Recherche et formation
75 | 2014
Analyse de l’activité des enseignants débutants et
vidéoformation
Expériences mimétiques en vidéoformation et
transformations de l’activité professionnelle
Mimetics experiences, videotraining and processes that transform professional
activity
Serge Leblanc
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/rechercheformation/2169
DOI : 10.4000/rechercheformation.2169
ISSN : 1968-3936
Éditeur
ENS Éditions
Édition imprimée
Date de publication : 7 avril 2014
Pagination : 37-50
ISBN : 978-2-84788-615-3
ISSN : 0988-1824
Référence électronique
Serge Leblanc, « Expériences mimétiques en vidéoformation et transformations de l’activité
professionnelle », Recherche et formation [En ligne], 75 | 2014, mis en ligne le 07 avril 2016, consulté le
02 janvier 2018. URL : http://journals.openedition.org/rechercheformation/2169 ; DOI : 10.4000/
rechercheformation.2169
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Expériences mimétiques en vidéoformation
et transformations de l’activité professionnelle
> Serge Leblanc
Université de Montpellier, TFD-LIRDEF, ESPE Languedoc-Roussillon,
faculté d’éducation de Montpellier
RÉSUMÉ : Cet article rend compte de l’activité silencieuse et invisible d’une enseignante
stagiaire de mathématiques lors du visionnement de vidéos consultées sur la plateforme
Néopass@ction. À partir du suivi de deux navigations libres en présence et avec l’aide d’un
chercheur-interlocuteur, en alternance avec ses pratiques de classe, nous avons reconstruit
les processus d’imagination et d’invention à l’œuvre qui articulaient expériences passées,
projetées et réalisées. Dans ce prolongement, l’accompagnement par les formateurs de
ce processus est discuté.
MOTS-CLÉS : formation initiale des enseignants, apprentissage en ligne, expérience
professionnelle, formation en alternance, TIC
1. Problématique
Depuis quelques années, l’utilisation accrue de la vidéo dans les dispositifs
d’analyse de pratiques professionnelles ou dans la formation initiale des
enseignants (Gaudin & Chaliès, 2012 ; Leblanc & Veyrunes, 2012) vise à faciliter la
construction de compétences professionnelles en établissant des liens plus explicites
entre la formation à l’université et les stages et/ou la pratique en établissement
scolaire. Différents dispositifs, aussi bien en formation initiale qu’en formation
continue, sont mis en œuvre pour contribuer au développement des compétences
disciplinaires et/ou transversales des enseignants (Gaudin, 2014). Si cet état de
l’art récent (Gaudin, 2014) révèle les intérêts de ces dispositifs pour les enseignants
en termes de renforcement de leur motivation pour le métier, de réflexivité
articulée à des pratiques réelles, et d’aide à une meilleure prise en compte des
apprentissages des élèves, il pointe aussi que l’on sait peu de chose sur la manière
dont les expériences vécues dans ces situations de formation suscitent ou non des
transformations effectives de l’activité professionnelle.
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La plateforme Néopass@ction1 a été conçue dans cette perspective de favoriser
la création de liens entre différentes expériences : la sienne et celles des autres,
celles des novices et des expérimentés. Des travaux récents ont montré qu’une
formation via cette plateforme pouvait contribuer à faire s’interroger l e s
enseignants sur leurs croyances, convictions, dispositions à agir, façons de faire,
non ou peu questionnées, en leur permettant de se voir « par procuration » dans
l’activité de pairs ou de quasi pairs (Ria & Leblanc, 2011). Les recherches analysant
précisément l’activité de visionnage des ilms p a r des enseignants débutants
ont déjà identiié des effets de réassurance et de déculpabilisation, d’immersion
spontanée dans des expériences vécues ayant une certaine proximité avec les ilms
consultés et de comparaison entre les expériences visionnées et celles vécues
leur permettant d’évaluer leur propre pratique à travers celle d’autrui (Leblanc,
2012 ; Lussi Borer & Muller, 2014 ; Ria, Serres & Leblanc, 2010). Nous émettons
l’hypothèse que l’activité de comparaison entre ce qu’ils perçoivent d’une situation
ilmée-commentée et ce qu’ils font dans leur classe peut s’avérer, sous certaines
conditions, un levier de transformation de leur activité professionnelle. Mais cette
articulation reste le plus souvent implicite en formation, et les chercheurs se limitent
pour l’instant à postuler que les utilisateurs feront une auto-analyse qui leur sera
utile, si ce n’est pour agir directement au moins pour reconnaître des situations
professionnelles correspondantes sur le terrain.
La formation bute sur deux dificultés liées à l’opacité de l’activité silencieuse
et invisible de visionnage de vidéos : a) les expériences rappelées « en écho » ne
sont pas souvent explicitées ni commentées par les formés durant une séance de
vidéoformation et restent de l’ordre d’un vécu-privé, b) les prolongements liés à
cette activité comparative entre transformations projetées dans une situation future
et transformations effectivement mises en œuvre en classe, sont rarement pistées
et exploitées par les formateurs. La recherche, quant à elle, est en dificulté pour
rendre compte de la mise en relation d’expériences vécues par les enseignants dans
des espaces différents et sur des temporalités longues. De manière exploratoire, cet
article déconstruit et reconstruit ce processus de « transformations silencieuses »
des mondes d’expérience2 d’une enseignante-stagiaire de mathématiques en lien
avec l’usage de la plateforme, à partir du couple « modiication-continuation »
(Jullien, 2009) qui permet de saisir en même temps : a) les bifurcations de l’activité
correspondant à des façons de faire nouvelles révélatrices de changements plus
ou moins profonds, et b) des formes de régularités dans les gestes professionnels.
1 Dans la suite du texte, nous utiliserons le terme de plateforme lorsque nous parlerons de la plateforme de
vidéoformation Néopass@ction.
2 Le « monde d’expérience » ou « monde propre » (Merleau-Ponty, 1942) à partir duquel un enseignant agit ne
peut être déini indépendamment de la façon dont l’acteur perçoit la situation, de ce qu’il cherche à faire, de
ce qu’il ressent et de ce qu’il mobilise comme connaissances en relation avec ce qu’il fait.
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2. Cadre conceptuel
La navigation dans la platefo rme définit et délimite l’espace des expériences
mimétiques possibles pour les enseignants. L’espace mimétique est créé par
l’interaction entre le visionnement d’extraits ilmiques présentant une situation
de classe, et par le vécu professionnel de l’enseignant impliqué dans la vidéo et/
ou p a r des commentaires de pairs ainsi qu’un questionnement du chercheurinterlocuteur qui amène l’enseignant en formation à expliciter ses pensées
et sentiments à chaque moment significatif pour lui de cette navigation. La
structuration de la plateforme favorise cette immersion en afichant d’emblée une
vidéo de classe à chaque ouverture de thème qui donne à voir des postures et des
gestes typiques d’enseignant. L’immersion visuelle spatiale qui plonge l’enseignant
dans l’ambiance d’une classe particulière et l’immersion temporelle qui l’amène à
découvrir pas à pas l’évolution de la situation « force à bouger, à agir et non seulement
à observer » (Citton, 2012, p. 112).
Le chercheur exploite ces caractéristiques en faisant expliciter les effets de ce
dédoublement imaginaire postulé à partir duquel l’enseignant vit la situation de
classe, soit à la place de l’enseignant, soit en tant qu’observateur extérieur. Au il
de l’avancée dans la situation, le questionnement, conduit de manière dynamique,
permet de documenter les processus d’identiication, d’enquête et de production
de ressemblances entre des objets et des activités déclenchés-encouragés par la
comparaison de situations vécues passées et présentées. Le chercheur prolonge
également les propos de l’utilisateur qui rendent compte spontanément de
processus d’anticipation et de projection dans une situation future. L’ensemble de
ces processus mimétiques constitue un vecteur de remodelage de l’expérience déjà
incorporée (Leblanc & Sève, 2012).
Pour saisir la relation entre le passé et l’avenir, le réalisé et le potentiel, nous nous
appuyons sur les notions d’imagination reproductrice et d’invention de l’individu
(Simondon, 2008). L’imagination reproductrice correspond à une recomposition
d’images mentales à partir d’objets déjà perçus et rappelés, et l’invention engendre
une réalisation nouvelle qui se concrétise pratiquement dans le milieu de l’acteur.
Les images mentales détiennent plusieurs statuts et des modes d’existence différents
selon les moments : avant l’expérience pour anticiper (futur), durant celle-ci pour
percevoir (présent) et après celle-ci comme symbole-souvenir (passé). Ces images
mentales, produites lors de moments d’anticipation ou de bilan d’une activité,
sont rarement conscientes mais sont sous certaines conditions conscientisables.
Nous postulons que la confrontation d’un acteur à des ilms montrant d’autres
professionnels du même métier en activité, accompagnée d’une aide à l’explicitation
de son vécu sollicitent : a) la « suggestion » qui est un « appel d’images » sur
la base d’autres images, b) des processus d’anticipation sur la base « d’ébauches
de perception », et c) des processus de symbolisation sur la base « d’imagessouvenirs » (ibid.). La navigation dans la platefo rme serait alors vécue comme une
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« expérience mimétique active » qui susciterait potentiellement un enrichissement
des expériences de classe. Cet enrichissement se réaliserait sur la base d’une activité
inventive qui déboucherait sur des autoprescriptions construites à travers
le déploiement d’unités d’expérience3 en partie imaginées. Quel protocole de
recueil de données et quelles modalités d’entretien avons-nous mis en place
pour pouvoir suivre le processus d’élaboration de ces autoprescriptions et voir ce
qu’elles adviennent dans les pratiques de classe ?
3. Méthodologie
Les données qui o n t servi de support à l’analyse de ces processus
d’imagination-invention sont extraites de deux sessions de formation avec la
plateforme d’une enseignante-stagiaire de mathématiques nommée Nathalie. Lors
de chaque session d’une durée d’une heure chacune, l’enseignante a été invitée à
commenter son activité lors de ses navigations dans la plateforme. Les relances du
chercheur visaient à lui faire expliciter sa « conscience pré-rélexive » (Theureau,
2004), le point de vue adopté sur la situation (celui de l’enseignant, des élèves,
d’un élève, d’elle-même en tant qu’enseignante), les pratiques concrètes qu’elle
envisageait de tester dans sa classe (autoprescriptions). Lors de la session de travail
suivante, réalisée un mois plus tard, l’entretien démarrait sur l’explicitation de ce
qui avait été effectivement mis en place en classe à partir des autoprescriptions
construites lors de la session précédente. Dans le cas d’une non mise en œuvre, il
était demandé d’en expliquer les raisons. Par ailleurs, le chercheur était à l’écoute
d’éventuels questionnements issus des expériences du terrain professionnel qui
pouvaient alimenter l’exploration de la plateforme. L’ensemble de ces verbalisations
a fait l’objet d’un enregistrement audio-vidéo et d’une retranscription des
verbatim en intégralité.
Réalisée à partir du cadre sémiologique du cours d’action (Theureau, 2004),
l’analyse a consisté à reconstruire l’enchaînement des unités d’expérience
signiicatives pour Nathalie permettant de rendre compte de l’évolution de ses
préoccupations ainsi que des modalités d’apprentissage-développement en jeu au
cours de la période d’activité étudiée. Plus précisément, elle a visé : a) à comprendre
la manière dont les transformations projetées en in de session de vidéoformation
ont été construites au il de la navigation, et b) à suivre l’actualisation ou non en
classe de ces transformations projetées. Dans cet article nous reconstruisons deux
transformations de sa pratique de classe en lien avec deux de ses préoccupations
exprimées ainsi : « contrôler le respect par les élèves du rituel de début de cours » et
« mettre au travail les élèves plus rapidement dans sa discipline ». Nous identiions
les phénomènes d’imagination impliqués et articulés avec des expériences de classe
3 Les unités d’expérience sont les fractions de l’activité pré-rélexive montrable, racontable et/ou commentable
par l’acteur qui émergent de l’articulation dynamique de plusieurs éléments et qui en restituent la signiication
locale.
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passées, nous montrons comment ils ont pu être sources de transformations de
l’activité professionnelle et à quelles conditions.
4. Résultats
L’analyse a permis de mettre en évidence quatre types de transformations de
l’activité qui articulent expériences mimétiques en vidéoformation et expériences
en classe : a) une transformation projetée en classe inspirée par les propos d’une
enseignante néotitulaire d’éducation physique et sportive (EPS), b) le renforcement
de cette projection en classe grâce à une prise de conscience provoquée par l’image
d’autrui, c) une transformation testée en classe sur la base des préscénarisations
anticipées en vidéoformation et d) une transformation projetée en vidéoformation
mais non explorée en classe.
4.1. Transformation projetée en classe inspirée par les propos d’une
enseignante néotitulaire d’EPS
L’épisode que nous exploitons ici se situe environ à la moitié de la première
navigation commentée de l’enseignante stagiaire (25e minute). Le choix de la
consultation de l’extrait vidéo que nous avons exploité s’est fait de manière
cohérente du point de vue de l’enseignante mais de manière imprévisible pour le
chercheur. Après avoir écouté la vidéo d’un chercheur intitulé « des moments fragiles
où tout peut déraper »4, elle réléchit « en écho » sur la manière dont elle donne
les devoirs en in de cours et les dificultés qu’elle rencontre dans ce moment de
transition. Dans le prolongement de cette rélexion, elle fait un lien avec les propos
du chercheur relatifs aux déplacements à l’extérieur de l’établissement et le fait
qu’elle va devoir accompagner la semaine suivante une classe de 6e dans le cadre
d’une sortie d’accrobranche avec des professeurs d’EPS. Appréhendant le caractère
inconnu de cette situation, le fait de devoir gérer les élèves en dehors d’une classe
et dans une activité à risque, elle demande au chercheur de la guider vers une
vidéo pouvant avoir un lien avec l’EPS. Le chercheur l’oriente vers la seule vidéo
qu’il connaît dans laquelle une enseignante néotitulaire d’EPS (nommée Aude)
commente et réagit à la vidéo d’un enseignant en dificulté (nommé Romain) dans
son début de cours (ce qui n’a pas de lien direct avec sa demande).
La première unité élémentaire (UE) signiicative du cours d’expérience de cet
épisode correspond à une communication verbale à l’issue de la in de la vidéo :
« Je suis assez d’accord avec ce qu’elle dit ». La relance du chercheur l’amène à
préciser le contenu de son adhésion aux propos de la collègue d’EPS. L’accord
porte sur les conditions à respecter pour que la posture « les bras croisés » soit
eficace « Ça marche à condition… de balayer la classe du regard ». Cette UE est
« imaginée-recomposée » sur la base des « images-perçues » via l’expérience relatée
4 Pour illustrer ces moments fragiles, le chercheur évoque successivement les ins de cours et les déplacements
à l’extérieur de l’établissement du professeur d’éducation physique et sportive.
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d’Aude. Ce qui fait signe pour Nathalie, ce sont les propos d’Aude qui relate que
si cela lui arrive de prendre cette position les bras croisés, ce n’est jamais dans une
posture igée comme celle de Romain : « Je peux être dans cette position et me
déplacer ou alors balayer du regard la classe et ixer un élève, par exemple celui qui
parle pour essayer de le calmer ou éventuellement me placer à côté d’un élève
qui justement bavarde ».
La deuxième UE correspond à une unité « imaginée-rejouée » sur la base
d’« images-souvenirs » liées à la fois à l’unité précédente « balayer du regard la classe
et ixer un élève » et à ses propres expériences : « Je regarde précisément les élèves
qui ne sont pas en place pour moi ». C’est ce fragment d’activité passée qui fait
signe et qui l’amène à se remémorer la totalité de l’activité, c’est-à-dire de son
rituel d’entrée de classe dans lequel vient s’insérer cette focalisation sur certains
élèves. En imaginant et en rejouant ce cours d’expérience, elle voit et décrit les
comportements inattentifs ou déviants des élèves ainsi que ce que cela la conduit
à faire : « Souvent il y en a, ils sont dans la lune, donc ils oublient de sortir leurs
affaires. Donc, je leur rappelle. Ou il y en a qui s’asseyent, qui s’assoient avant que
je le leur aie demandé, donc, je leur rappelle aussi ».
La troisième UE correspond à une unité « imaginée-créée » : « Mais par contre,
ce que je pense que je vais heu, je vais faire, c’est effectivement ben passer dans la
classe ». Cette UE est construite sur la base d’une « image-esquisse » qui se dessine
progressivement. Ce qui fait signe pour Nathalie est contenu dans les propos
d’Aude, qui précise à plusieurs reprises dans ses commentaires cette nécessité
d’être active pour signiier sa présence et ses intentions aux élèves : « Rester
immobile complètement et igé au niveau du regard, en fait, je pense que ça ne les
intimide pas », « il faut après qu’il y ait quand même quelque chose qui bouge, soit
le regard, soit se déplacer ». Nathalie prend conscience également que l’organisation
spatiale de sa classe ne favorise pas le contrôle des élèves uniquement par le regard
renforçant ainsi l’intérêt d’explorer et de tester ces déplacements dans cette phase
particulière de mise en posture scolaire des élèves où elle attend le silence.
4.2. Renforcement de cette transformation projetée en classe grâce à une prise
de conscience provoquée par l’image d’autrui
Nathalie prolonge sa navigation en allant consulter l’entretien « vécu
professionnel » de Romain pour voir ce qu’il vivait au moment où les élèves étaient
agités et ce qui l’amenait à ne pas intervenir. Elle réagit aux propos de l’enseignant :
« C’est eux qui décident », en manifestant son désaccord, puis à « Je ne sais
pas crier » (Romain), en approuvant son point de vue (estimant que le risque
d’envenimement de la situation est plus grand en cas d’affrontement immédiat
avec les élèves). Alors qu’elle s’apprête à relancer la vidéo de l’entretien où l’on
voit Romain en position d’attente les bras croisés, elle produit les commentaires
suivants : « Ah, là, il a une posture qui est contre le tableau, il s’appuie comme s’il
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avait besoin de, de soutien un petit peu. Et ça, on m’avait fait la remarque l’an dernier
quand j’avais fait le stage, j’avais un petit peu cette attitude-là… C’était une formatrice
à l’IUFM qui était venue nous visiter ».
La première UE qui débute cet épisode correspond à une interprétation de
la part de Nathalie de cette posture de l’enseignant adossée au tableau. Elle
cherche l’intention implicite qui se cache derrière cette posture et y voit un
besoin de soutien de la part de l’enseignant. Cette unité de cours d’expérience
est « imaginée-recomposée » sur la base de l’« image-perçue » à partir de l’arrêt sur
image de la vidéo. Ce qui fait signe en lien avec cette UE, c’est la position adossée
au tableau qui est sans doute renforcée par l’arrêt sur image.
La deuxième UE correspond à une prise de conscience du fait qu’elle avait déjà
adopté cette même attitude. Cette unité du cours d’expérience correspond à une
unité « imaginée-rejouée », sur la base d’« images-souvenirs » liées à la fois à l’unité
précédente « posture contre le tableau » et au rappel du retour d’une formatrice
lors d’une visite de classe.
La troisième UE correspond à une prise de conscience que cette attitude peut
renvoyer une image en décalage avec les intentions de l’enseignant : « je n’attendais
pas le soutien ». Elle init par qualiier l’image de l’enseignant vis-à-vis des élèves
de quasi transparente : « Finalement, c’est comme s’il s’effaçait un petit peu là, de,
de s’appuyer au tableau ».
Le bilan cette première navigation sur la plateforme étaye nos précédents
résultats montrant que ces situations d’alloconfrontation conduisent plutôt les
utilisateurs « À voir l’autre comme soi-même » qu’à analyser l’activité d’autrui :
« C’est plutôt sur ma pratique à moi que je vais un petit peu, modiier justement et
essayer de réléchir à modiier ». À l’issue de cette première séance Nathalie s’autoprescrit une transformation relative à ses déplacements dans la classe dans la
phase de mise en posture scolaire des élèves : « Lorsque j’attends le silence, c’est
vraiment circuler un peu plus dans la salle ». Ce « processus de renormalisation »
(Schwartz, 2007), correspondant à une réappropriation par les acteurs des critères
normatifs du travail pour en faire des instruments de leur propre activité (Saujat,
2010), est favorisé par la confrontation à des ilms de classe qui « montrent » des
microgestes, des ambiances, des dynamiques interactionnelles et des conigurations
d’événements dans leur « état brut » (Lussi Borer & Muller, 2014).
4.3. Transformation testée en classe sur la base des préscénarisations en
vidéoformation
Un mois et demi plus tard, la description précise de Nathalie de la manière dont
elle démarre ses cours nous indique qu’elle a fait des liens explicites entre ses
expériences de classe et son expérience ictive commentée sur la platef orme.
Cette articulation entre ces deux expériences a généré des effets perçus comme
positifs au niveau de sa pratique de classe : « au niveau de la mise en place, enin
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de l’entrée en classe, euh, ça va mieux parce que les élèves ils se mettent, assez, un
peu plus rapidement en situation de travail… je le vis positivement puisque c’est ce
que j’attends en fait. Voilà, on perd moins de temps ».
On peut repérer des transformations inspirées directement de ce qu’elle avait
construit durant la navigation sur la plateforme relativement d’une part aux
commentaires d’Aude (enseignante d’EPS) et d’autre part, aux commentaires suscités
par l’image ixe de l’enseignant adossé au tableau : « Je ne fais plus l’appel, je
circule dans la classe jusqu’à ce qu’ils aient tous sorti leurs affaires et puis après, je
les fais asseoir et voilà. Je me suis un petit peu servi de ce que j’avais vu justement,
plus rester devant le tableau à attendre, mais circuler pour montrer que j’attends
qu’ils soient, enin qu’ils se mettent rapidement en place ». Deux éléments signiicatifs
pour elle dans la situation de début de cours – la position devant le tableau et une
attitude d’attente igée – l’amènent à anticiper sur la base de ce qu’elle a construit
lors de sa navigation sur la plateforme « plus rester devant le tableau à attendre,
mais circuler ». Ces expériences immersives en interaction avec la plateforme et
médiées par le chercheur ont contribué à transformer l’expérience de classe
en testant de nouvelles modalités qui ont permis de construire de nouveaux
types liés à ses débuts de cours : « Le cours démarre plus rapidement et les élèves
sont plus calmes plus rapidement », « Quand les élèves me voient, ils se taisent
automatiquement puisqu’ils savent que, enin ils ont un petit peu imprimé les règles ».
Elle a également pris conscience que ces transformations restent fragiles : « Pendant
4 semaines donc ils avaient pris d’autres habitudes avec l’autre professeur, il a fallu
quand même un petit peu repartir de zéro ».
4.4. Transformation projetée en vidéoformation mais non explorée en classe
Vers la in de la session de travail (50e minute), Nathalie réagit tout d’abord à
la partie de l’entretien « vécu professionnel » de Romain dans lequel il fait état des
transformations qu’il a explorées pour mettre plus rapidement les élèves au travail.
Elle s’appuie ensuite sur la vidéo de classe de Romain qui illustre concrètement
l’évolution de la manière de débuter son cours en utilisant un vidéoprojecteur dès
les premières minutes de classe.
La première UE du cours d’expérience de Nathalie relatif à cet épisode est
une unité « imaginée-créée » : « Je réléchis si je peux le faire, en maths ». Cette
UE est construite sur la base d’une « image-esquisse » qui se concrétise à travers
l’identiication, d’une part, des conditions matérielles « j’ai un vidéoprojecteur dans
ma salle » et, d’autre part, d’un scénario qu’elle élabore à partir des contenus
spéciiques à sa discipline : « Ça peut être des petits, du, du calcul mental, heu.
Oui, ça peut, oui. Je peux aficher [...] un exercice de calcul mental à faire sur feuille.
Moi, comme ça, ça m’évite de donner l’énoncé ». Elle mobilise en lien avec cette
UE un ensemble de connaissances relatives à l’adéquation de ces exercices au
programme : « Ça doit être travaillé à tous les niveaux », et à l’intérêt des élèves
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pour le changement de modalité pédagogique et notamment pour l’utilisation de
support numérique : « Ils aiment bien qu’on change de support et le support
numérique, ils aiment bien ». Mais c’est aussi associé au potentiel d’enrôlement
des élèves lié à l’usage de cet artefact : « Ça capte un peu plus leur attention »,
et aux possibilités nouvelles que cela ouvre à l’enseignant : « On peut prendre du
recul, se mettre au fond de la classe pour expliquer, voir un petit peu la classe sous
un autre angle ».
La deuxième UE est « imaginée-recomposée » sur la base de l’« image-perçue » de
l’attitude inattendue des élèves qui adoptent une posture scolaire très différente
du comportement agité du début de l’année. Nathalie met en relation ce
changement d’attitude des élèves avec la posture d’enrôlement de l’enseignant
d’emblée orientée par sa discipline.
La troisième UE porte sur la question du silence et de la mise au travail. Ce qui
fait signe pour Nathalie : « Il n’y a pas le silence complet », la conduit à constater
qu’en même temps cela n’est pas contradictoire avec une mise au travail assez
rapide des élèves. Elle s’interroge sur les moments propices où il est possible
d’autoriser la discussion entre les élèves et sur le niveau de tolérance au bruit de
chaque enseignant : « À quel moment autoriser la discussion, heu, est-ce que pour
ce type de, de travail, on peut l’autoriser ou pas. Voilà, après, je pense que ça dépend
de chacun, de la tolérance qu’on a au bruit ou aux chuchotements ».
Bien que cette transformation projetée ait été mise au même niveau que
celle concernant ses déplacements dans la classe : « Démarrer une séance avec le
vidéoprojecteur, enin ça peut les, ça peut changer justement les séances classiques
et les mettre au travail plus rapidement », elle ne fut pas mise en œuvre. Cette
non mise en œuvre en classe peut se comprendre à travers les propos réticents
développés par sa tutrice qui l’a alertée sur les conditions à respecter pour que cette
mise en activité immédiate fonctionne : « Oui c’est bien de les mettre en activité de
suite, mais s’ils ne sont pas prêts à t’écouter ou à… ça ne portera pas forcément
ses fruits ». La force de conviction qu’avaient suscitée les propos de Romain en
entretien, suivi du visionnement de sa pratique renouvelée de classe, apparaît
réfrénée par les propos de la tutrice. Du coup, elle doute et ne sait plus trop quoi
faire : « Pour l’instant j’attends, je vais peut-être quand même essayer de le tester ».
5. Discussion générale
Ces résultats exploratoires montrent que l’immersion mimétique suscitée par une
navigation dans la plateforme commentée à un interlocuteur favorise des allersretours dynamiques entre imagination et réel. Ces allers-retours se mettent en place
sur la base d’image-perçue à travers l’activité de pairs, d’image-souvenir en référence
à leur propre activité et d’image-esquisse élaborée à partir de l’articulation des
deux. Cet assemblage de différents registres d’activité de l’ordre de l’imaginaire
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et du réel (Durand, 2008) enrichit l’épaisseur de l’expérience de formation en
rendant possible la transformation des anticipations de l’activité future en situation
professionnelle à travers un processus de reconnaissance de « ce qui pourra faire
signe » (Theureau, 2006) en situation de classe ou d ’anticipations d’évènements,
et de reconnaissance d’unités d’action anticipées qui ont été actualisées lors des
verbalisations simultanées. En lien avec ces anticipations, des connaissances
situées se référant à la situation vidéo et à une famille proche de situations
rencontrées par l’acteur, dont l’usage est anticipé, sont mobilisés. Ce double
processus favorise l’élaboration d’anticipation de façons d’agir de l’acteur qui
potentiellement « s’accorderont » au caractère incertain et imprévisible de l’activité
en situation professionnelle et accompagneront des comportements improvisés
ainsi que l’exploration de pistes d’intervention jusqu’ici non réellement mises
en œuvre (Azéma & Leblanc, 2014). Dans cette vision, apprendre en formation
professionnelle consiste à transformer des anticipations et leur organisation en
jouant sur l’articulation imagination-réalité et à constituer de multiples images
potentiellement réutilisables pour faire face à un problème dans une situation
ultérieure.
Ce processus crée les conditions de « l’invention pratique » qui apparaît pour
faire face à une situation problématique caractérisée par un « hiatus » ou une
« incompatibilité » (Simondon, 2008). Face à deux ordres de réalité incompatibles,
celui du sujet en interaction avec son problème et celui du résultat imaginé,
l’invention consiste à découvrir une « médiation » entre ces deux ordres permettant
au sujet de participer activement à la production d’une solution au problème.
Inventer revient donc à trouver une solution qui rétablisse la « compatibilité
intrinsèque et extrinsèque » (ibid.). Cette capacité d’inventer face à des situations
appelant des solutions nouvelles serait conditionnée par la richesse, la précision et
la diversité des images mentales construites en amont et actualisables in situ. Le
développement de cette capacité inventive se ferait sur la base d’une alternance
entre des périodes d’exploration, manipulation libre dans le cadre d’activités
d’acquisition faiblement inalisées (e.g. navigation plus ou moins contrainte dans
une plateforme de vidéoformation) qui permettent de constituer-ampliier un vivier
d’images « faiblement polarisées » (Simondon, 2008) et des périodes fortement
finalisées dans le cadre d’une activité problématique pour l’enseignant (e.g.
autoconfrontation sur sa propre pratique).
Dans ces environnements de vidéoformation, l’accompagnement par les
formateurs devrait donc viser à susciter, favoriser, faciliter l’articulation entre
mémoire, actualité et anticipation-imagination, en donnant à la fois la
possibilité à l’acteur de se souvenir de conduites passées qui retrouveraient un
« certain coeficient de présence » (Simondon, 2008) dans la situation présente
et aussi la possibilité de prévoir la conduite juste à venir. Nous postulons
que la conscientisation d’anticipations représentées sous forme d’images et des
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Expériences mimétiques en vidéo formation et transformations…
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conséquences tirées des expériences passées en lien avec la situation seront des
ressources mobilisables en cours d’action car cela constitue « par avance une
expérience » (Simondon, 2008). Les études de cas portant sur les usages de cette
plateforme (Flandin & Ria, 2014 ; Leblanc, 2014a ; Leblanc & Sève, 2012 ; Lussi Borer
& Muller, 2014 ; Ria & Leblanc, 2012) constituent des appuis utiles pour construire
des scénarios pédagogiques partiellement éprouvés et pour aider à concevoir
des dispositifs de formation de types « groupes de simulation vidéo » (Jean, 2012)
ou « videoclub » (Sherin & Han, 2004) susceptibles d’activer ces processus de
transformation – mimétisme, rélexivité, imagination, sémiotisation – favorable
au développement professionnel (Flandin, Leblanc & Muller, à paraître).
Dans la perspective « inventive » dans laquelle se situe notre programme de
recherche technologique centré sur l’activité, des alternatives d’intervention
intéressantes ont été testées avec des formateurs pour favoriser « l’expression de
la conscience prérélexive » des acteurs dans la partie « immersive » et « ludique »
des situations simulées-imaginées et enrichir de cette compréhension la partie
« rélexive » et « sérieuse » lors des bilans de formation (Leblanc, 2012, 2014b). Si
l’on veut que les bilans soient réellement ancrés sur l’activité lors des simulations
et que les transformations envisagées traversent les contextes, il est nécessaire
de favoriser l’expression de cette conscience : « Plus la conscience prérélexive a été
exprimée et [...] plus cette activité rélexive aura pour objet quelque chose de proche
de cette première activité » (Theureau, 2012, p. 14).
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Abstract
Mimetics experiences, videotraining and processes
that transform professional activity
ABSTRACT: This article analyze the silent and invisible activity of a novice mathematics’ teacher that
watched movies available on the platform Néopass@ction. We followed two free navigations in the
presence and with the help of a researcher-interlocutor, alternating with classroom practice, and we
reconstructed the involved process of imagination and invention that articulated past experiences,
planned experiences and realized experiences. In this perspective, coaching by trainers of this process
is discussed.
KEYWORDS: initial teacher education, e-learning, professional experience, alternance training, ICT
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