Université Mohamed KHIDER, Biskra
Faculté des Sciences et de Technologie
Département d’architecture
Master ‘Architecture’
Semestre 1
Histoire de l’Architecture
en Algérie
ème
ème
(XIX et XX siècles).
Cours 5: L’urbanisme et l’architecture en Algérie
durant la période coloniale. Le Génie Militaire (2).
Professeur Azeddine BELAKEHAL
Dessin des villes
(Interventions sur l’Espace Urbain)
Les ingénieurs du Génie militaire avaient dû intervenir sur l’espace urbain par:
•La création de nouvelles villes.
•Le
réaménagement
préexistantes),
et/ou
extension
des
anciennes
villes
(Médinas
Création de nouvelles villes
La régularité: Un Impératif ?
1849: Décision de la création de 42 centres de colonisation.
Le Plan de Création du centre de Colonisation: Dossier comprenant le dessin
du centre et ses composantes (rues, place centrale, lots pour usage
d’habitation, lots voués au jardinage et lots destinés à l’agriculture).
Les lots des villages sont plus grands que ceux des villes et permettent donc
de distinguer entre les deux.
Les lots sont répartis, par les ingénieurs du Génie et des géomètres, en
fonction de la qualité des terres, de la proximité du centre, et de l’accès au
réseau des routes et des chemins. Dans un dernier temps, la règle a été de
répartir ces lots en fonction de la distance à la maison.
A cet ensemble, sont généralement rajoutées, en extra-muros, des fermes de
taille importante, isolées, mais dont la protection relève de l’ensemble fortifié.
Construction des premiers centres de colonisation:
1. L’armée prend en charge les travaux en guise d’entrepreneur:
•Tracé du village,
•Pavage ou empierrement de certaines rues,
•Plantations,
•Pose des égouts,
•Pose des conduites d’eau, et
•Construction de l’enceinte.
•Réalisation de quelques équipements publics (fontaine, lavoir, abreuvoir, et
parfois l’église, l’école et la mairie).
2. L’armée fournit les matériaux de constructions aux colons mais ne construit
que peu de maisons.
Une fois que la construction des premiers
établissements militaires est achevée ainsi
que la réfection des routes et des ponts, une
pépinière est établie à l’extérieur des villes.
Cette pépinière constituera la ressource pour
les plantations des rues, des esplanades et
des places. Plus tard, cette pépinière fera
partie de la ville et deviendra un jardin
public.
Ceci illustre l’importante place accordée à
l’arbre qui est l’un des éléments permettant
de reconstituer un espace familier pour les
Européens.
L’arbre est toujours présent dans la
conception des centres de colonisation
à travers les plantations dans ses
diverses
composantes
(fermes,
esplanades, places, rues et allées).
Savoirs des ingénieurs du Génie sur la ville:
Les ingénieurs du Génie militaire adoptent les mêmes idées sur la ville largement
développées au cours du 18ème siècle:
•Offrir une circulation plus aisée, et
•Assurer de bonnes conditions d’hygiène.
Ainsi, la ville propre, aérée et ordonnée devra enserrer des:
•Voies plus larges,
•Carrefours plus vastes,
•Promenades et des jardins mieux répartis,
•Rues pavées, et
•Réseaux d’évacuation des eaux.
Mais les ingénieurs du Génie
s’écartent
des
architectes,
spécialistes de l’Esthétique ainsi
que
du
Beau,
et
qui
recommandent:
• La
non-exagération
de
la
régularité en évitant l’excès en
matière
de
symétrie
et
d’uniformité, et
• L’adoption
d’un
compromis
entre l’ordre et la bizarrerie au
moyen d’un rapport équilibré
entre la symétrie et la variété.
Cette variété, préconisée par les
architectes
et
permettant
d’échapper à l’excès de régularité,
s’obtiendrait par l’utilisation des
figures
géométriques
variées
suivantes:
•L’étoile,
•La patte d’oie,
•Les routes en éventail, et
•Les
Les voies en épis.
Donc, les ingénieurs du génie militaire rejettent les dessins ‘à effet’ et les figures
‘compliquées’, tout en retenant la mise en ordre des villes et le souci pour
l’hygiène et le confort:
La régularité:
•Solution technique simple,
•Rapide à mettre en œuvre,
•Permettant d’accueillir avec
facilité
des
complexes
programmes
(juxtaposition
d’équipements militaires et
civils, et la construction sur
le
même
espace
des
immeubles urbains ou des
maisons rurales).
A cet effet, l’adoption de la régularité par les ingénieurs du Génie militaire a
fait émerger quelques règles communes pour la création de villes nouvelles
ou bien les transformations des anciennes villes:
1. Adopter le schéma de la croix Nord-Sud et Est-Ouest
2. Se rapprocher le plus d’une figure régulière pour tracer le périmètre de la
ville; ce dernier qui permettra de:
•Donner cette régularité à l’assiette de la ville, ses rues et aux plans de
maisons, et
•Offrir un ratio correct entre la surface et le périmètre de l’enceinte.
3. Limiter la longueur des rues,
4. Offrir des lots de forme simple facile à construire,
5. Proposer des parcelles à façade modérée.
La régularité est admise par tous comme étant la meilleure solution technique
et n’est délaissée, comme choix pour le tracé des villes, uniquement lorsque
des impératifs de meilleure défense in situ se présentent.
Les villes sont entourées d’une enceinte et chaque parcelle de sol a une
grande valeur. La répartition des surfaces avec rationalité est donc
indispensable.
Ainsi, la régularité deviendrait l’outil le plus efficace pour:
•Economiser le sol utilisé, et
•Limiter les dépenses d’aménagement de l’espace public.
Le tracé régulier assure la meilleure maîtrise du rapport entre la surface de
l’espace public et celle des concessions privées.
Il est donc question d’une efficacité Comptable.
La gestion des travaux nécessaires à la construction de la ville et l’évaluation de
ses coûts, exige de l’ingénieur qu’il soit prêt, à tout moment, de pouvoir
dénombrer ses éléments:
•Surface des espaces publics,
•Linéaire du mur d’enceinte,
•Surface occupée par les différents équipements,
•Nombre de logements pouvant être réquisitionnés, et
•Nombre d’arbres à planter.
Recommandation des officiers du Génie de délimiter le périmètre extérieur
des lots en vue de:
•Réduire la longueur de clôtures à réaliser, et
•Obtenir, le plus possible, que les maisons situées à l’alignement
forment la limite de propriété.
Recommandation des officiers du Génie de:
•Réduire la largeur des rues lorsqu’elles sont exagérées.
Conception de l’organisation de la ville avec économie: Un souci partagé par le
colon.
Le colon participe, en tant que propriétaire, au financement du mur d’enceinte
en fonction de la longueur de la façade de sa maison.
Conception de l’organisation de la ville
avec simplicité: Une stratégie de
gestion temporelle continue du projet.
La simplicité du tracé permettrait une
meilleure transmission d’un projet
engagé d’un ingénieur à un autre :
•Car, un ingénieur du génie n’est gardé
à son lieu de travail qu’une année ou
deux,
•D’ailleurs, aucun projet n’est signé, le
concepteur est anonyme, et
•Vu
que
les
systèmes
de
représentation doivent obéir à des
règles.
Plan pour la ville de Sétif, 1844.
La mise en œuvre des projets de ville est confiée aux officiers du génie militaire
qui sont chargés de :
•Répartir des différentes populations et divers équipements sur le plan
de la ville, et
•Faire impliquer les futurs acteurs de la ville, selon des conventions, dans
les différentes actions autour de la ville ‘régulière’,
L’avantage de la forme régulière:
•Facilité de modifier, en fonction des négociations, l’emplacement de
chaque édifice public jusqu’à ce qu’un compromis soit obtenu,
•Répartition égale et juste des colons (Approche respectueuse des idées
saint-simoniennes du Progrès Social),
•Hiérarchisation des différents espaces publics de la ville par la largeur
des rues, l’utilisation des plantations ou des arcades.
Au-delà de la forme régulière: Un souci pour la Paysage Urbain
Les ingénieurs du Génie militaire s’intéressent à la composition du paysage
urbain même si leur principal souci est de tracer des villes ‘régulières’.
Ainsi, le plan d’une ville doit être simultanément:
•Régulier, mais
•Pouvant s’adapter au relief particulier du lieu notamment pour des
raisons de défense.
L’utilisation de la régularité
est associée à une pensée
pragmatique, propre
ingénieurs
militaire,
du
soucieux
aux
Génie
de
s’adapter à la spécificité du
lieu:
•Déformation
des
plans
pour des questions de relief,
•Volonté de ménager une
partie de l’existant,
•Hiérarchie de la trame, et
•Souci
paysages.
de
créer
des
La pratique de la fortification et celle
des levés topographiques forment les
ingénieurs du génie militaire à :
•Maîtriser, de la meilleure façon
possible,
l’occupation
d’un
terrain, et
•Tirer profit du relief
pour
organiser un paysage.
Une Régularité sans Monotonie:
Le recours à la régularité a été accompagné par l’usage fort marqué de la
centralité et une hiérarchisation du tracé impliquant:
•Répartition de places de différentes dimensions,
•Utilisation des plantations,
•Ordonnancement et des arcades, et
•Implantation des différentes équipements.
La volonté des ingénieurs du Génie militaire de créer une ville égalitaire et un
espace urbain composé selon les règles classiques fera de sorte que le parcellaire
soit découpé, sous encadrement du génie militaire, selon une hiérarchie:
1. Le long des rues principales, plus larges, plantées d’arbres et souvent bordées
d’arcades:
•Des parcelles étroites (entre 5 et 10 m de largeur), et
•Des immeubles de plusieurs niveaux organisés autour de petites cours.
2. Le long des rues secondaires:
Des parcelles larges (20m sur 30 à 40 m de profondeur), et
Des maisons plus rurales.
Adaptation du modèle sur le terrain:
L’exemple de Sidi Bel Abbès.
Programme civil et militaire de la Place envoyé par le Gouverneur (1847):
•Terrain à occuper (Plateau élevé de 8 à 10m),
•Fortifications à réaliser,
•Equipements publics à construire,
•Lots à concéder,
•Rues et places pour coordonner le tout.
Un plan d’alignement qui peut être tracé sans obstacles sur un terrain plat
idéal.
Projet pour la ville de Sidi Bel Abbès (1847) dressé par le chef du Génie de la
place:
•Lots d’immeubles et d’habitations résidentiels (civils): numérotés et divisés en
parcelles, à droite du plan.
•Lots pour équipements civils et militaires: désignés par des lettres (J’:
presbytère; J: église; W: mairie; OE: école; AE: théâtre; AE’: tribunal; O: marché; V:
prison; A: hôpital militaire; E, C, F, D: casernes; B: parc d’artillerie; T, Q, R, X: logements et
mess des officiers).
Plan du territoire de colonisation de Sidi Bel Abbes (1849) montrant son
découpage en:
•Lots urbains,
•Jardins autour de la ville, et
•Lots agricoles (vastes terrains réservés à l’exploitation).
Tracer l’enceinte; des directives supérieures à respecter:
•Bien occuper le plateau afin qu’aucune partie du terrain environnant
n’échappe à la vue,
•Elever un mur crénelé, flanqué de bastions de 2m50 de haut,
•Précéder ce mur d’enceinte par un fossé de 3m de profondeur,
•S’éloigner le plus possible des figures irrégulières qui donneront au tracé
et à l’assiette de la ville la même irrégularité,
•Localisation du plus grand axe, et le plus grand côté de la ville, dans le
sens de la vallée afin d’échapper à toute enfilade de la part de l’ennemi
placé sur les montagnes.
La structure retenue pour le tracé de la ville en 1847 est présentée ainsi par le
chef du Génie militaire:
Gestion du dessin de la ville:
Une répartition précise des différentes surfaces, totalisant 42 ha, est proposée
par le chef du Génie en 1847:
•Etablissements militaires: 16 ha,
•Installations des concessions civiles: 10 ha,
•Rues et places: 11 ha, et
•Fortifications: 05 ha
Des modifications sont apportées au plan dès 1848 et portent essentiellement
sur la localisation des équipements publics civils et en particulier l’église. Cette
dernière est préférée être située loin des établissements de l’Etat.
Ceci reviendrait éventuellement au fait que:
•La colonisation de l’Algérie n’est pas véhiculée par la religion, et
•L’appartenance d’un partie des officiers du Génie au mouvement saintsimonien.
La possibilité de ne pas séparer strictement les établissements militaires et civils
est déjà exprimée par le chef du Génie militaire en 1847:
La flexibilité du plan à tracé régulier:
Le chef du Génie militaire a pu proposer un découpage très régulier en
conséquence à :
•La très grande régularité du plan de Sidi Bel Abbès, et
•La composition du projet en une seule étape.
Le découpage parcellaire initial est comme suit:
•Des îlots, de 40m sur 90m, découpés en 10 parcelles,
•Les parcelles sont égales et ont 18m de façade sur 20m de profondeur.
Ce découpage préétabli n’est pas respecté à la lettre. Chaque colon achetait la
surface dont il a besoin et qu’il est en mesure de payer:
Ce découpage préétabli peut être, quand même, décelé sur le plan cadastral
actuel, tout relevant les transformations suivantes:
•Redécoupage des parcelles en deux parties égales et plus petites (9m en
façade et 20m de profondeur),
•Fusion de deux parcelles pour recevoir des établissements encombrants
(équipements collectifs par exemple),
•Remplissage systématique des parcelles par des bâtiments organisés
autour d’une cour (édifice principal le long de la rue et des constructions
secondaires au cœur de la parcelle desservie par une coursive).
Dépassement du plan régulier initial:
Les ingénieurs dessinent des plans pour un pays en guerre et fixent donc ses
dimensions pour une durée de vie d’une dizaine d’années en réponse à des
contraintes de sécurité.
Cependant, l’extension de ce plan est prévue dès son tracé initial illustrant la
conscience des ingénieurs du Génie militaire des modalités de la mutation du sol
urbain.
La ville s’étendra hors les murs sur le parcellaire des maraîchers et des lots de
culture.
Sidi Bel Abbes est un bon
exemple
de ce processus. Le
territoire en dehors de l’enceinte
est défini en même temps que le
tracé de la ville.
Sidi Bel Abbes est un bon exemple de ce processus:
•Certains équipements sont localisés en dehors des murs d’enceinte
de la ville.
•Le réseau des routes reliant la ville au reste du pays définit aussi
l’urbanisation des faubourgs.
•La structure du territoire est fixée dès le projet de 1854.
•La trame du lotissement, au sud de la ville, est définie en continuité
avec l’orientation des voies du centre colonial.
•Le jardin et les pépinières se transformeront en espaces publics.
•Les traces d’une promenade plantée subsisteront dans les
lotissements ultérieurs.
•Les différentes routes d’accès à la ville établissent la base du
développement futur de la ville.
L’évolution de la ville se déroulera
comme
l’avaient
envisagée
les
ingénieurs du Génie militaire:
•1845: Création du camp de
colonisation,
• 1854: Autorisation, par les autorités militaires, de
bâtir des constructions légères sur la première zone
de servitude bordant le mur d’enceinte,
• 1866:
Achèvement
de
la
construction
des
concessions civiles et remise de deux îlots militaires
au Domaine qui les a vendu aux privés,
• 1873: un village indigène est crée dans les faubourgs
au-delà du champs de manœuvre,
• 1880: Date de démarrage de la substitution
successive des premières maisons modestes des
colons par des immeubles de deux étages et plus, et
des maisonnettes en bois des jardiniers, dans la zone
non
aedificandi,
maçonnerie.
par
des
constructions
en
1920: Disparition définitive de l’enceinte:
• Les faubourgs forment une seule ville avec le premier centre de
colonisation,
• Les boulevards tracés sur le glacis de l’enceinte constituent une coupure
entre les deux ensembles,
• La régularité du plan dessiné pour les quartiers centraux n’est pas
prolongée à l’extérieur de l’enceinte,
• C’est aussi l’époque où les modèles urbains ont complètement changé.
Bibliographie:
MALVERTI Xavier (1994), Les officiers du génie militaire et le dessin des villes en
Algérie (1830-1870). Revue du Monde Musulman et de la Méditerranée, N° 73-74
(‘Figures de l’Orientalisme en Architecture), Ed. EDISUD, Aix-en-Provence, pp.229244.
Disponible
sur:
https://www.persee.fr/doc/remmm_09971327_1994_num_73_1_1679