EVALUATION DE LA VEGÉTATION
LIGNEUSE DU LITTORAL
MAURITANIEN
ENTRE 16° 30 N ET 18° 30 N
EN 1986
Xavier JAOUEN
Résumé
Le littoral mauritanien est baigné par un climat original qui surimpose aux caractéristiques de climat sahélien
(pluies faibles décroissantes du sud au nord, essentiellement saison chaude) des conditions déterminées par la présence
de l’océan : une transgression quasi quotidienne d’un air marin frais, humide et chargé en aérosols salés.
Des comptages des plantes ligneuses ont été réalisés en 1986 sur des surfaces de 1 ha réparties le long de 7
transects ouest-est disposés du nord au sud. Ils ont montré que la végétation pérenne a une densité largement supérieure
à ce qui s’observe plus à l’intérieur, essentiellement en raison de l’abondance de Euphorbia balsamifera Ait. La
population locale de cette espèce dessine la limite est de la zone sahélo-littorale du point de vue botanique.
Campement près de Tenzakt. Abondance des Euphorbia balsamifera. Quelques plants de Maerua
crassifolia
Le naturaliste qui parcourt le littoral mauritanien pour la première fois ne peut qu’être étonné
par la densité de la végétation arbustive installée sur les dunes continentales. QUEZEL (1965),
citant ZOLOTAREVSKY et MURAT note que « le couvert ligneux des zones sableuses à
Euphorbia balsamifera constitue des groupements assez curieux ». Les mêmes ZOLOTAREVSKY
et MURAT (1938) décrivent le couvert végétal des dunes proches de la mer comme un « hallier à
Euphorbes et Commiphora », expression qui illustre la densité de ces arbustes.
En effet, la végétation de la bande côtière, sur la bordure ouest de l’erg du Trarza qui occupe le
sud-ouest mauritanien, présente une structure bien différente de ce qui s’observe par ailleurs dans la
bande sahélienne, caractérisée par l’abondance des végétaux ligneux.
Constatant que cette végétation arbustive est le caractère le plus original de cette région, j’ai
essayé de déterminer son ampleur et son extension. Pour ce faire, j’ai réalisé des comptages des
arbustes le long d’une série de 7 transects ouest-est échelonnés le long du littoral, depuis le nord de
la ville de Nouakchott, jusqu’à la bordure de la vallée du fleuve Sénégal.
Ce travail, effectué en septembre-octobre 1986, représente un état des lieux à cette époque qui,
à la fin d’une longue période de sécheresse, n’est pas représentative des conditions climatiques
moyennes, mais fournit des données en quelque sorte « a minima » qui pourront être comparées à
des mesures effectuées en conditions climatiques plus favorables.
I) LE CADRE GEOGRAPHIQUE
A) Une région à la géomorphologie très simple.
Le sud-ouest de la Mauritanie est occupé par un vaste erg : l’erg du Trarza. Constitué surtout de
cordons (alab, sing. Elb) de dunes fixées, mais aux crêtes largement remaniées dans le nord, Il ne
rejoint pas la mer, mais en est séparé par une longue dépression, l’Aftout es Saheli. Celle-ci, qui
relie la plaine estuarienne du fleuve Sénégal (au sud) à la vaste sebkha N’Dghamcha (au nord), est
constituée de terrains salés et sableux, souvent sous le niveau de la mer, dont la végétation a été
traitée par ailleurs (JAOUEN, 2019). Elle n’est pas incluse dans cette étude en raison d’un
déterminisme édaphique très important.
Le secteur étudié se situe en totalité sur les la bordure occidentale de l’erg du Trarza, avec
toutefois quelques points de mesures dans les « dunes jaunes » du Zbar, le cordon littoral courant du
nord au sud. Ces dunes jaunes , anciens cordons littoraux ayant subi une légère rubéfaction, sont
similaires aux « dunes rouges » de l’erg du Trarza, en ce qui concerne le couvert végétal.
L’erg du Trarza est constitué de dunes ogoliennes, mises en place lors de phases arides du
quaternaire récent (ELOUARD, 1973). Ses sables ont subi une rubéfaction lors des périodes
humides suivantes, en particulier au tchadien et nouakchottien (op. cit. ) d’où la coloration assez
Figure 1
soutenue de ces dunes communément appelées « dunes rouges ». Son organisation en puissants
alab nord-est sud-ouest séparés par de longs goud, est perturbée en bordure de l’Aftout es Saheli
par des remaniements en cordons littoraux lagunaires d’orientation nord-sud (COUREL et al. 1996)
qui dominent l’Aftout es Sahéli de quelques mètres en un relief appelé Dhar.
Le littoral mauritanien dans la zone d’étude, présente les formations successives depuis la mer à
l’ouest jusqu’aux dunes continentales :
- Un cordon littoral plus ou moins large, le Zbar, dont la végétation halophile est exclue de cette
étude.
- La longue dépression salée de l’Aftout es Saheli, large en moyenne de 5 kilomètres,
également exclue de cette étude.
- Le Dhar : front de l’erg du Trarza (le mot dhar désigne en fait «le « dos »), constitué de sables
ogoliens rubéfiés, dont les crêtes nord-sud sont souvent ravivées dans la même direction par
l’alternance des alizés continentaux de nord-est et les alizés maritimes de nord-ouest, qui sont les
vents dominants et les plus actifs car les plus puissants.
- enfin, l’erg du Trarza, constitué de sables ogoliens organisés en longs cordons nord-est sudouest, aux crêtes le plus souvent fixes au sud de 17°30 N, et d’autant plus remaniées que l’on se
dirige vers le nord.
Les sols observés sont qualifiés de « désertiques d’apport éolien » au nord, mais au sud de 17°
30 N environ, les dunes sont de plus en plus couvertes de sols isohumiques, dotés d’une faible
teneur en matière organique (1%), dont la teneur en ions Na + peut être notable en bordure de
l’Aftout es Saheli (SALKA M/ BILAL, 1987).
On peut donc dire que le cadre édaphique de la zone étudiée est tout à fait banal pour cette
latitude : les ergs sont largement répandus au nord de la bande sahélienne et plus particulièrement
en Mauritanie (Trarza, Aouker de l’Ouest, Aouker du Hodh, etc.). L’originalité régionale n’a donc
pas une cause édaphique, et c’est donc vers le climat qu’il nous faut nous tourner pour comprendre
l’organisation de la végétation ligneuse.
B) Un climat original
Du point de vue climatique, la région étudiée mérite doublement le qualificatif de « sahel », qui
signifie « rivage » : il s’agit à la fois du rivage de l’océan, mais aussi du rivage du Sahara. Sa
particularité climatique, raison de son originalité végétale, réside dans la présence de 2 gradients
orthogonaux : un gradient pluviométrique en latitude, classique dans la bande sahélienne ; et un
gradient d’humidité atmosphérique ouest-est qui lui est particulier.
Le gradient pluviométrique
A l’instar de l’ensemble de la bande sahélienne, cette portion du littoral mauritanien subit une
décroissance des pluies annuelles du sud vers le nord, avec 346,9 mm.an -1 à Saint Louis du Sénégal
(16° N) et 138,4 mm.an-1 à Nouakchott (18° 05’ N) (données ASECNA sur la période 1930-1960 in
CHAPERON 1973), aggravée par une diminution drastique de la pluviosité durant la période 19721987 : sur les 5 années 1981-1985, les pluies ne sont que de 220 mm.an -1 à Saint louis du Sénéagal,
et de 40 mm.an-1 à Nouakchott.
Remarquons tout d’abord que ce travail a été réalisé après une longue période sèche, qui a vu
deux années sans pluies efficaces à Nouakchott : 1977 et 1983 (données ASECNA). La végétation
que j’ai observée avait subi un stress hydrique prolongé et n’était pas dans son meilleur état, avec
une forte mortalité par endroits.
Il est classique de placer la limite climatique entre Sahara et Sahel autour de l’isohyète 150
mm.an-1 ou 100 mm.an-1(OZENDA, 1991) , ce qui place Nouakchott au niveau de cette limite
variable suivant les auteurs. Avec une autre méthode, si le diagramme ombrothermique de
Nouakchott, dans la décennie 1950 montre une courte mais réelle saison humide, caractéristique du
climat sahélien, cette saison humide a disparue dans la décénie 1970 (A. Mt/MOHAMED SALEH,
1984). Mes observations botaniques de 1983 à 1987 m’ont montré que les groupement sahéliens,
constitutifs de l’Acacio-Aristidion peuplent les dunes de l’Amoukrouz, au nord de Nouakchott et au
sud de la sebkha N’Dghamcha (JAOUEN 2019), plaçant ainsi toute la zone étudiée dans le
domaine sahélien.
On peut retenir de ce gradient, que l’eau issue des pluies est de moins en moins disponible
quand on monte vers le nord, ce qui bien sur n’est pas sans influence sur la végétation, tant annuelle
que pérenne.
Le gradient d’humidité
Une importante originalité du climat local est la présence presque permanente d’un front des
alizés entre deux masses d’air aux caractéristiques différentes : un air continental et un air maritime.
Le premier est issu de l’anticyclone saharien, extrêmement sec (des teneurs en eau inférieures à
10 % en milieu de journée ne sont pas rares, cf. figure 2), animé d’un vent de nord-est (harmattan),
très chaud (Irifi) ou froid (El Barad) suivant les saisons . L’air maritime, issu de l’anticyclone des
Açores, est toujours humide, allant jusqu’à la saturation en cours de nuit avec possibilité de
brouillards et dépôt de rosée. Animé par des vents de nord à nord-ouest souvent puissants (Jriha), il
reste toujours frais, refroidi par l’océan dont l’up-welling presque permanent entretient la remontée
d’eaux profondes froides ( LANJAMET 1988).
Le front séparant ces deux masses d’air se déplace en permanence, gagnant vers l’est en
cours de journée et repartant à l’ouest, au dessus de l’océan au matin.
La figure 2 illustre l’alternance des ces deux masses d’air au niveau de Tevragh Zeina, quartier
situé au nord-ouest de la ville de Nouakchott.
Figure 2 : Enregistrement de la température et de l'humidité à Tevragh Zeina du 21 avril au 28
avril 1986
Si nous considérons la journée du 25 avril, on remarque qu’elle débute dans l’air maritime,avec
une teneur en eau proche de la saturation accompagnée d’une température fraîche (17°C).
Dès le lever du soleil, vers 8 heures, la température remonte rapidement en même temps que
l’humidité diminue brutalement. Le front des alizés s’est déplacé vers l’ouest, sur l’océan, laissant
la place à l’air continental dont la teneur en eau s’éloigne de la saturation pendant que sa
température augmente (maximum de 34°C à 12 heures.
A 12 heures nouveau passage du front des alizés, vers l’est cette fois, accompagné d’une baisse
brutale de la température de 4° C, baisse qui se poursuit en même temps que l’hygrométrie
augmente jusqu’à rejoindre la saturation au cours de la nuit.
La journée du 22 avril montre un balancement du front des alizés au dessus du poste
d’enregistrement répété à plusieurs reprises entre midi et minuit.
Ce balancement des masses d’air est caractéristique des saisons intermédiaires (mi-septembre à
mi-décembre, et de mars à juin. Les positions extrêmes du front des alizés dépendent du rapport de
puissance entre les deux anticyclones en cause, mais on peut admettre que la durée de stationnement
de l’air maritime est d’autant plus longue qu’on se trouve à l’ouest. Au delà d’une cinquantaine de
kilomètres de la côte, sa présence est anecdotique.
En période froide (mi-décembre à février), le front des alizés stationne presqu’en permanence
au dessus de l’océan, l’air continental animé de puissants vent d’est occupant entièrement la place.
En saison d’ »hivernage » (juillet à mi-septembre), la remontée du FIT (front intertropical) vers le
nord, dépassant Nouakchott, remplace le duo de masses d’air précédent par une masse d’air
tropicale et humide issue de l’anticyclone de Sainte Hélène.
La présence épisodique de l’air maritime sur le secteur côtier a une conséquence importante
pour les végétaux : une réduction de l ‘évaporation. On note 2038 mm.an-1 à Nouakchott, contre
3240 mm.an-1 à Tidjikja et 3380 mm.an-1 à Kiffa, à des latitudes comparables (données ASECNA
1968-1984, in M. Mt/EL MOUNIR, 1986).
En résumé, superposée à une diminution progressive des pluies vers le nord, condition générale
de la bande sahélienne, la réduction de l’évaporation grâce à la présence régulière de l’air maritime
humide constitue l’originalité principale de ce secteur si particulier du Sahel. Cette originalité se
traduit par une abondance marquée de la végétation ligneuse et par la répartition de quelques
espèces montrant une affinité pour le littoral : Tetraena gaetulum var. waterlotii, ou Euphorbia
balsamifera (cf. fig. 1).
II) METHODE DE COMPTAGE
L’objectif de mon travail étant de montrer comment la végétation ligneuse exprime les deux
gradients climatiques qui font l’originalité de la région, j’ai réalisé une série de transects ouest-est,
échelonnés du nord au sud.
Le long de chaque transect, j’ai réalisé un comptage tous les 5 kilomètres environ, jusqu’à
dépasser vers l’est la limite de la « nappe » d’Euphorbia balsamifera, considérant cette espèce
comme un marqueur de la bande littorale.
Les transects sont espacés en latitude de 20 à 30 kilomètres, de façon à évaluer comment le
caractère littoral de la végétation ligneuse est modifié (ou pas) par la pluviosité.
Remarquons que ce travail de terrain a été réalisé en 1986,à un moment où la géolocalisation
par satellites (systèmes GPS ou Galileo) n’existait pas. C’est donc avec les cartes IGN au 1/200
000ème de Nouakchott, Nimjad et Saint Louis du Sénégal que j’ai positionné les transects. Pour cela,
j’ai choisi comme point de départ un élément remarquable du paysage (dune remarquable) bien
identifié sur les cartes. Dans un paysage entièrement dominé par les formations meubles, avec une
échelle cartographique assez réduite de 0.5 cm pour 1 km), le positionnement obtenu peut être
approximatif à un kilomètre près. La nécessité de trouver un point de départ suffisamment
remarquable et identifiable explique l’écart variable en latitude entre les transects.
De même, le long de chaque transect, la distance de 5 km entre les points de comptage a été
déterminée par le compteur kilométrique du véhicule utilisé, ce qui, sur des dunes vêtues d’une
végétation dense, éventuellement remaniées et en dehors de toute voie préexistante, peut être assez
imprécis.
Chaque point de comptage est une surface de un hectare, située sur le flanc nord d’une dune au
relief peu marqué. MOSNIER (1963) a montré qu’une telle surface est suffisante en milieu sahélien
pour un échantillonnage quantitatif de la végétation. Pour éliminer des conditions stationelles
perturbatrices, il était nécessaire d’éviter les crêtes éventuellement remaniées, ainsi que les bas de
pente qui bénéficient d’une sur alimentation. Dans les cas où la végétation arbustive était très
abondante (cf photographie en-tête), le comptage des espèces les plus banales a été réalisé sur 1/4
ha, mais l’inventaire général a toujours été poussé jusqu’à 1 ha, de manière à dénombrer les espèces
plus rares (Adenium obesum, Combretum aculeatum, etc...). Ces espèces n’ont qu ‘un rôle
anecdotique dans le paysage, même si elles sont biogéographiquement significatives. Par ailleurs, il
est souvent difficile d’augmenter la surface d’échantillonnage au-delà de 1 ha tout en restant dans
un milieu homogène.
Pour certains transects (Beïla, Pk 25, Taniziert et M’bero) le point occidental est placé dans le
cordon littoral : les dunes jaunes qui représentent d’anciens cordons littoraux légèrement rubéfiés
portent les mêmes groupements végétaux que la bordure voisine de l’erg du Trarza (JAOUEN 2019)
Les
végétaux
dénombrés sont rangés
en 3 catégories de
taille : de moins de 1
mètre, entre 1 et 2
mètres, plus de 2
mètres. Une classe
supérieure à 5 mètres
avait été envisagée,
mais je n’ai pas noté de
végétaux de cette classe
dans les aires de
comptages. Seules 4
espèces présentes dans
la
région
étudiée
dépassent régulièrement
cette taille : les trois
Figure 3 emplacement de comptages
palmiers Phoenix dactylifera, Borrassus flabelifer et Hyphaene thebaica, ainsi que le baobab
Adansonia digitata.
III RESULTATS
A) Présentation et résultats
Les résultats sont présentés sous forme de diagrammes standards (figures 4 à 9), identiques
d’un transect à l’autre, la liste d’espèces étant toujours identique. De même, l’échelle des graphes
est identique de l’un à l’autre. La numérotation des graphes va d’ouest en est dans chaque transect.
La figure 10 récapitule le nombre d’arbustes en fonction de la distance à l’océan, en prenant en
compte toutes les espèces ainsi que « toutes les espèces autres que Euphorbia balsamifera ». Les
plants morts ont également été pris en compte séparément.
1 : Observations générales
Toutes espèces confondues, la densité arbustive est très élevée en comparaison des évaluations
qui en ont été faites ailleurs dans le Sahel mauritanien. Les points de comptages les plus à l’ouest
sont au dessus de 500 plants.ha-1 sauf à Teffourtes et Beïla, où la densité demeure toutefois
nettement supérieure à 100 plants.ha-1 ( 32 plants à Tiguent 6, et 1181 à M’Béro 2). Seuls 7
placeaux comptent moins de 100 individus, ces placeaux étant tous situés en dehors de la zone à
Euphorbia balsamifera, à l’est des transects.
Dans le Hodh (Est mauritanien), BOUDET et DUVERGIER (1961) ont noté :
sur dune à faible relief : 29 ligneux, dominés par Acacia tortilis (17 pieds), auxquels s’ajoutent
Balanites aegyptiaca (5), Leptadenia pyrotechnica (4) et Commiphora africana (2).
Sur dune à relief marqué : 44 ligneux, dominés à égalité entre Acacia tortilis et Leptadenia
pyrotechnica (15 pieds) puis Balanites aegyptiaca (7) Commiphora africana (5) et Acacia senegal
(2).
Dans le Brakna (Mauritanie centre-sud) MOSNIER (1962) a compté 118 arbustes sur une
dune de la région de Mal, dont Leptadenia pyrotechnica (63), Combretum aculeatum (21),
Balanites aegyptiaca (10), Acacia senegal(9) et Commiphora africana (5).
Dans le Ferlo sénégalais, à Fété Olé, BILLE (1971) a compté entre 64 et 108 arbustes par
hectare sur dune à relief peu marqué, avec une moyenne de 84.5. Les espèces dominantes étant
Balanites aegyptiaca et Guiera senegalensis.
La densité des arbustes est bien plus variable sur le littoral mauritanien qu’à Fété Olé :
coefficient de variation de 36.9 contre 1.74 à Fété Olé, dans une zone, il est vrai, géographiquement
plus réduite (25 km²).
Si on retranche le nombre d’Euphorbia balsamifera, espèce très largement dominante à l’ouest
des transects, les différences ouest-est s’amenuisent (fig. 10, traits interrompus), mais les chiffres
observés sont élevés, dépassant la centaine, sauf à Beïla, tout au nord où une mortalité très élevée
Figure 4
Figure 5
témoigne d’une abondance comparable à ce qu’on observe plus au sud. On peut en déduire que le
facteur littoral a assez peu d’influence sur les espèces autres que Euphorbia balsamifera, tout du
moins en ce qui concerne la simple abondance. Toutefois, la figure 11 nous montre que la
proportion de plants de plus de 2 m augmente dans presque tous les transects en s’éloignant de la
mer. Celà peut être simplement dû à la diminution de la part de Euphorbia balsamifera dans les
peuplements arbustifs, et rejoint alors la conclusion tirée quelques lignes plus haut. En tout état de
cause, la classe de 0 à 1 m est largement dominante (sauf sur 5 placeaux : M’Bero 3, Tiguent 5 et 6,
Teffourtes 3 et Km 25 2), ce qui différencie nettement de la végétation plus continentale : à Mal, la
classe dominante est celle de 1 à 2 m (71 %) avec la domination de deux espèces de taille
ordinairement modeste. Ce dernier point apparaît comme un fait majeur du peuplement végétal
littoral. On peut envisager plusieurs causes qui se cumulent pour l’expliquer :
- la domination d’une espèce de taille ordinairement réduite (Euphorbia balsamifera),
- la puissance du vent, en particulier du vent de nord-ouest (jriha) caractéristique de la bande
littorale,
- l’abondance des aérosols salés apportés par le vent de nord-ouest qui aggrave le stress hydrique
des jeunes rameaux.
Figure 6
Pour confirmer l’action probable du vent de nord-ouest véhiculant les aérosols marin, on
remarquera l’absence d’euphorbes de taille supérieure à 2 m dans le cordon littoral (dunes jaunes) à
M’Bero et Taniziert alors qu’elles sont présentes sur le Dhar. Le même phénomène s’observe au
Km 25 où la classe 1 à 2 m est très peu présente dans les dunes jaunes.
Figure 7
Figure 8
Figure 9
Figure 10
Figure 11
2 : Contribution des diverses espèces
Rôle de Euphorbia balsamifera
Cet arbuste aux tiges grasses et souples est sans conteste l’espèce dominante sur les dunes du
Dhar, représentant jusqu’à 90 % des ligneux. Mais dès qu’on s’éloigne de l’océan, sa densité
diminue rapidement jusqu’à être totalement absent dans les placeaux les plus orientaux sauf à
M’bero e Beïla, aux deux extrémités sud et nord de la zone étudiée (Sa présence à Taniziert 4 est
anecdotique). Au centre (Tenzakt et Teffourtes), cette plante est absente dès 5 km de l’Aftout es
Saheli.
La répartition de cette espèce est d’ailleurs assez curieuse : présente dans l’archipel des
Canaries, on l’observe le long de la côte du Sahara sans qu’elle s’éloigne dans l’interland. A
l’inverse, c’est une espèce banale de la bande sahélienne, jusqu’en Afrique de l’Est et Arabie
(OZENDA, 1991). En Mauritanie, on la rencontre en populations localement abondantes,
principalement dans les massifs centraux (Adrar, Tagant…), essentiellement sur des sables adossés
aux reliefs, y compris en zone franchement saharienne (près de Char) BARRY et al. 1987.
Sur le littoral mauritanie, le peuplement d’euphorbes forme une bande de largeur variable,
continuant en quelque sorte la bande du Sahara maritime. Elles s’échappent à l’est dans les dunes
qui bordent la vallée du fleuve Sénégal (M’Bero 7). Cette bande est très étroite au niveau de 17°30
N (Tenzakt, Teffourtes, puis s’élargit au nord (Beïla 4 à 20 km de la mer. A Oum Toumsi et Gedm
Ifernane, par 18° 40’ N et 15° 47’ W, à l’est de la Sebkhra N’Dghamcha, une petite population
couvre les derniers sables du gros cordon de l’Amatlich, à 50 km de la mer. Encore plus au nord,
elles peuplent les dunes de l’Agneïtir près de Tin Brahim (MONOD 1928).
On peut définir la zone littorale de Mauritanie, du point de vue botanique et écologique comme
la zone ou prospère la population d’Euphorbia balsamifera, accompagnée de Tetraena gaetula var.
Waterlotii (MAIRE) EMB. et MAIRE, espèce également remarquable par son abondance. On
remarquera également que cette population d’euphorbes littorales porte généralement des lichens
corticoles totalement absents de l’écorce des plants de l’interland.
Figure 12 Deux aspects de la végétation des dunes de la zone littorale :
- à gauche, à Tenzakt en septembre 1986 : les euphorbes sont encore en feuilles (dune non évaluée car trop pentue)
- a droite, au nord de Nouakchott (placeau Beïla 3) en saison sèche : euphorbes défeuillées.
La dominance des euphorbes est complète.
On est bien loin de rencontrer des plants aux dimensions évoquées par Valentim Fernandes aux
alentours de l’an 1500 où les « pècheurs schismeiros » réalisent des barques en « figuier d’enfer »
(probablement Euphorbia balsamifera = Ifernane en hassanyia) dont les branches les plus longues
atteignent une brasse et demie, soit environ 3 mètres (CENIVAL et MONOD, 1938) ; observation
pourtant réalisée dans la région du Banc d’Arguin, beaucoup plus au nord que la région étudiée et
aujourd’hui très désertique, où je n’ai pas observé d’euphorbe dépassant 1 mètre.
Rôles des autres espèces
Les variations d’abondance de plusieurs espèces, telles que Acacia tortilis, Acacia senegal,
Maerua crassifolia ne semble pas liée à leur distance au rivage. Il en va différemment pour d’autres
espèces.
De façon bien compréhensible, Tamarix senegalensis et Nitraria retusa, phréatophytes très
tolérants au sel ne s’écartent pas de l’Aftout es Saheli. Leur présence est liée à la nappe phréatique
salée alimentée par l’océan, et qui s’enfonce progressivement vers l’est.
De façon un peu similaire Salvadora persica est limitée localement à la bordure ouest de l’erg
du Trarza, mais s’écarte de plus en plus vers le nord où elle prend de plus en plus d’importance, en
particulier à Beïla, et ceci reste vrai jusqu’à 19°30’N. La masse verte de ces gros buissons constitue
une élément majeur du paysage des environs de Nouakchott. Ils sont d’autant plus remarquables
que leur taille est importante pour la région. Ainsi sur le transect de Beïla,, presque tous les arbustes
dépassant 2 m appartiennent à cette espèce. Remarquons que Salvadora persica peut être considérée
comme un phréatophyte légèrement halotolérant.
Balanites aegyptiaca adopte un comportement antagoniste de l’espèce précédente : plus
abondante au sud et à distance de la mer. C’est d’ailleurs la seule espèce qui voit sa densité
augmenter en s’éloignant de l’océan. Sa dominance est nette dans les placeaux les plus orientaux de
M’Bero Taniziert, Tiguent et Tenzakt. Elle est absente des transects les plus au nord. Ceci ne résulta
pas d’une limite d’aire : Balanites aegytiaca est présente du Sahel au Maroc. Notons que cet
arbuste est parfois considéré comme un indicateur de pâturage intensif (TROCHAIN 194O) mais il
ne semble pas y avoir une pression pastorale plus forte au sud qu’au nord de la région.
Commiphora africana atteint de fortes densités, constituant par endroit (Tiguent 1, 2 et 3) près
du tiers du nombre d’arbustes. Ce sont le plus souvent des plants de petite taille : les individus de
moins de 1 m sont majoritaires sauf à M’Bero 1. Il nous est impossible d’expliquer l’abondance de
cette espèce. On peut imaginer que sa faible durée de feuillaison est prolongée sur le littoral grace à
l’humidité du vent de nord-ouest.
Les autres espèces sont toujours en petit nombre, avec une répartition dictée par une aire
méridionale (Faidherbia albida, Maytenus senegalensis, Adenium obesum, Combretum aculeatum,
Grewia populifolia) ou septentrionale (Lycium intricatum). Elles sont le plus souvent en limite
d’aire sur la région. Le cas de Calotropis procera est différent. Cette espèce banale au Sahel et au
sud du Sahara est le plus souvent liée aux espaces anthropisés, dont j’ai pris soin par ailleurs de
m’écarter.
CONCLUSION
Le littoral mauritanien montre une riche originalité botanique, due à la fois à des causes
édaphiques avec l’abondance de la végétation halophile, que climatiques qui permettent l’existence
d’une végétation arbustive considérablement plus abondante que celle des régions intérieures
équivalentes. L’originalité de la couverture végétale de la bordure de l’erg du Trarza ne vient pas de
sa composition spécifique, complètement banale pour la bande sahélienne, mais d’une densité
« hors norme », inhabituelle à ces latitudes.
Cette originalité est pour l’essentiel due à une seule espèce : Euphorbia balsamifera qui
dominent largement les paysages des dunes bordant l’Aftout es Saheli. La répartition et l’abondance
de cette espèce définit clairement une région littorale au sein de la bande sahélienne au nord du
fleuve Sénégal. Autre caractéristique de cette région : une abondance notablement plus élevée des
autres espèces ligneuses par rapport à ce qui s’observe plus à l’est. La végétation de la région
littorale mauritanienne montre également une taille plus réduite que dans le Sahel typique,
phénomène fréquent dans la végétation bordant un océan, qui ici peut s’observer sur plus d’une
dizaine de kilomètres de profondeur.
Cette originalité est probablement contrôlée par un facteur climatique : le puissant contraste
entre les masses d’air continental, très sec, et maritime, très humide. La transgression quasi
journalière, au moins en intersaison, de l’air maritime, véhiculé par un puissant vent de nord-ouest a
des effets contrastés :
- une réduction de l’évaporation, et donc du stress hydrique des arbustes ;
- bien souvent un apport d’eau matinal par le biais de la rosée qui permet l’existence de lichens
crustacés, installés en particulier sur les tiges d’euphorbes,
- un apport d’aérosols salés qui, en se déposant sur les végétaux, peuvent contrarier la croissancce
des rameau en déclenchant un stress hydrique localisé.
Ces observations ne nous permettent pas de comprendre les cause des variations de profondeur
de cette région littorale : très étroite autour de 17°30’ N, et plus large ailleurs.
La végétation dense pour la zone sahélienne est un atout pour le littoral mauritanien, en ce sens
qu’elle contribue à limiter les mouvements de sable et la remobilisation des dunes fixées. Il
convient de la préserver en évitant sa dégradation anthropique dans ce qui est maintenant la région
la plus densément peuplée de Mauritanie.
Mes observations à la fin d’une période climatique très stressante pour les végétaux, a montré
une bonne capacité de ce couvert arbustif à maintenir son originalité. Les données recueillies, bien
que loin d’être complètes, constituent une état des lieux à la fin de l’épisode de sécheresse 19721986.Il serait intéressant de reprendre ce travail de terrain une trentaine d’années plus tard, soit une
bonne génération humaine, au regard d’un retour de conditions pluviométriques moins
catastrophiques, et aussi d’une évolution considérable de la société mauritanienne. Le
développement urbain dans et autour de Nouakchott, a amené de nouvelles pratiques d’élevage en
même temps que la quasi disparition de nomadisme traditionnel, ce qui ne peut pas être sans impact
sur les milieux naturels, et qui reste à mesurer.
LISTE DES ESPECES CITEES
Le premier binom est celui qui est utilisé dans le texte et le plus souvent en usage, s’y rajoute le
binom actuellement admis précédé de « Nom retenu » (la nomenclature a nettement évoluée depuis
la date d’observation), Vern. désigne le ou les noms vernaculaires, H fait référence à hassanyia, F à
français, d’après SOULE (2011).
Acacia tortilis (Forssk. ) Hayne. Nom retenu : Vachellia tortilis (Forssk.) Hayne. Vern. H. Ttalh
Acacia senegal (L.) Willd. Ex Delile. Nom retenu : Senegalia senegal (L.) Britton. Vern H : Eirwar,
F : Gommier
Adenium obesum (Forssk.) Roem & Schult. Vern. H : Tweidim dhib,Teïdoumet sbae, ; F : Baobab
de chacal
Balanites aegyptiaca (L.) Delile. Vern H : Teichitt, F : Dattier du désert.
Calotropis procera (Aiton) W. T. Aiton. Vern H : Tourje, F : Pommier de Sodome
Combretum aculeatum Vent. Vern H : Ikik
Commiphora africana (A. Rich.) Engl. Vern. H : Eders
Euphorbia balsamifera Aiton. Vern. H : Evernan
Faidherbia albida (Delile) A. Chev. Vern. H : Avrar, Ttalh lebyadh
Grewia populifolia Valh. Nom retenu : Grewia tenax (Forssk.) Fiori. Vern H : Legleye
Leptadenia pyrotechnica (Forssk.) Decne. Vern. H : Titarekt, Ecebay
Lycium intricatum Boiss. Vern. H : El ghardeg, F : Lyciet intriqué.
Maerua crassifolia Forssk. Vern. H : Atil, El enb
Maytenus senegalensis (Lam) Exell. Vern H : Eïch, Boukhlal
Nitraria retusa (Forssk.) Asch Vern H : Aguerzim
Salvadora persica L. Vern. H : Iverchi, Tijit, El Erak
Tamarix senegalensis DC ; Vern. H : Tarfa, Ttarve, F : Tamaris du sénégal
Tetraena gaetulum Emb. & Maire, var waterlotii Maire syn Zygophyllum waterlotii Maire. Vern. H :
Agaya
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