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2017, Sans niveau ni mètre. Journal du Cabinet du livre d’artiste

Colagens com letraset, trabalho criado a convite do Cabinet du Livre d'Artiste da Université Rennes 2, para integrar a edição n°44 do jornal Sans niveau ni mètre: "Livres et revues d'artistes : une perspective brésilienne"

Da adversidade vivemos «L ivres et revues d’artistes : une perspective brésilienne » offre l’occasion de découvrir une dimension de la scène artistique brésilienne encore méconnue en France. Cette exposition, qui constitue une première dans l’hexagone 1, propose à travers une large sélection de publications, un aperçu des tendances qui caractérisent la production brésilienne actuelle à laquelle sont associés quelques ouvrages, qui marquent les prémices de l’histoire brésilienne du livre d’artiste. C’est à l’occasion d’un échange en février 2015 avec Paulo Silveira, alors professeur invité à l’université Rennes 2, autour de l’exposition « Tendências do Livro de Artista no Brasil: 30 Anos depois » en cours de présentation au Centre Culturel de São Paulo et dont il était un des commissaires 2, qu’est né le projet de cette exposition. L’exceptionnelle vitalité de cette production éditoriale brésilienne, qui reste une terra incognita dans le domaine curatorial comme dans celui des études francophones 3, ne pouvait que nous inciter à proposer au Cabinet du livre d’artiste (CLA) d’accueillir dans ses murs cette pratique dont les « stratégies expansives 4 » renouvellent le paysage artistique brésilien contemporain. Sont réunies ici un peu moins d’une centaine de publications, livres et revues d’artistes réalisés sur une période de plus de six décennies qui rassemblent les travaux de plusieurs générations : des pionniers comme Wlademir Dias-Pino, Augusto de Campos, Julio Plaza, José Resende, Waltercio Caldas et Regina Silveira, aux artistes de la scène contemporaine. Pour Fabio Morais qui recourt au support imprimé dans la plupart de ses œuvres, Amir Brito Cadôr qui en fait un recueil de collections, ou Lucia Mindlin Loeb qui l’explore davantage comme un espace à trois dimensions, le livre est un médium de prédilection. D’autres l’investissent de façon ponctuelle : dans Para preencher um buraco (2001), Mariana Silva da Silva documente des interventions discrètes qu’elle a réalisées dans les rues de Porto Alegre et Studio Butterfly (2014) est une version d’un travail qui s’inscrit dans un projet plus vaste de Virginia de Medeiros autour de trajectoires d’exclus auxquels elle rend une parole confisquée. Parmi les pratiques éditoriales les plus récentes, on compte de nombreuses productions collectives qui se développent dans le cadre de maisons d’éditions indépendantes 5, parfois orientées vers la production de zines présents dans l’exposition. Exemplaires des communautés de pensée qui se construisent au travers de ces collectifs, les revues, qu’il a semblé intéressant d’intégrer à cette sélection, ont un rôle important, dès les années 1960-1970, non seulement à travers la diffusion de pratiques artistiques expérimentales absentes des circuits officiels de l’art brésilien mais aussi par leur contribution aux débats qui animent la scène artistique de ces décennies. Issu pour l’essentiel de la collection du Repositório 6 constituée par Paulo Silveira à l’université fédérale du Rio Grande do Sul, où il dirige un programme de recherche sur les publications d’artistes dont il est un des spécialistes au Brésil, cet ensemble ne saurait constituer un panorama historique exhaustif des livres et revues d’artistes brésiliens. Cette exposition se propose, plus modestement, de présenter quelques repères d’une histoire en cours de construction. De ce point de vue, le terme de « perspective » retenu pour le titre n’est pas indifférent. Il s’agit, d’une part, d’envisager une histoire de ces publications à partir du présent et de tirer ainsi profit des perspectives qu’offre une certaine profondeur de champ historique, aussi resserrée soit-elle, à cette pratique artistique encore récente. La « perspective » renvoie, d’autre part, aux partis-pris qui ont dessiné les contours de la sélection proposée ici : ceux-ci sont avant tout redevables des orientations de la recherche universitaire à laquelle elle est adossée et accessoirement, de certaines contraintes avec lesquelles il a fallu compter. Ainsi, on ne trouvera dans cette exposition que quelques livres « historiques » de pionniers comme Wlademir Dias-Pino, Regina Silveira, ou Vera Chaves Barcellos désormais peu accessibles ou soumis à des conditions de prêt difficiles à satisfaire pour une structure comme le Cabinet du livre d’artiste. Plus fondamentalement, cette sélection est sous-tendue par une certaine idée du livre d’artiste qui croise, sans toutefois la recouvrir, celle du « concept non élargi 7 » du livre, central dans le cadre des pratiques éditoriales et des travaux de recherche associés au CLA. Se pose ainsi la question des spécificités ou des différences que cette production révèle au travers d’une évolution qu’il convient de prendre en compte. Quelles continuités et quelles ruptures observe-t-on dans cette production éditoriale brésilienne depuis son éclosion jusqu’à aujourd’hui ? En 1985, Annateresa Fabris et Cacilda Texeira da Costa soulignaient dans le catalogue de l’exposition « Tendências do livro de Artista no Brasil 8 », dont elles étaient les commissaires, le caractère multiforme de ces publications qui n’avaient finalement en commun que d’être des formes artistiques marginales et peu reconnues à l’échelle nationale. Au cours des trois dernières décennies, la situation a quelque peu évolué : le livre d’artiste a acquis au Brésil, comme sur la scène internationale, une reconnaissance institutionnelle certaine, il est devenu une pratique attractive pour les artistes et dispose de circuits désormais établis 9. On peut dès lors s’interroger sur la pertinence du prisme national qui est celui de cette exposition. Est-il légitime de ramener ces publications d’artistes à une identité brésilienne ? À l’ère de la mondialisation, où l’internationalisation de l’art a progressivement érodé les différences nationales et régionales, qu’est-ce qui est « brésilien » dans les travaux qui sont ici rassemblés ? Ces questions méritent sans doute d’être posées dans le contexte actuel de l’art globalisé, et elles doivent l’être dès les décennies 1960-1980 dans le cas du Brésil, dont le contexte politique répressif a accéléré la dynamique des échanges à l’échelle internationale, en particulier pour les publications dotées d’un fort potentiel de diffusion et de circulation. Déjà dans les années 1970-1980, certains artistes ont interrogé l’idée d’un art brésilien10. La revue Malasartes, fondée en 1975-1976 à Rio de Janeiro, se fait d’ailleurs l’écho du projet qu’ont les artistes d’écrire une histoire de l’art brésilien d’un point de vue local, indépendante des circuits du marché de l’art et ouverte aux pratiques expérimentales, mais située dans une histoire internationale11. À l’instar de la production aussi imposante qu’éclectique de Paulo Bruscky 12 — une des figures majeures dans le domaine du livre au Brésil, qui a produit de nombreux livres-objets en exemplaire unique et a aussi utilisé la photocopie — cette exposition témoigne, jusque dans les matériaux utilisés 13, des usages multiformes du livre, ouvert à des expérimentations plurielles — tactiles, olfactives et auditives — au travers d’une variété de déclinaisons formelles et discursives. Détourné, bricolé, animé, le livre propose des expériences de lecture inédites et parfois performatives 14. Les affinités étroites entre la poésie expérimentale et les publications d’artistes sont un des traits marquants de la période d’éclosion des publications brésiliennes. Le numéro unique de la revue Processo 1, édité en 1969, rassemble dans un portfolio différentes pièces toutes réalisées par des protagonistes du mouvement littéraire « PoemaProcesso » créé par Wlademir Dias-Pino, figure de proue de la poésie concrète. De même que son « livre-poème » A Ave 15, les fameux Poemóbiles (1974) d’Augusto de Campos et Julio Plaza ou Poemar (1977) de Luise Weiss, Processo 1 atteste des porosités fructueuses entre les arts visuels et la poésie, qui traversent l’histoire brésilienne des publications d’artistes, comme le montrent Poemics (1991), travail d’exploration poétique d’Álvaro de Sá, protagoniste du « Poema-Processo », ou encore Poema das quatro palavras (2015) d’Airton Cattani. Les connexions s’étendent désormais à la littérature, à l’instar des quarante micro-contes, 40 microcontos experimentais (2011), du même Cattani, disposés dans un leporello, qui peuvent se lire et s’exposer de différentes manières ou du O homem sem qualidades: caça-palavras (2007) d’Elida Tessler qui propose une version performée du titre du roman de Robert Musil par la suppression des 5360 adjectifs de la traduction brésilienne du texte original. Ces publications, où se croisent pratique expérimentale et contestation politique, sont autant des laboratoires que des observatoires qui se font l’écho des évolutions de la société brésilienne. Parmi les questions récurrentes, celle de la mémoire occupe une place de choix, qu’elle soit collective, comme c’est le cas pour le flip book 4000 disparos (2011) de Jonathas de Andrade qui rassemble des visages d’anonymes capturés dans les rues de Buenos Aires, ou individuelle comme chez Andrea d’Amato qui en montre la disparité dans les trois livrets de Futuro de pretérito (2016) à partir de photos extraites de son album de famille qu’il a données à commenter à sa mère, sa sœur et son frère. On trouve aussi dans cette sélection, plusieurs ouvrages consacrés à la critique des représentations du territoire national : ainsi, dans São Paulo Street Guide (2013), une réédition en miniature du guide de São Paulo, Fernando Piola recense les zones blanches, rues sans nom où sont situées les favelas, et indexe les lieux liés à la répression et à la résistance politique sous la dictature. Dans le contexte politique actuel troublé, où l’art se voit de nouveau exposé au contrôle et à la censure, le livre et la revue restent pour la nouvelle génération d’artistes un médium d’expression critique et un espace de résistance. Puisse cette exposition, à travers la perspective qu’elle en donne, contribuer à sa découverte et se prolonger au travers d’autres projets universitaires et curatoriaux. Laurence Corbel 1. Si l’on excepte la sélection des livres de dix-huit artistes, exposition dans l’exposition conçue pour « Imagine Brazil » présentée au musée d’Art contemporain de Lyon du 5 juin au 17 août 2014 et organisée par Jacopo Crivelli Visconti et Ana Luisa Fonseca. Voir le texte de présentation de Jacopo Crivelli Visconti, « Bonne lecture » in cat. Imagine Brazil, Lyon, Musée d’art contemporain de Lyon ; Oslo, Astrup Fearnley Museet, 2013. 2. « Tendances du livre d’artiste au Brésil : 30 ans après », organisée avec Amir Brito Cadôr, Centre Culturel de São Paulo, du 28 novembre 2015 au 20 mars 2015. 3. Le corpus des études présentées par Marie Boivent, Leszek Brogowski ou Anne Mœglin-Delcroix ne traite pas, ou de façon très marginale, de la production latino-américaine. C’est aussi le cas des publications états-uniennes de Clive Phillpot. Seule Gwen Allen consacre quelques pages à l’Amérique latine dans Artist’s Magazine. 4. Voir Michel Zózimo da Rocha, Estratégias expansivas: publicações de artistas e seus espaços moventes, Porto Alegre, M. Z. da Rocha, 2011. 5. Parmi les maisons d’édition récentes, on peut citer Aurora, créée en 2013, dont la production se focalise sur l’art et la politique, Azulejo fondée par les artistes Amanda Teixeira et Pedro Cupertino en 2015 à Porto Alegre et IKREK, créée en 2014 à São Paulo, dont le nom emprunté à la langue hongroise est un clin d’œil à ses fondateurs, les frères jumeaux Luiz et Pedro Viera. 6. Le « Repositório auxiliar de publicações artísticas ou especiais » (« Dépôt auxiliaire de publications artistiques ou spéciales ») est un programme de collecte et d’étude des publications d’artistes et des sources primaires pour l’enseignement de l’art et de l’histoire de l’art, associé à la recherche « Obras e dispositivos instauradores da arte contemporânea: forma, expressão e contexto » (« Œuvres et dispositifs fondateurs de l’art contemporain : forme, expression et contexte »). 7. Voir Leszek Brogowski, « Du concept non élargi du livre au concept élargi de l’art dans le livre d’artiste », in Leszek Brogowski, Anne Mœglin-Delcroix (dir.), Le Livre d’artiste : quels projets pour l’art ?, Rennes, Éditions Incertain Sens, coll. « Grise », 2013, pp. 9-31. 8. L’exposition a été présentée du 16 mai au 23 juin 1985 au Centre culturel de São Paulo. 9. Depuis 2009, le développement et la multiplication au Brésil et en Amérique du Sud des foires dédiées aux livres d’artistes et aux éditeurs indépendants ont non seulement permis de donner une visibilité aux pratiques éditoriales des artistes mais ils ont aussi considérablement dynamisé sa production. Cependant, la diffusion dans le réseau des librairies reste très insuffisante. 10. Par exemple, les textes de Cildo Meireles et Helio Oiticica, dans le catalogue Information (1970) et Antonio Dias, « Arte “brasileira” não existe », dans Módulo: revista de arquitetura, 86, septembre 1981, réédité dans Glória Ferreira (ed.), Crítica de arte no Brasil: temáticas contemporâneas, Rio de Janeiro, Funarte, 2006. 11. Elle ouvre d’ailleurs ses pages à Allan Kaprow, Robert Kosuth et Terry Smith. 12. En 1998, on ne comptait pas moins de 250 livres réalisés par l’artiste. 13. N’oublions pas le Livro de carne réalisé en 1977 par Artur Barrio ou Como ler, un livre-pain réalisé par Paulo Bruscky et Daniel Santiago en 1974, qui ne sont pas présentés dans l’exposition. 14. Le texte se construit au fil de la lecture et les images se forment par le jeu des transparences comme dans A Ave de Wlademir Dias-Pino ou Poemóbiles d’Augusto de Campos et Julio Plaza. 15. De l’avis général, A Ave de Wlademir Dias-Pino marque l’émergence du livre d’artiste au Brésil. Voir Annateresa Fabris, « O livro de artista: da ilustração ao objeto » [https://seminariolivrodeartista. wordpress.com/2009/09/22/o-livro-de-artista-da-ilustracao-ao-objeto/] et Paulo Silveira, « Livres d’artistes au Brésil. Défis historiques et impasses d’aujourd’hui », Nouvelle Revue d’esthétique, n° 2 : « Livres d’artistes. L’esprit de réseau », 2008, p. 87. CABINET DU LIVRE D’ARTISTE. Campus Villejean, Université Rennes 2 - Bât. Érève, place du recteur Henri Le Moal, 35000 Rennes (M° Villejean - université). 0299141586 / 0660487696 / noury_aurelie@yahoo.fr www.incertain-sens.org / www.sans-niveau-ni-metre.org. Le Cabinet est ouvert du lundi au jeudi de 11h à 17h hors vacances universitaires et également sur rendez-vous en contactant la coordinatrice du CLA Aurélie Noury. SANS NIVEAU NI MÈTRE. Le Cabinet du livre d’artiste est un projet des Éditions Incertain Sens. Sans niveau ni mètre. Journal du Cabinet du livre d’artiste est publié conjointement par l’Université Rennes 2, le Fonds régional d’art contemporain de Bretagne et l’École des beaux-arts de Rennes. (Le Frac Bretagne reçoit le soutien du Conseil régional de Bretagne, du Ministère de la culture et de la communication – DRAC Bretagne et est membre du réseau « Platform » / L’association Éditions Incertain Sens reçoit le soutien de l’Université Rennes 2, de la Région Bretagne, de la Ville de Rennes, du Ministère de la culture et de la communication – DRAC Bretagne et de ses adhérents. Les éditions Incertain Sens sont diffusées par les Presses du Réel et sont, avec le CLA, membres du réseau « ACB - Art contemporain en Bretagne ».) RÉDACTION. ÉDITIoNS INCERTAIN SENS, La Bauduinais, 35580 Saint-Senoux, 0299575032, www.incertain-sens.org Sans niveau ni mètre n° 44 est publié avec le soutien de la Maison des Sciences de l’Homme en Bretagne, à l’occasion de l’exposition « Livres et revues d’artistes : une perspective brésilienne », organisée en lien avec le programme de recherche « Écritures et paroles d’artistes : contributions aux scènes artistiques contemporaines d’Amérique latine » (Rennes 2, MSHB). Achevé d’imprimer à 1200 exemplaires sur les presses de Média Graphic à Rennes, composé en Baskerville Old Face, Covington et Times New Roman, sur papier Cyclus 80 g. Dépôt légal novembre 2017. ISSN 1959-674X. Publication gratuite. Pages 1 à 3 : Amir Brito Cadôr, 2017 (numéro accompagné d’un sticker à coller). Remerciements à Amir Brito Cadôr, Laurence Corbel, Guénaëlle Coutance, Eduardo Jorge, Antoine Lefebvre, Regina Melim, Fernando Piola Alves, Paulo Silveira et aux Archives de la critique d’art.