Bang Hai Ja
Et la matière devint lumière
MUSÉE CERNUSCHI
Bang Hai Ja
Et la matière devint lumière
18 janvier ~ 14 avril 2019
Ce catalogue est publié à l’occasion de l’exposition
« Et la Matière devint lumière : Bang Hai Ja »
au musée Cernuschi du 18 janvier au 31 mars 2019.
L’exposition est organisée en collaboration avec
l’association Atelier Matière – Lumière AML
(les amis de Bang Hai Ja).
Les termes coréens sont transcrits en romanisation
révisée. Les noms propres de personnes ont toutefois
été reproduits selon leur graphie la plus usuelle
dans les pays occidentaux, suivie de leur écriture
en hangeul et en hanja.
Sauf mention contraire, les textes ont été écrits par
Mael Bellec, conservateur en chef responsable des
collections chinoises et coréennes du musée Cernuschi.
A la différence de nombreuses expositions muséales qui ont principalement
pour but de montrer au public des œuvres achevées, cette présentation des
peintures de Bang Hai Ja au musée Cernuschi entend accompagner une
création en cours : la réalisation des vitraux de la salle capitulaire de la
cathédrale de Chartres.
Ce point d’étape, qui permet de mettre en perspective œuvres anciennes et
recherches actuelles, est autorisé par la longue familiarité de Bang Hai Ja avec
le musée des arts de l’Asie de la ville de Paris. En effet, Bang Hai Ja a découvert le musée Cernuschi en 1961, peu après son arrivée en France. Le musée
accueillait alors l’exposition « Trésors d’art coréen », une manifestation qui
reste à ce jour l’une des plus ambitieuses présentations de chefs-d’œuvre du
patrimoine coréen en Europe. Cette première visite au musée Cernuschi
suscita chez Bang Hai Ja la volonté de faire connaître l’art de la Corée
ancienne au public français. Cette préoccupation constante devait donner
lieu à différents projets et publications, dont le récent ouvrage consacré aux
célèbres sites bouddhiques de Bulguksa et Seokguram.
Ayant adopté la France comme lieu de création, Bang Hai Ja fut régulièrement
amenée à fréquenter le musée Cernuschi sur les pas de son aîné Lee Ungno
qui de 1971 à 1989 y dispensait régulièrement son enseignement. Il était
donc naturel, après avoir présenté quelques-unes de ses œuvres majeures en
2015 dans le cadre de l’exposition Séoul-Paris-Séoul, que le musée Cernuschi
consacre à Bang Hai Ja une présentation particulière. Le projet de l’artiste
pour la cathédrale de Chartres nous en donne aujourd’hui l’occasion. En
attendant de contempler le jeu coloré de la lumière in situ, l’exposition
conçue par Mael Bellec, son commissaire, nous invite à comprendre comment
ce thème de la lumière, central dans l’œuvre peint de Bang Hai Ja, devait
amener progressivement l’artiste à l’art du vitrail. Enfin, il convient de saluer
l’aboutissement d’un travail conçu par Bang Hai Ja comme une méditation
contemporaine sur les valeurs spirituelles de la lumière, au moment où il
trouve sa place au sein d’un ensemble architectural unique qui fut l’un des
premiers sites à être reconnu par l’Unesco comme patrimoine de l’humanité.
Éric Lefebvre
Directeur du musée Cernuschi
4
3
Préface - Éric Lefebvre
7
La lumière parle un langage connu
12
Ces yeux pleins de lumières
18
Matière vivante
34
Le feu clair qui remplit les espaces limpides
38
Car il ne sera fait que de pure lumière
42
La dimension spirituelle de l’œuvre de Bang Hai Ja (extraits)
Charles Juliet
43
Biographie - Hun Bang
La lumière parle un langage connu
Née en 1937 dans un village aujourd’hui phagocyté
par l’expansion de Séoul, établie à Paris en 1961,
de retour dans son pays natal entre 1968 et 1976,
puis à nouveau habitante de la Ville Lumière jusqu’à
aujourd’hui, Bang Hai Ja (방혜자, 方惠子) multiplie
depuis plus d’un demi-siècle les allers-retours entre
la Corée et la France. Intégrée au sein des scènes
artistiques de ces deux pays, elle y mène carrière avec
succès, rendant accessible son travail à de larges publics qu’une analyse sociologique la plus rudimentaire
séparerait pourtant en de multiples groupes dissociés,
voire étanches, en raison de leur nationalité et de leur
classe sociale. Bang Hai Ja parvient ainsi à être, entre
autres, une représentante de la première grande
génération d’artistes abstraits de son pays natal, une
actrice de l’École de Paris et l’incarnation de la mémoire de la présence coréenne en France. D’une part,
ses multiples déplacements l’amènent à assumer des
identités artistiques variées selon les lieux et les
milieux. D’autre part, sa production apparaît
suffisamment polysémique pour répondre à des
horizons d’attente divergents. Tenter de saisir la
manière dont son œuvre est devenue familière d’un
bout à l’autre du continent eurasiatique revient donc
nécessairement à multiplier les focales ou les points
de vue et à tenter d’identifier la manière dont chaque
évolution picturale s’articule à un ou plusieurs
contextes historiques à la fois.
Le premier d’entre eux, alors que naît au lycée la
vocation artistique de Bang Hai Ja1, est celui d’un
pays en pleine reconstruction après une guerre fratricide (1950-1953) et quatre décennies de domination
japonaise (1905-1945). Si les créateurs déjà en activité
lors de la libération du joug colonial cherchent dans
un premier temps à refonder un art proprement
coréen et se tournent vers des sujets locaux traités
dans un style figuratif, la situation politique de la
Corée du Sud après l’armistice de 1953 et les
contacts avec de multiples cultures plastiques venues
de l’étranger changent en profondeur la nature des
enjeux esthétiques.
1 Sauf
mention contraire, les informations biographiques
proviennent d’une part de LASCAULT, Gilbert, Bang
Hai Ja, Paris : éditions Cercle d’art, 2007, pp. 195-204 et
d’autre part d’une interview de l’artiste réalisée entre 2014
et 2015, https://www.academia.edu/22153389/Interview_
de_lartiste_Bang_Hai_Ja_septembre_2014_-_mars_2015_,
dernière consultation le 26/12/2018.
7
Il s’agit dorénavant moins d’affirmer une identité
particulière que de concilier expression personnelle
et insertion dans un espace en partie globalisé. Bien
qu’une majorité d’artistes perpétue un style académique adapté aux exigences du gukjeon
(국전, 國展), le salon officiel, des peintres de plus en
plus nombreux prennent conscience de leur retard
sur la scène artistique internationale et entament un
processus d’assimilation de l’expressionnisme abstrait
américain et de l’abstraction lyrique française.
Pendant ses études à l’Université nationale de Séoul
(서울대학교, 서울大學校) entre 1956 et 1960,
Bang Hai Ja est en butte au conservatisme du corps
professoral, à l’exception notable de Chang Ucchin
(장욱진, 張旭鎭, 1918-1990) qui lui prodigue ses
encouragements. Elle trouve en revanche un
environnement favorable au développement de ses
recherches auprès de Lee Ungno (이응노,李應魯,
1904-1989), qui l’accueille temporairement au sein
d’un groupe d’artistes en stage près du monastère
Sudeok, ainsi qu’auprès de Yoo Youngkuk (유영국,
劉永國, 1916-2002) et de Kim Byungki (김병기,
金秉騏, né en 1916), déjà passés à l’abstraction.
Plus jeune de quelques années que les peintres qui
s’opposent bruyamment au Gukjeon en 19562 et
ralentie dans sa progression par une santé fragile, elle
s’engage tardivement dans un processus de transition,
commun à la plupart des représentants de l’avantgarde de cette époque, d’un vocabulaire moderniste
(voir p. 18, fig. 1) à un style abstrait. Ce faisant, elle
réalise en 1960, dans l’atelier de Kim Byungki, sa
première toile non figurative, inspirée par une visite
de la grotte de Seokguram (voir p. 12, fig. 1).
La juxtaposition de plages de couleurs qui
s’interpénètrent en leur périphérie, le travail texturé
de la matière et la réponse plastique à des stimuli
intimes témoignent d’une nette convergence avec
la scène artistique française. Celle-ci résulte à la fois
de la diffusion de reproductions dans des revues,
d’échanges avec d’autres artistes coréens, d’une
similarité des besoins esthétiques et moraux dans
deux pays qui ont connu l’occupation et la guerre
et, enfin, d’une vogue de l’existentialisme, incarné
notamment par Albert Camus largement traduit et
lu dans la péninsule3. D’autant plus prédestinée à
s’intéresser à la France qu’elle avait précisément
commencé à en apprendre la langue pour se consacrer à la littérature et que Paris constituait toujours dans
8
l’esprit des Coréens le foyer vivant de l’art moderne4,
Bang Hai Ja quitte la Corée en 1961. Si elle vit ce
départ ou l’explique a posteriori comme une réponse
à un appel d’ordre quasi mystique, elle suit là une
démarche répandue chez ses compatriotes des années
1950 et du début des années 1960, qui, après une
première assimilation de styles abstraits, ressentent le
besoin d’approfondir leurs recherches ou de se confronter directement à leurs homologues occidentaux
(fig. 1).
Fig. 1 : Affiche de l’exposition
personnelle de Bang Hai Ja à la
Bibliothèque nationale de Corée
du 8 au 14 février 1961.
À son arrivée en France, Bang Hai Ja vit la situation
de nombreux créateurs étrangers qui, parvenus à
Paris, doivent tout à la fois trouver les moyens
matériels de survivre et se familiariser avec un nouvel
environnement. Malgré les singularités de chaque
personnalité et de chaque parcours, un ensemble
d’expériences partagées nourrit ainsi des ressentis
communs aux différents artistes asiatiques présents à
Paris, au point que Bang Hai Ja reconnaisse une partie de son histoire dans Le Dit de Tianyi de François
Cheng (Cheng Baoyi, 程抱一, né en 1929), publié en
1998.
2 LIM, Kate, Park
Seo-Bo : from Avant-Garde to Ecriture,
Singapour: Booksactually, 2014, p. 48-56.
3 JONG, Ki-sou, La Corée et l’Occident : la culture française, Paris : Minard, 1987, p. 164-167.Voir aussi JEONG,
Eun-Jin, « La Littérature française en Corée », in Culture
coréenne, 2017, n° 94, p. 13-16.
4 BELLEC, Mael, « Une étape nécessaire ? Les Artistes
coréens à Paris pendant les années 1950 », in
CHABANOL, Elisabeth (dir.), Souvenirs de Séoul II, actes
du colloque Souvenirs de Séoul II [Paris : Maison de l’Asie,
7 avril 2016 ; Séoul : Institut français, 15 avril 2016].
(À paraître).
Cette appartenance à un même groupe est d’autant
plus sensible qu’elle suscite des mécanismes de rivalité
et de solidarité à l’intérieur des diasporas et que le
monde de l’art parisien s’intéresse de manière
explicite à ces dernières, au point d’organiser des
événements qui leur sont dédiés. En 1960 se déroule
au cercle Volney une exposition consacrée aux
« Peintres coréens de Paris »5, tandis que, à peine
arrivée l’année suivante, Bang Hai Ja présente, grâce à
l’intervention de Lee Ungno, deux peintures dans une
exposition réunissant des plasticiens étrangers actifs à
Paris.
L’existence de ces manifestations contribue à singulariser l’apport de ces créateurs expatriés, mais aussi à
acter leur intégration au sein d’un environement local.
Comme le démontre en 1969 « Les peintres d’Asie à
Paris », qui se déroule à la maison de l’Iran, les peintres asiatiques sont perçus comme une composante
presque naturelle de la scène artistique française sur
laquelle « l’influence de l’art oriental s’est perpétrée
d’une manière plus précise encore grâce à la traditionnelle annexion, par l’École de Paris, d’artistes
venus des rives extrêmes de la Méditerranée jusqu’à
celles du Pacifique »6. Ces dispositions du monde de
l’art français, basées à la fois sur des convergences
stylistiques réelles et sur la perception d’un écart
culturel irréductible, facilitent le début de carrière de
Bang Hai Ja. Pierre Courthion (1902-1988), qui fait
sa connaissance peu après son installation à Paris, en
témoigne par un double mouvement caractéristique
des critiques d’art de cette époque intéressés par des
artistes asiatiques. Il voit dans la production de Bang
Hai Ja « toutes les qualités de sa Corée natale »7, mais
l’insère dans le même temps dans l’histoire de l’École
de Paris8. Il favorise par ailleurs cette intégration de
Bang Hai Ja dans les milieux parisiens en l’introduisant
auprès d’Elvire Jan (1904-1996), dont elle devient une
proche, de Léon Zack (1892-1980), de Zao Wou-ki
(Zhao Wuji, 趙無極, 1921-2013) et de la galerie
Houston-Brown où elle bénéficie de sa première
exposition personnelle hors de Corée en 1967
(fig. 2).
Son assimilation par l’École de Paris est toutefois
impossible à mener à terme. Le déclin de l’abstraction
lyrique et les conditions matérielles d’exercice de son
métier conduisent Bang Hai Ja à modifier son
travail et à privilégier progressivement, à l’unisson de
l’évolution d’une partie de la peinture française, des
toiles marquées par une organisation des espaces plus
rigoureuse et lisible (fig. 3).
Fig. 2 : Bang Ha Ja en compagnie de Léon Zack, Pierre
Courthion et son frère Hun Bang lors de son exposition à
la galerie Florence Houston-Brown à Paris, 1967.
Fig. 3 : Sans titre, 1968, huile et papier de verre sur bois,
28 x 28 cm, collection particulière.
5
COURTOIS, Michel, « Peintres coréens de Paris », in
Arts, 6 avril 1960.
6 « L’Asie à Paris », in La Galerie des arts, lettres, spectacles,
15 septembre 1969.
7 Préface d’un catalogue d’une exposition de la galerie
Houston-Brown à Paris, dont le texte nous a été communiqué par l’artiste.
8 COURTHION, Pierre, L’école de Paris, de Picasso à
nos jours, Paris : Armand Colin, 1968 (?). Ensemble de 120
diapositives accompagnées d’un livret.
9
De plus, ce changement progressif de style, partiellement déterminé par l’emploi de la technique du
collage, est également en phase avec l’art de la Corée
du Sud. Lorsque Bang Hai Ja revient dans ce pays en
1968, les styles expressionnistes abstraits qui avaient
marqué les peintres de la fin des années 1950 et du
début des années 1960 semblent perdre leur attrait.
À l’expression d’une intériorité tourmentée succède
un intérêt pour les qualités plastiques et symboliques
de matériaux, le plus souvent naturels, dont le processus de transformation devient le sujet même des
œuvres. Ainsi, les recherches de Bang Hai Ja constituent un pont entre le goût français pour les reliefs et
les textures censés inscrire dans la toile la présence
physique et morale de l’artiste et la transformation
progressive en Corée d’une esthétique similaire en un
art à mi-chemin entre une approche intellectualisée
de la peinture et une pratique dédiée à l’exploration
des potentialités propres aux supports et pigments
employés9. Dans ce cadre, la redécouverte par Bang
Hai Ja en Corée du papier hanji (한지), devenu un
symbole identitaire dans la péninsule, lui permet à la
fois de poursuivre sans discontinuité ses recherches
antérieures et d’y introduire un sens et une sensibilité
plus en rapport avec son nouvel environnement. La
manière dont elle en déchire et froisse des morceaux
s’apparente aux procédés employés par ses homologues coréens, mais l’intégration de ces éléments
rapportés au sein d’une toile peinte en limite la portée conceptuelle pour maintenir l’œuvre de manière
stricte dans le domaine pictural.
Ce point d’équilibre, qui fait alors l’originalité de
Bang Hai Ja et lui permet de conserver un rapport
dialogique avec ce qui se déroule aussi bien en France
qu’à Séoul est autant la conséquence de déterminations pratiques que l’expression d’une volonté
particulière de la peintre. D’une part, les absences
régulières de celle-ci dans l’un et l’autre pays, ses
aller-retours incessants entre plusieurs cultures et son
statut de femme, particulièrement handicapant dans
des sociétés patriarcales, semblent rendre difficile son
intégration au sein d’un mouvement pictural national.
Nourrie esthétiquement et intellectuellement par les
productions artistiques de deux contrées engagées
sur des voies différentes, son travail entre en tension
entre ces pôles. D’autre part, la dimension spirituelle
de celui-ci, si affirmée depuis les années 1960 que la
rumeur d’un abandon par Bang Hai Ja de la peinture
au profit d’activités religieuses avait été lancée par
10
quelques compatriotes de retour de Paris10, l’entraîne
vers un cheminement très personnel. Alors qu’artistes
coréens et français, du dansaekhwa (단색화, 單色畵)
au groupe Supports / Surfaces, s’interrogent sur la
matérialité de la peinture, la transforment en processus
ou la déconstruisent, le sentiment profond d’avoir un
message à communiquer convainc Bang Hai Ja de ne
pas réduire ce dernier à son médium.
Ce refus d’abandonner le sujet, qui s’exprime
notamment par un retour progressif et temporaire à
une figuration cosmologique, est encouragé par la
lecture des Dialogues avec l’Ange en 1976, ouvrage
qui se caractérise par un fort syncrétisme religieux et
la valorisation de cheminements intérieurs
individuels11. L’importance que tient ce livre,
best-seller qui nourrit l’essor du New Age à partir de
la fin des années 1970, dans la vie, la pensée et même
le vocabulaire de Bang Hai Ja éclaire la manière dont
celle-ci produit consciemment une peinture censée
répondre à un horizon d’attente spirituelle alors en
plein essor dans des sociétés consuméristes. Bien que
le travail qu’elle mène à partir des années 1980 soit
difficile à intégrer au sein de l’histoire des principaux
mouvements artistiques en Europe, il apparaît ainsi
en adéquation profonde avec l’évolution des pays
occidentaux, au prix d’une rupture pensée ou
impensée avec les hiérarchies habituelles du monde
de l’art. Les œuvres ne sont plus conçues pour
devenir uniquement l’objet de préoccupation d’une
élite de peintres et d’esthètes, mais pour s’adresser au
plus grand nombre, y compris aux béotiens, afin de
délivrer à l’Humanité un message de paix, de joie et
d’amour, de plus en plus universel au fur et à mesure
que l’artiste abandonne la représentation pour la
simple génération de la lumière (fig. 4).
9
KEE, Joan, Contemporary Korean Art : Tansaekhwa and
the Urgency of Method, Minneapolis : University of Minnesota Press, 2013, pp. 2-4
10 DU FAY DE CHOISINET, Domitille, Bang Hai Ja :
Démarche artistique d’une artiste coréenne en France,
2018, mémoire de M1 à l’Ecole du Louvre, pp. 26-27.
11 CHAMPION, Françoise, « Du côté du New Age », in
ABEL, Olivier (dir.), Le Réveil des anges : messagers des
peurs et des consolations, Paris : éditions Autrement, 1996,
pp. 52-61.
Fig. 4 : Naissance de lumière, 빛의 탄생, 2011,
atelier Glasmalerei Peters, peinture sur verre, D. : 50 cm,
collection particulière.
Dès lors, chaque peinture de Bang Hai Ja est irrémédiablement susceptible d’être évaluée à la fois selon
des normes intrinsèques et extrinsèques au champ
artistique. Les jugements considérés socialement
valides à propos des expérimentations plastiques sont
rendus selon des normes historiquement construites
par la communauté des artistes et des critiques d’art,
tandis que la dimension proprement religieuse des
peintures, qui fait partie intégrante de la création de
ces dernières, est reçue et appréciée sur la base d’une
culture visuelle plus diffuse et globalement partagée
par l’ensemble des publics occidentaux et orientaux.
Cette polyvalence des œuvres, à la fois production
artistique pure et message, permet depuis les années
1980 à Bang Hai Ja de ne jamais être en déconnexion
complète avec son temps. Quand, au plus fort du
développement de l’art minjung (민중예술, 民衆藝
術), le contenu de son travail peut sembler en décalage avec les besoins de la société coréenne, elle bénéficie d’un soutien institutionnel accordé globalement
à la plupart des peintres qui ont partagé certaines
des préoccupations esthétiques du dansaekhwa. À
l’inverse, en France, c’est alors plus vraisemblablement
la dimension spirituelle de son œuvre, de plus en plus
facilement perçue par le public et assumée ouvertement par son auteur, qui suscite l’adhésion.
Si les mouvements issus de la vague New Age
s’essoufflent dans les années 1990 en Occident, ils
continuent à nourrir les aspirations d’une partie de la
société française et donc, malgré les fluctuations des
modes, la réceptivité de celle-ci au travail de Bang
Hai Ja. De plus, ils prennent au même moment leur
essor en Corée du Sud après la fin de la dictature et
de la politique des trois S (sex, sports, screen). D’un
bout à l’autre du continent eurasiatique et parfois
jusqu’aux Amériques, les créations de Bang Hai Ja
peuvent donc être recherchées aujourd’hui simultanément par des admirateurs de l’art coréen contemporain et de sa potentielle dimension écologique,
par des esthètes soulagés de voir les prédictions quant
à la mort de la peinture déjouées, par des individus
engagés dans une recherche intérieure et par des
institutions désireuses de se doter de lieux de méditation. C’est ainsi que l’irréductibilité de l’œuvre de
Bang Hai Ja à tout contexte historique et culturel
défini de manière stricte est autant la cause et la conséquence de ses voyages que le résultat d’un
cheminement vers un œcuménisme pictural (fig. 5).
Fig. 5 : Installation dans la grotte Seonhyang, Healience
Seonmaeul, 2018.
11
Ces yeux pleins de lumières
Dès l’origine, le travail de Bang Hai Ja est
marqué par une attention soutenue portée à la
lumière. Ses premières œuvres, qu’elles
soient figuratives ou abstraites, se caractérisent
par l’organisation d’un espace pictural autour
d’une ou plusieurs sources lumineuses (fig. 1).
Cette rationalisation tardive est l’aboutissement
d’un long cheminement plastique, intellectuel et
spirituel qui permet de préciser et d’enrichir des
recherches menées dès la fin des années 1950.
L’emploi dans la décennie suivante d’éléments
rapportés et collés à la surface de la toile conditionne l’organisation des œuvres en plans
géométriques juxtaposés qui deviennent le
point focal de la composition. Cette forme
d’ordonnancement de l’espace amène petit à
petit Bang Hai Ja à privilégier des structures
circulaires qui s’allient naturellement à un
mysticisme affirmé pour se muer, dans le courant
des années 1970, en représentations de l’univers.
Si celles-ci rompent régulièrement avec les compositions centrées habituelles chez Bang Hai Ja,
peindre des planètes, des étoiles ou la voie lactée
contribue à intégrer les réflexions sur la lumière
au sein de questionnements cosmologiques, dont
certains sont nourris par la conception du monde
dans les pensées chinoises et coréennes (fig. 2).
Ce tournant est encouragé par la lecture en
1976 des Dialogues avec l’Ange de Gitta Mallasz
(1907-1992). Ce livre relate des échanges avec
une entité spirituelle qui s’exprime à travers la
voix et le corps d’une amie de l’auteur. Mêlant
influences orientales, ésotériques et chrétiennes,
l’ouvrage séduit Bang Hai Ja, dont la fibre
religieuse est caractérisée par un syncrétisme
semblable. Elle emprunte à ces dialogues plusieurs des formulations qu’elle emploie toujours
aujourd’hui pour décrire son rapport à la
lumière. Celle-ci est pour elle la matière-même
de l’univers, une source de joie, de paix et
d’amour. Dès lors, l’artiste a pour rôle, à travers
un travail d’introspection, de cheminer vers cette
lumière pour pouvoir ensuite la semer dans le
cœur des autres. Elle s’emploie donc à générer
son apparition au sein de ses œuvres et espère
ainsi contribuer à l’amélioration de la condition
humaine (fig. 3).
Fig. 1 : Au cœur de la Terre I , 지심 I,
1961, huile sur toile, 100 x 81 cm,
Gwacheon, Musée National d’art contemporain de Corée.
Ce schéma reste globalement valide jusqu’à
aujourd’hui, mais il semble, dans un premier
temps, être moins le résultat d’un projet rationnel
que l’expression d’une nécessité intérieure. Il
n’est en effet explicité par Bang Hai Ja, si ce n’est
identifié, que de manière très tardive. L’artiste
estime a posteriori que c’est sa découverte de
Johannes Vermeer (1632-1675) en 1966 qui
permet à un désir ancré dans son enfance de se
concrétiser : retranscrire la lumière. Il est vrai
que plusieurs titres de ses œuvres font référence
à celle-ci à partir des années 1970, mais il faut
attendre 1987 pour que Bang Hai Ja l’affirme de
manière explicite comme moteur de sa création1.
12
Fig. 2 : Plein et vide, 가득참과 바움,
1981, huile sur toile et sur papier, collage, 100 x 100 cm,
collection particulière.
1 DU FAY DE CHOISINET, Domitille, Bang Hai Ja :
Démarche artistique d’une artiste coréenne en France,
2018, mémoire de M1 à l’Ecole du Louvre. pp. 27-28.
Le présent texte doit beaucoup à ce mémoire.
Fig. 3 : Énergie de l’univers, 우주의 에너지,
1995, encre de Chine, pigments naturels, acrylique et pastel
irisé sur papier, 163 x 128 cm, collection particulière.
13
Au cœur de la Terre II, 지심 II,
1961, huile sur toile, 100 x 81 cm, collection particulière.
14
Matière - Lumière, 물성과 빛,
1969, huile sur toile, papier de verre, cuir, 65 x 91 cm, Paris, musée Cernuschi.
15
Chant de l’Univers, 우주의 노래,
1976, huile sur toile, sciure de bois, papier collé, 100 x 100 cm, Paris, musée Cernuschi.
16
Chant stellaire, 별들의 노래,
1987, huile sur papier de mûrier marouflé sur toile, 116 x 81 cm, collection particulière.
17
Matière vivante
À l’Université nationale de Séoul (서울대학교,
서울大學校), Bang Hai Ja apprend en parallèle
peinture orientale et peinture occidentale. Si elle
opte en quatrième année pour une spécialisation
dans le domaine de la peinture à l’huile, elle
continue à manier l’encre et à pratiquer la
calligraphie. Dès l’origine, son travail est ainsi
caractérisé par la multiplicité des procédés
employés. Bang Hai Ja évolue de plus au sein
de cercles artistiques qui portent une attention
soutenue aux empâtements et aux textures, sous
l’influence des mouvements abstraits occidentaux. Ses plus anciennes toiles connues (fig. 1) se
caractérisent ainsi par la juxtaposition de
pigments dilués au point de laisser transparaître
la trame de la toile et d’une pâte dont l’épaisseur
est mise en valeur par des griffures opérées en
son sein.
Fig. 1 : Vue sur Séoul, 서울 풍경,
1958, huile sur toile, 100 x 81 cm, collection particulière.
18
Si les premières œuvres produites à Paris
s’inscrivent dans la continuité de ces recherches,
Bang Hai Ja enrichit rapidement l’éventail de ses
techniques par le recours au collage. Souhaitant
explorer les potentialités de nouvelles matières,
elle utilise des éléments issus de la vie quotidienne – papier de verre, morceaux de cuir et de
bois ou vieux tissus – dont elle souligne les
propriétés physiques par leur inclusion au sein
d’une peinture souvent appliquée de manière
fluide et sans relief.
Un retour en Corée à la fin des années 1960 lui
fait prendre conscience des qualités plastiques du
papier qui devient petit à petit l’élément unique
de ces collages. Ses fibres prennent en effet
l’aspect de tracés lorsqu’il est imbibé de couleurs
liquides tandis que l’application sur la toile de
morceaux de papier préalablement chiffonnés
génère l’apparition de multiples bulles d’air et
reliefs parfois soulignés par un coup de pinceau.
À partir des années 1990, le papier devient à la
fois support et corps-même des œuvres de Bang
Hai Ja. Il reçoit en effet de multiples glacis,
apposés sur son recto et son verso afin de les
étager en son sein. Cette négation de son
caractère bidimensionnel est renforcée par un
procédé déjà expérimenté avec les collages.
Le papier est en effet froissé avant d’être peint
(fig. 2). Cela permet à Bang Hai Ja d’appliquer
ses glacis de manière inégale sur ce dernier afin
d’animer la surface de sa composition, mais aussi
de générer la structure de celle-ci (fig. 3).
Fig. 2 : Bang Hai Ja prépare son support en le froissant, 2011.
Fig. 3 : Bang Hai Ja applique les premières couches
d’encre et de couleur en suivant les plis du papier, 2011.
L’artiste exploite également depuis le milieu des
années 1990 le géotextile dont elle apprécie la
texture veloutée et l’épaisseur qui permet de
donner de la profondeur à ses œuvres.
Ces choix révèlent ainsi un processus créatif
marqué par une volonté d’interaction physique
de l’artiste avec une matière dont Bang Hai Ja
cherche à comprendre les propriétés pour s’y
adapter et co-créer avec elle.
En témoignent de manière particulièrement
évidente les œuvres réalisées en papier mâché
dont les irrégularités contribuent à générer les
compositions picturales. Cette sensibilité aux
qualités physiques et tactiles des éléments
employés se double ainsi de la perception d’une
énergie ou de processus cosmologiques dont
l’artiste n’est que la médiatrice. Ce sont d’ailleurs
les sensations ressenties face au site de Roussillon
qui l’amènent à opter définitivement pour des
pigments et des liants naturels dans les années
1990.
19
Envol, 비상,
2000, pigments naturels sur géotextile, 200 x 147 cm,
collection particulière.
20
21
Matière - Lumière, 물성과 빛,
2007, terre de Roussillon, pigments naturels sur papier de mûrier, 41 x 31 cm (x 3),
Paris, musée Cernuschi.
22
23
Naissance de lumière, 빛의 탄생,
2014, pigments naturels sur papier de mûrier, 128 x 128 cm, Paris, musée Cernuschi.
24
Naissance de lumière, 빛의 탄생,
2017, pigments naturels sur papier de mûrier, 118 x 118 cm, collection particulière.
25
26
27
p. 26, De lumière en lumière, 빛에서 빛으로,
2016, pigments naturels sur papier de mûrier, 295 x 75 cm (x 2), collection particulière.
p. 27, Lumière née de la lumière, 빛에서 빛으로,
2018, pigments naturels sur papier de mûrier, 295 x 118 cm, collection particulière.
page 28 et 29. Lecture de l’Univers, 우주 읽기,
2013, papier mâché 48 x 36 cm, 47 x 36 cm, 45,5 x 35,5 cm, Paris, musée Cernuschi.
28
29
Danse de lumière, 빛의 춤,
2018, pigments naturels sur papier de mûrier 74 x 72 cm, Paris, musée Cernuschi.
30
Danse de lumière, 빛의 춤,
2018, pigments naturels sur papier de mûrier 72 x 73 cm, Paris, musée Cernuschi.
31
Danse de lumière, 빛의 춤,
2018, pigments naturels sur papier de mûrier 70 x 72 cm, Paris, musée Cernuschi.
32
Danse de lumière, 빛의 춤,
2018, pigments naturels sur papier de mûrier 70 x 72 cm, Paris, musée Cernuschi.
33
Le feu clair qui remplit les espaces limpides
Une forme de spiritualité omniprésente dans
ses productions et sa démarche ainsi qu’une
appétence pour le travail de la matière ont
progressivement amené Bang Hai Ja à s’abstraire
du caractère bidimensionnel de ses peintures.
D’une part, la volonté de faire surgir la lumière
du cœur de l’œuvre nécessite de travailler les
compositions dans leur profondeur et de tirer
parti de l’épaisseur du support. D’autre part,
le souhait de faire partager cette lumière et
d’en baigner les spectateurs conduit l’artiste à
s’interroger sur le rapport physique entre ces
derniers et des créations dont le positionnement
dans les salles prend de ce fait une importance
primordiale. Depuis sa première exposition au
musée Youngeun (영은미술관) en 2000,
Bang Hai Ja conçoit ainsi régulièrement la
présentation de certaines de ses réalisations sous
la forme d’installations placées dans le même
espace que les visiteurs (fig. 1).
Fig.1 : Exposition « Souffle de lumière »
à la Chapelle Sant-Louis de la Salpêtrière, Paris,
du 14 mai au 1er juin 2003.
34
L’introduction de celles-ci au centre même des
lieux investis s’accompagne d’une réflexion sur
l’emploi de formats adaptés aux volumes architecturaux ainsi que sur les modalités de présentation les plus aptes à mettre en valeur ces travaux
et leurs caractéristiques plastiques. Bang Hai Ja
dispose ainsi régulièrement des œuvres circulaires
sur des plans horizontaux, parfois constitués d’un
miroir surmonté d’un support en plexiglas afin
d’en permettre la contemplation recto et verso.
Elle multiplie, pour les mêmes raisons, les peintures suspendues au plafond plutôt qu’accrochées
au mur. Cette possibilité d’observer ces dernières
depuis différents points de vue aboutit, dès cette
exposition en 2000, à la conception de tubes
caractérisés par une composition continue sur
la totalité de la surface extérieure du cylindre
(fig. 2). Ces expérimentations encouragent enfin
l’artiste à approfondir ses recherches, menées
depuis le début des années 1990, sur la variation
des tailles et des formes des œuvres destinées aux
cimaises. Ovales, cercles, carrés présentés sur la
pointe, bandeaux verticaux deviennent ainsi des
éléments constitutifs de son répertoire.
Fig.2 : Exposition « Souffle de lumière »,
musée Whanki, Séoul,
du 14 septembre au 28 octobre 2007.
Celui-ci finit même par inclure des reliefs aux
formes complexes composés de morceaux de
géotextile et évoquant volontiers des paysages
terrestres ou célestes (fig. 3).
Fig.3 : Vibration de lumière, 빛의 진동,
2004, pigments naturels sur géotextile, 33 x 38,5 x 3 cm,
collection particulière.
Cette inventivité dont Bang Hai Ja fait preuve à
partir des années 2000 s’appuie sur l’expérience
accumulée grâce à la réalisation d’objets en trois
dimensions. Celle-ci débute dans les années
1960 après l’installation à Paris. Elle accompagne l’exploration de la technique du collage,
comme en témoigne l’identité des matériaux de
récupération employés dans l’une et l’autre de
ces productions. Si l’impulsion qui préside à la
réalisation de ces sculptures est souvent liée à la
qualité esthétique d’un morceau de bois préexistant ou de tout autre élément dans son état
brut, Bang Hai Ja transforme systématiquement
ce support initial en le recouvrant directement
de pigments ou de papier ensuite peint. Malgré
son goût pour les matières et son émerveillement devant la nature, elle estime en effet qu’une
intervention de l’artiste est nécessaire pour qu’il
y ait art. Ses rondes-bosses apparaissent ainsi
comme l’un des exemples les plus patents de la
démarche de co-création avec le cosmos qui est
au cœur de son travail.
35
Bois qui rêve, 꿈꾸는 나무,
1996, pigments naturels, papier mâché
sur bois, 32 x 28 x 16 cm,
Paris, musée Cernuschi.
Bois qui rêve, 꿈꾸는 나무,
1996, pigments naturels, terre de
Roussillon sur bois, 25.5 x 20 x 15 cm,
collection particulière.
36
Envol, 비상,
2005, pigments naturels, pastel irisé
sur bois,20 x 12 x 8 cm,
Paris, musée Cernuschi.
Envol, 비상,
1999, pigments naturels, pastel irisé
sur bois, 42 x 23 x 10 cm,
collection particulière.
Envol, 비상,
2005, pigments naturels, pastel irisé sur bois, 48 x 11 x 11 cm, 50 x 11 x 11 cm,
collection particulière.
37
Car il ne sera fait que de pure lumière
L’art monumental fait très tôt l’objet d’une attention soutenue de la part de Bang Hai Ja.
Entre 1963 et 1966, elle suit en auditeur libre les
cours d’Albert Lenormand (1915-2013) à l’École
nationale supérieure des beaux-arts de Paris et
se familiarise, grâce à lui, avec les procédés de la
fresque, qu’elle enseigne ensuite à l’Université
nationale de Séoul pendant un an, à partir de
1968. Deux ans plus tard, lors d’un séjour en
France, elle élargit son champ de compétences,
au sein de l’école nationale supérieure des arts
appliqués et des métiers d’art, par l’apprentissage
des rudiments du vitrail. Elle délaisse toutefois
cette technique pendant près de trente-cinq ans,
malgré le champ d’exploration privilégié que
celle-ci constitue pour une artiste habitée par
une aspiration spirituelle. D’une part, cette forme
d’art apparaît complexe à mettre en œuvre.
D’autre part, la formulation du rapport intime
et esthétique de Bang Hai Ja à la lumière ainsi
que la formalisation de son vocabulaire artistique,
stabilisé véritablement dans les années 2000,
monopolisent ses efforts et retardent la concrétisation d’un intérêt pourtant précoce pour le
travail du verre.
Bang Hai Ja ne réalise qu’en 2007, à l’occasion
de son exposition au musée Whanki, son premier
vitrail d’importance. Celui-ci, composé de verres
soufflés et teintés dans la masse, est encore
rudimentaire, mais cet alignement en rangées
superposées de rectangles est déjà conçu comme
une continuation de la peinture par d’autres
moyens. En effet, l’artiste tire avantage du fait
que sa création est doublée par une baie vitrée
pour coller sur cette dernière une œuvre. Non
seulement le motif circulaire de celle-ci s’intègre
à la composition générale, mais le procédé
apparente le papier et le verre, tous deux
traversés par la lumière (fig. 1).
Cette expérimentation semble toutefois ne pas
satisfaire totalement Bang Hai Ja, qui réalise les
deux années suivantes des installations avec le
même type de plaques colorées, mais sans y
intégrer cette fois d’éléments issus de ses
compositions picturales.
38
la conception des verrières de la salle capitulaire,
au rez-de-chausée de la chapelle Saint-Piat, qui
doit être réaménagée d’ici 2020 pour accueillir
une partie du trésor de la cathédrale de Chartres.
La proposition de Bang Hai Ja deviendra ainsi un
exemple d’art sacré et constituera l’aboutissement
d’une vie de recherches destinées à sublimer les
œuvres peintes en une pure lumière (fig. 3).
Fig. 2 : Portées de la lumière, 빛의 보표,
Glasmalerei Peters, Paderborn, Allemagne,
pigments sur verre, 2012. 150 x 112,5 cm,
collection particulière.
Fig. 1 : Univers, 우주, 2007,
encre sur papier, verres soufflés et teintés dans la masse,
collection particulière.
C’est l’entrée en contact en 2012 avec l’atelier
Glasmalerei Peters sis à Paderborn (Rhénaniedu-Nord-Westphalie) qui permet enfin à l’artiste
d’accomplir une synthèse entre ces deux types
de production. La société allemande emploie en
effet, sous la direction de l’artiste, des techniques
de peinture sur verre pour rendre au mieux la
complexité des œuvres. Après une année dédiée
à la création de pièces de tailles relativement
modestes (fig. 2), Bang Hai Ja parvient à
produire des vitraux plus grands et à les intégrer
au sein d’architectures préexistantes telles que la
villa Empain en 2013, le centre culturel coréen
de Bruxelles en 2014 et la grotte Seonhyang du
centre de soins Healience Seonmaeul en 2018.
Ces expériences lui permettent de remporter le
concours organisé par les services de l’État pour
Fig. 3 : Bang Hai Ja devant la maquette
grandeur nature d’un de ses vitraux destinés à la salle
capitulaire de la cathédrale de Chartres, 2018.
39
Les quatre vitraux de la salle capitulaire de la cathédrale Notre-Dame de Chartres
« Message de lumière »
40
Baie Sud II
Baie Sud I
Baie Nord II
Baie Nord I
Paix, Chant de lumière 평화, 빛의 노래
Amour,Vibration de lumière 사랑, 빛의 진동
Vie, Souffle de lumière 생명, 빛의 숨결,
2018, 389 x 161 cm.
2018, 426 x 162 cm.
Lumière, Naissance de lumière. 빛의 탄생,
2018, 426 x 162 cm.
2018, 426 x 162 cm.
41
Cheminement de l’artiste
Extraits de « La dimension spirituelle
de l’œuvre de Bang Hai Ja »
Peindre est un moyen de se révéler à soi-même
et de tendre vers la sagesse. Cette aventure-là
est vécue par les artistes authentiques soucieux
de vie spirituelle depuis des siècles et des siècles.
Elle a été suivie par nombre de calligraphes et de
peintres lettrés de l’Extrême-Orient.
Une toile est la traduction de ce que le peintre
vit. Autrement dit, une fois qu’il a achevé une
toile, il se trouve face à un miroir qui lui révèle
ce qu’il est. Dès lors, maintes questions vont se
poser à lui. Des questions enchevêtrées d’ordre
psychologiques, existentiel, philosophique et
métaphysique.
Ainsi, peindre va de pair avec une recherche de
soi, une quête de soi-même. Mais avant de se
rencontrer, avant de naître à soi-même, de
nombreux obstacles seront à surmonter.
On dit en Occident que la quête de soi est une
véritable descente aux enfers - et ces mots ne
sont nullement excessifs. Non seulement fautil descendre aux enfers, mais encore faut-il en
remonter.
«La création, a dit Bang Hai Ja, est avant tout la
voie directe pour atteindre mon propre moi. En
Asie, l’acte de créer est l’accomplissement de soi,
l’union entre le moi et l’Univers ».
Pour parvenir à cette union, le peintre doit au
préalable s’employer à conquérir une liberté
intérieure, soit s’affranchir de toutes sortes de
contraintes, d’entraves, de peurs, d’influences, etc.
Il doit aussi travailler à dépasser son moi et à
atteindre l’imparticularisé.
C’est ce qu’indique à sa manière Bang Hai Ja
quand elle dit que lorsqu’elle a « fini de peindre,
elle n’a plus de place pour signer ».
C’est reconnaître qu’elle s’est totalement effacée
et que cette toile qui lui a donné la possibilité
d’accéder à l’universel, ne peut être rattachée à
une personne.
42
Sa peinture, d’où se dégage une intense poésie,
est un organisme vivant, indépendant, qui produit
de rayonnants effets lumineux.
Ce qui est frappant dans le travail de Bang Hai Ja,
c’est qu’elle a toujours cherché, dans ses œuvres,
à faire jaillir la lumière. Et cette quête de lumière,
associée à une réflexion sur le mystère de la vie
et de la création, a donné naissance à des toiles
magnifiques. Des toiles où se mêlent Orient et
Occident, fruits d’une perception contemplative
du monde.
Ce besoin de peindre qui habite Bang Hai Ja lui
impose de nourrir en permanence la source intérieure qui alimente sa création. Car lorsqu’elle
est hors de son atelier, elle maintient sa vigilance,
continue d’être en état de réceptivité, elle ne
cesse pas d’être occupée par ce qu’elle poursuit.
En peignant, elle active sa réalité interne, intensifie son rapport à elle-même et son rapport au
monde. Elle a dilaté son espace intérieur jusqu’à
pouvoir accueillir en elle l’essence et l’immensité
de la vie, jusqu’à pouvoir entrer en communion
avec l’univers.
Son œuvre aux couleurs si douces, si délicates,
nous met en contact avec le meilleur de nousmêmes, et aussi avec cet inexprimable que l’on
rencontre quand on s’approche du mystère
de la vie. Sa recherche de l’intemporel, de
l’impérissable l’a conduite à vivre ces états de
surconscience qui l’ont portée à la pointe
d’elle-même et lui ont permis de fixer sur ses
toiles ce qu’on pourrait nommer l’infiniment
subtil - une synthèse de tout ce qu’elle a vécu,
de ce qu’elle vit, de ce vers quoi elle tend.
Son œuvre de grand silence nous laisse deviner
une ascèse, le long chemin parcouru en direction
de la simplicité et de cette lumière qui advient à
ceux qui se sont pleinement accomplis.
En recevant en vous-même ce que ces toiles
irradient, puissiez-vous partir avec en vous un
surcroît de lumière et de paix.
Bang Hai Ja dit: « Mettre une petite touche
de couleur, c’est semer une graine de lumière,
d’équilibre et de paix. »
Charles Juliet
Finesse, douceur et spiritualité sont les mots qui
qualifient le mieux cette œuvre, reflet de l’âme
de cette artiste unique.
Bang Hai Ja a fait dans de nombreux pays plus
de quatre-vingt-dix expositions personnelles et a
participé à beaucoup d’expositions collectives.
Bang Hai Ja à Ajoux en Ardèche
Pierre Courthion, Charles Juliet, Pierre Cabanne,
Gilbert Lascault, Maurice Benamou, André
Sauge, Olivier Germain-Thomas,Valère Bertrand,
Patrice de la Perrière, David Elbaz, Mael Bellec,
et beaucoup d’autres ont écrit sur elle.
Bang Hai Ja est née à Séoul en 1937 et vit en
France depuis 1961. Elle fait partie de la première génération de peintres abstraits coréens.
Ses débuts à Paris ont tout de suite été remarqués
par l’écrivain, historien d’art et critique Pierre
Courthion qui n’a eu de cesse de l’encourager.
C’est, en fait, à l’extérieur de son pays que
Bang Hai Ja va vraiment découvrir ses racines
et qu’elle choisit délibérément de garder en
référence sa culture coréenne, les techniques,
l’approche de l’univers qui a été celle de son
enfance et de son adolescence.
Bang Hai ja a reçu le prix de l’art sacré à
l’Exposition Grand Prix International de
Monte-Carlo. Elle a reçu la médaille de l’art de
la ville de Montrouge, Grand Prix de peintre
d’outre-mer en Corée en 2008, et a reçu l’ordre
des Arts et Lettres par le président de la Corée
en 2010. En 2012, elle a reçu le Prix Culturel
France-Corée et le Prix d’excellence de la culture et des arts de la Fondation Internationale des
femmes coréennes.
C’est dans le choix de ses matériaux que Bang
Hai Ja relie l’Orient à l’Occident. Ces matières
lui permettent de capter l’énergie lumineuse du
cosmos. L’énergie qui émane de l’acte de peindre est un véritable souffle qui donne la force de
l’âme à celui qui regarde. Elle peint recto-verso
par effets de transparence et de translucidité.
Hun Bang
En mars 2018, l’œuvre de Bang Hai Ja a été
choisie pour créer les quatre nouveaux vitraux de
la salle capitulaire de la Cathédrale Notre-Dame
de Chartres.
43
Musée Cernuschi, musée des arts de l’Asie de la Ville de Paris
7 Avenue Vélasquez, 75008 PARIS
www.cernuschi.paris.fr
Commissariat : Mael Bellec
Textes : Mael Bellec
Conception graphique, fabrication : Hun Bang
Graphiste numérique : Nara Bang
Crédits photographiques : Jean-Louis Losi,
Bak Hyonjin, Jacqueline Hyde, Sylva Villerot,
Jean-Martin Barbut, Park Jong Ho, Kim Mihyun
et Philippe Monsel.
Droits patrimoniaux : banghaija.com
Atelier Matière – Lumière AML
(les amis de Bang Hai Ja)
Le Bouchet
07000 Ajoux (France)
© banghaija.com
Remerciements à
Wilhelm Peters de Glasmalerei Peters, Paderborn, Allemagne.
ISBN 979-11-89209-89-6
Dépôt légal : 2019
Achevé d’imprimer le huit janvier deux mille dix-neuf
sur les presses de Top Process (으뜸 프로세스) à Séoul, Corée.
MUSÉE CERNUSCHI
Depuis près de soixante ans, Bang Hai Ja, figure
des échanges culturels entre la France et la Corée,
mène des expérimentations sur les matières, les
pigments et les techniques picturales autant pour
exprimer un besoin de création personnelle que
pour semer de la joie et de la beauté autour d’elle.
ET LA MATIÈRE DEVINT LUMIÈRE
BANG HAI JA
Peintures, sculptures et maquettes des vitraux en
cours de réalisation pour la salle capitulaire de la
cathédrale de Chartres retracent ce long
cheminement plastique et spirituel vers une
lumière perçue comme le principe de l’univers.
10€
ISBN 979-11-89209-89-6