Les opérations navales durant l’affaire de Gafsa en 1980
Capitaine de Frégate Abdelaziz Sahbani
Introduction
Voici l’événement de « l’affaire de Gafsa », tel qu’il est raconté officiellement (les soulignements sont de nous, le lecteur verra pourquoi) : (références : Wikipedia et al.)
«Les événements de Gafsa désignent une action armée menée contre le régime tunisien et organisée par son voisin, la Libye, en 1980. Moncef El Materi soutient, au contraire, la volonté profonde et réfléchie d'un coup d'État initié par plusieurs nationalistes tunisiens, dont Ezzedine Chérif
Le 27 janvier à 2 heures du matin, le commando attaque la caserne de l'armée, le poste de la garde nationale et le poste de police de la ville minière de Gafsa, considérée comme frondeuse vis-à-vis du gouvernement, qui se réveille sous un tir nourri d'armes automatiques. Les habitants s'enferment et restent sourds aux appels d'une radio pirate les exhortant à déclencher une insurrection populaire contre le régime du président Habib Bourguiba. Le 27, le commando s'empare de la caserne de la ville. L'armée est alors chargée de mater l'insurrection mais met onze heures pour arriver sur place après une manœuvre d'intimidation libyenne à la frontière
Le commando se fait connaître par un communiqué diffusé à Paris par l'Agence France-Presse :
« L'Armée de libération tunisienne intervient à ce second anniversaire du massacre sanglant perpétré par le régime tunisien le 26 janvier 1978. C'est le point de départ d'un mouvement qui aboutira finalement à la libération du pays de la dictature du parti PSD et de la domination néocoloniale »
Le 28 janvier, le président Bourguiba, qui au moment de l'attaque se repose à Nefta, à près d'une centaine de kilomètres de Gafsa, ne change pas le programme de son séjour. À sa demande, la France décide d'envoyer des avions de transport, deux hélicoptères Puma et un groupe de conseillers militaires. Trois bateaux de guerre et leur escorte de cinq sous-marins doivent être dépêchés de Toulon sur les côtes tuniso-libyennes. L'aide des États-Unis, de son côté, doit se manifester par l'envoi de navires de guerre non loin du littoral tunisien et par la livraison rapide d'hélicoptères et d'engins de transport pour « renforcer la capacité défensive du pays ». Le Maroc déclare envoyer deux avions de transport et des hélicoptères. Toutefois, ces aides arriveront après la fin de l'attaque : Gafsa est reprise en main par l'armée le 3 février au prix de 48 morts, dont 24 militaires, 21 civils et trois assaillants, d'une centaine de blessés et de soixante arrestations parmi les assaillants»
« On 27 January 1980, a group of dissidents armed and trained by Libya occupied the city to contest the régime of Habib Bourguiba. 48 people were killed in the battles » (référence : wiki/Gafsa)
Kechrid (ministre de l’intérieur à l’époque) : “Vigilant, l’état-major français donna ordre aux destroyers (sic, NDLR) «Colbert» et « Clemenceau » de rejoindre le golfe de Gabès. Après des poursuites mouvementées menées par la Garde nationale et les commandos de l’armée à travers la campagne pour cueillir les derniers bandits, la Tunisie avait retrouvé sa tranquillité“.
Résumons la version officielle : le « coup de Gafsa » a été programmé par la Libye de Kadhafi avec l’aide active d’opposants tunisiens en exil et de certains éléments subalternes de l’armée algérienne. La réaction des forces tunisiennes (armée + Garde Nationale + BOP) et de l’OTAN a rétabli l’ordre rapidement. Les terroristes ont, vainement, essayé de créer un soulèvement populaire qui n’eut pas lieu, et Bourguiba resta au pouvoir (« Président à vie ») jusqu’au « coup d’état médical » du 07 novembre 1987.
Objet du présent article
Le but de cet article est de décrire les opérations navales menées en cette période, l’auteur y ayant joué un rôle majeur, étant, à ce moment-là, sous-chef d’état-major de la Marine. Le lecteur verra alors le rôle positif qu’assura le regretté Abdallah Farhat, qui fut ministre de la Défense Nationale jusqu’au mois de septembre précédent. Il verra aussi que la Marine a été à la hauteur de sa tâche en empêchant le carnage de s’étendre, ayant su tirer profit d’une erreur de programmation de Navsouthcommand (commandement méditerranéen de l’OTAN opérant à Naples). C’est en application des instructions claires de Farhat, le devoir de réserve étant ma seconde nature, que je n’ai pas, jusqu’à présent, participé aux polémiques sur ce sujet. Aujourd’hui Farhat est mort (en 1985), ainsi que la plupart des autres protagonistes : il paraît donc utile que mon témoignage s’ajoute aux autres, afin que les historiens rétablissent la vérité, l’actuelle étant, évidemment, erronée.
Auparavant, et je m’en excuse auprès du lecteur, je suis dans l’obligation d’exposer des considérations vécues utiles, prouvant que Farhat, malgré le faible niveau d’instruction de ce grand militant, avait compris, un peu tard malheureusement, comment doit fonctionner une armée. Mais je promets d’être succinct, quoique le sujet eût mérité de plus amples développements. Ces considérations autobiographiques éclaireront le lecteur, nous l’espérons, sur l’état d’esprit des protagonistes, et lui permettront de retenir cette notion fondamentale : « quand la sécurité de votre pays est menacée, oubliez tous les griefs que vous pouvez avoir à l’égard de vos collègues ». En effet, comme on le verra, sans la mise en pratique de ce principe, le succès n’aurait pu avoir lieu.
La Marine et moi
Ayant pris l’engagement d’être succinct, je ne dirai pas, dans le présent article, dédié aux opérations navales en janvier-février 1980, toutes les humiliations qu’on me fit subir dans la Marine, n’ayant établi la triste vérité qu’une fois nommé « Sous-chef d’état-major », poste que j’avais décliné au Secrétaire d’Etat Ahmed Bennour, qui me l’annonça à l’avance, arguant que le Chef d’état-major désigné n’avait pas les qualités minimales nécessaires pour occuper son poste (connaissant mon sens de la discipline, le décret de nomination n’a paru qu’alors que j’étais à Portsmouth, en Angleterre, en train de procéder aux « essais de recette » d’une vedette construite là-bas. Mon premier mouvement fut de décliner le poste, mais ma lettre de refus devant passer par notre ambassade à Paris, le circuit me parut non sûr. Entre temps je commençai à recevoir des félicitations et l’attitude du chantier naval britannique ayant évolué dans la bonne direction, je me résolus à accepter le poste). Après tout, pensai-je, c’était mieux que ce qu’avait voulu la Marine pour moi : être nommé chef du service informatique d’un « machin », lubie du Ministre de la Défense en 1975, Khefacha : Direction de la Planification et de la Programmation, alors que j’étais sorti major de l’Ecole navale française → la Marine préférait garder des incapables, dont même l’Ecole navale française avait, en son temps, demandé le rapatriement pour insuffisance de niveau). Je cumulais le titre de sous-chef d’état-major avec celui de chef du bureau des opérations et j’eus toutes les difficultés à faire appliquer le programme que j’avais en tête : gréer la plupart des phares en sémaphores, diffuser/appliquer un recueil de droits et devoirs, entrainement tactique intensif, coopération avec terre/air, définition d’un Plan d’armement pour chaque navire, extension des domaines de réparation/entretien, etc. Le chef d’état-major, comme prévu, fit, en effet, tout son possible pour faire échouer toutes mes tentatives. Je réussis, quand même, à aménager un PC (et, pour détourner l’obstruction du CEMAM qui refusait de fixer un tour de quart, j’affectai, comme pis-aller, la fonction d’officier de suppléance à des sous-lieutenants de réserve). En outre, je fis longuement travailler tous les officiers de marine sur les performances des futurs bâtiments (c’était facile, il suffisait de déclarer que les moteurs de propulsion seront de la marque MTU, car pour les officiers et moi cette appréciation, établie pourtant à juste titre, comblait les vœux du CEMAM). Vingt fois, j’ai failli « jeter le manche après la cognée », rencontrant une attitude similaire auprès des Services communs, tous dirigés par des officiers choisis par les Chefs d’état-major, hermétiques aux besoins de la Marine. Enfin je réussis à établir avec le Régiment des Commandos (Armée de terre, basé à Roumadia, près de Bizerte) une procédure de travail ensemble (restée malheureusement inachevée).
Evénement digne d’être signalé (concerne l‘opération « Gafsa ») : en été 1979, je crois, un amiral italien se présenta au Ministère pour obtenir notre engagement formel que nos navires de guerre n’ouvriront jamais le feu sur les chalutiers italiens en infraction, la Marina militare s’engageant à transmettre aux tribunaux italiens les positions transmises par la Marine tunisienne, en les authentifiant. Cette proposition parut si amicale, l’Italie ayant reconnu et publié nos zones de pêche réservée (et que l’amiral italien était disposé à reprendre dans le futur accord) que notre ministère se préparait à conclure dans ce sens. Il programma deux réunions, la partie tunisienne étant composée de Kallel, président et du CEMAM, membre. En face, la partie italienne était composée de 3 personnes : l’amiral, l’attaché militaire et un diplomate civil de l’ambassade italienne. Ignorant tout de cette affaire (preuve supplémentaire de la mésentente entretenue par le CEMAM), j’appelai fortuitement en urgence l’amiral Fedhila (CEMAM) et réussis, grâce à mon passage au Cabinet, à obtenir Kallel en salle de réunion pour lui demander de rappeler à Fedhila qu’il devait signer un certain ordre d’opération « aujourd’hui » sinon tout serait à reporter). Dans les deux heures qui ont suivi cet appel, la Marine reçut un message du MDN convoquant le sous-CEMAM (moi) pour une réunion le lendemain avec la délégation italienne. J’en conclus, m’étant rappelé les curieuses questions de Kallel (vous n’avez pas été en mer, dernièrement ?) que Fedhila, comme son prédécesseur, faisait tout pour éviter que le Cabinet, et, à fortiori, le Ministre, ne prennent conscience de ses carences, par comparaison. Quoi qu’il en soit la discussion fut très facile avec l’amiral italien. Il a suffi, pour le laisser pantois, de lui dire : « Vous demandez l’impossible au Ministère de la Défense. Comment voulez-vous qu’il dise à un commandant de navire de guerre : « je vous donne des armes, mais je vous interdis de vous en servir ? » Par contre, les règles d’engagement étant claires (ce qui était faux, car aucun CEMAM n’a voulu aborder la question, malgré mes tentatives, mais la « Marina militare » n’avait pas besoin de le savoir), notre ministère peut vous fournir l’assurance qu’aucun navire de guerre tunisien n’ouvrira le feu contre tout pêcheur qui se conformera aux ordres dudit navire de guerre. Pour ne pas rentrer bredouille en Italie nous vous proposons de faire un procès-verbal en ce sens avec notre assurance telle que décrite et que vous n’avez pas besoin de contresigner. ». Ce discours convainquit Kallel, qui adopta ce point de vue et résista à tous les arguments italiens, qu’il contrait intelligemment. La discussion se termina en queue de poisson (quoique en toute cordialité) : l’amiral quitta les lieux en demandant de remettre l’engagement à l’attaché militaire, qui le transmettra. On voyait bien qu’il était vexé de n’avoir pu obtenir ce qu’il était venu chercher. Depuis ce jour-là, où j’avais découvert son caractère sincèrement nationaliste, je voue à Kallel une amitié qui a résisté à tous ses engagements ultérieurs (je ne l’ai plus revu depuis….1985).
Lorsque, plus tard, je me retrouvai seul avec Kallel dans son bureau (pour préparer une rédaction du document à remettre à l’attaché militaire), je lui dis : « la démarche de cet amiral italien me paraît louche. Pourquoi a-t-il voulu cet accord qui ne devrait pas l’intéresser et qu’il savait impossible ? A moins qu’il ait planifié un débarquement discret en utilisant les chalutiers siciliens, la mafia lui ayant objecté le risque de mitraillage par nos navires, auquel cas l’accord proposé lui aurait permis d’arranger la situation ». La réponse de Kallel fut : « tu n’as pas changé puisque tu fais preuve de paranoïa. Les amiraux italiens sont des politiciens. Celui-ci est comme eux : il cherche à marquer des points et c’est ainsi que nous devons interpréter sa démarche ». Ne pouvant poursuivre cette discussion (stérile, connaissant le personnage), je conclus en lui disant : « La Marine va préparer des Règles d’Engagement dans lesquelles seront indiqués les cas d’ouverture de feu. Notre texte demande l’accord du Ministre ou au-delà. Ne pas oublier de requérir mon renfort pour toute difficulté » Mon projet ne parvint jamais au Cabinet ; le CEMAM, sans s’y opposer directement, trouvait toujours une excuse pour retarder son envoi au Cabinet (ayant appris plus tard les liens de son protecteur, le Secrétaire d’Etat Bennour, avec la DST française, on peut se demander si cette attitude n’était pas téléguidée). Quant à Kallel, je saurai plus tard qu’il avait fidèlement rendu compte de notre conversation à son ministre (qualité rare, reconnue à Kellal) et que celui-ci approuva son point de vue : « pure paranoïa de Sahbani, comme toujours » (voir plus loin).
En janvier 1980, j’étais démissionnaire et le nouveau ministre, Rachid Sfar, sans doute tiraillé entre les diverses informations (dont certaines fabriquées) qu’il avait sur moi (mais qui ne me reçut jamais) n’accepta ma démission qu’à la condition expresse que je démarre au sein de la SOCOMENA une nouvelle activité : la construction navale. Il édita, en conséquence, une note, cosignée par son collègue, le Ministre de l’Industrie (tutelle de la SOCOMENA) fixant le début de mon affectation à cette société, au 1er février 1980. Le motif que je donnai pour appuyer ma démission était quelque peu ridicule : salaire insuffisant, mais j’expliquai au Chef de Cabinet, Abdallah Kallel ma vraie motivation : je ne souhaite plus servir au milieu de gens incompétents qui ne se préparent pas au combat et qui ne songent qu’à s’enrichir (je ne doute pas que Kallel ait transmis cette information à son ministre, d’autant plus que Kallel connaissait depuis longtemps ce que je reprochais aux forces armées, mais je me gardai de lui dire que je soupçonnai bon nombre d’officiers d’être des agents au service de l’étranger). Je passai le mois de janvier à étudier, de très près, la construction navale en Tunisie (au prix de plusieurs déplacements), et j’étais arrivé à ceci : la Tunisie a encore une tradition « intéressante » en construction navale en bois et commence à maîtriser des rudiments de mécanisation. Mais elle n’a aucune idée des normes à appliquer et ne connait rien aux grands navires. Le démarrage de la construction navale est donc possible pour les petits navires puisque le secteur de la pêche est demandeur. Quant à la construction de coques en acier ou en fibre de verre, ce sera aisé à démarrer après visite de chantiers en vogue (Europe, USA, Japon, Corée du Sud, etc.) ; le plus difficile sera de recruter des diplômés, ainsi que fixer leur salaire, étant donné la concurrence (souvent déloyale), et sachant qu’on ne peut démarrer avec des débutants.
Le plus mauvais souvenir que je garde de cette période est le suivant (j’anticipe sur les opérations racontées ici : le fait eut lieu après mon détachement raté à la SOCOMENA, et j’étais de retour au Cabinet) : Abdelhamid Escheikh, jusque là Chef d’état-major de l’Armée de terre, revenant d’un court stage aux USA, fut nommé Chef d’état-major des Armées, poste nouvellement créé. Cela ne pouvait que me plaire car, ainsi, les trois armées allaient se trouver obligées de coopérer, sous la conduite d’un professionnel qui, nécessairement, allait fixer des règles de coopération (ainsi, bien sûr, que les exercices qui en découlent). J’en parlai donc à Kallel qui, semblant convaincu (je découvrirai plus tard qu’il ne l’était pas), m’ordonna de faire des propositions concrètes au général Escheikh qu’il comptait installer à côté du bureau ministériel.
Dès fin de son installation, j’obtins d’être reçu par le général Escheikh, à qui j’exposai ce qui suit (résumé, pour autant qu’il m’en souvienne) : « Mon général, les locaux nécessaires à votre état-major nous posent un problème. Si vous tenez à rester au ministère, ce qui est probable, il faudra absolument déménager un service et je ne vois que le Tribunal Militaire, dont la proximité au ministre est moins nécessaire que celle de votre état-major. Le ministre pourrait vous proposer un autre local, plus éloigné pour votre état-major (pour mille raisons que vous pouvez imaginer vous-même, mais je crois que dans ce cas, il préférerait éloigner l’état-major de l’armée de terre). Si vous êtes d’accord, je vous prépare un projet de note confidentielle, mais donnez-moi des directives pour l’étoffer. Le mieux est de choisir votre major général, de le faire affecter ici et je pourrai lui servir de scribe, si vous acceptez. D’avance, je vous déclare que je suis volontaire pour faire partie de votre état-major, vous n’avez pas à vous inquiéter, car, même si le CEMAM ne veut pas de moi, la très grande majorité des marins (tous grades confondus) m’est acquise. Je soumettrai ma candidature conformément aux critères que vous aurez fixés. Avec votre major général nous vous proposerons l’organisation en temps de paix et les positions éventuelles en tant de guerre si Tunis devient dangereuse. Pour gagner du temps, laissez-moi commencer le projet de « Note à M. le Ministre », mais je recommande de faire arriver, au plus vite, votre major général. Il faudra régler, la question des services communs, car leur gouvernance actuelle ne permet pas de mener aucun combat important avec efficacité (à titre illustratif, je lui citai des exemples vécus qui semblèrent l’intéresser) ; etc. ». J’ajoutai que, pour faire le choix définitif de la Tunisie, j’étais prêt à fournir, dans les 15 jours, une analyse comparative des organisations similaires de : France, Allemagne, USA, Royaume-Uni, Italie et Japon. L’entrevue, prévue pour une heure, dura au moins le double, et le Général Escheikh me demanda d’attendre l’arrivée du major général pour commencer la note. En attendant, il me donna quelques courriers personnels en anglais qu’il avait reçus, en me demandant de leur préparer sa réponse dans la langue de Shakespeare (ce que je fis, d’ailleurs).
Mais cette « lune de miel » ne dura pas : 15 jours plus tard environ, le général Escheikh m’appela dans son bureau, pour me dire, en substance : « je renonce à créer un état-major général ». Il resta sourd à tous mes arguments, tous illustrés par les difficultés rencontrées lors de la récente opération « Gafsa » dont je fus acteur de la partie maritime (et qui, d’ailleurs, n’avait pas, comme d’autres avant elle, été débriefée).
Le général Escheikh, malgré ce genre de raisonnement à l’opposé du mien, m’a toujours conservé sa bienveillance. Je n’en veux pour preuve que ceci : plus tard, alors qu’il était notre ambassadeur à Paris, je l’appelai à l’aide parce qu’on venait de me voler un attaché-case avec tout mon argent et mon passeport. Il me demanda de prendre un taxi dont la course sera payée par l’ambassade. Il me délivrera un passeport et me remettra de l’argent, à charge pour moi de régulariser dès mon retour en Tunisie (cela ne se fit pas, car, entre temps, j’avais retrouvé mon attaché-case, mais cette mésaventure me prouva la classe de cet homme qui avait toutes les raisons de me détester).
Cet événement mit fin à ma vocation : je ne pouvais plus continuer à travailler avec ces gens, qui ne pensent que rarement, pour ne pas dire « jamais », à la mission régalienne des armées : « garantir l’intégrité du territoire national et la sécurité des citoyens » (et qui ne savaient pas tirer les leçons d’une crise très récente).
L’ALERTE - ENTREVUE AVEC FARHAT
Le samedi 26 janvier 1980, je me préparais à passer mon dernier week-end dans la Marine, puisque je devais, 6 jours plus tard, rallier la SOCOMENA à Menzel-Bourguiba (1er février 1980). J’acceptai donc l’invitation d’un ami de Tunis, qui offrait une soirée dansante chez lui et je m’y rendis non accompagné. La soirée se prolongea fort tard, et j’y suis resté parce qu’à l’époque on ne pouvait traverser en voiture le Canal à Bizerte que via un bac qui ne reprenait son service qu’à 06 heures (à ce propos, je me souviens avoir dit à mes amis que si la Marine avait repris le contrôle de ces bacs comme l’avait La Royale (voir le lien) cela faciliterait les opérations en temps de crise, puisque, notamment, le régiment de commandos, basé du côté de Menzel Jemil, au sud du canal, a la plupart de ses cadres habitant au nord du canal)
►Vers 05 heures du matin, mon copain me fit écouter « Médi 1 », station radio populaire bilingue (arabe-français) établie à Tanger (Maroc). Elle parlait d’une insurrection armée à Gafsa. Des individus armés, venant probablement de Libye, auraient pris une caserne. La station ne parlait pas de « terroristes » et ajoutait que « des navires de guerre français sont en route vers la Tunisie pour lui porter secours ». La station « Radio Monte Carlo » disait la même chose.
Ma décision fut prise sur le champ : la Marine tunisienne, malgré ses faibles moyens, devait être présente auprès de ces forces navales amies. Je verrai sur place de quelle manière cette coopération se fera.
►Je décidai d’appeler le Chef de Cabinet Kallel (je devais quitter la Marine dans quelques jours, or la mission pouvait être longue ; de plus, j’avais besoin d’un feu vert politique pour me joindre à ces forces navales amies), mais je ne réussis pas à l’obtenir (réunion avec le ministre). Au prix d’un mensonge que je lui fis, le standardiste me communiqua le numéro privé de Abdallah Farhat, notre ancien ministre.
Ce dernier ne dormait pas, mais s’étonna de mon appel. Il savait que j’allais quitter la Marine et me félicita de vouloir rendre service aux forces armées avant mon départ imminent. Quand je fus sur le point de raccrocher, il me dit brusquement : « Peux-tu venir me voir à Radès ? » Sur ma réponse affirmative, il me donna toutes les indications sur son adresse (sa rue était interdite d’accès, et, en tant que maire de Radès, il avait fait installer des panneaux « sens interdit » à chaque bout). C’est lui qui m’ouvrit la grille d’entrée, mais je déclinai son invitation à entrer (« il peut y avoir des micros chez vous et je suggère que notre entretien se passe dans la rue déserte »). Notre entretien se passa en devisant sur le trottoir, en faisant les 100 pas dans sa rue. J’ai gardé, pendant ce temps, une attitude respectueuse. J’étais en tenue civile, mes uniformes étant à Bizerte. Ci-après un résumé de l’entretien, lequel fut décisif pour la conduite des opérations, comme on le verra (j’ai oublié les termes exacts de notre échange, mais j’atteste de la véracité des propos échangés)
ENTRETIEN AVEC FARHAT (QUI PROMET D’AVERTIR LE MINISTRE)
L’entretien ne fut pas aisé, à son début, car j’avais beaucoup de résistance de principe : d’une part Farhat ne faisait plus partie du Ministère de la Défense (et donc je répugnais à répondre à des questions précises), d’autre part le Cabinet n’était pas prévenu. En outre, il pouvait être un comploteur, donc mon ennemi dans ce cas-là (il avait été exclu du Comité Central, mais je savais pourquoi). En revanche, il avait été Chef du Cabinet de notre président (Chef des Armées), fonction dans laquelle sa fidélité s’était révélée sans faille. Je savais, en outre, que par deux fois il avait proposé à Bourguiba de me nommer CEMAM mais sans succès (je doute qu’il savait que je le savais).
Mais ces difficultés de dialogue s’estompèrent vite : Farhat avait une vue très claire de la situation et son analyse rejoignait la mienne. De plus, il n’avait aucunement l’intention de se substituer au Ministre de la Défense (qu’il appelait « Si R’chid », en sabir tunisien).
Résumé de mes déclarations à Farhat :
►L’action de Gafsa est la conséquence d’une grave défaillance des services de renseignements : l’acheminement des terroristes (qu’il ne faut pas attribuer trop vite au voisinage de la frontière : les terroristes ont peut-être transité par nos ports ou aéroports, c’est tellement facile), ainsi que celui de leurs armes et munitions peuvent avoir été réalisés depuis le territoire tunisien. Il y a peut-être eu une quelconque complicité, mais cela reste inexcusable. Notre réaction doit, en conséquence, être planifiée en-dehors de ces services de renseignements.
►Le choix de la ville de Gafsa montre 2 choses : (1) tout le monde sait qu’en ces lieux la population est malheureuse, et qu’elle risque d’apporter son support aux terroristes (croyant y gagner) → isoler rapidement ces terroristes de la population en les fixant le plus rapidement possible par les moyens qu’on peut mobiliser, notamment garde nationale, et (2) l’attaque d’une caserne prouve la présence, parmi les comploteurs, d’au moins un militaire (soit au sein de notre armée d’active, soit ancien, soit parmi les terroristes)
►A ce stade, la Marine ne peut être d’aune aide : son Bataillon des Fusiliers Marins est parfaitement inefficace parce que très mal commandé (reproche que je fis à Farhat, responsable des nominations). Elle pourrait, cependant, servir de contact avec les forces navales amies qui sont annoncées (cela est même une nécessité : l’honneur du pays le veut)
►Une fois les terroristes fixés, les déloger par un commando spécial. Je ne vois que Bezzez du Régiment de Commando, car, à maintes reprises, j’ai eu l’occasion de l’apprécier. Le mettre à l’aise en lui donnant la direction de toute l’opération, moyens aériens inclus, et lui dire : « bousillez ces terroristes ». L’armée de terre peut rechigner, comme l’aurait fait le CEMAM dans mon cas. Il ne faut pas hésiter à passer outre aux objections de ces officiers qui ne se sont jamais préparés au combat.
►Il est possible, et même probable, que le comploteur en chef ait préparé d’autres Gafsa : caches d’armes approvisionnées et terroristes planqués. Se préparer, en urgence, à mettre en protection armée les bâtiments-cibles, et, surtout, ne pas déplacer toute l’armée pour avoir, toujours prêt un outil de réaction immédiate.
Résumé du discours de Farhat :
►Détrompe-toi, le rôle de la Marine est crucial. Comme toi, je ne crois pas que la Libye soit à l’origine de cet incident (même si certains de ses nationaux semblent impliqués). En effet, depuis toujours, Kadhafi sait que la Tunisie est une chasse gardée de l’occident, et ne se serait pas risqué à nous envahir, même si certains opposants tunisiens, accueillis en Libye, le lui demandent. Le problème peut être plus grave : le comploteur n’a entamé son action qu’après avoir eu le feu vert d’au moins l’un des pays européens concernés (France ou Italie, peut-être). Donc ces pays lui ont promis une aide. Laquelle ? En analysant les faits, on peut s’attendre à plusieurs débarquements de terroristes, les caches d’armes étant déjà organisées. La Marine devra empêcher cela, en évitant de nous fâcher avec nos amis européens. Ceci est la raison pour laquelle je t’ai demandé de venir. T’en sens-tu capable ?
En réponse, je lui dis :
►Capable, je ne peux le garantir, les moyens navals de la Tunisie étant ridiculement faibles par rapport à ceux de l’Italie, par exemple. En outre, les points potentiels de débarquement sont très nombreux sur toute la côte (qui est proche de l’Europe, ne l’oublions pas), sans compter que toutes les Marines de l’OTAN disposent des renseignements essentiels y relatifs, la Tunisie ayant autorisé leur reconnaissance systématique en 1968 (de toute manière les cartes précises de nos côtes, établies par le SHOM français, sont en vente libre). Le CEMAM m’ayant, systématiquement saboté pour le gréement des phares en sémaphores, et toutes les forces navales (garde nationale, pêche, douanes, etc.) n’étant pas coordonnées, il sera compliqué, pour ne pas dire impossible, de surveiller la totalité de ces lieux. Le programme d’acquisition des lunettes de vision nocturne vient à peine de commencer (mais il est probable qu’il sera abandonné après mon départ, nous ne sommes qu’à la phase d’évaluation).
De toute manière, je vous précise ceci : la Marine est une institution régalienne dont le 1er chef est le Président de la République, et elle n’exécutera que les ordres reçus selon la hiérarchie que vous connaissez bien, étant ancien ministre de la Défense (il me donna l’assurance qu’il coordonnera ma mission avec Rachid Sfar, et je pus vérifier directement son influence sur le Ministre de la Défense : lorsque je visitai le PC (enfin installé) au Ministère, les officiers m’assurèrent qu’ils avaient pour consigne de satisfaire en priorité les besoins de la force navale du Golfe de Gabès, voir plus loin)
Mais j’essayerai en utilisant au mieux le Droit International de la mer, pour que la Tunisie reste un état de droit, et le Ministère devra faire diligence pour adresser aux Affaires Etrangères les communications proposées par la Marine. Nous avons un seul avantage, et il est minime : l’OTAN ne s’attend à rien en mer de notre part.
Soit par incompétence, soit pour me saboter, ce qui est son occupation favorite, le CEMAM est en position de rendre ma mission difficile. Farhat peut-il intervenir auprès du MDN pour que mes navires soient rapidement ravitaillés en gazole et en munitions aux lieux que j’indiquerai, et que je puisse obtenir rapidement les transports aériens que je requerrai (je promis de ne pas en abuser) ? Farhat s’engagea et je vérifierai qu’il a tenu ses engagements, comme le lecteur verra ci-après.
Pour finir, je lui signalai que si la France ou l’Italie était impliquée, elles ne pourraient rien programmer sans avertir, au préalable, les USA, qu’elles savaient en position de détecter tout mouvement de navire en Méditerranée. En conséquence, si un Etat européen était impliqué, l’opération serait celle de l’OTAN (ce que je ne croyais pas, étant donné les liens d’amitié, malgré la récente mise à jour des stay behind en Norvège
Ce ne sera que dans les années 1990 qu’une commission parlementaire italienne établira que le recours au terrorisme fait partie de l’arsenal de l’OTAN, qui disposait de bases secrètes en Europe, où il gérait des saboteurs, dans le cadre de sa lutte contre le communisme,).
Je conclus en disant : « Je rejoins Bizerte immédiatement. Veuillez vous assurer que j’aurai un avion pour me transporter à Sfax dès demain matin, et que le MDN transmettra aux Affaires étrangères la suspension du passage inoffensif dans notre mer territoriale. C’est notre seule arme juridique si nous voulons rester dans la légalité internationale. »
Recommandation de Farhat
Même si tu as des preuves de l’implication d’un Etat occidental ami, garde l’information secrète et laisse aux politiques le soin de son utilisation. Remplis ta mission et adopte toujours la version officielle, même, et surtout, auprès de tes amis les plus proches.
Je quittai Farhat vers 06 heures. Je ne le revis jamais (il est mort en 1985, et est inhumé à Radès).
Nota important : j’avais oublié une chose fondamentale, que je regretterai amèrement en cours d’opération → comment contacter en phonie les casernes situées à moins de 20 km de la côte ?
ANALYSE DE LA SITUATION/PRISE DE DECISION
Chez moi à la Pêcherie, pendant que je mettais un uniforme kaki, j’étudiai avec attention les cartes (j’en avais un jeu qui m’aidait à prendre des décisions lorsque l’officier de suppléance me sollicitait par téléphone interne). Kallel était toujours injoignable.
Vu la période de l’année (nous étions en plein hiver) nous pouvons ne pas donner la première priorité aux plages du nord, dont l’accès ne pouvait être garanti. D’autant plus qu’une force navale amie se dirige vers le Golfe de Gabès, dont les plages sont accessibles toute l’année, cela fut claironné à maintes reprises. J’en déduisis, à tort comme on le verra, que la France (ou l’OTAN) avait déterminé des lieux de débarquement probables de terroristes formés en Libye (en fait c’étaient les lieux où la France/l’OTAN comptait déposer ses terroristes, mais je refusais d’y croire, malgré les déclarations de Farhat, étant convaincu que le danger venait de Kadhafi).
La Marine de l’époque était dramatiquement sous-armée. Les CEMAMs (l’ancien comme le nouveau), tous deux officiers dits « de marine » ne comprenant rien aux choses de la mer, faisaient, quand ils le pouvaient, des acquisitions nettement sous-armées : les plus « puissants » navires dont nous disposions étaient trois P 48 (Monastir, Bizerte et Horria), armés d’un canon de 40 mm antiaérien sans viseur (même pas le simple viseur Mark XIV développé au cours de la seconde guerre mondiale) donc vulnérables pour les avions (même lents). Leur système d’armes offensif était le SS11, filoguidé, conçu par Sud Aviation (ancêtre de l’Aérospatiale) en s’inspirant de l’ENTAC, antichar monté sur jeep. La Marine française n’homologua pas ce système après plusieurs essais à l’île du Levant et à Djibouti, car elle lui reprochait les contraintes insurmontables occasionnées par le mouvement du lanceur (pilote à bord du navire) et/ou du navire dans certaines conditions de mer (que j’établis durant mes sorties en mer) Malgré cette contrainte, le missile tiré représentait un danger pour un navire de surface ou pour une cible terrestre en portée et visible puisque le missile (durée de vol max = 30 s) était l’équivalent d’un obus de 183 mm à charge creuse.
►►Il est évident, pour le lecteur, que le pilote du missile est un homme-clé : cette spécialité devrait être réglementée et rendue attrayante pour les marins, leur offrant, s’ils remplissaient les conditions, une bonne carrière dans la Marine. En outre, notre volonté de maîtrise de la maintenance exigeait que la spécialité électricien d’armes (appellation française) soit encouragée et mieux entraînée. Le CEMAM, soit directement, soit en utilisant les autres Chefs de Bureaux (tous dévoués parce qu’ils lui devaient leur poste qu’ils étaient loin de mériter) m’empêcha de rentabiliser la puissance de frappe de la Marine (i.e. : Le Chef du Bureau du Personnel refusa, avec l’appui du CEMAM, de réglementer la spécialité de « missilier », avec statut favorable des « missiliers-pilotes »).
►Je pus, quand même, créer un « Service Electronique » en groupant les meilleurs électroniciens disponibles (formés en France), à la tête duquel je mis celui qui présentait les meilleures garanties : l’EV Touzri, qui maîtrisait l’électronique du RADAR. Mais le CEMAM trouva le moyen de saboter l’affaire : il envoya Touzri en stage aux USA (sachant que je ne pouvais pas m’y opposer, car cela aurait privé un jeune officier remarquable d’un séjour payé aux USA) pour suivre un cours de navigation (il eut même l’outrecuidance irresponsable de me proposer ce cours, inférieur à celui de l’Ecole navale, mais ceci est une autre histoire qui éloignerait du sujet du présent article).
►En me rendant à l’état-major de la Marine, ma décision était déjà prise : concentrer tous nos efforts sur le Golfe de Gabès à partir de Sfax, où la Marine avait une base navale (j’avais pour cela un bon motif : accueillir la force navale amie, laquelle déclarait ouvertement qu’elle se dirigeait vers le Golfe de Gabès). Le commandant de la Base Navale de Sfax (BNS) était le LV Haddad, protégé du CEMAM.
►J’expliquai mon plan au CEMAM : je prendrai en charge toute la côte au sud de Ras Kapudia, toutes les autres unités devant être déployées dans la partie nord avec cette exigence : affecter le baliseur au tronçon Ras Dimas-Ras Kapudia (le pacha, MP Grissa, excellent marin, avait ma confiance). Faire un ordre d’opération en me nommant à la Direction des trois P48 (Monastir, Bizerte et Horria). Interdire le passage inoffensif dans notre mer territoriale, comme le prévoit le droit international, éditer les consignes de comportement à l’égard des contrevenants.
Je vis l’effet Farhat : le CEMAM, contrairement à son habitude, me laissa tout préparer et signa tous les documents que je lui soumis : message au CEMAA pour me transporter par avion militaire le lendemain matin à Sfax, projet de lettre au Ministère des Affaires étrangères pour la suspension du passage inoffensif dans notre mer territoriale (doublé par message vu l’urgence), ordre d’opération constituant une Task Force composée de Monastir, Bizerte et Horria sous mon commandement, messages à ces 3 navires leur enjoignant de rallier la BNS au plus tard le lendemain à 11 heures.
Dès réception du message d’accord du MDN quant à la suspension du droit de passage inoffensif (j’y reconnus la « patte » de Farhat, parce que MDN ne posa aucune question), je rédigeai, en anglais, pour l’Espagne, coordinateur pour la zone NAVAREA III (Méditerranée) un AVURNAV (avis urgent aux navigateurs) signalant cette suspension officielle et prévenant les navires « qu’ils seraient seuls responsables des conséquences de toute violation, quelle que soit le motif de la dite violation »
Puis je rédigeai, à l’intention de chaque navire, les consignes à appliquer en cas de violation, avec toutes les précisions nécessaires (car je savais que le droit de la mer était un point faible de nos marins).
Je ne quittai le PC qu’une fois assuré que l’AVURNAV ait été retransmis normalement (je l’avais également communiqué à Tunis Radio, qui recevait régulièrement tous les AVURNAV de notre part, la Marine étant l’autorité maritime
Tunis Radio (relevant du Ministère des Télécoms) jouait correctement le jeu : elle disait poliment à tous ceux qui voulaient annoncer quoi que ce soit, qu’elle ne retransmet que les AVURNAV qui lui sont communiqués par la Marine. Ceci mit fin à la confusion régnante, entretenue par l’Office des Ports et la Direction des Hydrocarbures. Le registre des AVURNAV était remarquablement tenu par un QM fourrier, Ben Hissi, dont j’ai gardé le meilleur souvenir. )
Avant de quitter mon bureau, j’ordonnai que les équipements de vision nocturne (échantillons en cours d’évaluation) soient empaquetés en vue de leur transport vers Sfax dans l’avion que je prendrai le lendemain.
►Le lendemain, je fus accueilli au petit aéroport de Sfax par le LV Haddad dans sa voiture. Je lui reprochai de n’être pas armé, en lui montrant mon pistolet chargé dans son ceinturon réglementaire. Je lui demandai de passer, avant d’arriver à la caserne du 15 juillet 1881
Le nom de cette base commémore le sacrifice des Sfaxiens qui résistèrent vaillamment aux troupes coloniales qui voulaient s’installer à Sfax après la signature du Traité du Bardo, à la gare, au gouvernorat et à l’ensemble portuaire (dont le fameux « chatt el krakenna », grouillant de pêcheurs tranquilles, dont certains se montrèrent amicaux à mon égard, car ils m’avaient rencontré en mer ou avaient bu un café à bord du P202 lors de mes accostages au port de pêche). Il me fallait, en effet, m’assurer que l’UGTT ne faisait pas partie du complot (autrement mon plan aurait été différent). Arrivé à la base, j’inspectai le dispositif de protection, conçu parfaitement par le Maître fusilier Cheikh, à qui je rends publiquement hommage dans le présent récit.
►Le Golfe de Gabès
Le Golfe de Gabès a toujours été quasi-ignoré dans la Marine. Preuve : le commandant de la BNS n’a jamais été un officier brillant, il ne connaissait pas les côtes du sud (de Ras Kapudia à Ras Ajdir) et ne faisait aucun effort pour les reconnaître ou s’intégrer à la population (laborieuse et ayant le meilleur potentiel maritime du pays → les insulaires de Kerkennah aimaient réellement la mer et avaient des traditions maritimes intéressantes, qu’aucun commandant de BNS ne vit ou n’exploita). Bref, les Kerkenniens connaissaient le Golfe de Gabès mieux que la Marine, et rares sont les commandants de nos petits navires qui ont osé embouquer le Canal de Kerkennah, bras de mer séparant l’archipel du continent (bien cartographié par le SHOM français). J’étais conscient de cette situation et j’en souffrais au fond de moi-même. A ce propos, je me permets de relater, pour la première fois, une situation avilissante vécue : j’étais le commandant du Sakiet Sidi Youssef et je revenais d’une croisière qui nous emmena jusqu’à Venise (Italie), le CEMAM de l’’époque (CV Jedidi) étant à bord. J’avais prévu un exercice de nuit au profit des 2 P48 (Bizerte et Horria) qui devaient m’intercepter pour m’empêcher de pénétrer de nuit dans le Golfe de Gabès. L’exercice était commencé lorsque le CEMAM (neutre selon l’exercice) me rejoignit à la passerelle et demanda où nous étions. Quand il apprit que l’exercice avait commencé et que le Sakiet était dans le Canal de Kerkennah pour tromper les P48 qui devaient être en train de patrouiller au nord de Jerba pour m’intercepter, il devint blême et me menaça de me relever de mon commandement si je ne rebroussais pas chemin immédiatement. J’eus beau lui montrer la carte, mes calculs prévisionnels de marée, et les indications du sondeur en fonction, rien n’y fit. Je n’eus gain de cause que parce que je lui dis : « Commandant, le Sakiet est dans le cadre d’un exercice fixé dans un Ordre d’Opération, signé par vous, qui précise que vous devez rester neutre. Si, en tant que supérieur, vous jugez le commandant inapte, relevez-moi de mon commandement en notant le fait sur le journal de bord. Tant que vous n’aurez pas fait ainsi, je continue ma manœuvre » Le CV Jedidi regagna sa cabine d’où il ne ressortit qu’après notre accostage victorieux à la BNS (il n’assista pas à la séance de débriefing et quitta Sfax par la route lorsqu’il apprit que les trois navires devaient, pour leur retour à Bizerte, embouquer le Chenal Louza, portion la plus profonde du Canal de Kerkennah).
►Cette situation ne pouvait résoudre un problème important qui se posait à moi : assurer une surveillance étanche du Canal de Kerkennah (les terroristes pouvant provenir soit du large, Malte ou les Iles Pélagie, par exemple, soit des Iles Kerkennah elles-mêmes, si une fraction de l’UGTT était impliquée dans le complot
Il était bien connu, à l’époque, que les Kerkenniens contrôlaient l’UGTT, dont le Secrétaire général, Habib Achour (aujourd’hui décédé) venait d’être libéré par Bourguiba (durant son emprisonnement une chaîne de solidarité kerkennienne s’était montrée très efficace)) : le commandant de la BNS, outre ses capacités personnelles douteuses, ne disposait pas de moyens navals adaptés. En outre, je ne pouvais donner de mission supplémentaire au Maître Cheikh, seul garant de l’intégrité de la BNS contre toute attaque terroriste. La solution ne pouvait provenir que des Kerkenniens eux-mêmes, et je décidai d’en faire le pari. Je savais, en effet, que le commandant du port de Sfax (Azzabou) était un Kerkennien fort respecté, mais son chef direct, le Directeur du port commercial de Sfax (dont le nom m’échappe aujourd’hui) refusait de coopérer avec la Marine (preuve supplémentaire de l’inefficacité du cdt de la BNS). Je décidai de « prendre le taureau par les cornes » et appelai le Gouverneur de Sfax (pour l’obtenir au téléphone j’ai dû élever ma voix auprès de son standard « ici le colonel Sahbani du Ministère de la Défense nationale et je veux, d’urgence, parler à M. le Gouverneur »). L’entretien fut extrêmement cordial, surtout lorsque je lui confirmai qu’il restait Chef de toute l’administration du gouvernorat (je n’en savais rien, mais ce mensonge servait mes intérêts). Nous convînmes :
Rien de changé à la situation actuelle, la Tunisie répondant à une attaque terroriste à Gafsa. Les Gouverneurs restent les représentants du Gouvernement, et doivent prendre des mesures préventives, en coordination avec les services compétents.
Le Gouverneur de Sfax ordonne à l’OPNT Sfax (aujourd’hui OMMP Sfax) d’assurer la surveillance du Canal de Kerkennah en coordination avec le commandant de la Base navale.
Sur mon conseil, il accepta que la sécurité du gouvernorat et de la gare, très proche, ne soit assurée que par des policiers ou des gardes nationaux, armés, balle engagée (n’ayant pas de personnel militaire à détacher).
Je transmis cet accord verbal au MDN et au CEMAM, en expliquant que seul l’OPNT avait les moyens de surveiller le Canal de Kerkennah (je vérifierai plus tard que Azzabou fut à la hauteur de cette tâche ingrate). J’ajoutai que la BNS fournirait des militaires armés sur les embarcations de surveillance de l’OPNT. Ce jour-là (28 janvier), j’appris que la population de Gafsa ne s’était pas soulevée et que les terroristes étaient encerclés.
►.Horria étant en retard sur l’horaire (son commandant, l’EV1 Boudriga, étant jeune inexpérimenté, devait probablement faire le tour de Kerkennah au lieu de passer à terre de l’archipel), je décidai d’appareiller sans l’attendre pour ne pas rater la flotte amie dont le HPA (HPA = Heure Probable d’Arrivée) à l’entrée Est du Golfe était estimée par moi (j’étais sur le Monastir, commandé par l’EV1 Triki). Je rencontrai Horria dès la sortie du chenal du port de Sfax et Triki manœuvra pour lui remettre, sous pli fermé l’ordre d’opération. Sous mon commandement, la flotte des 3 P48 se dirigea vers l’entrée orientale du Golfe de Gabès. Juridiquement, notre Task Force était dans les eaux intérieures et se dirigeait vers la ligne de base droite de fermeture du Golfe entre Jerba et Ras el Besh, pointe sud de l’archipel Kerkennah. Le meilleur des commandants de P48 était sur le Bizerte, EV1 Bouhaouala.
Précision pour les midships :
Depuis 1973, un décret-loi fixait la largeur de la mer territoriale à 12 N, comptée à partir des lignes de base fixées entre Ras Kapudia et un point de Jerba. Tout point de mer situé entre cette ligne de base et la côte est sous le régime des eaux intérieures (la mer territoriale est donc au-delà de cette ligne de base). La seule différence juridique entre eau intérieure et mer territoriale est que dans cette dernière les navires y jouissent du droit de passage inoffensif. Mais l’état riverain a toujours le droit de suspendre ce droit à condition que cette suspension ne soit pas discriminatoire, ce que la Tunisie venait de faire en lui donnant une publicité suffisante.
Remarque : le tracé des lignes de base est erroné. Ces lignes s’appuient sur des points dans l’eau au lieu de points émergés. Lorsque le décret a paru, je signalai cette anomalie au CEMAM (Jedidi), qui n’a pas voulu prévenir le Ministre (sans doute pour ne pas se renier car ce ne peut être que lui qui a donné son feu vert à la promulgation du décret). Cette anomalie dure encore, en 2017.
►FORCE NAVALE POUR ASSISTER LA TUNISIE FACE A LA LIBYE, DITES-VOUS ?
Les premières unités de guerre étrangères que j’aperçus dans la mer territoriale furent : la corvette française « l’Aconit » et un destroyer-escort de l’US Navy (dont le nom m’échappe).Je les signalai aussitôt par message « flash
FLASH (Z) est réservé aux messages de contact ennemis initiaux ou aux messages de combat opérationnels d'extrême urgence. La franchise est obligatoire. Les messages FLASH doivent être traités aussi rapidement que possible, avant tous les autres messages, et le temps de traitement en station ne dépasse pas 10 minutes. Les messages de priorité inférieure sont interrompus sur tous les circuits impliqués jusqu'à ce que la manipulation des messages FLASH soit terminée (Wikipedia). » au CEMAM et au MDN (je ne reçus la réaction – du CEMAM uniquement - que 24 heures plus tard, alors que la situation avait évolué, comme on le verra, sous forme d’un message laconique : « forces amies »)
Donc, pendant cette phase cruciale, le commandement était défaillant (ce qui me rappela un événement s’étant produit 2 ans plus tôt : le 26 janvier 1978. Pour assister le Gouverneur de Bizerte, le Commandant d’Armes (qui était le CMAA) avait requis le détachement de militaires armés qu’il mit sous l’autorité du Major de garnison (CF B’chir, aujourd’hui décédé). Comme la Marine avait détaché une compagnie de fusiliers, je mis sous haut-parleur, dans mon bureau, la fréquence de travail du Major de garnison. J’entendais ainsi les échanges avec toutes les unités armées en place, ainsi que les PC du Major de garnison et du CMAA. A un moment donné, un adjudant chef de groupe signala une situation critique à la raffinerie STIR, et demandait l’autorisation d’ouvrir le feu. Les deux PC restèrent sourds à ses appels, et il ne reçut aucune réponse à ses demandes. Devant cette situation critique, je pris l’initiative d’appeler moi-même l’adjudant en lui demandant de me passer le chef des manifestants à qui je dis : « si vous continuez à menacer les militaires, ils seront obligés d’ouvrir le feu, ce qui risquerait de produire des dégâts à la raffinerie et à son voisinage. Vous ne pourrez alors que vous blâmer vous-mêmes, étant à l’origine d’une catastrophe dont les effets seront : morts et grands brûlés ». Convaincus, les manifestants se retirèrent de la raffinerie. J’en fis un rapport au CEMAM, au CMAA et au Major de garnison, qui refusèrent, comme d’habitude, de débriefer l’opération).
Dès qu’ils reconnurent la force navale tunisienne, les deux navires changèrent de caps, bien que j’eus le temps d’évaluer leurs routes initiales (avant leur changement de route, la corvette mettait le cap vers Oued el Akarit et le destroyer-escort vers Thyna) tout en restant dans la mer territoriale.
Je devais me conformer à l’ordre d’opération, que j’avais rédigé la veille et qui, signé par le CEMAM, devait être au MDN (au PC), et je cherchais dans quel navire se trouvait l’officier qui commande cette flotte amie. Ne voyant aucun signe distinctif (pas de guidon ou pavillon caractéristique), je décidai que c’est sûrement la corvette française Aconit qui avait le leadership. Je remontai cette corvette en la saluant de façon réglementaire (sifflet ordonnant le salut par bâbord) qu’elle me rendit. J’obtins le contact avec elle sur canal 16 (fréquence phonie internationale) et c’est moi qui tenais le micro (j’avais eu plusieurs Bravo Zulu lors des examens de transmission à l’Ecole navale française, et je ne voulais pas mêler Triki, formé en Turquie, à cet échange entre autorités). Tout en la remontant je l’observais intensément aux jumelles, et je reconnus un ancien camarade de classe à l’Ecole de Détection, auquel je fis un signe amical auquel il répondit (je le vis se pencher à l’oreille d’un officier, et j’en déduisis qu’il devait lui parler de moi).
Echanges avec la corvette Aconit :
« La Marine tunisienne vous souhaite la bienvenue, et vous confirme qu’elle est disposée à travailler avec vous. Avez-vous quelque chose pour moi ? Si c’est trop volumineux, je peux vous accoster pour recueillir la documentation »
« - Nous vous remercions pour cet accueil amical. En réponse à votre question, veuillez patienter »
J’en déduisis, à tort comme cela s’avérera plus tard, que l’Aconit devait consulter un supérieur (peut-être le porte-avions Clémenceau) avant de poursuivre la conversation. L’Aconit me fit attendre plus d’une demi-heure, puis me dit :
« Je n’ai rien pour vous actuellement. Restons en contact. Terminé »
Ainsi donc, cette force navale amie refusait de coopérer avec la Marine du pays qu’elle était censée soutenir contre son voisin. Inquiétant, pensai-je, voyons l’unité américaine.
Je dis, en conséquence, à l’Aconit : « Avez-vous connaissance de l’AVURNAV relatif au régime de la mer territoriale ? ». « Affirmatif », fut sa réponse. Je lui précisai alors : « Nos navires ont ordre d’ouvrir le feu sur tout navire en infraction qui n’obtempère pas au premier coup de semonce, et ce, dans tous les cas de figure ». (En réalité, les navires militaires avaient un traitement différent, mais je me suis bien gardé de le lui dire, vu sa fin de non recevoir, voir plus loin)
►Puis je me dirigeai vers le D-E de l’US Navy qui était plus au sud, à qui je demandai carrément l’autorisation de l’accoster, ce qu’il m’accorda tout de suite. Rendu seul à bord, je fus accompagné vers la passerelle où m’accueillit le commandant avec un large sourire. Celui-ci m’indiqua qu’il était attendu au port de Sfax où il devait commencer une visite officielle. « Je sais » répondis-je (un mensonge, car le LV Haddad ne m’avait pas prévenu, étant habitué avec la détestable méthode favorite du CEMAM, la « culture du secret » à l’égard de ceux qu’il jugeait ne pas être de son bord, créant ainsi des « clans », de façon préjudiciable). Il était en avance et devait perdre du temps avant son escale à Sfax, ajouta-t-il. Il était difficile de le croire, sachant qu’une Marine qui se respecte (l’US Navy) ne pouvait laisser un navire sans programme plus d’une demi-journée, mais je fis semblant de « marcher ». Je demandai une séance de travail. Celle-ci eut lieu au Central Opérations (sans doute, penserai-je plus tard, pour m’éloigner de la passerelle où beaucoup de haut-parleurs « dégueulaient » les communications tactiques des navires et aéronefs). J’avais, en face de moi, deux « officiers de marine » qui n’avaient pas l’air de l’être (mais ce n’était peut-être qu’une impression, pensai-je). J’établis avec eux une ligne et un code de communication (« terroriste » était codifié « bad guy », par exemple). Finalement, ils me demandèrent QUI j’étais. Je répondis : « quand vous saurez qui je suis, vous prendrez conscience que la Marine tunisienne manque d’officiers ». Mon titre me valut un meilleur traitement lorsque je quittai le navire (garde armée pour me rendre les honneurs en tant que Assistant to Chief of Naval Operations, Tunisian Navy). Avant de partir, j’autorisais le DE à pénétrer dans le Golfe de Gabès où il pouvait mouiller à tout endroit choisi par lui jusqu’à la date de sa visite officielle au port de Sfax.
►Revenu à bord du Monastir, je constatai l’absence de l’Aconit. Elle avait quitté l’entrée Est du Golfe de Gabès en se dirigeant vers le Nord, ce qui me fit réfléchir longuement (étant donné que pour les commandants, l’ennemi était la Libye, cette réflexion fut solitaire. Il était, en effet, hors de question de parler de l’éventualité soulevée par Abdallah Farhat).
INDICES RENFORÇANT L’HYPOTHESE « FARHAT »
La Force navale n’est pas adaptée. En effet, l’Aconit est une corvette ASM avec sonar remorqué (mise en œuvre lourde) ; or le danger sous-marin est nul, la Libye n’en disposant pas (à moins qu’elle se soit assurée du soutien de l’Egypte et/ou de l’Italie, ce qui est fort improbable, les conditions internationales étant très différentes de celles de la guerre d’Espagne : l’OTAN, ou similaire, n’existait pas à cette époque). Par contre, l’Aconit peut très bien transporter des terroristes et elle se dirigeait vers Oued El Akarit lorsqu’elle fut interceptée par notre force navale. Où sont les troupes sensées s’opposer, sur la terre, aux troupes libyennes ? Et nous n’avons identifié aucune activité aérienne. Non, cette flotte n’avait pas de caractère offensif.
La fin de non recevoir aux offres de coopération de la Marine tunisienne. Tout s’est passé comme si l’Aconit ne s’attendait pas à cette offre (preuve : le délai pour lui répondre, puis la réponse négative).
Le comportement des navires français et US. L’Aconit, quand elle se rendit compte que la Marine tunisienne bouclait le Golfe de Gabès préféra se retirer ostensiblement (pourquoi ?). En outre, la justification de la présence du DE US n’est pas convaincante. Continuons à faire les imbéciles et attendons les manœuvres du DE avant de nous fixer définitivement.
► PROBLEME POSE
Je devais rendre compte intégralement de la situation et faire des propositions justifiées. Or j’avais un commandement qui a mis 24 heures pour réagir à mon message FLASH. De plus, cette réaction était sibylline et ne comportait aucune instruction. Heureusement, l’Ordre d’opération était clair : coopérer avec les navires amis et s’opposer à tout débarquement illégal, et j’ai agi, et continuerai à agir dans ce sens.
D’un autre côté, j’étais certain que TOUTES les communications étaient interceptées, et ne pas le supposer serait une méconnaissance dramatique de l’histoire (nous ne devons pas oublier le rôle déterminant de l’écoute dans la Bataille de Midway en juin 1942
A l’Ecole navale, j’avais fait une communication à toute la promotion sur cette bataille, qui fut bien appréciée par le professeur d’histoire navale). Notre avantage unique est la conviction de l’ennemi que nous étions une marine faible → nous devions le laisser croire pour profiter de ses « erreurs » éventuelles et il ne faut rien faire qui puisse le faire changer d’opinion. Or les messages de compte-rendu, et nos propositions justifiées (interceptés d’office) risquent de lui mettre la puce à l’oreille. Je fis donc le pari que nous étions écoutés en temps réel.
Pourquoi l’ennemi voudrait-il débarquer d’autres terroristes ? La réponse était évidente (cela été vu par Farhat) : pour créer d’autres Gafsa, et entraîner la population (des villes attaquées) dans la sédition.
►LE PLAN DE LA MARINE
Il fallait maintenir la fiction (qui restait toujours une possibilité) que le danger venait de Libye (mais, au vu de la composition de la force européenne, il semblait que l’OTAN n’y croyait pas). En conséquence, je décidai de limiter mes actions comme si ce danger venait de Libye, qui se serait assurée du concours de Malte (les relations Kadhafi-Don Mintoff étant de notoriété publique) et, peut-être, de la mafia italienne. Je répétais à Triki que les terroristes pouvaient provenir de Malte, Sicile et les 4 îles italiennes du Canal de Sicile (Pantelleria, Linosa, Lampedusa et Lampione). Leurs lieux de débarquement pouvaient être n’importe où, mais nous donnons la priorité au Golfe de Gabès étant donné leur effet recherché (Sfax et, peut-être, Gabès étant leurs cibles prioritaires).
Le doute sera levé lorsqu’on observera le comportement du D-E de l’US Navy. Je dois donc ne pas le perdre de vue. Il s’est d’ailleurs dirigé vers la pointe Thyna (voir carte ci-contre) où il resta mouillé jusqu’à la fin des opérations.
Ce point permet la surveillance RADAR des deux entrées du Golfe de Gabès (Canal de Kerkennah au Nord et ouverture Kerkennah-Jerba à l’Est). Le choix de cette position montre un mépris caractérisé de la Marine tunisienne.
Pour conforter l’OTAN dans son appréciation, il suffisait de ne rien changer à la routine, en lui laissant croire que nous sommes idiots, comme il le savait déjà. Exemple : durant son mouillage, aucune vedette n’a visité ni même signalé le destroyer (alors que BNS disposait de 3 vedettes que LV Haddad a laissées à quai, par pure carence, ce qui, pour cette fois, me satisfaisait)
Pour le convaincre que le Canal de Kerkennah était bien surveillé, j’ai fait plusieurs incursions pour « réveiller » les barcasses de Azzabou
►Le 28, en fin d’après-midi, l’EV1 Triki m’apprend que la conduite de tir SS11 du Monastir était en panne (bouton de tir inopérant) depuis une semaine. « C’est grave », lui dis-je « le Monastir ne peut tirer aucun missile et tu ne dis rien, alors qu’il y a une note qui précise que tu dois prévenir l’état-major immédiatement ». Il m’expliqua que, moi une fois parti, tout le monde savait que ce type de note ne serait plus appliqué. Or je devais quitter la Marine le 1er février. Encore un échec, pensai-je., puisque la mentalité de ne jamais penser au combat, que je croyais limitée aux grades supérieurs, touchait aussi les juniors,
J’adressai un message « urgent opérations » réclamant l’envoi, par avion spécial, d’un dépanneur du service électronique, muni d’une trousse complète et de la documentation ad hoc.
Le 29 au matin, nous primes rapidement à la BNS le SM1 Slaiem (arrivé par avion, ce qui me conforta sur le rôle de Farhat) qui devait, absolument, faire ses réparations en mer car le balayage du Golfe de Gabès devait ne pas cesser (il fallait continuer à alimenter l’intox). Au bout d’environ 2 heures, Slaiem me dit que le système était irréparable (tout était dans labri de navigation, où était situé le poste de pilotage des missiles). Courroucé, je repris tous les contrôles, opération à laquelle j’essayai d’associer Triki, mais je dus le libérer pour que Slaiem ne s’aperçoive pas de la pauvreté de ses connaissances en électronique. J’identifiai le bloc en panne (que Slaiem avait déjà repéré). Il me dit que cette panne était déjà arrivée au Monastir et qu’ils durent envoyer ce bloc en réparation en France (Aérospatiale). Comme nous disposions du plan électronique de ce bloc, j’ordonnai son ouverture (ce qui, visiblement, déplaisait à Slaiem, mais je passai outre). Le contrôle établit qu’un relai de retard se fermait correctement mais n’assurait plus la continuité électrique nécessaire. En poussant plus avant nos investigations, nous constatâmes qu’au lieu de le remplacer, l’Aérospatiale avait conservé le même relai en utilisant son deuxième contact, qui était libre (autrement dit, l’atelier de l’Aérospatiale avait effectué une réparation de fortune, ce qu’il n’aurait pas dû faire, et notre Service Electronique – privé de Touzri – ne s’en était pas aperçu). .
Où trouver un relai de rechange ? Slaiem m’assura qu’il n’existait pas en stock et qu’il était peu probable de le trouver sur le marché. Vais-je être condamné à diminuer d’un tiers mes capacités offensives (déjà médiocres, comme vu ci-dessus, voir page 9) ?
A quoi sert ce bloc dans le circuit de mise à feu ? L’analyse montra qu’il rendait le missile inopérant les 300 premiers mètres, ce qui veut dire que si, dans les 300 premiers mètres, il rencontrait une vague, par exemple, il n’exploserait pas. Je n’avais plus le choix : il fallait retirer ce bloc du circuit en prévenant le commandant de cette nouvelle contrainte : le missile est actif dès sa sortie de la rampe de lancement (d’un autre côté, cette contrainte permettait les tirs « à bout portant »). Sur mon ordre, Slaiem fit les montages nécessaires et nous le déposâmes à la BNS avec les remerciements d’usage.
Cet incident me rappela une dissertation de l’Ecole navale dont le sujet était : « Officier ou Ingénieur ? »
►SITUATION LE 29 JANVIER 1980
N’ayant pu soulever la population à Gafsa, les terroristes ont rompu le combat et fuient dans les environs de la ville
N’ayant pu débarquer d’autres terroristes et attaquer d’autres villes, celles-ci (dont Sfax, Gabès et Médenine) sont calmes
Le comploteur est assisté par l’OTAN qui cherche à débarquer des terroristes et à les mener vers les caches d’armes, puis, peut-être, vers leurs cibles. Ces points de débarquement sont, à coup sûr, dans le Golfe de Gabès. Mais il est gêné par une Task Force qui bloque les 2 accès du golfe.
►Intentions de la Task Force tunisienne
Faire croire à l’OTAN (son commandement régional, Navsouthcommand, étant basé à Naples) que la Marine tunisienne est à l’image de son chef : brouillonne, non professionnelle et inefficace
Ne jamais montrer que la Task Force tunisienne a une idée sur le point de débarquement (le plus probable : TRAPSA
Les liens d’Elf-Aquitaine, copropriétaire de la TRAPSA, avec les services français étaient un « secret de Polichinelle ». Le site de La Skhra était dirigé par un Français, qui avait le titre de « Directeur Technique », couverture habituelle des « honorables correspondants » en Afrique. , près de Skhira, où les services français avaient au moins un « honorable correspondant » ainsi qu’un service de bus quotidien vers Sfax et Gabès).
La Task Force sait que tout le trafic transmission est écouté en temps réel (y compris, et surtout, sa liaison tactique). En conséquence, ne rien transmettre qui puisse alerter Navsouthcommand. En particulier, lui faire croire que le blocage du golfe est un fait du hasard, et non une action concertée (pour cela, j’étais aidé, involontairement, par les actions/inactions du commandant de la BNS)
►Contraintes
Coopération avec l’Armée de l’Air = nulle (un survol biquotidien aurait été le bienvenu)
Coopération avec les forces terrestres = inexistante (si je repère un débarquement, la chasse ne se serait organisée que trop tard. De plus, impossibilité d’organiser un « cueillage » de terroristes sur une plage)
CONCLUSION : nous étions dans une « guerre d’usure », l’initiative étant laissée à Navsouthcommand.
►►L’ERREUR DE NAVSOUTHCOMMAND
Le 29 janvier, le plan des comploteurs semblait marquer le pas : la population de Gafsa ne s’était pas soulevée, bien qu’elle fût opposée au gouvernement en place et que certains moyens aient été mis en œuvre par les terroristes, tels que : armes/munitions pour les volontaires et station radio puissante « Ici Gafsa » avec émissions quotidiennes. Il fallait, pour le comploteur, accélérer la mise en place de la deuxième phase du plan, que, contre toute attente, la Marine empêchait (puisqu’elle gênait le débarquement discret de terroristes dans le Golfe de Gabès, destinés à « allumer » Sfax ou Gabès, et, de ce fait, empêchait sa réalisation).
Fallait-t-il changer de tactique ? Si oui, par exemple changer les plans d’attaque en modifiant l’acheminement des terroristes, reviendrait à perdre le « bénéfice » de Gafsa, alors que la Marine prouve actuellement son absence de professionnalisme. Il fallait exploiter les points faibles de cette Marine et débarquer les terroristes.
Un plan fut imaginé, qui faillit réussir, sans les conditions RADAR cette nuit-là.
►Alors que la Task Force tunisienne entamait son balayage de la soirée, qui devait l’emmener vers l’entrée Est du Golfe de Gabès, je reçus du destroyer US, silencieux jusque là, un message d’alerte : « Skunk (mot-code pour « navire non identifié ») à telle position ». La position communiquée plaçait le skunk devant Ras Kapudia, à l’entrée Nord du Canal de Kerkennah.
J’étais le seul à disposer de cette information (je n’avais pas jugé utile de communiquer la fréquence aux autres navires, ni même à la Marine, les commandants étant encore au stade élémentaire de leur formation et ne pouvant maîtriser la veille surface telle que pratiquée dans une grande Marine depuis la seconde guerre mondiale)
Il y avait trois possibilités (bien que le destroyer soit en droit de se prévaloir, après coup, d’avoir confondu l’écho du baliseur avec celui d’un skunk) :
Le skunk voulait forcer le Canal de Kerkennah, et, dans ces conditions, il n’était pas militaire et transportait des terroristes
Skunk ou pas skunk, le DE (donc Navsouthcommand) voulait que la Task Force laisse libre l’ouverture Est par où passerait un navire acheminant des terroristes. En effet, là où elle était, il aurait été naturel qu’elle se dirigeât vers le Canal de Kerkennah
La position était fausse (skunk hypothétique) et n’avait pour but que de fixer la Task Force loin d’une zone « intéressante »
►Quoi qu’il en soit, il fallait agir de la façon à laquelle s’attendait le PC de Navsouthcommand. Aussi : (1) j’envoyai un message « à tous » (y compris l’état-major, car j’espérais que ce dernier y mettrai son grain de sel habituel, ce qu’il ne fit pas, voir plus loin), (2) je faisais rechercher la vedette (introuvable
Epuisé, le patron, seul navigateur de la vedette, avait accosté à Mahdia. Je regrettai de n’avoir pas renforcé toutes les vedettes avec les élèves de l’Institut Naval, mais bien que j’y avais songé, les relations du CEMAM avec le commandant de l’Institut, qui ne dépendait pas de lui, étaient détestables (il y avait de quoi : le CEMAM était la négation de ce qui était enseigné à l’Institut)) dont c’était le secteur et (3) je prévins la BNS qui était censée alerter Azzabou (avec qui je n‘avais pas le contact).et le baliseur Mais je ne changeai rien à la routine : continuer à faire le balayage du golfe en progressant vers l’Est. Sur la route, je prévins ostensiblement BNS (et la Marine, mais ces messieurs ne travaillaient pas la nuit, fidèles à une détestable habitude, alors que nous étions en alerte) que la Task Force se dirigerait vers Ras Kapudia en contournant les Kerkennah par le nord-est. J’espérais ainsi avoir convaincu Navsouthcommand que la Marine tunisienne allait abandonner (pour au moins 5 h) sa surveillance de l’entrée Est du Golfe (ce n’était pas dans mes intentions, loin de là)
►Les conditions RADAR étaient remarquablement bonnes : on reconnaissait aisément l’archipel de Malte et je laissai l’indicateur RADAR de façon à l’avoir en vue en permanence (je craignais, en effet, la présence d’un navire, chargé de terroristes, à l’affut pour pénétrer dans le golfe dès que son entrée Est était laissée vacante).
Pour prévenir cette éventualité, j’ordonnai à Bizerte (mon meilleur commandant, rappelez-vous) de faire mouvement vers le Banc Greco, au large de Zarzis, en déguisant son navire en pêcheur chalutier (il suffisait d’arborer un feu rouge (ou vert) verticalement sur un feu blanc et de placer un projecteur allumé). Pour tromper Navsouthcommand, je ne parlais pas de Zarzis ni du Banc Gréco, j’utilisai l’expression tunisienne « emchi l’kiks », que seul Bouhaouala pouvait comprendre. (En effet, durant la crise du plateau continental avec la Libye, j’avais défini un segment XY, que nos vedettes devaient avoir comme centre de balayage. Au cours d’un débriefing, Bouhaoula appela ce segment « kiks-ygrec » et l’expression fut adoptée avec un rire général).
Après avoir doublé Jerba, Bizerte se dirigea à petite vitesse (pour rendre crédible son camouflage), vers le Banc Gréco, au large de Zarzis. Je l’observai à travers mes jumelles de visée nocturne et jugeai que son camouflage était « acceptable ». La visibilité était remarquablement bonne, puisque depuis le sud des Kerkennah, où j’étais, on pouvait voir aux jumelles de visée nocturne des pylônes faiblement éclairés sur le territoire libyen.
►Tout d’un coup, je distinguai un petit écho fugace près de l’archipel maltais. Je ne quittais plus des yeux l’indicateur radar des yeux, en vue de classer l’écho : c’était peut-être un faux écho, comme le radar peut en produire quelquefois. Selon moi (la suite me prouvera le contraire), à cette distance, ce ne pouvait être qu’un faux écho ou, à la rigueur celui d’un grand navire (pétrolier ou porte-avions). L’idée me traversa que je me trompais, et qu’il y avait bien une force aéronavale au large ayant pour mission de « punir » la Libye pour son agression envers la Tunisie pacifique (mais alors je ne m’expliquai pas son refus de coopérer avec les forces tunisiennes, à moins qu’il y ait d’autres objectifs que la Tunisie ne devait pas connaitre).
► L’écho se stabilisa assez vite : c’était celui d’un gros navire se dirigeant à 20 nœuds environ vers Zarzis. Serait-ce l’Aconit voulant forcer l’entrée Est du Golfe de Gabès ? Mais non : l’écho faisait route vers Zarzis, plus au Sud.
Je prévins Bizerte en lui demandant de se préparer à faire feu si le navire n’obéit pas à la première injonction (Bizerte voyait l’écho et écoutait le canal 16). Je manœuvrai pour identifier sa silhouette sous la faible lune à l’aide des jumelles de vision nocturne (excellente visibilité). J’appelai à maintes reprises sur Canal 16 (fréquence internationale d’appel), et c’est moi qui étais au micro. Aucune réponse du skunk, bien que j’eusse précisé sa position par rapport à Jerba et au phare de Tourguenès, qui continuait son approche de Zarzis à 20 nœuds. Une observation plus poussée permit de préciser le point visé par l’intrus : plage au nord de Zarzis (où, probablement, étant donné l’histoire de cette région, devaient être actifs des « honorables correspondants »).
►La silhouette, vue sous la lune avec les jumelles de vision nocturne, était celle d’une frégate italienne du type « Di Cristofaro », comme celles qu’on voyait régulièrement en assistance des pêcheurs siciliens près de nos côtes (sur ce plan ma position n’a pas varié : tant que nos pêcheurs ne vont pas dans ces lieux, c’est injuste d’empêcher ceux qui peuvent le faire). En tout état de cause, cette reconnaissance me rappela la curieuse démarche de l’amiral italien, voir pages 9 et 10.
►Ne recevant toujours pas de réponse à mes appels sur canal 16, je décidai de l’appeler DE CRISTOFARO (je savais qu’au moins le DE US pouvait m’entendre). Toujours pas de réponse, et la frégate continuait sa route avec la même vitesse. Qu’espérait-elle ? J’en déduisis que Navsouthcommand devait disposer de l’ordre d’opération, ainsi que des règles d’engagement, qui interdisaient l’ouverture du feu sur navire militaire sauf pour riposter (c’est moi le rédacteur et je tenais à éviter tout casus belli)
►Devant l’entêtement de la frégate italienne (passer en force, la Marine tunisienne n’ouvrira pas le feu), je décidai de me rapprocher d’elle et sous le projecteur je vis son numéro de coque : c’était bien le DE CRISTOFARO. Plus aucune excuse de n’avoir pas répondu à mes appels sur fréquence internationale. Mais il n’était pas encore dans la mer territoriale, plus qu’un demi-mille et il y sera.
►Je ne voyais plus qu’une solution, la collision. Ainsi, il n’y aura pas de casus belli, et ce ne sera qu’un accident maritime. Pour mettre le DI CRISTOFARO dans son tort je manœuvrai pour placer le MONASTIR dans la bonne position tout en déplaçant l’équipage en les endroits où ils seront épargnés par la collision. Parallèlement, je continuais à appeler le DI CRISTOFARO, sans obtenir de réponse.
►Ce fut Bouhaoula qui sauva la situation. Je ne lui avais pas dit que j’avais identifié le Di Cristofaro (un oubli, sans doute), et, pour lui, c’était un skunk qui ne répondait pas aux appels répétés d’un navire de guerre et s’apprêtait à traverser notre mer territoriale vers la côte. Il me signala : « Cible en portée. Demande autorisation d’ouvrir le feu ». Je lui fis répéter son message pour que Navsouthcommand réalise la gravité de la situation. Je lui répondis clairement : « Attends qu’il soit entré dans la mer territoriale » (le De Cristofaro n’était plus qu’à 0,1 mille de la MT)
Miracle : la frégate italienne fit demi-tour et repartit en cap inverse avec la même vitesse. A la dernière minute, Navsouthcommand (ou, peut-être, la frégate, se sachant entourée, ou se croyant trahie parce que je l’avais appelée par son nom avant de l’avoir reconnue) avait annulé l’opération. J’attribuai ce fait aux échanges avec Bizerte qui a montré notre détermination à Navsouthcommand.
Je ne décolérai pas contre le DE CRISTOFARO, responsable d’une situation critique, à telle enseigne que lorsque Bouhaouala me signala qu’il m’appelait sur canal 16 (que je venais de quitter), je lui dis, me rappelant mon enfance au milieu de mes camarades italiens : « dis-lui : va f’enculo », ce qui a dû faire rigoler quelques marins de Navsouthcommand à Naples.
►J’envoyai Horria à surveiller l’entrée Est du Golfe (patrouille entre Kerkennah et Jerba) et je conservai Monastir et Bizerte le long de la côte Jerba-Zarzis puisqu’un nouveau point de débarquement venait d’être identifié (point de regroupement probable = une villa du nord de Zarzis, vu l’historique de cette région, où un descendant du général de Guillebon a toujours pignon sur rue). Les terroristes devaient, probablement, rejoindre Skhira pour procéder à l’exécution du plan initial)
►Le lendemain matin, j’ordonnai un passage à faible vitesse le long de la côte, navires au postes de combat, histoire d’impressionner la population afin qu’elle ne penche pas vers la sédition. Plus tard, ayant repris Horria, qui balayait toujours entre Jerba et Kerkennah, la Task Force pénétra dans la mer de Bou Ghrara, m’étant souvenu de l’importance du « téléphone arabe » dans cette zone de Jerba, Médenine et Zarzis.
►J’arrête là la relation de mes souvenirs sur la crise de Gafsa, parce que la suite fut simple : dès que les terroristes de Gafsa, qui avaient fui la ville, furent pris, l’alerte fut levée (je vis à la télé le CEMAM accompagné du LV Haddad félicités par Bourguiba). Je ne fis aucun rapport, parce que je savais d’avance que le CEMAM, à l’image de son prédécesseur, le ferait disparaître (bien entendu, le CEMAM ne le réclama pas). Par contre je remis à Farhat le détail de mes actions, en insistant sur le comportement « bizarre » du DE CRISTOFARO (ne l’ayant pas trouvé chez lui, je laissai l’enveloppe fermée à son épouse).
►►►DEBRIEFING SUCCINCT
Pourquoi un changement de régime en Tunisie intéressait l’OTAN ?
Bourguiba était devenu sénile, refusait d’abandonner le pouvoir et ne favorisait aucun dauphin. Un espoir de changement apparut en automne 1979 (Bourguiba avait 71 ans), lorsque Hédi Nouira tentera de se faire élire Secrétaire général du PSD (dont Bourguiba était le président), mais Bourguiba sabota la manœuvre et limogea l’organisateur du congrès, le regretté Abdallah Farhat. Il fallait un mouvement populaire pour changer Bourguiba et l’OTAN crut avoir trouvé celui ou ceux qui créeraient ce sursaut populaire. Il a donc marché dans le complot.
Pourquoi le complot échoua-t-il ?
Le complot échoua pour 2 motifs principaux :
La population de Gafsa ne s’est pas soulevée lors de l’apparition des terroristes, probablement parce que les comploteurs n’ont pas mêlé l’UGTT à leur action (il est vrai que lors des préparatifs, le leader de l’UGTT, Habib Achour, était en prison)
La deuxième phase – « allumer » Sfax et/ou Gabès - ne put avoir lieu parce que, contre toute attente, la Marine a empêché les terroristes de débarquer
Détail des opérations
Le présent article n’a aucunement la prétention de décrire les actions menées lors de la crise. Il se limite aux opérations navales uniquement, dont, à notre connaissance, il n’existe pas de récit. Je laisse, bien entendu, à un officier de l’Armée de terre, directement impliqué comme je l’étais, le soin de donner son témoignage.
Je crois avoir rempli mon contrat moral que je fis avec Farhat (voir ci-dessus pages 7 et 8) : empêcher les terroristes de débarquer sans indisposer une nation amie. D’ailleurs, la Tunisie ne porta pas plainte contre la Libye au Conseil de Sécurité, car Farhat avait d’autres informations allant dans une direction différente.
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