolution ...................... 33 I. Les chasses dans le système de la cour ...................................................... 33 II. Des diférences fondamentales entre l’Empire et la Restauration ..... 34 Chapitre premier : Les chasses impériales, entre imitation et amplification ....................................................................................................... 37 808 TABLE DES MATIÈRES I. Introduction : Napoléon et la chasse ........................................................ 37 Un chasseur improbable, 37 — Un chasseur maladroit, 41 II. Les origines des chasses consulaires ......................................................... 48 La chasse : un efet de mode du Directoire et du Consulat, 48 — La chasse et les apparences de l’autorité, 50 — La peur du ridicule, 54 — La création du service des chasses, 56 III. Organiser une cour postrévolutionnaire ............................................... 64 Un simple calque de l’organisation versaillaise ? 64 — La récupération des symboles monarchiques, 80 — Ajustements et évolutions, 88 IV. La chasse dans l’emploi du temps de Napoléon .................................. 97 Trouver le temps de chasser, 97 — L’impact de la chasse dans le travail de Napoléon, 103 — La forêt, lieu de pouvoir, 112 V. Typologie des chasses impériales .............................................................. 122 Les chasses de loisir, 122 — Les chasses stratégiques, 132 — Les chasses diplomatiques, 139 — Les chasses de l’exil, 149 VI. Conclusion : Une tradition réinterprétée ............................................. 154 L’apparition d’une nouvelle tradition cynégétique, 154 — Le délitement de l’image du souverain chasseur, 158 Chapitre II : Les chasses de la Restauration, un besoin dynastique ........................................................................................................................ 161 I. Introduction : Les enjeux représentatifs de la Restauration ................. 161 La « pompe » de la vie quotidienne, 161 — Une cour construite sur un compromis, 162 II. Un choix à faire : 1789, 1791 ou 1804 ? ................................................ 164 Le poids de l’héritage impérial, 164 — L’échec d’un retour à l’Ancien Régime, 167 III. Les usages cynégétiques à la cour de la Restauration ......................... 177 La chasse, une afaire sérieuse, 177 — Une famille de chasseurs ? 185 — La géographie des chasses au quotidien, 200 — Des chasses omniprésentes, 206 IV. Quelle politique pour les chasses de la Restauration ? ........................ 211 La place de la chasse dans la mise en scène de la restauration dynastique, 211 — La seule chasse de Louis XVIII, 216 — Les chasseurs étrangers, 218 — Une politique tournée vers l’implantation locale, 221 V. Conclusion : Le déclin politique de la cour ........................................... 226 Un resserrement des enjeux vers l’intérieur du palais, 226 — La stagnation du domaine de chasse, 226 TABLE DES MATIÈRES 809 Conclusion : La chasse, un symbole politique au quotidien ........ 229 I. Un atout pour la monarchie impériale..................................................... 229 II. L’échec de la monarchie restaurée ............................................................ 232 DEUXIÈME PARTIE GÉRER ET ADMINISTRER LES CHASSES Introduction : Une administration en quête d’identité............... 237 I. Une gestion complexe ................................................................................. 237 II. Le visage de l’administration .................................................................... 238 III. Une rupture à la Restauration ................................................................ 239 Chapitre premier : Le service du grand veneur .................................. 241 I. Introduction : Une gestion complexe....................................................... 241 La marque de l’Ancien Régime, 241 — Une administration à part, 243 II. Grand veneur : un poste à responsabilités ............................................. 243 Berthier : un passionné au service d’une administration, 243 — « La moins embarrassante des grandes charges de la Couronne », 248 — Girardin, éternel intérimaire, 252 III. Le rôle du grand veneur ........................................................................... 260 La discussion du budget, 260 — Le grand veneur maître d’équipage, 269 IV. Le travail des oiciers ................................................................................ 271 Les oiciers des chasses à courre, 271 — Les oiciers des chasses à tir, 277 V. Le secrétariat de la Vénerie ........................................................................ 282 L’indispensable secrétaire, 282 — La production administrative, 287 VI. Le fonctionnement et l’organisation des équipages de chasse .......... 291 Les employés du grand veneur, 291 — Travailler à la Vénerie, 303 — Une situation immobilière chaotique, 322 — L’organisation des écuries, 342 — Le chenil, 350 VII. L’administration des forêts de la Couronne et les capitaines forestiers ............................................................................................................. 359 Une administration liée au grand veneur ? 359 — Des rôles forestiers et cynégétiques, 372 810 TABLE DES MATIÈRES VIII. Conclusion : un service pyramidal ..................................................... 386 Chapitre II : La Vénerie au sein de la Maison du souverain ......... 389 I. Introduction : Une responsabilité partagée ............................................. 389 Le premier cercle de l’administration, 389 — Le second cercle administratif, 392 II. Les grands oiciers...................................................................................... 393 Un support logistique, 393 — Le grand écuyer, 404 — L’entretien des palais : du Gouverneur au portier, 413 — La sécurité des souverains, 420 III. Le grand veneur et les intendances ........................................................ 429 L’aménagement des palais et pavillons de chasse, 429 — Aménagements paysagers, 454 IV. Conclusion : La Vénerie, un aspect annexe de l’organisation des chasses ?............................................................................................................... 462 Les conférences sur le service des chasses, 462 — Un mauvais élève au sein de l’administration royale ? 464 Conclusion : Une administration napoléonienne perdue en monarchie ............................................................................................................. 467 I. Une identité monarchique.......................................................................... 467 II. Une identité impériale ............................................................................... 468 TROISIÈME PARTIE LES CHASSES ET L’OPINION PUBLIQUE Introduction : Évolutions et permanences dans la représentation des souverains .......................................................................................... 473 I. Une image à retrouver : le monarque source de bienfaits .................... 473 II. L’héritage artistique de l’Ancien Régime ................................................ 473 III. Les chasses anachroniques ? Le rôle du grand louvetier ..................... 475 Chapitre premier : Les chasses de Napoléon et leur public ......... 479 I. Introduction : Napoléon, la chasse et les sujets ...................................... 479 TABLE DES MATIÈRES 811 Napoléon, premier chasseur de son Empire ? 479 — Les chasses entre censure et représentation, 480 II. Des chasses publiques ? .............................................................................. 482 Assister aux chasses impériales, 482 — La générosité impériale, 488 III. Des publics indirects ................................................................................ 496 La construction d’une iconographie cynégétique, 496 — La place des chasses dans l’édition, 515 — Les chasses impériales dans la presse : une réalité construite, 519 IV. Conclusion : La construction d’une image publique ......................... 534 Chapitre II : La Restauration, un retournement de situation .... 537 I. Introduction : L’efacement du souvenir impérial ................................. 537 La critique de l’Empire, 537 — Les premiers mois de la Restauration, 539 — Les chasses de la Restauration dans la presse : de la propagande à l’opposition, 540 II. Un nouveau régime, mais une mise en scène analogue....................... 542 L’imprimé, 542 — La chasse, un fondement de l’identité du régime, 549 — Le prince protecteur : une réalité restaurée, 563 — Le retournement de l’opinion, 573 III. De 1830 à nos jours : écriture et représentation des chasses ............ 594 Napoléon, le mauvais chasseur, 594 — L’écriture de l’histoire des chasses de la Restauration, 602 — La postérité artistique, 605 IV. Conclusion : Un décalage temporel ....................................................... 608 Conclusion : La chasse, une activité omniprésente ......................... 611 I. Sous l’Empire, une instrumentalisation réussie ...................................... 611 II. La Restauration : une politique de représentation vouée à l’échec ? . 612 Conclusion générale....................................................................................... 615 I. Le grand veneur : une réalité administrative ........................................... 615 La culture du registre et du rapport, 615 — Un service proche du pouvoir, 615 II. Le quotidien de la cour au prisme de la chasse ..................................... 616 L’Empire : une cour réinventée, 616 — La Restauration : une cour déconstruite, 618 III. La chasse : un malentendu historiographique ? ................................... 619 Une histoire de silhouettes, 619 — La postérité politique, 622 812 TABLE DES MATIÈRES ANNEXES Annexe I : Les chasses de Napoléon de 1800 à 1816 .......................... 631 Annexe II : Reportages et récits journalistiques ............................... 695 L’« Ermite de Sénart », 695 — Charles X dans la presse rouennaise, 696 — Charles X dans la presse bordelaise, 698 Annexe III : Qui étaient les veneurs de Napoléon et de Charles X ? ............................................................................................................ 699 Les oiciers des équipages du courre et du tiré, 699 — Le secrétariat, 704 — L’équipage de chasse à courre, 705 — Du chargeur au ramasseur de gibier : l’équipage du tiré, 716 Annexe IV : Les principaux termes de vénerie ...................................... 719 SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE État des sources ................................................................................................. 723 Sources manuscrites, 723 — Sources graphiques et matérielles, 730 — Sources imprimées, 740 Bibliographie....................................................................................................... 763 Monographies et articles, 763 — Ouvrages de iction, 784 — Filmographie, 784 Index des noms de lieux, de personnes et de périodiques .............. 785 Crédits photographiques .............................................................................. 805 Activité royale par excellence, pratiquée par tous les rois de France, la chasse était plus qu’une simple distraction, mais bien un accessoire du pouvoir, un moyen de représentation et de contrôle des courtisans. Disparues avec la Révolution française, les chasses royales furent remises au goût du jour par Napoléon Ier, soucieux de s’approprier les apparences du pouvoir et qui en it un instrument politique puissant. La Restauration, au lieu de revenir à l’organisation d’Ancien Régime, choisit de conserver l’équipage de Napoléon, qui fonctionna jusqu’en 1830, année où la révolution de juillet se déchaîna contre la igure du roi-chasseur, personniiant l’impopularité de Charles X et de son ils. Cette continuité humaine, budgétaire, mais aussi politique et symbolique, se retrouve dans les diférents aspects liés à l’organisation des chasses analysés ici : les voyages de la cour entre les diférents palais de la Couronne, la mise en place d’une étiquette spéciique, les invitations d’ambassadeurs ou de souverains étrangers, mais aussi l’élevage du gibier, l’aménagement des forêts, la constitution de la meute et des écuries, et enin, au cœur de la Maison du souverain, le rôle du grand veneur, grand oicier en charge des chasses impériales puis royales. S’appuyant sur des sources variées et pour la plupart méconnues – archives, mémoires, journaux intimes, ou encore tableaux et objets d’art –, cette étude permet d’aborder, sous un angle singulier, l’évolution de la politique et de la société sous l’Empire et la Restauration. Elle met en lumière non seulement la résurgence des traditions de Versailles et de la symbolique royale en ce début de l’époque contemporaine, mais aussi la passion de la chasse, partagée par Napoléon et par les derniers Bourbons. Charles-Éloi Vial, ancien élève de l’École nationale des chartes et boursier 2010 de la Fondation Napoléon, a consacré sa thèse de doctorat aux chasses de l’Empire et de la Restauration. Il est actuellement conservateur au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France. Cet ouvrage est couronné par le prix Madeleine-Lenoir 2014 et publié avec le soutien de la Société de l’École des chartes. ISBN 978-2-35723-079-8 -:HSMDPH=WXU\^]: Prix France : 34,50 € 94