Du métal et de l’étoffe.
La place de la matrice sigillaire et de la bannière
dans les gouvernements urbains méridionaux
Laurent Macé
À la mémoire de Maurice Berthe et de Christian Lauranson-Rosaz
Le thème de ces journées d’étude nous pousse à nous tourner vers le concret, la réalité
tangible des objets. Parmi ces attributs bien visibles mais dont la valeur est tout autant
symbolique, on peut citer les clefs des portes. Elles figurent en belle position, par exemple,
dans la première moitié du xiiie siècle, au revers du grand sceau de Moissac. Dans la
polysémie propre aux hommes du Moyen Âge, ces deux clefs sont celles du bourg monastique
et du bourg administré par le baile du comte de Toulouse. Elles sont aussi et avant tout les
accessoires de l’apôtre Pierre, saint clavigère qui protège la grande abbaye clunisienne,
comme le rappelle la légende : + Sigillvm de vico santi Petri 1. Expression de la dévotion au
saint patron de l’établissement, les deux clefs héraldiques jouent également sur l’ambiguïté
d’un emblème qui, en terre méridionale, évoque l’affirmation du pouvoir romain depuis le
pontificat d’Innocent III 2.
L’exemple moissagais montre tout l’intérêt qu’il y a à se pencher sur l’objet-sceau. Car,
dans le registre de la représentation matérielle, assez logiquement, il y a un attribut qui
apparaît dans les premiers temps des consulats : la matrice sigillaire. Commandée par le
collège municipal, elle illustre sa propre conception du pouvoir édilitaire. Elle est d’ailleurs
souvent contemporaine de la confection d’un cartulaire ou de la rédaction d’une charte de
coutumes 3. Elle fait aussi l’objet d’un certain soin, comme l’indiquent certains articles qui
prévoient son dépôt et sa garde dans l’archa comunis. Un jugement du Parlement de Paris
en faveur du consulat de Saint-Affrique, dans le Rouergue, résume assez bien, en mai 1315, ce
qui constitue alors la triade représentative du gouvernement urbain : “archam et campanam
communes sigillumque commune habendo” 4.
1
2
3
4
Bedos, éd. 1980, n° 426bis, 331.
Bouyé 2008, 278.
Bedos-Rezak 1993 ; 2000a ; 2000b ; 2002.
Framond, éd. 1982, 31, n. 87.
L. Macé, Du métal et de l’étoffe, p. 19-28
46
Laurent Macé
Mais il y a un élément encore plus visible, véritablement ostentatoire, qui est le vexillum,
désigné plus exactement sous le nom de senhal ou de senheira dans les pays méridionaux.
Support d’armoiries ou de signes héraldiques proposés aux yeux de tous, présent dans le
paysage visuel, l’étendard, tout autant que le sceau – dont l’empreinte est vue et diffusée
en nombre – livre un discours sur l’identité de la ville et sur la réalité du gouvernement
urbain. Il témoigne d’une certaine répartition des responsabilités, des jeux de pouvoir avec
le ou les seigneurs des lieux. Dans la cité vicomtale de Marseille, la confrérie du Saint-Esprit
possédait, au début du xiiie s., “une bulle de plomb, un étendard, qu’elle arborait sur ses
dépendances, et une cloche. Celle-ci permettait de convoquer les assemblées générales ou
le conseil” 5.
Il semble nécessaire, dans un premier temps, de relever quelques points sur la place du
codex, registre qui peut faire partie de ces signes montrés et touchés. Du toucher, il est aisé de
passer au caractère sensible de la vision. Si le sceau est un attribut matériel, il met lui-même
en exergue, à la surface de l’empreinte, d’autres éléments, d’autres objets qui appartiennent
à la matérialité du gouvernement urbain. Mais le sceau lui-même est victime d’un paradoxe
qui est celui de la matrice cachée, protégée, thésaurisée dans l’arche. Quelques observations
sur la place du coffre et donc du montré/caché méritent d’être livrées. Sans abandonner l’œil,
associé cette fois-ci à l’ouïe, il est possible de s’interroger, à travers quelques cas précis, sur la
place de l’étendard claquant au vent. Le corpus ainsi constitué, sans être exhaustif, peut être
considéré comme plus ou moins représentatif de certaines tendances que des enquêtes plus
approfondies permettront de valider ou d’infirmer.
La parole du livre
Le recueil de l’écrit, le registre ou le cartulaire, est un des piliers de la reconnaissance
juridique des consulats. À Toulouse, les cartulaires du bourg et de la cité sont confectionnés
à partir de février 1205 par le notaire Guilhem Bernard. La compilation se fait en huit mois 6 ;
elle devient la première pierre de l’édifice archivistique toulousain, bien avant l’édification
de la maison commune qui n’est entreprise qu’un peu plus tard, autour des années 1210 7. Au
même moment, les magistrats se dotent d’une matrice de sceau. La première attestation
matérielle d’une empreinte date d’avril 1211. À l’avers, le château princier et la basilique SaintSernin, bâtiments évoquant respectivement la cité et le bourg, sont enserrés dans le cercle
des remparts ; au revers, l’Agneau pascal porte la croix des comtes raimondins 8. Castrum et
sanctuaire figurent également sur les poids de la ville connus à partir de 1239 9.
Décorés avec soin, les cartulaires sont les premiers éléments exposés et montrés pour
magnifier l’importance des privilèges concédés par les autorités seigneuriales. La page
initiale est ornée d’une lettrine, un I majuscule enluminé et doré ; le traitement figuratif est
particulièrement riche dans le cartulaire de la cité où le comte de Toulouse Anfos, le viguier
5
6
7
8
9
Boyer 2014, 255.
Bordes 2006.
La domus commune est attestée dans des confronts en avril 1212 (Macé 2008c, acte n° 405).
Macé 2009 ; 2014.
Bordes 2005a.
Du métal à l’étoffe
et un membre du consulat sont mis en scène dans un savant dispositif iconographique qui
établit les pouvoirs, théoriques, s’exerçant sur la ville binucléaire 10. Le sujet de la composition
demeure avant tout le document, rouleau de parchemin ou cahier, qui atteste la transmission
des privilèges assurant les libertés obtenues par les civitates et burgenses.
L’écriture pragmatique et rationnelle, développée à des fins d’archivage, de comptabilité,
de justice, de fiscalité, de mémoire, caractérise la spectaculaire révolution documentaire
que connaissent les milieux urbains du xiiie s. Ce poids de l’écrit transparaît dans certains
documents figurés : les registres sont sortis de leur lieu de dépôt et, comme les reliques ou
les Écritures, sont présentés au public ou du moins à la frange supérieure de la communauté
urbaine. Tel est le cas, à la fin du xiiie s. (1296), quand Arnaud Arpadelle, professeur de droit,
offre son manuscrit du Commentaire des coutumes de Toulouse à l’officier représentant le
roi de France. Agenouillé, il lui tend son opus, devant les consuls de la ville, tous concernés
par l’ouvrage traitant de leurs institutions communales 11. Il faut d’ailleurs noter que le cadre
supérieur de la scène comprend, à gauche, les armes du roi de France, quasiment au-dessus
du sénéchal assis sur une chaise curule ; au centre, les armes du comté de Toulouse ; à droite,
celles de la ville avec les deux monuments qui apparaissaient déjà sur le premier grand sceau
du consulat.
Ailleurs, à Agen, c’est également le livre des coutumes qui est sorti du coffre de l’universitas
pour être présenté au seigneur de la ville 12. Sur la première illustration qui vient orner le
primum capitulum, on voit le sénéchal d’Agenais ou son représentant, le balle, prêter serment
(segrament) sur le codex ouvert que lui présente l’un des membres du conseil, en tête d’un
cortège constitué de huit de ses confrères 13. Assis sur un siège bas, recouvert d’un coussin
et posé sur une petite estrade, l’officier s’engage de la main droite à respecter les libertés et
franchises de la civitas, sur le livre que lui a apporté un consul qui se tient avec respect devant
lui, en position fléchie 14.
10
11
12
13
14
Macé 2002.
Gilles 1969.
Michaud-Quentin 1970 ; Macé 2005.
BM Agen, ms. 42, fol. 17v, déposé aux AD Lot-et-Garonne.
“(…) gardara senes tot enfranhement lors fors, e lors costumas, e lors franquessas, e lors establiments, e
lors razos, e lors drechuras cum bos senher” (Akehurst 2010, 16).
47
48
Laurent Macé
L’archive et son écrin
Enjeux de pouvoir bien concrets dans lequel le document écrit prend un sens nouveau,
chartes, registres, cahiers et autres cartulaires organisent le passé des communautés par
accumulation, en séquences cohérentes et pertinentes, de celles qui permettent de préserver
ou de consolider une autorité politique 15. Ces trésors ont donc besoin d’être archivés dans
un lieu sûr 16. En novembre 1311, le sénéchal et le juge mage de Rouergue reconnaissent aux
magistrats de Saint-Affrique “habere possint domum communem […] et habere archam seu
archas communes ubi scripta et eorum secreta et omnia alia tangentia dictum consulatum
et ius eiusdem reponant et custodiant, et etiam sigillum communem sui consulatus” 17.
L’édification de la maison commune, endroit où les assemblées pourront se tenir, est un
enjeu visuel de grande importance. Manifestation architecturale de l’affranchissement de la
tutelle seigneuriale, la construction d’un tel bâtiment suit de peu le passage à l’écrit, on l’a
vu pour Toulouse. Il en est de même à Montpellier, première ville du Midi à se doter d’une
domus commune, durant l’été 1205, soit juste un an après l’octroi d’une charte de coutumes
concédée par le roi Pierre II d’Aragon. Attribut de la personnalité morale du consulat et
expression d’une identité urbaine qui s’émancipe de la tutelle seigneuriale, la demeure doit
abriter le sceau communal gardé, selon l’article 98, par un probus homo 18. D’autres villes
imitent Toulouse et Montpellier : le consulat d’Avignon quitte le palais épiscopal pour se
réunir dorénavant dans une domus consulum en 1216 ; Marseille se dote d’un lieu de ce type
en 1218, face à l’église Sainte-Marie-des-Accoules 19.
Symbole physique du partage de pouvoir,
cette maison en vient parfois à figurer sur la
matrice du sceau consulaire. Premier exemple,
celui de Cahors en 1290. Si l’avers montre les cinq
tours portées par les six arches du pont, le revers
s’attache à présenter une ville fortifiée, avec son
rempart et sept tours qui encadrent un édifice
placé au centre. On y a vu une église au clocher
accosté de part et d’autre d’une cloche 20. Pour ma
part, j’aurai plutôt tendance à y voir la présence
d’un édifice civil car l’absence de croix ainsi que
la disposition même des cloches, bien visibles
et d’une dimension assez disproportionnée,
Fig. 1. Sceau Cahors.
15
16
17
18
19
20
Nicolas Leroy donne l’exemple de la charte de coutumes d’Alès, complétées en 1217 avec deux versions
distinctes : une latine, conservée et gardée dans le coffre communal ; l’autre en occitan destinée aux
usages pratiques (Leroy 2014).
Sur le soin jaloux de la conservation des statuts municipaux, considérés comme le principal trésor de
la communauté, voir Petrowiste 2014, 48-49.
Framond, éd. 1982, 31, n. 88.
Otis-Cour 2014, 196-197. La première empreinte de sceau conservée date de 1218 (Bedos, éd. 1980, 347348, n° 454).
Pécout 2014, 132 ; Otis-Cour 2014, 197 ; Boyer 2014, 256.
Bedos, éd. 1980, 150, n° 161bis.
Du métal à l’étoffe
m’invitent à penser qu’il s’agit ici de la maison commune et de son campanile (fig. 1). Les
consuls du lieu tenaient beaucoup à leurs cloches : certains textes indiquent que de vives
tensions couraient dans la ville, notamment avec l’évêque, en raison d’un usage du son que
diverses parties se disputaient 21. Ailleurs, la commune de Marseille utilise comme beffroi
une tour de l’église des Accoules pour y placer l’une de ses cloches qui était dénommée
“Sauve pays” (Salvaterra) 22.
Quelques années plus tard, au xive s. 23, le
petit sceau rond monoface de la cité épiscopale
de Rodez adopte une figuration pour le moins
intéressante : quatre hommes discutent ou
délibèrent, debout, devant la porte d’une
construction maçonnée et percée d’une rangée
de fenêtres. Le toit de ce bâtiment, qui occupe
plus d’un tiers de la surface de l’empreinte, serait
surmonté de merlons d’après certains éditeurs 24.
Ce qui pourrait être un édifice correspondant
à l’hôtel de ville paraît plus vraisemblablement
doté de cloches que d’un système défensif 25.
Au pied des quatre consuls, dans la légende,
Fig. 2. Sceau Rodez.
un écu aux armes de la ville vient compléter le
dispositif symbolique et matériel déployé par les
citoyens ruthéniens (fig. 2) 26. Cette figuration pose cependant un problème chronologique :
l’empreinte conservée date de 1389 mais la matrice aurait été réalisée au début du xive s.
selon certains spécialistes 27. Or, d’après la documentation écrite, le droit à l’esquilla et à la
maison commune n’a été obtenu par la cité et le bourg de Rodez qu’en 1368, dans le cadre
d’une concession du duc d’Anjou réalisée après la reconquête de la ville sur les Anglais 28. Le
sceau témoignerait, fièrement, de cette récente liberté.
21
22
23
24
25
26
27
28
Ce type de litige apparaît dans une protection accordée aux consuls par le comte de Toulouse
Raimond VII, à la fin de l’année 1225. Les magistrats connaissent alors un sérieux différend avec le
chapitre cathédral à propos de l’usage quotidien de sa cloche : “controversia quam haberit super facto
campane cum episcopo” (Macé 2008c, acte n° 532). Dans une enquête ouverte en 1229 par l’archevêque
de Bourges, les cives déclarent l’utiliser pour convoquer le peuple aux affaires de la ville et pour
rappeler les ouvriers travaillant dans les vignes (AC Cahors, n° 21). L’usage laïcisé du temps politique
et du temps de travail sonne le glas de l’ancien monopole détenu par les chanoines.
Boyer 2014, 256.
Framond, éd. 1982, 31 et 301, n° 384.
Bedos, éd. 1980, 440, n° 587, p. 440 ; Framond, éd. 1982, 301, n° 384.
Une cloche est clairement apparente ; derrière elle figure un élément d’architecture qu’il est difficile
d’identifier.
Martin de Framond voit un écu à la bordure engrêlée (301, n° 384) ; Jean-Luc Chassel et Pierre FlandinBléty considèrent qu’il s’agit plutôt d’un écu de gueules plain (149).
Chassel & Flandin-Bléty 2011, 149 et n. 53. Martin de Framond cite des documents indiquant que la cité
possède déjà une matrice en 1302 (31 et n. 84).
Framond, éd. 1982, 32 et n. 89.
49
50
Laurent Macé
À Bordeaux, le revers de la première empreinte conservée, datée de 1297, met en avant l’un
des principaux monuments de la ville, la porte Saint-Éloi, élément qui protège le nouveau
bourg mercadier qui s’abrite derrière un massif rempart 29. Outre le fait qu’elle se trouve à la
sortie méridionale d’un important axe routier, cette porte-beffroi, auprès de laquelle est venu
s’installer l’hôtel de ville dans le courant du xiiie s.,
reçoit la grosse cloche communale 30. Sur le sceau, de
part et d’autre de l’imposante entrée, juchés en haut
des tours qui l’encadrent, deux hommes sonnent de
la trompe. Plus que la représentation traditionnelle
du guet, sonnant l’alarme afin de protéger et d’avertir
la population d’une menace quelconque, la scène
semble évoquer la convocation des habitants aux
assemblées consulaires : les deux battants de la
porte sont largement ouverts sur l’extérieur (fig. 3).
Plus qu’un détail matériel, l’annonce par cloche ou
trompette du rassemblement est une donnée réelle :
les civilistes de l’époque insistent sur l’importance
Fig. 3. Sceau Bordeaux.
d’utiliser des moyens sonores pour assurer la réunion
de tous. Il s’agit de déterminer la responsabilité de la
personne morale et la participation de la majorité des
membres (pars plurima) aux décisions prises 31.
Fig. 4. Sceau Saint-Flour.
29
30
31
32
D’autres sceaux nous font entrer à l’intérieur
de la maison commune à travers une scène, assez
classique, de discussion/décision qui rassemble
un certain nombre de magistrats. Les membres
du commun conseil sont alors représentés en
robe longue et manteau agrafé sur l’épaule, signes
distinctifs de leur appartenance à l’élite bourgeoise.
Placés sous une arcature, ils sont généralement assis
sur une banquette, parfois montée sur une estrade à
colonnettes. Le type délibératif les montre en pleine
action : ils discutent et agitent leurs mains, par groupe
de deux, l’un tourné vers l’autre. C’est le cas à Figeac,
à Peyrusse-le-Roc, à Maurs ainsi que dans le bourg de
Rodez 32. Ailleurs, à Bretenoux ou à Saint-Flour, c’est
l’avis d’un major qui semble susciter l’approbation
générale du collège consulaire (fig. 4).
Bedos, éd. 1980, 128, n° 130bis.
Le commun conseil s’est déjà doté d’un sceau en 1215 ; la construction du châtelet recevant la grosse
cloche est décidée en 1246 (voir la communication d’Ézéchiel Jean-Courret dans le présent volume,
infra p. xxxx). La cloche figure bien en vue, au-dessus du portail muni d’une herse, sur un fragment de
sceau de mai 1386 (Bedos, éd. 1980, 130, n° 132).
Otis-Cour 2014, 194.
Chassel & Flandin-Bléty 2011.
Du métal à l’étoffe
La matrice dans l’arche
Si l’empreinte de cire que constitue le sceau appartient au monde du visible, celle qui la
produit, qui la fait naître – la matrice – subit un sort paradoxal. Elle demeure souvent cachée
et semble même destinée à connaître une belle existence posthume. La documentation
écrite indique que l’archa communis s’apparente souvent à une sorte d’écrin ; elle exprime la
volonté de la communauté de faire corps dans les parois du coffre, elle vise à préserver des
preuves perçues comme autant de trésors civils 33. Cette attention pour le contenant illustre
une préoccupation tangible de l’archivage des productions communales, elle correspond à
des pratiques archivistiques nouvelles qui se manifestent au cours du xiiie s. Elle répond
également au besoin de mémoire des communautés. Ce souci de la conservation est assez
révélateur des relations que la société urbaine entretient avec ses productions et les attributs
de sa représentation.
L’enquête reste encore à mener mais l’inventaire des mentions diplomatiques de dépôt des
matrices sigillaires et de leur conservation dans le coffre municipal mériterait d’être réalisé.
De nombreuses chartes de coutumes évoquent, dans un ou deux articles, l’association étroite
qui existe entre les chartes et les matrices déposées dans cette arche, à la fois conservatoire
et lieu physique de la mémoire historique du pouvoir communal.
Pour autant, malgré diverses précautions et la vigilance accrue des édiles, le précieux
contenant est parfois la cible directe des malfaiteurs. En 1267, le comte de Toulouse, Alphonse
de Poitiers, adresse au sénéchal d’Agen et de Cahors un mandement dans lequel il rapporte
une bien sombre affaire. En 1256, quatre chevaliers ont accompli divers méfaits dans le
castrum de Lauzerte : ils sont notamment responsables du vol de la matrice consulaire qu’ils
sont parvenus à subtiliser après avoir brisé l’arche communale 34. Attestée en 1243 35, cette
première matrice ne fut jamais rendue par les coupables. Il est fort probable qu’une nouvelle
pièce fut gravée peu après sa brutale disparition.
La détention de la matrice dans le coffre commun est soigneusement notée dans les
divers descriptifs produits par les édiles eux-mêmes. L’arche est un véritable réceptacle de la
mémoire locale car bien souvent elle conserve les matrices réformées, celles dont l’usage est
abandonné quand une nouvelle gravure l’a écarté du circuit diplomatique. Dans le Rouergue,
à Najac, l’inventaire du trésor que l’on effectue à chaque changement de mandat municipal
permet de constater la présence de vieilles matrices au milieu de pièces plus récentes. En
1274, celle du grand sceau est commandée ; l’inventaire des biens communaux dressé lors de
l’exercice suivant mentionne le pluriel (sagells), indiquant en passant que l’ancien modèle
est bien conservé et sans doute encore utilisé. En 1291, la gravure d’un sagel pauc est prévue
pour la somme de 9 sous de Rodez ; deux bourgeois le rapportent de Toulouse 36. Le grand
sceau et le petit sont conjointement sollicités pendant une quinzaine d’années. Mais le
33
34
35
36
Sur l’arca communis comme signe d’autonomie, voir Rigaudière 2006, 192. Se reporter également, dans
le présent volume, à la communication de Johan Picot.
“dicti milites […] fregerunt quandam archam tempore quo Guillelmo de Balneolis, miles, erat senescallus
noster Agenensis et Caturcensis (1256), et de dicta archa sigillum dicte universitatis [castri de Lauserta]
per violenciam extraverunt, quod postea reddere noluerunt.” (Molinier, éd. 1894-1900, 296, n° 489).
Bedos, éd. 1980, 270-271, n° 342-342bis.
Framond, éd. 1982, 75 et n. 10.
51
52
Laurent Macé
second format est perdu en 1306-1307. On en commande un nouveau en 1313 et en 1319, on
décide de le fixer à une chaîne ayant coûté 7 deniers 37.
La cohabitation entre le neuf et l’ancien est également bien attestée à Narbonne au début
du xive s. Le chef-lieu de l’archevêché obéit à une structure binucléaire qui fait que, tout
logiquement, le bourg et la cité ont leurs propres matrices. La situation change sensiblement,
en juin 1338, quand les deux consulats de l’agglomération décident enfin de s’unir. On
procède alors à la confection de trois nouvelles matrices qui seront communes à la future
entité politique et juridique. Les anciens sceaux (major, mediocris, minor), utilisés jusqu’à
présent par les magistrats municipaux de la cité et du bourg, font l’objet d’une description
sommaire qui a permis de compléter nos connaissances sur leur évolution typologique. Il est
précisé que les six anciennes matrices, dorénavant retirées de la circulation, sont destinées
à être conservées dans un coffre et, ce, après avoir été préalablement déposées dans un sac
clos et scellé avec le nouveau sigillum mediocris, dont on sait que la matrice monoface est
mise à disposition du consulat le 16 août 1338 38.
D’ailleurs, le mobilier se différencie peu à peu au sein de l’hôtel de ville. Les comptes
consulaires de Najac, conservés à partir de 1270, mentionnent en 1275 les différentes caissas
dont disposent les consuls pour y déposer tout l’attirail des attributs urbains qui constitue le
trésor consulaire : une première contient las costumas, une autre rassemble chartes, lettres,
privilèges royaux, poids et mesures “e las trompas, el nasil ab dos penos, els sagells, e las tres
senheiras communals 39”. Ces arches de formes et de tailles différentes apparaissent même sur
un sceau, celui de la bastide de Bretenoux, fondée au nord-ouest de Figeac, dans le dernier
quart du xiiie s. Le consulat a décidé d’adopter le type
délibératif qui figure sur une empreinte de 1309 40.
Au premier plan, devant les cinq magistrats saisis en
pleine assemblée, apparaissent trois meubles. L’un
pourrait être l’arche aux archives, mentionnée dans
l’article 2 de la charte de fondation de 1277 41. Un
autre pourrait évoquer le trésor. Celui qui se trouve
au centre, doté de pattes, semble correspondre à
une châsse reliquaire, de celles qui sont utilisées
pour les prestations juratoires (fig. 5). Dans tous les
cas de figure, il y a ici une singulière mise en abîme
de la matrice contenue dans l’un de ces coffres…
Fig. 5. Sceau Bretenoux.
37
38
39
40
41
Framond, éd. 1982, 59 et n. 26.
Macé 2014, 66, n. 16 et 77-79 ; Caille 2014, 152-155.
Framond, éd. 1982, 59, n. 23.
Bedos, éd. 1980, 139, n° 145.
Chassel & Flandin-Bléty 2011, 151.
Du métal à l’étoffe
Vexillum au vent
Le premier vexillum associé à un collège municipal est celui de la ville de Millau 42. Il est
bien connu grâce à la charte que concède en 1187 le roi d’Aragon Alphonse II, document dans
lequel il accorde aux magistrats l’autorisation de se doter d’un sceau. Une empreinte, datée
de l’année 1243, donne le premier état de ce qu’était la matrice initiale. À l’avers, se présente
le profil d’un griffon passant – probable symbole d’une fontaine publique (griffol) et témoin
matériel de l’action édilitaire – motif héraldique qui accompagne une légende explicite :
“sigillvm consvlatvs Amiliavi”. Au revers, un écu dont la forme en amande, assez caractéristique
des boucliers du xiie s., arbore les armes aux pals du seigneur, ainsi que le précise l’exergue :
“sigillvm regis Aragonie comitis Barcinonie et Provincie” 43. Outre le sceau conjoint qui associe
deux autorités – celle du consulat et celle d’une personne morale, le roi d’Aragon, par ailleurs
vicomte de Millau et de Carlat –, l’article 9 de l’acte d’avril 1187 indique que le souverain a
également concédé à la ville son royal étendard : “vexillum nostrum” 44 ; privilège et délégation
partielle de pouvoir qui permettent aux élus municipaux de lever des troupes et de les mener
au combat : la communauté urbaine peut légitimement exercer un rôle militaire au nom de
son très lointain seigneur 45. Dans un contexte politique qui s’avère être assez délicat pour le
roi, la fidélité des Millavois au parti barcelonais se trouve récompensée par la cession d’une
charte de libertés et par l’honneur insigne de porter son palé d’or et de gueules 46.
Une scène peinte dans le livre des coutumes d’Agen permet de visualiser l’un de ces vexilla
comtaux en action. En tête du secundum capitulum, l’enluminure vient illustrer le sujet du
deuxième article, relatif à l’ost, même si le contenu de celui-ci ne parle pas explicitement du
senhal arboré sur l’image47. La miniature évoque l’obligation annuelle qui pèse sur les citoyens
et les bourgeois d’Agen de servir dans l’armée du seigneur pendant quarante jours, dans les
limites du diocèse ou en dehors, à condition de pouvoir regagner la ville le soir même. Il est
précisé que le seigneur “deu mandar e far cridar la ost generalment per tot Agenes, e deu far saber
a Agen sobre cui volra cavalgar o metre seti48”. Conduite par le sénéchal, la troupe – composée
de milites armés de lances et de fantassins équipés de piques – s’ébroue au son de deux
trompes : il s’agit bien du cri de l’ost que le seigneur doit faire entendre. Dans cette composition,
l’étendard est tout particulièrement mis en valeur à travers la position sécante que produit la
longue diagonale de sa hampe49. Les armes tissées sur l’étoffe sont celles du comte de Toulouse,
Alphonse de Poitiers : la croix raimondenque figure en haut, puis vient le lis d’or sur champ
42
43
44
45
46
47
48
49
Framond 1989.
Voir le cliché de ce sceau dans l’étude qu’en donne Jean-Luc Chassel dans le présent volume.
“Concedimus namque sigillum comune consulibus et comuni sub subscriptione nostra et sua et etiam
vexillum nostrum” (Framond 1989, 104, n. 48). Leah Otis-Cour observe que “dans la charte qui fonde
le “consulat” de la ville, le roi d’Aragon, dans l’article 9, concède aux consuls de la ville un sceau. Mais
s’agit-il réellement de la preuve de la personnalité morale de la ville ? Rien n’est moins sûr, d’après la
description qui est donnée de ce sceau dans la charte […]. Portant la devise du seigneur aussi bien que
celle de la ville, le sceau est accordé, non pas à une universitas, mais aux consuls en leur qualité de
délégués du roi, leur seigneur” (198).
Otis-Cour 2014, 105.
Gournay 2004, 389.
Akehurst 2010, 16-19.
Id., 18.
BM Agen, ms. 42, fol. 19r, déposé aux AD Lot-et-Garonne.
53
54
Laurent Macé
d’azur des Capétiens, et enfin le château de Castille de sa mère Blanche. La cohésion de la
communauté s’effectue derrière un senhal qui confirme l’autorité reconnue du seigneur local,
un prince allogène.
En dehors des étendards militaires, peut-on voir des bannières communales arborant une
héraldique propre ? Cette dernière est bien attestée, en 1338, à Narbonne ; le bourg et la cité
ont chacun un signe distinct qui figure sur la hampe de leurs enseignes (“vexilla et penones
signata”) : une croix d’argent pour le premier, une clef d’or pour le second, les deux prenant
place sur un champ de gueules 50. Parfois, c’est tout un quartier qui détient une enseigne,
comme c’est le cas pour la place Montaigon à Toulouse, au début du xiiie s. 51. Ailleurs, des
sceaux du début du xive s., ceux de Lalbenque (1309) et d’Avignonet (1303), présentent la
figuration, assez classique, du castrum maçonné dont la courtine est circonscrite par des
tours d’angle ; au détail près que la croix des comtes de Toulouse orne l’étendard placé au
centre du champ 52. Celui de Lalbenque pourrait faire apparaître le pilori ou un poteau
de justice qui serait porteur des armes princières 53. Ces deux matrices semblent avoir été
confectionnées au siècle précédent, ce qui
explique sans doute la présence d’un symbole
qui rappelle le sentiment d’appartenance
au défunt comté de Toulouse (fig. 6). En
revanche, aux mêmes dates, c’est une
bannière qui se révèle, en plein champ, sur le
revers de Largentière (1303) et d’Agde (1303).
Bannière d’argent plaine sur une hampe
droite pour la première, bannière à trois
pals ondés sur une hampe inclinée pour la
seconde 54 (fig. 7). S’il s’agit bien là d’armoiries
communales pour la ville minière, celles de
la cité méditerranéenne renvoient-elles à
un quelconque seigneur, local ou lointain ?
Fig. 6. Sceau Lalbenque.
Dans la ville basse de Marseille, c’est la croix
d’azur de saint Victor qui devient l’emblème
d’une commune qui n’a de cesse de s’affirmer
contre le pouvoir épiscopal 55.
50
51
52
53
54
55
Caille 2014, 155.
“Ils dressèrent la barricade de défense et plantèrent dessus la bannière (la senheira) de Montaigon”
(Martin-Chabot, éd. 1961, 151, n. 16).
Bedos, éd. 1980, 266, n° 334 et 82, n° 69. Voir aussi Morel 2007.
Le poteau de justice, que l’on frappe pour saisir la justice princière, peut être armorié, voire orné
d’étendards. Sur l’iconographie de la justice, voir Jacob, 1994.
Bedos, éd. 1980, 269, n° 340bis et 34, n° 8.
“Il s’agissait de l’ancienne bannière du monastère de Saint-Victor, que portaient autrefois les vicomtes,
maîtres de la Cité inférieure. L’emblème glissait aux mains de qui leur succédait dans ce gouvernement.
La commune ne se légitimait que mieux en s’ancrant dans le passé”. Le vexillum à la croix céleste
devient un symbole que la ville basse doit accepter de soumettre à la volonté du nouveau maître,
Charles d’Anjou, à partir de 1262 : les armes du Capétien doivent paraître “en une place plus honorable”
(Boyer 2014, 257).
55
Du métal à l’étoffe
Fig. 7. Sceaux Largentière et Agde.
De nombreux sceaux d’un vaste Midi toulousain arborent un revers armorié sur lequel
paraît la croix raimondenque, souvent placée à l’intérieur d’un écu. L’enquête reste à mener
et l’on ne peut trop s’avancer ici. Mais, à titre d’exemple, la légende du revers du premier
sceau du castrum de Lauzerte (1243), fondation raimondine du xiie s., donne un indice en
expliquant qu’il s’agit là du signe comtal (signvm domini comitis T[olose]). Confirmation
donnée à l’aube du siècle suivant : l’écu fleurdelisé se substitue aux armoiries de l’ancienne
dynastie princière 56.
D’autres exemples vont dans le sens d’une bannière ornée des armes du maître local.
Dans cinq cas, l’avers ou le revers du sceau communal présente un type équestre dans lequel
on peut reconnaître le seigneur et ses armoiries. À Béziers, en 1226, le pennon, l’écu du
cavalier ainsi que la housse de sa monture sont au fascé des Trencavel, vicomtes de Béziers 57 ;
à Pamiers, sur le sceau de 1303, c’est le palé des comtes de Foix qui remplace l’ancien château
de 1267 ; à Martel, sur le grand sceau de 1309, c’est le bandé des vicomtes de Turenne qui
figure sur l’écu et la bannière du miles 58 ; à Castelnaudary (1243 et 1308) et à Rabastens (1243),
la croix des comtes de Toulouse est présente aussi bien sur l’écu que sur la housse 59. Et quand
le cavalier aux armes cède, au revers, la place à l’Agneau pascal, celui-ci tient parfois une
croix bien singulière. Dès 1211, à Toulouse, l’allégorie christique se voit dotée d’une croix
raimondenque, emblème du prince des lieux ; en 1228, à Carcassonne, la hampe est ornée
d’un petit gonfanon porteur du fascé des Trencavel 60. Les armes de la ville se confondent
avec celles du seigneur, prince au xiiie s., puis roi de tous les sujets au xive s. Si la bannière
56
57
58
59
60
Bedos, éd. 1980, 271, n° 342bis et n° 343.
Macé 2008b.
À la même époque, pour le sceau secret, monoface, le consulat opte en revanche pour des armoiries
parlantes à travers l’adoption d’un écu aux trois marteaux (Bedos, éd. 1980, 310, n° 394). Sur les vicomtes
de Turenne, voir Macé 2008a 313-315.
Bedos, éd. 1980, 120, n° 123 ; 388, n° 514 ; 309, n° 393bis ; 165, n° 183bis et 184bis ; 428, n° 569bis.
Macé 2014, 79-80.
56
Laurent Macé
appartient bien au registre des attributs matériels du gouvernement urbain, elle est loin pour
autant de constituer un signe qui dirait déjà une identité collective et juridique propre 61. Elle
rappelle le lien dynamique, plus ou moins fort, que le consulat – groupe social dominant
dont la coloration aristocratique est encore très prégnante dans le Midi – entretient avec
l’autorité seigneuriale 62.
À l’évidence, arche(s), sceau(x), cloche, maison commune figurent bien en tête dans la
courte liste des attributs représentatifs de la personnalité morale des consulats 63. D’autres
pourraient être retenus dans le cadre spécifique de la marque sigillaire. Le cas du pilori,
symbole du dominium judiciaire, a été évoqué. Mais il est souvent difficile de clairement
l’identifier, comme on peut le constater avec l’exemple de l’avers du grand sceau de la ville de
Martel en 1309 64. Ce qui pourrait être un poteau d’exposition sur lequel on ligote les auteurs
de délits mineurs n’est guère aisé à repérer.
À l’instar de la place prépondérante qu’occupe dorénavant l’écrit municipal, la
matérialité des attributs du gouvernement urbain parvient à synthétiser l’universitas dans
son entier, à susciter la cohésion de la communauté civique, et donc à créer un sentiment
d’appartenance. Elle en fait un outil du pouvoir, elle se situe au cœur d’une représentation
et d’une communication de l’identité consulaire. Elle participe totalement à la scénographie
urbaine, ce que le sceau montre avantageusement 65. Instruments d’émancipation politique,
61
62
63
64
65
“Dans le domaine des attributs des villes, il faut être aussi prudent que dans le domaine du vocabulaire
– qu’il s’agisse de consulatus ou de populus – et éviter d’attribuer aux premières mentions d’un sceau
ou d’une enseigne une force identitaire et une signification juridique qu’il n’avait peut-être pas si
précocement” (Otis-Cour 2014, 198).
S’agit-il vraiment d’une obligation imposée par le maître des lieux ? Ainsi, “certaines villes ont été
contraintes de garder sur leur sceau la figure équestre de leur seigneur, sans être autorisée à faire
usage d’un droit à l’image au profit de leurs propres administrateurs” (Chassel & Flandin-Bléty 2011,
140). La nature des relations que les communautés urbaines entretiennent avec leur seigneur est sans
doute bien complexe : rivalité et concurrence mais aussi adhésion et loyauté comme paraît l’indiquer
l’écartelé des vicomtes de Marsan qui, accompagné d’une légende à l’invocation mariale, figure au
revers du sceau conjoint de Mont-de-Marsan, en 1312 ; l’avers consulaire porte une clé en pal (Bedos,
éd. 1980, 341, n° 445-445bis). Quand les habitants de Puisserguier obtiennent du roi de France, en 1353,
un consulat et une maison commune, il semble bien que la matrice prévue soit un sceau conjoint aux
armes de l’universitas et du vicomte de Narbonne, seigneur dudit lieu (Otis-Cour 2014, 202, n. 93). Ces
deux exemples montrent, une fois de plus, que chaque matrice mérite d’être analysée au cas par cas,
en relation avec les expériences vécues localement.
Figeac, en 1318, donne en résumé la substance de sa personne morale et de ses attributs : “[…] domum
consulatus et arcam communie, sigillum commune et auctenticum vexillum et bonnia communia
nec non alia insignia consulatus, papiros et libros communes pro actis et factis” […]. Belfort dans le
Quercy affirme en 1258 : “Costuma es de Belfort quel sagel del comunal de Belfort a auctoritat come
sagel de publica persona […]”. Le village de Luzech réclame pour ses consuls, en 1270, en plus du sagel
communal, “mayso comunal et archa comunal” (Otis-Cour 2014, 201). Gréalou, bourg situé non loin
de Figeac, obtient de son seigneur en 1293 une charte de commune qui prévoit “mayso sua propria e
communa, archa communa, sagel commu et alamoneira communa, et papies commus et altras enseignas
de universitat, appelar la universitat an la campana” (id., 202).
Chassel & Flandin-Bléty 2011, 139 et n. 15 ; Bedos, éd. 1980, 309, n° 393. Ce pilori serait également
présent au revers topographique du sceau des vicomtes de Turenne du xiiie s. mais, une fois de plus,
son identification demeure délicate à établir.
“Par l’image et par l’inscription qui le composent, le sceau exprime la personnalité des villes.
Précisément parce que les communes ou consulats ne sont que des corps immatériels, ne sont des
personnes que par fiction, cette expression de leur identité est à la fois complexe et indispensable, au
57
Du métal à l’étoffe
ces signes ont été élaborés et acquis progressivement, au gré des avancées de l’autonomie
communale, entre compétences déléguées et autorité octroyée. Expressions de l’histoire
singulière de chaque lieu, ils diffèrent en nombre et en nature mais, partagés par les
communautés urbaines, ils participent des caractéristiques générales de ce qui fait “ville”.
Pour autant, cette vision unitaire de la ville médiévale demeure quelque peu factice. Elle
ne doit pas nous faire oublier que derrière une représentation bien élaborée se cachent les
dissensions, les discordes, les factions politiques et les oppositions sociales. Ces dissonances
affleurent dans bien d’autres documents qui tendent à un peu moins lisser le portrait idéalisé
qu’ont voulu brosser les communautés et leurs élites 66.
Sources éditées
Bedos, B. M., éd. (1980) : Les sceaux des Villes, in : Corpus des sceaux français du Moyen Âge, t. 1, Archives
nationales, Paris.
Framond, M. de, éd. (1982) : Sceaux rouergats du Moyen Âge. Étude et corpus, Rodez.
Macé, L. (2008c) : Catalogues raimondins (1112-1229), Actes des comtes de Toulouse, ducs de Narbonne et marquis de Provence, Sources de l’histoire de Toulouse, Toulouse.
Martin-Chabot, E., éd. (1961) : La chanson de la croisade albigeoise, Paris, t. III.
Molinier, A., éd. (1894-1900), Correspondance administrative d’Alphonse de Poitiers, Paris.
Bibliographie
Akehurst, F. R. P. (2010) : The Costuma d’Agen. A Thirteenth-Century Customary Compilation in Old Occitan,
Turnhout.
Bedos-Rezak, B. (1993) : “Towns and Seals: Representation and Signification in Medieval France”, in : Form
and Order in Medieval France. Studies in Social and Quantitative Sigillography, Aldershot, 35-47.
— (2000a) : “Medieval Identity: A Sign and a Concept”, The American Historical Review, 105, 1488-1533.
— (2000b) : “Le sceau médiéval et son enjeu dans la diplomatique urbaine en France”, in : Prevenier &
Hemptinne, dir. 2000, 23-44.
— (2002) : “Du modèle à l’image : les signes de l’identité urbaine au Moyen Âge”, in : Boone et al., dir. 2002,
189-205.
Boone, M., É. Lecuppre-Desjardin et J.-P. Sosson, éds. (2002) : Le verbe, l’image et les représentations de la
société urbaine au Moyen Âge, Actes du colloque international de Marche-en-Famenne (24-27 octobre 2001),
Anvers-Apeldoom.
Bordes, F., dir. (2005) : Toulouse, parcelles de mémoire. 2000 ans d’histoire urbaine au regard de 8 siècles d’archives municipales, catalogue d’exposition, Toulouse
— (2005a) : “La ville et ses symboles”, in : Bordes, dir. 2005, 106-110.
— (2006) : “Les cartulaires urbains de Toulouse (xiiie-xvie siècle)”, in : Le Blévec, dir. 2006, 217-238.
Bouyé, E. (2008) : “Les clefs de saint Pierre, sur la terre comme au ciel”, in : Turrel et al., dir. 2008, 275-311.
Boyer, J.-P. (2014) : “Cis donta l’orguel de Marseille : une identité entre commune et municipalité (mi-xiiie-mixive siècle)”, in : Gilli & Salvatori, dir. 2014, 253-278.
66
cœur d’une politique de communication interne et externe, urbi et orbi, au sein de la ville, comme au
dehors” (Chassel & Flandin-Bléty 2011, 137).
Macé 2014, 72-73.
58
Laurent Macé
Caille, J. (2014) : “Narbonne, une et plurielle à la fois”, in : Gilli & Salvatori, dir. 2014, 147-168.
Chassel, J.-L. et P. Flandin-Bléty (2011) : “La représentation du pouvoir délibératif sur les sceaux des villes du
Moyen Âge”, in : Leveleux-Teixeira et al., dir. 2011, 135-160.
Débax, H. dir. (2008) : Vicomtes et vicomtés dans l’Occident médiéval, Actes du colloque d’Albi (6-8 octobre
2006), Toulouse.
Framond, M. de (1989) : “Aux origines du sceau de ville et de juridiction : les premiers sceaux de la ville de
Millau”, Bibliothèque de l’École des Chartes, 147, 87-122.
Gilli, P. et E. Salvatori, dir. (2014) : Les identités urbaines au Moyen Âge. Regards sur les villes du Midi français,
Actes du colloque de Montpellier (8-9 décembre 2011), Turnhout.
Gilles, H. (1969) : Les Coutumes de Toulouse (1286) et leur premier commentaire (1296), Toulouse.
Gournay, F. de (2004) : Le Rouergue au tournant de l’An Mil. De l’ordre carolingien à l’ordre féodal (ixe-xiie
siècle), Toulouse.
Jacob, R. (1994) : Images de la justice : essai sur l’iconographie judiciaire du Moyen Âge classique, Paris.
Le Blévec, L. dir. (2006) : Les cartulaires méridionaux, Paris, École des chartes.
Leroy, N. (2014) : “Carta, consuetudines, statuta … Langue et conservation des statuts municipaux en
Languedoc”, Mélanges de l’École française de Rome-Moyen Âge, 126-2 (http://mefrem.revues.org/2147).
Leveleux-Teixeira, C., A. Rousselet-Pimont, P. Bonin et F. Garnier, dir. (2011) : Le gouvernement des communautés politiques à la fin du Moyen Age. Entre puissance et négociation : villes, finances, État, Actes du
colloque en l’honneur d’Albert Rigaudière (2008), Paris.
Macé, L. (2002) : “Pouvoir comtal et autonomie consulaire à Toulouse : analyse d’une miniature du xiiie
siècle”, Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, LXII, 51-59.
— (2005) : “Sigillum consilii : les villes de moyenne Garonne et leurs sceaux (xiiie-xive siècle)”, in : Hommes
et pays de moyenne Garonne, Congrès des fédérations historiques du Sud-Ouest et de Midi-Pyrénées, AgenMoissac (23-24 mai 2003), Revue de l’Agenais, 99-108.
— (2008a) : “Le nom de cire. Jalons pour une enquête sur les sceaux vicomtaux du Midi (xiie-xiiie siècles)”,
in : Débax, dir. 2008, 305-317.
— (2008b) : “Par le tranchant, la rave et l’hermine. Pouvoir et patronyme : les sceaux des Trencavel (xiie-xiiie
siècle)”, Cahiers de civilisation médiévale, 51, 105-128.
— (2009) : “Un clocher, un donjon et l’agneau pascal. Toulouse au reflet de ses sceaux (xiiie siècle)”, in : Suau
et al., dir. 2009, 1, 241-255.
— (2014) : “Un choix identitaire ? Le revers à l’Agneau pascal des sceaux des cités méridionales : Toulouse,
Béziers, Narbonne et Carcassonne au xiiie siècle”, in : Gilli & Salvatori, dir. 2014, 63-80.
Michaud-Quentin, P. (1970) : Universitas. Expression du mouvement communautaire dans le Moyen Âge latin,
Paris.
Morel, B. (2007) : Une iconographie de la répression judiciaire : le châtiment dans l’enluminure en France du
xiiie au xve siècle, Paris.
Otis-Cour, L. (2014) : “Personnalité morale et identité urbaine dans le Midi de la France aux xiie et xiiie
siècles”, in : Gilli & Salvatori, dir. 2014, 189-203.
Pécout, T. (2014) : “Évêques et identités urbaines dans les cités des comtés de Provence et de Forcalquier
(xiie-fin xiiie siècle), in : Gilli & Salvatori, dir. 2014, 129-146.
Petrowiste, J. (2014) : “Tolosana patria. Identité urbaine et rapport à l’extra muros à Toulouse entre le milieu
du xiie et le milieu du xiiie siècle”, in : Gilli & Salvatori, dir. 2014, 41-61.
Prevenier, W. et T. de Hemptine, dir. (2000) : La diplomatique urbaine en Europe au Moyen Âge, Actes du
congrès de la Commission internationale de diplomatique, Gand (25-29 août 1998), Louvain-Apeldoom.
Rigaudière, A. (2006) : Introduction historique à l’étude du droit et des institutions, Paris.
Suau, B., J.-P. Amalric et J.-M. Olivier, dir. (2009) : Toulouse, métropole méridionale : vingt siècles de vie urbaine,
Toulouse.
Turrel, T., M. Aurell, C. Manigand, J. Grévy, L. Hablot et C. Girbea, dir. (2008) : Signes et couleurs des identités
politiques du Moyen Âge à nos jours, Rennes.