207
Chapitre 4 : Mettre en œuvre la Réforme catholique dans les
paroisses
Une véritable mise en œuvre de la Réforme catholique dans les paroisses tient d’abord
à la réalité et à l’ampleur des impulsions épiscopales. Aussi convient-il en premier lieu de
brosser un portrait des évêques qui se succèdent au long du
XVIIe
siècle à la tête des diocèses
de Rennes, de Dol et de Saint-Malo. Une étude des synodes, des statuts synodaux et des
visites pastorales permet de parfaire ces portraits en mettant l’accent à la fois sur les
redéfinitions théoriques et sur les politiques effectivement suivies. Pour être efficaces, ces
politiques doivent disposer de relais locaux, et la mise en œuvre de la Réforme catholique
passe donc aussi, comme le soulignait déjà Clichtove dans la première moitié du
XVIe
siècle,
par la réforme du clergé paroissial. Il importe donc de cerner les évolutions éventuelles en
matière de recrutement pastoral et d’encadrement clérical des paroisses. Cette question en
détermine assez largement une autre, celle du passage de l’insertion dans la sociabilité laïque
à une volonté de distinction, qui consiste par exemple à graver sa dignité dans la pierre. Dans
la seconde moitié du XVIIe siècle, le bon prêtre est un homme de savoir, un homme de pouvoir
et un intermédiaire culturel. Les prêtres et les évêques ne sont cependant pas les seuls acteurs
de la mise en œuvre d’une politique réformatrice dans les paroisses. Ce sont en effet des laïcs
qui gèrent les fabriques et il faut donc poser la question des permanences et des évolutions
dans la gestion des fabriques, par rapport au
XVIe
siècle. Cela implique de se pencher sur
l’évolution des budgets, sur le contrôle des comptes et sur les tendances oligarchiques.
A ) Les impulsions épiscopales
1 ) Les évêques
« Il faut souhaiter que ceux qui reçoivent le ministère de l’épiscopat sachent quel est
leur rôle et comprennent qu’ils ont été appelés non pas pour leur propre commodité, ni à la
richesse et au luxe, mais aux peines et aux travaux pour la gloire de Dieu. On ne saurait
douter, en effet, que les autres fidèles s’enflammeront plus facilement pour la religion et pour
l’innocence des mœurs s’ils voient que leurs chefs se préoccupent non pas de ce qui est au
monde, mais du salut des âmes et de la patrie céleste ». Le chapitre I du Décret de réformation
générale de la session XXV du concile de Trente expose ainsi la tâche de l’évêque et la
208
nécessité qui est la sienne de constituer un modèle pour les clercs et laïcs de son diocèse1.
Aussi leur est-il « interdit absolument de chercher à enrichir leurs parents ou leurs familles au
moyen des revenus de l’Église », et « ce qui, dans les bénéfices ecclésiastiques, a les
apparences d’une succession héréditaire est chose odieuse »2. Les textes du concile traitent
également du choix des hommes, des règles disciplinaires et des tâches qui incombent aux
évêques (organisation des synodes, pratique des visites, prédication). Sont évacuées en
revanche la question de l’institution des évêques, par crainte du conciliarisme, et celle de la
résidence, les prélats présents à Trente ayant réussi à bloquer les débats, épineux, sur ce
dernier sujet en 1562-15633. Quoi qu’il en soit, les textes du concile supposent, pour leur
application, la présence des évêques dans leur diocèse, doublée d’un renforcement de leur
pouvoir.
La réception du concile de Trente en France ne se fait pas sans difficultés. Les
volontés exprimées par le concile provincial réuni à Reims en 1564 à l’initiative du cardinal
de Lorraine, par le clergé lors des états généraux de 1576 et de l’assemblée de 1579, par les
états généraux de la Ligue en 1593 demeurent sans suite, cela pour des raisons politiques. En
effet, Henri III puis Henri IV ne peuvent recevoir les décrets sans se positionner en faveur
d’un catholicisme intransigeant, et ils se réfugient derrière les traditions gallicanes4. Mais les
principales réformes souhaitées par le concile de Trente sont reprises en 1580 dans
l’ordonnance de Blois et l’édit de Melun. Ceci dit, si les décrets dogmatiques sont reçus assez
rapidement, la réforme disciplinaire, elle, s’applique certes sûrement, mais aussi
progressivement et inégalement, et l’épiscopat du
XVIIe
siècle en constitue une excellente
illustration.
Recteur de Saint-Louis-des-Français à Rome, François Larchiver, un Trégorois
d’origine modeste, bénéficie en 1602 de la résignation de l’évêque absentéiste Séraphin
1
« Optandum est, ut ii, qui episcopale ministerium suscipiunt, quae suae sint partes agnoscant ac se non ad
propria commoda, non ad divitias aut luxum, sed ad labores et sollicitudines pro Dei gloria vocatos esse
intelligant. Nec enim dubitandum est, et fideles reliquos ad religionem innocentiamque facilius inflammandos, si
praepositos suos viderint non ea, quae mundi sunt, sed animarum salutem ac coelestem patriam cogitantes »
([LIV] Les conciles oecuméniques, t. II, p. 1592).
2
« Omnino vero eis interdicit, ne ex reditibus ecclesiae consanguineos familiaresve suos augere studeant »
(session XXV, c. de reformatione I ; [LIV] Les conciles oecuméniques, t. II, p. 1592) ; « Cum in beneficiis
ecclesiasticis ea, quae haereditariae successionis imaginem referunt, sacris constitutionibus sint odiosa » (session
XXV, c. de reformatione VII ; [LIV] Les conciles oecuméniques, t. II, p. 1600).
3
[192] Histoire du christianisme, t. 8, p. 873-874, [201] TALLON, Alain, Le concile de Trente, p. 34. Le chapitre
I du décret sur la résidence des évêques et des autres clercs inférieurs (Decretum de residentia episcoporum et
aliorum inferiorum) de la session VI fait certes de la résidence une obligation, mais une obligation qui peut
connaître des exceptions pour le service de l’Église ou celui de l’État.
4
[192] Histoire du christianisme, t. 8, p. 444 , [201] TALLON, Alain, Le concile de Trente, p. 85-93.
209
Olivier-Rezali5. Devenu évêque de Rennes grâce à l’appui du nonce, il se montre attaché à
l’introduction de la liturgie romaine dans son diocèse, mais l’essentiel en la matière a déjà été
réalisé par Aymar Hennequin, et les actions de François Larchiver dans ce domaine sont de ce
fait limitées. En revanche, et c’est une décision aux conséquences très importantes, il permet
l’installation d’un collège jésuite à Rennes en 1604. Il apparaît d’une façon générale comme
un évêque résident et consciencieux. Il décède en 1619. Son successeur, Pierre Cornulier, qui
était jusqu’alors et depuis 1617 évêque de Tréguier, appartient lui à une grande famille
nantaise engagée au service du roi, son père ayant été trésorier général des finances en
Bretagne, maire de Nantes et commissaire du roi aux états. Juriste de formation, le nouvel
évêque de Rennes se révèle réformateur et sait se montrer intransigeant. Il fait éditer un
Propre des saints en 1620 puis un second en 1627, date à laquelle il fait également imprimer
un bréviaire romain, rendant son usage obligatoire6. Du fait de ses volontés d’inspection et de
correction du clergé, il se heurte au chapitre cathédral, aux bénédictins de Saint-Melaine de
Rennes et aux carmélites, et il fonde un couvent de minimes. Seul parmi les prélats bretons, il
refuse de donner son approbation aux Vies des saints d’Albert Le Grand, qu’il considère
comme trop légendaires. Ses relations avec les autorités civiles sont, également, parfois
difficiles puisqu’il entre ponctuellement en conflit avec le Parlement et avec le cardinal de
Richelieu. Il visite les malades quand la peste frappe sa ville, ce qui lui vaut une réputation
d’homme austère et charitable. Il meurt en 1639. À Dol, Antoine Revol accède au siège
épiscopal en 1603 sur résignation de son cousin Edmond Revol7. Visiblement apprécié de
François de Sales, il fonde un monastère de la Visitation, et paraît à la fois résident et
consciencieux. L’évêque qui arrive à Saint-Malo en 1599, après avoir permuté en 1596, Jean
du Bec, est le fils d’un noble normand converti au calvinisme. Après avoir abjuré, et mené
une carrière militaire dans sa jeunesse, Jean du Bec doit patienter plusieurs années avant
d’accéder au siège de Nantes, dont était titulaire son oncle, puis il permute avec l’évêque de
Saint-Malo Charles de Bourgneuf. Ayant accédé à l’épiscopat grâce à son oncle et au soutien
d’Henri IV, Jean du Bec présente a priori les mêmes caractéristiques que beaucoup d’évêques
5
La liste des évêques figure en annexe (annexe n° 26). Des biographies des évêques figurent dans [18]
Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, [19] Dictionnaire de biographie française, [30] Gallia
christiana, [36] GUILLOTIN DE CORSON, Amédée, Pouillé historique (…), t. 1, [51] MICHAUD, Biographie
universelle ancienne et moderne (…). Voir également [306] BERGIN, Joseph, The Making of the French
Episcopate (…), p. 561-720, [128] CROIX, Alain, L’Âge d’or (…), p. 37-40, [97] Histoire de Rennes, p. 185-188,
[245] POCQUET DU HAUT-JUSSE, Barthélémy-A., « L’histoire religieuse de Rennes au XVIe et au XVIIe siècle », p.
100-105, [316] POCQUET DU HAUT-JUSSE, Barthélémy-A., « Les évêques de Bretagne dans la Renaissance
religieuse du XVIIe siècle ».
6
[2] AMIET, Robert, Missels et bréviaires imprimés (…), p. 403. [II] Breviarum Romanum.
7
Sur Antoine Revol, voir, outre les références citées supra, [LII] PERROGUY, G., Discours funebre sur la mort et
bout de l’an (…).
210
du XVIe siècle, mais, une fois arrivé dans la cité malouine, il se montre soucieux de la réforme
du diocèse, préparant ainsi le terrain à son successeur.
Celui-ci, Guillaume Le Gouverneur, qui devient évêque de Saint-Malo en 1610, est à
certains égards un cas atypique. Roturier issu de la bourgeoisie malouine, ni lui ni sa famille
ne se sont engagés au service de la monarchie8. Mais, élève des jésuites à Paris et licencié à la
Sorbonne en 1592, il bénéficie à cette date, à l’âge de dix-neuf, d’une résignation de son
oncle, doyen du chapitre cathédral, en sa faveur. Il prend possession, de façon effective, du
doyenné l’année suivante et devient recteur de Paramé en 1598. Doyen du chapitre, il
représente ce corps aux états à partir de 1596, et il est envoyé à Paris à partir de 1604 comme
représentant de la communauté de ville, dans une affaire liée à la vérification des comptes de
celle-ci. En 1605, il est désigné comme représentant du diocèse à l’assemblée provinciale de
Tours, où l’on traite de la question des décimes, puis, élu de la province, il participe à
l’assemblée générale qui se tient à Paris9. Homme de caractère, très actif, zélé et loyaliste,
Guillaume Le Gouverneur doit peut-être en partie sa nomination aux événements qui ont
marqué la cité malouine pendant la Ligue. Nommé évêque par Henri IV en janvier 1610, il est
sacré en février 1611 et effectue son entrée solennelle dans la ville épiscopale le mois suivant.
Assidu aux séances des États de Bretagne, participant aux États généraux de 1614, Guillaume
Le Gouverneur ne conçoit pas pour autant sa tâche sous un angle politique. Il est à l’initiative
de l’établissement de plusieurs maisons religieuses dans son diocèse : capucins, bénédictins
anglais, récollets, bénédictines, ursulines, carmes, dominicaines10. Il est également
l’introducteur de la liturgie romaine dans le diocèse de Saint-Malo, et fait imprimer un Propre
des saints en 1615, un processionnal en 1617 et un rituel romain à la même date 11. Malade à
partir des années 1620, il décède en 1630.
Ces évêques véritablement réformateurs ou simplement consciencieux du premier tiers
du siècle laissent ensuite la place à un personnel plus contrasté. C’est notamment le cas pour
le diocèse de Rennes où, à la suite du décès de Pierre Cornulier en 1639, le choix se porte
désormais sur des évêques « politiques » plus souples. Henri de La Mothe-Houdancourt, dont
deux sœurs sont abbesses, deux frères évêques et un troisième maréchal de France, est nommé
évêque en 1639, prend possession de son évêché par procuration en 1641 et est sacré en 1642.
8
Sur Guillaume Le Gouverneur, voir, outre les références citées supra, [341] GUIBLIN, François-Xavier, Un
écrit dans la Réforme catholique (…), p. 96-105 et [LIII] VAN MECHELEN, Joannes Baptista, Oratio funebris in
laudem (…).
9
ADIV, 1 G 82.
10
Cette liste est donnée dans l’ordre chronologique de l’établissement des maisons.
11
[XIX] Officia propria sanctorum ecclesiae Macloviensis, [XX] Processionale iuxta ritum sanctae romanae ecclesiae
restitutum (…), [XXI] Rituale romanum Pauli V. [4] Répertoire des rituels et processionnaux imprimés (…), p. 260.
211
En 1653, il est nommé premier aumônier d’Anne d’Autriche, et il est transféré à l’archevêché
d’Auch en 1661. Son successeur, Charles de La Vieuville, est le fils du surintendant des
finances. Il décède en 1676 et c’est alors son neveu qui est nommé sur le siège de Rennes.
Mais François de La Vieuville se désiste et c’est Denis-François Bouthillier de Chavigny,
aumônier du roi et abbé commendataire de plusieurs monastères, qui est alors nommé. Mais il
ne prend pas possession de son siège, n’est pas sacré, et est transféré à l’évêché de Troyes en
1677.
À Dol, Antoine Revol décède en 1630 et son successeur est l’aumônier de Marie de
Médicis, Hector d’Ouvrier. Après avoir pris possession de son évêché, ce dernier devient
conseiller d’État et gouverneur de la ville et du château de Dol. En 1644, il permute avec
l’évêque de Nîmes, Anthyme-Denis Cohon. Originaire d’Anjou et d’extraction modeste,
Anthyme-Denis Cohon s’est signalé à la cour d’abord par ses talents de prédicateur et à
Nîmes ensuite par son zèle anti-protestant. La situation étant devenue particulièrement tendue
dans la cité méridionale, il lui est conseillé de se démettre de son évêché, ce qui explique son
arrivée à Dol, mais c’est un passage sans lendemain puisqu’il se démet de ce siège en 1648.
Son successeur, Robert Cupif, est d’une famille parlementaire angevine d’origine écossaise.
Évêque de Saint-Pol-de-Léon à partir de 1640 du fait de la disgrâce du titulaire précédent, la
réhabilitation de ce dernier l’oblige à quitter l’évêché léonard pour le siège de Dol en 1648. Il
n’obtient cependant ses bulles qu’en 1652 et prend possession de l’évêché en 1653. En procès
contre le chapitre cathédral de Dol, il décède en 1659. Les deux évêques qui se succèdent
alors sur le siège de Dol paraissent attacher un peu plus d’importance à la gestion et à la
réforme de leur diocèse, mais ne sont pas pour autant de grands réformateurs. Mathieu
Thoreau, doyen du chapitre cathédral de Poitiers, agent du clergé de France, anti-janséniste,
est sacré en 1661 et décède en 1692. Son successeur Jean-François Chamillart, parent de
Michel Chamillart, l’intendant de Rouen qui devient ensuite contrôleur général des Finances
puis ministre d’État, s’attache lui aussi à lutter contre les jansénistes ainsi qu’à réformer le
clergé de son diocèse, mais dès 1702 il obtient son transfert à Senlis.
Après la mort de Guillaume Le Gouverneur, en 1630, le roi nomme sur le siège
malouin un capucin, Michel de Paris, qui refuse, et le siège reste vacant jusqu’en 1631. Le
successeur de Guillaume Le Gouverneur est finalement Achille de Harlay, issu d’une grande
famille parlementaire parisienne. Évêque de Lavaur en 1601, il quitte l’état ecclésiastique
lorsqu’il devient chef de sa branche après le décès de son frère aîné, et il est nommé
ambassadeur à Constantinople en 1611. De retour à Paris sept ans plus tard, il entre en 1620
chez les oratoriens, puis devient le confesseur d’Henriette de France, reine d’Angleterre, avant
212
d’être nommé ambassadeur en Savoie. Devenu évêque de Saint-Malo, et abbé de Saint-Méen
en 1639, il partage son temps entre son diocèse, où il se montre soucieux de réforme, et la
cour où il travaille avec le cardinal de Richelieu, rédigeant même une partie des Mémoires de
celui-ci12. Il obtient en 1644 un coadjuteur qui n’est autre que son neveu, Ferdinand de
Neufville, fils de Charles de Neufville, marquis de Villeroy, qui a été gouverneur du
Beaujolais, du Forez et du Lyonnais. Ferdinand de Neufville succède à son oncle deux ans
plus tard, lorsque celui-ci décède, puis il est transféré à Chartres en 1657. Son successeur,
François de Villemontée, a été conseiller au Parlement de Paris, maître des requêtes et
conseiller d’État, avant de se séparer de sa femme et d’entrer dans l’état ecclésiastique13. Il
obtient l’évêché de Saint-Malo en 1658, en prend possession et est sacré en 1660. Son
investissement dans le diocèse malouin paraît assez modéré, et l’évêque est nommé par le
pape commissaire pour les affaires du jansénisme en France. Il décède à Paris en 1670 et son
successeur est Sébastien du Guémadeuc, qui a été aumônier d’Anne d’Autriche, puis agent
général du clergé de France. Il assiste aux assemblées du clergé tenues en 1680 et 1682 où il
affirme des positions gallicanes, mais il est également présent dans son diocèse, notamment
dans le manoir épiscopal de Saint-Malo-de-Beignon qu’il fait reconstruire et où il meurt en
1702.
À Rennes, le siècle se clôt par un long épiscopat qui apparaît comme le moins «
politique » du diocèse depuis 1639, et le reste assurément jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
Jean-Baptiste Beaumanoir de Lavardin, petit-neveu puis cousin de deux évêques du Mans, qui
est nommé évêque de Rennes en 1677 et sacré en 1678, gère l’entreprise de conversion forcée
des protestants vitréens qui fait suite à l’édit de Fontainebleau, et, parent du cardinal de
Noailles, s’investit dans la lutte contre les jésuites. Il est de ce fait très engagé dans les
affaires nationales, mais, pendant les trente-trois années de son épiscopat, jusqu’en 1711, il
réside presque toujours dans son diocèse, et, en faisant par exemple rééditer le rituel romain
en 169814, sait se montrer soucieux d’une réforme qui n’a pas toujours fait partie des
principales préoccupations de ses trois prédécesseurs.
Ainsi, si le tableau global de l’épiscopat des diocèses de Rennes, de Dol et de SaintMalo apparaît plus conforme aux modèles tridentins au
XVIIe
siècle qu’au siècle précédent,
force est de reconnaître que, malgré les souhaits affichés lors de la session XXV du concile,
bien des évêques ne négligent ni les aspects financiers et politiques, ni ceux ressortissant du
12
[313] LAVOLLEE, Robert, « Un évêque de Saint-Malo collaborateur de Richelieu ».
Sur François de Villemontée, voir, outre les références citées supra, [318] SAULNIER, Frédéric, , « Un prélat au
XVIIe siècle (…) ».
13
213
domaine des stratégies familiales. Pourtant, des évêques se montrent particulièrement
réformateurs, notamment pendant le premier tiers du siècle, à l’image de Guillaume Le
Gouverneur, qui apparaît comme la figure de proue de ce groupe. L’élan retombe dans les
années 1630, et c’est un personnel plus contrasté qui émerge. Il s’agit en quelque sorte d’un
retour des « politiques », mais il faut noter que la plupart de ces évêques s’avèrent finalement
assez consciencieux. Par ailleurs, les situations varient suivant les diocèses, dans la mesure où
elles tiennent à des personnalités. Ainsi Jean-Baptiste Beaumanoir de Lavardin, qui accède au
siège épiscopal de Rennes à la fin des années 1670 apparaît-il comme un vrai réformateur.
2 ) Les synodes
Le registre dans lequel sont consignés les synodes tenus dans le diocèse de Saint-Malo
à partir de 1569 s’interrompt après octobre 1573, et François Thomé prend possession de son
siège en mars 157415. Nous savons qu’en 1599 Jean du Bec, peu de temps après son entrée à
Saint-Malo, tient un synode, puisqu’il promulgue des ordonnances dont nous n’avons
malheureusement pas conservé le texte. Dans un nouveau registre, tenu par le secrétaire de
l’évêché ou par un notaire apostolique, est consigné le déroulement des synodes qui ont lieu
de nouveau deux fois par an, de la Saint-Luc 1602 à la Pentecôte 1615, sauf en 1610 car Jean
du Bec décède au mois de janvier, et son successeur Guillaume Le Gouverneur n’est sacré
qu’en février 1611. Pendant son épiscopat, Jean du Bec préside lui-même huit synodes sur
quatorze, et Guillaume Le Gouverneur, jusqu’à la Pentecôte 1615, six sur neuf. L’absence de
registre s’explique ensuite sans aucun doute par une perte documentaire, car Guillaume Le
Gouverneur poursuit sa politique jusqu’à son décès en 1630, malgré sa maladie, promulguant
des statuts synodaux en 1613, 1617 et 1619. Le siège est ensuite vacant jusqu’en juillet 1631,
et Achille de Harlay fait son entrée solennelle dans la ville épiscopale le 29 mai 1632, tenant
d’emblée un synode afin de confirmer les décisions prises par son prédécesseur. Quarante et
un synodes se succèdent alors jusqu’à la Pentecôte 1652, le décès d’Achille de Harlay en
1646 et sa succession par Ferdinand de Neufville n’ayant guère de conséquences en la
matière. Des synodes sont donc tenus de façon régulière pendant toute la première moitié du
XVIIe
siècle.
[4] Répertoire des rituels et processionnaux imprimés (…), p. 242.
Voir supra, chapitre 3. Sur les synodes tenus dans le diocèse de Saint-Malo aux XVIe et XVIIe siècles, voir
[349] RESTIF, Bruno, « Les synodes du diocèse de Saint-Malo (…) ».
14
15
214
Avant le synode, qui constitue, comme il est affirmé dans les statuts synodaux
promulgués par Guillaume Le Gouverneur et édités en 1613, « une generale visitation », « les
doyens ruraux, et les recteurs mesmes apporteront memoires au promoteur […] des
defectuositez, transgressions, iniquitez et depravations qui peuvent avoir cours parmy le
peuple »16. Achille de Harlay ajoute, lorsqu’il arrive à Saint-Malo à la Pentecôte 1632, qu’il
« sera loisible à chaque beneficier de proposer au synode avec respect et modestie tout ce
qu’il estimera utile a la discipline ecclesiastique ». Mais ces invitations semblent peu suivies
d’effet chez les recteurs. Ceux-ci, en revanche, remettent à l’évêque, en 1635, une requête
demandant « qu’il ne soit tenu qu’un sinode par chacun an », demande réitérée en 1651 et
1652, « a cause de l’incomodité des chemins » et des « pluyes ordinaires du mois d’octobre
qui est la saison la plus facheuse de toute l’annee ». Une autre requête est présentée pour
l’impression des ordonnances de 1635, celle-ci obtenant une suite positive. Ces ordonnances
sont, tout comme celles de 1647, « receues unanimement de tout le synode », celui-ci étant
composé, en théorie du moins car tous ne sont pas présents, des « prieurs, recteurs, curés,
vicaires et aultres ecclesiastiques faisant le corps du clergé dudit diocese ». Cette formule est
utilisée lorsque des décisions importantes doivent être approuvées, mais, dans les faits, cellesci sont toujours prises par les évêques et les vicaires généraux.
« Des le matin », est-il expliqué dans les statuts édités en 1619 qui, toujours à
l’initiative de Guillaume Le Gouverneur, reprennent et complètent ceux de 1613 puis 1617,
les recteurs « doivent comparoir […] en habit decent, et a jeun, pour plus devotement ouyr,
retenir, practiquer, et accomplir ce qui aura esté leu, dit, enjoinct, ou defendu »17.
L’organisation demeure la même qu’au
XVIe
siècle, et le synode se termine par des prières et
une bénédiction, nul ne devant se retirer avant la fin, sous peine d’une amende allant, selon
les années, de une à deux livres, voire, parfois, sous peine de suspense a divinis ou
d’excommunication. Quant aux absents, ils sont, est-il précisé dans les statuts édités en 1613,
« condamnez chacun en six livres d’amende […] et en outre declarez, eo ipso, suspens a
divinis, par l’espace de trois sepmaines », si du moins ils ne viennent, dans un délai d’un
mois, s’« excuser vers nous, et purger de telle contumace par quelque juste empeschement,
qu’ils pourront alleguer »18.
16
[XXVIII] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux.
[XXIX] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux.
18
Sur ce point, Guillaume Le Gouverneur reprend les statuts synodaux de ses prédécesseurs Pierre Benoît
(1350), Robert de La Motte (1402), Jean L’Espervier (1460) et Denis Briçonnet (1525), augmentant simplement
le montant de l’amende qui était jusqu’alors de 5 livres.
17
215
Graphique n° 30 : Nombre de titulaires de cures présents aux synodes
du diocèse de Saint-Malo (1569-1652)
160
140
120
100
80
60
40
20
1652
1651
?
1650
1649
?? ?
1648
?
1647
1646
? ?
1645
1643
1642
1641
1640
1644
?
?
1639
1637
1636
1635
1634
1633
1632
1615
1614
1613
1612
1611
1610
1609
1608
1607
1606
1605
1604
1603
1602
1573
1572
1571
1570
1569
Synode de la Pentecôte
1638
??
0
Synode de la Saint-Luc
Grâce à la liste de présence soigneusement consignée dans le registre au début de
chaque synode, nous connaissons la fréquentation des assemblées, qui est représentée sur le
graphique en ce qui concerne les titulaires de cures. Si au
XVIe
siècle seul un tiers à peine, en
moyenne, des recteurs et prieurs-curés (les trèves étant représentées par leurs paroisses-mères)
sont présents aux synodes, l’assistance est nettement plus importante dans les quinze
premières années du
XVIIe
siècle puisqu’elle dépasse en moyenne les 50 %. Cela n’empêche
pas l’existence de variations non négligeables, car si, à quatre reprises, le nombre des
participants est égal ou supérieur à 100, il est à cinq reprises inférieur à 70. Nous retrouvons
ces variations, amplifiées, pour la période 1632-1652, puisque le nombre de participants va de
55 (soit 34 %) à la Saint-Luc 1651 à 142 (soit 88 %) à la Saint-Luc 1632. Mais, en moyenne,
l’assistance, que nous ne pouvons pas mesurer pour tous les synodes, n’est pas plus
importante que lors de la période précédente, et il s’agit là sans aucun doute d’un relatif échec
pour les évêques du milieu du XVIIe siècle, par contraste avec ceux du début du siècle.
216
Carte n° 31 : Lieux où se déroulent des synodes
dans le diocèse de Saint-Malo
Trois raisons expliquent qu’à partir du début du
XVIIe
siècle le nombre de titulaires de
cures présents aux synodes augmente fortement. Tout d’abord, les recteurs et prieurs-curés
doivent être présents en personne et non plus envoyer leurs curés ou vicaires, prescription
d’emblée suivie d’effet, et qui le reste au moins jusqu’au milieu du siècle. Ensuite, les
synodes ne se tiennent plus seulement à Saint-Malo, mais aussi à Dinan et à Saint-Malo-deBeignon, afin de faciliter l’assistance des recteurs du sud du diocèse à certaines assemblées19.
Mais dans ces derniers cas les recteurs du nord du diocèse se déplacent peu et invoquent
diverses excuses. À partir des années 1630, l’évêque cherche à organiser des synodes dans un
lieu qui soit central, et, après quelques assemblées à Bécherel et à Montfort, c’est finalement
Aux neuf synodes qui se tiennent tous à Saint-Malo de 1569 à 1573, l’assistance des titulaires de cures est, en
moyenne, de plus de 50 % en ce qui concerne les doyennés de Poulet et de Poudouvre, les plus proches du siège
épiscopal, mais de 10 % pour le doyenné de La Nouée et de 6 % pour celui de Lohéac, les plus éloignés. Les
distances atteignent en effet jusqu’à 90 kilomètres, et aucun axe de circulation important ne permet de traverser
le diocèse du sud au nord.
19
217
le choix de Saint-Méen, où le synode de la Saint-Luc 1602 avait déjà été organisé, qui
s’impose. À partir de 1640, les synodes ont lieu soit dans une église paroissiale de Dinan, soit
dans l’église abbatiale de Saint-Méen. La géographie des absences a alors tendance à
s’uniformiser, même si le doyenné de Lohéac reste relativement sous-représenté. Par ailleurs,
nous pouvons constater, comme le laissaient entendre des requêtes présentées à l’évêque, que
les synodes d’octobre sont un peu moins fréquentés que ceux de la Pentecôte, mais cela est
surtout vrai à partir des années 1630 et se trouve accentué, à partir du milieu des années 1640,
par le fait que le synode de la Saint-Luc se tient souvent à Dinan, tandis que celui de la
Pentecôte a généralement lieu à Saint-Méen. Le troisième élément qui explique ces évolutions
est, bien entendu, l’action épiscopale. Le succès de Jean du Bec et de Guillaume Le
Gouverneur, au début du siècle, est de ce point de vue tout à fait évident. Celui d’Achille de
Harlay et de Ferdinand de Neufville est plus nuancé, car ils éprouvent des difficultés à
accroître la fréquentation des synodes, mais ils ont l’intelligence de choisir un lieu central
pour la tenue de ces assemblées, sans négliger pour autant le nord du diocèse. Enfin, d’une
façon générale, l’assistance est importante au début des épiscopats (cela est surtout vrai pour
Jean du Bec et Achille de Harlay) et lors des synodes majeurs du point de vue des décisions
prises.
La fonction administrative remplie par ces assemblées au
XVIe
siècle perdure au siècle
suivant, puisqu’il est question des décimes au cours de 27 des 41 synodes tenus de 1632 à
1652. Par contre, dès le début du siècle, il n’est plus question des annates ni de l’officialité20
et, surtout, ces assemblées retrouvent pleinement la fonction qui avait été la leur au bas
Moyen Âge, à savoir celle de réglementer le fonctionnement quotidien du culte et d’affirmer
le pouvoir de l’Église et notamment de l’évêque, en édictant des statuts. Ceux de Guillaume
Le Gouverneur sont d’abord lus au synode de la Saint-Luc 1612, les recteurs étant invités à
rédiger des mémoires afin, éventuellement, de les compléter, puis ils sont imprimés en 1613.
Les titulaires de cures sont alors appelés, dès la Pentecôte 1613, à en acquérir un exemplaire
qu’ils doivent « lire et publier en leurs eglises ». Ils doivent de plus « apporter aux sinodes
chacun son livre des statudz sur payne » d’une amende de dix sous. Il en est de même, dans
les années 1640, des ordonnances d’Achille de Harlay et de Ferdinand de Neufville 21. Les
synodes successifs en rappellent ou modifient un certain nombre d’aspects réglementaires, sur
Sur la séparation, désormais définitive, entre le fonctionnement des synodes et celui de l’officialité, nous
manquons d’éléments d’analyse et nous devons nous en tenir à des hypothèses. La plus plausible me semble
résider justement dans le souci de faire de ces réunions un véritable instrument de réforme, et non plus seulement
de gestion surtout administrative du diocèse.
21
Nous n’avons pas conservé le texte des ordonnances d’Achille de Harlay.
20
218
la célébration des messes, l’usage des linges liturgiques ou la nécessité d’aller chercher les
saintes huiles auprès du doyen. Les chapelles et chapellenies font, de même, l’objet de
plusieurs rappels et précisions. Dans les années 1630-1640, l’évêque veille à conserver les
privilèges des églises paroissiales face aux velléités d’indépendance de certains desservants de
chapelles, tandis qu’il renforce le contrôle des messes qui y sont fondées. En 1647, dans ses
ordonnances, Ferdinand de Neufville exige la réalisation, dans chaque paroisse, d’inventaires
des « lettres, tiltres et enseignementz concernants les fondations », qui soient déposés, de
même que les actes en question, dans le coffre des archives de la fabrique, que ne pourront
ouvrir que le recteur ou un ecclésiastique nommé par lui, un trésorier en charge et un ancien
trésorier « chouaisy pour ce regard par le general desdits parroissiens ». Un peu dans le même
esprit, quoique de façon nettement plus précoce, mais en effectuant des rappels jusqu’à la fin
des années 1630, les évêques affirment le contrôle de l’Église sur les comptes rendus par les
trésoriers de fabrique. Les questions d’argent interviennent aussi par la nécessité de contrôler
les quêtes qui se pratiquent dans le diocèse. Enfin, les évêques profitent des synodes pour
affirmer leur pouvoir, en matière de cas réservés mais aussi en ce qui concerne les monitoires,
engageant dans ce domaine une lutte contre les archidiacres de Dinan et de Porhoët. Cela dit,
les synodes ne constituent pas seulement un outil administratif permettant de faciliter la levée
des décimes et l’application de réglementations diverses. Dès les premières années du
XVIIe
siècle, ils jouent à plein le rôle d’instrument de réforme que le concile de Trente encourage les
évêques à utiliser.
L’étude des synodes s’avère d’autant plus intéressante que leur rôle ne se résume pas à
la préparation et au rappel des statuts synodaux. Ils visent, par le biais du clergé paroissial, à
appliquer la Réforme catholique dans le diocèse, en insistant sur les aspects qui sont alors
perçus comme étant les plus importants. Il s’agit de la volonté de séparation accrue entre le
sacré et le profane et l’insistance sur la dignité des clercs, le souci d’améliorer l’instruction
des ecclésiastiques et des fidèles, et les évolutions liturgiques. Attachons-nous ici à ce dernier
aspect, qui apparaît, dans les quinze premières années du
XVIIe
siècle, comme un des
principaux axes de la politique réformatrice dans le diocèse. En effet, il est question des livres
liturgiques à onze synodes sur douze de la Pentecôte 1604 à la Saint-Luc 1609, puis à trois
synodes encore en 1611, 1613 et 1615. À la Pentecôte 1604, « il est faict commandement a
toutz les recteurs de s’en aller a Saint Malo et prandre des brevieres et en fere prandre à leurs
prebtres », bréviaires « nouvellement imprimez a l’usage de cet evesché »22, et ce sur peine de
Il s’agit du Breviarium Macloviense imprimé en 1603 et répertorié dans [13] BOHATTA, Hans, Bibliographie
der Breviere (…), sous le n° 2398.
22
219
suspense a divinis. Cela dit, en 1611 encore, certains prêtres n’ont pas acheté leur bréviaire. À
la Pentecôte 1605, « plusieurs des beneficiers » font remarquer à l’évêque que, le bréviaire
ayant été réformé, il serait souhaitable d’en faire de même des missels, et de faire imprimer
des diurnaux23, « avec offre qu’ils font de s’obliger d’en prendre et fere prendre aux prebtres
de leurs paroisses, et pour les missaux mesmes aux fabriques de leurs paroisses », ce que Jean
du Bec accepte, en demandant une avance financière de la part des prêtres et des fabriques.
L’imprimeur malouin Pierre Marcigay « fait une espreuve d’une fueille du missal a l’usage de
Saint Malo », qui est soumise aux recteurs lors du synode de la Saint-Luc 1605. Ceux-ci « ont
trouvé bonne et approuvé ladite forme et caractere, et consenty qu’ilz soint imprimez en icelle
forme », promettant d’en prendre et d’avancer les sommes. Cela nous montre au passage que
les synodes ne sont pas une simple courroie de transmission du pouvoir épiscopal, mais aussi
un lieu de discussion et d’intervention des recteurs. Les diurnaux sont imprimés en 1607 et les
missels, au nombre de 400, en 1609 seulement24. En 1611, l’archidiacre de Porhoët dénonce
les prêtres qui n’ont pas encore acheté les ouvrages liturgiques nouvellement imprimés,
rappelant que tous doivent « en avoir tant pour leur office en particulier que pour ayder a faire
le service divin es eglises » et faire observer par le peuple les jours de fête qui y sont indiqués.
Dès 1613, il est décidé de suivre dorénavant l’usage romain, et il est ordonné aux recteurs de
faire acheter par les trésoriers des fabriques « des antiphonaulx [antiphonaires], graduels et
psaultiers […], comme ils sont imprimez a Paris ». Puis, à la Pentecôte 1615, il leur est
demandé « d’user dorenavant de brevieres et messelz romains », leur donnant un délai de six
mois pour en acquérir, sous peine de trois livres d’amende. Par ailleurs, les évêques instaurent
de nouvelles fêtes chômées : la Transfiguration en 1605, la Saint-Yves et la Saint-Méen en
1611, la Saint-Louis en 1638. Il ne semble pas aisé de faire respecter ces nouveaux jours
chômés dans un diocèse qui, en 1619, en compte 45 en sus des dimanches25, et il est demandé
aux recteurs de condamner dans leurs prônes les « transgresseurs de festes ».
Il y a bien, ainsi, dès les premières années du
XVIIe
siècle, un renouveau des synodes
dans le diocèse de Saint-Malo – notre ignorance étant totale en ce qui concerne les diocèses
voisins de Dol et de Rennes –, ce qui s’explique à la fois par le souci d’une gestion efficace et
par la volonté de mettre en œuvre une véritable politique de réforme. L’action engagée en la
matière par Jean du Bec et Guillaume Le Gouverneur est fondamentale et la fréquentation
Diurnal : « Livre d’Eglise qui contient l’office divin qui se recite de jour, c’est a dire, les petites heures,
vespres et complies. » ([29] FURETIERE, Antoine, Dictionnaire universel).
24
Il s’agit du [XV] Missale Macloviense, répertorié dans [68] WEALE, W. H. J., Bibliographia liturgica (…),
sous le n° 567.
23
220
relativement importante des titulaires de cures assure l’efficacité de l’entreprise, constatation
qui vaut aussi pour le début de l’épiscopat d’Achille de Harlay. La situation semble même
meilleure dans le diocèse de Saint-Malo que dans celui de Clermont, pourtant dirigé par
l’énergique Joachim d’Estaing, alors que la géographie du diocèse n’est pas plus favorable26.
Et la reprise en main semble, d’une façon générale et dans l’état actuel des connaissances,
plus précoce dans le diocèse malouin que dans la plupart des diocèses français 27. Mais au
milieu des années 1630 la formule semble s’essouffler. De façon évidente, le degré de réussite
de l’entreprise réside désormais dans la qualité du clergé paroissial, et pas seulement des
recteurs, qui requiert un niveau d’instruction suffisant, et donc une formation adaptée. C’est
un aspect que Guillaume Le Gouverneur n’a sans doute pas suffisamment vu, mais son action
est fondamentale aussi bien dans la tenue des synodes que dans la promulgation de statuts
synodaux.
3 ) Les statuts synodaux
Lorsque Guillaume Le Gouverneur accède au siège épiscopal, les derniers statuts
synodaux du diocèse de Saint-Malo ont été promulgués près d’un siècle plus tôt par Denis
Briçonnet, Jean du Bec s’étant contenté en 1599 d’ordonnances dont nous n’avons pas
conservé le texte. Le long travail de préparation, préliminaire à la promulgation de nouveaux
statuts, est sans doute d’abord l’œuvre de Jacques Doremet, Vendômois et protestant dans sa
jeunesse, arrivé en 1605 dans le diocèse malouin et devenu chanoine et recteur de Miniac,
secrétaire particulier de Jean du Bec puis vicaire général, et confirmé dans cette charge en
1612 par le nouvel évêque28. Un bénédictin anglais arrivé à Saint-Malo en 1611, Guillaume
de Gifford, en religion Gabriel de Sainte-Marie, nommé vicaire général par Guillaume Le
Gouverneur en 1612, joue lui aussi très probablement un rôle important dans ce travail, dont il
ne faut sans doute pas exclure non plus quelques membres du chapitre29. Notons aussi qu’en
1611 l’évêque visite son diocèse afin d’établir la liste des travers à corriger30. Comme nous
l’avons vu, les statuts sont lus au synode de la Saint-Luc 1612, les recteurs étant invités à
rédiger des mémoires afin de les compléter, puis ils sont imprimés en 1613 à Saint-Malo, et
25
[XXIX] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux, p. 35 sq. Or, Guillaume Le Gouverneur a déjà
supprimé certaines fêtes.
26
[226] WELTER, Louise, La réforme ecclésiastique du diocèse de Clermont (…), p. 28-30.
27
[193] Histoire du christianisme, t. 9, p. 254-255.
28
[XLI] JOUON DES LONGRAIS, Frédéric, Jacques Doremet, sa vie et ses ouvrages (…), p. 1-74.
29
[341] GUIBLIN, François-Xavier, Un écrit dans la Réforme catholique (…), p. 125.
30
[XXVIII] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux, p. 3-4. ADIV, 1 G 82.
221
forment un volume de 575 pages31. L’épître qui figure au début de l’ouvrage indique
clairement l’esprit de l’entreprise. L’évêque présente la publication comme la suite logique de
sa visite pastorale, au cours de laquelle il a « d’un veillant soin, pris garde a faire recherche et
perquisition des defectuositez, vices, depravations, corruptions, iniquitez, malices,
perversitez, malversations, prevarications, et autres pechez et maladies spirituelles, dont […]
plusieurs de chaque condition, par les villes et parroisses de nostre diocese, se retrouvent
infectez »32. Aussi apparaît-il nécessaire d’établir « diverses constitutions, reglements, decrets
et ordonnances »33. Tous les titulaires de cures doivent évidemment en acquérir un exemplaire
et, nous l’avons vu, l’apporter aux synodes. Les statuts font l’objet d’une réédition en 1619 et
en 162034. Peut-être les ouvrages édités antérieurement ont-ils été alors entièrement écoulés.
L’épître qui ouvre le volume imprimé en 1620 présente une autre raison : l’évêque y constate
qu’à son « grand desplaisir et tres grand regret, plusieurs tant ecclesiastiques que laiques se
retrouvent encore tarez, apres les assidus et penibles labeurs que nous avons si soigneusement
employez pour en repurger nostre diocese »35. L’allongement des développements est conçu
comme facilitant la mise en œuvre des remèdes, l’ouvrage édité en 1619 comporte 1118
pages, celui imprimé en 1620 1122 pages, auxquelles s’ajoutent dans les deux cas 79 pages
non numérotées consacrées à la table des matières et à l’index.
Les différences entre les deux dernières éditions sont tout à fait mineures, et celles qui
existent entre ces dernières et l’édition de 1613 ne portent guère sur le fond, même si l’on
constate quelques modifications ponctuelles, qui vont dans le sens d’une plus grande
exigence. Dans les volumes imprimés en 1619 et 1620, les citations, placées généralement
dans les marges, sont encore plus nombreuses que dans l’édition précédente, où elles
figuraient pourtant déjà en nombre non négligeable. Sont cités les anciens statuts synodaux du
diocèse de Saint-Malo et la législation provinciale bien entendu, mais aussi d’autres textes
conciliaires, et notamment ceux du concile de Trente, Aristote, les Pères grecs, saint Thomas,
Bellarmin, Charles Borromée, les théologiens espagnols, et plusieurs de ces citations sont
faites en grec, en italien et en espagnol. Le doublement du volume s’explique aussi par
l’emploi d’un nouveau style d’écriture, marqué par la faconde. Les paragraphes précédents
sont généralement conservés, mais des développements nouveaux sont insérés ; ils sont
marqués par la volubilité mais n’apportent, sauf exceptions, rien de plus sur le fond. L’index
31
[XXVIII] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux.
Ibid., p. 3-4.
33
Ibid., p. 6.
34
[XXIX] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux, [XXX] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux.
35
[XXX] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux, p. 3-4.
32
222
comprend 418 notions, la multiplication des entrées visant à faciliter la consultation de cet
ouvrage volumineux.
Au début de l’ouvrage figurent une épître, un mandement pour la promulgation, des
règles concernant les excommunications, les jeûnes et l’observance du dimanche, ainsi que la
liste des fêtes chômées. Puis les statuts synodaux sont divisés en trois grandes parties. La
première, consacrée aux ecclésiastiques et à la « dignité sacerdotale », comprend 13 articles et
261 pages36. Il y est question des synodes, des visites et des doyens ruraux, de la résidence, de
la récitation des heures et de la célébration des offices, du prône, des prêtres étrangers, des
prédicateurs, et de l’ensemble des règles en matière de discipline. La seconde partie, en 27
articles et 267 pages, traite des « reglemens communs concernant l’honneteté, modestie,
probité de vie et sainte conversation des fidelles chrestiens, tant ecclesiastiques que laiques ».
Ce sont principalement les laïcs qui sont ici visés. Les réglementations touchent tous les
domaines, concernant les processions, l’usage de l’eau bénite, le culte des images et les
miracles, mais aussi les testaments, les sépultures et la gestion des fabriques. Il y est question
de l’encadrement des fidèles par le biais des confréries et des hôpitaux, des interdictions à
propos des veillées et de possibles usages des lieux de culte, ainsi que des condamnations qui
doivent toucher les concubinaires, les blasphémateurs et les sorciers, sans oublier la conduite
à tenir à l’égard des excommuniés. L’évêque s’intéresse aussi, de façon révélatrice, aux
petites écoles et aux « catechizations ». La troisième et dernière partie, qui traite des sept
sacrements, est constituée de 162 articles qui occupent 566 pages, soit la moitié de l’ouvrage.
Les deux sacrements qui font l’objet des développements les plus longs sont l’eucharistie et la
pénitence, auxquels sont consacrés respectivement 162 et 164 pages, soit, à eux seuls, plus de
57 % du texte de cette troisième partie. L’ouvrage se clôt par une conclusion et une
« profession de la foy catholique, que tous chrestiens doivent savoir, et laquelle doivent faire
tous ceux qui se convertissent abjurant l’heresie ».
Comme l’a souligné François Lebrun, les statuts synodaux semblent constituer avant
tout un long catalogue de défenses, notamment à l’égard des laïcs, et l’obtention du Salut
paraît résulter d’abord de l’évitement du péché, omniprésent dans le monde de par l’action du
Malin37. C’est la raison pour laquelle Guillaume Le Gouverneur se veut exigeant et rigoureux,
d’autant que « le flagitieux, le brutal ne veut point obeir aux ordonnances, ni s’abstenir de mal
faire, que par crainte »38. En effet, les pécheurs « se plaignent de la severité des peines, et ne
Les calculs qui figurent ici ont été réalisés à partir de l’édition de 1620.
[343] LEBRUN, François, « La religion de l’évêque de Saint-Malo et de ses diocésains (…) ».
38
[XXIX] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux, p. 11.
36
37
223
se plaignent pas de l’atrocité de leurs vices »39. Aussi la contrainte est-elle conçue par
l’évêque comme une action positive et louable, ce qu’exprime la métaphore suivante : « celuy
qui laisseroit croupir le venin au corps de quelqu’un qui auroit esté mordu de quelque beste
veneneuse, quand il pourroit le tirer hors, seroit a bon droit estimé cruel, mais non pas celuy
qui le tireroit, et feroit sortir. C’est une espece de pieté d’estre rigoureux en tel cas »40. Le
clergé paroissial est évidemment tenu de participer à l’entreprise, y compris en amont, les
synodes servant à « traitter et conferer avec nous du regime de l’Eglise » pour « faire
disquisition et discussion de toutes defectuositez et depravations, afin d’y appliquer les
remedes opportuns et necessaires »41. En aval, tous les prêtres, et pas seulement les titulaires
de cures, doivent posséder un exemplaire des statuts. Et les recteurs doivent « lire et publier
distinctement et intelligiblement nos presens statuts a leurs paroissiens assemblez, tous les
premiers dimanches de chacun mois annuellement, soit entre la messe matinale et la grande
messe, soit a l’endroit du prosne, soit a une heure apres midy attendant vespres […], et en
faire lecture du moins l’espace d’une heure par chacun d’iceux dimanches »42. À cette
occasion, tous les fidèles qui écouteront la lecture « avec vraye repentance de leurs pechez »
gagneront quarante jours d’indulgence43. Vu l’ampleur de la tâche accomplie, les successeurs
de Guillaume Le Gouverneur ne promulguent que des ordonnances. C’est le cas d’Achille de
Harlay au début des années 1640, de Ferdinand de Neufville en 1647, de François de
Villemontée en 166144. Le seul texte que nous ayons conservé est celui de Ferdinand de
Neufville, lu à l’occasion du synode de la Saint-Luc 1647. Court, il traite du catéchisme,
d’interdictions concernant le baptême, de la fréquentation des cabarets par les ecclésiastiques
et de la nécessité pour les fabriques de conserver les actes de fondation45. Il s’agit là de
compléments ponctuels aux statuts de Guillaume Le Gouverneur, qui restent la référence tout
au long du siècle et sont couramment cités dans les synodes tenus au XVIIIe siècle46.
Contemporain de Guillaume Le Gouverneur, l’évêque de Dol Antoine Revol
promulgue en 1618 des ordonnances dont nous n’avons rien conservé47, et il en est de même
dans les années 1630 d’Hector d’Ouvrier48. Il faut attendre 1662, et Mathieu Thoreau, pour
39
Ibid., p. 21.
Ibid.
41
[XXX] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux, p. 101-102.
42
Ibid., p. 24 sq.
43
Ibid.
44
ADIV, 1 G 83. [3] Répertoire des statuts synodaux (…), p. 400.
45
ADIV, 1 G 83.
46
Ibid.
47
[XXXI] PERENNES, Henri, « Extraits d’anciens statuts du diocèse de Saint-Malo », p. 70, [3] Répertoire des
statuts synodaux (…), p. 225.
48
[XXXVI] THOREAU, Mathieu, Statuts et ordonnances (…).
40
224
que des statuts soient promulgués. « Reveus et augmentez », ils sont imprimés en 1678 à Dol
et constituent un volume de 23 pages, le contenu étant divisé en 36 articles49. Les quatorze
premiers sont consacrés à la discipline ecclésiastique, puis il est question du catéchisme, des
sacrements dans sept articles, des sépultures, de l’heure des messes, du prône, des chapelles,
du culte des images, des petites écoles, des prêtres itinérants et des quêtes, les laïcs faisant
l’objet de quatre articles qui portent sur le concubinage, le respect des ecclésiastiques, les
cabarets et les duels. Les deux derniers articles concernent les sanctions et la publication des
statuts, et sont suivis par la liste des cas réservés à l’évêque, celle des fêtes chômées et celle
des jours de jeûne. L’essentiel du texte est donc consacré aux membres du clergé paroissial,
Mathieu Thoreau citant les ordonnances de ses prédécesseurs Mathurin de Plédran et Hector
d’Ouvrier, ainsi que les décisions prises à Trente. Chaque article est concis et les métaphores
sont peu nombreuses, si ce n’est pour souligner que « la non residence des recteurs est la plus
prejudiciable au salut des ames, lesquelles le Diable comme un lion rugissant pourchasse
incessamment pour devorer »50. Mentionnons aussi le recours à la raison, argument qui n’était
pas employé en tant que tel par Guillaume Le Gouverneur au début du siècle, lorsque
l’évêque souligne que « c’est chose indigne et opposee non seulement a la religion mais aussi
a la raison de mesler les choses profanes avec les saintes »51. Les recteurs doivent lire les
statuts au prône les trois dimanches qui suivent leur promulgation, « et en apres les premiers
dimanches de l’Avent, et les premiers dimanches de Careme », la liste des cas réservés étant
lue « les quatre dimanches precedens les quatre principales fetes de l’annee »52. L’évêque
espère que clercs et laïcs se soumettront aux réglementations, non principalement par crainte
du châtiment, mais pour l’ « amour » de Dieu53.
À Rennes, il faut attendre 1682 pour que des statuts synodaux soient promulgués, soit
plus d’un siècle après l’impression de ceux d’Aymar Hennequin. Qui plus est, il n’est pas
certain que Jean-Baptiste Beaumanoir de Lavardin les ait fait imprimer, et nous ne les
connaissons que par l’édition réalisée en 1726 à l’initiative de l’évêque Charles-Louis Le
Tonnelier, qui effectue quelques additions et modifications, présentées comme « menues »
sans autre précision54. Le volume de 64 pages comprend quatre parties principales. La
première, intitulée « Des eglises », porte sur tous les aspects matériels du culte. La seconde
traite « de l’office divin », mais aussi des processions et des fondations. La troisième est
49
Ibid.
Ibid., art. IX.
51
Ibid., art. XXII.
52
Ibid., art. XXXVI.
53
Ibid.
50
225
consacrée aux sacrements, avec des développements plus importants lorsqu’il est question de
l’ordre, de l’eucharistie et de la pénitence, et la quatrième concerne la discipline
ecclésiastique. Aussi les laïcs sont-ils assez peu visés par ces réglementations. Suivent la liste
des cas réservés et celle des fêtes chômées, un développement traitant du séminaire et un
recueil d’arrêts du Parlement et d’édits royaux « au soutien de plusieurs dispositions des
statuts synodaux ». Les citations et les figures de style sont très peu nombreuses, le texte est
concis et se présente autant comme une liste d’obligations que comme une série
d’interdictions. Cela n’empêche pas ces statuts synodaux de présenter des exigences plus
grandes encore que celles qui figurent dans les statuts de Guillaume Le Gouverneur, ce qui
s’explique par la date nettement postérieure de la publication, soulignant par là les notables
progrès accomplis dans l’œuvre de réforme au
XVIIe
siècle. Requises par le concile de Trente,
complémentaires des statuts synodaux car elles permettent de s’assurer de l’application
effective des décisions qui y sont contenues, les visites pastorales n’y sont pas étrangères.
4 ) Les visites pastorales
Pour le
XVIIe
comme pour le
XVIe
siècle, les visites sur lesquelles nous possédons le
moins de renseignements sont celles qui sont effectuées dans le diocèse de Dol. Paul ParisJallobert n’a relevé dans les registres paroissiaux qu’une visite d’Antoine Revol à Saint-Jacut
en 1616, une de Robert Cupif à La Fontenelle en 1658, une de Jean-François Chamillart à
Tressaint en 169855. Les comptes de fabrique permettent de repérer le passage d’Antoine
Revol à La Fontenelle en 1607, d’Hector d’Ouvrier à Plerguer en 1630, à Trébédan en 1633, à
Vilde-Bidon et au Hinglé en 1634, à Plerguer de nouveau en 1635, à Trébédan encore en
1639, à Roz-Landrieux en 1640, à Trébédan derechef en 1641, sans oublier la visite de JeanFrançois Chamillart à Trébédan en 1695 et 169856. Par contre, ni Robert Cupif ni Mathieu
Thoreau n’ont laissé dans les comptes de fabrique la trace de leurs visites, et Mathieu Thoreau
n’aborde même pas ce thème dans ses statuts synodaux57. Aussi convient-il sans doute
d’opposer, en terme d’investissement épiscopal en la matière, la première et la seconde moitié
du siècle, même si des visites sont également menées par d’autres membres de la hiérarchie
[XXXIV] Statuts et reglemens du dioceze de Rennes (…).
[55] PARIS-JALLOBERT, Paul, Anciens registres paroissiaux de Bretagne, repris dans [65] Répertoire des
visites pastorales de la France (…), vol. 2, p. 272. Pour le XVIe siècle, Paul Paris-Jallobert n’a relevé qu’une
visite de Charles d’Espinay à La Fontenelle en 1573 (ibid.).
56
ADIV, 2 G 118/2, 2 G 121/6, 2 G 229/1, 2 G 254/5. ADCA, 20 G 614.
57
[XXXVI] THOREAU, Mathieu, Statuts et ordonnances (…). Ceci dit, Mathieu Thoreau visite la paroisse de
Saint-M’Hervon en 1698 (ADIV, 2 G 314/8).
54
55
226
ecclésiastique. Si l’on considère les comptes de fabrique de Trébédan, dans le Poudouvre, qui
ont été conservés pour la période 1610-1699, des dépenses sont engagées pour acquitter le
droit de visite et couvrir les frais en avoine 25 années sur 90, soit 14 années pour la période
correspondant à l’épiscopat d’Antoine Revol, 4 années pour celui d’Hector d’Ouvrier mais il
s’agit toujours d’une visite de l’évêque en personne, aucune pour celui d’Anthyme-Denis
Cohon, une pour celui de Robert Cupif, 2 lors de la vacance du siège, 2 pour celui de Mathieu
Thoreau et 2 également pour celui de Jean-François Chamillart58. Il est possible de dégager
une périodisation du même type à partir des autres comptes de fabriques conservés. Ainsi,
seules 3 visites sont mentionnées pour les 33 années de compte conservées pour Roz-surCouesnon de 1636 à 167059. La plupart du temps, l’identité du visiteur n’est pas donnée, mais
le passage de l’archidiacre est signalé à Trébédan, de même qu’à La Fontenelle, Plerguer et
La Fresnais, où l’on mentionne aussi la présence des vicaires généraux et de l’official60. Au
début de la période, la visite a d’abord comme objectif l’examen des comptes de fabrique, et
se tient souvent à Dinan pour les paroisses doloises du Poudouvre, mais elle ne se réduit pas à
cet aspect puisqu’à Trébédan des dépenses sont engagées pour des témoins synodaux en 1614,
1615 et 1616. Les déplacements de l’évêque Hector d’Ouvrier correspondent sans doute à de
véritables visites pastorales. Par la suite, et jusqu’aux années 1690, les visites s’avèrent
rarissimes, sauf pendant la vacance du siège en 1659-1661. Presque toujours, le déplacement
dans une paroisse concerne aussi les paroisses voisines, mais dans un rayon assez grand pour
les enclaves situées dans le diocèse de Saint-Malo. Ainsi, les trésoriers de Trébédan engagent
des dépenses pour des visites à Dinan, Aucaleuc, Saint-Méloir, Le Hinglé, Saint-Carné, et il
paraît évident qu’une visite qui se tient à près d’une dizaine de kilomètres de la paroisse
concernée ne peut avoir d’efficacité réelle dans tous les domaines. Finalement, le bilan
apparaît modeste si l’on excepte l’épiscopat d’Hector d’Ouvrier, et très en deçà des exigences
manifestées par les décrets tridentins, qui imposent la visite de toutes les paroisses d’un
diocèse tous les ans ou tous les deux ans, par l’évêque lui-même ou par un vicaire général61.
Notons toutefois que les paroisses qui se trouvent à proximité immédiate de la cité épiscopale
semblent faire l’objet d’une attention plus grande, et en 1608, sur « denontiation » du recteur
de Roz-sur-Couesnon, Antoine Revol se montre véritablement exigeant, pour la période, à
58
ADCA, 20 G 614.
ADIV, 2 G 254/5.
60
ADIV, 2 G 118/2, 2 G 121/6, 2 G 229/1.
61
Session VII, Decretum secundum. Super reformatione ; session XXIV, c. de reformatione III.
59
227
l’égard des habitants de la paroisse, leur enjoignant de faire construire une sacristie, un
ossuaire, d’entretenir une lampe ardente et d’installer des tableaux dans l’église62.
Les visites effectuées par les évêques de Saint-Malo sont autrement plus nombreuses.
Le dépouillement des registres paroissiaux réalisé par Paul Paris-Jallobert montre que Jean du
Bec à partir de 1600, Guillaume Le Gouverneur, Achille de Harlay jusqu’en 1644, visitent
presque chaque année des paroisses de leur diocèse63, et il en est de même de Ferdinand de
Neufville de 1651 à 1657. Les comptes de fabrique permettent de compléter cette recension.
Les paroisses du Clos-Poulet et du Poudouvre paraissent, sans surprise, être les plus visitées,
mais Jean du Bec se déplace jusqu’à Gaël, Guillaume Le Gouverneur et Achille de Harlay se
rendent à plusieurs reprises jusqu’à Josselin, à l’extrémité sud-ouest du diocèse64. Si l’on
considère les informations fournies par les registres paroissiaux, aucune visite de Ferdinand
de Neufville n’est signalée dans la moitié sud du diocèse, mais les comptes de fabrique
d’Helléan mentionnent son passage à Josselin en 165165. D’après les registres paroissiaux,
François de Villemontée et Sébastien du Guémadeuc semblent avoir effectué bien peu de
visites pastorales, ce que confirment les comptes de fabrique, même si celle réalisée en 1678
par le second paraît avoir concerné un nombre assez important de paroisses 66. Dans la
première moitié du siècle au moins, les vicaires généraux s’avèrent très actifs et visitent les
paroisses dans lesquelles l’évêque ne s’est pas déplacé.
Les archidiacres de Dinan et de Porhoët effectuent eux aussi des visites, non sans
concurrence avec l’évêque et les vicaires généraux puisqu’au synode de la Saint-Luc 1609 il
leur est demandé « de plus envoyer les mandemens de leurs visites, sinon apres que
monseigneur aura fait la sienne, pour eviter aux confusions qui travaillent les beneficiers
ayans en mesme temps deux mandemens de diverses visites »67. En 1613, Guillaume Le
Gouverneur leur demande de lui « declarer par proces verbal dans un mois apres leur visite
tout ce qu’en visitant ils auront recognu meriter emendation et correction »68. Dans les années
1660, l’archidiacre de Dinan utilise des formulaires imprimés pour annoncer ses visites, signe
que celles-ci sont probablement nombreuses et régulières69. Comme dans le diocèse de Dol, et
62
ADIV, 2 G 254/29.
[65] Répertoire des visites pastorales de la France (…), vol. 4, p. 162-163. Dans cette recension ont été
oubliés quelques relevés effectués par Paul Paris-Jallobert à propos des visites de Guillaume Le Gouverneur, ce
qui a été corrigé dans [345] GUIBLIN, François-Xavier, Un écrit dans la Réforme catholique (…), p. 118.
64
[65] Répertoire des visites pastorales de la France (…), vol. 4, p. 162-163. ADM, G 0913, G 0914.
65
ADM, G 0914.
66
[65] Répertoire des visites pastorales de la France (…), vol. 4, p. 163. ADCA, 20 G 41. ADIV, 2 G 92/8.
67
ADIV, 1 G 82.
68
[XXVIII] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux, p. 55 sq.
69
ADIV, 2 G 98/1.
63
228
quel que soit le visiteur, un déplacement dans une paroisse concerne également, bien souvent,
les paroisses voisines. À ce titre, et si l’on prend en compte tous les types de visites, y
compris celles qui semblent se résumer à un examen des comptes de fabrique, les trésoriers
d’Helléan, près de Josselin, engagent des dépenses liées aux visites 49 années de 1601 à 1665,
et ceux de Saint-Jouan-de-l’Isle, dans le Poudouvre, 35 années de 1613 à 165570. Dans ce
dernier cas, il y a quinze années, toutes antérieures à 1646, date de l’accession de Ferdinand
de Neufville au siège épiscopal, où deux visites sont effectuées, une par l’archidiacre de
Dinan et l’autre par l’évêque ou un vicaire général.
Dans ses statuts synodaux, Guillaume Le Gouverneur, s’inspirant assez largement du
passage consacré au sujet dans le Rituel romain, prévoit de faire précéder la visite épiscopale
par son annonce au prône le dimanche précédent, « afin que tous les fidelles chrestiens de la
paroisse, tant laiques qu’ecclesiastiques puissent y assister, et ouyr l’exhortation et
remonstrance »71. Le jour dit, les cloches sont sonnées, les membres du clergé, précédés de la
croix et de la bannière et suivis par les laïcs, viennent au-devant de l’évêque, après avoir
allumé du luminaire dans l’église et rangé « par ordre » les ornements liturgiques dans la
sacristie72. L’évêque prévoit d’inspecter d’abord la réserve eucharistique, puis les fonts
baptismaux, la sacristie et l’ensemble de l’église, en portant une attention particulière aux
autels. Il demande aux prêtres de rédiger un mémoire des fondations de messes, une liste des
prêtres, trésoriers et témoins synodaux, ainsi qu’une liste des principaux pécheurs publics et
de ceux qui n’ont pas accompli les obligations pascales, toutes ces personnes étant
convoquées à l’occasion de la visite. Selon Guillaume Le Gouverneur, les témoins synodaux
doivent être choisis parmi les « hommes prudens, graves d’age et de mœurs […], affectionnez
aux vertus chrestiennes, hayssans le vice et amateurs de la vie spirituelle, pour avoir l’œil sur
les actions de toutes sortes de personnes »73. Le jour de la visite, ils doivent « declarer
entierement par leur interrogation tout ce qu’ils auront recognu de forfait en leur paroisse, sur
peine d’excommunication », toute personne désignée comme témoin synodal ne pouvant
refuser sous peine d’une amende de cinq livres. Ce choix de laïcs correspond à une certaine
méfiance à l’égard des membres du clergé paroissial, les témoins synodaux ayant notamment
pour tâche de dénoncer les ecclésiastiques qui ne remplissent pas correctement leurs devoirs74.
70
ADCA, 20 G 564. ADM, G 0913 et G 0914.
[XXIX] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux, p. 44-45.
72
Ibid., p. 129 sq.
73
Ibid., p. 154 sq.
74
Mais les membres du clergé paroissial doivent eux aussi contrôler les témoins synodaux. Au synode de la
Pentecôte 1632, il leur est défendu « d’admettre a la sainte communion ceux qu’ils cognoistront s’estre parjurez
et avoir celé la verité lorsqu’ils ont esté interrogez comme tesmoins synodaux en visite » (ADIV, 1 G 83).
71
229
Aucun procès-verbal de visite pastorale n’a été conservé, et il est tout à fait possible
qu’aucun n’ait été rédigé. Les comptes de fabrique paraissent presque systématiquement
examinés à l’occasion des visites, et il semble que beaucoup d’entre elles se limitent à cet
aspect à partir du milieu des années 1650, quand, à Helléan par exemple, il n’est plus question
que d’offrir de l’avoine aux chevaux d’un greffier. La rémunération des témoins synodaux ne
peut servir de test pour repérer les véritables visites pastorales, car elle n’est plus permise à
partir des années 1610. À Paramé, en 1611, il est décidé d’enduire de chaux les murs de
l’église, « suivent l’ordonnense de monsieur le grant vicaire a la vissitte ». De fait, les rares
textes qui nous fournissent plus de renseignements sont des ordonnances prises
ponctuellement. C’est par exemple le cas pour Monterfil à la suite d’une « visitte
episcopalle » effectuée en réalité par un official en 164675. Ce texte a d’abord pour objectif de
corriger les mœurs des ecclésiastiques, leur enjoignant de porter la soutane et leur interdisant
d’être parrains, de porter des armes et de fréquenter les tavernes, mais les laïcs sont aussi
visés par le biais de l’interdiction des veillées et des réjouissances liées aux baptêmes.
Les visites effectuées par les évêques de Rennes sont à peu près aussi nombreuses que
celles réalisées par les évêques de Saint-Malo, comme le révèle le travail de recension mené
par Paul Paris-Jallobert76. François Larchiver, Pierre Cornulier, Henri de La MotheHoudancourt et Charles-François de La Vieuville visitent presque chaque année des paroisses
de leur diocèse, sauf, pour presque tous, pendant les quelques années qui marquent le début et
la fin de leur épiscopat. Puis, avec Jean-Baptiste Beaumanoir de Lavardin, à partir du milieu
des années 1670, les visites épiscopales sont plus espacées. En revanche, les visites effectuées
par les vicaires généraux, les archidiacres et les officiaux apparaissent, à la lecture des
comptes de fabrique, nettement moins nombreuses que dans le diocèse de Saint-Malo. Ainsi,
pour la période 1601-1696, l’archidiacre du Désert n’est signalé à Gévezé qu’en 1631 et
165077. À Sainte-Colombe, pour la période 1604-1645, l’archidiacre du Désert n’est signalé
qu’en 162178. Les vicaires généraux se montrent tout aussi discrets, sauf lorsqu’il y a une
vacance du siège, et l’official ne paraît pas plus présent. Il en est de même de l’archidiacre de
Rennes, sauf au tout début du siècle. À cette époque, il est présent chaque année dans les
paroisses situées au nord de La Guerche, visitant alternativement Moutiers, Availles,
Domalain et Moulins, mais se contente d’examiner les registres paroissiaux79. Puis il disparaît
75
ADIV, 2 G 192/6.
[65] Répertoire des visites pastorales de la France (…), vol. 3, p. 543-551.
77
ADIV, 2 G 125/5, 6, 7, 8.
78
ADIV, 2 G 269/2.
79
ADIV, 2 G 101/6.
76
230
quasiment lui aussi de la documentation alors que persiste la pratique consistant à rémunérer
le greffier lors de la visite, élément qui permet de repérer la présence d’un visiteur. Pendant
les deux premiers tiers du siècle, l’archidiacre du Désert et l’official semblent se contenter eux
aussi, pour l’essentiel, d’un examen des registres paroissiaux. À l’inverse, l’évêque François
Larchiver, présent chaque année à Saint-Sulpice de Fougères dans les années 1610, enjoint
aux prêtres d’assister aux vêpres, ordonne l’achat de livres et de vêtements liturgiques, la pose
de courtines et de dais80.
Quelques documents nous permettent d’en savoir plus pour le dernier tiers du siècle.
Dans les années 1670 et 1680, des mandements imprimés annoncent la visite de l’archidiacre
de Rennes, qui effectue à La Bouëxière de véritables visites pastorales en 1676 et 168181. En
1666, une ordonnance faisant suite à la visite de l’évêque à La Selle-Guerchaise traite des
fondations de messes, des comptes de la fabrique, du ciboire des malades et de la lampe
signalant la Présence réelle82. En 1678, le recteur de Bazouges-sous-Hédé répond à un
mandement envoyé par le nouvel évêque Jean-Baptiste Beaumanoir de Lavardin qui désire
avoir, en trente points, une vue d’ensemble de la vie paroissiale83. Dans cette enquête, il est
question de l’état de l’église et du cimetière, des aspects matériels du culte, des mœurs des
prêtres, de la pratique des confessions, des petites écoles, du respect des obligations pascales,
des pécheurs publics, des revenus de la fabrique, des fondations de messes et des confréries,
et le texte envoyé par le recteur est signé par des prêtres et par des laïcs. Un seul procès-verbal
de visite pastorale a été conservé. Il s’agit, de façon peut-être révélatrice, d’une visite
effectuée en 1676 par un vicaire général, Gilles de Gain, le siège épiscopal étant vacant 84. En
huit jours, du 23 au 30 août, 14 paroisses sont effectivement visitées et pour 10 autres sont
convoqués les prêtres, les trésoriers, les prévôts des confréries et les témoins synodaux.
Toutes ces paroisses sont situées autour de Rennes, notamment au nord-est de la ville
épiscopale. Le vicaire général s’enquiert de la fréquentation des chapelles, de l’état des
églises, de la reddition des reliquats par les trésoriers des fabriques, de la santé financière des
confréries, des fondations de messes, de l’entretien de la lampe, des pécheurs publics et des
mœurs des prêtres, ces derniers renseignements étant fournis par les témoins synodaux.
80
ADIV, 2 G 120/49, 50, 51.
ADIV, 2 G 32/5.
82
ADIV, 2 G 338/4.
83
ADIV, 2 G 20/2. Cf annexe n° 50.
84
ADIV, 1 G 3/3. Gilles de Gain est un chanoine, docteur en théologie, protonotaire apostolique, scholastique et
official ([36] GUILLOTIN DE CORSON, Amédée, Pouillé historique (…), t. 1, p. 140, 163, 184), puis grand-chantre
et vicaire général (ADIV, 1 G 3/3).
81
231
Au final, si les visites pastorales sont nettement plus nombreuses que ne pouvait le
laisser penser l’existence d’un seul procès-verbal et de quelques mentions éparses dans les
registres paroissiaux, la situation apparaît contrastée suivant les diocèses et les périodes.
Globalement, les visites apparaissent plus nombreuses dans la première moitié du siècle que
dans sa seconde partie, et dans le diocèse de Saint-Malo plus que dans ceux de Rennes et
surtout de Dol. Mais, partout, la réforme du clergé paroissial est un objectif majeur qui,
atteint, permettrait de rendre secondaire la nécessité des visites pastorales et de l’ensemble des
impulsions épiscopales.
B ) La réforme du clergé paroissial
1 ) Recrutement sacerdotal et encadrement clérical des paroisses
Alors que nous ne disposons que d’informations fragmentaires sur l’encadrement
clérical des paroisses au
XVIe
siècle, la Bibliothèque municipale de Poitiers conserve un
dénombrement du clergé séculier des paroisses des diocèses de Rennes et Saint-Malo réalisé
vers 1667 et qu’Alain Croix a exploité, ce qui permet d’établir le tableau suivant85.
Tableau n° 32 : La densité cléricale vers 1667 dans les diocèses de Rennes et Saint-Malo
(clergé séculier)
Diocèse
Paroisses
Nombre moyen de
Paroisses
Nombre moyen
concernées
prêtres par
concernées
d’habitants par
paroisse
prêtre
Rennes
211
6,32
83
225
Saint-Malo
159
7,14
50
22286
Les résultats permettent de relativiser fortement les seuls chiffres qu’il était possible
d’obtenir pour le
XVIe
siècle, et pour lesquels nous avions vu qu’ils étaient très certainement
incomplets et ne pouvaient que servir d’indicateurs. Il faudrait même envisager une baisse du
nombre de prêtres du
XVIe
au
XVIIe
siècle, comme le laissent deviner quelques exemples qui
montreraient aussi que cette baisse intervient dans la première moitié du
XVIIe
siècle :
Bibliothèque municipale de Poitiers. [127] CROIX, Alain, La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles (…), p. 1155-1159.
277 en incluant dans le total la ville de Saint-Malo. Ce tableau est un extrait de celui réalisé par Alain Croix
(ibid., p. 1157).
85
86
232
Concoret dans le diocèse de Saint-Malo compte 9 prêtres en 1602 et 5 en 1639, La Mézière
dans le diocèse de Rennes 15 en 1612 et 5 en 1650, Le Mont-Dol dans le diocèse de Dol 4 en
1652 et 3 en 166187. Les données démographiques, elles, ont été établies par Alain Croix à
partir d’une exploitation des registres de baptêmes fondée sur un taux de natalité de 40 ‰.
Même si celui-ci était de 30 ‰, la densité cléricale serait de toute façon, fait remarquer Alain
Croix, bien supérieure à ce qu’elle est dans le diocèse de La Rochelle ou dans celui de
Chartres, où l’on compte dans les années 1630-1640 environ un prêtre pour 400 catholiques88.
Cependant, si l’on utilise d’autres sources, les chiffres fournis par le dénombrement du
clergé réalisé vers 1667 paraissent élevés. Ainsi, le procès-verbal de visite pastorale effectuée
dans plusieurs paroisses du diocèse de Rennes en 1676 nous indique que sur 22 paroisses l’on
compte une moyenne de 4,95 prêtres par paroisse89. Cette moyenne cache de grandes
variations puisque Mordelles compte 11 prêtres tandis qu’il n’y en a que 2 à Chavagne, une
paroisse voisine. En 1698 est établi un « livre contenant toutes les paroisses du dioceze de
Rennes avec leur presantation et les noms de tous les prestres »90. Nous pouvons ainsi
connaître le nombre de prêtres par paroisse accompagné, parfois, du nombre de communiants.
Si l’on exclut du calcul les villes de Rennes, Fougères et Vitré, l’on obtient pour 198 paroisses
une moyenne de 3,8 prêtres par paroisse, et pour 95 paroisses un nombre moyen de 188,9
communiants par prêtre. Dans le doyenné de Vitré, qui ne présente qu’une moyenne de 2,1
prêtres par paroisse91, il y a 8 paroisses pour lesquelles le recteur n’est assisté d’aucun prêtre,
alors qu’à Availles, près de La Guerche, on compte 6 prêtres pour 650 communiants. Sur 764
prêtres au total, 63, soit 8 %, viennent d’un autre diocèse. Parmi eux, 32, soit la moitié,
viennent du diocèse d’Avranches, 8 des autres diocèses bas-normands, 4 du diocèse du Mans,
3 du diocèse d’Angers, 6 du diocèse de Saint-Brieuc, 5 des diocèses de Dol et Saint-Malo, 4
des autres diocèses bretons, auxquels il faut ajouter un Irlandais. Notons qu’il s’agit là des
prêtres qui résident dans les paroisses, et non de prêtres vagabonds. Ces derniers sont
probablement de moins en moins nombreux, puisque bien des recteurs, à l’image de celui de
Bazouges-sous-Hédé, refusent désormais de les accueillir92. Ceci dit, ce nombre de prêtres
étrangers, même s’il ne concerne pas les villes de Rennes, Vitré et Fougères, paraît faible en
regard de celui calculé par Charles Berthelot du Chesnay, pour qui le diocèse reçoit chaque
87
Ibid., p. 1160-1161.
[127] CROIX, Alain, La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles (…), p. 1158 ; [220] PEROUAS, Louis, Le diocèse de
La Rochelle de 1648 à 1724 (…), p. 195 ; [359] SAUZET, Robert, Les visites pastorales dans le diocèse de
Chartres (…), p. 640.
89
ADIV, 1 G 3/3.
90
ADIV, 1 G 746.
91
Chiffre calculé pour 19 paroisses sur les 23 qui composent le doyenné.
88
233
année, entre 1720 et 1750, 35 prêtres étrangers93. Pourtant, cette moyenne de 3,8 prêtres par
paroisse paraît correspondre aux autres informations dont nous disposons. Ainsi, par exemple,
en 1678, le recteur de Bazouges-sous-Hédé signale qu’il est assisté de trois prêtres94.
En ce qui concerne le diocèse de Saint-Malo, le pouillé réalisé vers 1730 nous permet
de connaître à cette date le nombre de prêtres par paroisse (sans qu’il soit précisé si ce calcul
inclut ou non les recteurs), ainsi que le nombre de communiants95. Là encore, les chiffres sont
nettement inférieurs à ceux du dénombrement de 1667 puisque, en excluant les villes de
Dinan, Josselin, Ploërmel et Saint-Malo, le nombre moyen de prêtres par paroisse, qui peut
être calculé pour 125 paroisses, s’élève à 4,2. Selon les doyennés, le chiffre varie de 3,5
(doyennés de Poudouvre, Bécherel et Montfort, pour 56 paroisses sur 72) à 5,8 (doyenné de
La Nouée, pour 10 paroisses sur 17). Toujours en excluant les villes, le nombre moyen de
communiants par prêtre peut être calculé pour 120 paroisses, et il s’élève à 278,6. La
différence avec le dénombrement de 1667 s’avère donc encore plus importante.
L’interprétation de ces différences se révèle évidemment difficile, car les trois
enquêtes et la visite pastorale semblent avoir été menées avec le même souci d’exhaustivité, et
le même sérieux. Aussi me contenterai-je d’hypothèses. En premier lieu, il est probable que le
dénombrement de 1667 concerne tous les clercs, y compris les simples tonsurés, alors que
l’enquête de 1698 et le pouillé de 1730 ne s’intéressent, et cela de façon explicite, qu’aux
prêtres96. En second lieu, il me paraît probable que la baisse du nombre de prêtres, amorcée
dès la première moitié du
XVIIe
siècle, se poursuit dans la seconde moitié du siècle, ce que
confirmeraient quelques exemples. En 1676, lors de la visite effectuée par un vicaire général à
Ercé-près-Liffré, les paroissiens se plaignent de n’avoir que « peu de prebtres, et que l’eglise
n’est pas servie »97. Il y a en effet seulement 2 prêtres dans la paroisse, dont le recteur, et le
vicaire général décide que la paroisse accueillera un nouveau prêtre, « le general des
paroissiens luy feront un fonts de quarante livres pour l’aider de sa subsistanse, le tout
pendant deux ans jusques a ce que ils n’aient trouvé les moyens de le faire subsister
autrement, et pandant lequel temps il sera deputé l’un des paroissiens pour faire la queillette
de la somme ». En 1687, le recteur de Montgermont, débordé, écrit à l’évêque pour lui
signaler « qu’il n’y a presentement aucun prestre dans la paroisse, ce qui n’estoit point arrivé
92
ADIV, 2 G 20/2. Cf annexe n° 50.
[322] BERTHELOT DU CHESNAY, Charles, Les prêtres séculiers en Haute-Bretagne (…), p. 55.
94
ADIV, 2 G 20/2. Cf annexe n° 50.
95
ADIV, 1 G 71.
96
Ce qui pourrait aussi contribuer à expliquer qu’en 1698 Béchameil de Nointel donne une moyenne provinciale
de 6 clercs par paroisse, soit, selon Alain Croix, d’un pour 212 habitants ([127] CROIX, Alain, La Bretagne aux
XVIe et XVIIe siècles (…), p. 1157).
93
234
depuis plus de cent ans, comme il se voit par les anciens registres qui font foy qu’il y a eu de
tout temps immemorial des curés pour aider les recteurs en lad. paroisse, dont l’estendue et le
nombre des communiants est trop grand pour qu’un seul y puisse suffire »98. Il me semble
donc que le nombre de prêtres diminue tout au long du
XVIIe
siècle, jusqu’à atteindre des
situations caricaturales à la fin du siècle puisque dans certaines paroisses du diocèse de
Rennes le recteur n’est plus assisté d’aucun prêtre.
La géographie du recrutement du clergé nous est connue pour le XVIIIe siècle grâce aux
registres d’ordination dépouillés par Charles Berthelot du Chesnay, pour la période 16801790 en ce qui concerne le diocèse de Rennes, pour la période 1710-1790 en ce qui concerne
le diocèse de Saint-Malo99. Ces calculs ne prennent pas en compte les dimissoires, lettres
délivrées par l’évêque ou un vicaire général qui autorisent l’ordination dans un autre diocèse,
car il n’en a pas été tenu de registre et très peu de lettres ont été conservées100. Le diocèse de
Saint-Malo présente une géographie du recrutement assez uniforme, les doyennés de Poulet et
de Poudouvre ayant ainsi comblé le déficit qui était le leur au
XVIe
siècle101. Le diocèse de
Rennes présente davantage de contrastes, mais ils doivent être relativisés, comme l’a fait
remarquer Alain Croix102. En effet, le doyenné de Fougères, nettement plus étendu que les
autres doyennés, et relativement peuplé, présente de façon tout à fait logique un assez grand
nombre des prêtres ordonnés. La seule situation intéressante concerne la ville de Rennes, qui
représente 11 % de la population diocésaine, et 26 % des ordinands103, tandis que les
doyennés les plus proches, ceux de Rennes, du Désert et d’Aubigné, paraissent relativement
inféconds. Une étude de l’origine sociale des prêtres du
XVIIIe
siècle mis en fiches par
Berthelot du Chesnay révèle la surreprésentation des couches moyennes : bourgeoisie
judiciaire et maîtres artisans en ville, paysans propriétaires dans les campagnes 104. Faute de
données pour le XVIIe siècle, nous en sommes réduits à proposer une éventuelle extrapolation
pour la fin de ce siècle… et à imaginer que la baisse des effectifs pourrait correspondre à la
disparition progressive des clercs disposant de peu de revenus, et donc des titres patrimoniaux
les plus modestes. Ceci dit, la baisse des effectifs s’explique aussi par des raisons culturelles :
le niveau d’exigence effectivement requis a fortement augmenté.
97
ADIV, 1 G 3/3.
ADIV, 2 G 194/10.
99
[322] BERTHELOT DU CHESNAY, Charles, Les prêtres séculiers en Haute-Bretagne (…), p. 73-97.
100
Ibid., p. 45.
101
Ibid., p. 79.
102
[243] Les Bretons et Dieu. Atlas d’histoire religieuse, carte 13.
103
[97] Le diocèse de Rennes, p. 133.
104
[322] BERTHELOT DU CHESNAY, Charles, Les prêtres séculiers en Haute-Bretagne (…), p. 99-133.
98
235
Les revenus des prêtres sont, d’autres auteurs l’ont souligné, difficilement
estimables105, et rares sont les sources qui nous renseignent sur la question. Il y a d’abord le
titre patrimonial, rente viagère constituée avant l’accès au sous-diaconat afin de garantir un
minimum de revenu, dont le montant minimal est fixé à 60 livres par les États généraux de
1614. Pour ce qui est du casuel, nous possédons des informations grâce au procès-verbal de
visite pastorale effectuée en 1676. À Ercé-près-Liffré, le vicaire général Gilles de Gain fixe la
rémunération du recteur à 15 sous pour un enterrement et à 12 sous pour un service, tandis
que les autres prêtres reçoivent 10 sous par service106. Le recteur perçoit également une partie
des offrandes. Ainsi, un tiers des offrandes faites à la chapelle Sainte-Anne de Romagné lui
sont destinées, tandis qu’un autre tiers va au chapelain chargé de desservir la chapelle et le
dernier tiers à la fabrique107. À Saint-Méen, les trois quarts du montant des offrandes
effectuées devant la statue de saint Méen vont au recteur, tandis que la fabrique reçoit le
dernier quart108. En général, la règle est la suivante : les offrandes faites « a la tasse et a
l’œuvre » vont à la fabrique, « et celles de l’autel au recteur »109, même si en fait il faut
effectuer un distinguo suivant les autels110. Les fondations de messes peuvent, dans certaines
paroisses, constituer un complément de revenu non négligeable. Signalons également le
presbytère et le jardin, auxquels il faut parfois ajouter des fonds de terre.
Mais ce sont évidemment les dîmes qui, en fonction de leur perception, font la
différence entre les cures rémunératrices et les cures assurant des revenus modestes. Levées
en théorie pour l’entretien du clergé, celui des lieux de culte et l’assistance aux pauvres, les
dîmes, depuis fort longtemps, sont bien souvent perçues par des chapitres et abbayes, au
bénéfice desquels s’est effectuée la restitution, par les laïcs, consécutive à la réforme
grégorienne111. En ce cas, le décimateur doit verser au recteur une portion congrue, c’est-àdire convenable. Par arrêt du Parlement de Bretagne, en 1638, reprenant des déclarations
royales de 1632 et 1634, les recteurs doivent recevoir au minimum « deux cens livres de
pension congrue par chacun an, exempts de toutes charges, meme des decimes, en
abandonnant toutes les dixmes et autres domaines et revenus qu’ils possedent esdites cures,
[323] BONZON, Anne, « Les revenus des curés du diocèse de Beauvais (…) ».
ADIV, 1 G 3/3.
107
ADIV, 2 G 250/4 (document datant de 1637). Mais ce cas est peut-être particulier car c’est justement le
moment où la fréquentation de cette chapelle augmente fortement, suite à des miracles. La revendication du tiers
des offrandes par le recteur se conçoit sans doute dans ce contexte.
108
[LXV] Les plus solennels arrests et reglemens (…), Livre Troisième, p. 24.
109
Ibid.
110
Ainsi, à Châteauneuf, les offrandes effectuées sur les autels de Saint-Yves et du Saint-Esprit, considérés
« comme estant de la dependance du grand autel », vont dans leur totalité au recteur, alors que celles effectuées sur
l’autel de la chapelle Saint-Mathurin ne lui sont destinées que pour un tiers (ADIV, 2 G 73/15, document de 1660).
111
Sur la restitution des dîmes au bénéfice des établissements religieux, voir [334] Histoire des curés, p. 62-66.
105
106
236
fors le presbytere et casuel de l’eglise, obits et fondations, si aucuns il y a »112. En 1686, le
montant de la portion congrue est fixé à 300 livres pour les recteurs, et à 150 livres pour leurs
curés ou vicaires. Jean Quéniart a cartographié, grâce à un inventaire certes non exhaustif
mais particulièrement précieux, les paroisses dans lesquelles les principales abbayes lèvent les
dîmes113. L’abbaye bénédictine de Marmoutiers s’avère assez présente dans le diocèse de
Saint-Malo, notamment au sud et au centre-est. Les deux grandes abbayes rennaises, SaintMelaine et Saint-Georges, lèvent la dîme dans de nombreuses paroisses rurales d’un vaste
pays rennais qui déborde sur le diocèse de Saint-Malo. Dans les autres cas, c’est dans les
paroisses proches que les abbayes ont des droits. Quant aux chanoines des chapitres
cathédraux, étudiés par Olivier Charles, ils lèvent des dîmes dans d’assez larges zones, une
bonne partie du doyenné de Dol pour les chanoines de Dol, le centre du diocèse de Rennes
pour les chanoines de Rennes, le nord du diocèse de Saint-Malo et quelques paroisses
méridionales dans le cas du chapitre de Saint-Malo114. La carte des cures à portion congrue et
celle des cures assurant des revenus modestes ont pu être dressées pour le milieu du
XVIIIe
siècle par Jean Quéniart, grâce à l’exploitation d’une enquête dont les réponses sont
conservées dans la série G 8 des Archives nationales115. Les cures à portion congrue
apparaissent extrêmement nombreuses dans le diocèse de Saint-Malo, constituant l’immense
majorité des cas, puisqu’elles concernent 133 paroisses sur 162116. Elles sont nombreuses
également dans le pays de Rennes, à la différence du reste du diocèse de Rennes et du diocèse
de Dol. La répartition géographique des cures dites pauvres, dont le revenu brut est inférieur à
500 livres au milieu du
XVIIIe
siècle, correspond évidemment en partie à la répartition des
cures à portion congrue117. Ces cures pauvres sont nombreuses dans le diocèse de Saint-Malo,
sauf dans le doyenné de Lohéac. À l’inverse, l’est et le sud du diocèse de Rennes, ainsi
qu’une partie du doyenné de Dol, sont des régions dans lesquelles les cures ne sont ni
« pauvres » ni à portion congrue, et constituent ainsi les meilleures cures pour les recteurs.
Il semble qu’un nombre non négligeable de recteurs résignent leur bénéfice in
favorem. Sur les 11 recteurs qui officient à Saint-Sauveur de Dinan au
XVIIe
siècle, seuls 3
meurent en charge118. Un devient capucin, 3 démissionnent, opération qui semble se faire plus
[LXV] Les plus solennels arrests et reglemens (…), Livre Quatrième, p. 74.
[243] Les Bretons et Dieu. Atlas d’histoire religieuse, carte 18.
114
[228] CHARLES, Olivier, « Les nobles dignités ». Chapitres et chanoines de Bretagne (…), p. 676, 679, 681.
115
[243] Les Bretons et Dieu. Atlas d’histoire religieuse, carte 17.
116
Chiffre établi pour l’année 1764, mais dont l’ordre de grandeur peut être extrapolé pour la fin du XVIIe siècle.
117
[243] Les Bretons et Dieu. Atlas d’histoire religieuse, carte 17 b.
118
[252] COHAN, Françoise, Paroisse et ville (…), p. 108.
112
113
237
souvent entre les mains du collateur qu’entre celles du patron119, et 4 résignent in favorem,
ordre de grandeur qui correspond à peu près (à un niveau certes un peu plus élevé) à celui
qu’a pu calculer Charles Berthelot du Chesnay pour les cures des diocèses de Rennes et de
Dol entre 1715 et 1789120. Autorisant les bénéficiers à retenir des pensions viagères sur leurs
anciens revenus, ces résignations permettent aux recteurs déjà âgés de se retirer et de nommer
leur successeur, un membre de leur famille ou un protégé121. Aussi la carrière d’un
ecclésiastique dépend-elle en partie de la solidité d’un réseau de relation.
2 ) De l’insertion dans la sociabilité laïque à la volonté de distinction
Les archives judiciaires nous renseignent, au hasard des procès, sur la profonde
insertion des clercs dans la sociabilité laïque. Ainsi, un procès pour vol de cheval en 1616 à
Saint-Ouen-la-Rouërie nous montre l’opposition entre deux clans, et deux prêtres de la
paroisse témoignent à charge contre le recteur, propriétaire du cheval, l’un des prêtres ayant
en fait été complice du vol ; plus tard, le recteur, convaincu de crime, est obligé de résigner en
1619122. Cette insertion dans la sociabilité laïque n’empêche pas qu’un prestige soit associé à
la fonction sacerdotale, et les prêtres – surtout les recteurs – jouent assez souvent un rôle
d’intermédiaire pour trouver des accomodements qui puissent satisfaire les parties et éviter un
recours en justice. C’est l’échec de l’entreprise qui nous permet de connaître les affaires.
C’est, par exemple, le cas pour un vol de toile à Saint-Brice, dans le Coglès, en 1617, le
voleur et sa victime envoyant chercher le recteur la nuit même du larcin, et, dans la même
paroisse, en 1621, une femme agressée allant immédiatement « parler » avec le subcuré123.
Les statuts synodaux promulgués par Guillaume Le Gouverneur rappellent que « le
saint concile de Trente […] apprend qu’il n’y a rien qui plus instruise a la pieté, ni qui porte
mieux les hommes a la devotion et au culte de Dieu, que la vie et l’exemple de ceux qui se
sont vouez et consacrez a son service »124. Aussi le prêtre doit-il être « l’exemple, le patron et
[322] BERTHELOT DU CHESNAY, Charles, Les prêtres séculiers en Haute-Bretagne (…), p. 210.
Ibid., p. 212.
121
Ainsi, Alain Le Gendre, recteur de Saint-Sauveur de Dinan, résigne en 1639 en faveur de Mathurin Le
Gendre ([252] COHAN, Françoise, Paroisse et ville (…), p. 108). Il semble aussi que certains recteurs résignent
bien avant la fin de leur vie, ce qui est le cas d’Alain Le Gendre, qui ne décède qu’en 1660 ; l’objectif principal
de l’opération est alors sans doute la rente viagère.
122
ADIV, 4 B 5430. Alain Croix cite un autre conflit intervenu, cette fois à La Chapelle-des-Fougeretz en 1627,
entre deux prêtres, qui les amène à tenir chacun de leur côté un registre paroissial : presque tous ceux qui font
enregistrer leurs actes par le subcuré Pierre Mallein se nomment Mallein, expression évidente des clans
familiaux ([128] CROIX, Alain, L’Âge d’or (…), p. 355-356).
123
Ibid.
124
[XXIX] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux, p. 98.
119
120
238
le miroir des fidelles, en parole, en conversation saincte, en charité, en foy, en pureté, en
continence, en modestie, en jeusnes et oraisons, en devotion, en aumosnes, en syncerité, en
temperance de manger et de boire, en simplicité et droiture de cœur, et en toutes autres bonnes
œuvres, vivans pieusement et justement »125. Voilà l’idéal, le modèle qui, d’après l’épître
préliminaire à la première édition des statuts, semble bien loin d’être partout atteint126.
Guillaume Le Gouverneur demande donc aux témoins synodaux « si les recteurs et curez
resident en leurs presbyteres, veillans soigneusement au salut des ames et faisans leur devoir
d’administrer les sacremens, prescher et catechizer leurs paroissiens, et visiter les malades »,
et « si les autres prestres et clercs se rangent et assistent au service de l’eglise, et quelle vie ils
meinent, s’ils vont aux tavernes, si les vicieux se sont corrigez, s’ils hantent des personnes
suspectes et gens de mauvaise vie, s’ils obeissent a leur recteur, et vont en habit decent a
l’eglise et aux processions »127. L’évêque précédent, Jean du Bec, se préoccupe dès 1605, vu
l’absentéisme des recteurs, de la qualité de leurs curés ou vicaires. C’est pourquoi, lors d’un
synode, il « faict tres expresses inhibitions et defenses a tous recteurs de non s’ingerer de leur
privee authorité de mettre aucuns prestres a deservir en leur absence », faisant obligation, en
1608, « a tous curez desservans in divinis pour les recteurs de prendre lettre de cure signee du
secretaire de l’evesché, et ce de synode en synode sur peine de suspense »128. Guillaume Le
Gouverneur, à la Pentecôte 1613, prive temporairement des revenus de leurs bénéfices trois
recteurs du doyenné de La Nouée, dont le doyen qui ne réside plus depuis quinze ans, et,
surtout, dès son arrivée à la tête du diocèse en 1611, il cherche à modifier le mode de vie des
clercs, souci qui est également celui de ses successeurs. Les évêques de Saint-Malo
reprennent des interdictions déjà présentes dans les statuts du début du
XVIe
siècle, contre
l’alcool et la fréquentation des tavernes par exemple, dont il est question à douze synodes de
1611 à 1650129. Désormais, les sanctions sont appliquées, du moins en ce qui concerne les
recteurs. Ainsi, à la Pentecôte 1633, « le recteur de Broons pour s’estre trop chargé de vin est
condamné d’aumosner six livres a la fabrique de cette eglise paroissiale de Becherel et
suspens a divinis celebrandis pour trente jours, avec defenses de s’enyvrer a l’avenir sur peine
de prison ». La continence est une autre grande préoccupation, justement parce qu’elle doit
constituer un élément différenciant laïcs et ecclésiastiques. Les évêques s’inquiètent de la
présence des servantes dans les presbytères, et le recteur du Plessix-Balisson, concubinaire,
125
Ibid., p. 80.
[XXVIII] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux.
127
[XXIX] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux, p. 154 sq.
128
ADIV, 1 G 82.
129
ADIV, 1 G 82 et 1 G 83.
126
239
concentre l’attention lors de trois synodes consécutifs, en 1632 et 1633. Cela signifie en
même temps qu’à cette date le concubinage des recteurs est devenu une exception, et est
traqué de façon effective. Les évêques cherchent aussi à contrôler les prêtres qui entrent ou
sortent du diocèse, en exigeant des attestations et des exeats. Enfin, ils visent à instaurer une
surveillance efficace des recteurs par les doyens ruraux, point développé dans les statuts
synodaux de Guillaume Le Gouverneur130, mais nous ne connaissons pas les résultats de cette
entreprise, faute d’avoir conservé les mémoires alors rédigés. S’il est question d’améliorer le
comportement des clercs, c’est bien pour mieux insister sur leur dignité car, par exemple, « il
n’y a rien qui apporte davantage de scandalle, ni qui soit de plus pernicieuse consequance a
l’Eglise que la frequentation des cabaretz et tavernes par les ecclesiastiques ». Aussi les
attaques physiques contre les recteurs, qui sont peu nombreuses mais existent néanmoins, « au
grand deshonneur et scandalle de l’ordre ecclesiasticque », semblent-elles systématiquement
abordées lors des synodes.
Dans la seconde moitié du siècle, les statuts synodaux de l’évêque de Dol Mathieu
Thoreau et de l’évêque de Rennes Jean-Baptiste Beaumanoir de Lavardin développent les
mêmes thèmes, avec parfois une exigence accrue131. Mathieu Thoreau interdit aux recteurs de
s’absenter « sans en avoir obtenu […] permission expresse par ecrit », et même dans ce cas
l’absence ne peut dépasser quinze jours. Parallèlement, il demande que soit tenu un registre
où toutes les défaillances des prêtres habitués puissent être consignées. Dans les diocèses de
Rennes et de Dol, les servantes travaillant dans les presbytères doivent être âgées de plus de
50 ans, sauf s’il s’agit de très proches parentes du recteur. L’esprit de l’entreprise apparaît
clairement dans le passage que les statuts synodaux de l’évêque de Dol consacrent au
vêtement des prêtres : « il est de la gloire et de l’interest de l’Eglise qu’aussitot qu’un
ecclesiastique paroist en un lieu, il soit reconnu pour ce qu’il est, afin que sa dignité soit
honoree dans sa personne ». Aussi les prêtres des paroisses urbaines doivent-ils porter la
soutane en permanence, et ceux des paroisses rurales « au moins les dimanches et fetes, et
lorsqu’ils vont a l’eglise ou en viennent », tandis que pour l’évêque de Rennes tous doivent la
porter « dans le lieu de leur residance ». Pour l’un comme pour l’autre, même en voyage, un
ecclésiastique ne doit jamais paraître en public « sans une soutanele qui descende jusques a
mi-jambe ».
130
« A cette fin selon les saincts canons, ils denonceront et refereront a nostre cognoissance tous les delicts
qu’ils scauront estre commis, notamment par les prestres ou clercs, contre les loix et la discipline ecclesiastique,
mesmes contre les statuts synodaux de ce diocese : dont nous leur donnons puissance et commission de faire,
chacun en son distroict, enqueste et information ; laquelle ils nous envoyeront close et scellee, par ce qu’ils
seront payez de leur salaire et vacation » ([XXIX] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux, p. 163).
240
Partout, cette réaffirmation de la dignité du prêtre s’accompagne d’une volonté plus
générale de séparation entre le sacré et le profane, car, selon Mathieu Thoreau, « c’est chose
indigne et opposee non seulement a la religion mais aussi a la raison de mesler les choses
profanes avec les saintes », cette distinction devant évidemment se faire au bénéfice du sacré.
Cette politique, qu’Alain Croix a qualifiée de « bataille du respect »132, déjà présente dans les
statuts synodaux du début du
XVIIe
XVIe
siècle, est véritablement menée dans la première moitié du
siècle, constituant une véritable obsession de la hiérarchie épiscopale dans sa volonté de
réforme. Les synodes du diocèse de Saint-Malo l’illustrent tout à fait133. Les évêques
cherchent par exemple à réduire le plus possible la part des annonces laïques lors des prônes.
Ils reprennent la lutte pour que, lors des baptêmes, fiançailles et mariages, l’aspect religieux
l’emporte nettement sur la sociabilité laïque, dont les aspects festifs sont d’ailleurs assez
largement condamnés. Achille de Harlay, lui, insiste à trois reprises, ce qui dit assez les
difficultés d’application, sur l’interdiction qui est faite « a tous prestres qui diront leurs
premieres messes de faire grandes assemblees et nopces avecq sonneurs et danses », sous
peine d’une suspense a divinis de trois à six mois.
Pour saisir l’application de ces normes, les archives des officialités ne constituent pas
la source la plus fiable, même s’il n’est pas question de nier leur intérêt. Il est en effet
dangereux d’y chercher des prêtres « représentatifs » dans la mesure où il s’agit de documents
émanant d’institutions à caractère répressif. De toute façon, il n’en subsiste que des épaves, et
la plupart du temps il est question de demandes de séparations de corps, de dispenses de
parenté ou d’exécutions des testaments134. Ceci dit, les documents qui subsistent nous
permettent aussi de faire connaissance, pour la fin du
XVIIe
siècle, avec un recteur coureur de
jupons et un prêtre ivrogne135. Les enquêtes et visites pastorales constituent probablement une
source plus fiable. Dans une ordonnance prise en 1646 suite à une visite effectuée à Monterfil,
l’official de Saint-Malo-de-Beignon se scandalise du fait que certains prêtres deviennent
parrains, portent des armes à feu et vont à la chasse, tandis que « la plus part des prebtres et
aultres ecclesiasticques […] vont a l’eglise et dans des lieux de marchez et assemblés
publicques revestus d’habitz cours comme des seculiers, sans soustane, en sorte qu’ilz ne
paroissent a rien moins que prebtres et ecclesiasticques »136. Selon l’official, qu’il ne faut sans
doute pas trop prendre au mot, « le peuple en est scandalisé et mesedifié ». Trente ans plus
[XXXVI] THOREAU, Mathieu, Statuts et ordonnances (…) ; [XXXIV] Statuts et reglemens du dioceze de Rennes (…).
[128] CROIX, Alain, L’Âge d’or (…), p. 500.
133
ADIV, 1 G 82 et 1 G 83.
134
ADIV, 1 G 648 (officialité de Saint-Malo).
135
ADIV, 1 G 607 (officialité métropolitaine de Tours établie à Rennes), 1 G 632 (officialité de Rennes).
131
132
241
tard, en 1678, le recteur de Bazouges-sous-Hédé répond à l’évêque de Rennes que sur les trois
prêtres qui l’assistent, un seul peut faire l’objet de reproches, car il « est adonné au tabac et
boit du cildre a l’extraordinaire », mais il est « fort bon prestre et assiste a l’eglize et fait bien
son devoir »137.
En 1676, le vicaire général Gilles de Gain, qui effectue une visite dans les paroisses du
pays rennais, s’inquiète du comportement du clergé et soumet les témoins synodaux à un
interrogatoire systématique138. Ceux-ci, de deux à quatre par paroisse, doivent être renouvelés
régulièrement, sans doute pour limiter les pressions que les membres du clergé paroissial
peuvent exercer sur eux. D’après le procès-verbal, il y a treize paroisses pour lesquelles les
témoins synodaux déclarent « n’avoir aucune plainte a faire », tandis que pour neuf autres
paroisses les témoins, dont les dépositions se font visiblement en fonction d’une liste de
questions posées par Gilles de Gain mais demeurent libres dans leur forme, formulent des
reproches à l’égard des prêtres139. Quelques plaintes concernent une consommation excessive
d’alcool ou une utilisation abusive et coûteuse du luminaire. Il est difficile de connaître la part
de spontanéité et de sincérité dans les plaintes contre deux recteurs qui n’enseignent pas le
catéchisme, mais cela nous permet au moins de savoir qu’à cette date la très grande majorité
des recteurs s’acquittent de cette tâche. Les laïcs paraissent surtout sensibles au respect de
l’horaire des messes, qui permet à tous d’y assister, et à l’assistance aux malades, surtout pour
l’administration du viatique, c’est-à-dire que c’est la fonction d’intercession du clergé qui
continue à être considérée par les laïcs comme étant la plus importante. Ainsi, le recteur de
Broons, à l’est de Rennes, « refuse le plus souvent d’aller asister les malades, particulierement
dans l’estendue du trait de Chevré et de Faiel, disant que les dismes ne luy vont pas, ce qui
fait que l’on murmure beaucoup contre luy ». Bien souvent, comme à Andouillé, les témoins
déclarent « n’avoir rien a dire quand a la vie et aux mœurs des sieurs recteur, curé et
prebtre », ce qui n’est peut-être pas à prendre toujours pour argent comptant, mais les normes
tridentines paraissent dans le domaine du concubinage avoir été intégrées vers 1675. Les
contre-exemples le prouvent puisqu’à Moigné, avant même que les témoins synodaux
puissent s’exprimer, le vicaire général reçoit une « plainte du general de la paroisse » contre
un prêtre qui « hante scandaleusement une famme mariee, ce qui est au scandalle de la
paroisse ».
136
ADIV, 2 G 192/6.
ADIV, 2 G 20/2. Cf annexe n° 50.
138
ADIV, 1 G 3/3.
139
Pour deux paroisses, nous ne disposons d’aucune indication.
137
242
Vingt-deux ans plus tard, en 1698, une enquête est menée, par la hiérarchie
ecclésiastique, sur le clergé paroissial du diocèse de Rennes140. Sur 764 prêtres, seule une
petite cinquantaine fait l’objet de reproches. Plusieurs de ceux qui sont jugés « suspect[s] pour
les femmes » sont assez âgés, certains ayant même plus de 70 ans. La consommation abusive
d’alcool paraît être un vice plus répandu, et l’ivrogne est souvent qualifié de « querelleux »,
« indocile et rebelle ». L’on s’en prend également aux prêtres qualifiés d’ « inutiles », à savoir
celui qui « ne fait rien » ou celui qui « ne pense qu’aux affaires temporelles ». Des prêtres
étrangers sont renvoyés dans leur diocèse d’origine, d’autres ecclésiastiques sont « a veiller ».
Plusieurs sont suspens a divinis. Le recteur de Vieux-Viel est « chassé » et remplacé par un
autre recteur, et celui de Fleurigné est « suspens de toutes fonctions » et « condané a faire 3
mois de seminaire a Saint Sulpice ou Saint Nicolas du Chardonnet a Paris ». Bref,
l’application des normes tridentines devient véritablement effective. Distinct des laïcs dans
ses mœurs et son comportement, le prêtre affirme la dignité qui est celle de son ordre.
3 ) Une dignité inscrite dans la pierre
« CY GIST LE CORPS DE VENERALE / NOBLE ET DISCRET MISSIR ISAAC /
HAY VIVANT PRIEUR DES PRI/EURES DE VITRE DOYEN DE / SAINCT TUGAL DE
LAVAL / RECTEUR DE CEANS SEIGNEUR DE LA / GODERIE ETC QUI FIT
CONSTR/UIRE LE PRESENT AUTEL ET SEPUL/TURE CY DESSOUS LAN 1626 / ET
DECEDA LE [blanc] / PRIEZ DIEU POUR LUY ». Cette plaque funéraire apposée dans
l’église paroissiale d’Erbrée est certes celle d’un recteur noble, prieur et doyen qui plus est,
mais elle est révélatrice de la volonté ecclésiastique d’inscrire dans la pierre une dignité, celle
des membres du clergé paroissial et notamment des recteurs, affirmation liée à la valorisation
de l’état sacerdotal et de la tâche pastorale. Beaucoup de prêtres font représenter sur leur dalle
funéraire, outre une croix, un calice et une hostie, auxquels se joint souvent un missel. Il
subsiste, par exemple, cinq dalles de ce genre dans l’église paroissiale de Chauvigné, près de
Fougères. Cette pratique est à rapprocher de l’habitude nobiliaire consistant à placer sur les
tombes blasons et épées. Il s’agit d’affirmer la dignité du défunt en rappelant sa fonction
essentielle : célébrer la messe, permettre la transsubstantiation et administrer l’eucharistie.
C’est donc, comme le désirait Josse Clichtove au siècle précédent, autour de la fonction
d’intercession que s’affirme cette dignité du prêtre. Certains, comme Guillaume Mastivint,
140
ADIV, 1 G 746.
243
prêtre de Lécousse décédé en 1665, en profitent pour rappeler par une inscription le nombre
d’obits qu’ils ont fondés.
Cette volonté d’inscrire sa dignité dans la pierre se traduit aussi par l’érection de
nombreuses croix monumentales. Alors que le
d’or des croix d’enclos, il y a au
XVIIe
XVIe
siècle peut être considéré comme l’âge
siècle un nombre non négligeable d’érections de croix
individuelles, qui sont souvent le fait de prêtres. Lorsque sur les croix comportant la
représentation de calices, hosties et missels est également mentionné le nom du donataire, il
s’agit toujours d’un ecclésiastique. Ces prêtres ne sont pas nécessairement des recteurs, car
bien des croix conservées aujourd’hui sont placées dans des villages ou hameaux, lieux de
résidence, nous l’avons vu, des membres du clergé paroissial. Thomas Vignier, prêtre résidant
à La Mariais, en Dingé, dans l’est du diocèse de Saint-Malo, fait ériger en 1627, peut-être par
le « maître de Combourg », une croix monumentale sur laquelle il fait placer les instruments
de la Passion141. Cette croix comporte également, comme d’autres, les lettres « I H S », Iesus
Hominum Salvator, inscription qui se diffuse alors, signifiant que le Christ sauve les hommes
par la croix, alors que jusqu’ici prédominait sur les croix monumentales le traditionnel
« INRI » (Jésus de Nazareth roi des Juifs).
C’est, de même, l’inscription « IHS » et le calice qui désormais signalent les maisons
construites pour des prêtres dans les villages, comme par exemple au Bochon en Caro, dans le
sud du diocèse de Saint-Malo, ou à La Maladrie en Saint-Juvat, dans le Poudouvre. Cette
dernière maison, construite à la fin du XVIIe siècle, peut-être pour un curé ou vicaire, comporte
deux pièces au rez-de-chaussée et deux étages. Près d’elle se situe une écurie et la cour est
fermée142. Dans la même paroisse, en 1676, a été bâtie une autre maison de prêtre, plus
modeste, essentiellement en bauge, donc en terre, comportant cependant deux étages
également143. Dans ce dernier cas comme dans bien d’autres, la maison de prêtre comporte
une cheminée au rez-de-chaussée et une autre au premier étage, qui sont superposées et non
pas adossées, type de disposition emprunté au modèle du manoir. Certaines comportent des
latrines à l’étage, au niveau de la chambre, et partout les pièces sont séparées, en fonction des
usages, alors que l’intérieur des maisons paysannes se caractérise, la plupart du temps, par la
pièce unique.
Le presbytère, lieu de résidence du recteur, dans le bourg, reprend la même
distribution, mais il est de dimensions souvent bien plus vastes. Des problèmes de
141
[406] BLOT, Roger, Croix et merveilles du pays de Combourg.
Inventaire Général, inventaire topographique du canton d’Évran.
143
[123] Architecture de terre en Ille-et-Vilaine, p. 88.
142
244
financement se posent donc pour sa construction, son entretien et les réparations à effectuer,
et même, au début du siècle, pour l’ameublement. La fabrique de Paramé dépense 75 sous en
1610 pour l’achat de draps, 4 livres en 1617 pour la réparation d’une chaise et 5 livres la
même année pour l’achat de six serviettes et d’un plat en étain144. Puis, en 1621, le Parlement
de Bretagne fait « defenses aux paroissiens de meubler les maisons presbyterales »145. En
1580, un édit royal reprend les dispositions de l’ordonnance de Blois faisant obligation aux
paroissiens de loger leur recteur, obligation tempérée en 1638 par le Parlement de Bretagne
qui précise que le recteur doit contribuer pour un tiers à la construction de son presbytère146.
L’article XXII de l’édit royal d’avril 1695 rappelle que les paroissiens sont tenus « de fournir
au curé un logement convenable », et demande aux intendants de contrôler les autoimpositions levées dans les paroisses pour cette raison – car sauf exception ces dépenses ne
relèvent plus des fabriques depuis le milieu du siècle au moins, et même, généralement, des
années 1620 – afin qu’elles ne gênent pas la perception des impôts royaux147. Les recteurs,
qu’ils soient décimateurs ou congruistes, sont tenus d’assurer l’entretien courant (jusqu’à 200
livres au
XVIIIe
siècle), et le reste est à la charge des paroissiens. Ceux-ci rechignent dans un
certain nombre de cas à effectuer des dépenses importantes, surtout lorsqu’au début du siècle
les titulaires de cures ne résident pas. Ainsi, les paroissiens de Saint-Georges-de-Gréhaigne se
plaignent en 1603 du fait que le presbytère se trouve « en ruyne » « par la faulte des
precedantz recteurs qui, se contentans de prandre et recuillir les dismes de ladicte parroisse,
ne faezoient aulcun compte de tenir lesdictes maizons presbiteralles en reparation ny non plus
de resider sur leurdict benefice »148. Par la suite, les réticences portent surtout sur la
construction et l’entretien des bâtiments annexes, telle la grange, dont la construction coûte
600 livres aux habitants de Domalain en 1660149. Et, assez souvent dans la seconde moitié du
XVIIe
siècle, des procès opposent les recteurs qui désirent la construction d’un nouveau
presbytère à leurs paroissiens qui souhaitent se contenter de réparations. Ainsi, en 1695, ceux
de Châtillon, dans le Vendelais, « reprochent [au recteur] que c’est par ambition qu’il
demande un presbittaire », accusation à laquelle l’ecclésiastique répond que « c’est unne
veritté constante et recognue que le presbittaire est dans une telle indigence qu’il ne se peut
144
AMSM, Paramé GG 270.
[LXV] Les plus solennels arrests et reglemens (…), Livre Quatrième, p. 1.
146
Ibid., Livre Premier, p. 439.
147
[271] FOLLAIN, Antoine, « Fiscalité et religion : les travaux aux églises et presbytères (…) ».
148
ADIV, 2 G 278/7.
149
ADIV, 2 G 101/8. A fortiori, les paroisssiens refusent généralement, comme à Chancé au début du XVIIIe
siècle, d’entretenir le logement du fermier exploitant les terres liées au presbytère (ADIV, 2 G 56/13).
145
245
reparer »150. Presque toujours, visiblement, c’est l’ecclésiastique qui obtient gain de cause.
L’importance des sommes requises (2 000 livres à Gennes en 1691 151) oblige les paroissiens à
demander, après délibérations, des commissions afin d’effectuer des impositions
exceptionnelles. Puis des comptes spécifiques sont tenus, comme à Saint-Malon en 1677152.
Mais cela représente aussi un coût important pour le recteur puisqu’en vertu de l’arrêt du
Parlement de Bretagne de 1638 il doit contribuer pour un tiers aux frais de construction du
bâtiment. Aussi les nombreuses constructions de presbytères dans la seconde moitié et surtout
dans le dernier tiers du
XVIIe
siècle sont-elles révélatrices du souhait ecclésiastique de
distinction et de la volonté d’affirmation dans le paysage de la dignité de leur fonction.
Document n° 33 : Le presbytère de Billé, édifié en 1697
Le marché de construction du presbytère est passé conjointement par le recteur et par
les paroissiens, comme à Pocé en 1698153, où le choix est fait en fonction d’un dessin. Les
marchés, les pièces de procès, les descriptions effectuées en 1690 qui font suite à la
déclaration royale du 15 juillet 1689 et à l’arrêt du Conseil du 22 novembre de la même année
portant sur les droits d’amortissement levés sur les biens immeubles appartenant aux
paroisses, nous fournissent de nombreux renseignements sur les presbytères, sans compter
qu’un certain nombre de bâtiments ont été conservés. Les presbytères construits dans le
dernier tiers du
150
ADIV, 2 G 267/1.
ADIV, 2 G 124/3.
152
ADIV, 2 G 301/4.
151
XVIIe
siècle possèdent, tous ou presque, deux étages. À Billé, près de
246
Fougères, le presbytère est construit entièrement en pierre en 1697. À Pocé, près de Vitré, le
rez-de-chaussée et le premier étage sont réalisés en pierre et le second en bois. Dans l’ouest
du pays rennais, bien des presbytères sont réalisés en bauge, comme celui de Parthenay
construit en 1668, ou celui de Saint-Gilles154. Mais, dans cette région, la construction en terre
n’est pas signe de pauvreté et s’explique par la mauvaise qualité de la pierre locale, des
schistes briovériens très altérés, et un nombre non négligeable de logis nobles sont de même
construits en bauge à cette époque155.
Document n° 34 : Le presbytère et ses alentours à Saint-Sulpice- laForêt, au milieu du XVIIIe siècle
(Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2 G 329/4)
Comme le montre le plan réalisé au milieu du
XVIIIe
siècle pour la paroisse de Saint-
Sulpice-la-Forêt, au nord-est de Rennes, le presbytère (A) donne sur une cour (G)
partiellement ou totalement close156. Le presbytère est situé près de l’église et du cimetière
(N). De la cour, on accède à un jardin (H) et à un verger (K). De petits bâtiments sont accolés
au presbytère et ferment partiellement la cour. Il faut signaler notamment un cellier (B, ici
surmonté d’un cabinet), une étable (E) et un poulailler (F), sans oublier des appentis (D)
servant à entreposer divers matériels. Notons qu’ailleurs, comme à Pocé par exemple, il y a
aussi une petite écurie.
153
ADIV, 1 Q 393.
[123] Architecture de terre en Ille-et-Vilaine, p. 88, 103. Cf annexe n° 27.
155
Ibid.
156
ADIV, 2 G 329/4.
154
247
À Pocé, la porte d’entrée est précédée d’un perron, signe de prestige social. Souvent,
la façade présente deux fenêtres de chaque côté de la porte, pour le rez-de-chaussée, trois à
l’étage, et le toit est ouvert par deux lucarnes. Mais il faut parfois compter une fenêtre de plus
pour chaque étage, comme à Billé. Partout, un escalier intérieur permet d’accéder aux étages,
et presque partout, comme à Pocé, des latrines sont placées près de celui-ci. Généralement, il
y a une cheminée au rez-de-chaussée et une à l’étage pour la chambre du recteur. Il y a deux
ou trois pièces par étage, chaque pièce étant destinée à une fonction principale, ce que
révèlent également les inventaires après décès. Ainsi, sur le modèle nobiliaire, la cuisine est
séparée de la salle à manger. Au rez-de-chaussée, le presbytère comporte une grande salle qui
permet d’accueillir les visiteurs. Le second étage sert souvent principalement de grenier, où
l’on entrepose notamment les « blateries ». Les presbytères comportent toujours plusieurs
chambres, essentiellement au premier étage. Il y a celle du recteur bien entendu, une autre
servant de « cabinet ou estude »157. Il y a également la ou les chambres du personnel, à savoir,
généralement, la servante et un homme qui se charge principalement du bétail et des jardins.
Le recteur apparaît ainsi, même dans les cures dites pauvres, comme un petit notable aisé.
4 ) Le bon prêtre de la seconde moitié du
XVIIe
siècle, homme du savoir, homme du
pouvoir et intermédiaire culturel158
Le modèle du bon prêtre ne correspond désormais plus seulement à un idéal, mais
également, dans un nombre non négligeable de cas, à une réalité. Alain Croix a déjà fait
remarquer, en s’appuyant sur le dépouillement des registres paroissiaux, que la résidence des
recteurs est un phénomène largement majoritaire à partir de 1650 environ159. En 1676, le
recteur de Luitré décrit dans le registre de sépultures les principales « vertus » que présentait
son oncle, Pierre Nicolas, lui aussi recteur de Luitré, de 1630 à 1668 160. Il signale « son zele
pour la decoration de son eglise », celui qu’il met à secourir les pauvres tout en leur donnant
« quelque instruction », son mépris des biens du monde, sa patience, sa sobriété, sa chasteté,
son souci de la prédication et sa pratique exigeante de la prière. En 1678 cette fois, le recteur
de Bazouges-sous-Hédé écrit à son évêque que les trois prêtres qui l’assistent « ne vont poinct
au cabaret ny a autres assamblee publiques, a la chasse, ny ne portent point
157
Précision qui est donnée par exemple pour le presbytère de La Chapelle-des-Fougeretz en 1652 (ADIV, 2 G 62/17).
Ce titre est inspiré par une formule de Marc Venard, « hommes du sacré, hommes du savoir, hommes du
pouvoir » ([192] Histoire du christianisme, t. 8, p. 917).
159
[127] CROIX, Alain, La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles (…), p. 1167.
160
Mention relevée par Paul Paris-Jallobert, puis par Alain Croix ([127] CROIX, Alain, La Bretagne aux XVIe et
XVIIe siècles (…), p. 1389-1390).
158
248
d’armes », et « ils vivent sans scandalle »161. L’enquête menée en 1698 sur le clergé paroissial
du diocèse de Rennes signale un certain nombre de recteurs qui sont à l’image de celui du
Rheu : il « travaille, fait son devoir, [est] de bonne mœurs »162. Au début du XVIIIe siècle, lors
des synodes du diocèse de Saint-Malo, il n’est plus, sauf exceptions, question des
ecclésiastiques qui n’appliquent pas les normes tridentines163.
Le lien, déjà souligné par Alain Croix, paraît évident entre d’une part la normalisation du
clergé paroissial et d’autre part la baisse importante du nombre de prêtres164. L’enquête menée en
1698 dans le diocèse de Rennes est suivie par une entreprise du même type en 1707165. Cela nous
permet de savoir que deux au moins des quatre prêtres de Monthault sont âgés en 1698 puisqu’ils
sont décédés neuf ans plus tard, et non remplacés. Au Ferré, ce sont quatre au moins des cinq
prêtres qui sont âgés puisqu’en 1698 un est âgé de 76 ans, un autre de 65 ans, et neuf ans plus tard
deux autres sont décédés, sans être remplacés là non plus. Il faut désormais obéir à un recteur qui
réside, remplir l’ensemble des devoirs liés à la fonction, ne plus espérer fréquenter les femmes, et
difficilement la taverne : nul doute que cela joue de façon importante sur le recrutement
sacerdotal. Il en est de même des progrès dans la formation des prêtres.
En 1604 les jésuites s’installent à Rennes et prennent en charge le collège SaintThomas. En 1653, ce collège compte 2 800 élèves, venus pour l’essentiel des diocèses de
Rennes, Dol et Saint-Malo166. Si tous, bien entendu, ne deviennent pas ecclésiastiques, il reste
qu’un nombre non négligeable des prêtres de Haute-Bretagne sont, au XVIIe siècle, formés par
les jésuites, et reçoivent ainsi un enseignement religieux et profane de qualité. D’autres
suivent, à Rennes, des cours de théologie assurés par les jacobins et les cordeliers. Mais il
reste probablement bien des prêtres qui continuent à être formés dans les presbytères, auprès
des recteurs167. Dans la seconde moitié du siècle, de plus en plus de recteurs ont fait leurs
études à Paris, ce que nous saisissons au fil des archives : en 1629 le recteur de Moutiers est
bachelier en théologie de la faculté de Paris, de même que le recteur de La Bazouge-du-Désert
en 1673 ; le recteur de Domalain qui décède en 1670 est docteur de Sorbonne, de même que
celui de Moutiers en 1699 et celui de Visseiche en 1704168.
161
ADIV, 2 G 20/2. Cf annexe n° 50.
ADIV, 1 G 746.
163
ADIV, 1 G 83.
164
[127] CROIX, Alain, La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles (…), p. 1167.
165
ADIV, 1 G 746.
166
[91] L’Ille-et-Vilaine des origines à nos jours, p. 159.
167
Ainsi, Charles Berthelot du Chesnay souligne l’activité du presbytère de Longaulnay, dans le diocèse de
Saint-Malo, au début du XVIIIe siècle : près de cinquante diacres y passent de 1717 à 1726 ([322] BERTHELOT DU
CHESNAY, Charles, Les prêtres séculiers en Haute-Bretagne (…), p. 144).
168
ADIV, E dépôt 101, 104, 106 (documents aimablement signalés par Jean-Christophe Brilloit) ; 2 G 101/8, 2 G 18/5.
162
249
Le niveau de formation monte donc, et il en est de même des exigences. Dans le
diocèse de Dol, Mathieu Thoreau fait savoir, par le biais des statuts synodaux promulgués en
1662, « que tous ceux qui pretendent a l’ordre de soudiacre » doivent se présenter devant
l’évêque « quatre mois avant le temps auquel ils desirent les recevoir », afin qu’il soit jugé de
leur « capacité », à savoir « probité de vie, bonnes meurs et science requise pour ledit ordre »,
ainsi qu’une connaissance du plain-chant169. Vingt ans plus tard, en 1682, l’évêque de Rennes
Jean-Baptiste Beaumanoir de Lavardin précise, lui aussi dans des statuts synodaux, que les
recteurs doivent examiner « soigneusement les personnes de leur paroisse qui aspirent aux
ordres sacrez, pour connoitre leur vocation, leur capacité et leurs mœurs »170. Ensuite, ceux
qui se présentent « pour l’examen des ordres » doivent amener « l’extrait de leur bapteme, et
certificat de vie et mœurs de leur recteur […] et du professeur sous lequel ils ont estudié ».
Cet examen concerne tous ceux qui sont candidats à l’ordination, y compris aux ordres
mineurs. En 1695, un édit royal, enregistré par le Parlement de Bretagne, stipule que ceux qui
obtiennent des provisions en cour de Rome ne peuvent prendre possession de leur bénéfice
« qu’apres qu’il aura eté informé de leur vie, mœurs et religion, et avoir subi l’examen devant
l’[…] eveque diocesain ou son vicaire general »171. Aussi, avant même l’institution des
séminaires, le strict contrôle des prêtres en place, la formation assurée par les jésuites et
l’examen renforcé avant l’ordination permettent d’améliorer de façon sensible la qualité
morale du clergé et probablement aussi sa qualité intellectuelle.
Dans le diocèse de Saint-Malo, au début des années 1630, l’évêque Achille de Harlay,
un oratorien, prend pleinement conscience de l’importance de la formation des prêtres. En
1632, lors d’un synode, « les recteurs et curez des paroisses de ce diocese sont derechef
advertis de s’employer diligemment a l’estude des cas de conscience et theologie morale ».
Cette obligation leur est rappelée en 1636, « et pour cet effect s’assembleront tous les pretres
de chaque paroisse une foys la sepmaine cheiz le recteur pour lire les cas de consciance, en
disputer, apprendre le chant et les ceremonies de l’eglise ». Désirant aller plus loin, l’évêque
fait connaître, au synode de la Saint-Luc 1643172, aux « prieurs, recteurs, curés, vicaires et
aultres ecclesiastiques faisant le corps du clergé dudit diocese » sa volonté d’établir un
séminaire à Saint-Méen, dans les bâtiments de l’abbaye bénédictine qui ne renferment plus
que « deux anciens religieux ». Il s’agit, vu la pauvreté d’un grand nombre de prêtres qui ne
peuvent « aller estudier aux colleges des grandes villes et universités », de les « y faire
[XXXVI] THOREAU, Mathieu, Statuts et ordonnances (…).
[XXXIV] Statuts et reglemens du dioceze de Rennes.
171
[LXV] Les plus solennels arrests et reglemens (…), Livre Quatrième, p. 282.
169
170
250
instruire gratuitement […] a la doctrine, pieté, bonnes meurs, administration des sacremens,
celebration du divin service et ceremonies de l’eglise, et a toutes les choses necessaires aux
personnes ecclesiastiques pour s’acquiter dignement de leur ministere ». Après une forte
résistance des bénédictins, les prêtres de la Mission ou lazaristes prennent en charge ce
séminaire en 1645. Cette formule est d’abord issue du concile de Trente, qui a préconisé la
création de collèges diocésains destinés à être les pépinières (seminaria) du clergé, mais qui
ne reçevaient qu’une partie des adolescents destinés à la prêtrise, et la première génération des
séminaires est un échec, notamment en France173. Ce n’est que vers 1625 que Vincent de Paul
propose une nouvelle formule, celle du séminaire d’ordinands174. À Saint-Méen, les futurs
prêtres font au séminaire des passages de quelques mois, consacrés à la retraite et à une
préparation pratique à la fonction sacerdotale. Puis, progressivement, la durée du séjour
s’allonge et le séminaire devient aussi le lieu d’une formation théologique et morale.
À Rennes, l’évêque obtient en 1662 des lettres patentes portant établissement d’un
séminaire, mais rien ne se fait avant la mission de Jean Eudes en 1670175. Les premiers
ordinands y sont reçus en 1672. Ce n’est qu’en 1698 que l’évêque de Dol Jean-François
Chamillart obtient le prieuré de l’Abbaye-sous-Dol et y ouvre un séminaire ; en 1701, il le
confie aux eudistes176. Même si ces séminaires sont différents de ceux des XIXe et XXe siècles,
cette période constitue incontestablement un tournant. Puis la création de ces « grands
séminaires » est suivie de celle des « petits séminaires », qui reçoivent des élèves qui se
destinent au sacerdoce et qui n’ont pas les moyens financiers de faire des études dans les
collèges. Celui du diocèse de Rennes est créé en 1684 dans la ville épiscopale et confié aux
eudistes, celui du diocèse de Saint-Malo, créé en 1707, est installé à Saint-Servan et confié
aux lazaristes. Ce n’est qu’en 1727 qu’est fondé à Dol un collège remplissant peu à peu les
conditions d’un petit séminaire.
Le rôle accru du recteur s’exerce dans des domaines variés. Celui de La Gouesnière
recopie à la fin du registre des comptes de la fabrique tenus de 1626 à 1673 un « memoire de
plusieurs remedes exprimantes et nesesaire aux recteurs pour le soulagement des pauvres
malades de leurs paroisses »177. La composition et le mode d’emploi de pommades, onguents,
172
Qui se tient exceptionnellement au mois de novembre.
[192] Histoire du christianisme, t. 8, p. 898. Les séminaires français de la première génération sont
cartographiés par Marc Venard dans « Les séminaires en France avant saint Vincent de Paul », MEZZADRI, Luigi
(éd.), Vincent de Paul, actes du colloque de Paris, 25-26 septembre 1981, Rome, Edizioni Vincenziane, 1983, p.
1-17, repris dans [200] VENARD, Marc, Le catholicisme à l’épreuve (…), p. 117-134.
174
[175] BROUTIN, Paul, La réforme pastorale en France au XVIIe siècle (…), t. 2, p. 215 sq.
175
ADIV, 1 G 381. [326] DAUPHIN, Joseph, Histoire des séminaires de Rennes et de Dol (…).
176
[326] DAUPHIN, Joseph, Histoire des séminaires de Rennes et de Dol (…).
177
ADIV, 2 G 127/7.
173
251
breuvages et remèdes en tous genres sont consignés afin de pouvoir soigner tous les types de
blessures, plaies, fièvres, maux de ventre de tous types, sans oublier les paralysies, la
gangrène, la rage, la vérole, les « pestes » « et toutes sortes de poisons ». Bref, le recteur
devient à la fois médecin des âmes et médecin des corps, faisant concurrence, dans ce dernier
domaine, à la fois au médecin professionnel (mais c’est un personnage peu présent en milieu
rural) et aux guérisseurs en tous genres, détenteurs d’un savoir plus « populaire » transmis
oralement. C’est que l’homme de savoir est aussi, à tous points de vue, un homme de pouvoir.
Il reste à saisir son rôle d’intermédiaire culturel. Plusieurs historiens, dont, notamment,
Alain Croix, ont montré toutes les informations qui pouvaient, en la matière, être tirées des
inventaires après décès178. En Bretagne, ces actes ne sont pas conservés dans les minutiers des
notaires, mais dans les archives des juridictions seigneuriales. Le repérage des documents a
été facilité par l’existence de pré-repérages179, ce qui m’a permis de relever, et de dépouiller,
des actes concernant 24 ecclésiastiques des diocèses de Rennes, Dol et Saint-Malo pour la
période 1640-1700, dont 20 pour le dernier quart du
XVIIe
siècle180, chiffre certes faible mais
dont nous devons nous contenter. Pour être exact, nous disposons, selon les cas, d’un
inventaire après décès, d’une apposition de scellés, d’un procès-verbal de vente des meubles,
d’un simple inventaire des titres ou bien de plusieurs pièces. Et la moisson s’avère bien
maigre car, tout compris, nous ne disposons que de 3 inventaires après décès. Il faut compter
certes 13 actes d’apposition de scellés, mais la description se limite alors souvent au mobilier
et aux objets les plus volumineux, sans prisage, et 13 actes de vente, mais il faut signaler que
les objets ne sont pas alors situés dans leur environnement, et que tous ne sont pas mis en
vente. Enfin, il y a deux cas pour lesquels nous ne possédons qu’un inventaire des titres.
Autant dire qu’une exploitation statistique ne présenterait ici, vu le sujet et vu la faiblesse de
l’échantillon, aucun intérêt, et il faut se contenter d’indices.
Ils confirment, d’abord, la division spatiale de l’espace intérieur des presbytères, et la
présence dans les bâtiments annexes de chevaux, de vaches, de cochons et d’outils de jardin. Dans
les cas dont nous disposons, l’ensemble des biens meubles est toujours prisé à une valeur
inférieure à 500 livres, ce qui, dans ce domaine, fait des prêtres des notables modestes, et parfois
même médiocres quand il s’agit de simples prêtres dont la vente des biens meubles rapporte
moins de 100 livres. Ceci dit, les biens meubles de Nicolas Marchis, recteur de Parigné, sont
[324] CROIX, Alain, « Relations villes-campagnes et inventaires après-décès (…) », [325] CROIX, Alain, « Le
clergé paroissial, médiateur du changement domestique ? (…) ».
179
Ces pré-repérages ont été effectués dans le cadre de maîtrises dirigées par Alain Croix.
178
252
vendus en 1684 pour plus de 430 livres181. Or, il y a toujours des biens qui ne sont pas mis en
vente, mais nous ne disposons pas dans ce cas précis de l’inventaire après décès.
Presque tous les prêtres possèdent des vêtements sacerdotaux, qui sont conservés dans
la sacristie, ainsi qu’un missel, livre par excellence du prêtre. Jean Bourget, prêtre de Laillé,
au sud de Rennes, décédé en 1684, possède trois surplis, trois corporaux, dix purificatoires,
neuf amicts, quatre aubes, un chasuble, trois voiles de calice, un calice et une patène, un
missel bien sûr, imprimé à Paris en 1616, un bréviaire, un diurnal et un processionnal 182. En
revanche, le prie-Dieu paraît encore rare puisqu’il n’est possible de n’en relever qu’un seul
exemple183. Les livres sont peu nombreux, et il n’existe aucune véritable bibliothèque.
Visiblement, et s’il est possible d’extrapoler à partir de quelques cas, les recteurs sont mieux
fournis que les autres prêtres en la matière, à une exception près. Peu de détails sont donnés,
et bien souvent les livres ne sont pas inventoriés individuellement, mais il semble que la
majorité des prêtres des paroisses rurales n’en possèdent pas plus d’une dizaine à la fin du
siècle. Plusieurs possèdent un dictionnaire latin-français. Nous ne disposons d’une liste
détaillée que pour Jean Bourget, le prêtre de Laillé : il possède, en plus du bréviaire, du
missel, du processionnal et du diurnal, dix-huit ouvrages, dont certains sont composés de
plusieurs tomes. Alors que l’ecclésiastique décède en 1684, tous ces ouvrages ont été
imprimés dans la première moitié du siècle, ce qui rejoint l’observation formulée par Jean
Quéniart à propos des prêtres rennais du XVIIIe siècle : la constitution des bibliothèques se fait
pendant les études et au début de la carrière184. Ces ouvrages sont des sermons, des
catéchismes, des recueils de textes conciliaires, des livres traitant des devoirs du pasteur, des
manuels de cas de conscience. Certains prêtres, notamment des recteurs, possèdent des
tableaux. Ainsi, Pierre Poussin, recteur de Bain et doyen, en possède sept, plus trois
reproductions non encadrées185. Il s’agit de représentations de la Vierge, de saint Pierre, de
saint Jean, de saint Jean-Baptiste et de la Crucifixion. Jean Bourget possède quant à lui une
représentation de la Décollation de saint Jean-Baptiste et un Ecce Homo186.
Une attention aux objets du quotidien nous renseigne sur les choix culturels des clercs
en terme de mode de vie, indépendamment, pour une part, du niveau de vie. Ainsi, les
180
ADIV, 4 B 235 (1677), 240 (1686), 245 (1698), 1100 (1657), 1411 (1693), 1739 (1644, 1645), 1871 (1694),
1965 (1677), 1967 (1688), 2216 (1677), 2709 (1684), 2859 (1681, 168?), 3080 (1696), 3259 (1684, 1684), 3485
(1669), 3487 (1675), 3488 (1684, 1684), 3489 (1692), 5401 (1680), 5463 (1696).
181
ADIV, 4 B 3488.
182
ADIV, 4 B 2709.
183
ADIV, 4 B 1967 (1688). Il s’agit du recteur d’Erbrée.
184
[336] QUENIART, Jean, « Les bibliothèques ecclésiastiques à Rennes au XVIIIe siècle ».
185
ADIV, 4 B 240 (1686).
186
ADIV, 4 B 2709 (1684).
253
armoires et les chaises sont très présentes dans les presbytères, au détriment des bancs et des
coffres, et ce à la différence des intérieurs paysans187. Plusieurs de ces chaises et certaines de
ces armoires sont placées dans la grande salle du rez-de-chaussée où les invités sont
accueillis, et cette pièce est ainsi probablement le lieu où s’exerce à plein le rôle
d’intermédiaire culturel du clergé. À l’inverse, l’archaïsme est marqué par la possession d’un
fusil, souvent « viel » certes. Notons en revanche la présence d’une chaise percée dans le
presbytère de Bais, objet dont la diffusion est, Alain Croix l’a souligné, largement le fait du
clergé188. La vaisselle est généralement en étain, mais il faut noter la présence de salières,
parfois en faïence (il est vrai pour un cas urbain, Fougères en l’occurrence), ainsi que de
beurriers. La cave révèle parfois une évolution du goût et la recherche de certains produits : le
recteur de Bain possède une barrique de vin de Gascogne189, un autre, de l’eau-de-vie.
L’évolution des goûts et celle de la perception du temps se traduisent aussi par la diffusion,
alors lente et limitée, de l’heure mécanique. Alors qu’au XVIIe siècle la possession personnelle
d’une montre ou d’une horloge constitue un cas rare, nous notons la présence d’une « orloge
de fer » au presbytère de La Valette190, et d’un « petit reveil matin » au presbytère de Parigné,
qui est vendu au nouveau recteur pour la somme de 5 livres191. Enfin, l’ouverture sur le
monde est illustrée par la « camisolle d’indienne » du recteur de Bain192.
Document n° 35 : La représentation du recteur sur le mur extérieur
de l'église de Saint-Gonlay, au début du XVIIIe siècle.
Intermédiaire culturel donc, et homme de savoir, coupé désormais des laïcs, le prêtre
et notamment le recteur cherche à jouer un rôle plus important dans la gestion de la fabrique,
à l’image de celui de Saint-Gonlay qui se fait représenter au début du
XVIIIe
siècle sur le mur
187
[325] CROIX, Alain, « Le clergé paroissial, médiateur du changement domestique ? (…) » ; [338] ROUXEL,
Sylvie, Vivre au quotidien (…).
188
[325] CROIX, Alain, « Le clergé paroissial, médiateur du changement domestique ? (…) ».
189
ADIV, 4 B 240.
190
ADIV, 4 B 2859.
191
ADIV, 4 B 3488.
192
ADIV, 4 B 240. Camisole : vêtement court à manches porté sur ou sous la chemise.
254
de l’église, en soutane, bréviaire à la main, dans l’attitude d’un notable. Mais les autorités
civiles et notamment l’État royal entendent également jouer un rôle dans ce domaine. Aussi,
si la gestion des paroisses connaît des permanences, elle est également marquée par des
évolutions.
C ) Permanences et évolutions dans la gestion des fabriques
1 ) L’évolution du budget des paroisses
Comme il a déjà été signalé pour le
XVIe
siècle, nous ne disposons pas de déclarations
de francs-fiefs193, et ce sont donc les comptes de fabrique eux-mêmes qui permettent de
connaître le montant des sommes dont disposent les fabriques au
XVIIe
siècle, informations
récapitulées dans le tableau qui suit194.
En 1600, même si les fabriques ont pâti des affrontements politico-religieux de la
dernière décennie du siècle qui ont rendu plus difficile la perception des rentes et ont
provoqué une baisse des offrandes, le montant de leur revenu apparaît, presque partout,
supérieur ou nettement supérieur à ce qu’il était trente ans plus tôt. En fait, ce sont
généralement les reliquats qui ont servi à faire face aux difficultés financières, et ont été de ce
fait nettement amputés. Les fabriques s’en sortent finalement assez bien, et assez rapidement.
On peut estimer que vers 1610 la situation est tout à fait rétablie. Alors qu’en 1600 le reliquat
des fabriques de Saint-Brice-en-Coglès, La Fresnais et Helléan, paroisses situées dans trois
diocèses différents, est nul, dix ans plus tard il équivaut à une année de revenu 195. Partout
aussi, le montant annuel des recettes augmente. À Domalain, entre 1600 et 1610, le reliquat a
augmenté de 300 livres, et le montant annuel des recettes de 100 livres.
Toute la première moitié du siècle est une période de forte croissance des revenus des
fabriques. En 1627, la fabrique de Piré dispose déjà d’un reliquat accumulé de 1 700 livres, ce
qui permet d’entreprendre une reconstruction du chœur et la construction d’un retable. De
1610 à 1650, le montant des revenus des fabriques d’Helléan et de Saint-Malon est multiplié
par 1,4, celui des fabriques de Trébédan et de Gévezé par 1,6, celui de la fabrique de La
Fresnais par 1,8, celui de la fabrique de Domalain par 2, celui de la fabrique de Coulon par 3.
Partout ou presque, « l’âge d’or » est à son apogée au milieu du siècle.
193
Cf supra, p. 49.
ADIV, 2 G 79/4 ; 2 G 92/6 à 9 ; 2 G 101/6, 7, 9 ; 2 G 121/6, 7, 8 ; 2 G 125/5, 6, 7 ; 2 G 166/3, 4, 33, 44 ; 2 G
225/7, 9, 10 ; 2 G 264/2 ; 2 G 301/3, 4. ADCA, 20 G 614. ADM, G 0913, 0914.
195
Il est vrai aussi qu’au sortir des troubles, une autre partie des reliquats n’est versée que très progressivement
par les trésoriers sortis de charge (cf supra, chapitre 3).
194
255
Tableau n° 36 : Le montant des sommes dont disposent les fabriques au XVIIe siècle
Paroisse
Caractéristiques
Période
Piré
Pays toilier
Vers
Vers
Vers
Vers
Domalain
Pays toilier
Louvignéde-Bais
Gévezé
Pays toilier (et surtout la
fabrique perçoit une partie des
dîmes)
Pays rennais
Vers
Vers
Vers
Vers
Vers 1610
Vers 1670
Vers 1690
Chavagne
Pays rennais
Vers
Vers
Saint-Briceen-Coglès
Nord-ouest du pays de
Fougères
Vers
Vers
Vers
Vers
La Fresnais
Diocèse de Dol
Vers
Vers
Vers
Vers
Vers
Vers
Coulon en
Montfort
Paroisse suburbaine du
diocèse de Saint-Malo
Vers
Vers
Vers
Vers
Vers
Vers
Saint-Malon
Centre du diocèse de SaintMalo
Vers
Vers
Vers
Helléan
Porhoët (sud du diocèse de
Saint-Malo)
Vers
Vers
Vers
Vers
Vers
Trébédan
Poudouvre (pays de Dinan)
Vers
Vers
Vers
Vers
Vers
Vers
Vers
Vers
Vers
Vers
1630
1650
1670
1690
1600
1610
1650
1670
1600
1610
1630
1650
1670
1650
1670
1600
1610
1630
1650
1600
1610
1630
1650
1670
1690
1600
1610
1630
1650
1670
1690
1630
1650
1670
1600
1610
1630
1650
1670
1610
1630
1650
1670
1690
Montant des recettes Montant du
(hors reliquat) / an
reliquat / an
Environ 550 l.
Environ 1 700 l.
Environ 440 l.
Environ 100 l.
Environ 650 l.
Environ 370 l.
Environ 440 l.
Environ 100 l.
Environ 300 l.
Environ 200 l.
Environ 400 l.
Environ 500 l.
Environ 800 l.
Environ 700 l.
Environ 700 l.
Environ 900 l.
Environ 350 l.
Environ 530 l.
Environ 350 l.
Environ 1680 l.
Environ 550 l.
Environ 250 l.
Environ 200 l.
Environ 150 l.
Environ 250 l.
Environ 500 l.
Environ 350 l.
Environ 300 l.
Environ 400 l.
Environ 200 l.
Environ 500 l.
Environ 400 l.
Environ 200 l.
Environ 300 l.
Environ 150 l.
Environ 60 l.
Environ 40 l.
Nul
Environ 70 l.
Environ 50 l.
Environ 80 l.
Environ 150 l.
Environ 80 l.
Environ 150 l.
Environ 100 l.
Nul
Environ 140 l.
Environ 120 l.
Environ 250 l.
Environ 100 l.
Environ 250 l.
Environ 100 l.
Environ 200 l.
Environ 600 l.
Environ 190 l.
Environ 600 l.
Environ 90 l.
Environ 30 l.
Environ 100 l.
Environ 100 l.
Environ 170 l.
Environ 330 l.
Environ 300 l.
Environ 600 l.
Environ 230 l.
Nul
Environ 80 l.
Environ 450 l.
Environ 150 l.
Environ 500 l.
Environ 220 l.
Environ 700 l.
Environ 170 l.
Environ 370 l.
Quelques livres
Environ 60 l.
Environ 50 l.
Environ 70 l.
Environ 50 l.
Environ 70 l.
Environ 80 l.
Environ 100 l.
Environ 150 l.
Environ 100 l.
Environ 50 l.
Environ 20 l.
Environ 50 l.
Environ 20 l.
Environ 80 l.
Environ 30 l.
Environ 50 l.
Environ 15 l.
Nul
Environ 35 l.
256
Le montant des revenus des fabriques varie évidemment selon les caractéristiques des
paroisses, au
XVIIe
comme au
XVIe
siècle. Dans le Porhoët, dans le Poudouvre et dans
certaines régions du diocèse de Rennes, c’est-à-dire, plus largement, dans les paroisses qui
n’appartiennent ni aux pays toiliers, ni aux régions côtières, ni au Bassin rennais, ni aux zones
fortement peuplées (en nombre absolu d’habitants ou en densité de population), le revenu
annuel de la fabrique se situe vers 1650 aux environs de 100 livres, voire un peu moins. À la
même date, les fabriques des paroisses du Bassin rennais, qui englobe le centre du diocèse de
Saint-Malo, et d’une partie du pays de Dol ont des recettes annuelles de 200 ou 250 livres.
Dans les plus grosses paroisses rurales, comme Gévezé, et dans les paroisses suburbaines,
comme Coulon, le revenu annuel monte à 300 ou 400 livres. Enfin, les fabriques des paroisses
du pays toilier qui s’étend au sud de la ligne Rennes–Vitré ont des revenus nettement plus
importants, qui montent ainsi à 800 livres à Domalain.
Un lent déclin s’amorce vers 1660-1670, même si certaines fabriques réussissent à
maintenir le niveau de leur revenu, comme à Helléan, voire, plus rarement, à l’augmenter,
comme à Gévezé. Le cas de Louvigné-de-Bais est très particulier, et même assez artificiel, car
à cette date la part des dîmes perçue par la fabrique représente près de 90 % des revenus. En
fait, si l’on compare le montant des revenus en 1670 à ce qu’il est vingt ans plus tôt, on
constate qu’il a baissé de 13 % à Domalain, de 20 % à La Fresnais, de 23 % à Saint-Malon, de
25 % à Chavagne et à Coulon, de 38 % dans la paroisse pauvre de Trébédan. Le déclin se
poursuit dans le dernier quart du siècle. Dans certaines paroisses, comme à La Fresnais, on
parvient à le limiter, mais dans plusieurs paroisses il est dramatique. De 1670 à 1690, le
revenu de la fabrique de Coulon a baissé de 66 %, ce qui représente une chute de 75 % de
1650 à 1690. Dans la même période, et à un autre niveau de revenu, les recettes annuelles de
la fabrique de Trébédan connaissent une chute de 30 % sur la période 1670-1690, soit une
baisse de 66 % de 1650 à 1690.
Même si la situation est, bien sûr, contrastée, les fabriques des paroisses rurales de
Haute-Bretagne apparaissent au
XVIIe
siècle plus riches que celles du Beauvaisis196. Vers
1670, elles sont aussi en moyenne plus riches que celles du Bas-Léon, dont les revenus
varient de 100 à 400 livres197. Les paroisses du pays toilier Rennes-Vitré, notamment,
dépassent assez largement ce niveau, mais elle n’atteignent pas celui des paroisses du Haut-
196
Anne Bonzon estime que, vers 1610-1620, leurs revenus annuels vont, approximativement, de 20 à 140 livres
([204] BONZON, Anne, L’esprit de clocher (…), p. 256).
197
TANGUY, Jean, « L’argent des enclos. Les finances des enclos paroissiaux du Haut-Léon », [298] L’argent
des villages (…), p. 120.
257
Léon qui, en gros, varie alors de 1 200 à 2 700 livres198. Même si l’écart entre ces deux
groupes de paroisses a toujours été favorable à celui du Haut-Léon, il semble qu’il se soit
creusé depuis le milieu du siècle199. À l’extrême fin du
XVIIe
et au début du
XVIIIe
siècle, les
fabriques des paroisses rurales de Haute-Bretagne se sont nettement appauvries alors que
celles des paroisses de la région parisienne se sont notablement enrichies et apparaissent
désormais plus riches que les paroisses haut-bretonnes200. Ces dernières paraissent également
se situer alors à un niveau légèrement inférieur à celui des paroisses de Haute-Normandie201.
C’est en fini de « l’âge d’or »…ou presque.
Il faut en effet compter avec les reliquats qui ont été accumulés. Vers 1670, le montant
du reliquat équivaut souvent au revenu d’une année (Gévezé), de près d’une année et demie
(Domalain, Helléan), de deux années (Saint-Malon), voire de trois (La Fresnais), et même de
près de cinq années à Louvigné-de-Bais grâce à l’accumulation du produit d’une partie des
dîmes. Les fabriques peuvent donc encore engager des dépenses importantes jusqu’à la fin du
siècle (le reliquat s’élève à 600 livres à La Fresnais vers 1690), alors même que le montant
annuel des recettes hors reliquat a fortement diminué.
La gestion des reliquats reste identique à ce qu’elle était au
XVIe
siècle. Des reliquats
sont patiemment accumulés pendant plusieurs années, puis une forte somme est dépensée.
Ainsi, en 1656, la fabrique de Saint-Malon dispose d’un reliquat de plus de 1 500 livres, ce
qui représente 6 années de revenus202. C’est d’ailleurs souvent vers 1660 que les reliquats
atteignent leurs plus hauts niveaux, avec un décalage d’une décennie donc sur le montant des
recettes hors reliquat. À cette date, le reliquat de la fabrique de Coulon est de 1 200 livres203,
celui de Gévezé de près de 800 livres, celui de Trébédan de 75 livres. La gestion des reliquats
et la gestion des budgets demeure, au
XVIIe
siècle, ce qu’elle était déjà au siècle précédent.
Ainsi, par exemple, il n’apparaît pas que l’objectif d’une bonne gestion soit de dégager un
solde positif sans toucher au reliquat, qui n’est pas un fonds de réserve. Le reliquat est au
contraire pleinement intégré au compte204.
198
Ibid.
Vers 1610, le revenu annuel de la fabrique de Saint-Thégonnec est d’environ 750 livres (ibid., p. 126), celui
de la fabrique de Domalain de 400 livres.
200
[208] FERTE, Jeanne, La vie religieuse dans les campagnes parisiennes (…).
201
[212] GOUJARD, Philippe, Un catholicisme bien tempéré (…).
202
Cf annexe n° 28.
203
Cf annexe n° 29.
204
Cf annexes n° 28 et n° 29. Notons que la gestion des fabriques est différente de ce qu’elle est en Val d’Aran. En
Haute-Bretagne, les fabriques paraissent plus autonomes à l’égard des prêtres, elles ne touchent généralement qu’une
partie faible ou nulle des dîmes, et il semble (jusqu’à preuve du contraire) qu’elles ne se livrent ni à du stockage de
grains ni à la pratique du prêt à intérêt ([205] BRUNET, Serge, Les prêtres des montagnes (…), p. 599, 742).
199
258
Dans le dernier tiers du siècle, le montant des offrandes plafonne puis diminue. À
Saint-Sauveur de Dinan, les offrandes rapportent à peine plus de 100 livres en 1685/86 alors
qu’elles rapportaient plus de 250 voire plus de 300 livres par an dans les années 1620205. Pour
faire face à cette diminution des recettes, plusieurs fabriques, à commencer par celles des
paroisses urbaines, font installer des bancs dans l’église à partir de la fin du siècle et les
louent. Ceci dit, la baisse des offrandes est généralement compensée par une hausse du
montant des rentes, qui sont pour une bonne part issues des fondations. Dans la paroisse
urbaine Saint-Sauveur de Dinan, les rentes issues des fondations rapportent ainsi 200 livres
dans les années 1620, 400 dans les années 1650, près de 600 dans les années 1670, plus de
900 dans les années 1710206. Dans les paroisses rurales, le nombre de rentes n’est pas toujours
plus important au
XVIIe
siècle qu’au siècle précédent – il semble que certaines ont
définitivement disparu dans la tourmente de la fin du
XVIe
siècle, avec la perte de certains
papiers –, mais ces rentes sont d’une nature différente et fournissent des sommes plus
importantes. À Domalain, la fabrique perçoit une trentaine de rentes pour près de 20 livres à
la fin du
XVIe
siècle, et une quinzaine seulement mais pour près de 50 livres dans les années
1670207. Si les offrandes représentent 90 % des recettes en 1590, elles tombent à 75 % vers
1670 et 60 % en 1680208. À La Fontenelle, dès 1611, six rentes sont liées à des fondations, et
rapportent 57 livres209. À La Gouesnière, les rentes liées à des fondations sont au nombre de
sept en 1659, de quinze en 1690210. À Piré, la part des rentes dans le revenu de la fabrique
passe de 10 % dans la décennie 1620-1629 à 75 % dans les vingt dernières années du
siècle211. La composition des offrandes connaît elle aussi une évolution. La part des offrandes
en espèces augmente de façon plus importante que l’inflation, ce qui s’explique peut-être par
une monétarisation croissante de l’économie rurale. Ainsi, à Saint-Gondran, les offrandes
dans le tronc ne rapportent jamais plus de 4 livres par an dans les années 1610, mais de 12 à
16 livres dans les années 1670212.
Presque partout, quel que soit le diocèse et quel que soit l’examinateur, le reliquat est à
rendre généralement dans le mois qui suit l’examen du compte, « a quoy faire seront
contraincts par toutes vois et rigeurs de justice mesme par corps et enprisonnement de leurs
[252] COHAN, Françoise, Paroisse et ville (…), vol. 2, p. 68.
Ibid., vol. 2, p. 107.
207
ADIV, 2 G 101/6, 9.
208
Ibid. Une troisième source de revenu, nettement moins importante, est constituée par les droits à acquitter
pour obtenir une sépulture dans l’église.
209
ADIV, 2 G 118/2, 3.
210
ADIV, 2 G 127/7, 8.
211
[249] CABARET, Samuel, Portrait d’une communauté rurale (…), p. 36.
212
ADIV, 2 G 285/8, 9, 11, 12.
205
206
259
personnes » est-il précisé dans certains cas, comme à La Fontenelle en 1635213. Pourtant,
comme au siècle précédent, le délai n’est que rarement respecté et les reliquats, nous l’avons
vu, sont généralement rendus dans l’année qui suit la clôture du compte, mais cela n’est pas
systématique. De plus en plus, des reliquats versés avec retard sont directement affectés à un
poste de dépense sans être versé aux trésoriers en charge, et ils disparaissent ainsi des comptes
de fabrique. Ainsi, à La Gouesnière, sur un solde positif de plus de 50 livres en 1642, 42
livres sont versées avec retard et la somme est affectée « aux plus urgentes necessités de lad.
eglise »214.
Dans la seconde moitié du siècle, des comptes parallèles, alimentés généralement par
les reliquats, sont mis en place pour faire face aux dépenses importantes. C’est par exemple le
cas à Chavagne où il est décidé, en 1652, de refaire le chœur215. Le seigneur y contribuera
pour une part et les paroissiens pour l’autre, à hauteur de 1200 livres, somme qui sera prise
sur celles « qui sont comme dict est a present deubz et qui le seront aussy cy apres », « sans
pouvoir faire aucun egail ny taillee ». À Saint-Malon, un compte parallèle est tenu du 1er
janvier au 31 décembre 1663 : la charge, constituée exclusivement par des reliquats, monte à
968 livres216. De 1677 à 1683, un nouveau compte parallèle est tenu, afin de procéder à
d’importants travaux architecturaux et à un réaménagement de l’intérieur de l’église 217. Il est
alimenté par les reliquats de la fabrique, une partie de la dîme du luminaire et les reliquats de
la confrérie du Rosaire, et les recettes montent à plus de 4400 livres. Dans ces deux cas, la
totalité des sommes est dépensée.
À l’inverse, des dépenses civiles sont encore, à l’occcasion, intégrées aux comptes des
fabrique, même si cela est plus rare qu’au
XVIe
siècle. À Gévezé, des frais liés aux fouages
sont couverts grâce à l’argent de la fabrique dans les années 1630218. Dans les années 1640
des sommes sont levées pour y faire face, mais elles sont intégrées dans les recettes de la
fabrique, et il n’y a donc guère de distinction entre les « deniers temporelz » et les autres. Ce
type de situation est cependant devenu rare. À Acigné, en 1605, un compte spécial est
consacré au fouage219. À Paramé, en 1615, alors que les trésoriers avaient dépensé trois livres
à l’occasion d’une revue militaire, il est fait « deffanse a l’avenir de divertir le bien de
213
ADIV, 2 G 118/2.
ADIV, 2 G 127/7.
215
ADIV, 2 G 79/4.
216
ADIV, 2 G 301/5.
217
Ibid.
218
ADIV, 2 G 125/6.
219
ADIV, 2 G 1/4.
214
260
l’Eglise »220. À Helléan, dans les années 1640, les frais liés à un procès sont « renvoyés vers
le general des paroissiens »221. En 1670 le Parlement de Bretagne prend un arrêt interdisant
aux trésoriers des fabriques d’employer « pour la recolte des fouages […] les deniers de
l’Eglise » et souligne que les fonctions de trésorier et de collecteur de fouage ne doivent pas
être remplies par la même personne. En 1671, un nouvel arrêt exige que les trésoriers rendent
leur compte trois mois après leur sortie de charge, afin de limiter la période pendant laquelle
les reliquats restent entre des mains privées et peuvent alors être utilisés à des fins autres que
celles auxquelles ils sont destinés. Ceci est rappelé par des arrêts du 28 mai 1685, du 12
septembre 1690 et du 9 janvier 1691. Intervenant pour soutenir la conception ecclésiastique,
le Parlement de Bretagne devient ainsi, dans les trente dernières années du
XVIIe
siècle, un
acteur essentiel du contrôle de l’argent des fabriques.
2 ) Le contrôle des comptes des fabriques : entre hiérarchie ecclésiastique et autorités
civiles
Dès le début du
XVIIe
siècle, les autorités ecclésiastiques ont le souci de contrôler
davantage les comptes des fabriques, et ce par le biais des recteurs. En janvier 1609, le
promoteur de l’officialité de Dol, saisi par le recteur de Roz-sur-Couesnon dont les
paroissiens refusent d’entreprendre d’importants travaux de réparation à l’église, demande au
recteur d’avoir « un papier de marcque, ou sera inseré le jour et temps de chacune recepte et
despance »222. Cela lui permettra, le jour de la reddition du compte, d’examiner celui-ci de
façon à la fois efficace et stricte. Cette préoccupation n’est pas séparable de la Réforme
catholique car il s’agit de contrôler les dépenses, par exemple pour que soient acquis des
livres liturgiques « selon la reformation du concile de Trante ». Dans cette première décennie
du
XVIIe
siècle, que ce soit à La Fontenelle, à Trébédan ou à La Fresnais, les comptes des
fabriques du diocèse de Dol sont, de même qu’à la fin du
XVIe
siècle, examinés par un
auditeur des comptes, ecclésiastique qui semble chargé du contrôle de toutes les paroisses du
diocèse223. Cette fonction, contestée dans bon nombre de paroisses, semble disparaître dans
les années 1630. À Plerguer, paroisse pour laquelle nous possédons un registre de comptes
couvrant la période 1628-1665, les comptes sont examinés par le sénéchal de la châtellenie de
220
AMSM, Paramé GG 270.
ADM, G 0914.
222
ADIV, 2 G 254/29.
223
ADIV, 2 G 121/6, 2 G 118/2. ADCA, 20 G 614. Cf supra, chapitre 3, p. 75.
221
261
Beaufort, sauf lorsque l’évêque intervient en personne pour les contrôler224. À La Fontenelle,
c’est le juge de la sénéchaussée royale de Bazouges qui contrôle les comptes à la fin du
XVIe
et au début du XVIIe siècle225. Dans tous les cas, cela se fait en présence du recteur. À partir de
la fin des années 1620 ou du début des années 1630, ce sont les recteurs qui, presque partout,
sur commission de l’évêque ou du vicaire général, prennent le relais, ce tournant semblant
être lié aux déplacements de l’évêque Hector d’Ouvrier dans les paroisses à cette époque.
C’est le cas, ainsi, à Trébédan à partir de la fin des années 1620, à La Fontenelle à partir de
1635, à Roz-sur-Couesnon pour le registre de comptes qui commence en 1636 226. Ces
commissions ne sont pas renouvelées chaque année, et sont valables jusqu’à révocation 227. À
partir du milieu du siècle, ce sont même les recteurs qui, bien souvent, sont chargés de
percevoir les reliquats versés avec retard, et non pas les trésoriers en charge 228. Quant aux
seigneurs et procureurs fiscaux, ils peuvent assister à la reddition des comptes, mais « comme
paroissiens et non aultrement », est-il précisé dans le registre des comptes de La Fontenelle en
1656229.
L’évolution n’est que partiellement semblable dans le diocèse de Saint-Malo, comme
le montre le graphique. Les commissaires chargés d’examiner les comptes des fabriques d’un
archidiaconé disparaissent dans le premier quart du siècle, au profit, en fait, comme dans le
diocèse de Dol, des autorités civiles, qu’elles soient royales ou seigneuriales. Cette situation
dure jusque dans les années 1630 et, pour ne pas perdre complètement le contrôle des
fabriques, les autorités ecclésiastiques doivent éventuellement se résoudre à délivrer une
commission au seigneur du lieu ou au procureur fiscal de la juridiction seigneuriale. Les
comptes, il est vrai, sont toujours rendus, et généralement examinés, en présence du recteur.
Au synode de la Saint-Luc 1632, l’évêque Achille de Harlay, débutant son épiscopat, interdit
aux trésoriers de présenter leurs comptes aux seigneurs ou à des procureurs fiscaux, et aux
recteurs d’assister à ces examens230. Comme il est possible de le constater pour plusieurs
paroisses, cette décision n’est pas immédiatement suivie d’effet, même si depuis les années
1620 des commissions sont délivrées aux recteurs qui, dans un certain nombre de paroisses,
examinent les comptes, mettant fin dans plusieurs cas au contrôle exclusivement laïc.
224
ADIV, 2 G 229/1.
ADIV, 2 G 118/2.
226
ADIV, 2 G 254/5.
227
ADIV, 2 G 118/2.
228
ADIV, 2 G 254/5, 2 G 118/2.
229
Ibid.
230
ADIV, 1 G 83.
225
262
263
Toutefois, le tournant se situe bien dans les années 1630. En effet, dans les années 1630,
1640, 1650 et 1660, les évêques, vicaires généraux et archidiacres effectuent de très
nombreuses visites, notamment pour examiner les comptes des fabriques. C’est donc des
années 1630 qu’il faut dater la reprise en main des fabriques par la hiérarchie ecclésiastique,
reprise en main directe puisqu’elle ne passe pas par le clergé paroissial, et est ainsi
probablement plus efficace que dans le diocèse de Dol. Il paraît bien en effet que les membres
du clergé paroissial ne reçoivent de commission que lorsque les officiers de l’évêque ne
peuvent pas se déplacer. Puis, progressivement, l’official prend la relève, ce qui est partout
chose faite dans les années 1670. Cette politique reste en vigueur jusqu’au début du
XVIIIe
siècle, puis les membres du clergé paroissial, désormais formés au séminaire, sont, pour
certains d’entre eux au moins, jugés suffisamment sûrs et compétents. Lors du synode tenu
dans le diocèse en septembre 1708, il est décidé que l’évêque « nommera dans chaque synode
un recteur qui examinera les comptes de cinq paroisses voisines qu’on luy marquera dans sa
commission » et l’examen interviendra quinze jours après que les trésoriers en aient été
avertis231.
Dans le diocèse de Rennes comme dans les diocèses voisins, les juridictions civiles
sont actives au début du
XVIIe
siècle, dans le prolongement d’ailleurs de la fin du siècle
précédent. Ainsi, les comptes de la fabrique de Saint-Brice, dans le Coglès, sont examinés par
le sénéchal de la baronnie de Saint-Brice sur commission du sénéchal de Fougères pour la
période 1600-1611, puis en 1618 sur commission du sénéchal de Rennes232. Mais,
rapidement, presque partout, les comptes sont examinés par les recteurs sur commission de
l’évêque ou du vicaire général, et le restent. C’est le cas dès les toutes premières années du
siècle à La Bosse, Sainte-Colombe ou Gévezé233. À Saint-Brice, c’est le cas à partir de 1612,
l’année 1618 ne constituant qu’une parenthèse. Pour cette paroisse, le registre de comptes se
termine en 1660 et, sur toute cette période, le baron de Saint-Brice assiste à la reddition des
comptes, mais l’examen est effectué par le recteur. L’évêque, les vicaires généraux et les
archidiacres n’interviennent que rarement de façon directe dans l’examen des comptes, et
l’official de façon plus rare encore. La situation est donc tout à fait différente de celle du
diocèse de Saint-Malo, et cette différence est en partie un héritage du
XVIe
siècle. Dans le
diocèse de Rennes, l’on continue à privilégier, sur toute la période, les contrôles effectués par
le clergé paroissial, choix qui est désormais également celui des évêques de Dol, tandis que
231
ADIV, 1 G 83.
ADIV, 2 G 264/2.
233
ADIV, 2 G 31/1, 2 G 269/2, 2 G 125/5, 6.
232
264
dans le diocèse de Saint-Malo un choix a été fait en faveur du contrôle par les membres de la
hiérarchie ecclésiastique. Cela renvoie à deux visions différentes du fonctionnement d’un
diocèse. De façon apparemment paradoxale, le choix qui a été fait dans le diocèse de SaintMalo a, un temps, favorisé davantage que dans le diocèse de Rennes le contrôle des comptes
par les juges des juridictions civiles, qui ont su profiter des absences des officiers de l’évêque
et du manque d’expérience des recteurs en la matière. Dans le diocèse de Rennes, le contrôle
civil des comptes ne s’effectue que dans certaines paroisses où le rapport de forces est
nettement défavorable aux clercs. C’est le cas à Louvigné-de-Bais où, en 1663, les comptes
sont examinés devant la juridiction de Saudecourt234.
Sur le plan du droit, la situation est complexe. En 1630, le Parlement de Paris a jugé
que l’examen des comptes de l’archidiaconé de Senlis relevait de l’archidiacre, ce qui fait
évidemment jurisprudence. Mais en 1649 le Parlement de Bretagne considère que les « juges
seculiers » sont « seuls fondez » à examiner les comptes des fabriques235, tandis que le
Conseil privé prend la décision inverse en 1654236. La contradiction est évidente, et un conflit
de juridiction surgit en 1676, quand les trésoriers de Saint-Méloir, dans le diocèse de SaintMalo, engagent devant le présidial des poursuites contre les trésoriers précédents qui n’ont
pas rendu leurs reliquats237. Le présidial en profite pour se déclarer seul compétent en la
matière et exiger que les comptes soient rendus devant les juges des juridictions séculières. Le
promoteur de l’officialité de Saint-Malo fait appel devant le Parlement de Bretagne, qui
soutient le présidial. L’évêque de Saint-Malo Sébastien du Guémadeuc porte alors l’affaire
devant le Conseil d’État, qui déclare le présidial incompétent, en vertu d’une jurisprudence
née d’arrêts du Parlement de Paris et du Conseil d’État. Il est rappelé que les comptes doivent
être examinés par l’évêque ou ses officiers « comme estant revenus sacrez et d’un usage
purement ecclesiastique »238. La situation est finalement tranchée, dans le même sens, par un
édit royal en 1695. Les trésoriers des fabriques doivent présenter leurs comptes aux évêques,
vicaires généraux ou archidiacres, qui les examineront. Si ceux-ci ne le font pas dans l’année
qui suit la clôture du compte, alors les comptes seront examinés par le titulaire de la cure et
présentés aux prélats ou à leurs officiers lors de la visite suivante239. De toute façon, nous
venons de le voir, si la théorie est une chose, la pratique en est une autre, et l’intérêt de l’édit
234
ADIV, 2 G 166/42.
[LXV] Les plus solennels arrests et reglemens (…), Livre Quatrième, p. 74.
236
[LXXVI] Recueil des edicts, declarations et arrests (…).
237
ADIV, 1 G 82.
238
Ibid.
239
[LXXIII] POTIER DE LA GERMONDAYE, Introduction au gouvernement des paroisses (…), p. 223-224.
235
265
de 1695 est d’interdire, de façon définitive, un type d’examen qui ne subsistait plus que dans
de rares paroisses.
En 1639, l’évêque de Saint-Malo Achille de Harlay se plaint auprès du Conseil privé
du Roi à la fois du fait que les nouveaux trésoriers « refussent de contraindre les antiens » au
versement de leur reliquat dans le temps imparti lors de l’examen des comptes – ce
qu’exigeait déjà Guillaume Le Gouverneur dans ses statuts synodaux240 –, et du manque de
sévérité des justices laïques en ce domaine241. Il reproche surtout à ces dernières de n’assister
qu’insuffisamment les autorités ecclésiastiques dans le contrôle de l’argent des fabriques, et
ce par esprit de rivalité. Le Conseil lui donne raison, mais l’on chercherait en vain dans les
comptes la traduction immédiate de cette décision. Or, sans l’assistance des justices laïques,
les clercs ne peuvent contraindre de façon efficace les trésoriers à rendre leurs reliquats. Le
phénomène est aggravé dans le diocèse de Rennes par les retards dans la reddition des
comptes. En 1676, dans presque toutes les paroisses du pays rennais que visite le vicaire
général Gilles de Gain, les trésoriers dernièrement sortis de charge n’ont pas encore rendu leur
compte242. À Broons, cas exceptionnel, ce sont les comptes des sept dernières années qui
n’ont pas été examinés. Aussi le Parlement de Bretagne prend en 1690 un arrêt obligeant les
trésoriers à rendre leur compte dans l’année suivant leur sortie de charge. Mais cela n’a
qu’une influence indirecte sur la date à laquelle sont rendus les reliquats. En 1678, à
Bazouges-sous-Hédé, plus de 500 livres sont dues par les anciens trésoriers, dont les comptes
ont été examinés, et la fabrique a engagé un procès devant la sénéchaussée royale de Hédé
afin de recouvrer la somme243.
Du fait, à la fois, des évolutions dans le contrôle des comptes et du renforcement du
prestige de l’ecclésiastique, le recteur est, dès le début du XVIIe siècle, un personnage qui joue
un rôle renforcé dans la gestion de la paroisse et oriente davantage qu’au
XVIe
siècle les
dépenses de la fabrique. En 1605, 400 livres sont confiées par la fabrique de Domalain au
recteur Julien Marais « pour iceluy recteur aller a la Guibray », foire qui se tient près de
Falaise, en Normandie, afin d’« acheter des ornemens pour servir a lad. eglise »244. À Coulon
en Montfort, en 1606, 60 sous sont versés à celui qui a « au matin et a mydy sonné la cloche
touz les jours durant leurd. an pour insitez le peuple a priez Dieu suyvant le commandement
240
[XXIX] LE GOUVERNEUR, Guillaume, Statuts synodaux, p. 146, 385.
ADIV, 1 G 82.
242
ADIV, 1 G 3/3.
243
ADIV, 2 G 20/2. Cf annexe n° 50.
244
ADIV, 2 G 101/6.
241
266
[et] l’avertissement du recteur [de] ladicte eglize »245. À Chanteloup, en 1626, de façon certes
exceptionnelle, « la sacristie, joincte a l’eglise [est] ouvrante dedans le presbytere, que ledit
recteur a en garde »246. Dans la seconde moitié du siècle, des recteurs prennent l’initiative
d’engager des dépenses, et se font ensuite rembourser par les fabriques. C’est par exemple le
cas à Domalain en 1669 pour une somme de 30 livres, à Coulon en Montfort en 1654 puis
1680 pour 80 puis 25 livres247. La lettre envoyée en 1675 par le recteur de La Mézière au
vicaire général de l’évêque de Rennes est révélatrice de cette évolution. « Disant qu’il auroit
esté arresté par les deliberations et examens de comptes des 22e juin 1670, 3e 7bre 1673, 18e
juin 1673, 23 Xbre 1674 et 8e 7bre 1675, que l’argent de la fabrique de La Meziere qui se
monste a la somme de saize cents vingt et sept livres six sols onze deniers seroit employé aux
necessités de l’eglise, et entr’autres a acheter une grande croix pour les processions », le
recteur prend contact avec un orfèvre de Rennes et présente, lors du prône, le dessin d’une
croix, qui plaît à « tous les assistans »248. Mais le prix de la croix monte à 800 livres, et les
« deputez des paroissiens » refusent d’entrer en contact avec l’orfèvre. « Or, comme la charge
de pasteur oblige […] a faire survenir aux necessités de [l’] eglise paroissiale », le recteur
contacte le vicaire général, qui enjoint aux paroissiens « d’executer les deliberations », faute
de quoi il est envisagé de porter l’affaire devant le présidial. Ceci dit, les comptes restent
évidemment tenus par les trésoriers et les recteurs ne peuvent ni ne doivent « disposer a leur
volonté des deniers apartenants aux fabriques de leurs eglises », comme le rappelle l’évêque
de Dol Jean-Louis Debouschet dans ses statuts synodaux édités en 1741 249. Et si le recteur
joue un rôle plus important dans la prise de décision, celle-ci reste d’abord le fait des
paroissiens et notamment d’une partie d’entre eux, en l’occurrence un groupe qui se restreint à
la fin du XVIIe siècle, dans un cadre de plus en plus réglementé.
3 ) Vers l’oligarchie de droit (fin du XVIIe siècle)
À la fin du
XVIIe
siècle, le Parlement intervient à plusieurs reprises, par le biais
d’arrêts, dans la gestion des paroisses et notamment des fabriques. Il entérine et oriente à la
fois certaines évolutions, et surtout il les institutionnalise. Cela concerne moins la gestion de
245
ADIV, 2 G 92/6.
ADIV, 2 G 57/1.
247
ADIV, 2 G 101/8, 2 G 92, 6 et 7.
248
ADIV, 2 G 182/13.
249
[XXVII] DEBOUSCHET, Jean-Louis, Statuts des ordonnances de monseigneur (…), p. 36.
246
267
la fabrique par les trésoriers que la prise de décisions, lors de délibérations, par ce qui est
nommé depuis au moins le XVIe siècle le corps politique de la paroisse.
Ainsi, un arrêt interdit en 1659 de « faire raporter les deliberations sur des feuilles
volantes », décision reprise le 13 juillet 1680 puis le 11 mars 1689. Dans ce dernier arrêt, il
est ordonné aux habitants de toutes les paroisses de la province de posséder « un livre […]
chiffré et millesimé du juge royal des lieux, sur lequel les deliberations desdites paroisses
seront inserees a l’issue des grandes messe »250. Dans la plupart des paroisses rurales, le
premier registre de délibération commence à être tenu dans les années 1680, ainsi à Brielles
en 1683, à Cesson en 1685, à La Chapelle-des-Fougeretz en 1686251. La création de la milice
en 1688-1689 est l’occasion de délibérations et cela pousse les paroisses retardataires à tenir
des registres252, alors que jusqu’ici les procès-verbaux des délibérations étaient consignés sur
des feuilles volantes ou sur les registres de comptes. Les paroisses du diocèse de Dol
présentent une antériorité en la matière : le registre de délibérations de La Fresnais commence
en 1655, celui de La Boussac en 1661, celui du Mont-Dol en 1668253. Cette antériorité des
paroisses du pays dolois est probablement à mettre en rapport avec la nécessité de l’entretien
des marais, les habitants des paroisses de l’important marais de Dol étant en effet tenus
d’entretenir les digues, les canaux et les chemins, et à peu près un cinquième des délibérations
consignées à La Fresnais dans la seconde moitié du siècle traitent de ce sujet254.
Ordonnant d’effectuer les délibérations à l’issue de la grand-messe, l’arrêt de 1689 va
dans le sens des exigences de la hiérarchie ecclésiastique puisque le Rituel romain interdit aux
prêtres de traiter d’affaires profanes lors du prône. Or, jusqu’au milieu du
XVIIe
siècle, les
délibérations interviennent généralement au moment du prône, ce qui d’ailleurs ne représente
pas nécessairement une intrusion du profane au milieu de la messe puisqu’une bonne partie
des délibérations traitent de l’utilisation des deniers de la fabrique. Dans les années 1680 au
plus tard, il apparaît que dans toutes les paroisses les délibérations ont désormais lieu à l’issue
de la grand-messe, ce qui a des conséquences en terme de participation aux décisions puisque,
si tous les chefs de famille assistent à la grand-messe et sont donc présents au prône, tous, en
revanche, ne resteront peut-être pas à la fin de la messe. Et ce d’autant que l’arrêt du
Parlement du 27 avril 1691 « ordonne qu’a l’avenir toutes les deliberations des paroisses de la
[LXXIV] Recueil des arrests de reglement du Parlement (…), p. 6-8, 65-73, 135-138.
ADIV, 2 G 44/1, 2 G 54/2, 2 G 62/8.
252
C’est par exemple le cas à Saint-Aubin-des-Landes (ADIV, 2 G 259/4).
253
ADIV, 2 G 121/1, 2 G 35/1, 2 G 191/1.
254
[262] HIRON, Chloé, Le catholicisme au Marais (…), p. 48. Mais c’est bien évidemment dans les paroisses urbaines
que les premiers registres de délibération sont tenus, à partir de 1632 pour Notre-Dame de Vitré, de 1644 pour SaintLéonard de Fougères, de 1653 pour Saint-Sulpice de Fougères (ADIV, 2 G 378/1, 2 G 120/1, 2 G 120/201).
250
251
268
province se feront dans les sacristies », prenant prétexte de délibérations qui se tiendraient
dans les cabarets255. En réalité, le dépouillement des archives paroissiales – le lieu où se tient
une délibération étant toujours précisé dans les textes – permet d’établir qu’à cette date les
assemblées qui se tiendraient dans les cabarets ne peuvent constituer qu’un nombre très faible
de l’ensemble des délibérations, celles-ci se tenant presque toujours soit dans l’église, soit
sous le porche, soit à l’entrée du cimetière. En revanche, la conséquence de cet arrêt est
importante car une sacristie, vu son exiguïté, ne peut accueillir qu’un nombre restreint de
paroissiens, et son utilisation par les assemblées devant prendre des décisions va de pair avec
le renvoi de celles-ci à la fin de la messe. En fait, cet arrêt du Parlement ne fait qu’entériner
une évolution déjà aboutie dans bien des paroisses. Ainsi, à Domalain, le 25 décembre 1665,
les « paroissiens » s’assemblent dans la sacristie « a l’endroit de la post communion, suivant
la forme et coustume de lad. paroisse »256. Les réunions ont donc déjà lieu, depuis un certain
temps, dans la sacristie, et cette assemblée intervient « apres l’advertissemant leur en faict au
prosne de grande messe le dimanche pendant et depuis a l’endroit de la grande messe led. jour
de Noel ». Sont alors nommés « d’une commune voix » le procureur de la bourse des défunts,
les prévôts des confréries et les trésoriers de la fabrique. Dans un certain nombre d’églises, la
construction de la sacristie est même accompagnée de celle d’une salle de délibération,
consacrée donc spécifiquement à cet usage. Elle est souvent placée à l’étage, au-dessus de la
sacristie, comme à Billé, où elle est construite dès les années 1620, ou à Livré-sur-Changeon.
Elle peut aussi être située au rez-de-chaussée et donner sur le chœur, tout en étant distincte de
la sacristie, comme c’est le cas à Fleurigné, où elle est bâtie dans les années 1660257.
La restriction du nombre des délibérants, qu’implique la tenue des assemblées dans la
sacristie ou une salle de délibérations après la grand-messe, est justement un des principaux
sujets abordés par les arrêts pris par le Parlement à propos des paroisses à la fin du
XVIIe
siècle, et il en est de même de la désignation des trésoriers de fabrique. Dans un arrêt du 12
mars 1685, le Parlement, saisi par un procureur fiscal du diocèse de Nantes, considère « que
la nomination des fabriques et tresoriers des paroisses se fait universellement dans toute la
province sur les suffrages et deliberations des recteurs, pretres, gentilshommes, officiers des
lieux, et bourgeois »258. En 1669, le Parlement traitant de l’égail des fouages, signale que les
[LXXIV] Recueil des arrests de reglement du Parlement (…), p. 145-149.
ADIV, 2 G 101/8. Cf annexe n° 30.
257
Les salles de délibération des églises de Billé, Livré-sur-Changeon et Fleurigné ont été conservées. Sur la
datation des travaux à Billé et Fleurigné, voir [382] BLOT, Roger, « Église Saint-Médard de Billé » et « Église
Saint-Martin de Fleurigné ». La réalisation d’une salle de délibérations indépendante permet aussi de ne pas trop
mêler le sacré et le profane.
258
[LXXIV] Recueil des arrests de reglement du Parlement (…), p. 91-94.
255
256
269
égailleurs doivent être choisis par « les paroissiens en corps politique », « par avis du recteur
et pretres de la paroisse, des plus notables et meilleure partie des paroissiens et habitans
d’icelle », expression qui n’est pas nouvelle puisque nous avons vu l’existence de la major et
sanior pars au
XVIe
siècle259. En 1688, le Parlement déplore que ces délibérations qui
constituent un préliminaire indispensable aux levées de deniers ne soient « le plus souvent
faites que par un petit nombre de gens », les procès-verbaux notariés n’étant parfois signés
que par deux ou trois délibérants260. En la matière, les membres du Parlement n’ignorent ni la
coutume, qui consiste à limiter le nombre de signatures afin d’ « eviter a la multiplicité des
seings », ni les capacités des paroissiens, la grande majorité d’entre eux ne sachant pas
signer261, et il faut donc interpréter leur démarche à la fois comme une volonté de contrôler les
dépenses faites dans les paroisses et comme un souhait de développer la culture écrite, qui
facilite les contrôles, dans un monde où domine encore l’oral. Ceci dit, cet arrêt du 17 janvier
1688 est extrêmement important car pour la première fois il est précisé « que lorsqu’il est
question d’examiner les interests d’une paroisse, l’assemblee des paroissiens soit au moins
composee de douze qui ayent voix deliberative, lesquels doivent signer s’ils le scavent, ou
bien faire signer a leurs requestes chacun en son particulier ». Et s’il n’est pas possible de
trouver dans certaines paroisses douze personnes sachant signer, le Parlement en impute la
responsabilité aux « personnes notables […] qui negligent de se trouver aux assemblees des
paroisses, et en abandonnant le soin a des gens si peu experimentez qu’ils ne scavent meme
pas ecrire », et l’on voit bien ainsi comment le développement de la raison classique et de la
culture écrite joue en faveur d’une oligarchie. Ceci dit, toute la seconde moitié du
XVIIe
siècle
est, indépendamment même des arrêts du Parlement, marquée par un lent mouvement de
restriction du nombre des délibérants. À La Fresnais, 21 personnes assistent en moyenne aux
réunions qui se tiennent de 1655 à 1663, dont un noyau dur de 12 à 15 personnes toujours
présentes262. Dans la même paroisse, la moyenne des délibérants est inférieure à 20 pour la
période 1664-1673, et est de 16 pour la période 1688-1700. Dans la paroisse urbaine SaintSulpice de Fougères, il arrive à plusieurs reprises, en 1675 et 1676, que des délibérations
n’aient pas lieu faute de délibérants en nombre suffisant263.
259
Cf supra, chapitre 1.
[LXXIV] Recueil des arrests de reglement du Parlement (…), p. 120-125.
261
Ces deux éléments sont explicitement déplorés dans l’arrêt en question (ibid.).
262
[262] HIRON, Chloé, Le catholicisme au Marais (…), p. 43-45.
263
En 1676 les trésoriers doivent rémunérer des notaires « pour estre venuz par quattre fois differantes raporter
des proceix verbaux comme il ne se presentoit personne a l’assemblee de paroisse pour deliberer des affaires de
conceqance » (ADIV, 2 G 120/254).
260
270
Mais ce nombre minimal de douze délibérants, élément souligné encore en 1691264,
devient progressivement un nombre maximal. Le processus est abouti, sur le plan légal, dans
les années 1710265, et c’est ce fonctionnement alors mis en place que présente en 1777 le
juriste Potier de La Germondaye266. Désormais, « le gouvernement d’une paroisse est confié a
un certain nombre de personnes qui representent le corps des habitans. Ces personnes sont le
curé [recteur], les juges de la jurisdiction d’ou l’eglise releve, le procureur du roi ou fiscal,
douze anciens tresoriers qui ont rendu et soldé leurs comptes, et les deux tresoriers en
exercice »267. Ce corps, qui, par ses fonctions, prend la suite de l’assemblée générale des
habitants, a pour nom le général. Dans la pratique, il apparaît que l’instauration de cette
oligarchie de droit est à la fois un renforcement et une institutionnalisation d’une oligarchie de
fait.
Disposant de la liste complète des trésoriers de la paroisse Saint-Sauveur de Dinan
pour la période 1596-1791, Françoise Cohan a pu la croiser avec le dépouillement des
registres paroissiaux effectué par Paul Paris-Jallobert268. Sur les 235 trésoriers en charge au
XVIIe
siècle, 135, soit 65 %, appartiennent à une des 61 familles qu’elle a pu identifier grâce
aux travaux de l’érudit, qui ne s’est intéressé qu’aux paroissiens présentant des signes de
notabilité. Elle a notamment reconstitué cinq familles qui ont fourni des trésoriers à la
paroisse. Ainsi, Macé Maingart est trésorier en 1612/1614, puis c’est le cas, plus tard, de son
frère (1628/1630), de son fils (1650/1652), de son petit-fils (1658/1660), de son neveu
(1678/1680), de ses arrières-petits-fils (tous deux en 1680/1682) et du fils de son neveu
(1698/1700)269. De la même façon, la famille Ernault fournit 4 trésoriers de 1608 à 1686, la
famille Martel 4 trésoriers également de 1610 à 1694, la famille Blondeau 7 trésoriers de 1636
à 1700270. L’appartenance à une famille ayant déjà joué un rôle dans la gestion de la paroisse
semble donc constituer un élément important pour l’accession à cette responsabilité, et cela
est vrai également pour les paroisses rurales. En effet, à Saint-Gondran, Vincent Fizot,
trésorier en 1591, est le père de Laurent, trésorier en 1623, et le grand-père de Guillaume et de
Macé, trésoriers respectivement en 1656 et 1660271. Vincent Fizot, le grand-père, épouse en
Arrêt du 27 avril 1691 ([LXXIV] Recueil des arrests de reglement du Parlement (…), p. 145-149).
En 1718 très exactement ([LXXIV] Recueil des arrests de reglement du Parlement (…), p. 327 sq.).
266
[LXXIII] POTIER DE LA GERMONDAYE, Introduction au gouvernement des paroisses (…)
267
Ibid. Trois clés permettent d’ouvrir le coffre de la fabrique : le recteur en détient une, un trésorier une seconde
et le représentant du seigneur la troisième.
268
[252] COHAN, Françoise, Paroisse et ville (…), vol. 1, p. 43 sq., vol. 2, p. 20-49.
269
Ibid., vol. 2, p. 47.
270
Ibid., p. 48-49.
271
Tous ces développements qui concernent Saint-Gondran proviennent d’un croisement entre les archives privées de
Gérard Sèvegrand et les comptes de fabrique conservés aux Archives départementales (ADIV, 2 G 285/2, 8 à 12).
264
265
271
secondes noces, vers 1600, Julienne Saubouays, à une époque où, en l’espace d’une quinzaine
d’années, trois Saubouays sont trésoriers. Son fils, Laurent, épouse lui en secondes noces
Bertheline Letrotoux, dont le père a été trésorier à la fin du
XVIe
siècle. Sa première femme,
décédée en 1632, s’appelait Guillemette Lusault, et la famille Lusault fournit douze trésoriers
à la paroisse de 1572 à 1661, dont le père de Guillemette en 1597. Ainsi, par exemple, Julien
et Pierre Lusault, trésoriers en 1654 et 1659, sont les fils de Pierre, trésorier en 1619… et
époux de Françoise Fizot, la sœur de Laurent. Sa seconde épouse décédant en 1639, Laurent
Fizot épouse en troisièmes noces Julienne Rebillard, dont la famille fournit neuf trésoriers à la
paroisse de 1583 à 1671. Quant à Pierre Lebreton, trésorier en 1658, il a, comme Laurent
Fizot, épousé lui aussi une Lusault.
Pour Saint-Sauveur de Dinan, Françoise Cohan a pu identifier la profession de 58
trésoriers sur les 205 en charge au
XVIIe
siècle, soit 28 %. Il s’agit toujours de membres de la
petite ou de la moyenne bourgeoisie, qui savent signer272. La maîtrise de la lecture et de
l’écriture est nettement moins répandue en milieu rural, mais, si l’on prend le cas de
Domalain, sur les 48 trésoriers en charge de 1657 à 1672 et de 1677 à 1684, 25 signent d’une
écriture parfaitement maîtrisée et 10 le font d’une écriture très peu ou médiocrement
maîtrisée273. Par rapport au tout début du siècle, l’évolution est significative puisque 18 des 34
hommes qui ont été trésoriers de 1593 à 1609 ne savaient pas signer, et seuls 3 signaient
d’une écriture parfaitement maîtrisée274. Cette évolution concerne également les délibérants.
À La Fresnais, la moitié des 17 personnes assistant à presque toutes les délibérations ayant
lieu de 1655 à 1659 savent signer275, proportion largement supérieure à la moyenne régionale.
L’étude des titulatures fournit également des renseignements intéressants : à Domalain, dans
la seconde moitié du siècle, l’immense majorité des trésoriers de la fabrique sont qualifiés
d’ « honorable » ou « honnete ».
Dans le domaine fiscal, les rôles de fouage peuvent nous fournir quelques
informations sur les délibérants, ainsi pour La Fresnais en 1665, 1672 et 1691276. Si l’on
répartit les contribuables en fonction du montant de leur versement, il apparaît d’une part que
les délibérants appartiennent à toutes les catégories, mais proportionnellement plus à celles
qui sont les plus imposées. D’autre part, il y a sur un quart de siècle une nette baisse de la
participation aux délibérations de la part de ceux qui versent les sommes les plus modestes.
[252] COHAN, Françoise, Paroisse et ville (…), p. 47-49.
ADIV, 2 G 101/8, 9.
274
ADIV, 2 G 101/6.
275
[262] HIRON, Chloé, Le catholicisme au Marais (…), p. 46.
276
Ibid., vol. 2, annexe n° 10.
272
273
272
La capitation, créée en 1695 pour financer la guerre de la Ligue d’Augsbourg, nous
fournit des renseignements plus intéressants que ceux provenant des fouages, car elle est
quasi-universelle (seuls y échappent les plus pauvres) alors que de nombreux
affranchissements de fouage interviennent au XVIIe siècle, comme l’a montré James B. Collins
pour des paroisses bretonnes277. De plus, l’assiette de cet impôt tient compte de l’ensemble de
la fortune personnelle alors que la base des fouages reste essentiellement foncière278.
Malheureusement, peu de registres de capitation ont été conservés pour l’extrême fin du
et les quinze premières années du
XVIIIe
XVIIe
siècle, moins encore pour des paroisses ayant
également conservé leurs comptes de fabrique et/ou leurs registres de délibération. Une seule
paroisse présente ce cas pour 1701, date à laquelle est rétablie la capitation après sa
suppression en 1698. Il s’agit de Louvigné-de-Bais, étudiée par Yann Lagadec279. Il a identifié
21 personnes ayant assisté à au moins une délibération de 1698 à 1701 : la moyenne de leurs
cotes d’imposition s’élève à 7 livres 12 sous, alors que la moyenne pour l’ensemble de la
paroisse est de 3 livres 16 sous. Ainsi – ce n’est pas une surprise – les membres du général
sont globalement nettement plus aisés que la moyenne des paroissiens. Ceci dit, alors que la
médiane est de 3 livres, plusieurs délibérants sont imposés à 3 ou 4 livres, tandis qu’aucun ne
l’est à moins de 3 livres. Les délibérants se recrutent donc parmi les plus aisés mais aussi dans
le groupe médian, tandis qu’aucun ne provient des milieux modestes ou pauvres 280. Pour
Dinan, les registres de capitation antérieurs à 1737 n’ont pas été conservés. L’étude pour la
période 1739-1791 montre que plus de 85 % des trésoriers sont imposés entre 6 et 40 livres,
c’est-à-dire qu’ils se situent dans les catégories intermédiaires, qui rassemblent à peine plus
de 30 % des capités à Dinan, environ 60 % des capités payant moins de 5 livres281. Si, à la
suite de Jean Meyer, l’on situe à 20 livres de capitation la limite entre petite et moyenne
bourgeoisie et à 50 livres celle entre moyenne et grande bourgeoisie282, nous trouvons la
[125] COLLINS, James B., Classes, Estates and Order (…), p. 241 sur Gévezé par exemple. James B. Collins
signale en outre que deux des plus riches familles roturières de cette paroisse ont obtenu des affranchissements (ibid.).
278
Ce dossier a été repris par [292] LAGADEC, Yann, Pouvoir et politique en Haute-Bretagne rurale (…), vol. 2,
p. 326 sq.Voir aussi [82] La véritable hiérarchie de l’ancienne France (…).
279
[292] LAGADEC, Yann, Pouvoir et politique en Haute-Bretagne rurale (…), vol. 2, p. 328-329.
280
Répétant le calcul pour la période 1767-1769, Yann Lagadec obtient le même résultat, avec un léger
déplacement vers le haut : la cote moyenne des délibérants est alors de 9 livres 17 sous alors que la cote
moyenne pour la paroisse est de 4 livres (ibid.).
281
[252] COHAN, Françoise, Paroisse et ville (…), p. 49-51.
282
[97] Histoire de Rennes, p. 272. Philippe Jarnoux, reprenant le dossier, a rappelé que la considération
professionnelle est un autre critère permettant de caractériser la bourgeoisie, mais sans remettre en cause la pertinence
de l’approche de Jean Meyer, la petite bourgeoisie étant composée de ceux qui paient « entre 15 et 20 livres de
capitation, sans exercer une profession manifestement bourgeoise et quelques marchands et artisans qui dépassent
occasionnellement 20 livres d’imposition » ([131] JARNOUX, Philippe, Les bourgeois et la Terre (…), p. 15-25).
277
273
confirmation de l’appartenance des trésoriers dinannais à la petite et à la moyenne
bourgeoisie283.
Cette appartenance sociale paraît logique dans la mesure où les trésoriers doivent être
solvables : ils sont en effet responsables sur leurs biens et sur leur personne d’une mauvaise
gestion. De plus, cette responsabilité exige d’y consacrer du temps, nécessite des
déplacements à la ville pour acheter les ornements et rencontrer les artisans, suscite des faux
frais. Même s’il n’est pas impossible que des trésoriers prêtent une partie du reliquat à crédit
afin de se rembourser, ce qui expliquerait certains retards, la charge n’apparaît pas
rémunératrice284. Ceci dit, l’appartenance à une famille anciennement implantée dans la
paroisse et associée depuis déjà longtemps à la gestion de celle-ci apparaît comme un élément
tout aussi essentiel, comme l’a déjà constaté Christian Kermoal pour le Trégor du
XVIIIe
siècle285. Quant au coût induit par la charge de trésorier, cela n’empêche pas celle-ci d’être un
honneur, les trésoriers ayant dans l’église leur banc, leur sépulture parfois, voire leur nom
lorsqu’ils entreprennent ou supervisent des travaux. Bien entendu, l’importance de la charge
et de l’honneur varie en fonction de l’importance des sommes manipulées, et donc des
paroisses.
Les études menées sur des paroisses au
XVIIIe
siècle montrent que le renforcement du
caractère oligarchique lié à l’instauration du général semble avoir parfaitement fonctionné
puisque, d’une part ce sont visiblement les membres du général qui choisissent les trésoriers,
et d’autre part les généraux ne renouvellent qu’assez peu leurs membres 286. Tous les trésoriers
de fabrique ne deviennent donc pas délibérants, du moins immédiatement après leur sortie de
charge. Yann Lagadec a montré, pour la paroisse de Louvigné-de-Bais à la fin du XVIIe siècle,
que seul celui qui est nommé « premier tresorier » devient ultérieurement délibérant, à la
différence du « second tresorier » qui gère des sommes moins importantes, le compte de
chaque année étant en réalité divisé en deux comptes287. La charge de « premier tresorier »
prend place dans une sorte de cursus honorum qui intègre aussi les fonctions de prévôt des
L’étude pour une autre paroisse urbaine, celle de Saint-Sulpice de Fougères, au XVIIIe siècle, aboutit à des résultats
semblables ([264] MONTEMBAULT, Isabelle, La paroisse Saint-Sulpice aux XVIIe et XVIIIe siècles (…), p. 32-35).
284
Au contraire très certainement, ce qui explique qu’occasionnellement des hommes nommés trésoriers refusent
d’entrer en charge, ainsi à Sainte-Colombe en 1623 (ADIV, 2 G 269/2) et à La Gouesnière en 1638 (ADIV, 2 G
127/7), et ils y sont alors contraints par les paroissiens qui recourent à la justice, comme c’est le cas à Domagné
en 1682 (ADIV, 2 G 100/1).
285
[291] KERMOAL, Christian, Les notables du Trégor (…).
286
Voir ainsi, pour Saint-Sauveur de Dinan, [252] COHAN, Françoise, Paroisse et ville (…), vol. 1, p. 21-24, 40, 42-43.
287
LAGADEC, Yann, « Argent des villages et pouvoir en Haute-Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles », [298]
L’Argent des villages (…), p. 327-352. L’existence de cette hiérarchie, qui n’existait pas au XVIe siècle, explique
qu’à Piré en 1685, François Piard, vexé de n’avoir été nommé que « second » et non pas « premier » trésorier,
refuse de prêter serment ([249] CABARET, Samuel, Portrait d’une communauté rurale au XVIIe siècle (…), p. 36).
283
274
confréries, d’égailleur du fouage et de collecteur de la capitation. Ce n’est qu’à l’issue de ce
cursus que l’ancien trésorier intègre le général et devient donc délibérant 288. Cette nécessaire
gestion à la fois des comptes de la fabrique et de l’argent lié aux dépenses civiles paraît
logique dans la mesure où, le général prenant la suite de l’assemblée générale des paroissiens,
le sujet des délibérations peut concerner aussi bien les affaires de la fabrique que les dépenses
civiles de la communauté.
Conclusion du chapitre
Les prélats qui accèdent aux sièges épiscopaux de Rennes, de Dol et de Saint-Malo
dans les toutes premières années du
XVIIe
siècle se révèlent nettement plus conformes au
modèle tridentin que leurs prédécesseurs. Le premier tiers du siècle est l’époque des évêques
réformateurs, et c’est un Malouin de souche, Guillaume Le Gouverneur, qui est la figure de
proue de ce groupe. La liturgie romaine est introduite dans le diocèse de Saint-Malo dans les
années 1610 et sa diffusion est accélérée dans celui de Rennes, où elle avait déjà été entreprise
par Aymar Hennequin.
Les impulsions épiscopales en faveur de la mise en œuvre de la Réforme catholique
sont particulièrement fortes dans le diocèse de Saint-Malo pendant la première moitié du XVIIe
siècle. La publication de statuts synodaux nettement tridentins, le renouveau des assemblées
synodales, la multiplication des visites pastorales et l’entreprise visant à rétablir le contrôle
ecclésiastique des comptes de fabrique en sont des instruments efficaces, notamment parce
qu’ils visent à la fois à une redéfinition des normes et à leur application effective. Si l’élan
paraît un temps retomber dans les années 1630, Achille de Harlay joue alors un rôle non
négligeable en choisissant un lieu central (et donc stratégique) pour le déroulement des
synodes et en parvenant à rétablir l’examen des comptes de fabrique par un membre de la
hiérarchie ecclésiastique, généralement le vicaire général ou l’archidiacre.
Les années 1630 marquent le retour des évêques « politiques » à la tête des diocèses de
Rennes et de Dol, et les visites pastorales se raréfient dans le diocèse de Dol. Qui plus est, les
vicaires généraux et les archidiacres, si actifs dans le diocèse de Saint-Malo, fréquentent peu
les paroisses du diocèse de Rennes, où le contrôle des comptes de fabrique est réalisé par les
Des cursus semblables peuvent être mis en évidence pour d’autres paroisses rurales ([250] CAPITAINE,
Delphine, La vie paroissiale à Chavagne (…), annexe n° 12, pour Chavagne). À Domalain, François Boishus est
procureur de la bourse des défunts en 1665 et trésorier de la fabrique en 1669 ; de même Julien Boishus, qui lui
est sans doute apparenté, est procureur de la bourse des défunts en 1677 et trésorier de la fabrique en 1679, et
bien d’autres exemples identiques peuvent être relevés pour cette paroisse (ADIV, 2 G 101/9).
288
275
recteurs sur commission de la hiérarchie ecclésiastique, et ce choix est aussi, désormais, celui
qui prévaut dans le diocèse de Dol. Ceci dit, des évêques savent se montrer consciencieux et
donc d’une certaine manière réformateurs, dans le dernier quart du siècle plus
particulièrement. Dans le diocèse de Rennes, un vicaire général profite en 1676 d’une vacance
épiscopale pour effectuer une visite pastorale, donnant lieu à procès-verbal, dans une
vingtaine de paroisses, et deux ans plus tard le nouvel évêque envoie des mandements à
certains recteurs afin d’obtenir une vue d’ensemble de la vie paroissiale.
La réforme du clergé paroissial constitue à la fois une fin et un moyen de la mise en
œuvre de la Réforme catholique. La normalisation du clergé, progressive mais réelle, se
déploie sur l’ensemble du siècle et entraîne une modification significative du statut du prêtre.
En effet, ce n’est plus le prêtre bénéficier et homme du sacré qui incarne l’idéal clérical, c’est
le prêtre chargé d’âmes, certes homme du sacré mais aussi bon pasteur et modèle de vie
chrétienne. Cette politique de normalisation est engagée dès les années 1610, dans le diocèse
de Saint-Malo notamment, et commence réellement à porter ses fruits au milieu du siècle,
l’objectif paraissant effectivement atteint vers 1675289. L’entreprise visant à extraire les clercs
de la sociabilité laïque, et plus largement la volonté de distinction, provoquent à la fois une
forte baisse du nombre des prêtres, la carrière ecclésiastique imposant désormais de lourds
sacrifices, et un accès des recteurs à une réelle notabilité. Dans la seconde moitié du
XVIIe
siècle, le bon prêtre est un homme de savoir, un homme de pouvoir, qui fait inscrire sa dignité
dans la pierre, et un intermédiaire culturel. L’entreprise aboutit avec l’établissement des
séminaires, qui ouvrent en 1645 dans le diocèse de Saint-Malo, en 1672 dans celui de Rennes
et en 1698 seulement dans celui de Dol, et que complète la création de « petits séminaires »
en 1684 à Rennes, en 1707 près de Saint-Malo et en 1727 à Dol.
Les revenus des fabriques augmentent nettement pendant toute la première moitié du
siècle, même si leur montant varie fortement suivant les caractéristiques des paroisses, et
l’« âge d’or » des paroisses haut-bretonnes est à son apogée au milieu du siècle. Les revenus
commencent généralement à baisser vers 1660-1670, mais les reliquats accumulés permettent
à l’« âge d’or » (celui cette fois des sommes disponibles et des dépenses engagées, et non plus
des recettes annuelles) de jeter ses feux jusque vers 1690, au moment où l’épuisement des
reliquats conjugué à la forte baisse des recettes provoque une chute brutale des ressources.
Notons que l’entreprise qui consiste à choisir quelques contre-exemples pour étayer l’hypothèse contraire
n’est absolument pas convaincante. Il est toujours possible de trouver des contre-exemples, quel que soit le sujet
et quelle que soit la période considérée. Ainsi, l’on pourrait tout aussi bien trouver quelques « mauvais » prêtres
au début du XXIe siècle… ce qui signifierait… qu’il existe des contre-exemples. Peut-on imaginer qu’il en soit
autrement ?
289
276
Les ecclésiastiques reprennent aux autorités civiles le contrôle des comptes de
fabrique dans les années 1610 pour le diocèse de Rennes, dans les années 1630 pour les
diocèses de Dol et de Saint-Malo, et le recteur joue dès le début du siècle, en fonction d’une
chronologie variable selon les paroisses, un rôle renforcé dans la gestion de la fabrique. Ses
prétentions se renforcent dans la seconde moitié du siècle, des recteurs n’hésitant pas à
prendre l’initiative de certaines dépenses, ce qui revient de fait à court-circuiter l’action des
trésoriers et le fonctionnement de cette démocratie inégalitaire qui s’est mise en place aux XVe
et XVIe siècles. Mais tout est affaire de rapports de force, de négociations et de diplomatie, car
certains recteurs, par leurs prétentions, entrent en conflit avec leurs paroissiens, qui en fait
conservent la gestion de la fabrique. Ou plus exactement, certains paroissiens la conservent.
À la fin du
XVIIe
siècle en effet, l’intrusion du Parlement de Bretagne dans la gestion
des paroisses, afin notamment de fixer le nombre des délibérants, la modification du mode des
délibérations, la tenue des assemblées dans la sacristie ou une salle spécifique, non plus
pendant le prône mais après la messe, entraînent une évolution de la gestion des paroisses. Il y
a une véritable institutionnalisation de la major et sanior pars, qui s’accompagne logiquement
d’une restriction de la participation aux décisions. Ce processus de mise en place d’un
gouvernement de type oligarchique aboutit dans les années 1710.