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Des pals et un château. Le premier grand sceau des comtes de
Foix (troisième quart du XIIe siècle)
Laurent MACÉ
Publié dans
Revue française d’héraldique et de sigillographie - Études en ligne
Date de
publication
novembre 2020
Pages
18 p.
Dépôt légal
ISSN 2606-3972 (4e trimestre 2020)
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Société française d’héraldique et de sigillographie,
60, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, France
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Jean-Luc Chassel
Laurent MACÉ, « Des pals et un château. Le premier grand sceau des
Pour citer comtes de Foix (troisième quart du XIIe siècle) », Revue française
cet article d’héraldique et de sigillographie – Études en ligne, 2020-12, novembre
2020, 18 p.
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Document créé le 06/11/2020
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no v e mb r e 2 0 2 0
Des pals et un château.
Le premier grand sceau des comtes de Foix
(troisième quart du XIIe siècle)
Laurent MACÉ
Une tradition bien tenace nous fait accroire que les comtes de Foix scellent seulement
à partir du début du XIIIe siècle1. Et qu’en toute logique, leurs armoiries dateraient donc
de cette période. Ce genre d’a priori est devenu un postulat assez classique dans le
domaine de la sigillographie. L’on a écrit des affirmations similaires à propos des comtes
de Toulouse, des comtes de Comminges, des Trencavel, vicomtes de BéziersCarcassonne ainsi que de différents lignages princiers du versant méridional de la France.
La plupart du temps, on s’est contenté de reprendre les informations tirées des attestations
matérielles existantes, à savoir les catalogues de sceaux produits lors des campagnes de
recension menées par les Archives de l’Empire au milieu du XIXe siècle. Celles-ci ont été
accompagnées d’une bien utile et nécessaire entreprise de protection par duplication sous
forme de moulages ; ces derniers servent de témoins initiaux pour les chercheurs, à
l’instar de ceux rassemblés au sein de la collection Douët d’Arcq. Le réflexe commun est
d’en faire parole d’Évangiles et de se satisfaire de cette première indication néanmoins
déterminée par les aléas de la conservation. Mais à ce compte, bon nombre de dynastes
méridionaux auraient continué à passer pour d’indécrottables arriérés, abandonnés à leur
sort médiocre parce que laissés sur la touche d’un phénomène sigillaire qui, par ailleurs,
irrigue une grande partie de l’aristocratie occidentale du XIIe siècle, comme l’ont bien
illustré les récents travaux de Jean-François Nieus2.
En l’absence d’inventaires exhaustifs, on ne peut se consoler de la seule matérialité
des quelques vestiges conservés. Le recours aux témoignages des historiens de l’époque
moderne peut s’avérer fort utile en ce domaine : ces auteurs rendent parfois de grands
services en décrivant et en reproduisant des empreintes disparues, même si une certaine
prudence est de rigueur quand on doit analyser les représentations graphiques qu’ils nous
1. Henri DUCLOS, Histoire des Ariégeois (comté de Foix, vicomté de Couserans). De l'esprit et de la force
intellectuelle et morale dans l'Ariège et les Pyrénées centrales, Paris, 1881-1887.
2. Jean-François NIEUS, « Early Aristocratic Seals : An Anglo-Norman Success Story », Anglo-Norman
Studies, XXXVIII, Woodbridge, 2016, p. 97-123 ; « L’invention des armoiries en contexte. Haute
aristocratie, identités familiales et culture chevaleresque entre France et Angleterre, 1100-1160 », Journal des
Savants, 2017, p. 93-155 ; « L’introduction du sceau équestre dans l’Empire », dans Le sceau dans les PaysBas méridionaux, Xe-XVIe siècles. Entre contrainte sociale et affirmation de soi, éd. Marc LIBERT et JeanFrançois NIEUS, Bruxelles, 2017, p. 125-156.
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ont livrées3. Par ailleurs, j’ai déjà eu l’occasion de signaler que les instruments
médiévaux, tels que les vidimus, sont de précieux auxiliaires du sigillographe et qu’ils
permettent, quelquefois, de combler avec bonheur les lacunes des actes de la pratique4.
Autant que possible, il semble nécessaire de croiser ces deux types de sources pour
resserrer avec profit les mailles du filet.
I. ARCHÉOLOGIE D’UNE EMPREINTE BRISÉE
Reprenons donc le dossier fuxéen pour tenter d’établir une première mise à jour.
L’empreinte la plus ancienne d’un grand sceau – celui qu’une autorité publique utilise
pour valider ses actes les plus solennels – est celle qui a été appendue, sans annonce de
corroboration, le 18 du mois d’avril 1214, dans le palais archiépiscopal de Narbonne, par
Raimond-Roger, comte de Foix de mai 1188 à avril 12235. Cet unicum se présentait sous
la forme d’une galette de cire naturelle, ronde et biface, d’environ 75 mm de diamètre, tel
que permet de se le représenter le moulage produit au XIXe siècle. À l’avers, un
traditionnel type équestre de guerre qui s’inscrit dans la norme interpicturale des séries
sigillaires produites par le groupe chevaleresque6. Au revers, un type architectural
constitué d’un château à deux tours, crénelé et appareillé, construit sur une éminence
rocheuse qui se trouve baignée par le cours d’une rivière. La copie de soufre patinée
montre que l’exemplaire initial était assez endommagé puisqu’environ un tiers de la
marque originale était déjà manquant dans les années 18607 (fig. 1).
L’importance quasi archéologique de ce moulage permet, de façon spectaculaire, de
percevoir l’ampleur des détériorations subies en l’espace de cent cinquante ans. Ce qui
demeure actuellement de l’empreinte restitue un état très fragmentaire que l’on peut
évaluer à environ un sixième de la galette d’origine laquelle s’est revêtue d’une patine
brune au fil du temps (fig. 2)8. Cette maigre portion, qui a été en partie comblée au XXe
3. Laurent MACÉ, « Marquer la ville de son empreinte. Raimond VII, comte de Toulouse et seigneur de
Marseille (1236-1243) », dans Jeux de miroir. Le sceau princier au Moyen Âge (XIe-XIVe siècle), éd. Laurent
MACÉ, Toulouse (sous presse). Voir également Oliver D. HARRIS, « Fragments of the Past : the Early
Antiquarian Perception and Study of Seals in England », dans A Companion to Seals in the Middle Ages, dir.
Laura J. WHATLEY, Leiden/Boston, 2019, p. 129-154.
4. Laurent MACÉ, La majesté et la croix. Les sceaux de la maison des comtes de Toulouse (XIIe-XIIIe
siècle), Toulouse, 2018, p. 27, 31-32 et 74.
5. ANF, sc/D 661. Selon Douët d’Arcq, l’empreinte est appendue lors du serment qu’effectue le comte en
faveur du légat pontifical, l’assurant de ne pas favoriser les hérétiques (ANF, J 332 n° 3). La notice propose la
date du 18 avril 1215 mais la transcription donnée par les Mauristes Devic et Vaissète restitue l’acte dans une
série de documents passés à Narbonne le 18 avril 1214 (Histoire Générale de Languedoc, t. VIII, Toulouse,
1879 (3e éd.), col. 643-646). Enfin, la nature de l’acte doit être précisée : le comte de Foix est invité à
respecter, en même temps que le comte de Comminges qui fut excommunié avec lui, les différentes clauses
de pardon prescrites par le légat Pierre de Bénévent afin d’obtenir la paix et la réconciliation avec l’Église
romaine. Comme garantie de sa bonne foi, il s’engage à livrer son château éponyme.
6. Héros de la croisade contre les Albigeois, fervent allié du camp toulousain et catalano-aragonais,
Raimond-Roger était, selon Pierre Belperron, « un solide montagnard fait de la peau du diable »… (La
croisade contre les Albigeois et l’union du Languedoc à la France (1209-1249), Paris, 1948, p. 192).
7. Douët d’Arcq a proposé de lire les légendes suivantes : (avers) Sigillvm : Ramondi : Rogerii co[…] ;
(rervers) […]erii : comitis : Fvxens(is). À noter l’usage récurrent des s couchés, au nombre de trois, détail qui
avait déjà été relevé par Germain DEMAY, La paléographie des sceaux, Paris, 1881, p. 30.
8. L’autre empreinte appendue sur le document, à gauche du comte, est celle de Pierre de Bénévent,
cardinal-diacre de Santa Maria in Aquiro, envoyé comme légat a latere dans le Midi au début de l’année
1214. Protégé par un épais berceau de cire naturelle, ce sceau en mandorle, représentant une Vierge à
l’Enfant, est conservé dans son intégralité (ANF, J 332 n°3 ; ANF, sc/D 6124).
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siècle, prend la forme d’un triangle qui correspond à la base de l’empreinte9. La trace de
la cassure – que signale le moulage et qui avait déjà provoqué la perte d’une première
moitié de sceau – a fragilisé le gâteau de cire dont les fragments encore existants se sont
peu à peu désolidarisés des attaches. Mais cette empreinte était fissurée et brisée depuis
fort longtemps comme l’indique un dessin réalisé au XVIIIe siècle (voir infra).
1. Moulage de l’empreinte de sceau (avers) appendue par
Raimond-Roger de Foix, le 18 avril 1214
(moulage, AnF, sc/D 661).
Appendue sur la partie droite du repli destiné à renforcer l’ancrage de l’attache du
sceau sur le parchemin, l’empreinte est fixée à celui-ci par une double queue de peau
passée dans une simple incision horizontale exécutée à la pointe de canif. Il s’agit plus
exactement d’une fine languette de parchemin, de largeur inégale, que l’on a retournée et
pliée en deux au moment du scellement. Elle est assez longue afin de faciliter la
manipulation du sceau et l’observation attentive des deux faces imprimées, geste qui
permettait de reconnaître l’identité du sigillant. Si le côté peau se trouve bien à
l’extérieur, la partie intérieure de cette attache de sceau est noircie par l’encre d’une
inscription qui court sur toute sa surface. La présence de petites lettres, dont la graphie
témoigne d’une minuscule caroline, indique qu’il s’agit ici de la découpe horizontale d’un
ancien acte de la pratique que l’on a réutilisé pour un autre usage10. Toutefois, la partie
9. À l’avers, l’absence de figuration correspond à l’espace vide qui se trouve sous le ventre de la
monture ; le fragment de légende encore lisible est le suivant : [R]OGERII : CO. Au revers, on perçoit les
flots ondés de la rivière Ariège qui baignent les rochers sur lesquels est bâti le castrum comtal ; l’élément de
légende encore présent est : [ROG]ERII : COMIT[IS].
10. Cette particularité dans le mode de fixation du sceau n’a pas été observée pour l’apposition de
l’empreinte de Pierre de Bénévent. Moins large et plus courte, la languette de peau peut être difficilement
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réservée à l’écrit n’est pas destinée à être lue. Cette infime singularité diplomatique dans
l’appension du sceau traduit le pragmatisme du personnel technique chargé de valider les
documents officiels des princes (fig. 3). Elle n’est pas sans rappeler un autre exemple de
réemploi d’un type quelque peu différent. Ainsi en est-il de la fameuse charte que Richard
Cœur de Lion fait sceller, en juin 1190, avec des attaches qui s’avèrent être des lacets de
soie bleue et verte, brochés de lettres blanches délivrant un petit poème qui a fait couler
beaucoup d’encre. Volontairement caché au regard de tous, ce texte ne pouvait être connu
qu’en brisant la galette de cire verte qui validait le contenu de l’acte, en l’occurrence une
charte de donation accordée par le souverain lui-même. Les brides d’un vêtement furent
ici utilisées pour pallier un simple problème technique (une rupture
d’approvisionnement ?). Ces considérations purement matérielles coupent court à tout
débordement de l’imagination romantique – alimentée par le fantasme de l’amour
courtois – qui a rendu si notoire la « charte aux lacs d’amour » du roi aux léopards…11.
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2. Serment du 18 avril 1214 scellé à Narbonne
par le cardinal-légat du pape et par le comte de Foix.
3. Détail du revers de l’empreinte, des attaches de peau et
du comblement du sceau du comte.
ANF, J 332 n°3 (clichés Cl. Blanc-Riehl).
manipulée. Cependant, le sceau étant monoface, il n’était pas nécessaire de considérer avec attention le côté
neutre de l’empreinte.
11. Claude FAGNEN, « Les chartes normandes de Richard Cœur de Lion », dans Richard Cœur de Lion,
roi d’Angleterre, duc de Normandie, 1157-1199, actes du colloque international de Caen (1999), Direction
des archives du Calvados, 2004, p. 75-87 (p. 81-84 pour l’aspect évoqué ci-dessus).
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En dehors de cette particularité diplomatique que je viens de signaler, l’actuel état
fragmentaire de l’empreinte nous renvoie au moulage du XIXe siècle. Il apparaît que
celui-ci a été réalisé à partir d’une cire dont la qualité d’impression était déjà fortement
dégradée. Le positif de substitution entraîne donc certains problèmes de lecture : ainsi, on
pourrait (faussement) croire que le cavalier porte un écu plain, à l’instar de ce que l’on
aperçoit sur la housse arrière du cheval laquelle demeure également vierge de tout meuble
héraldique. Pour autant, à l’analyse, ces deux supports traditionnels des armoiries laissent
paraître des irrégularités de surface qui pourraient correspondre à d’anciens vestiges de
pals12. De fait, si les armoiries sont absentes de l’écu et de la housse, c’est parce qu’elles
ont été effacées au fil du temps ; elles ne sont d’ailleurs plus lisibles au XVIIIe siècle
(fig. 4). Pour autant, ce comte de Foix porte bien quelques couleurs en ce début de XIIIe
siècle : on ne peut guère en douter comme l’indique avec certitude un passage de la
Chanson de la croisade albigeoise. Dans la seconde partie de cette œuvre, le rédacteur
anonyme relate un fait de guerre qui se déroule à Toulouse, en septembre 1217, au niveau
de la porte de Montoulieu. Dans le feu de l’action, il est fait mention de la bannière et du
cri que partagent les princes fuxéens, éléments qui permettent d’identifier aussitôt le fils
du comte au milieu de la masse des combattants : « Roger-Bernard est venu au milieu de
la mêlée […] sa présence raffermit les courages, aussitôt qu’il y fut reconnu. Messire
Pierre de Durban, le seigneur de Montégut, lui portait son enseigne (la senheira), dont la
vue les a ranimés. Ayant mis pied à terre, il s’est placé au premier rang ; on cria et
proclama : "Foix" et "Toulouse !" »13. La fonctionnalité militaire des armoiries se révèle
ici de façon spectaculaire, elle ne laisse guère douter de sa première finalité sémiologique.
Quant aux armoiries, leur caractère dynastique est affirmé : sans brisure aucune, le fils
porte les armes du père.
Il n’est pas inutile de reprendre l’analyse du moulage en le comparant aux diverses
reproductions graphiques qui ont commencé à circuler à partir du XVIIIe siècle. Les plus
instructives sont celles qui ont été réalisées pour les Mauristes, Joseph Vaissète et Claude
Devic. À leur tour, elles ont inspiré des lavis à l’encre de Chine librement repris et
publiés par Jean Beugnet, plusieurs décennies après14. Un siècle plus tard, un nouveau
dessin a été commandé par Paul Laplagne-Barris : le modèle convoqué est l’empreinte
auparavant moulée par Louis Douët d’Arcq15. À terme, ce travail engendre la réplique
proposée par l’archiviste de l’Ariège, Félix Pasquier, à la fin des années 189016.
12. En agrandissant les clichés du moulage, qu’ils soient en couleur ou en noir et blanc, on observe que le
bord supérieur gauche de l’écu semble montrer un départ de pal ; il en est de même pour la pointe droite de
l’écu. Avec le profit d’une certaine illusion d’optique, on peut également constater le tracé des pals sur la
housse arrière de la monture.
13. E es per mei la preissa Rogers Bernatz vengutz […] E referma.ls coratges, can i fo conogutz. / E en
Peir’ de Durban, de cui es Montagutz / Li portec la senheira, qui los a revengutz. / E deichen a la terra et es
enant tengutz : / E es « Foig ! » e « Tholoza ! » cridatz e mentaugutz. (Eugène MARTIN-CHABOT, La chanson
de la croisade albigeoise, Paris, 1957, vol. I, laisse 184, v. 30 et vv. 32-36, p. 288-289). Sur le lien entre cri
d’armes et patrimoine symbolique, voir Guilhem PÉPIN, « Les cris de guerre « Guyenne ! » et « SaintGeorges ! ». L’expression d’une identité politique du duché d’Aquitaine anglo-gascon », Le Moyen Âge,
2006/2, p. 263-281 ; Laurent HABLOT, « Cris de guerre et d’armes. Formes et fonctions de l’emblème sonore
médiéval », dans Les paysages sonores du Moyen Âge à la Renaissance, éd. Laurent HABLOT, Laurent
VISSIÈRE, Rennes, 2015, p. 157-171.
14. Jean BEUGNET, Anciens sceaux de la maison de Foix, planche III, n°1 (planches gravées par François
Denis NÉE pour le Voyage pittoresque de la France ; t. III : Comté de Foix, Paris, 1787).
15. Paul LAPLAGNE BARRIS, Sceaux gascons du Moyen Âge, Archives historiques de la Gascogne, ParisAuch, 1888-1892, p. 153, n°194.
16. Félix PASQUIER, « Sceaux des comtes de Foix au Moyen Âge », Nîmes, 2000 (réédition d’un article
paru à la fin du XIXe siècle dans le Bulletin de la Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts).
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La reproduction graphique livrée, au milieu du XVIIIe siècle, par les auteurs de
l’Histoire Générale de Languedoc est celle qui permet de connaître l’état le plus ancien
du grand sceau comtal de 1214. Il est aisé de visualiser les parties manquantes de
l’empreinte signalée par Louis Douët d’Arcq, à savoir le côté gauche de l’avers équestre
et le côté droit du type architectural. Ce dernier est bien doté d’une seconde tour à
arcatures romanes, laquelle vient s’afficher en totale symétrie de la première17 (fig. 4).
4. Reproduction graphique de l’empreinte de 1214
publiée dans l’ ‟Histoire Générale de Languedoc” (1745).
Ce dessin montre aussi que les armoiries dynastiques sont déjà bien effacées ; elles
sont devenues complètement illisibles pour le graveur moderne. La tête du prince est
également assez endommagée. Le souci médiéval de l’accessoire est cependant difficile à
déceler dans les gravures produites par les anciens érudits : le moulage du XIXe siècle
semblerait indiquer que le haubert de mailles couvrait le cou et le bas du visage de
Raimond-Roger. Quant au casque, il présenterait dans la partie supérieure une sorte de
calotte à timbre plat qui s’effile à l’arrière, comme on le voit sur certains types
septentrionaux des années 1210, modèles qui préfigurent déjà le heaume cylindrique18.
Encore peu présent sur les sceaux méridionaux, ce casque fuxéen constituerait un des
premiers exemples attestés dans le Languedoc de ce temps. Autre point de détail à
relever : d’après l’illustration de 1745, la housse armoriée paraît n’exister que sur la
croupe de la monture.
Le côté hiératique des jambes du cheval, l’aspect encore raide du bras comtal, la
graphie des lettres de la légende et surtout l’adoption d’une housse armoriée, ainsi que
d’un écu à base arrondie de type « hispano-occitan », renvoient bien à une production de
matrice que l’on peut dater des années 121019. Il s’agirait ici de la nouvelle marque que le
17. Histoire Générale de Languedoc, t. V, Toulouse, 1745, 1re édition, planche IV, n°18 (empreinte datée
de 1213).
18. Germain DEMAY, Le costume au Moyen Âge d’après les sceaux, Paris, 1880, p. 131-132.
19. L’équipement militaire et la housse, laquelle vise à rendre visible le chef de guerre tout en
déterminant la supériorité de son statut, sont à rapprocher de ceux qu’utilisent les grands de la péninsule
Ibérique, notamment les rois d’Aragon avec lesquels les comtes de Foix entretiennent des relations assez
étroites. L’usage de la housse apparaît en septembre 1172 sur le sigillum novum du roi d’Aragon Alphonse II
(Faustino MENÉNDEZ PIDAL DE NAVASCUÉS, Los sellos en nuestra historia, Madrid, 2018, p. 169, n. 51 ;
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comte de Foix a fait réaliser. Au tournant du XIIIe siècle, les écus des cavaliers
méridionaux ont encore, pour la plupart, une forme en amande ; au bout de vingt ans
d’usage, Raimond-Roger a donc décidé de mettre sa matrice au goût du jour et d’adopter
l’équipement militaire de son temps (abandon du casque conique et de l’écu dit
« normand » de ses contemporains). Il est à noter que ce probable changement s’est
produit dans des circonstances assez particulières. Dans le cadre de la croisade contre les
Albigeois (1209-1229) et pour manifester sa totale allégeance au roi d’Aragon, le comte
de Foix et son fils, aux côtés des comtes de Toulouse et des comtes de Comminges,
également père et fils, ont apposé leurs sceaux sur les chartes entérinant les serments de
fidélité prêtés à Pierre II lors de sa venue à Toulouse, au début de l’année 121320. Le
dimanche 27 janvier, Raimond-Roger s’est présenté devant son souverain avec une
matrice flambant neuf dans les mains21. Enfin, le dessin moderne permet aussi de
compléter les lacunes des deux légendes qu’avait livrées Louis Douët d’Arcq dans les
années 1860 ; il autorise à restituer la formule suivante :
avers : [+] SIGILLVM : RAMONDI : ROGERII : COMITIS : FVX[SENSIS]
revers: [+ SIGILLVM : R]AMONDI : ROGERII : COMITIS : FVXSENS[IS]
À propos de cette titulature auto-référentielle – plutôt rigide et guère inventive –, on
notera en passant que le comte de Foix n’y a pas reporté l’incise pieuse, Dei gratia, qui
accompagne souvent patronyme et titre princier et qui figure parfois en tête de certaines
de ses chartes. Mais ces dernières contiennent une intitulatio volatile qui, en l’absence
d’une chancellerie constituée, dépend de facto de l’initiative plus ou moins inspirée des
rédacteurs occasionnels. Par ailleurs, le nom de baptême de Raimond-Roger est ici
présenté sous une forme vernaculaire latinisée, ce qui n’est guère courant sur les sceaux
méridionaux de ce début de XIIIe siècle. Pour finir, le libellé du titre comtal de cette
légende, qui était sans doute celui de son prédécesseur, est repris à son tour par son fils,
Roger-Bernard II (1223-1241)22.
p. 199). Cette couverture armoriée se diffuse en Provence à partir de 1193 (Guilhem de Baux, prince
d’Orange) ; en 1202, elle est adoptée par un fidèle rhodanien des comtes de Toulouse (Rostaing de Sabran) ;
en 1214, par Huc V de Baux, autre grand potens provençal. On la retrouve également chez certains seigneurs
du Languedoc : il faut attendre 1203 pour le comte de Rodez, Guilhem (1196-1209). La mise en signe du
cheval se poursuit, un peu plus tard, pour le comte de Toulouse Raimond VII (1222) ou pour le comte
Bernard V de Comminges (1225) (MACÉ, La majesté et la croix… cité n. 4, p. 120-122).
20. Et ad maiorem huius facti evidentiam hanc paginam nostri sigilli praesentia communimus […]
Bernardus de Ugenacco, praedicti domini comitis Fuxensis notarius existens, hanc scripsit et sigillo eiusdem
corroboravit (Maria Teresa FERRER I MALLOL, Manuel RIU I RIU, Tractats i negociacions diplomàtiques de
Catalunya i de la Corona catalanoaragonesa a l’edat mitjana, Barcelona, 2009, vol. I, n°165, p. 497) ;
Martín ALVIRA CABRER, Laurent MACÉ et Damian SMITH, « Le temps de la Grande Couronne d’Aragon du
roi Pierre le Catholique. À propos de deux documents relatifs à l’abbaye de Poblet (février et septembre
1213) », Annales du Midi, 265, 2009, p. 5-22.
21. En 1204, le comte de Toulouse Raimond VI fit réaliser une nouvelle et imposante matrice pour sceller
les accords qui valident son alliance avec le roi d’Aragon Pierre II (MACÉ, La majesté et la croix… cité n. 4,
p. 40-41 ; p. 169-170).
22. ANF, sc/D 662 (empreinte de 1229). Le comte suivant, Roger IV (1241-1265), modifie la titulature
portée par trois générations de dynastes en rajoutant la mention de la vicomté de Castelbon, principauté que
lui a transmise sa défunte mère, Ermessende de Castelbon, décédée le 29 janvier 1230.
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LAURENT MACÉ
II. LE GRAND SCEAU DE ROGER-BERNARD IER (1148-1188)
Si une première matrice a été utilisée avant les années 1210, il faut bien avouer qu’en
l’état actuel, il ne subsiste aucune attestation de son existence matérielle. Je peux
supposer que, assez logiquement, Raimond-Roger a fait graver une première matrice de
grand sceau lorsqu’il a pris en mains la destinée de sa principauté au cours de l’année
1188.
Probabilité qui peut se transformer en affirmation à partir du moment où l’on est
certain que son propre père usait déjà d’un tel objet. Ce qui est le cas, comme l’indique
non pas une quelconque trace matérielle, qu’elle soit de cuivre ou de cire, mais une
mention diplomatique qui a le double avantage de nous livrer également une première
description de cette marque comtale. Même si elle est assez brève, elle confirme toutefois
que Roger-Bernard Ier fut le premier comte de Foix à utiliser une matrice de grand sceau.
Ce qui n’est guère aberrant à cette époque si l’on considère que ses contemporains en
usent déjà, avant ou après le milieu du XIIe siècle : le comte de Rodez scelle depuis 1140,
le comte d’Auvergne depuis 1145, le comte de Toulouse le fait depuis 115623 ; le comte
de Comminges procède de même au moins depuis 117624, Roger II, le vicomte de
Béziers, depuis les années 118025, et les seigneurs de Montpellier n’ont attendu que 1167
pour commencer à munir leurs chartes d’une bulle de plomb26. Enfin, celui qui a sans
doute initié le mouvement dans cette zone méridionale n’est autre que le comte de
Barcelone puisque Raimond Bérenger IV s’est probablement doté d’une matrice de sceau
dès 1137, année de l’accord de son futur mariage avec Pétronille d’Aragon, consommé en
114027. Le titre de princeps regni Aragonensis qu’il affiche dans la légende de ses
empreintes est en relation directe avec le statut qui est le sien à ce moment-là puisqu’il est
chargé de gouverner l’Aragon au nom de son épouse, encore mineure28.
Une charte du 8 octobre 1186, dénuée de toute annonce de corroboration, permet donc
d’appréhender ce que devait être le premier grand sceau comtal du lignage fuxéen29. Dans
ce document rédigé dans le comté de Provence, plus précisément à Hyères, dans la
maison de Peronet de Collobrières30, Roger-Bernard s’engage auprès de Guillaume
Tornello, consul de Gênes, à respecter les accords passés entre le roi d’Aragon,
Alphonse II, et ladite cité ligurienne. Il intervient explicitement en tant que délégué de
pouvoir du souverain qu’il représente en personne dans cette principauté provençale : ego
23. MACÉ, La majesté et la croix… cité n. 4, p. 29.
24. Laurent MACÉ, « Sceau du miles conversus. Entre l’idéal cistercien et le modèle templier (seconde
moitié du XIIe siècle) » dans Images et ornements autour des ordres militaires au Moyen Âge. Culture
visuelle et culte des saints (France, Espagne du Nord, Italie), dir. Damien CARRAZ et Esther DEHOUX,
Toulouse, 2016, p. 134-135.
25. Laurent MACÉ, « Par le tranchant, la rave et l’hermine. Pouvoir et patronyme : les sceaux des
Trencavel (XIIe-XIIIe siècles) », Cahiers de civilisation médiévale, 202, 2008, p. 105-128.
26. MACÉ, La majesté et la croix… cité n. 4, p. 67.
27. Plusieurs empreintes de ce comte ont été conservées. Une seconde matrice est utilisée de 1160 jusqu’à
sa mort en 1162 ; celle-ci est reprise par son fils aîné, Alphonse (d’abord appelé Raimond Bérenger),
jusqu’aux alentours de 1172, date de son avènement royal. En septembre de cette année, ce dernier avoue
utiliser son sigillum novum (Faustino MENÉNDEZ PIDAL DE NAVASCUÉS, « Origen del emblema de los reyes de
Aragón », Armas e troféus, 17, 2015, p. 35-36 ; idem, Los sellos en nuestra historia, cité n. 19, p. 169, n. 51 ;
p. 199).
28. MENÉNDEZ PIDAL, Los sellos en nuestra historia, cité n. 19, p. 168.
29. FERRER I MALLOL, RIU I RIU, Tractats i negociacions... cite n. 20, vol. I, n° 124, p. 421-423. Se
reporter au tableau de la tradition qui donne les premières publications des Libri Jurium.
30. Acta sunt hec apud Areas, in domo Peroneti de Colobreria (ibid., p. 422).
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Des pals et un château
Rogerius Bernardi, comes Fuxensis et procurator domini regis Aragonum in Provintiam.
Après la trahison avérée de Sanche – qui avait passé une alliance avec les adversaires de
son royal frère – celui-ci est destitué en février 1185. Dès le mois suivant, le roi a décidé
de laisser le comté de Provence aux mains d’une personne de confiance, à savoir son
parent, le comte de Foix. Roger-Bernard devient le nouvel homme fort de la principauté,
il la dirige en lieu et place du souverain aragonais, assisté d’un conseil de seigneurs
locaux, de Catalans et d’Aragonais31. Dans la ville d'Aix, en mars 1185, il assiste aux
donations qu’Alphonse II effectue et confirme en faveur de l’église cathédrale. Dans un
premier document, il est désigné comme baile du comté de Provence ; dans les deux
autres, il figure en tête de la liste testimoniale livrée par le roi32.
L’acte original d’octobre 1186, désormais perdu, fut jadis scellé d’une empreinte qui
n’a pas été conservée mais qui, fort heureusement, a été vue et décrite en août 1229 par
un notaire de Gênes, Simon Donati, lequel œuvrait au sein de l’équipe des praticiens
consignant les Libri Jurium de la ville. Plus de quarante années d’usage et d’usure ont
déjà rendu les légendes de cette empreinte difficiles à saisir mais Simon Donati nous livre
néanmoins une modeste restitution de ce qu’il a eu sous les yeux, à savoir un sceau de
cire « sur lequel, d’un côté, était gravée l’effigie d’un chevalier armé, assis sur un cheval ;
de l’autre côté, on pouvait voir la silhouette gravée d’un château construit sur une arche ;
les inscriptions circulaires de ce sceau ne pouvaient être lues en raison de sa trop grande
vétusté, comme j’ai pu le voir et le lire »33.
On peut donc constater que le type équestre de guerre orne déjà l’avers de ce sceau et
que le revers au type architectural est également bien en place. Il l’est quasiment pour
près d’un siècle puisqu’il caractérise la marque des trois comtes de Foix qui se succèdent
jusqu’en 1265. Le cavalier armé est une image assez classique pour un notaire
expérimenté et bon connaisseur des sceaux du XIIe siècle. En revanche, le revers, sans
doute bien usé en ces années 1220, semble poser un problème de lecture dans sa partie
inférieure puisque Simon Donati croit voir la forme d’une arche pour ce qui s’avère être
une éminence rocheuse, recouverte de bosquets, et au pied de laquelle s’étale un cours
d’eau, confluence de la rivière Ariège et de l’Arget. Ce revers évoque sans ambages le
château que les comtes ont fait bâtir, dans la première moitié du XIe siècle, sur les
hauteurs boisées qui dominent la ville de Foix et la vallée de l’Ariège coulant à leurs
pieds34.
Signe de l’ancrage territorial de la topolignée, le castrum pyrénéen est effectivement
représenté, sur les sceaux du XIIIe siècle, sous la forme d’un bâtiment doté de deux tours
latérales, maçonnées et crénelées. Ces dernières sont reliées par une courtine également
31. Marti AURELL I CARDONA, « Le personnel politique catalan et aragonais d’Alphonse Ier en Provence
(1166-1196) », Annales du Midi, t. 152, 1981, p. 121-139.
32. Data apud Aquis […] cum recuperavissemus Provintiam a Santio fratre nostre […]. Facta fuit hec
donatio in presentia comitis de Foix, tunc temporis baiuli Provintie constituti (Ana Isabel SÁNCHEZ
CASABÓN, Alfonso II Rey de Aragón, Conde de Barcelona y Marqués de Provenza. Documentos (1162-1196),
Zaragoza, 1995, n° 401, p. 534-535) ; Testes huius facti sunt Rogerius Bernardi, comes Fuxi (ibid., n°402,
p. 536-537 ; n° 403, p. 537-538).
33. Ego Symon Donati notarius hoc exemplum ab autentico et originali […] sigillato sigillo cereo Rogerii
Bernardi supradicti, in quo ex una parte quasi forma sculpta militis [armati in equo sedentis], ex alio vero
parte videbatur quasi forma sculpta castri super arce constructi, circumscriptiones cuius sigilli legi [non
poterant] propter nimiam vetustatem, sicut eo vidi et legi (FERRER I MALLOL, RIU I RIU, Tractats i
negociacions... cité n. 20, p. 423).
34. Florence GUILLOT, « Les fortifications des comtes de Foix au Moyen Âge (Ariège) », Archéologie du
Midi médiéval, t. 23-24, 2005-2006, p. 169.
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LAURENT MACÉ
munie de créneaux. Mais l’ensemble monumental ne correspond guère à la silhouette
stéréotypée du château à trois tours et à porte centrale que l’on retrouve sur la plupart des
sceaux de ce temps35. Le site castral de Foix semble ne pas avoir son pareil dans le
paysage sigillaire. Même s’il n’est guère possible de voir, avec certitude, une réelle
singularité architecturale que l’on pourrait mettre au crédit du graveur de la matrice, il est
toutefois possible que cette physionomie assez inédite traduit avec un certain
« naturalisme » les aménagements réalisés sur le terrain dans la seconde partie du XIIe
siècle : un grand bâtiment à étages (un espace de réception et de décision de type aula ?)
aurait alors apparié les deux tours carrées36. Comme son voisin toulousain, le comte
Raimond V – qui fait représenter son château Narbonnais sur la matrice de son sceau à
partir des années 1170 – Roger-Bernard aurait-il refondé le siège de sa principauté
montagnarde à travers cette opération de « castralisation » ?37 Au détour d’une de ses
chansons, à la fin du XIIe siècle, le troubadour Peire Vidal, peut-être de passage dans le
pays, paraît apprécier la nouvelle résidence princière qui surmonte la ville : « De Foix, je
veux Laroque et Lavaur, et le beau palais et le doux pré, et le verger où chantent les
oiseaux »38. Et deux troubadours, Gaucelm Faidit et Aimeric, venus chanter à la cour du
comte, n’hésitent pas à le choisir comme arbitre d’un de leurs débats courtois composé à
la toute fin du XIIe siècle39.
III. FOIX ET ARAGON, MÊME COMBAT
Reste à déterminer à quel moment Roger-Bernard a voulu se doter d’une matrice de
sceau. Le début de son principat (1148) semble prématuré : on l’a vu, les grands princes
de la région (Barcelone, Toulouse, Rodez) commencent à peine à le faire. Quels sont
alors les grands événements qui ont pu l’inciter à inventer une marque signifiant son
statut et son identité dans l’échiquier politique méridional ? Certes, son mariage en juin
1151 avec Cécile Trencavel, la fille de Raimond Ier, vicomte de Béziers, d’Albi et de
Carcassonne, lui donne une certaine assise territoriale d’autant plus que cette union
matrimoniale se réalise sous les auspices de son oncle barcelonais40. Mais cela n’explique
pas le choix d’un revers architectural qui manifeste son évident tropisme fuxéen. Une
autre date pourrait conduire vers une piste acceptable. En 1168, le comte de Foix négocie
un accord avec Saint-Volusien. Il vient conclure, provisoirement, un conflit qui opposait
le prince aux chanoines réguliers de cette église abbatiale à propos de la délimitation de la
seigneurie que les deux parties prétendaient pouvoir exercer sur la ville. L’acte de
paréage qui est alors rédigé prévoit le partage par moitié des droits que Roger-Bernard
35. Ambre VILAIN, ‟Imago urbis”. Les sceaux de ville au Moyen Âge, Paris, 2018.
36. Charles-Laurent SALCH, Joseph-Frédéric FINO, Atlas des châteaux-forts en France, Strasbourg, 1988,
p. 105.
37. MACÉ, La majesté et la croix… cité n. 4, p. 176-182. Idem, « Castel Narbones. La fierté monumentale
des Raimond de Toulouse », dans « Châteaux, palais et tours : pouvoirs et cultures dans l’Occitanie
médiévale », dir. Monique BOURIN, Laurent SCHNEIDER, Patrimoines du Sud, n°10, 2019 [mise en ligne
2/9/2019], p. 1-17.
38. De Fois vuelh Laroqu’e Lavaur / e.l bell palaitz e.l dous pradell / e.l vergier on chanton auzell (Peire
Vidal. Poesie, edizione critica e commento, a cura di D’Arco Silvio Avalle, Milan/Naples, 1960, p. 288-301,
XXXV, vv. 49-52).
39. « Gaucelm, le comte de Foix, qui mérite les louanges, saura bien nous juger et nous départager […]
Aimeric, il saura bien choisir le meilleur parti, le vaillant comte, et il prononcera le jugement équitable »
(Jean MOUZAT, Les poèmes de Gaucelm Faidit, troubadour du XIIe siècle, Paris, 1965, p. 262).
40. cum consilio igitur et voluntate Raimundi Berengarii, comitis Barchinonensis, principis Aragonensis,
domini avunculi mei (FERRER I MALLOL, RIU I RIU, Tractats i negociacions... cité n. 20, n°64, p. 335).
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Des pals et un château
doit détenir dans et hors les murs d’une agglomération41 qui amorce à peine son
développement42. Le sceau pourrait être la manifestation symbolique d’un pouvoir comtal
qui entend s’affirmer sur une ville que son château domine et contrôle. La refondation du
site castral pourrait également s’établir dans le cadre de cette crispation seigneuriale qui
l’oppose au principal concurrent local.
En outre, c’est durant les années 1170 que le comte de Foix acquiert une certaine aura
auprès de ses pairs, période qui voit la montée en puissance de ce prince qui fréquente
alors les protagonistes les plus en vue de la « grande guerre méridionale ». Ainsi, en
1176, à Jarnègues, sur le Rhône, il figure en bonne place dans le bal diplomatique invité à
arbitrer la question de la rivalité pour la Provence que mènent les deux grands acteurs
régionaux du moment, le roi d’Aragon Alphonse II et le comte de Toulouse Raimond V.
Lors des pourparlers liés à ce traité, il a pu voir et admirer les matrices bifaces au type
équestre de guerre que détiennent ces deux princes. Il est donc possible qu’il se soit alors
muni d’un sceau. Un de ses proches contemporains, qui est aussi son voisin,
Ermengaud VII, comte d’Urgell (1154-1184), scelle d’ailleurs d’un sceau biface de
80 mm. Il est également son parent par alliance puisque le comte Ermengaud a épousé, en
1157, Douce de Foix (morte en 1209), la sœur de Roger-Bernard. Sur ce sceau non daté,
le beau-frère du comte fuxéen a choisi de paraître en cavalier à l’épée à l’avers et en
cavalier à la lance, munie d’une enseigne, au revers43. Le comte de Foix ne pouvait
décidément pas demeurer à l’écart de ce puissant mouvement de diffusion de la pratique
sigillaire, héraldique, et vexillologique.
5. Grand sceau du comte Raimond Bérenger IV en septembre 1150
(dessin de Joseph Laugier).
41. Claudine PAILHÈS, Le comté de Foix, un pays et des hommes. Regard sur un comté pyrénéen au
Moyen Âge, Cahors, 2006, p. 237.
42. Philippe WOLFF, « Une ville pyrénéenne au XIIIe siècle : l’exemple de Foix », Annales du Midi, t. 72,
1965, p. 137-155.
43. Ferrán de SAGARRA, « Sigilografía dels comtes d’Urgell », Boletin de la Real Academia de Buenas
Letras de Barcelona, 1907-1908, p. 310-311. Le mauvais état de conservation de l’empreinte ne permet pas
de lire l’échiqueté d’or et sable adopté par cette maison.
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LAURENT MACÉ
De fait, s’il est fort probable que le comte de Foix commence à sceller dans les années
1170, il est aussi celui qui conçut, durant cette même période, les armes dynastiques de la
maison, à savoir d’or à trois pals de gueules. L’adoption de ces meubles suit une logique
à la fois familiale et politique dont le modèle s’est développé outre-Pyrénées : les comtes
de Barcelone sont les premiers à porter un écu et une enseigne ornés de pals (fig. 5)44.
Quand, en 1172, à la majorité d’Alphonse II, ces comtes sont devenus, par déshérence
dynastique, rois d’Aragon, ces armes ont alors désigné dans le paysage aristocratique les
membres d’une maison qui avait obtenu le titre royal. Et la nouvelle matrice qui fut
adoptée par le jeune souverain affichait clairement, par sa noble majesté couronnée, cette
réalité politique45. C’est ici qu’il faut rappeler que, depuis le début du siècle, la maison de
Foix recherche en Catalogne d’avantageuses alliances matrimoniales46 : ainsi, RogerBernard Ier a eu pour mère Ximena, la jeune fille du comte de Barcelone Raimond
Bérenger III (mort en 1131) et de María Rodriguez de Vivar47. Fils de cette femme
illustre – le père de cette dernière n’était rien moins que le fameux Cid Campeador – que
le comte Roger III de Foix (c. 1124-1148) a épousée vers 1117, Roger-Bernard a pour lui
de prestigieux ascendants. Il a souhaité signifier qu’il appartenait à cette noble maison
barcelonaise, laquelle est récemment parvenue à se hisser au stade suprême du pouvoir ;
sa souveraineté change d’ailleurs de nature : « on assiste à une véritable mise en royauté
de la dynastie »48. Dès 1172, la condition royale apparaît au premier plan dans les accords
que conclut le roi Alphonse avec les grands seigneurs languedociens49.
Le lustre de sa naissance donne donc au comte de Foix toute légitimité à construire
une identité héraldique qui devait rencontrer un certain écho dans les Pyrénées,
notamment auprès du groupe aristocratique régional. Si elles lui permettent de s’imposer
dans le comté de Foix, ces armoiries rappellent avant tout l’évidente proximité charnelle
qui le lie à celui qui est son parent, souverain d’un royaume d’Aragon si proche de ses
terres et domaines50. C’est également au cours des années 1170, dans le cadre de la
« grande guerre méridionale » – conflit d’interaction féodale qui n’est qu’un moment
parmi tant d’autres où les tractations aux menées obliques jouent un grand rôle dans
l’équilibre des forces51 – que Roger-Bernard abandonne le camp du Toulousain pour se
44. Dessin de Joseph Laugier réalisé pour Louis BLANCARD, Iconographie des sceaux et bulles conservés
dans la partie antérieure à 1790 des archives départementales des Bouches-du-Rhône, Marseille/Paris, 1860,
pl. 2, n°1.
45. Voir supra note 27. Marta SERRANO COLL, ‟Effigies Regis Aragonum”. La imagen figurativa del rey
de Aragón en la Edad Media, Zaragoza, 2015, p. 63.
46. Charles BAUDON DE MONY, Les relations politiques des comtes de Foix avec la Catalogne jusqu’au
début du XIVe siècle, Paris, 1896, t. I, p. 38-39 ; Martin AURELL, Les noces du comte. Mariage et pouvoir en
Catalogne (785-1213), Paris, 1995, p. 347 et p. 412.
47. Dans la documentation, Roger III est dit fils de Ximena et il rappelle parfois que le prince d’Aragon
est son oncle maternel (Thierry STASSER, « De Stéphanie-Douce à Douce de Foix. Nouvelles hypothèses sur
la généalogie des comtes de Provence et de Foix », Annales du Midi, t. 307-308, 2019, p. 305, n. 62).
48. Michel ZIMMERMANN, Naissance de la Catalogne (VIIIe-XIIe siècle), Limoges, 2019, p. 508.
49. Ibidem, p. 511.
50. Ce lien de parenté est rappelé également entre le roi et Raimond-Roger, le fils du défunt comte. Le 14
mai 1188, à Carcassonne, le souverain donne, dilecto et fideli consanguineo meo, le Carcassès, le Razès et le
Lauragais. En juin 1194, à Huesca, le roi passe un accord avec lui (tibi Raimundo Rogerii, dilecto nepoti meo,
propter amorem et copulam parentele que est inter me et te et propter servicium quod michi fecisti) contre le
omte de Toulouse (SÁNCHEZ CASABÓN, Alfonso II… cité n. 32, n°468 et n°605). C’est également parce qu’il
fait confiance à son parent que le roi d’Aragon Pierre II confie au comte de Foix l’honneur de diriger la
première ligne de sa cavalerie lors de la fameuse bataille de Muret, en septembre 1213…
51. « Dans cette interaction féodale rythmée pour une bonne part par les choses de la vie des grandes
familles (naissances et morts, mariages avantageux et querelles successorales), les retournements de situation
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Des pals et un château
ranger aux côtés de son rival aragonais. Après avoir assisté au rapprochement entre le
Raimondin et le Trencavel en 117352, il se trouve sans ambiguïté, en avril 1176, dans le
cortège des témoins soutenant le souverain lors de la signature du traité de Jarnègues53.
Le roi vient de manifester manu militari sa présence en Provence, il s’affirme chaque jour
davantage comme un souverain puissant, capable d’inquiéter avec force son concurrent
toulousain54. Le positionnement pro-aragonais du comte de Foix s’établit dans ce
contexte précis ; il se confirme les années suivantes. Comme je l’ai précisé, juste après
l’éviction de Sanche, le frère du roi, et la trêve signée en février 1185 avec le comte de
Toulouse55, Roger-Bernard devient le nouvel administrateur du comté de Provence au
nom du souverain Alphonse II.
IV. LES PALS EN PARTAGE
Le comte de Foix n’est d’ailleurs pas le seul à se revêtir des pals de gueules du roi
d’Aragon de la maison de Barcelone56. Le frère du souverain, le comte de Provence
Raimond Bérenger IV, s’affiche sous de telles couleurs en 1178. Tout comme Sanche
l’autre frère, celui qui a été déchu : il expose les pals dynastiques sur son double sceau
équestre de 118057. En ce qui concerne le comte de Foix, la question qui mérite d’être
posée est de savoir si le port de ces pals est une initiative personnelle qu’il a prise pour
manifester cette parenté prestigieuse ou bien s’il s’agit d’une concession d’armoiries
prodiguée par le roi Alphonse. Au cours de ces décennies, ce dernier semble l’avoir
effectué à plusieurs reprises. Deux exemples en témoignent. Le premier est bien connu :
en avril 1187, le souverain concède à la ville de Millau sigillum et vexillum nostrum ; la
communauté urbaine peut dorénavant lever des troupes et les mener au combat sous
l’enseigne armoriée du dynaste58. Le second est plus difficile à déterminer. En avril 1181,
à Pâques, le seigneur Gui II de Sévérac meurt au combat aux côtés du comte de Provence
Raimond Bérenger IV, tué près de Montpellier par Adémar de Murviel, un des alliés du
comte de Toulouse. Des liens matrimoniaux et féodaux unissaient la maison de Sévérac à
celle de Barcelone59. Toujours est-il que Gui III, le fils du défunt chevalier, arbore par la
suite d’argent à trois pals de gueules. S’agit-il là d’une brisure, sous forme de
changement de métal, qui rappelle l’alliance matrimoniale dont a été gratifié ce lignage
sont rapides. Ils seraient même radicaux si une certaine viscosité du système ne contribuait à amortir les
chocs » (Dominique BARTHÉLEMY, La bataille de Bouvines. Histoire et légendes, Paris, 2018, p. 47).
52. Histoire générale de Languedoc, cité n. 17, t. VI, 1879, p. 44.
53. Rogerio Bernardi Fuxensi comite (SÁNCHEZ CASABÓN, Alsonso II… cité n. 32, n°215, p. 300-301).
54. Pere BENITO I MONCLÚS, « The Catalan-Aragonese Expedition to Toulouse and the Submission of
Nice and Forcauquier (1175-1177) : a before and an after in the Course of the Great Occitan War », Imago
temporis. Medium aevum, t. 9, 2015, p. 191-209.
55. SÁNCHEZ CASABÓN, Alsonso II… cité n. 32, n°400, p. 532-534.
56. Le nombre de pals est souvent indéterminé chez les Foix comme chez leurs parents d’outre-Pyrénées ;
le nombre de trois pals qui s’impose progressivement au cours du XIIIe siècle tend à signaler la brisure
fuxéenne par rapport au lignage de la maison d’Aragon, même si la pratique n’est pas encore définitivement
fixée.
57. BLANCARD, Iconographie des sceaux et bulles… cité n. 44, pl. 2, n°3 et n°4 ; MENÉNDEZ PIDAL,
« Origen del emblema… », cité n. 27, p. 61-62.
58. Martin de FRAMOND, « Aux origines du sceau de ville et de juridiction : les premiers sceaux de la ville
de Millau », Bibliothèque de l’École des Chartes, t. 147, 1989, p. 87-122 ; Laurent MACÉ, « Sigillum et
vexillum. La manifestation des pouvoirs laïcs en Rouergue (1150-1250) : l’apport des sceaux, de l’héraldique
et de la vexillologie », dans La vicomté de Millau au temps de la domination catalano-aragonaise. Rivalités
et dissidences (Millau, 4-6 octobre 2013), collection Heresis, n°1, 2020, p. 119-138.
59. MACÉ, ibidem, p. 133.
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LAURENT MACÉ
rouergat ou doit-on voir ici la concession d’armes royales en récompense du lien
indéfectible qui unit les deux maisons, en la circonstance en raison du sang versé sur
l’herbe pascale60 ? Le déploiement des armoiries royales semble se trouver au carrefour
de la mémoire honorable du sacrifice consenti et du prestige d’une fidélité féodale,
renforcée par l’échange des femmes.
Chez les comtes de Foix, cette mémoire familiale au féminin est savamment
entretenue par le biais d’une héraldique bien affichée. Si le souvenir de Ximena retient
toute l’attention de son fils dans la seconde moitié du XIIe siècle, d’autres femmes
apparaissent indirectement, par la figuration d’un emblème armorié, sur les sceaux des
comtes de Foix du XIIIe siècle. Ainsi, Louis Douët d’Arcq omet, dans sa fiche
descriptive, de signaler le lion passant qui figure entre les deux tours du revers du premier
grand sceau utilisé par le comte Roger-Bernard II (1223-1241)61. Ce félin n’est
aucunement un motif allusif, il ne semble signaler aucun surnom (« le lion ») porté par ce
prince. Il correspond plus vraisemblablement aux armoiries de sa défunte mère, héritière
d’une quelconque terre qu’elle était en mesure de transmettre en droit à son aîné. De cette
femme épousée en 1189 par Raimond-Roger, l’on sait qu’elle s’appelait Philippa et
qu’elle s’était établie à Dun en 1206 pour y tenir une maison de « parfaites » dans
laquelle elle recevait parfois son mari62. Mais les historiens ignorent à quelle famille
attribuer ses origines, sans doute à un lignage qui avait adopté comme marque héraldique
un lion passant à la queue fourchue63. L’enquête reste à mener, si toutefois la
documentation conservée le permet… À la génération suivante, le comte Roger IV (12411265) remplace le lion de sa supposée aïeule par un écu aux armes des vicomtes de
Castelbon (d’or au chef de sable chargé de trois losanges du champ). L’explication est ici
évidente : sa mère, Ermessinde de Castelbon, héritière de la petite principauté
pyrénéenne, est décédée le 29 janvier 123064. Roger IV devient alors vicomte de
Castelbon, puis comte de Foix à la mort de son père en 1241. Durant sa période de
minorité, avant de placer l’écu des Castelbon entre les deux tours du château de Foix, il
utilise certes un sceau ante susceptum dont l’avers équestre de guerre le montre sous les
couleurs dynastiques de ses ancêtres fuxéens. Mais, derrière lui, au-dessus de la croupe de
60. À titre de comparaison, et sous d’autres contrées, citons le cas du chambellan du roi Jean sans Terre,
Hubert de Burgh, qui adopte les trois lions passant guardant de son maître, mais seule la combinaison
héraldique est ici conservée, les émaux, eux, ne sont pas identiques. Cette concession d’armoiries, signe de la
faveur royale, reflète l’importante position tenue à la cour par ce fidèle officier (Adrian AILES, « Medieval
Armorial Seals in the National Archives (UK) », dans A companon to seals… WHATLEY (dir.), cité n. 3,
p. 160).
61. ANF, sc/D 662.
62. Michel ROQUEBERT, L’épopée cathare. I. La croisade albigeoise, Paris, 2001, p. 140. Suivant les
allégations de Pierre Olhagaray (Histoire des comptes de Foix, Béarn et Navarre, Paris, 1629), certains
veulent voir chez cette Philippa une représentante du lignage catalan des Moncada mais le lion passant – qui
n’est pas le meuble héraldique retenu par cette famille – ne permet guère d’étayer cette hypothèse qui n’en
reste qu’une à ce stade… Le comte suivant, Roger IV, appellera une de ses filles Philippa, en hommage à sa
grand-mère.
63. Il n’en demeure pas moins singulier de relever que le lion rampant à la queue fourchue est l’emblème
de Simon de Montfort, chef de la croisade menée contre les hérétiques du Midi de la France…
64. Jugée à titre posthume pour hérésie, ses ossements furent exhumés et brûlés en 1270, ainsi que ceux
de son père, par décision de l’inquisition aragonaise… (ROQUEBERT, L’épopée cathare… cité n. 62, p. 140).
Arnaud, vicomte de Castelbon (1185-1226), avait épousé en 1183 Arnalda de Caboet qui lui apporta en dot
les vallées de Cabo, de Sant-Juan et d’Andorre. C’est vraisemblablement lui qui adopta ces armoiries ou qui
modifia celles de son père Raimond II (1150-1185) en y ajoutant les losanges sur le chef : il fut le dernier
vicomte à porter ces armes avant qu’elles ne soient transmises à la maison de Foix.
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Des pals et un château
sa monture figure, bien en évidence, l’écu maternel65. Chez les comtes de Foix, la
transmission des emblèmes par la voie matrilinéaire est souvent une affaire de famille.
Mais ce sont les pals qui importent avant tout et la raison d’être de leur présence dans
l’emblématique fuxéenne semble comprise du plus grand nombre. Dans la seconde moitié
du XIVe siècle, le chroniqueur Jean Froissart (c.1337-c.1410), qui a séjourné quelque
temps à la cour du comte Gaston III dit Fébus († 1391), compose une pastourelle dont
l’une des strophes explicite les armes prestigieuses du lignage :
« Le champ est d’or, c’est uns beaus draps,
Mais d’Arragon il se champie,
Car il en descent de lignié,
Si les poet et doit bien porter ;
Et Berne est, au voir ordener,
De deus vaches en rouge peauls
Passans, et à leurs hateriaux
Ont esquires d’asur, c’est drois.
Or va, faic poindre en tes jupeaus
Les armes de Berne et de Fois »66.
Cette interprétation perdure, même au-delà du Moyen Âge, épaississant peu à peu la
stratification symbolique des puissants. Durant la première modernité, certains ne doutent
pas un instant que la motivation héraldique des comtes de Foix était bien de signifier leurs
liens de parenté avec la maison de Barcelone :
« Et ils décrétèrent que par ces Faits, les dits Chevaliers de Foix et de
Béarn avaient toujours Respecté et Respecteront, pour Blason et
Emblème, les Armes de la Maison des Comtes de Foix et Princes de
Béarn, sans quelque autre Modification, et qui sont les « Trois Barres
Vermeilles sur Champ d’Or » Qui sont les Insignes qui rappellent les :
« Quatre Barres Vermeilles sur Champ d’Or » de la Bannière des
Comtes de Barcelone et des Rois d’Aragon, et les Quatre Vaches de la
Bannière de Béarn »67.
Mais d’autres veulent voir dans les barres qui ornent l’écu fuxéen une histoire bien
différente. Un Moyen Âge souvent fantasmé alimente parfois quelques affabulations,
donnant des armes comtales une signification allusive, certes fort valorisante, mais dont
65. Empreinte de juillet 1234 (60 mm) avec une légende sans titulature comtale : « sceau de Roger de
Foix » (Ferrán de SAGARRA, Sigillografia catalana, Barcelona, 1915, vol. II, n°2121, p. 287). Il scelle encore
avec cette matrice un dernier document (prestation d’un hommage lige au roi de France), à Orléans, en juillet
1241, après la mort de son père (ANF, sc/D 664). Sur la nouvelle marque (75 mm) qu’il appose, peut-être le
même jour, sur une copie authentique de cette charte, on observe que les pals dynastiques figurent également
sur le heaume du type équestre de guerre (ANF, sc/D 663).
66. Laurent MACÉ, « Or et gueules, Foix-Béarn. Les armes du prince Soleil », dans Signé Fébus, comte de
Foix, prince de Béarn. Marques personnelles, écrit et pouvoir autour de Gaston Fébus, dir. Véronique
LAMAZOU-DUPLAN, Pau/Paris, 2014, p. 124.
67. André BOSCH, Sommaire des titres d’honneur de Catalogne, Roussillon et Cerdagne, Barcelone,
1628, livre 2, chap. 35, p. 214-215.
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LAURENT MACÉ
les racines plongent avec gourmandise dans l’imaginaire des croisades. Dans ce cadre,
une tendance folklorique contemporaine fait du comte de Foix un héros du premier
pèlerinage armé. Alors qu’il s’était provisoirement écarté d’un combat afin de reprendre
des forces, il tente de s’assoupir près d’un arbre, son bouclier d’or près de lui. Un ennemi,
qui l’avait suivi, s’approcha sans bruit afin de l’occire. Mais le valeureux guerrier feignait
seulement de dormir. Quand l’ennemi fut suffisamment près de lui, le prince le frappa de
son épée tout en se protégeant avec son bouclier. Le malheureux s’écroula sur celui-ci,
laissant la marque de ses doigts ensanglantés sur l’écu du comte de Foix. Cette
interprétation de la genèse héraldique du lignage n’est en fait qu’une variante, à peine
déguisée, du mythe qui se rapporte à la naissance, tout aussi irréaliste, des armoiries
barcelonaises qui auraient été créées au temps de Guifred le Velu. Une tradition, héritée
du XVIe siècle, prétend que Charles le Chauve, qui a donné au comte de Barcelone les
principautés d’Urgell et de Cerdagne, le sollicite afin d’intervenir contre quelque
incursion normande. Blessé au cours d’un affrontement, Guifred se repose, le soir, sous sa
tente ; le souverain franc vient lui rendre visite, humecte quatre de ses doigts dans la
blessure ouverte de son valeureux vassal et les fait glisser à la surface de son bouclier en
bronze. Ainsi seraient nées les armes de la maison de Barcelone. Cette pittoresque version
est rapportée de la sorte dans la deuxième partie de la chronique de celui qui en fut le
probable inventeur68. Ces deux épisodes ne sont pas, pour autant, des cas isolés, il est
d’usage, durant la première modernité, de donner des significations allusives à des figures
héraldiques ordinaires. Reprenant les auteurs du XVIIe siècle, deux cent ans plus tard,
d’autres historiens glosent à l’envi. Certains ne se privent pas de quelques contorsions
alambiquées pour expliquer la présence des otelles d’argent sur les armes des comtes de
Comminges : « Arnaud de Comminges, vicomte de Couserans, ayant reçu deux blessures
à la bataille de Mansourah, et deux autres en allant secourir le comte de Poitiers, frère de
Saint Louis, prit en souvenir de gueules à quatre cicatrices d’argent »69. Dans le même
registre, une autre tradition – du XVe siècle cette fois-ci – rapporte que, durant le siège de
Saint-Jean d’Acre (1191), le duc Léopold V d’Autriche voit sa cotte blanche couverte du
sang des Infidèles. Lorsqu’il en détache le ceinturon, une bande immaculée apparaît,
épisode pour le moins spectaculaire qui aurait donné naissance aux armoiries du duché
d’Autriche (de gueules à la fasce d’argent) lesquelles, en réalité ne sont attestées qu’à
partir du règne de l’empereur Frédéric II, dans la première moitié du XIIIe siècle70. On
peut également citer l’exemple bien connu des Thibaud, rois de Navarre71, de Mathieu II
68. Pere Antoni BEUTER, Segunda parte de la corónica general de España y especialmente de Aragon,
Cathaluña y Valencia, Valence, 1551. Voir Faustino MENÉNDEZ PIDAL DE NAVASCUÉS, « Palos de oro y
gules », Studia in honorem prof. M. de Riquer, Barcelona, 1991, vol. IV, p. 669-704 ; Martí de RIQUER,
Llegendes històriques catalanes, Barcelona, 2000 ; Michel PASTOUREAU, Traité d’héraldique, Paris, 1997 (3e
éd.), p. 254 ; Stefano Maria CINGOLANI, « “Seguir les vestígies dels antecessors”. Llinatge, reialesa i
historiografia a Catalunya des de Ramón Berenguer IV a Père II (1131-1285) », Anuario de Estudios
Medievales, t. 36, 2006, p. 201-240.
69. Louis de FIANCETTE D’AGOS, Vie et miracles de Saint Bertrand avec une notice historique sur la ville
et les évêques de Comminges, Saint-Gaudens, 1854, p. 64 (cf. Laurent MACÉ, « Sceau du miles conversus
… », cité n. 24, p. 140).
70. Martí de RIQUER, Heràldica catalana des de l’any 1150 al 1550, Barcelona, 1983, t. I, p. 56.
71. Autre exemple, celui des armes de Navarre attribuées de façon imaginaire au roi Sanche VII dans le
contexte de Las Navas de Tolosa. La légende relate que, lors de la bataille, Sanche VII, ayant traversé la
dernière défense de Yaqub ben Yusuf avec une troupe spécialement choisie pour sa bravoure, brisa les
chaînes du campement du prince almohade qu’il intégra ensuite dans ses armoiries. Le site internet du
gouvernement autonome continue d’expliquer ainsi l’origine des armoiries de la Navarre. À Roncevaux,
l’ancienne salle capitulaire, devenue chapelle funéraire de Sanche VII, offre au visiteur, face au tombeau néogothique, des chaînes posées sur un coussin rouge ; elles sont présentées comme étant le trophée remporté par
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Des pals et un château
de Montmorency, connétable de France, ou encore le cas du lignage de Coucy72. Toutes
ces réécritures de l’histoire familiale soulignent cependant le lien évident qu’entretiennent
entre elles mémoire héraldique et bravoure guerrière, cette dernière se manifestant de
préférence contre les ennemis de la foi73. Ainsi se reconstruisent sans vergogne quelques
légendes héraldiques…74
✺✺✺
Bien avant 1185, sans doute après le majorat d’Alphonse II en 1172, le comte de Foix
Roger-Bernard Ier acquiert un symbolique droit à l’image en se dotant d’une matrice de
grand sceau figuratif, ainsi que d’armoiries empruntées à son parent, le roi d’Aragon75. En
agissant de la sorte, le maître des défilés qui mènent du Sabarthès vers l’Aragon et la
Catalogne manifeste la volonté de s’affirmer au moyen d’un signe à forte valeur
emblématique. L’adoption d’un sceau et d’armoiries aux couleurs du roi d’Aragon de la
maison de Barcelone montre les évidentes prétentions de la dynastie fuxéenne à
s’imposer dans les aires pyrénéennes limitrophes du comté (Razès, Castelbon, Urgell). À
la fin du XIIe siècle, les Foix sont devenus des princes bien présents sur la scène politique
régionale. Au point que, renouvelant l’expérience de son arrière-grand-père, Roger II, qui
participa à la première croisade et qui fonda à son retour le château de Pamiers en
souvenir d’Apamée (Syrie), Raimond-Roger entreprit à son tour de participer à
l’expédition outre-mer. En 1191, il accompagna Philippe Auguste en Terre sainte ; il se
le vainqueur de Las Navas de Tolosa. Dans le musée du même lieu, le cartel présentant une émeraude
explique que cette pierre avait été offerte par Yaqub ben Yusuf au roi de Navarre, lequel l’aurait placée en
cœur de ses armoiries. Depuis, Pinoteau et Menendez Pidal ont attribué leur réalisation à Thibaud IV
(F. MENÉNDEZ PIDAL DE NAVASCUÉS, « Sellos, signos y emblemas de los reyes de Navarra, desde el
Restaurador a los Teobaldos », Primer Congreso General de Historia de Navarra, t. 3, Pamplona, 1988,
p. 105-116 ; F. MENÉNDEZ PIDAL DE NAVASCUÉS et alii, Sellos medievales de Navarra. Estudio y corpus
descriptivo, Pamplona, 1995, p. 44 -45 ; Faustino MENÉNDEZ PIDAL DE NAVASCUÉS et Javier MARTÍNEZ DE
AGUIRRE, El escudo de armas de Navarra, Pamplona, 2000 ; Hervé PINOTEAU, « Les armes de Navarre au
nord des Pyrénées et quelques considérations annexes », Annales de la Real academia matritense de
heráldica y genealogía. Homenaje a Don Faustino Menéndez Pidal, n° 8-2, 2004, p. 893 et La symbolique
royale française (Ve-XVIIIe siècles), La Roche-Rigault, 2004, p. 492). Je remercie chaleureusement mon
confrère Arnaud Baudin pour ces précisions bibliographiques.
72. PASTOUREAU, Traité d’héraldique, cité n. 68, p. 282 ; Dominique BARTHÉLEMY, « Les sires
fondateurs : enjeux impliqués dans les traditions et les recours au passé en seigneurie de Coucy », dans
Temps, mémoire, tradition au Moyen Âge. Actes du XIIIe congrès de la SHMESP, Aix-en-Provence, 1983,
p. 197 et p. 203.
73. Rémi Mathieu avait signalé, en son temps, combien les héraldistes du XVIIe siècle avaient construit
de façon légendaire des armoiries assomptives, de préférence gagnées sur les Infidèles, comme la guivre des
Visconti prise à Jérusalem sur un Sarrasin qui la portait en cimier, ou encore le lion que le comte de Flandre,
Philippe d’Alsace, emprunta au roi sarrasin Nobilion qu’il tua en Terre sainte (Le système héraldique
français, Paris, 1946, p. 157-158).
74. La riche mise en scène du cimier permet de diffuser diverses légendes héraldiques qui commencent à
fleurir au cours des XIVe et XVe siècles (Laurent HABLOT, « L’emblématique des princes méridionaux, un
outil de gouvernement », dans Gouverner et administrer les principautés en France méridionale à la fin du
Moyen Âge (fin XIIIe-fin XVe siècle), dir. Véronique LAMAZOU-DUPLAN, Bordeaux, à paraître).
75. Dans son Ensenhamen rédigé dans les années 1170, le troubadour aquitain Arnaut-Guilhem de
Marsan souligne toute l’importance de l’héraldique dans l’équipement chevaleresque : « faites faire la sousselle avec les mêmes armoiries (senhal) que la selle et avec la même couleur dont sera peint le bouclier et
qu’il y ait à la lance une enseigne (senheira) […] ayez sur le cheval vos armoiries (entressenh) » (Gérard
GOUIRAN, L’Ensenhamen ou Code du parfait chevalier du troubadour gascon Arnaut-Guilhem de Marsan,
Orthez, 2007, p. 88-89, vv. 495-499 ; p. 90-91, v. 549).
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LAURENT MACÉ
signala au siège d’Ascalon et à la prise de Saint-Jean d’Acre avant de revenir avec le roi
lorsque Richard eut pris le commandement de l'armée croisée.
Le grand sceau de Roger-Bernard dévoile la stratégie de médiatisation que celui-ci a
mise en place afin de définir le rang qu’il voulait tenir à l’intérieur du groupe
aristocratique. Son invention sert à dire, à côté de la position liée à l’honor (le type
architectural au château) et à la fonction guerrière (le type équestre à l’épée), les alliances
matrimoniales et les cousinages qui se révèlent à travers le partage d’un fond symbolique
commun aux deux maisons de Foix et de Barcelone. Cette signature lignagère ne fait que
confirmer également le rôle capital des femmes de haut parage dans l’élaboration d’une
mémoire et d’une emblématique qui participent à la construction d’une identité
dynastique qui se donne à voir auprès des grands. Elles s’inscrivent fortement dans une
généalogie de la désignation à travers la circulation des motifs héraldiques. Signe
d’autorité et signe de reconnaissance, le sceau armorié du comte de Foix ouvre donc une
nouvelle fenêtre sur les éléments de représentation de la parenté et la consolidation
mémorielle des lignages princiers de la seconde moitié du XIIe siècle76.
English abstract
Pales and a castle.
The first great seal of the counts of Foix
(third quarter of the 12th century)
LAURENT MACÉ
Counts of Foix begin to use seals at the end of the twelfth century and not at the start of
the following, as we usually think. A written mention allows us to date the first great seal
of Roger-Bernard Ier (dead in 1188) in the 1170’s years when Alphonse II, count of
Barcelona, ascends the throne of Aragon (1172). Household bonds and politics
agreements explain the will of the count to choose a preferential relationship with a
powerful king. The more or less realistic presence of the castle of Foix in the reverse side
of the seal supports the territorial anchoring of the dynasty in the pyreneans areas.
76. Jean-Luc CHASSEL, « Le nom et les armes : la matrilinéarité dans la parenté aristocratique du second
Moyen Âge », Droit et cultures, n°64, 2012, p. 117-148 ; MACÉ, La majesté et la croix… cité n. 4, p. 295 et
suiv.
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