MéMoIRES Et DoCuMENtS DE L’éCoLE DES ChARtES
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ChARLES-éLoI VIAL
LE gRAND VENEuR
DE NAPoLéoN Ier
à ChARLES X
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école des chartes
LE gRAND VENEuR
DE NAPoLéoN Ier à ChARLES X
Ce livre a été publié grâce au soutien du Centre de recherche du château de Versailles,
de la Fondation François Sommer pour la chasse et la nature, de la Fondation
Napoléon et de la Société de l’école des chartes (prix Madeleine-Lenoir 2014).
École
nationale
des
chartes
© école nationale des chartes 2016
tous droits réservés. Aucune reproduction, même partielle, sous quelque forme
que ce soit, n’est permise sans l’autorisation écrite du détenteur des droits.
ISBN 978-2-35723-079-8
ISSN 1158-6060
MéMoIRES Et DoCuMENtS DE L’éCoLE DES ChARtES
102
ChARLES-éLoI VIAL
LE gRAND VENEuR
DE NAPoLéoN Ier à ChARLES X
PARIS
éCoLE DES ChARtES
2016
Illustration de couverture : Jean-François Robert et Christophe-Ferdinand Caron, cabaret
des Chasses impériales, plateau ovale première grandeur (détail), vers 1812, porcelaine
dure, argent doré, cofret en maroquin vert. Paris, Fondation Napoléon, donation Lapeyre,
inv. 1111. © Fondation Napoléon.
Suivi éditorial : Isabelle Pelletier
Correction : Raphaëlle Roux
INtRoDuCtIoN géNéRALE
I. — Infortunes historiographiques
et politiques d’un plaisir royal
1. Les partis pris
D’emblée, parler des chasses des souverains français sous l’Empire et la
Restauration, c’est prendre le risque de n’intéresser personne, tant le sujet comporte d’éléments répulsifs. Si Napoléon est toujours l’un des personnages les plus
étudiés au monde, sa légende ne s’est pas bâtie sur ses prouesses physiques, et sa
pratique de la chasse, réputée pour friser le ridicule, ne fait pas partie des aspects
de sa vie que les historiens traitent volontiers. Pour Charles X, c’est le contraire,
ce qui est pire : la Restauration, qui était jusqu’à ces dernières années l’une des
périodes de l’histoire de France les moins étudiées, semble parfois se réduire aux
parties de chasse d’un roi taxé d’obscurantisme et d’étroitesse d’esprit, ne pensant
– à l’instar de son grand-père Louis XV, ou de son frère Louis XVI – qu’à courir
le cerf et tirer des perdrix, alors même que la Révolution gronde devant les grilles
du château. Et c’est sans compter Louis XVIII, roi podagre, dont on imagine
mal les exploits cynégétiques. une évocation des chasses de ces trois souverains se
heurte donc à un premier obstacle, qui semble insurmontable, celui du ridicule.
Vient ensuite un second écueil : le politiquement correct. En efet, quoi de
plus mal vu et de plus controversé que la chasse, surtout quand elle est associée
au pouvoir politique ? Les critiques semblent fuser de partout, qu’il s’agisse de
celles des défenseurs des droits des animaux, prompts à condamner « le privilège
de citadins aisés venus s’encanailler à la campagne et incapables de tuer à dix pas
un éléphant »1, ou encore des opposants politiques de tout bord, prêts à s’insurger
devant les supposées dérives monarchiques du pouvoir républicain : les chasses
présidentielles, encore fréquentes sous les septennats de Valéry giscard d’Estaing
et de François Mitterrand, ont été amplement critiquées ces dernières années
par la presse, jusqu’à leur suppression et leur remplacement par des « battues de
régulation » en 2010, certains journalistes les évoquant alors comme un héritage
1. P. Bourrieau, Le monde de la chasse…, p. 1.
12
INtRoDuCtIoN géNéRALE
gênant, en mêlant les souvenirs de l’Ancien Régime, du Premier Empire, du
Second, de la Restauration et de la République2.
Pourtant, durant des siècles, la chasse a fait partie du quotidien des rois
de France : les visiteurs de Versailles, de Fontainebleau, de Compiègne ou de
Chambord ne peuvent manquer d’entendre un guide leur expliquer que la passion
pour la chasse des monarques est à l’origine de la construction de leurs palais.
Si, après la visite – souvent menée au pas de charge – des grands appartements
et des jardins3, la perspective d’une promenade en forêt ne leur semble pas trop
fatigante, ils peuvent se rendre compte par eux-mêmes de l’immensité des réserves
de chasse léguées par la monarchie, et se rappeler leurs cours d’histoire du collège
ou du lycée : Louis XIV remontrant le Parlement de Paris, botté, son fouet de
chasse à la main, Louis XV partant chasser et croisant le cortège funèbre d’un
paysan mort de faim4, ou Louis XVI rentrant d’une chasse le 14 juillet 1789 et
écrivant dans son journal le célèbre « rien »5. Les chasses royales appartiennent
donc au moins à une culture commune de l’Ancien Régime.
Longtemps dédaignées, les études sur la chasse semblent revenir en faveur
chez les historiens, grâce aux contributions d’Andrée Corvol sur l’histoire forestière et à la thèse de Philippe Salvadori 6. Le grand public a pu découvrir le
résultat de ces travaux lors de plusieurs expositions sur les chasses princières et
aristocratiques. La réouverture du musée de la Chasse et de la Nature à Paris en
2007 a aussi contribué à relancer l’intérêt pour les représentations artistiques de
la chasse7. Les chasses du xixe siècle bénéicient en outre de l’attention grandissante des historiens et des historiens de l’art pour l’étude des sociétés curiales et
aristocratiques du Premier Empire au Second : longtemps méconnues, les cours
postrévolutionnaires ont réussi à trouver une légitimité universitaire. Plusieurs
études se sont déjà focalisées sur les chasses des orléans et de Napoléon III8. Le
rôle des « sports aristocratiques » comme symbole de richesse ou d’ascension
sociale au xixe siècle a récemment été mis en évidence, en prenant comme point
2. Par exemple Stéphane Denis, « La chasse, afaire d’état », dans Valeurs actuelles, 8 avril 2010,
où le journaliste parle d’une « tradition qui traverse les régimes ».
3. on lira J.-L. Martres, « L’image politique de la forêt »… : « la vente d’images à des spectateurs pressés : coucher dans le lit de Diane de Poitiers, dîner avec Louis XIV, combattre avec
Napoléon ».
4. Voir C. Amalvi, Les héros de l’histoire de France…, p. 73, ill. 37, « Les méfaits du règne de
Louis XV ». on y retrouve une vignette tirée d’un ancien livre scolaire, intitulée « La chasse du
roi », où l’équipage royal croise le convoi funèbre d’un paysan mort de faim.
5. J.-D. Bourzat, Les après-midi de Louis XVI…, p. 100.
6. P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime…
7. C. d’Anthenaise, Portraits en costume de chasse…, p. 42 et suiv.
8. J. d’orléans, Les chasses des princes d’Orléans… ; g. Péoc’h, Les chasses impériales de
Napoléon III…
INtRoDuCtIoN géNéRALE
13
de départ la Restauration et les chasses de Charles X9. Les loisirs cynégétiques
des derniers occupants des palais français sont de plus en plus souvent évoqués
par des expositions, comme celle organisée en 2012 par le musée des Beaux-Arts
de Bordeaux et le musée national de Fontainebleau, intitulée « Napoléon III et
Eugénie reçoivent à Fontainebleau ».
Au xxe siècle, la chasse, ravalée au rang de poncif, aura pourtant été presque
entièrement passée sous silence par la succession des écoles historiques10. Il n’y
eut guère que les biographes pour s’y intéresser, l’évocation des chasses étant
un passage obligé du portrait physique et moral des rois, en particulier ceux de
l’Ancien Régime11.
Le moment semble donc idéal pour revenir sur cette composante du pouvoir
monarchique, en particulier pour les chasses des souverains de l’Empire et de la
Restauration, périodes de reconiguration de la pratique et des représentations du
pouvoir politique léguées par l’Ancien Régime, qui ont souvent été caricaturées
mais qui n’ont jamais été étudiées. Leur intérêt est d’autant plus grand que cette
étude se double d’une rélexion historiographique visant à mettre en lumière le
traitement réservé aux chasses impériales et royales par les historiens du xixe et
du xxe siècle et à éclaircir les conditions de la construction autour des chasses
d’une « légende noire ».
L’étude des chasses fait en outre appel à plusieurs compétences : l’histoire
forestière, l’histoire politique et diplomatique, l’histoire des sociétés curiales. Il
s’agit aussi d’histoire de l’art, avec l’étude des représentations, des objets et des
bâtiments dédiés aux chasses. Enin, la réception des chasses par la presse implique
de s’intéresser à l’histoire de l’opinion publique. Cette multiplicité des champs
exige de bien déinir, dès le départ, les limites et les enjeux, ainsi que les sources
utilisées. Sans cette mise au point historique, historiographique et méthodologique, toute étude sur un objet aussi complexe risque de s’égarer.
2. Déinitions
La cour a toujours été un objet d’interrogations : après les rélexions de
témoins comme Saint-Simon, de nombreux chercheurs, comme Norbert élias12,
Emmanuel Le Roy Ladurie et Jean-François Solnon ont étudié la cour de l’Ancien
9. C. Cropper, Playing at Monarchy…, p. 85-118.
10. à l’exception de deux grandes études sur l’administration forestière : Y. Cazenave
de La Roche, La Vénerie royale et le régime des capitaineries… ; F. Vidron, La Vénerie royale au
XVIIIe siècle…
11. Par exemple dans J. de Viguerie, Louis XVI, le roi bienfaisant…, p. 109, où, dans le chapitre
« Portrait du roi », igure un passage intitulé « Les goûts et les centres d’intérêt de Louis XVI », dans
lequel sa passion pour la chasse est évoquée.
12. N. élias, La société de cour…
14
INtRoDuCtIoN géNéRALE
Régime selon une grille de lecture bien précise, qui en fait le lieu où s’exprime
le pouvoir du souverain et où le statut social sert aux membres de la cour à se
positionner dans le système13. La cour doit être envisagée au sens large : il s’agit
de l’entourage du souverain, famille, amis et serviteurs, mais aussi d’un organe
de gouvernement et de représentation du pouvoir, car c’est en son sein que se
déroulent les grands moments de la vie de l’état, comme les réunions du conseil
des ministres. La richesse de la cour relète aussi la puissance du monarque et
du pays qu’il dirige. Au jour le jour, la vie de la cour s’adapte aux horaires et
aux exigences du souverain, ainsi qu’aux règles de l’étiquette dont il s’entoure.
Enin, la cour est une machine administrative, dotée de revenus, d’un budget,
d’un personnel et d’une mémoire archivistique. on distingue les courtisans, qui
côtoient le monarque en n’occupant qu’une charge honoriique – on pense aux
chambellans, aux dames du palais –, des employés de la Maison, qui reçoivent un
traitement sur les fonds de la Liste civile14, qu’ils soient oiciers de la Couronne,
en charge du fonctionnement de la cour ou simples domestiques.
Selon le Larousse, la chasse est, au premier sens, « l’action de chasser, de guetter
ou de poursuivre les animaux pour les prendre ou les tuer », et, au deuxième, la
« partie d’un terrain, d’un domaine réservée pour la chasse ; ensemble de ceux qui
prennent part à une chasse ». Le terme « vénerie », dans le même dictionnaire, se
comprend à la fois comme « l’art de chasser avec des chiens courant des animaux
sauvages, tels que le cerf, le chevreuil, le sanglier, le lièvre, le renard », et comme
« autrefois, administration des oiciers de chasse d’un souverain ». C’est dans ce
cadre que les chasses de l’Empire et de la Restauration doivent s’étudier, à une
nuance près : selon l’Étiquette du palais impérial, la vénerie comporte tout ce qui
a trait à la chasse à courre, mais aussi à tir.
3. Apports et limites de l’historiographie
3.1. Généralités
a. Le regard du xixe siècle sur la chasse
Dans les décennies qui suivirent la chute de la monarchie restaurée, de nombreux historiens se plurent à évoquer le faste des chasses d’antan, par goût du
pittoresque et parfois avec nostalgie. Eugène Chapus, premier historien des chasses
royales, fut ainsi prompt à faire fonctionner son imagination pour ressusciter les
laisser-courre du Moyen Âge et de l’Ancien Régime. Associée à la naissance du
tourisme sous la monarchie de Juillet, une vaste bibliographie autour de la forêt de
13. Pour une synthèse sur les enjeux historiographiques et les déinitions de la cour, on lira
t. trétout, « Introduction. La cour, objet d’histoires »…, p. 19 et suiv.
14. X. Mauduit, « Le ministère du faste… », p. 73.
INtRoDuCtIoN géNéRALE
15
Fontainebleau exalta les notions de pittoresque et de nature, à l’instar de ce guide
promettant la promenade « la plus intéressante de la forêt de Fontainebleau »15
tout en évoquant des récits de chasses ou des légendes, telle celle du fantôme
du grand veneur qui, selon Pierre de l’Estoile, serait apparu à henri IV pour
annoncer la mort de gabrielle d’Estrées16.
L’importance de la chasse dans la vie politique avait aussi été comprise par
les écrivains, à l’instar d’Elzéar Blaze, qui traduisit son sentiment à la in de la
monarchie de Juillet : « le cœur de l’homme ne peut pas nourrir deux grandes
passions à la fois. Voilà pourquoi la chasse a souvent servi à masquer des projets politiques d’une haute importance. on ne soupçonne pas qu’un chasseur
puisse conspirer » 17. Le rôle de la chasse comme attribut de l’autorité allait donc
toujours de soi pour les historiens de cette époque, dont certains avaient pu
connaître les chasses royales ou impériales, avant d’être confrontés aux premières
chasses présidentielles. Au début de la IIIe République, Rambouillet servait ainsi
de résidence d’été aux chefs de l’état. Félix Faure y écrivit une longue étude
intitulée Les chasses de Rambouillet depuis les temps primitifs de la Gaule jusqu’à
nos jours 18. Sadi Carnot passait encore ses étés à Fontainebleau, et Compiègne
fut restauré pour la visite du tsar Nicolas II en 190119. Ces échos monarchiques
ne purent que conforter le sentiment de continuité ressenti par les historiens.
Cependant, les chasses royales irent très tôt partie d’un imaginaire collectif,
amalgamant idées préconçues et préjugés sur la monarchie, relayés par l’historiographie républicaine et les livres scolaires peu favorables aux anciens rois de
France20. Au-delà de ces poncifs, la chasse s’est peu à peu imposée aux yeux des
historiens comme une extension de la vie de cour, un moyen pour le roi absolu
de l’époque moderne d’exercer sa domination sur ses courtisans. Réservée à la
noblesse au détriment des roturiers depuis 1396, assimilée aux plaisirs des rois
fainéants mérovingiens, aux pendaisons de braconniers par les seigneurs médiévaux, à la passion un peu futile de François Ier ou de Charles IX, aux dépenses
inconsidérées de Louis XIV, mais aussi aux excès de Louis XV et à la bêtise de
15. C.-F. Denecourt, Guide du voyageur…, p. 112.
16. on lira avec proit J.-C. Polton, Tourisme et nature au XIXe siècle…
17. E. Blaze, Le chasseur-conteur…, p. 207.
18. F. Faure, Les chasses de Rambouillet…
19. Un tsar à Compiègne…, p. 68 et suiv.
20. Par exemple E. Lavisse, Histoire de France…, p. 94, 120 et 129 : « François Premier
vivait entouré de seigneurs ; il allait avec eux à la chasse et il leur donnait de très belles fêtes » ;
« [Louis XV] n’était pas bon, il s’amusait à égorger des oiseaux, il avait une biche apprivoisée qui
lui faisait des caresses. un jour il tira sur elle d’un coup de fusil et la tua » ; « [Louis XVI] était
bien jeune, il n’avait que vingt ans. Puis il n’était pas très intelligent. Son plus grand plaisir était de
chasser. Il chassait plusieurs heures tous les jours ».
16
INtRoDuCtIoN géNéRALE
Louis XVI, somme toute associée à tous les rois de France depuis les origines, la
chasse devint, par excellence, le symbole du privilège royal et nobiliaire.
b. La Vénerie royale au xxe siècle
Plus éloigné de la tradition monarchique, le xxe siècle a livré des analyses sur
le rôle des chasses dans la construction de l’image royale, dans leur organisation
et dans l’administration des forêts royales. La chasse revient souvent, en histoire
médiévale et moderne, comme une marque identitaire de la vie aristocratique
et une manifestation du pouvoir. Les rélexions de Jean-Paul Roux sur les symboles royaux, dont la chasse et la guerre font partie, sont ainsi un bon exemple
d’une analyse basée sur les légendes et l’histoire antique, mais où les références
à la Vénerie royale sont absentes21. Les théories de René girard sur la violence
primitive et la dimension rituelle de la chasse ont permis de mettre en lumière le
rôle de la mise à mort de l’animal comme exercice de paciication, sans s’intéresser
à ses répercussions politiques ou sociales, en particulier sur le plan historique22.
Peu d’historiens se sont penchés sur l’histoire des chasses royales et de leur
rapport à la vie de cour, à l’exception de Philippe Salvadori, dont la thèse permet de retracer l’histoire de la Vénerie royale et de comprendre son association
avec la monarchie, au-delà des notions de privilège ou de propriété foncière. La
chasse était un instrument de pouvoir, nécessaire à la régulation de la vie de la
cour. Il s’agissait, comme le suggère son analyse du Journal du duc de Croÿ, de la
première étape du parcours du courtisan à Versailles, avant le souper en présence
du souverain et l’invitation à Marly ou dans d’autres résidences intimes23.
Néanmoins, l’approche la plus valorisée semble être l’histoire de l’environnement. Plusieurs auteurs se sont concentrés sur l’étude d’un domaine forestier
sur le long terme, comme Jean-Michel Derex, pour les bois de Vincennes et de
Boulogne, et Vincent Maroteaux, sur Versailles. Cependant, la chasse semble
toujours être, au début du xxie siècle, un sujet délaissé et peu attractif.
une évocation de l’Ancien Régime s’impose comme préliminaire à toute étude
sur la chasse au xixe siècle, où le souvenir des chasses royales d’avant 1789 était
encore présent, particulièrement dans le milieu des veneurs tel que le marquis de
Foudras le décrit24, où les usages, les noms et les thèmes abordés indiquent une
forte continuité par-delà la Révolution française.
21. J.-P. Roux, Le roi, mythes et symboles…, p. 137-140.
22. R. girard, De la violence à la divinité…, p. 788. Le sociologue Norbert élias a également
travaillé sur le sport en tant que « combat physique non violent », nécessaire à la résolution des
conlits humains et, par extension, politiques et diplomatiques, en prenant comme exemple la
société anglaise et la chasse au renard, dans Sport et civilisation…, p. 34.
23. E. de Croÿ-Solre, Journal…, t. I, p. 21 ; P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime…,
p. 216 et 219 ; A. Maral, Le roi, la cour et Versailles…, p. 238 ; B. hours, Louis XV…, p. 229.
24. on retrouve par exemple un « ancien page du roi Charles X » dans t.-L.-A. de Foudras,
INtRoDuCtIoN géNéRALE
17
3.2. Les chasses de l’Ancien Régime : état de la question
a. une institution venue du passé
Par manque de sources, l’histoire de la Vénerie royale ne peut remonter plus
loin que le règne de saint Louis (1214-1270). Aux époques antérieures, l’iconographie des tapisseries et enluminures, les traités de fauconnerie et de vénerie,
comme ceux de Frédéric II de hoenstaufen (1194-1250) ou de gaston Phébus
(1331-1391), informent plus sur les techniques que sur le cérémonial. on sait
que les rois de France chassaient régulièrement, que saint Louis avait à son service
« deux fauconniers, deux ou trois veneurs, cinq valets de chiens, deux oiseleurs et
deux fureteurs », que Philippe le Bel (1268-1314) chassait avec « onze veneurs,
dix valets de chiens, sept fauconniers et dix valets de fauconnerie, sept archers »25
et qu’il délaissait les afaires du royaume pendant les « expéditions plus ou moins
longues qui le menaient tout au long de l’année dans les grandes forêts de chasse
de la région parisienne »26. Le premier registre de comptes de la Vénerie royale,
ouvert sous Charles VI (1368-1422), date de 138927. En 1413, les charges de
grand veneur, de grand fauconnier et de capitaine de l’équipage du vautrait furent
créées et, en 1467, Louis XI (1423-1483) y ajouta la charge de grand louvetier.
Le grand veneur commandait sous Charles VIII (1470-1498) « neuf écuyers,
neuf veneurs, deux aides, six valets de limiers, un garde des chiens à renards ;
le grand fauconnier a sous ses ordres quatre chefs de vol, dix fauconniers, deux
espreveteurs (chargés des éperviers) »28. Ces efectifs, impressionnants pour le
Moyen Âge, où l’hôtel du roi était une organisation réduite, montrent le soin
apporté à l’organisation des chasses.
à la Renaissance, la chasse devint l’activité princière par excellence, associée
à l’image de force et de magniicence du monarque29, ce qui s’accompagna d’un
raidissement administratif, avec la création des capitaineries des chasses, institutions de gestion et de surveillance du patrimoine cynégétique et forestier des
domaines royaux. La première fut celle de Fontainebleau en 153430. En plus
de son équipage du cerf, François Ier (1494-1547) créa un équipage pour le
sanglier d’une soixantaine de veneurs, et il eut cinquante-quatre fauconniers à
ses ordres. henri II (1519-1559) entretint trois équipages, l’un de quarante-sept
gentilshommes, quatre valets de limiers, sept valets de chiens, un boulanger et un
Une vie aventureuse…, p. 17.
25. P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime…, p. 194.
26. R.-h. Bautier, « Diplomatique et histoire politique… », p. 9.
27. BNF, Mss, Fr. 7839, comptes de la Vénerie de Charles VI pour 1389.
28. P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime…, p. 194.
29. Voir C. d’Anthenaise, Chasses princières dans l’Europe de la Renaissance… et id., « La chasse,
le plaisir et la gloire »…, p. 94.
30. M. Chalvet, Une histoire de la forêt…
18
INtRoDuCtIoN géNéRALE
fourrier, le second de soixante-dix gentilshommes et onze valets, et le troisième
de dix-sept gentilshommes, quatre valets de limiers et quatre valets de chiens,
efectifs qui restèrent stables au xvie siècle et qui représentaient une dépense de
30 000 livres par an sur les 2 164 600 livres dépensés pour la cour, soit 1,3 % du
total. Bien qu’aléatoire, compte tenu des frais annexes d’entretien des bâtiments,
des forêts et des routes, ce calcul donne l’impression d’un plaisir peu coûteux. Le
passage d’un monarque peu chasseur, henri III (1551-1589), à un grand amateur
de vénerie, henri IV (1553-1610), amena peu de changements puisqu’en 1609,
sur les 6 460 496 livres de dépenses, « la vénerie et la fauconnerie comptaient
pour 88 670 livres, soit encore 1,3 % » des dépenses de la cour31.
b. Les Bourbons
Sous henri IV et Louis XIII, les équipages de chasse à courre et à tir continuèrent à se développer, employant respectivement cent quatre-vingt-deux et cent
trente-sept personnes. Sous Louis XIV (1638-1715), l’intérêt des contemporains,
à commencer par Saint-Simon ou Dangeau, a permis de garder un souvenir
précis des chasses. Le roi, qui chassa presque quotidiennement jusqu’en 1715, ne
perdit jamais de vue l’importance des revenus engendrés par la forêt et l’intérêt
stratégique du bois pour la construction navale32. Sous son règne fut élaborée
l’ordonnance des Eaux et Forêts de 1669, œuvre de Colbert et premier grand
travail législatif réglementant les chasses et la gestion forestière.
L’oice de grand veneur, peu rentable mais rapprochant du roi, passa à la
famille de Lorraine entre 1526 et 1602, appartint aux Rohan jusqu’en 1669, puis
aux La Rochefoucauld, avant d’échoir en 1714 au comte de toulouse, un des ils
illégitimes de Louis XIV, puis à son ils, le duc Louis-Jean-Marie de BourbonPenthièvre. Les oiciers des chasses représentaient un tiers de la Maison du roi
sous Louis XIV, soit trois cent quatre-vingts personnes, dont cent soixante-quinze
pour la fauconnerie.
Au xviiie siècle, la Vénerie royale suivit l’évolution générale de la Maison du
roi : expansion du personnel et des moyens et multiplication des oices, tout en
devenant un des équipages les plus performants d’Europe. La fauconnerie, passée
de mode à la in du règne de Louis XIV, ne servit plus qu’une fois par an, par souci
de la tradition. Louis XV fut un passionné de chasse à courre, qui était pour lui
« un sport, une science, une nécessité de caractère »33. En 1748, il créa un second
équipage du cerf et transforma son équipage du lièvre en un équipage dédié à la
chasse de son gibier favori, le daim, appelé l’« équipage des chiens verts »34. La
31.
32.
33.
34.
P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime…, p. 194.
M. Chalvet, Une histoire de la forêt…, p. 156.
F. Bluche, Louis XV…, p. 65.
P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime…, p. 194-195.
INtRoDuCtIoN géNéRALE
19
Vénerie royale connut un véritable apogée. Le roi chassait à courre en moyenne
cinq fois par semaine, « un jour pour le grand équipage ; un autre pour le petit, dit
les six chiens ; un autre pour le vautrait ou le sanglier, un autre pour le chevreuil,
jusqu’à ce que la chasse à tirer fût ouverte »35. Il chassait plusieurs fois la semaine
à tir à Versailles et Saint-germain-en-Laye, et it développer l’élevage du gibier à
plumes. Plus que sous le règne précédent, les traditionnels séjours d’automne de
la cour à Fontainebleau eurent beaucoup de retentissement36.
C’est aussi sous Louis XV que la pratique de la chasse commença à prendre
une connotation négative dans les esprits et en vint peu à peu à être perçue
comme une marque du désintérêt du roi envers les afaires de l’état. Dans le cadre
de la « privatisation accrue des résidences royales » et du déclin de l’inluence
de la cour, la mauvaise perception des chasses participa à la désacralisation du
monarque37. La passion de Louis XV it scandale pour son caractère onéreux et
ostentatoire : il multiplia les châteaux de chasse, comme La Muette au bois de
Boulogne, Choisy-le-Roi, Saint-hubert, Meudon et Bellevue ; il it reconstruire
Compiègne38 et s’entoura d’œuvres d’art en rapport avec la chasse, qu’il it disposer dans ses petits appartements de Versailles. La construction de résidences,
de routes et de murs dans les forêts, les dépenses en chiens et en chevaux, mais
surtout les rumeurs concernant les « soupers de retour de chasse », les soirées
du Parc-aux-Cerfs ou les conseils des ministres interrompus pour partir en forêt
inirent par nuire à l’image du roi, considéré comme débauché et éloigné des
afaires. Dès la seconde moitié du règne de Louis XV, « la chasse aurait perdu son
caractère moral, qui en faisait la modératrice des passions, et cette déqualiication
mine la igure du roi »39.
La Vénerie n’échappa pourtant pas aux mesures d’économie, principalement
pour la chasse au vol. En 1737, quatre-vingt-treize charges y furent supprimées,
et encore quarante-trois en 1748. Louis XVI supprima en 1776 les meutes du
chevreuil, du daim, du lièvre, et réduisit le nombre des oiciers. En 1786 disparut
l’équipage des lévriers de Champagne et, l’année suivante, le contrôleur général
des inances it supprimer la louveterie, les toiles et la fauconnerie40. Il ne restait
en 1789 que deux équipages du cerf et les oiseaux du cabinet, soit une quinzaine
de fauconniers. Les chasses coûtaient alors entre 1 000 000 et 1 200 000 livres
par an41. Dans le même temps, les économies doivent être nuancées en raison
35.
36.
37.
38.
39.
40.
41.
J.-N. Dufort de Cheverny, Mémoires…, t. I, p. 69.
P. Daguenet, Les séjours de Marie-Antoinette…, p. 11.
R. Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française…, p. 254.
B. hours, Louis XV…, p. 255.
D. Reytier, « Voyage au cœur des chasses de Louis XV »…, p. 126.
J.-R.-P. de Semallé, Souvenirs…, p. 19.
P. Salvadori, La chasse sous l’Ancien Régime…, p. 194.
20
INtRoDuCtIoN géNéRALE
des coûteux achats, voulus par Louis XVI, des domaines de Rambouillet en 1783
et de Saint-Cloud en 1784.
c. Après 1789
La question du lieu où les états généraux se réuniraient fut posée à Louis XVI
au début de 1789. Ses ministres lui proposaient une ville de province comme
tours ou Blois, à l’abri des risques d’insurrection parisienne : « ce ne peut être
que Versailles, dit-il, à cause des chasses »42.
La Vénerie royale it sa dernière apparition lors du déilé précédant l’ouverture des états généraux. un « courant d’opinion puissant » s’était élevé depuis
plusieurs années contre les chasses royales43. Les cahiers de doléance avaient été
particulièrement critiques envers les capitaineries : le gibier détruisait les cultures
des paysans sans qu’ils puissent s’y opposer, tandis que les nobles, qui ne pouvaient
pas y chasser, réclamaient leur suppression44. Au cours de la nuit du 4 août, le
privilège de la chasse, un des symboles de l’Ancien Régime, fut aboli, décision qui
fut suivie d’un déchaînement du braconnage45. La liberté de chasser fut renforcée
par les lois du 30 avril 1790, du 11 juillet 1810 et du 4 mai 1812, qui assurèrent
la protection des propriétés particulières, établirent les règles d’ouverture de la
chasse et instaurèrent le permis de port d’armes46. Louis XVI chassait encore le
5 octobre 178947, quand la foule des Parisiennes vint le chercher à Versailles ;
cette journée d’émeute sonna le glas de sa vie de roi chasseur, avec l’installation
de la cour aux tuileries. Les chasses royales ne furent pas tout de suite oubliées,
comme le montre un projet de réforme de la Maison du roi publié en 1790, qui
prévoyait d’en ramener les dépenses à 800 000 livres par an : « C’est encore un
de ces articles sur lesquels il ne faut pas regarder à quelques mille livres de plus
ou de moins. Pourvu que Sa Majesté soit heureuse, & jouisse des seuls plaisirs
qu’elle se permet, c’est tout ce que nous devons désirer »48.
Dans les premiers temps, la Révolution ne remit pas en cause l’existence des
chasses. Le 9 juin 1790, un décret de la Constituante régla ainsi la Liste civile
du souverain, à qui une somme de 25 millions de livres devait être annuellement
allouée. Le 4 septembre 1790, l’Assemblée vota un décret qui prévoyait que
Louis XVI pourrait chasser dans les forêts de sa Liste civile qui devaient être
42. A.-g.-P. Brugière de Barante, Études historiques et biographiques…, t. I, p. 218.
43. h. Revel, « Le droit de chasse… », p. 80.
44. é. guillemot, « Les forêts de Senlis… », p. 302-303.
45. J.-M. Derex, Histoire du bois de Vincennes…, p. 157.
46. P. Bourrieau, Le monde de la chasse…, p. 20-22.
47. Son journal porte la mention « tiré à la porte de Châtillon. tué quatre-vingt-une pièces.
Interrompu par les événements » (J.-J.-A.-é.-é. Dunoyer de Noirmont, Histoire de la chasse en
France…, t. I, p. 261).
48. Anonyme, De la future Maison du roi…, p. 53.
INtRoDuCtIoN géNéRALE
21
enceintes de murs, qu’il pourrait agrandir son domaine par des achats ou des
échanges avec les particuliers ou avec l’état, et que les propriétaires pourraient
tuer le gibier qui endommagerait leurs cultures. Les seules mesures sévères étaient
la possibilité qu’avaient les gardes forestiers d’arrêter les braconniers, et la peine
de trois mois de prison prévue pour toute personne arrêtée en possession d’armes
à feu dans les parcs royaux les jours de chasse49. Le décret du 26 mai 1791 ixa
la liste des biens attribués au roi, qui correspondaient aux résidences, forêts et
domaines qui appartenaient à la Couronne avant 178950.
Ces décrets ne furent jamais appliqués. Louis XVI chassa une dernière fois
à courre le 11 mars 1790 au bois de Boulogne, et il tua trois pièces de gibier en
179151, année où le budget des chasses s’élevait à seulement 17 032 livres52. Dans
cette période du déclin de la cour, la in des chasses et les restrictions imposées
aux déplacements du roi annonçaient la diminution de l’autorité royale, au même
titre que la disparition de l’étiquette et l’émigration des courtisans53.
La Vénerie disparut en 1792, en même temps que la monarchie. Les domaines
royaux et les bâtiments dédiés aux chasses furent vendus comme biens nationaux.
Les équipages furent dispersés et la pratique de la chasse à courre, trop aristocratique, fut abandonnée. un des derniers équipages à subsister fut celui du duc
Louis-Philippe d’orléans, qui cessa ses activités en 1792.
Autrefois apanage d’une société privilégiée, la chasse à courre, devenue libre en
1789, fut rapidement adoptée par la société aisée qui émergea sous le Directoire.
Les dirigeants politiques ou militaires, qui devaient leur ascension à la Révolution,
étaient avides de pratiquer ce sport : Joseph Bonaparte organisa des chasses aux
lambeaux dans la forêt du Raincy, ancienne propriété de la famille d’orléans
rachetée par le munitionnaire gabriel-Julien ouvrard54, tandis que le directeur
Paul Barras installait un petit équipage de chasse à grosbois, ancien château du
comte de Provence55. Il fallut cependant attendre 1802 pour voir réapparaître
un équipage de chasse d’état, quand Bonaparte établit la Vénerie consulaire,
qui devint en juillet 1804 le service du grand veneur, dirigé par le maréchal
Alexandre Berthier, successivement ministre de la guerre et major-général de
la grande Armée, qui fut fait prince de Neuchâtel puis de Wagram. grâce à ses
compétences administratives et à sa connaissance de l’art cynégétique, Napoléon
put faire de ses chasses un instrument politique puissant, une distraction de cour
prisée, le tout avec une économie substantielle de moyens. Malgré des vicissitudes,
49.
50.
51.
52.
53.
54.
55.
L. gagnereaux, Code forestier…, t. II, p. 142-145.
C. granger, L’empereur et les arts…, p. 22.
J.-J.-A.-é.-é. Dunoyer de Noirmont, Histoire de la chasse en France…, t. I, p. 261, n. 2.
V. Maroteaux, Versailles. Le roi et son domaine…, p. 227.
A. A. Caiani, Louis XVI and the French Revolution…
L.-C. Wairy, Mémoires de Constant…, t. III, p. 72.
À courre, à cor et à cri…, p. 10.
22
INtRoDuCtIoN géNéRALE
cet équipage de chasse fondé pour Bonaparte, passé au service des Bourbons,
fonctionna jusqu’en 1830.
3.3. Chasse et historiographie
a. Napoléon, un chasseur méconnu
L’intérêt de Napoléon pour la chasse a souvent été négligé par ses biographes,
même si la plupart évoquent au moins une des anecdotes cynégétiques qui émaillent
l’histoire du Premier Empire. Ce peu d’intérêt est dû au fait que la gloire militaire
et la légende de Napoléon font écran56. à la diférence de ses prédécesseurs de
l’Ancien Régime, de Charles X ou de son neveu Napoléon III, jamais Napoléon
n’a été considéré comme un grand chasseur, même si certains de ses détracteurs
se sont plu à raconter ses mésaventures forestières ain de mieux le ridiculiser.
De nombreux historiens en ont conclu que Napoléon se contraignait à chasser
de temps en temps car cela faisait partie des obligations de représentation des
monarques57, mais qu’il n’aimait pas, voire qu’il « détestait » cette activité58. Pour
d’autres, la chasse n’était qu’un accessoire du décorum imposé par Napoléon pour
imiter l’Ancien Régime59. Napoléon s’est pourtant attaché à posséder un équipage
de chasse et des forêts bien avant la proclamation de l’Empire. Les témoins en
parlent fréquemment et de nombreuses œuvres d’art représentant les chasses ont
été commandées par Napoléon. Les journaux évoquaient des chasses dans leurs
colonnes et l’empereur en tenue de vénerie était visible dans tout Paris.
La chute de l’Empire a dû amener un oubli, qui doit remonter à la période où
s’est construite la légende napoléonienne, sous la Restauration et dans les années
qui suivirent60. L’exclusion de la chasse de la légende s’explique par la volonté de
mettre en avant les souvenirs militaires, à une époque où la chasse était dévalorisée, car associée aux Bourbons détrônés par la Révolution de 1830. Comme l’a
récemment souligné Pierre Branda, les convictions libérales de certains historiens,
à commencer par hiers, expliquent que l’histoire militaire fut privilégiée au détriment des aspects monarchiques du régime61. Ce n’est qu’au tournant des années
1830 et 1840 que dans de rares comparaisons entre l’Empire et la Restauration,
quelques anecdotes sur Napoléon à la chasse vinrent se confronter à celles de
Charles X. Il ne s’agissait plus alors d’histoire, mais d’images populaires62.
56. N. Petiteau, « Le patrimoine mémoriel de l’Empire… », p. 21.
57. L. Chardigny, L’homme Napoléon…, p. 88 : « Napoléon chassait parce qu’à son époque
tout souverain chassait ».
58. Pour citer S. Englund, Napoleon…, p. 388.
59. A. Soboul, La civilisation et la Révolution française…, t. III, p. 180.
60. N. Petiteau, « Le patrimoine mémoriel de l’Empire… », p. 21.
61. P. Branda, Napoléon et ses hommes…, p.19.
62. S. Hazareesingh, La légende de Napoléon…, p. 249.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
23
On peut pourtant remarquer un tournant pendant la monarchie de Juillet.
Malgré la gloriication des guerres napoléoniennes au musée de l’Histoire de
France de Versailles et la cérémonie grandiose du retour des Cendres en 1840,
Napoléon s’humanisa peu à peu, les allusions à l’Empire ne furent plus soumises à la censure et le culte napoléonien se détacha de l’histoire militaire. À ce
moment, le souvenir de la chasse devint plus acceptable, comme les évocations
de la cour impériale. C’est aussi à cette époque que parurent le plus de mémoires
de contemporains, dont certains devinrent des références incontournables : les
Mémoires du premier valet de chambre de Napoléon, Constant, ceux du préfet
du palais Bausset, ceux du ministre de la Police Savary, ou encore le Mémorial de
Sainte-Hélène rédigé par Las Cases à partir de ses conversations avec Napoléon
en exil. Dans ces témoignages, les anecdotes cynégétiques venaient illustrer tour
à tour la volonté de Napoléon d’imiter le modèle monarchique, sa générosité, ou
encore l’aspect militaire de sa cour, menée au son du tambour chasser la perdrix.
C’est donc peut-être plus par souci de rigueur que l’historiographie a longtemps
évité de parler des chasses : que ce soit sur le mode ironique ou hagiographique,
les récits de témoins, bientôt repris et déformés par des anecdotes apocryphes,
brouillent l’image originale.
La bibliographie des chasses napoléoniennes s’en ressent fortement. Seuls
trois auteurs y ont consacré plus d’une quinzaine de pages, mais les travaux de
Frédéric Masson63 et de Charles-Otto Zieseniss64 ne peuvent être considérés que
comme des incursions rapides. De plus, la cour de Napoléon semble n’avoir intéressé que peu d’historiens. Pour Pierre Branda, auteur de Napoléon et ses hommes,
paru en 2011, ce désintérêt ne s’explique pas seulement par l’aspect rebutant des
sources originales, mais aussi par la prédominance de l’histoire militaire, par la
personnalité écrasante de l’empereur, qui « rejette son entourage dans l’ombre »,
et surtout, par « l’échec patent de cette institution », complètement dépassée à
l’heure des institutions républicaines65. Cette dernière constatation semble aussi
s’appliquer à l’histoire de la Maison du roi sous la Restauration.
b. Charles X, un chasseur trop connu ?
Bien qu’elle fût une passion reconnue de Charles X, les premières études
sur la Restauration, parues après 1830, n’accordèrent que peu d’attention à la
chasse et se concentrèrent sur la vie parlementaire, l’instabilité ministérielle ou
le combat pour la liberté de la presse. Leurs auteurs, souvent de convictions
libérales, voyaient dans le triomphe de leurs idées l’origine de la chute du régime,
minimisant ainsi le rejet du roi, qui fut un courant d’opinion puissant. Cette
63. F. Masson, Napoléon chez lui…
64. C.-O. Zieseniss, Napoléon et la cour impériale…
65. P. Branda, Napoléon et ses hommes…, p. 19-20.
24
INTRODUCTION GÉNÉRALE
vision oubliait que les chasses avaient été décrites par la presse oicielle, que de
nombreuses peintures de chasses avaient été exposées et que les caricaturistes de la
révolution de Juillet avaient systématiquement moqué l’imagerie cynégétique du
régime, jusqu’à en faire un signe de ralliement de l’opposition. Il fallut attendre
le Second Empire pour voir apparaître les premières études sur la Restauration,
avec Alfred Nettement, Alphonse de Lamartine et Louis de Viel-Castel. Malgré
la parution de nombreux mémoires, les chasses ne furent évoquées ni dans les
descriptions de la cour, ni dans les exposés des causes de la chute du régime.
Ce n’est qu’englobées dans un champ plus large, l’histoire des chasses princières, que les chasses de Charles X furent étudiées, dès 1837, comme une « étude
de mœurs »66 et non comme un objet historique. Les chasses de l’Empire et de la
Restauration furent à nouveau évoquées en 1853 par Eugène Chapus dans son
livre Les chasses princières en France de 1589 à 1841 67, paru dans la « Bibliothèque
des chemins de fer », à destination d’un grand public friand d’anecdotes. Plus de
la moitié de l’ouvrage était consacré à Charles X. Napoléon n’y était pas présenté
comme un grand chasseur, ce qui contribuait à le mettre à part, tout en ixant
son image d’empereur plus fait pour les champs de bataille que pour la cour.
Au même moment, pour les historiens de la chasse, le refus d’aborder le
xixe siècle était perceptible, car beaucoup d’entre eux regrettaient l’Ancien Régime.
Un des meilleurs spécialistes arrêta ainsi son étude en 1789, en regrettant les
« nobles chasses françaises, dont les traditions vont tous les jours se perdant »68.
Pour un écrivain légitimiste du début de la IIIe République, l’histoire récente
de la chasse ne pouvait être associée qu’à l’idée de décadence69. Accolées à la
mémoire d’un roi assimilé à l’Ancien Régime, regrettées par un petit groupe de
légitimistes, raillées par la majorité des historiens confrontant la progression des
convictions libérales sous la Restauration aux mœurs d’une cour incapable de
s’adapter au siècle nouveau, les chasses de Charles X irent donc dès 1830 partie
d’un passé lointain, même si la chasse demeura un loisir pratiqué par Napoléon III
puis par les présidents de la IIIe République.
Au xxe siècle, il n’y eut que peu d’études sur la Restauration, à l’exception
des synthèses de Bertier de Sauvigny puis d’Emmanuel de Waresquiel et Benoît
Yvert, où la vie de cour n’est presque pas abordée. Quelques biographies de
Louis XVIII, comme celles de Philip Mansel (1981) et d’Évelyne Lever (1987),
ou celle de Charles X par José Cabanis (1972) ont été écrites, sans que la chasse
y trouve sa place, si ce n’est au chapitre de la description morale et physique des
66.
67.
68.
69.
E. Chapus, Les chasses de Charles X…
E. Chapus, Les chasses princières…
J.-J.-A.-É.-É. Dunoyer de Noirmont, Histoire de la chasse en France…, t. I, p. 352.
A. de Pontmartin, Nouveaux samedis…, p. 111.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
25
personnages70. Dans l’histoire de la Restauration, la chasse apparaît donc comme
un épiphénomène. À partir de cette série de désintérêts ponctuée d’anecdotes,
est-il encore possible de créer un nouvel objet historiographique et de dégager
un ou plusieurs champs d’étude ?
II. — Les sources et leur approche
1. Les archives
Si les chasses de l’Empire ont été parfois évoquées par des historiens, ce fut
en général grâce aux anecdotes des mémorialistes. Pour aller plus loin, il semble
essentiel de privilégier les sources directes, puis de les croiser avec des témoignages
autobiographiques.
Les archives de la Maison de l’empereur et de la Maison du roi, conservées
aux Archives nationales, dans les sous-séries O2 et O3, permettent, malgré des
destructions ou dispersions advenues en 1814, 1815 et 1830, de reconstituer
l’activité des oiciers des chasses, tandis que les devis, rapports, plans, inventaires ou listes de personnels évoquent celle du secrétariat. Les livres de comptes
donnent un aperçu des dépenses nécessaires à la vie des veneurs et de plusieurs
centaines de chevaux, de chiens et animaux sauvages. Les correspondances de
l’intendant général de la Maison, de l’intendant des Bâtiments et de l’administrateur des Forêts permettent d’étudier la gestion d’un domaine mobilier et
immobilier immense. Les échanges entre les grands oiciers évoquent le protocole et la vie quotidienne de la cour. Les archives du Garde-Meuble donnent des
informations sur les palais et leurs occupants. À ce corpus, on a pu ajouter les
archives du secrétariat du grand maréchal du palais Géraud-Christophe-Michel
Duroc, conservées au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale
de France, ainsi que les archives des palais nationaux et de la manufacture de
porcelaine de Sèvres. Quelques collections, comme celle de l’historien Frédéric
Masson, constituées de copies, de notes de travail et de documents achetés sur
le marché des autographes, ont été également utiles. On peut aussi mentionner
les archives privées, comme le fonds Daru, intendant général de la Maison de
l’empereur de 1805 à 1811, les papiers Mounier, intendant des bâtiments de la
Couronne de 1813 à 1830, ou encore plusieurs témoignages de personnes ayant
pu assister aux chasses, comme l’érudit compiégnois Léré.
70. On mettra peut-être à part la « passion anormale » pour la chasse décrite dans V. W. Beach,
Charles X of France…, p. 33.
26
INTRODUCTION GÉNÉRALE
2. Les sources imprimées
Pour l’Empire, la plus célèbre des sources imprimées est sans doute la
Correspondance de Napoléon, publiée sous le Second Empire, dont une nouvelle
édition augmentée est en cours de publication. Pour la presse, ce sont le Journal
des débats, le Journal de Paris et la Gazette de France qui sont les plus riches. Enin,
on peut considérer comme faisant partie des sources les romans ou les brochures
publiés entre la Révolution et la monarchie de Juillet, qui s’insèrent dans la même
actualité politique, littéraire et artistique.
Les nombreux journaux et mémoires concernant la période allant de la
Révolution à la in de la Restauration constituent un réservoir immense de témoignages, à la iabilité parfois douteuse, mais qui complètent les archives. Certains
ont été écrits pour répondre à la demande du public, à l’époque où des « nègres »
littéraires payés à la ligne rédigeaient en s’inspirant de mémoires déjà parus, de
témoignages oraux ou de sources imprimées. Même sans cela, il est diicile de
juger dans quelle mesure un mémorialiste aurait pu être inluencé par ses lectures.
Le lot de publication de mémoires relatifs à la Révolution, l’Empire et la
Restauration se divise en trois temps71. De 1820 à 1840, la plupart des ouvrages
étaient soit d’authentiques témoignages d’importants acteurs, qui ressentaient
le besoin de raconter ou de se justiier après la mort de Napoléon en 1821 ou la
révolution de 1830, soit de faux mémoires rédigés ain de répondre à la demande
du public 72. On constate un ralentissement des publications sous le Second
Empire, du fait de la disparition des survivants de l’Empire et du mutisme des
nostalgiques de la Restauration opposés à Napoléon III. Il y eut enin une reprise
après 1870, grâce à des éditions scientiiques de textes inédits. Ce processus se
poursuit de nos jours, avec des publications ponctuelles de témoignages inconnus
et des rééditions commentées. Dans cette masse d’imprimés, l’authenticité des
informations se vériie souvent par une comparaison avec d’autres textes ou avec
les archives : des anecdotes de chasses entièrement inventées ou reconstruites ont
ainsi été identiiées, tandis que d’autres ont pu être conirmées par des documents
d’archives (voir annexe I).
3. Les sources matérielles
Les sources iconographiques, qu’il s’agisse de peintures, de dessins, de gravures
ou d’objets d’art, se révèlent d’une aide précieuse. Les documents graphiques,
peintures ou gravures, apportent des informations sur les couleurs des uniformes,
des robes des chevaux, ou sur le matériel utilisé, tandis que l’identiication des
71. J. Tulard, Bibliographie critique des mémoires…, p. viii.
72. N. Petiteau, Écrire la mémoire…, p. 10.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
27
contextes de production et des commanditaires souligne l’évolution dans les
représentations des chasses. Les cartes et plans d’architectes documentent les aménagements architecturaux ou paysagers nécessités par les chasses à courre et à tir.
De même, les objets conservés dans les musées, les bâtiments ou les aménagements forestiers peuvent être pris en compte en tant que sources. Par exemple, la
faisanderie de Rambouillet, construite sous la Restauration et toujours en activité,
témoigne de la continuité dans les pratiques d’élevage du gibier. L’observation
des bâtiments ou des décors permet de mieux comprendre les archives qui les
évoquent et dans quel contexte se déroulaient les chasses des cours du Premier
Empire et de la Restauration. Les objets peuvent aussi apporter des informations
sur leur propriétaire ou sur leur usage, par exemple les armes de Napoléon, ajustées
à sa taille, ou les selles et les harnachements, qui renseignent sur la pratique de
l’équitation. Sans aller jusqu’au catalogue, la richesse des témoignages matériels
et graphiques permet donc d’enrichir et d’approfondir la compréhension des
archives et des sources imprimées.
III. — Axes et champs d’étude
1. L’étude d’un milieu : la Maison du souverain
L’étude des chasses de l’Empire et de la Restauration peut s’envisager selon
diférentes approches. Sur le plan biographique, la personnalité des souverains
et de leur entourage peut être éclairée par une étude centrée sur une partie précise de leur emploi du temps. Le service du grand veneur donne un aperçu de
la haute administration de la cour, des personnels et de la continuité des usages
par-delà la Révolution. La chasse permet d’étudier la vie de cour dans ses aspects
sociaux et politiques, comme instrument de pouvoir et de diplomatie : les déplacements d’une résidence à l’autre, les invitations, les rencontres entre souverains,
la propagande relayée par la presse ou les gravures. Il s’agit également d’un sujet
d’histoire économique : le grand veneur avait un budget conséquent à gérer ;
l’organisation des chasses, l’achat et l’exploitation de forêts représentaient un
investissement. Enin, en tant qu’administration, la Vénerie doit être étudiée en
prenant en compte son intégration au sein de la Maison du souverain, constituée
de diférents services aux attributions complémentaires73.
L’étude du service du grand veneur doit aussi permettre de revenir à des questions plus concrètes, sur la dimension humaine d’une administration constituée
d’employés travaillant et vivant dans les bâtiments de la Couronne. Elle doit
mettre en valeur l’un des aspects les moins connus de l’histoire de la cour, celui
73. P. Branda, Napoléon et ses hommes…, p. 15.
28
INTRODUCTION GÉNÉRALE
du fonctionnement des palais, « des espaces de vie, non seulement des souverains
et de la cour, mais aussi des invités et du personnel »74. À cette question de l’envers du décor s’ajoute celle de l’aménagement et de l’entretien des locaux et des
territoires, ainsi que l’étude des conditions de travail des employés.
L’histoire du cheval peut également être enrichie par une étude des écuries
du grand veneur. Seuls les chevaux de Napoléon, qui font partie intégrante de la
légende napoléonienne, sont bien connus, mais l’intérêt qu’ils suscitent dissimule
l’histoire d’une administration complexe, celle des Grandes Écuries de l’Empire à
la Restauration, qui peut être complétée par l’étude des chevaux de chasse : « on
pourrait donc reconstituer l’économie d’une population d’équidés sur près de
trente ans et à un moment décisif de la transformation de la culture des écuyers »75.
Le choix d’étudier un service de l’Empire à la Restauration vise à éviter d’envisager la Maison de l’empereur comme une administration attachée à Napoléon,
le suivant à l’île d’Elbe et à Sainte-Hélène, mais permet au contraire de la lier au
cadre de vie de la cour. Une recherche centrée sur un seul des deux régimes aurait
présenté un caractère incomplet, en coupant des carrières ou des phénomènes
administratifs en deux.
2. Un portrait à esquisser : la igure du monarque
L’étude de l’organisation des chasses doit en outre permettre de replacer
cette activité, omniprésente dans la vie de la cour, au centre d’une rélexion plus
globale sur les raisons, les modalités et les enjeux politiques et symboliques de
l’utilisation d’un équipage de chasse par Napoléon, puis la transmission en 1814
de cet instrument de pouvoir à une dynastie aux ambitions, aux goûts et aux
habitudes diférents.
Le fait d’étudier une activité souvent pratiquée permet aussi d’évoquer, sur
le temps long, l’emploi du temps des souverains, de leur famille et de leurs
courtisans, en mettant en valeur l’articulation des activités quotidiennes, les
inlexions annuelles ou saisonnières et l’imbrication entre les loisirs, les activités
de représentation et les afaires du gouvernement.
L’étude d’un phénomène curial sur près de trois décennies et sous deux régimes
doit aussi permettre de mieux comprendre les évolutions de la représentation du
pouvoir, entre les appels à la tradition monarchique et la recherche de nouvelles
formules d’incarnation de l’autorité. Dans le cas de l’Empire et de la Restauration,
il serait presque possible de parler de reconstruction de la igure du souverain,
et peut-être de déconstruction, ce que le cas de la chasse, tradition royale instrumentalisée, met particulièrement en valeur. En ce sens, cette étude doit aussi
74. E. Starcky, Compiègne, palais impérial et royal…, p. 164.
75. D. Roche, La gloire et la puissance…, p. 283.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
29
permettre d’éclairer la dimension politique d’une telle activité et de révéler les
modes d’incarnation et de représentation du pouvoir, dans la lignée des travaux
sur la symbolique royale sous l’Ancien Régime76, des études sur les entrées royales
et les voyages oiciels au xixe siècle ou de celles sur la « dignité de roi »77.
L’ambition est aussi de redonner la place qui est la sienne à la chasse. Non
pas la première, ni la deuxième mais, pour certains épisodes de l’Empire, une
place clé, et, pour la biographie de Charles X et l’étude des causes de la chute
de la Restauration, un rôle essentiel. La chasse réunit en efet les protagonistes
principaux de la vie politique, diplomatique et militaire, lors d’épisodes privilégiés qui peuvent avoir l’air de parenthèses : les séjours de Napoléon dans ses
palais, loin des champs de bataille, et ceux de Charles X, à l’écart des tumultes
de la vie politique et parlementaire. C’est souligner avec d’autant plus de force le
paradoxe de la chasse, activité du quotidien recouvrant des enjeux symboliques
et politiques importants.
3. Limites
Sur un plan méthodologique, il est possible de poser plusieurs limites à cette
étude. Le sujet est bien la pratique de la chasse à courre et à tir à la cour de
France sous l’Empire et la Restauration. Il ne s’agit en aucun cas d’une étude sur
la pratique de la vénerie en France au lendemain de la Révolution ou sur l’administration forestière dans les domaines de la Couronne au début du xixe siècle :
ces deux sujets seront évoqués, mais seuls les aspects concernant les chasses seront
traités. Les services des archives départementales des Yvelines, de l’Oise et de
Seine-et-Marne, qui conservent des fonds relatifs à la gestion des forêts depuis
la période révolutionnaire, n’ont donc pas été exploités. Les fonds des Archives
nationales sur la Liste civile ont été dépouillés en priorité, conjointement à ceux
concernant le grand veneur. Il a ainsi été possible d’établir un dialogue entre les
deux administrations. Dans un second temps, ce dialogue a pu être étendu aux
archives d’autres services et à plusieurs fonds privés, ce qui a posé la question des
limites du périmètre administratif recouvert par l’organisation des chasses. S’il
ne paraissait pas envisageable d’ofrir un tableau complet du fonctionnement de
la cour, il a fallu tenter d’équilibrer l’étude du volet administratif avec celle des
implications politiques de la chasse ou sa place à la cour.
L’exemple du grand veneur semble bien se prêter à la question de l’équilibre
entre les diférents aspects d’une étude centrée sur la cour. Frédéric Masson, dans
l’introduction à Napoléon chez lui, imagina par exemple ce que serait un livre
centré sur les chasses impériales : « arrivé à la in du volume, le lecteur pourra
76. G. Sabatier, Versailles ou la igure du roi… ; L’image du roi…
77. Imaginaire et représentations des entrées royales… ; La dignité de roi…
30
INTRODUCTION GÉNÉRALE
s’imaginer que Napoléon, en toute sa vie, n’a fait que chasser »78. Il conseille ainsi
de replacer la chasse dans ses diférents contextes, qu’ils soient chronologique,
institutionnel ou géographique.
Masson évoque aussi l’étude des caractères : pour lui, « Charles X, c’est le roi
chasseur »79, tandis que Napoléon était simplement, de temps en temps, « pris
d’un zèle de chasse »80. Cependant, une biographie croisée, basée sur la confrontation de leurs pratiques cynégétiques, ne peut qu’amener à des comparaisons
dénuées de profondeur. Il semble plus intéressant de restituer les individus dans
leur dimension quotidienne, à la lumière de l’histoire politique : la construction
du pouvoir impérial par des symboles forts, la mise en place d’une diplomatie
axée non plus seulement sur les armes, mais aussi sur la sociabilité de cour pour
Napoléon, le retour à une incarnation traditionnelle de l’autorité face à une
opposition critiquant à la fois le gouvernement et les formes du pouvoir pour
la Restauration.
L’imbrication entre les aspects biographiques et institutionnels semble donc
risquée. Le premier enseignement à en tirer est de dissocier l’étude de la place de
la chasse dans la vie de la cour et dans la politique de celle dans l’administration.
4. Problématisation et présentation du plan
Pour résumer les objectifs de cette étude, il s’agit d’analyser comment, et
avec quels moyens, la chasse a pu redevenir l’un des instruments privilégiés du
pouvoir impérial, alliant tradition royale et usages nouveaux, comment cette
activité fut utilisée par Napoléon d’une manière suisamment habile pour que
ni la postérité, ni les artisans de la légende napoléonienne n’en soient frappés,
puis d’expliquer comment cet héritage a pu devenir, sous Charles X et jusqu’à
nos jours, l’incarnation même de l’hostilité à la monarchie.
Le seul moyen d’éviter le piège signalé par Masson, qui serait d’accorder à la
chasse une trop grande place, semble être de diviser l’étude selon diférents axes :
pouvoir, administration, réception. La première partie sera centrée sur la place
de la chasse dans la vie de cour. La deuxième s’attachera à restituer la complexité
de l’organisation des chasses et de l’administration du grand veneur. Enin, une
troisième partie tentera d’étudier les représentations des chasses par l’image ou
l’écrit et de mesurer leur rôle dans la propagande, qu’elle soit impériale, monarchique ou antimonarchique.
78. F. Masson, Napoléon chez lui…, p. iv.
79. F. Masson, « La vénerie de Napoléon à Charles X »…, p. 306.
80. F. Masson, Joséphine, impératrice et reine…, p. 56.
TABLE DES MATIÈRES
Remerciements ....................................................................................................
5
Normes, principes d’édition et de présentation .................................
7
Abréviations .........................................................................................................
9
Institutions et cotes d’archives, 9 — Notes de bas de page, 9 — Abréviations
utilisées de façon normalisée pour les transcriptions des sources, 10
Introduction générale ..................................................................................
11
I. Infortunes historiographiques et politiques d’un plaisir royal .............
11
Les partis pris, 11 — Déinitions, 13 — Apports et limites de l’historiographie, 14
II. Les sources et leur approche .....................................................................
25
Les archives, 25 — Les sources imprimées, 26 — Les sources matérielles, 26
III. Axes et champs d’étude ............................................................................
27
L’étude d’un milieu : la Maison du souverain, 27 — Un portrait à esquisser :
la igure du monarque, 28 — Limites, 29 — Problématisation et présentation
du plan, 30
PREMIÈRE PARTIE
CHASSE ET POUVOIR DE L’EMPIRE À LA RESTAURATION
Introduction : Un service victime de la Révolution ......................
33
I. Les chasses dans le système de la cour ......................................................
33
II. Des diférences fondamentales entre l’Empire et la Restauration .....
34
Chapitre premier : Les chasses impériales, entre imitation et
amplification .......................................................................................................
37
808
TABLE DES MATIÈRES
I. Introduction : Napoléon et la chasse ........................................................
37
Un chasseur improbable, 37 — Un chasseur maladroit, 41
II. Les origines des chasses consulaires .........................................................
48
La chasse : un efet de mode du Directoire et du Consulat, 48 — La chasse
et les apparences de l’autorité, 50 — La peur du ridicule, 54 — La création
du service des chasses, 56
III. Organiser une cour postrévolutionnaire ...............................................
64
Un simple calque de l’organisation versaillaise ? 64 — La récupération des
symboles monarchiques, 80 — Ajustements et évolutions, 88
IV. La chasse dans l’emploi du temps de Napoléon ..................................
97
Trouver le temps de chasser, 97 — L’impact de la chasse dans le travail de
Napoléon, 103 — La forêt, lieu de pouvoir, 112
V. Typologie des chasses impériales .............................................................. 122
Les chasses de loisir, 122 — Les chasses stratégiques, 132 — Les chasses
diplomatiques, 139 — Les chasses de l’exil, 149
VI. Conclusion : Une tradition réinterprétée ............................................. 154
L’apparition d’une nouvelle tradition cynégétique, 154 — Le délitement de
l’image du souverain chasseur, 158
Chapitre II : Les chasses de la Restauration, un besoin dynastique ........................................................................................................................ 161
I. Introduction : Les enjeux représentatifs de la Restauration ................. 161
La « pompe » de la vie quotidienne, 161 — Une cour construite sur un
compromis, 162
II. Un choix à faire : 1789, 1791 ou 1804 ? ................................................ 164
Le poids de l’héritage impérial, 164 — L’échec d’un retour à l’Ancien Régime,
167
III. Les usages cynégétiques à la cour de la Restauration ......................... 177
La chasse, une afaire sérieuse, 177 — Une famille de chasseurs ? 185 — La
géographie des chasses au quotidien, 200 — Des chasses omniprésentes, 206
IV. Quelle politique pour les chasses de la Restauration ? ........................ 211
La place de la chasse dans la mise en scène de la restauration dynastique,
211 — La seule chasse de Louis XVIII, 216 — Les chasseurs étrangers, 218
— Une politique tournée vers l’implantation locale, 221
V. Conclusion : Le déclin politique de la cour ........................................... 226
Un resserrement des enjeux vers l’intérieur du palais, 226 — La stagnation
du domaine de chasse, 226
TABLE DES MATIÈRES
809
Conclusion : La chasse, un symbole politique au quotidien ........ 229
I. Un atout pour la monarchie impériale..................................................... 229
II. L’échec de la monarchie restaurée ............................................................ 232
DEUXIÈME PARTIE
GÉRER ET ADMINISTRER LES CHASSES
Introduction : Une administration en quête d’identité............... 237
I. Une gestion complexe ................................................................................. 237
II. Le visage de l’administration .................................................................... 238
III. Une rupture à la Restauration ................................................................ 239
Chapitre premier : Le service du grand veneur .................................. 241
I. Introduction : Une gestion complexe....................................................... 241
La marque de l’Ancien Régime, 241 — Une administration à part, 243
II. Grand veneur : un poste à responsabilités ............................................. 243
Berthier : un passionné au service d’une administration, 243 — « La moins
embarrassante des grandes charges de la Couronne », 248 — Girardin, éternel
intérimaire, 252
III. Le rôle du grand veneur ........................................................................... 260
La discussion du budget, 260 — Le grand veneur maître d’équipage, 269
IV. Le travail des oiciers ................................................................................ 271
Les oiciers des chasses à courre, 271 — Les oiciers des chasses à tir, 277
V. Le secrétariat de la Vénerie ........................................................................ 282
L’indispensable secrétaire, 282 — La production administrative, 287
VI. Le fonctionnement et l’organisation des équipages de chasse .......... 291
Les employés du grand veneur, 291 — Travailler à la Vénerie, 303 — Une
situation immobilière chaotique, 322 — L’organisation des écuries, 342 —
Le chenil, 350
VII. L’administration des forêts de la Couronne et les capitaines
forestiers ............................................................................................................. 359
Une administration liée au grand veneur ? 359 — Des rôles forestiers et
cynégétiques, 372
810
TABLE DES MATIÈRES
VIII. Conclusion : un service pyramidal ..................................................... 386
Chapitre II : La Vénerie au sein de la Maison du souverain ......... 389
I. Introduction : Une responsabilité partagée ............................................. 389
Le premier cercle de l’administration, 389 — Le second cercle administratif,
392
II. Les grands oiciers...................................................................................... 393
Un support logistique, 393 — Le grand écuyer, 404 — L’entretien des palais :
du Gouverneur au portier, 413 — La sécurité des souverains, 420
III. Le grand veneur et les intendances ........................................................ 429
L’aménagement des palais et pavillons de chasse, 429 — Aménagements
paysagers, 454
IV. Conclusion : La Vénerie, un aspect annexe de l’organisation des
chasses ?............................................................................................................... 462
Les conférences sur le service des chasses, 462 — Un mauvais élève au sein
de l’administration royale ? 464
Conclusion : Une administration napoléonienne perdue en
monarchie ............................................................................................................. 467
I. Une identité monarchique.......................................................................... 467
II. Une identité impériale ............................................................................... 468
TROISIÈME PARTIE
LES CHASSES ET L’OPINION PUBLIQUE
Introduction : Évolutions et permanences dans la représentation des souverains .......................................................................................... 473
I. Une image à retrouver : le monarque source de bienfaits .................... 473
II. L’héritage artistique de l’Ancien Régime ................................................ 473
III. Les chasses anachroniques ? Le rôle du grand louvetier ..................... 475
Chapitre premier : Les chasses de Napoléon et leur public ......... 479
I. Introduction : Napoléon, la chasse et les sujets ...................................... 479
TABLE DES MATIÈRES
811
Napoléon, premier chasseur de son Empire ? 479 — Les chasses entre censure
et représentation, 480
II. Des chasses publiques ? .............................................................................. 482
Assister aux chasses impériales, 482 — La générosité impériale, 488
III. Des publics indirects ................................................................................ 496
La construction d’une iconographie cynégétique, 496 — La place des chasses
dans l’édition, 515 — Les chasses impériales dans la presse : une réalité
construite, 519
IV. Conclusion : La construction d’une image publique ......................... 534
Chapitre II : La Restauration, un retournement de situation .... 537
I. Introduction : L’efacement du souvenir impérial ................................. 537
La critique de l’Empire, 537 — Les premiers mois de la Restauration, 539
— Les chasses de la Restauration dans la presse : de la propagande à l’opposition, 540
II. Un nouveau régime, mais une mise en scène analogue....................... 542
L’imprimé, 542 — La chasse, un fondement de l’identité du régime, 549
— Le prince protecteur : une réalité restaurée, 563 — Le retournement de
l’opinion, 573
III. De 1830 à nos jours : écriture et représentation des chasses ............ 594
Napoléon, le mauvais chasseur, 594 — L’écriture de l’histoire des chasses de
la Restauration, 602 — La postérité artistique, 605
IV. Conclusion : Un décalage temporel ....................................................... 608
Conclusion : La chasse, une activité omniprésente ......................... 611
I. Sous l’Empire, une instrumentalisation réussie ...................................... 611
II. La Restauration : une politique de représentation vouée à l’échec ? . 612
Conclusion générale....................................................................................... 615
I. Le grand veneur : une réalité administrative ........................................... 615
La culture du registre et du rapport, 615 — Un service proche du pouvoir, 615
II. Le quotidien de la cour au prisme de la chasse ..................................... 616
L’Empire : une cour réinventée, 616 — La Restauration : une cour déconstruite, 618
III. La chasse : un malentendu historiographique ? ................................... 619
Une histoire de silhouettes, 619 — La postérité politique, 622
812
TABLE DES MATIÈRES
ANNEXES
Annexe I : Les chasses de Napoléon de 1800 à 1816 .......................... 631
Annexe II : Reportages et récits journalistiques ............................... 695
L’« Ermite de Sénart », 695 — Charles X dans la presse rouennaise, 696 —
Charles X dans la presse bordelaise, 698
Annexe III : Qui étaient les veneurs de Napoléon et de
Charles X ? ............................................................................................................ 699
Les oiciers des équipages du courre et du tiré, 699 — Le secrétariat, 704 —
L’équipage de chasse à courre, 705 — Du chargeur au ramasseur de gibier :
l’équipage du tiré, 716
Annexe IV : Les principaux termes de vénerie ...................................... 719
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
État des sources ................................................................................................. 723
Sources manuscrites, 723 — Sources graphiques et matérielles, 730 —
Sources imprimées, 740
Bibliographie....................................................................................................... 763
Monographies et articles, 763 — Ouvrages de iction, 784 — Filmographie,
784
Index des noms de lieux, de personnes et de périodiques .............. 785
Crédits photographiques .............................................................................. 805
Activité royale par excellence, pratiquée par tous les rois de France, la
chasse était plus qu’une simple distraction, mais bien un accessoire du pouvoir, un moyen de représentation et de contrôle des courtisans. Disparues avec
la Révolution française, les chasses royales furent remises au goût du jour par
Napoléon Ier, soucieux de s’approprier les apparences du pouvoir et qui en it
un instrument politique puissant. La Restauration, au lieu de revenir à l’organisation d’Ancien Régime, choisit de conserver l’équipage de Napoléon, qui
fonctionna jusqu’en 1830, année où la révolution de juillet se déchaîna contre la
igure du roi-chasseur, personniiant l’impopularité de Charles X et de son ils.
Cette continuité humaine, budgétaire, mais aussi politique et symbolique,
se retrouve dans les diférents aspects liés à l’organisation des chasses analysés
ici : les voyages de la cour entre les diférents palais de la Couronne, la mise en
place d’une étiquette spéciique, les invitations d’ambassadeurs ou de souverains
étrangers, mais aussi l’élevage du gibier, l’aménagement des forêts, la constitution de la meute et des écuries, et enin, au cœur de la Maison du souverain, le
rôle du grand veneur, grand oicier en charge des chasses impériales puis royales.
S’appuyant sur des sources variées et pour la plupart méconnues – archives,
mémoires, journaux intimes, ou encore tableaux et objets d’art –, cette étude
permet d’aborder, sous un angle singulier, l’évolution de la politique et de la
société sous l’Empire et la Restauration. Elle met en lumière non seulement la
résurgence des traditions de Versailles et de la symbolique royale en ce début
de l’époque contemporaine, mais aussi la passion de la chasse, partagée par
Napoléon et par les derniers Bourbons.
Charles-Éloi Vial, ancien élève de l’École nationale des chartes et boursier 2010
de la Fondation Napoléon, a consacré sa thèse de doctorat aux chasses de l’Empire et
de la Restauration. Il est actuellement conservateur au département des Manuscrits
de la Bibliothèque nationale de France. Cet ouvrage est couronné par le prix
Madeleine-Lenoir 2014 et publié avec le soutien de la Société de l’École des chartes.
ISBN 978-2-35723-079-8
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Prix France : 34,50 €
94