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Hourig Sourouzian 13

Hourig Sourouzian 13 LA fAsCInATIon de RAMsès II PouR AMenhoTeP III fig. 1 Les colosses de Memnon et le temple d’Amenhotep III avec, à l’arrièreplan, la paire de colosses récemment redressée par la Mission des colosses de Memnon. © The Colossi of Memnon and Amenhotep III Temple Conservation Project. L a fascination de Ramsès II pour son illustre précurseur Amenhotep III transparaît à travers l’ampleur extraordinaire de constructions comparables en Égypte et en nubie, ainsi que par le nombre inégalé de statues divines, royales et privées produites par les ateliers de pharaon au cours de ces deux règnes particulièrement longs et prospères. Plus que tout, c’est l’omniprésence de la statuaire colossale, où se reflètent l’influence du style et l’emprunt de particularités iconographiques introduites par son prédécesseur, qui témoigne de l’admiration de Ramsès II pour ce glorieux ancêtre. 14 Hourig Sourouzian Amenhotep III, neuvième roi de la XVIIIe dynastie (1391-1353 av. J.-C.), et Ramsès II, troisième souverain de la XIXe dynastie (1290-1224 av. J.-C.), sont connus pour avoir régné longtemps – durée de règnes respectifs de 38 et de 66 ans. L’un comme l’autre jouissent d’une renommée exceptionnelle tant chez les historiens et égyptologues qu’auprès du grand public, grâce à la richesse de la documentation, source d’expositions multiples, de monographies prestigieuses consacrées à leur règne, leur personnalité ou leur œuvre, des essais variés, colloques, films et romans, inspirés du premier, qu’on surnomme Amenhotep III le Magnifique ou le Pharaon-soleil, comme du second, connu comme Ramsès le Grand. Les deux souverains ont accédé au trône tout jeunes. Amenhotep III avait à peine 10 ans à son intronisation, Ramsès II avait une quinzaine d’années. L’Égypte a connu sous le règne d’Amenhotep III l’apogée de sa civilisation et de son expansion. une période de paix et de prospérité que tout successeur n’aurait pu qu’envier. si le règne de Ramsès II est perturbé fig. 2 Les colosses de Ramsès II en façade du grand temple d’Abou simbel. © Courtoisie de sandro Vannini. dès l’an 5 par une campagne contre les hittites, il s’illustre par un traité de paix sans précédent, qui à lui seul peut garantir le maintien de l’ordre universel. Tout en ayant continué l’œuvre de séthy Ier, son père, en complétant les monuments laissés inachevés par celui-ci, Ramsès II semble avoir pris pour modèle Amenhotep III, particulièrement dans ses œuvres de jeunesse et, ensuite, lors des premières célébrations de la fête-Sed, fête jubilaire organisée après 30 ans de règne et ensuite répétée en principe tous les 3 ans. Cet événement qui n’a pas été l’apanage de chaque souverain caractérise précisément ces deux règnes : Amenhotep III ayant célébré trois jubilés dont le premier expressément selon les règles très anciennes, Ramsès II, lui, n’en comptant pas moins de quatorze ! Résidant comme les premiers rois de la XIXe dynastie à Memphis avant d’aménager la capitale près de la nouvelle résidence fondée par son père à Qantir, dans le delta oriental d’où ses ancêtres étaient originaires, il était familier de Memphis et de ses grands temples, ses vieilles institutions, ses vastes nécropoles. L A fA s C I n AT I o n d e R A M s è s I I P o u R A M e n h o T e P I I I Ramsès II connaissait sans doute héliopolis et les carrières de quartzite environnantes de ''la montagne rouge'', connue encore aujourd’hui sous le nom de Gebel el-Ahmar, ainsi que d’autres centres importants où Amenhotep III avait élevé de très grands temples dont certains avaient particulièrement souffert pendant la période de l’hérésie amarnienne. une fois intronisé, Ramsès II s’était acquitté d’y ranimer les cultes et d’y ajouter ses propres monuments. À en croire les représentations qui le montrent comme prince héréditaire lors de certaines cérémonies au temple d’Abydos en présence de son père, par exemple, il aurait accompagné ce dernier dans sa tendre enfance. Quoi qu’il en soit, c’est au moment de son accession au trône, lors d’un grand voyage sur le nil qui allait l’emmener jusqu’à Thèbes pour l’enterrement de son père, qu’il eut l’occasion de rendre visite aux grands lieux saints. Il se rendit ainsi à Abydos où, ayant découvert l’état désolé du temple magnifique que son père avait fait bâtir, il décréta de compléter le monument resté inachevé, d’y relever les statues tombées en ruine, tout en ayant donné l’ordre de démarrer immédiatement les travaux de son propre temple. À Thèbes, il put admirer la grandeur éblouissante de l’œuvre d’Amenhotep III. du nord au sud, les enceintes successives renfermaient des temples extraordinaires dédiés aux grands dieux, parmi lesquels resplendissaient les grandes œuvres d’Amenhotep III. 15 fig. 3 Colosse d’albâtre d’Amenhotep III au IIIe pylône du temple de millions d’années. © The Colossi of Memnon and Amenhotep III Temple Conservation Project. fig. 4 Colosse calcaire de Ramsès II à la porte sud du temple de Ptah à Memphis. © h. sourouzian. 16 fig. 5 (à gauche) Tête de la statue de la grande épouse royale Tiyi accompagnant le colosse d’albâtre d’Amenhotep III au temple de millions d’années. © The Colossi of Memnon and Amenhotep III Temple Conservation Project. Cliché Antoine Chéné. fig. 6 (à droite) Buste de la statue de la grande épouse royale nefertari accompagnant un des colosses de Ramsès II en façade d’Abou simbel. © Centre de documentation de l’Égypte Ancienne. Hourig Sourouzian Au grand temple d’Amon-Rê de Karnak, au centre, hormis l’admiration pour la grande salle hypostyle commencée par son père qu’il s’engageait à terminer, le jeune Ramsès traversait les portes gigantesques des pylônes imposants de la dynastie précédente dont l’actuel IIIe pylône qu’Amenhotep III avait élevé et si richement décoré. Il admirait les colosses de quartzite de taille extraordinaire dont la hauteur n’avait jamais été égalée auparavant, qui s’élevaient devant la porte de l’actuel Xe pylône. À cet endroit, des statues d’Amenhotep fils de hapou, chef de tous les travaux d’Amenhotep III, placées près de celles du scribe royal Paramessou, futur Ramsès Ier et grand père du jeune Ramsès II, veillaient sur le passage de la procession reliant le grand temple d’Amon-Rê au temple de Louqsor pendant la Belle fête d’opet, fête que Ramsès II allait diriger en sa première année de règne. La procession des barques divines aboutissait à Louqsor, temple magnifique érigé par l’illustre précurseur abritant un sanctuaire élaboré équipé d’une grande estrade où chaque année, au plus fort de la crue du nil, Amon-Rê de Karnak régénérait ses forces lors des célébrations festives. une salle y était consacrée à la naissance divine du souverain, avec des scènes de théogamie que Ramsès II reproduira dans son temple funéraire de la rive gauche. L’ensemble était précédé de sanctuaires pour les barques divines, de salles hypostyles et d’une vaste cour à péristyle, propice aux grandes fêtes, prolongée par une imposante colonnade que Ramsès II nouvellement intronisé allait bientôt compléter par une cour bordée de portiques, d’un triple reposoir de barques et d’un majestueux pylône précédé d’une paire d’obélisques à son nom. une profusion de statues colossales dont une partie est l’œuvre d’Amenhotep III et dont Ramsès II s’est manifestement inspiré se sont élevées entre les colonnes bordant la nouvelle cour et devant le haut pylône. La façade en fut décorée de grandes scènes de bataille accompagnées d’inscriptions historiques commémorant la victoire de Ramsès II sur les hittites, lors de la bataille de Qadech en l’an 5, qui sera également illustrée au Ramesseum sur la rive ouest et à Abou simbel. L A fA s C I n AT I o n d e R A M s è s I I P o u R A M e n h o T e P I I I À l’ouest de Thèbes, en cette première année de règne, grand fut l’enchantement de Ramsès lors de la visite des temples funéraires en bordure du désert au pied de la majestueuse montagne thébaine, à commencer par celui de son père tout au nord de la nécropole, à Gourna, temple qu’il fit compléter et qu’il pourvut richement [fig. 13]. Mais, plus que tout, le jeune roi fut subjugué par le temple de millions d’années d’Amenhotep III, l’ampleur de son enceinte, la majesté de son temple principal consacré à AmonRê de Karnak et à ses parèdres Mout et Khonsou. Quels accomplissements admirables que ces colosses à l’effigie du roi assis à l’entrée de l’imposant pylône qui y donnait accès ! [fig. 1] Connus aujourd’hui sous le nom de colosses de Memnon, ces monuments monolithiques de 40 coudées de hauteur – 21 mètres –, taillés dans la belle pierre de quartzite rouge de Gebel el-Ahmar et transportés selon le texte dorsal d’héliopolis du nord jusqu’à héliopolis du sud – Thèbes, dépassaient tout ce qu’il avait vu auparavant. Renouant avec des traditions bien anciennes, chaque colosse était flanqué de statues de la grande épouse royale Tiyi, de la mère du roi Moutemouya et d’une des filles royales. en traversant les vastes cours par les portes des deux autres pylônes que précédaient d’autres paires de colosses royaux respectivement en quartzite et en albâtre polychromés, le jeune Ramsès parcourait une fabuleuse voie processionnelle bordée de sphinx androcéphales gigantesques qui aboutissait à une cour des fêtes encore plus large que celle de Louqsor, aux portiques plus hauts abritant des statues royales dans l’attitude d’osiris, exceptionnellement non momiformes mais en costume officiel, c’est-à-dire portant le pagne-shendjyt – cet accoutrement solennel remis au goût du jour sera observé sous Ramsès II dans les premières cours de ses temples à Thèbes et en nubie. La grande cour menait à une salle hypostyle donnant accès aux sanctuaires des dieux au centre, avec une multitude de statues à leur effigie, à une splendide cour solaire à ciel ouvert au nord, pourvue de dyades représentant le roi en compagnie de divinités solaires et, au sud, au temple funéraire proprement dit, consacré au culte présent et posthume du souverain. 17 Voyez la majesté omniprésente de la déesse léontocéphale sekhmet par ses centaines de statues dont les yeux flambants repoussent tout ennemi du soleil pour protéger le passage du roi-soleil lors des cérémonies et des fêtes-sed [fig. 7]. Là encore Ramsès II s’en inspirera pour faire produire dans les temples du delta de multiples dyades qui le montrent en compagnie de la déesse lionne [fig. 8]. La vaste enceinte renfermait en outre une profusion de sanctuaires et de constructions annexes, jardins, bassins, magasins, trésors, allées processionnelles variées… Le texte d’une stèle de granit noir trouvée remployée dans le temple funéraire de Mérenptah décrit bien la magnificence des édifices d’Amenhotep III, de cette ''forteresse pour l’éternité'' en grès, entièrement revêtue d’or, du sol recouvert d’argent, des portes plaquées d’électrum, … fig. 7 (en haut) sekhmet omniprésente veillant sur le passage du Pharaon-soleil. © The Colossi of Memnon and Amenhotep III Temple Conservation Project. Cliché Abdulrhman nusair. fig. 8 (ci-contre) dyade solaire représentant Ramsès II et sekhmet assis côte à côte dans la cour du temple ramesside de Bouto. © h. sourouzian. 18 Hourig Sourouzian fig. 9 Les colosses d’Amenhotep III à la porte-nord de l’enceinte du temple de millions d’années. © The Colossi of Memnon and Amenhotep III Temple Conservation Project. fig. 10 Le temple de Ramsès II au ouadi es-sebouâ. © h. sourouzian. L A fA s C I n AT I o n d e R A M s è s I I P o u R A M e n h o T e P I I I dans les cours, des statues de divinités zoomorphes et des groupes statuaires à grande échelle, une sculpture monumentale représentant la famille royale à la porte sud de l’enceinte, deux colosses du roi marchant à la porte nord [fig. 9], tous taillés dans une variété extraordinaire de pierres diverses, placés dans une architecture littéralement grandiose, témoignaient d’une très haute qualité artistique et d’une performance technique rarement égalée. Que ne fait-on pour être ''utile aux dieux'' ! or dans ce vaste complexe, des artistes et des artisans s’affairaient, depuis les règnes post-amarniens au lendemain du retour à l’orthodoxie, à restaurer les images d’Amon-Rê et les innombrables mentions de son nom dans les textes dédicatoires, les légendes des scènes et dans le nom d’Amenhotep III. Par exemple, les statues d’Amon décapitées pendant l’hérésie avaient été soigneusement restaurées sous Toutânkhamon. une stèle de l’an 6 de horemheb met en scène une offrande de bouquets par ce roi aux statues de Ptah, sekhmet et Amenhotep III divinisé et consigne la restauration de la rampe menant à la cour péristyle. À maints endroits du temple, séthy Ier avait ajouté des textes de renouvellement sur des stèles de victoire qui longeaient les passages et sur des socles de statues. Cette restauration sera poursuivie sous le règne de Ramsès II, et même au-delà, pendant les premières années de son fils et successeur Mérenptah, jusqu’à la destruction du temple par un puissant séisme sous ce même règne. L’apparition du couple royal parmi les représentations de célébrations de fêtes, particulièrement de la fête-sed à Thèbes et à soleb [fig. 11] sous le règne de l’illustre modèle, sera également adopté par l’émule. on sait par la correspondance officielle retrouvée dans les archives de Tell el-Amarna qu’Amenhotep III avait contracté des mariages diplomatiques avec des princesses étrangères – deux princesses mitanniennes, une babylonienne, et peut-être une quatrième. Ramsès II suivra cet exemple en épousant la fille du roi hittite peu après le traité de paix signé avec l’empire hittite. Arrivée en Égypte, cette princesse fut appelée Maât-hor-neferourê et représentée par une statue accompagnant un colosse de Ramsès II retrouvé à Tanis. 19 Ramsès II produisit à son tour des colosses de taille extraordinaire, dans ses temples du delta, à Pi-Ramsès, héliopolis, Memphis [fig. 4], Abydos, Thèbes et jusqu’en nubie [fig. 10]… Les deux temples d’Abou simbel calquent ceux de soleb [fig. 11] et sedeinga construits au cœur du soudan pour la divinisation d’Amenhotep III et de son épouse Tiyi respectivement. Ramsès II y répond par des colosses fantastiques qui servent d’hypostases aux dieux en façade de son grand temple [fig. 2] tandis que des colosses imposants alternant avec ceux de son épouse nefertari, associée à hathor, décorent la façade du second. Ainsi, tout comme le puissant précurseur divinisé de son vivant, l’émule le sera à son tour. Maître du jubilé comme Rê, image de Rê, l’élu de Rê, voici des épithètes qui caractérisent la solarisation du souverain. La période jubilaire de Ramsès II sera aussi caractérisée par des restaurations et des aménagements dans des grands temples. en font partie des statues de ses prédécesseurs réactivées et réinscrites par Ramsès II, dont un nombre important de celles de son illustre modèle. fig. 11 Temple d’Amenhotep III à soleb. © Courtoisie de Cristian Craciun. fig. 6 Le couple royal participant aux cérémonies de la fête-sed au temple de soleb. © h. sourouzian. Hourig Sourouzian 20 fig. 13 (ci-contre) Les colonnes papyriformes de la salle hypostyle du Ramesseum. © h. sourouzian. fig. 14 (ci-dessous) Le colosse effondré du Ramesseum. © h. sourouzian. fig. 15 (page de droite) Les pieds du colosse effondré de Ramsès II au Ramesseum, ayant inspiré shelley. © h. sourouzian. L A fA s C I n AT I o n d e R A M s è s I I P o u R A M e n h o T e P I I I La fascination pour les grandes figures du passé continue. encore aujourd’hui Amenhotep III et Ramsès II provoquent la grande admiration du visiteur. Qui n’a pas été absolument époustouflé en se trouvant un beau matin ou une nuit de pleine lune devant les colosses du grand temple d’Abou simbel ? Champollion en était ébloui lorsqu’il a tenu, malgré la goutte dont il souffrait, à déblayer l’entrée de ce grand temple et en décrire les splendeurs, ne pouvant se défendre d’un sentiment de tristesse en quittant ce beau monument. À Thèbes, Champollion rend hommage au 21 Ramesseum en le désignant comme ''peut-être ce qu’il y a de plus noble et de plus pur à Thèbes en fait de grands monuments'' et, là où shelley composait son fameux poème Osymandias à la vue du colosse écroulé, Champollion note que ce prétendu colosse d’osymandias est ''un admirable colosse de Rhamsès le Grand'' [fig. 14-15]. Quant aux modèles de ce colosse au temple de l’illustre ancêtre Amenhotep III, Champollion avait contemplé avec mélancolie les vestiges de la glorieuse Thèbes ''plusieurs fois, assis, au lever de l’aurore, sur les immenses genoux de Memnon''. 22 Hourig Sourouzian BIBLIoGRAPhIe sÉLeCTIVe h. eL AChIRIe, J. JACQueT, Le Grand Temple d’Abou-Simbel I, Architecture, CedAe Coll. scient. n° 46, Le Caire, 1984. n. BeAuX, n. GRIMAL (éd.), Soleb VI. Hommages à Michela Schiff Giorgini, Ifao, Le Caire, 2013. L. BeRMAn (éd.), The Art of Amenhotep III: Art historical Analysis, The Cleveland Museum of Art, 1990. B.M. BRyAn, ''The statue program for the mortuary temple of Amenhotep III'', dans st. Quirke (éd.), The Temple in Ancient Egypt. New discoveries and recent research, Londres, 1997, p. 57-81. A. CABRoL, Amenhotep III Le Magnifique, Paris, 2000. J.-fr. ChAMPoLLIon, Lettres et journaux écrits pendant le voyage en Égypte II, BiEg 31, 1909. 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