r3r
LnÉsrrertoN DU spECTATEUR
UnÉsrrerroN DU spEcrArEUR. LB IrrÉÂTRE FANTAsrreuE MoDE D'EMpLot (H.+mLEr)
Romain Broxoe
Référence bibliographique :
Romain Bionda, « L'hésitation du spectateur. Le théâtre mode d'emploi (Hamlet) »,
dans Delphine Abrecht, Lise Michel et Coline Piot (dir.), Faire œuvre d'une réception.
Portraits de spectateurs de théâtre (spectacles, textes, films, images), XVIe-XXIe siècles,
Paris, Entretemps et Max Milo, coll. « Champ théâtral », 2019, p. 131-144.
Résumé :
Dans Hamlet, la réaction de Claudius face à la pantomime et à la représentation
théâtrale auxquelles il assiste est ambiguë. Dans cet article, il s’agit de réfléchir à une
manière dont elle pourrait être exploitée par des lecteurs — qui sont par ailleurs
spectateurs et dont certains ont été, ou pourraient être metteurs en scène (Edward
Gordon Craig, Constantin Stanislavski, Nicolas Evreinov, vous, moi) — afin d’en faire
œuvre, en l’occurrence dans la direction du fantastique tel que le définit Tzvetan
Todorov. Cet article, qui a pour cadre la lecture du texte dramatique et la « manière de
lire » impliquée par le fantastique, confronte le fantastique et le théâtre à travers le
prisme de la notion d’indécidable. Après une rapide mise au point théorique, il présente
ce qui se révélerait être le lieu du fantastique au théâtre : l’hésitation du spectateur, qui
porte en l’occurrence sur le point de vue, compris ici comme relevant de la
représentation dramatique (rapport du drame et de l’action) et scénique (rapport de la
mise en scène et de la fable). En prenant appui sur Hamlet, sur la mise en scène qu’en
propose Craig à Moscou et sur l’Introduction au monodrame d’Evreinov, il propose
alors de réfléchir sur les modalités d’existence d’effets de focalisation interne et de
fantastique au théâtre.
Dans Hamlet,la réaction de claudius face à la pantomime et à la représentation théâtrale auxquelles il assiste est ambiguë, norammenr parce qu on n arrive
pas à savoir pourquoi il réagit differemment à deux scènes qui montrent la
même chose. Dans les lignes qui suivent, il s'agira de réfléchii à une manière
dont cette ambiguité pourrait être exploité e afr,i d'en
en I'occurfaire æuure
rence dans la direction du fantastique tel que le définit TzvetanTodorov.
Nous
en profiterons pour affronter la question du point de vue au théâtre sous un
angle un peu inhabituel.
Avant tout, il faut présenter le cadre de cette réflexion, qui a trait conjointement à la lecture des textes dramatiques et à la manière de lire impliquée par
le fantastique (I). À travers le prisme de la notion d'indëcidable, or, .orrironàr"
ensurte le fantastiq ue et le théâtre. il agtra d' exPoser rapidement ce qui se révélerait être le lieu du fantastiq ue au théâtre l'hésitation dw s?ectateur (II q u1
)
Pofte sur le polnt de vue, comPfls lcl comme relevant de la représentation dra
matlque (rapport du drame et de la fable). En
Prenant aP pur sur Hamlet OII)
..suf la mlse en scene q u en proPose Edward Gordon Craig a Moscou
au début
des annees 1 9 1 0 (ru et sur Introduction AU monodrame ( 1 1 3 de Nicolas
)
I
(V), nous réfléchirons alors aux modalités d'exisrence d'effets de focalisation interne (VI) et d'effets de fantastique au théâtre.
132 Fa,nn otivnB D'LrNE nÉcsmoN : poRTRArrs DE spEcrATEuRS nB
rr#Ârnr
I. Manière(s) de lire le fantastique et les textes dramatiques
Au moins depuis les années 1960-1970 en France, le fantastique et le théâtre
entretiennent une relation ambiguël. Comme le rappelle Olivier Bara,le fantastique < renvoie depuis le structuralisme à un mode particulier de narration et de
réception, privilégiés [sir] dans les genres diégétiques2 >.
On se souvient, en particulier, que n I'hésitation fantastique , deTodorov fonctionne sur la base d'une n intégration du lecteur au monde des personnages D :
Qui hésite [...] ? On le voit tout de suite : c'est [...] le personnage. C'est
lui qui, tout au long de I'intrigue, aura à choisir entre deux interprétations.
Mais si le lecteur était prévenu de la n vérité o, s'il savait dans quel sens il
faut trancher, la situation serait toute différente. Le fantastique implique
donc une intégration du lecteur au monde des personnages ; il se définit par
la perception ambiguë qu a le lecteur même des événements rapportés. [...]
Lhésitation du lecteur est donc la première condition du fantastique3.
Dans les récits fantastiques, I'univers de croyance d'un personnage est menacé
par un événement dont la natare est incertaine (le personnage hésite n enffe le
réel et [. . .] I'illusoire ,) etlou dontl' existence d est pas assurée (il hésite alors entre
le réel et l'n imaginairea,,). Quant au lecteur, il nest pas en mesure de résoudre
cette hésitation, parce que ledit événement
indécidable : il n a pas accès à la < vérité , et
lui est précisément présenté comme
il ne lui est pas possible de l'établir.
Par ailleurs, et c'est important, I'hésitation propre au fantastique demande
pour fonctionner une certaine n manière de lire o :
[...] le fantastique implique [...] non seulement
I'existence d'un événernent étrange, qui provoque une hésitation chez le lecteur et le héros ; mais
aussi une manière de lire, qu on peut [...] définir négativement : elle ne doit
être ni < poétique > ni n allégorique o5.
1. Voir R. Brouoa, n Le fantastique hante-t-il les études théâtrales ? Histoire et rhéorie d'une
disparition ,, Fabuk-LhT no 13, < La bibliothèque des textes fantômes ,, dir. Marc Escole et laure
Depnrrro, 2014, hrtp: I I www.fabula.org/lhd 1 3/bionda.hunl.
2. Olivier Bene, n D'un théâtre romantique fantastiqae: réflexions sur une trop visible absence ,,
Reuue d'histoire du théâtre, no 257, < Lautre théâtre romandque r, dir. O. Bene et BarbaraT. CoopsR.,
2013, p. 69-86, ici p.74.
3. T2vetan Tooonov, Introduction à la littérature fantastique, Seuil, Paris, 1970, p.35-36.
4. Ibid., p.4r.
5. Ibid, p. 37 (nous soulignons). Elle doit donc être < représentative, et n limérale ,, (ibid., p.63-79.)
LnÉsrreuoN DU spEcrArEUR
133
on peut se demander si cette n manière de lire n s'âccommode de la lecture
académique des textes dramatiques telle qu'elle esr prariquée aujourd'hui. Il
faut en effet constarer qu'on ne qualifie généralernent plur de fantastiques
des textes comme Macbeth, Dorn Juan, Faust ou Les Aieugles, dans lesquels
affleure pourtant un fantastique assimilable à celui de Todoio#.
^ En fait, on peur faire I'hypothèse qu'une < interprétation n passe différemment < l'épreuve de vérité7 , dans un texre narlatif et dans un rexte
dramatique : la n vérité o semble s'y configurer autrement, notammenr parce
que I'expéri€nce spectatrice du lecteur informe en partie sa lecture d'un texte
auquel il reconnalt un srarur théâral8. C'est peut-êrre donc en réféchissant à
la façon dont n I'hésitation fantastique , (que Todorov prête au lecteur) pourrait être favorisée chez \e spectateur de théâtre - tâchè à laquelle s'attèle cet
article - que I'on peut comm€ncer à répondre à la question âe l'existence du
fantastique dans les textes dramatiquese.
II.
Indécidables
Au sujer de la possibilité de rrouver du fantastique au théâtre, la critique
il se pourrait bien que le fantastique n'y existe jamais, ou qu'il s'y
manifeste en quelque âçon toujours. Révélatrice de cette hésitation, I'affiimation de Patrice Pavis : n Le fantastique n'est pâs propre âu théârre, mais il
trouve dans la scène un domaine d'élection, puisqu'il y a toujours production
d'illusion et dénégationr.. , Remarquons rapidement que I'hésitation f"nt"stique et I'illusion théâtrale ne fonctionnent rourefois pàs au même niveau : la
première porte sur l'événement représenté dans son rapporr à l'univers diégêtergiv^erse :
tique, tandis que la seconde porte sur la représentarion en elle-même. Mêrne :
plutôt que de la favoriser, il est aussi possible que I'illusion rhéâffale interfère
6. Todorov considère que le xuf siècle (de Cazotte à Maupassant) est la période d'élection du fantastique. Mais si I'on considère les enjeux de l'< hésitation fantastique o quiconsistent dans la mise en
jeu d'univers de croyance (au-delà de I'opposition construire p"r Todotôu entre < réel > et < irréel >),
il est envisageable de trouver du fantastique avant le xnr" siècle.
7- rbià, p. 87 et 88.
poetiqae,
8. voir Romain BroNol, < La vériré du drame. Lire le texte dramatique (Dom
Juan) >,
?0!,.p. 67-82 ; ég:alement en lign_e : https://www.cairn.info/reure-poetique-2017-i -p^gr-6l.hn .
9. Todorov ne parle pas du texte dramatique, encore moins du spectacle théâtral.
10. Patrice Pavrs, < Fantastique ,, dans Dicùonnaire du thëâtre 119961,2d" éd., Armand Colin, paris,
2014, p. 137.
n lgl,
134 FARE csWRE o'uNr nÉcrpTlon : poRTRArrs DE spEcrATEIr'Rs os rHÉArRE
on se gardera donc de les assimiler (et par là
d'étendre le champ du fantastique à rout le théâtre).
En revanche, il existe bien une dimension du rhéâtre qui peut être mise au
service du fantastique. En effet, la focalisarion, qu on a pârfois pris I'habitude
de considérer comme un faceur stable du sp..taàI. (doru le régime n narurel o
serait la focalisation externe), fonctionne en réalité le plus ,ou,r-"nt sur le mode
del'interntittence ou du méknge, dans la mesure où la focalisarion externe s'accommode volontiers d'ffits defocalisation interne- même lorsqu on ne dispose
pas de moyens techniques extraordinaires. ordinairemenr (q*Ë
techniques
relèvent de l'écriture ou de la mise en scène), les monolog,r.r, 1.,".r
apartés, lTryper-présence scénique d'un personnage, l'éclairage, les voix ofi la musique, les
écrans et la liaison des scènesl2 sonr autanr de moyens qui peuvent être mobilisés afin de favoriser la perspective d'un personn"ge. cei .ff"r, p.urr.nr concerner des séquences plus ou moins longues. Ils sont plus ou
-àin, durables et
évidents, c'est-à-dire plus ou moins biàn produit, .t ,.ç,rr.
Hypothèse ; en marge de_l'illusion théâtrale, cette interrnittence dæ
ffits de
avec I'hésitation fantastiquelr.
-
focalisation interne ou cefie fluctuation du point de uuè3 est à I'origine d'un certain type d'indécidable en mesure de nourrir chez le specrateur ce qu'il conviendrait d'appeler, sur le modèle de la théorie de Todorov, I' hésitation do ,prrtot or.
Elle serait, comme nous le verrons, le lieu propre du fantastique au tÉéâtre (s'il
1 1. Après avoir. rapproché l'illusion théâtrale et I'hésitation fantastique, Pavis émet
une hypothèse :
n C'est probablement parce que le théâtre pan d'une irréalité visible et ne peur donc iacilement
oPPoser le narurel au surnaturel,.qu il n a pas généré, comme le récit ou le cinéma, une grande littérature dramatique fantastique , (idzm). Si la rèprésenracion théâtrale fonctionne
rêve (ou
"o--Jl.
en a le n statut D : Anne UennspsLo, Lire le théâtre IL L'école du spectateurllgSl),2&
éd., Belin, paris,
<le problème de la dis-tinction de I'imaginair. .t du réel n [y] est pas posé , (octave
_1296,p.260),
MaxrqoNr, clef pour I'Imaginaire ou lAutre scène, Seuil, paris, 1969, p. t6i). En;trg;, malgré l,illusion n nous savons toujours qu'il y a jeu_ o (ibid., p, 168). Dès lors, aprèi avoir pensé que le fa_itastique
( trouve dans la scène un domaine d'élection , (Pavis), on peur
penser que le?ntastique ntst
"ussi
pas peninent sur scène, dans la mesure où o Ie spectateur de théâtre
vàit à la fois Ie personnàge et le
fantôme : ils ont la même réalité. Le verbe "sembler" ne fait pas panie du spectaclà. Et .'esilustement Parce que I'incroyabie estvu que I'on setrouve en droit de dàviner
il a été fabriqué,
"o---.rrt
flean-Louis B.q.cr<Ès, n Uopéra, ia musique et l'au-delà r, dans Hervé l"ecovsr
et Timothée pràpo
oper( et fantastique, PUR, Rennes, 20rt, p. 19-26, ici p. 24). Bref, difficire à dire : dépend.
ça
\d:t.),
12. Sur ce dernier point, voir Marc
Pg"gy":, ,. Rappons focaux ,, dans La Composition dramatiq:ue. La
liahon dts
scènes
daru lz théâtrefançais
duXWI
siàcb,-p.
Zll-lSl
(thèse soutenue le
l1 mai 2015 a Éaris g).
13. Raphaël Baroni rappelle qu'on gagnerait à distinguer le point de vue (u à travers lequel I'infoimation narrative est filtrée ,) de la focalisation (o décalage épistémique enrre les pe.sonn"ges et les
lecteurs >). Ici, malgré i'usaç du terme ( focalisation ,, nous parlons bien du polnt de ire. Voir
Benou1.Z1 Rouages de I'intrigue. Les outih de la narratologià postclassique pour l'analyse drs textes
|.
Iittéraires, Slatkine, Genève, 2017, p. g4-101.
LrrÉstrertoN DU sPEcTATEUR
r35
en est un). En effet, dans la mesure oùr elle porte sur la perspective adoptée pour
I'appréhension dlun événement représenté - le point de vue est-il présenté en
focdisation externe, ou interne ? -, cette hésitation peut indirectement concerner la nature ou l'existence de cet événement dans la diégèse.
Ill.
Hamlet t hésitation du personnage,
hésitation des critiques
C'est à la faveur d'un détour par Elseneur que nous nous laisserons convaincre,
oh le Prince du Danemark se heurte à un dilemme depuis I'apparition du spectre :
est-ce le fantôme de son père, ou un démonla ? Le fait qu il puisse s'agir d'un
revenant met en balance I'univers de croyance du personnage éponyme qui,
en tant que luthérien, ne crcjit pâs âlr purgatoirels. Pour résoudre cette énigme,
Hamlet organise une expérience : la représentation d'une pantomime et d'une
pièce intitulée La Souricière, dans lesquelles est montré le meurtre du roi tel que
raconté par le spectre. Hamlet explique la manigance à Horatio (trII, 2) :
If his occulted guilt
Do not itself unkennel in one speech,
It is a damned ghost that we have seen,
And my imaginations are as foul
As Vulcan's stithy. Give him heedful note,
For I mine eyes will rivet to his âce,
And after, we will both our judgements join
In censure of his seemingl6.
Observe my uncle.
La réaction de Claudius convainc Hamlet de sa culpabilité : n Oh good
Horatio, I'11 take the Ghost's word for a thousand poundlT >. Le criminel passe
d'ailleurs aux aveux plus loin (III, 3).
14. lfilliam Snersspeans, The Ti,agical History of Hamlet, Prince of Danemarh, dans Tragédies,
éd. Jean-Michel DÉpners, Gallimard, Paris,2002, p.671-991, ici p. 800.
t.
1,
15. Au sujet de la question du purgatoire dans le contexte élisabéthain, voir notamment Dieter
Lssaoe, Peut-on encore jouer Hamlet i [2000], trad. Monique Necrnrrolr, Les Impressions nou-
velles, Paris, 2002.
16. Suerr,spnenn, Hamlet, op. cit., p. 820-822.
17. Ibid., p.838.
136 Fernp or-rvnn o'uNE, RÉcnprroN : poRTRArrs
DE
or
cela n a pas empêché que la râction du roi paraisse ambiguë aux yeux de certâins lecteurs, car si Claudius quitte bien la salle après la représàntation du meurrre
dans la pièce, il est demeuré apathique face au meurrre représenté par la pantomime. c'esr ce que Pierre Bayard rappelle dans son Enquête sur Hambt (2002), oit
il propose un utile survol de n l'histoire de la critique shakespearienne , moderne.
Pour plusieurs raisons, cette critique a par ailleurs souyent n émis des doutes sur ce
a vu et entendu Hamletls o. C'est ainsi qdune autre ( hésitation )) surgit avec
9u
la modernité : elle double celle du personnâge qui porte stx la nafiire du spectre
(fantôme zs démon) en meffanr en doute son existence dans la diégèse (fantôme
ashallucination). Peut-on ffouver dans ces lectures les ingrédients du fantastique ?
Bayard, qui considère ces critiques e.rec attention, note
:
ces interrogations sont d'autant moins inconvenantes que la seconde apparition du specue, dans la sêne de la c}ambre de Genrude (III,4),ne fait qu aciràltre
les doutes. Hamlet, en effet, est cetre fois seul à le voir et à I'entendre, Genrude
affirmant avec force ne rien remarquerle,
Même : elle le traite de fou. Se pourrait-il que Hamlet soit victime d'une hallucination, et nous avec (car le lecteur a accès aux paroles du spectre : on peut lire ce qu il did ?
En realité, la piece oppose des résistances à I'hypothèse de I'hallucinatior, , lo
"lr.,o
de claudius prouvent que Hamlet naffabule pas - sauf si, comme I'ont proposé
cerains critiques ou praticiens de théâtre (au gré de divers argumenrs et aménagements),
on étend la focalisation interne qui peut être activée dans la scène enrre Hamlet et
Gerrude
q'i
à dauues, voire à toute la pièce. Faisant de
Hamletun monodrame, ( genre
tout réduire à la vision unique d'un personnage, même à I'inrJrieur
-de
d une pièce à nombretx personnages2o )), cette proposition a des àonséquences considés'efforce
rables sur la
<
L HÉsrreuoN DU sPEcTATEUR
spEcrerEuRs ns rr#ÂTRE
137
En effet, dans sa tentative de reduire le point de vue à la perspective dun seul
personnage, le monodrame fonctionnerait (pour aller vite) corrune un équivalent
dramatique et scenique de la naration homodiéçtique (préfocaliséd3), technique
que Todorov présente corilne o facultativda > mais n li[ee] à la définition même du
fanasdqud5 o de deux manières. D'abord, le n narrateur representé, (iest-àdire le
narrateur homodiégétique) n facilite la nécessaire identificadon du lecteur avec les
personnagesb o. Ensuite, il profite plus au fanastique que le n narrateur non représenté D (hétérodiégétique), parce que les événements sont racontés depuis sâ perspective et que son discours en tant qtre le narrateur est aussi personnage n est [...]
à soumeftre à l'épreuve devéntê7 u. læ lecteur est ainsi amené à hesiter auec lui; a
priori 11, ria même'pas dautre choix, incapable qu il est de pouvoir n uanchels o. La
situation avec le monodrame serait dans une c€rtaine mesure équilalente : on peut
penser facilitée I'identification avec le personnage par le fait qdon est censé percevoir
la même chose que lui, tandis que seraient indecidables la nature et I'o<istence dans la
diégèse de ce qui est monûé et entendu (en tant quil dagit des perceptions subjectives
du personnage). Reste que se pose Ia question suivante : si, en pensée, on peut faire de
Hamlztunmonodrame, sait-on au juste cofiIment le faire sar scène?
-
-
IV. Mettre en scène Hamlet comme un monodrame
À propos de Hamlet, Craig et Stanislavski
sont déjà posé la question lors
des discussions, en partie transcrites et uaduites, qui ont suivi la décision d'en
confier la mise en scène à Craig auThéâtre d'Art de Moscouze. Le 16 avril 1909,
lors d'un échange eutour de la scène 2 de I'acte trII, Stanislavski répond à Craig:
se
vérité o du drame. Dans la mesure où tous les événements seraient désor-
pail pr6elta selon la perspective de Hamla, ils sont rendus indécidables, y compris
les avetx de claudiufl. la pièce ainsi envisagée serait, pourquoi pas,
fantastiquê,.18. Pierre Baveno, Enquête sur Hamlet. Le dialogue de sourds,
19. Id.em, p. 118-119,
20. P Pavrs, Dictionnaire..., op. cit.,p.275.
Minuit, paris, 2002, p.
118.
21. BayaÀ affirme qu'n aucun de ceux qui se sont interrogés sur les hallucinations d'Hamlet ne s'est
posé la.question de savoir si les aveux de claudius nen iaisaient pas partie, > (Enquête..., op. cit,,
P. 175.)
22, En conclu-ant (momentanément, certes) au < jugement indécidable , o sur la folie d,Hamlet o
(i.bid., p. 173), Bayard pourrait presque le sous-enrenâre (il n utilise pas le mot), Si les hypothèses les
plus ambitieus-es ont été posées, personne à ma connaissance n'a clairement osé affirmei que Hamlzt
est justifiable d'une lecture < fantastique r, sauf Hubert Dpsve-nrrs qui Ie suggère avant dê se raviser,
car le fantastique y serait selon lui secondaire (. IJAutre (en) Scène, du théâtre "baroque" aux fictions
"fantastiques" ,r, Otrante : artetlittératurefantastiques,n" 17,oThéÀtre&fantætique, uneautrescène
du vivant o, dir. Amos FprcoNreÉ et Arnaud HurrrEa, Kimé, Paris, 2005, p. 53-70.)
23. On aura reconnu la terminologie de Gérard Genette.
24. Tooono% Introduction..., op. cit.,p.36.
25. rbid., p.89.
26. Ibid., p.91.
27. Ibid., p. 88.
28. Ibid., p.35.
29.Yoir Arkady Osrnovsrr, < Craig monte Hamlttà Moscou ,, dans Le Thëâtre dArt dc Moscou.
Ramifications, aoyges, &ir. Marie-ChristineAureNr-MerHrau, CNRS, Paris, 2005, p.-19-61. Autour
de l9l0 en effet, commente Laurence Senelick, n the idea of monodrama was in the air > (Laurence
SBnBLtcx, Gordon Craigi Moscow Hamlet. A Reconstructioz, Greenwood Press, \7estpon, London,
1982, p.28.)
138 FenB ouvps n'Ln+E RÉcnpnoN : poRTRArrs DE spECTATEuRs oE rrrÉÂrnn
I understand what you say about monodrama. Let us try by every means
to make the public understand that it is looking at the play with the eyes of
Hamlet ; that the king, the queen and the courr are not shown on the stage
such as they really are, bur such as they appear to Hamlet to be. And I think
that in the scenes where Hamlet is on the srage we can do this. But what are
we to do with the characters when Hamlet is not on the stage?
Craig : I should like Hamlet to be on the stage always, in every scene, all
through the play; he can be in the distance, lying, sitting, in front of the people
acting, at the side, behind, but the specraror ought never to lose sight of him.
I want the public to feel the connecrion between what is going forward
on the stage and Hamlet, So that the public should feel as keenly as possible
all the horror of Hamlet's possition [sid.
Stanislavski : I should suggesr that in rhe scenes in which Hamlet does
not take part we should show rhe characrers nor as with the eyes of Hamlet,
but realistically, such as they actually are.
Craig : i am afraid that in following our rhe idea of seeing everydring
through the eyes of Hamlet we may be pedantically consisrant in the execution of this idea. Bur, on the other hand to make the characters realistic is
also dangerous. They can at once lose all their symbolism, and then the play
may lose very much.
The voices, gestures etc will appear too realistic.
Stanislavski : If the queen, for example, appears without Hamlet the audience will have to think roo much, and will ask itselfi - "\fith whose eyes
are we now looking at the stage, with Hamlets or with our own?" The public
may get into a muddle3o.
La discussion, on le consrare, bute sur la question de la présence scénique
de Hamlet. Faut-il qu il soit présent dans toutes les scènes, comme le propose
craig ? son absence donnerait I'occasion de présenter diverses perspectives en
travaillant sur le traitemenr diffërencié des personnages (n as they really are ,
?iJ ( es they appear to Hamlet to be o ; Stanislavski), au risque certes de perdre
en symbolisme (Craig). Comment réaliser ce monodrame sans ni être trop
pédagogique (, pedantic u ; Craig), ni rendre confus le public (Stanislavski) ?
Il est difÊcile de savoir ce quont e)ectement fait Craig et Stanislavski au ærme
des trois années de travail consacrées à cette mise en scène, malgré les reconstitutions
30. P 7-8 du cahier numéroté conservé à la BNF, qui contient la trace de ces discussions. On peut
lire également dans L. SsNerrcr, ibid., p. 63 sq.
les
LuÉsrterroN DU sPECTATEUR
r39
qui ont été proposées3l : le monodrame a-t-il été réalisé ? Kaoru Osanai, qui dit
avoir vu la pièce à Moscou le 28 décembre 1912, a liwé en ce sens un témoignage :
Hamlet was completely isolated at the front of the stage by a low, sagging
barier behind which everybody in the courryard gaûrered. The scene [], 2] was
conceived of as a nightmare which was seen through the mind's eye of Hamlet32.
Toutefois, < at the moment when the play within the play c:lme to its dimæ< o
(III, 2 : il s'art de Ia scène à partir de laquelle Craig et Stanislavski discutaient plus
haut), Osanai retrouvait un intéret pour n the conflict between the pathos of Harnla
and that ofClaudius33 ,, iest-àd.ire pour I'inteqpersonnel : de sujet focalisateur, il semble
que Harnlet redevenait alors, au mêrne titre que Clauditrs, objet focalisé. En realité, que
Craig ait ou non tenté de présenter la totalité de la pièce comme un monodrame ne
drange rien à I'affaire : le spectateur reel peut osciller entre les différentes perspectives
proposées (sur une panie ou I'ensemble du spectaclQ.
V. Le monodrame contre la rampe
Dans son Innoduction au monodrame,Evretnov affirme que la rampe est une
barrière n mentale u à laquelle r'eut s'attaquer le monodrame, mais qu'elle reste
susceptible de se dresser à tout moment :
[...] l. monodrame, entre autres, résout un des problèmes brûlants de I'art
theâtral contemporain, precisément le problème de feffet paralysant - séparateur
et réfrigérant
de la rampe. [a supprimer dans la r&lité comme le proposent
certains ne signifie pas encore la supprimer dans noue repr6enation : une vilaine o<périence et hop nous voilà contraint de recreer menalement la frontière
-
supprimée34.
3l.Yoir
ibid.
32. Kaoru OseNeI, o Gordon Craig's Production of "Hamlet" at the MoscowArtThearre o [1931]
(mais daté du 18 sept. 1913), trad. Andrewl Tsugaxr, EducationalTheatreJourna[ n" 20,4, 1968,
p.586-593, ici p. 590.
33. Ibid., p.592.
34. Nicolas Evn-srNov, Introduction au monodrame [1913], trad. Danielle KouopNrcrr MIor,
Registres, no 4, < Grotowski. tæcoq. É,crire le réel ,, dir. Joseph DeNeN, 1999, p. 149-167, ici p. 166.
140 Fenn ouvnB D'r-rNE RÉcEpiloN : poRTRArrs
DE spECrATErJRs oB
rnÉÂrnn
Ciant HanneldeHauptmann, LOiseau bbude Maeterlinck ou encore Izs Masquzs
ruoirctAndreisr, drames < qui se rapproche[nt] le plus du monodramds o dans la mesure où ils n reprôentent le rêve ou une hallucination prolongée ,, Eweinov declare ;
1...] il nest pas difficile de remarquer que I'objectivité de la représentation s'y mêle parfois de la façon la plus absurde à une subjectivité de la
représentation dépendante du personnage principal36.
Ne devrait-on pas en conclure àvne intermittence
dzs
ffix
dzfocalisation interne
m f.ottemenrdans l'étape de leur réception ?
Evreinov pointe la disjonction qui existerait entre des drames qui prévoiraient de favoriser la perspective d'un personnage et l'< impréparation et [e]
au théâue (lorsquils existent) etlou à
non-fondement scénique
u
d',tne telle rèstriction de champ
i
1...] dans toute une série de drames aussi bien classiques que nouveeux,
le sentiment de terreur est inspiré parfois âu spectateur non seulement par la
transmission des mots et de la mimique mais aussi par la représenration de
I'objet même de cette terreur, par exemple un fantôme, une vision, telle ou
telle forme d'hallucination. Le calcul du dramarurge est ici clair : pour que
le spectateur ressente à un moment donné à peu près la même chose que le
personnage, il faut qu il voie la même chose.
Dans ces caslà vient un moment que j'appellerais monodramatiqae mal,gré toute son impréparation et son non-fondement scénique37.
Il s'agirait alors de modifier les habitudes du théâtre afin d'exploiter scéniquement ces < moments [...] monodramatique[s] >. Le monodrame tel que
voulu par Evreinov n se fixe pour but de donner un spectacle extérieur qui corresponde au spectacle intérieur du sujet de l'action38 ) er de
contrain[dre] chaque spectâteur
mettre dans la position du personnage,
à vivre sa vie, c'est-à-dire à sentir comme lui et à penser illusoirement comme
lui, par conséquent avant tout à voir et à entendre la même chose que lui3e.
à se
Mais est-ce seulement facile ? Car se pose toujours la question de savoir
comrnentle spectateur identifie ces < moments ), que < l'objectivité de la représentetion > risque d'ailleurs de venir intempestivemenr contrarier...
p. 156.
36. Ibid., p. r57.
37. Ibid., p. 155.
35. Ibid.,
38. Ibid., p. 158.
39. Ibid., p. 157-158.
LHÉsrrerroN DU spEcrArEUR
r4t
M. Intermittence des efFets de focalisation interne
La scène entre le spectre, Hamlet et Gertrude (III, 4) constirue justement
un ( moment [...] monodramatique ) par excellence. Comme le relève Bayard,
'
[...] l'essentiel est leur désaccord, qui interdit l'hypothèse d'un phénomène
objectif, l^a pièce pose [. ..] clairement que certains de ses personnages, à certains
moments, sont atteints d'hallucinations et que les auues ne les partagenr pas.
Ce point n est nullement original et ce ne sont pas les personnages liméraires
victimes d'hallucinations qui manquent. Mais le fait que nous soyons au théâue
change la donne, puisque la mise en scène esr contrainte de trancher là où un
texte écrit pourrait laisser subsister I'ambiguÏté. En presenant en même temps
deux personnages qui, comme dans un croisement de paradigmes, ne voient pas
la même chose, Shakespeare laisse clairement entendre que la pièce à cerrains
moments montre ce que voit I'un d'eux4o.
Si on élimine à ce stade la possibilité de rejeter le < phénomène , dans le horsil faut en effet montrer soit ce que perçoit Hamlet (le spectre), soit ce que
perçoit Gertrude (son absence), ces deux perceptions ne pouvanr a priori pas
co-exister sur les planches. Faut-il pour eurant suiwe Daniel Sangsue qui, en commentant le même passage, sous-entend que la mise en scène, en faisant un choix
en termes de monstration, décide en même temps du caractère hallucinatoire ou
non de la < vision o de Hamler ?
scène,
[...] lo perceptions divergentes dHamlet et de Gertrude posent un problème
de représenation.
metterr en scène doit en effet choisir entre deux interprétations : soit il considère la vision du fantôme comme une hallucination d'Hamlet, et
Ir
dans ce cas il nintroduit pas le personnage du spectre, soit il considère quHamlet
voit réellement un fantôme, et alors il fait intervenir un specrre sur la sceneal.
Si I'on suivait ce raisonnemenr (dont I'un des présupposés esr que le théâre
ne connalt pas la focalisation interne), la question du fantastique au théâtre
40. P Baveno, Enqaête..., op. cit.,p.175. Lauteursouligne.
41. Daniel SaucsuB, Fantômes, Bprits et autres Morts-aiaants. Essai dz pneurnatobgic littéraire,José
Coni, Paris,2011, p. 66. Il reformule plus loin: o Mettre des fantômes en scène, c'est-à-dire faire
évoluer sur la scène d'un théâtre des acteurs déguisés en fantômes, ou des dispositifs mécaniques
qui représentent des spectres, iest [...] forcer le specrareur à croire que les fantômes peuvent exiiter
"dans la réalité" > (p. 328).
142 FanB
ouvtn n'utts
RÉcEprIoN : poRTRArrs DE spEcrA-TEIrrRs oE
riÉArns
LuÉstrerroN DU sPEcTATEUR
serait réglée : il ne peut pas exister d'hésitation fantastique si la représentation
théâtrale résout les ambiguités du texte portanr sur le surnarurel. Comme le
dit Todorov - et Bayard utilise d'ailleurs le même verbe dans I'extrait cité plus
hau(2 -, ( si le lecteur [...] salit] dans quel sens rranchera3 o I'alrernarive entre
les detx interprétations possibles, il ny a pas de fantastique. Or sauf à considérer
que Ia mise en scène montre toujours la n vérité ), ne pâs faire exister de spectre
sur scène ne signifie pas que son inexistence est établie dans l'univers diégétique.
De la même manière, représenter le spectre ne signifie pas que son existence est
fondée - surtout si, comme semble le penser Bayard, la présence ou I'absence
scénique du spectre/calisela représentation sur la perspecrive de Hamlet ou de
Gertrude. Si l'on montre ce que uoit Hamlet, on ne préjuge en rien de la santé du
personnage : la question de savoir si Hamlet u a raison > (Bayard) de voir ce qu il
voit ou non (de savoir si sa subjectivité perçoit un phénomène objectif) demeure
ouverte. læ spectre est montré sans que le spectateur ne soit < prévenu de la "vérité" > (Todorov) - et I'ambiguité subsisteaa.
Cela dit, il faut reconnaître Ia possibilité que Ia perspecrive monrrée sur la
scène soit tenue pour n vraie o dans la diégèse par un spectateur (ou par un lecteur qui active une lecture dite o scénique ,,45, à I'image de Sangsue). C'est qu'un
événement peut être subjectiué par la mise en scène, mais il esr aussi objectiuë par
la monstration : n I'objectivité de la représentation s[e] mêle [...] à une subjectivité de Ia représentation dépendante du personnage n (Evreinov). Il semble que
cette tension révèle une u hésitation o spécifique au rhéâtre qui se développe en
marge du mécanisme de I'illusion théâtrale et qui, comme dit plus haut, porte
sur le point de vue.
42.
n
...
qui sur un point n'est pas clair: quelle ambiguïté du texte exactemenr la mise en
tranche ,-t-eile
scène
?
43. Tooonov, [ntoduction..., op. cit., p.35.
44. Quand, dans le troisième tableau de Go Doutn, Moses (2014) de Romeo Castellucci, on ne
montre pas ce que voit la femme (des animaux, entre autres), mais ce que perçoivent le commissaire
de police et ses adjoints qui l'interrogent (l'absence de ces animaux), on ne prend pas nécessairement
position pour ces derniers : on montre deux mondes qui ne se rencontrenr pas, voire qui s'excluent,
mais sans forcément les hiérarchiser entre eux sur le plan de Ia u vérité n. La question de savoir si la
diégèse admet ou non de telles n visions , demeure ouverte : soit le monde représenré ne les admet
pas, auquel cas Ia femme est folle ou feint la folie (et s'avère meurtrière : elle vient d'abandonner son
nouveau-né dans une benne à ordures), soit le monde représenté les admet, auquel cas la femme vit
une expérience mystique (et a agi en fonction de motivations supérieures : elle a d'ailleurs appelé son
petit garçon < Mor'se ,').
45. Voir notamment R. BroNoe, o La vérité du drame. Lire le texte dramatiqu e (Dom Juan) >, arr, cit.
143
Conclusion : effets de fantastique
Pour susciter I'hésitation fantastique chez le spectateur, nous avons pensé
que la solution se trouvait peur-êrre dans la recherche d'une équivalence, au
théâtre, des facilités offertes par la narrarion homodiégétique au fantastique. Le
'monodrame, parce qu il ambitionne
de réduire le point de vue à la perspective
d'un seul personnâge, a paru tout désigné pour remplir ce rôle : il a pu sèmbler
en mesure de favoriser I'intégration du spectateur au monde représenté et sa
< perception ambiguë [...] des événements rapponés n (Todorov). On a parfois
pris fhabitude de dire qu au théâtre, seule la focalisation exrerne existe. Des effex defocalisation interney sont cependant légion. La combinaison de ces effeis
est en mesure de produire un effet durable de focalisation inrerne. En présentant les événemenrs depuis la perspective du personnage, il est envisageable de
produire, du même coup, un ffit defantastique.
Mais ces ffits sont-ils reçus? AnneUbersfeld parle de la focalisation au théâtre
comme d'un n travail du spectateur >, ( souvent prévu et préconstruit par le metteur en scène, le scénographe, voire l'éclairagistea6 u. Or si le spectateur réel peut
être invité à saisir I'action sous un certain angle, il reste libre de I'appréhender
comme il veut. De manière générde, le public est susceptible d'osciller entre
le point de vue interne qui lui est proposé et le point dè vue exrerne qui lui
est le plus habituel - et ceci même dans le cas du monodrame qui, malgré ce
que souhaite Evreinorr, échoue sans doute dans sa tenrarive de u contrain[dre]
chaque spectâteur n à adopter la perspective du personnageaT. Evreinov semble
lui-même le reconnaître à demi-mot lorsque, argumentânt contre l'idée que le
monodrame serait artificiel au théâtre, il présente la restriction de champ qu'il
46. Anne lJeensrnro,
n Focalisation
r, dans
Zes Termes cles de I'analyse duthéâtre, Seuil, Paris, 1996,
P. 50.
47. Joseph_Darran est peut-être plus pessimiste encore, puisqu'il semble meftre en doute la possibilité
d'une focalisation inrerne qui puisse être < complète o ou u rotale o : n Ce point de vue i...] qui a
prétendu être celui d'une psyché singulière, celie d'un personnâge,
doute jamais fêtre
r. p.rrri-r
complètement, le théâtre étant le lieu oh, si proche que I'on soit de lintériorité, celle-ci se donne
à appréhender, malgré tout et dans le même temps, de l'extérieur (à la différence du monologue
intérieur_romanesque), le lieu donc oir la focalisation interne ne peut être totale - la seule psyché
en laquelle tout finalement converge étant celle du spectateur. , (Joseph DeNan, n Monodrame
(poiyphonique) n, dans Jean-Pierre Sannazec (dir.), Lexique du dramà moderne et contemporain,
Grcé, Paris, 2005 p. 123-125, ici p. 125,) La n psyché , du spectateur, rout comme celle du licteur
'
n'est peut-être Pas exactement ce qui fait obstacle à la focalisation interne, qui est le résultat du
râpPort entre le drame et la fable. En revanche il est bien possible que le théâtre échoue souvent dans
sa tentarive de contraindre la psyché à reconnaître ce rapport.
Der.T GRAHAM: ESSATs
on prrÉ,NorrrÉNorocre
r45
cherche à obtenir comme l'adjonction d'une n possibilité , supplémentaire dans
I'appréhension par le spectateur des événements représentés :
[...]
la tendance irrépressible des grands maltres de la scene, ainsi que de
leurs apprentis, à donner la posibilitéà tel ou tel moment important du drame
de se metre à voir et à écouter avec les yeux et les oreilles de I'un dei personnages
[...] etr dit déjà beaucoup en faveur du naturel de ma théorie [...]*.
Cette possibilité en est bien une, mais ce rt'est pas la seule. Craig et Stanislavski
voyaient la o confusion , du public comme un problème - et peut-être en étaitelle un. Mais il semble qu elle est aujourd'hui, cent ans plus tard, exploitée à des
fins créatives - parfois même dans la direction du fantastiqueae.
Uniuersité de Lausanne
DaN Gnanenn : EssArs DE pHÉNoMÉNoLocrE
À pnopos DE
PrnroruwaN cn AunrENcE Srqurnrcr
ET DE PnnrontweNc.E / AuorcNcn / Mrcnon
Christophe Krnvr
48, Evnrrxov, Inrroduction..., op. cit., p. 156. Nous soulignons.
49. Un exemple parmi d'auues : quand dans Mûncbhausen ? de Fabrice Melquiot (LArche, Paris,
2015), mis en scène parJoan Mompart (2015), le personnage principal voit et entend son père
mon alors que les autres n'entendent (et ne sentent) que ses flatulences, comment s'empêcher de se
souvenir de Macbeth et de Hamlet (voire, pour une autre raison peut-être, de Victor ou les Enfants
au pouuoir) ? Il est frappant que le personnage principal se questionne sur I'existence du phénomène
qu'il perçoit : < Est-ce que j'ai vu ce que j'ai vu ou bien ai-je cru voir ce que j'ai cru voir i , (p, 39).
Pour autant, si le fantastique s'y présente, c'est sur un mode ludique : la désinvolture de MoI (p. 38)
indique qu'on est moins dans ie fantastique - aucun choc cognitifà I'horizon - que dans un éventuel
jeu avec les codes du genre. Il n'est sans doute pas anodin que le texte joue avec la perspective narrative : les ( moments monodramatiques o (autour de Mor, de MoN sEuL porÊ et de ELLE, surtout)
n'y manquent pas.
Que ce soit au théârre ou dans les arts plastiques, les pratiques de performance qui se sont développées dans le sillage du happening lors de la seconde
moitié du vingtième siècle onr affirmé, pour nombre d'enrre elles, leur rupture avec un théâtre de la représenrarion au profit d'un théâtre de l'opération,
recentré sur I'exécution d'actes - et parfois, même, d'un seul acte. Comme
ârt de I'exécution, mais aussi comme ceuvre dont la forme est entièrement
rabattue sur le moment de son exécution, la performance s'est dégagée de la
dramaturgie théâtrale, qu'elle ne considère pas tanr comme un interdit que
comme un moyen potentiel, parmi d'autres, à sa disposition. Cette mise en
réserve du drame s'est accompagnée d'une répartition différente des places
et des rôles dans I'espace ouverr par les opérations de la performance. De
nouvelles dispositions de I'espace ont vu le jour pour assurer des circulations
au sein desquelles la scène puisse disparaître et ayec elles les partages établis
entre la réception et la représentation. Ainsi, la situation du spectateur est-elle
devenue un paramètre important dans la construction d'une performance,
déterminée au croisement de deux lignes : la position des corps dans un lieu
Faire æuvre d'une réception
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de théâtre
(spectacles, textes, films, images)
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Souuernn
r. Les spectateurs de théâtre réinventés :
la réception comme création, par Lise Mrcnnr et Coline Plor
(Université de Lausanne) ................
...................9
z. La société des spectateurs (Jonson, Molière, Brown),
par Clotilde Tsounrr (Université de Lorraine, LIS) ..............................L7
3. La Folle Querelle ou la Critique dAndromaque:
quand Ia comédie de spectateurs extravague,
par Lise Foruvrexr (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3)
3I
4. Portraits de spectatrices dans les théâtres français et anglais
XVII' siècle, par Véronique LocnsRT
(Université de Haute-Alsace) .........
5. Regarder le spectacle en étranger : deux portraits du spectateur
en voyageur (|ean Chardin ; Montesquieu),
par Fabien CavanrÉ (Université de Caen)
6. Le n Sultan-Public , ou les ambiguTtés du portrait des spectateurs
dans Les Huit Mariamnes d'Nexis Piron (1725),
par Isabelle LrcrBn-Deceuqun (Université de Nantes)
au
Ouvrage réalisé avec le soutien financier
du Centre des Sciences Historiques de la Culture de I'Université de Lausanne
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^':'.'"'"','"*.
(Université de Lausanne)
UNIL I Université de Lausanne
F;:i:uiiô ii:-c
@ éditions l'Entretemps
7. Le spectateur en vedette dans les anecdotes dramatiques
du XWII'siècle, par Sophie MancnaNo
(Sorbonne Université)
8. L'Effet du mêlodrame: le public en représentation
dans l'æuyre de Louis-Léopold Boilly, par Cyril LÉcosss
ie
i'ir!:,
- Paris - 2019
isbn : 97 8-2-31 500-87 5 -9
9. Le Spectacle de Bayreuth : de la scène à la rue,
par Christophe IrtpeRrAu (Université de Lausanne)
ro. Lhésitation du spectateur. Le théâtre fantastique
mode d'emploi (Harnlet), par Romain BroNoe
(Université de Lausanne) ................
rr. Dan Graham : essais de phénoménologie. À propos
de Perfo rmance Audi ence Sequen ce et de Perfo rrn ance/Audi ence/Mirror,
par Christophe Kniv (HEAD-Genève)
rz. n On va dire que le public, il est là >. Genèse du théâtre
47
6I
89
103
1t5
r3l
r45
LBs spr,crATEURs DE
dans L'Es q uiue (Abdellatif Kechiche, 2004),
par Marie-Madeleine MBnveNr-Roux (CNRS UMR THALIM)
r3. Portraits de spectateurs en ârrisres ?, par Delphine AsRxcHr
(Université de Lausanne) ................
Bibliographie
rnÉÂrnr nÉrNveNrÉs
9
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.....175
189
Lns specrArEURS DE rHÉArnn nÉrrvræNrÉs
rn nÉcePTroN coMME cnÉerroN
Lise
:
Mrcnnr et Coline Pror
Une série de têtes rianres,
sou-
riantes - grimaçantes - agglutinées à
perte de vue au parterre, les yeux écarquillés, les visages déformés, l'air enfantin, la bouche bée, le chapeau entre les
jambes : chez les spectateurs parisiens
croqués par Daumier en 1864r, on perçoit une adhésion béate, sans doute provoquée par une scène comique. En choisissant ici, comme dans d'autres de ses
n Croquis pris au théâtre ,, de représenter une telle assemblée, le caricaturiste
fait æuvre des réactions de spectateurs ;
il exprime ou élabore simultanément, à
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",r,.. ilr,? tù,ti$.
l À1 !hr,il,
1..ù.,- trr\t rr\ lili h\ lli:û:!nr'
il.s,
riÈ.,
1. Il s'agit de la planche n"3 de la série des < Croquis pris au théâtre > d'Honoré Daumier, publiée
pour la première fois dans Le Chariuari du 13 février 1864 avec cette légende : < On dit que les
Parisiens sont difficiles à satisfaire, sur ces quatre banquettes pas un mécontent. - II est vrai que tous
,
ces Français sont des Romains.
Lithographie en ligne dans
BnF n Daumier et ses héririers o : exposirions.bnf.Ê/daumier.
le cadre de I'exposition virtuelle de la