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Parnay18e

2003, La vie au village de Parnay

Description de la vie du village de Parnay au XVIIIe siècle sur la côte de Saumur, patrie d'Antoine Cristal, d'Henri Allain Targé, d'Abel Ferry ou d'Edgard Pisani.

VIVRE A PARNAY, VILLAGE VIGNERON DE LA MOYENNE VALLÉE DE LA LOIRE AU XVIIIE SIÈCLE. Le petit village vigneron de Parnay situé entre Montsoreau et Saumur est caractéristique des villages vignerons de la côte de Saumur. Accroché à flanc de coteau, dominant la Loire, il a conservé des traces nombreuses de l’époque où la communauté villageoise était dynamique et prospère. Un village des bords de Loire. La vie au néolithique se déroule à Parnay entre la Loire et son coteau. Il faut alors imaginer une Loire plus large, se confondant avec la Vienne, avec des passages à gué et des petites buttes, les montils, qui permettent d’occuper une partie de la rive droite. Ce site ancien, sur la rive gauche du fleuve, a été choisi en raison d’une brève vallée entaillant un coteau pentu qui permet aux habitants de s’abriter et tout aussi facilement de pouvoir venir s’embarquer quand le besoin se fait sentir. Une immense forêt dite « de Bort » s’étend alors sur toute la partie dominant Saumur, formant une frontière entre les trois futures provinces de Touraine, Anjou et Poitou. Elle fournit à ces premières communautés humaines des ressources nombreuses en gibier et en bois. Les nombreux mégalithes démontrent l’importance de ces populations sur tout le Saumurois, notamment à Bagneux, Distré, Chacé ou Brézé, pour ne citer que les sites les plus importants, ou plus incertaines, sur la commune de Parnay, comme l’alignement de Targé détruit au début du Xxe siècle. Des établissements gallo-romains à Souzay-Champigny, d’autres à Montsoreau, à Candes, à Parnay, à proximité de l’église actuelle, des pièces de monnaie romaines à Saumur, confirment ainsi sur toute la rive menant de Tours aux Ponts-de-Cé, mieux protégée que la rive droite des crues, la continuité de l’occupation humaine. Le vicus de Lezon, sur l’actuelle commune de Saint Just sur Dive, les bains de Bagneux démontrent également l’intérêt de la région pour la civilisation gallo-romaine qui se met alors en place et les équipements qu’on tente alors d’y implanter. Les fondations religieuses chrétiennes sont déjà nombreuses à la fin de l’antiquité. La mort de Martin, ancien évêque de Tours et revenu à la vie monastique, à Candes, à proximité de Montsoreau, au Ive siècle montre cette présence humaine dynamique dans cette région. L’église primitive de Rest, qui semble correspondre a un gué qui traverse la Loire, de la même époque, montre un désir d’isolement de l’évêque de Tours assez relatif. Si le Haut Moyen Âge n’a laissé que peu de témoignages écrits pour la région, à l’exception de la donation de Champigny par contre, les nombreuses cavités témoignent d’un habitat permanent en bordure de Loire. Dans le paysage, on peut estimer qu’une grande partie de ces cavités de coteau en Saumurois commence a été creusée dès cette époque. Ce peut être également le cas en troglodyte de plaine comme en témoigne notamment l’activité d’extraction de sarcophages sur Doué la Fontaine. Ces cavités sont de toute façon des caches bien utiles contre les invasions Vikings et autres périls du temps et de nombreuses caches, appelées localement roches, sont parfois transformées en habitat permanent, comme ce fut le cas à Brézé. Figure 1 : Plan de Parnay vers 1813, avec les principaux lieux-dits, Archives Départementales de Maine et Loire, 3 P4 245/1 à 6 Partout les activités humaines semblent freinées, mais ne cessent pas. La vigne, elle, continue à être cultivée pour les besoins du culte, essentiellement à proximité des villes. L’arrivée de moines au Ixe siècle à Saumur, fuyant le monastère de Saint Florent le Vieil va permettre au premier hameau de Saumur de trouver un réel essor. Cette ville ne semble pas avoir eu jusqu’alors d’existence constituée et il faudra la translation du monastère au sommet du coteau pour qu’elle puisse s’affirmer. La rivalité entre la maison de Blois et celle d’Anjou démontrera l’intérêt stratégique du lieu et dès lors une installation permanente de population sur cette partie du coteau permet la création d’une ville réelle. Les moines de Saint Florent de Saumur défrichent à proximité de la butte Saint Vincent en direction de Dampierre du Chemin. Près d’un siècle plus tard, la création de l’abbaye de Fontevrault par Robert d’Arbrissel en 1099 est un nouveau tournant pour cette partie de l’Anjou. Cette communauté originale, permet selon les témoignages écrits de l’époque, de défricher une partie de l’ancienne forêt frontière entre Touraine, Poitou et Anjou. Ainsi, les communautés humaines se dispersent à nouveau en dehors de la stricte bordure de Loire et le coteau dominant Saumur est lentement mis en valeur. Quelques toponymes semblent attester d’essarts tardifs (défrichements). Entre ces deux extrémités, la communauté villageoise de Parnay s’érige en paroisse au XIe siècle, en marquant cet évènement par la construction d’une église de dimension modeste, mais aux proportions et à l’équilibre certain. La petite église de Saint-Pierre construite en pierre de tuffeau extraite des carrières proches, appartient à ce vaste mouvement spirituel ligérien. De style roman, elle a servi de modèle à d’autres églises, dont celle de Souzay, qui lui ressemble, mais d’édification plus tardive. Cette possession d’Aubin, évêque d’Angers, montre le souci de contrôle du territoire par le pouvoir ecclésiastique (surveiller Robert d’Arbrissel ?). Il semble également certain que de nombreuses petites seigneuries occupent simultanément le rebord du coteau. La vocation de défense de ces maisons fortes, à mi-pente, d’une falaise abrupte, qui permettent de contrôler les accès aux villages depuis de la Loire ou depuis le coteau, est manifeste. Ainsi, le château de Parnay (selon une gravure héritée de la collection Gaignières, par Louis Boudan au XVIIe siècle) était beaucoup plus impressionnant à l’époque médiévale qu’il n’est aujourd’hui : il faut imaginer une demeure entourée de hauts murs défensifs, avec un portail massif et des tourelles crénelées dont la construction aurait été réalisée au XIVe siècle. Figure 2 : le château de Parnay au XVIIIe siècle, selon la collection Gaignières (BNF, site Gallica) D’autres propriétés à Souzay, Dampierre (Morains) ou Turquant (la Fessardière) sont sans aucun doute contemporaines de la volonté de contrôler plus étroitement une frontière mouvante entre Poitou, Touraine et Anjou au moment où le pouvoir royal vacille (Xe-XIe siècles). Figure 3 : Cours du château de Parnay dans les années 1990. Il ne reste plus que le puit armorié et les caves qui soient d’époque, après un incendie à la fin de l’époque révolutionnaire. Deux autres demeures seigneuriales ont également joué un rôle majeur dans la vie du village : le château de Targé attesté dès 1655, dont le seigneur est le frère du seigneur du Marconnay par Gaillard en 1722, autre demeure seigneuriale du Xve siècle. Si ces trois ensembles architecturalement remarquables furent remaniés profondément au fil du temps, notamment au XIXe siècle, où ils s’approchent dorénavant des maisons bourgeoises, intégrant les parties anciennes de différentes époques, leur aspect défensif initial demeure évident. À la même époque, les habitations troglodytiques sont déjà nombreuses et truffent le coteau de niches et refuges multiples, situés aujourd’hui à trois ou quatre mètres du sol. Ces multiples logis épousent des plans archaïques, selon le gré du pic qui les creusait ; d’autres au contraire, prennent des formes plus ordonnées, avec cheminées massives, ornementations des logements, voûtes en berceau, en faisant d’authentiques demeures seigneuriales. En vieillissant, le logement en cave s’anoblit. À Parnay, l’ensemble des habitats s’étage sur près de 5 à 6 niveaux marqués par un enchevêtrement de rues et de passages escarpés. Le coteau, mélange ainsi des demeures troglodytiques anciennes, pour la plupart archaïques et des maisons en pierre de taille, beaucoup plus récentes, datées de la seconde moitié du XIXe siècle. Figure 4 : château de Targé, propriété actuelle de la famille Pisani Ferry, photo réalisée dans les années 1990, propriété profondément remaniée au début du XIXe siècle, mais qui appartient à la même famille depuis plus de 300 ans. Rivalités seigneuriales La présence de différentes seigneuries rivales dans une même paroisse n’allait pas sans conséquence pour les villageois de Parnay. Une âpre lutte opposa depuis le XVIIe siècle les Richaudeau, seigneurs anciens de Parnay, aux Targé, branche de la famille Pontchartrain, ministre de Louis XIV. Il semble cependant qu’au XVIIIe siècle, le logis de Targé, mieux situé au centre du village imposa la prééminence de cette nouvelle seigneurie plus attachée à la robe, que celle des Richaudeau, avant tout foncière. Si les rapports entre ces deux seigneuries étaient devenus plus paisibles, les paysans vignerons essentiellement allaient devoir fournir des droits importants tant sur les vins que sur les blés, à des seigneurs minutieux, forts passionnés par la vigne. À ces deux seigneuries dominant le sol, il faut ajouter la cure de Parnay qui n’est pas en reste dans l’âpre compétition de la confection des vins. Sa dotation fournit des revenus particulièrement importants pour la côte saumuroise, ce que le logis de la cure accolé à l’église et dominant le village, atteste encore. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la cure de Parnay fait partie d’un ensemble bien plus vaste dépendant du chapitre de Poitiers, qui exploite le fameux clos Saint Père (ou Saint Pierre). Figure 5 : photo de l’église et de l’ancienne cure de Parnay en 1993, en bordure de Loire, dominant le village, seul bâtiment alors à avoir été construit à proximité du vignoble, avec les moulins. Au terme du XVIIe siècle, les rapports au sein de la communauté se sont sensiblement améliorés, aucun des seigneurs ne participe plus, ici, comme ailleurs en Saumurois, à l’estimation des bans de vendange, le droit de banvin est également abandonné depuis longtemps, ni aux autres actes nécessaires à une communauté viticole. La communauté villageoise, indépendante, nomme comme c’est également le cas dans le reste de cette partie du Saumurois, ses représentants ou syndics, ses gardes vignes, estime la date du ban de vendange, presse et se réunit dès qu’il convient. L’ensemble de cette communauté doit cependant vivre au contact des bourgeois de Saumur qui font valoir sur place, des propriétés en vignes, selon des modalités tout à fait particulières. Le contrat d’exploitation essentiellement oral s’éloigne beaucoup du contrat des closiers tourangeaux, nom qu’ils ne portent jamais. Leur travail consiste avant tout sur la réalisation de travaux à façons dits ordinaires, auxquels s’ajoutent parfois des travaux à façon extraordinaires. De cette liberté, en ces lieux privilégiés, les négociants saumurois attendent des vins de référence : pouvant s’embarquer vers Paris, pour la production commune ou s’afficher sur les tables de contrées plus lointaines, des plaines flamandes aux Indes Orientales pour le vin blanc. Le paysage communal n’a que fort peu changé, ce qui constitue un attrait essentiel de ce village. Il faut imaginer selon les minutes notariales de l’étude Lamiche à la fin du XVIIIe siècle et à la vue du cadastre réalisé en 1813, qu’il n’y a encore que très peu de maisons en pierre de taille dans la partie basse du village pour masquer les habitations troglodytiques. Figure 6 : les fameuses habitations troglodytiques disparaissent peu à peu derrière d’autres demeures plus récentes. Les « demeures en roc » datées pour certaines du XIIe siècle, suffisent à loger un peu plus de 110 familles. La singularité de ce coteau saumurois éclate même aux yeux des contemporains pourtant très habitués dans une France ancienne où les habitats troglodytiques sont nombreux. Le chanoine Thorin de l’abbaye Suisse de Hauterive a été étonné lors de son voyage qui l’a conduit de Montsoreau à Saumur par le grand chemin (qu’il faut imaginer déjà bordé de saules et de peupliers) et la succession de ces habitations des deux côtés toutes en roc, avec des fenêtres, portes et escaliers taillés dans celui-ci. Ce chemin de Montsoreau à Saumur reste encore difficile d’accès jusqu’au milieu du XIXe siècle, inondable à la moindre crue, mais la beauté de ces constructions entourées de mystère, fascine encore. Ce n’est qu’avec la création de la route nationale au début du XIXe siècle que le lieu s’isole des regards. Les sols Les sols de la paroisse de Parnay (654 ha en 1878, 590 aujourd’hui) sont essentiellement dominés par des étendues de sables et de près en bord de Loire, de vignes au sommet du coteau et se terminent par la forêt de Fontevrault, soulignant les faciès très différents du village. En 1722, Gaillard, receveur de tailles de l’élection de Tours décrit les sols ainsi : « Un tiers de la paroisse en bois, landes et bruyères, peu de terres labourables, en sorte que le vin est le principal produit». Dans la partie basse, les activités liées au commerce (vin, tuffeau, fruits cuits) et à la batellerie sont dominantes, sur la partie haute, la culture de la vigne occupe l’essentiel de l’espace agricole, avec les moulins. Enfin jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la forêt n’était que rarement utilisée par les vignerons eux-mêmes, l’abbaye de Fontevrault en ayant le monopole de l’exploitation. Un niveau intermédiaire peut encore accaparer le cultivateur, lui offrant un complément de revenu, à haut risque dans de petites perrières (carrières) encore exploitées au centre du village au milieu du XVIIIe siècle. Sur le haut de la paroisse, le sol est de peu de profondeur : on sait qu’une partie du cimetière, alors juste devant l’église, disparut au XIXe siècle dans les caves situées juste au dessous, ce qui décida les paroissiens à en changer l’emplacement. Une requête a été faite le 14 mai 1787 pour le presbytère de la paroisse par le curé Antoine Pallu de la Fuye craignant de se voir disparaître au bas du coteau et qui avait alors demandé qu’un nouveau presbytère soit construit. L’assemblée alors réunie lui a poliment demandé de s’approprier une partie du cimetière pour construire un nouveau bâtiment, mais surtout pas aux charges des paroissiens. Les sols calcaires de la commune, de peu d’épaisseur, paraissent cependant relativement aptes à la vigne : on peut évaluer sa part à environ 200 hectares en 1789 et proches d’un rendement de 16.5 hl ce qui marque un choix de qualité. Le chenin est le cépage alors cultivé, on ne trouve des raisins rouges de cabernet qu’en petite quantité, mais il existe chez certains propriétaires. La vigne est alors plantée en foule, c'est-à-dire sans alignement et parfois des légumes ou des fruitiers se mêlent aux vignes. Les treilles sont aussi beaucoup plus répandues qu’elles ne le sont aujourd’hui. Parmi les lieux plus fréquemment cités pour leur qualité en vigne, figurent les clos les plus proches du coteau : clos de la cure de Parnay, clos Saint-Père ou Saint Pierre, clos de Vaucalon, clos de Targé etc. Le fait d’enclore une parcelle de vigne de murs en tuffeau procure différents avantages, en particulier celui de pouvoir vendanger quand on le désire et d’éviter aussi le grappillage des autres vignerons. Ce sont également les Pierres Blanches ou le Sang de Bœuf, sur la paroisse de Souzay. Le vignoble appartient au début du XVIIIe au terroir dénommé « vins de Morains » (en référence au château de Morains sur la commune de Dampierre). Cette appellation s’étend alors de Saumur à Montsoreau, par les paroisses de Dampierre, Souzay (Champigny), Parnay, Turquant et Montsoreau et est célébrée pour l’extrême force de ses goûts depuis le XVIIe siècle. Par opposition, les vins de Saint Cyr en Bourg, Chacé, Varrains ou Distré, semblent moins charpentés, plus fruités, mais le goût paraît plus apprécié à la fin du XVIIIe siècle qui recherche désormais les vins rouges. Le terroir de la Perrière sur Saint Cyr en Bourg est devenu la référence dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, après une sévère restructuration. Dans toutes ces paroisses, on parle alors de vins pour l’étranger. Une partie seulement, de moindre qualité, s’embarque pour Paris et la consommation de masse. En frimaire an II, un recensement des celliers sur la commune de Parnay en dénombre 27 dans le village. Le haut du pavé est alors tenu par les deux anciens seigneurs de Parnay, les Richaudeau et Gigault de Targé avec respectivement 60 et 50 busses (les Targé en ajoutaient encore 23 sur la commune de Dampierre), Alexis Prunier, avocat à Saumur en comptait 38, Charles Esnault 23, le citoyen Huard 22, Clément Monpoint marinier à Saint Clément des Levées venait de charger 63 busses… À l’opposé, certains vignerons ne possèdent plus que quelques busses, soit qu’elles sont déjà parties, soit qu’ils ne produisent pas beaucoup plus pour le commerce. Avec 457 busses encore présentes en caves, en pleine terreur, on peut estimer que les deux tiers de la récolte avaient déjà trouvé preneur. En dehors du vignoble, la commune de Parnay produit également du froment (79 boisseaux), environ deux quintaux et demi par personne et par an, du seigle (33 boisseaux), du méteil (46 boisseaux), de l’orge (170 boisseaux), des pommes de terre (414 boisseaux) et des légumes secs (32 boisseaux). Au bas du coteau la partie séparant la paroisse de la Loire est importante et souvent inondée à la fin du XVIIIe siècle. Plus que les vignobles encore, leur possession est un signe de fortune, afin de faire paître les animaux de traits nombreux à cette époque. Des possessions en îles sont également citées dans la plupart des successions. La disparition et la réapparition de bancs de sable couverts d’herbes peuvent fournir des zones de pacages pour une partie de la population, la plus pauvre, constituant des parties du village à usage collectif. La forêt constituait également une partie nécessaire et importante des revenus de Parnay. Pour les tonneliers du village, malheureusement, il ne semble pas que l’exploitation ait pu débuter avant la révolution, l’essentiel appartenant à l’abbaye de Fontevraud toute proche. On trouvait cependant dans la partie basse de la paroisse, à proximité de la Loire, des liens, des pieux et des fonds de tonneau, le corps du tonneau lui-même venant du Berry ou de la forêt allant de Cunault à Milly toute proche. Les vignerons A la fin du XVIIIe siècle, on ne cite que trois rues à Parnay : d’abord la rue du Valbrun ou Val de Brun selon les termes de l’époque, rue de l’habitat vigneron et deux autres rues : haute rue et basse rue au contact direct de la Loire. Selon les différents dénombrements il y aurait eu 106 feux en 1691 (soit environ 450 à 500 personnes si l’on accepte le coefficient de 4.5 personnes par foyer), 110 familles en 1701, 118 en 1709, pour revenir en 1722 à 110, 115 en 1732 et 580 personnes en 1790. Les vignerons représentent selon les registres paroissiaux près de 60 % de la population, chiffre confirmé par le recensement pratiqué en l’an II. L’autre partie de la population est composée de marchands et artisans (15 %), de tonneliers (7 %), de journaliers (4 %), de travailleurs du textile (2 %), de meuniers, de laboureurs… Il faut cependant admettre que tout ce monde, sans exception s’adonne à la vigne et évolue à son rythme. Aussi point de célébration de mariage en octobre, ni de fêtes intempestives, les grands travaux viticoles rythment la vie de chacun selon une périodicité immuable depuis le XVe siècle : taille, vendange, vinification. Les relations familiales au sein de la paroisse sont clairement orientées dans la préservation du patrimoine foncier : fils et filles de vignerons s’épousent et ne sortent guère de cette relation unique. Le sentiment d’une communauté trop étroitement liée à son terroir ne doit pourtant pas être exagéré. Le voyage à Nantes est une chose nécessaire pour commercialiser plus directement sa production et en tirer un meilleur prix, car si la terre était pour l’essentiel la propriété des bourgeois de Saumur, ici, comme à Turquant, Dampierre, Montsoreau ou Souzay, la plupart des vignerons possèdent malgré tout quelques boisselées de vigne cultivées directement. Ce voyage semble au XVIIIe siècle assez courant et les vignerons s’absentent près de trois semaines par an. D’autre part, ces vignerons de Parnay sont connus pour faire annuellement les moissons dans la région de Loudun et se constituer ainsi un approvisionnement en grains pour l’année. On sait également qu’ils sont en fréquent contact avec le monde extérieur par l’intermédiaire de ces propriétaires bourgeois, parfois francs-maçons, officiers à Saumur qui ont précocement épousé leur cause et que l’idéal des Lumières y est précocement parvenu. Le coteau de Saumur : richesse ou pauvreté ? En tête des revenus, se hissent les figures notables de la paroisse : Richaudeau de Parnay, Gigault de Marconnay, Gigault de Targé, Alexis Prunier tout à la fois investis à Saumur de charges et de biens, tous intéressés également par leur domaine campagnard. Pour leur vignoble, ils font travailler de nombreux journaliers avec qui ils traitent les travaux à façon. Les relations sont basées sur une confiance réciproque et il semble qu’une grande fidélité permette à chacun de travailler durablement. Le curé est un autre personnage important, par son rôle social d’une part, mais surtout en tant que propriétaire foncier avisé. En outre, il y existe bien une paysannerie aisée, selon l’enquête nationale sur la répartition des tailles et des vingtièmes en 1787. Ainsi Pierre Beaufils, meunier de profession et syndic municipal, est imposé comme l’homme le plus riche de la paroisse, mais essentiellement sur ses biens immobiliers et non sur son foncier, René chevalier quoiqu'imposé deux fois moins, possédait essentiellement des terres selon ses droits de vingtième, venaient ensuite Charles Touché, laboureur de son état, Martin Brénezay, René Frémont, Louis Guibert le jeune, Pierre Nau, d’autres encore comme François Charruau ancien syndic communal et futur adjudicateur de la cure de Parnay en 1792. Au XVIIIe siècle, malgré l’incessante division des propriétés, liée à une forte pression démographique, existe une frange de la population vivant avec certaine aisance, ce que confirment des habitations encore importantes, mais tout également les inventaires après décès pratiqués à Parnay à la fin du XVIIIe siècle. Ainsi à leur mort, les vignerons ne laissent pas de dettes alors que la mort, souvent les surprenait. Cependant, la situation peut devenir rapidement chaotique, la perte du mari, un veuvage trop longtemps supporté rendait la femme plus vulnérable encore que l’homme dans cette société. Privée de travaux dans les vignes, dans une société avant tout masculine, il ne reste que de menus travaux à exécuter, qui n’assurent pas forcément de quoi vivre. Les hommes, eux, sont guettés par de multiples infirmités liées à un travail incessant : en l’an II, on dénombre 107 chefs de famille dans le village, mais 46 ne peuvent être réquisitionnés pour le travail dans le Loudunois, soit que ce soient les meuniers et leur personnel, soit 2 ou 3 personnes, comme Pierre Beaufils ou Jean Petit, soit qu’ils soient trop âgés, 11 parce qu’ils étaient infirmes. Pourtant, la région saumuroise comme la vallée de la Loire apparaît comme très nettement avantagée par la santé de ses populations. Les écarts de fortune y sont moindres, pas de très grandes fortunes certes, mais une harmonie sociale qui associe dans le vignoble les grands propriétaires bourgeois et les vignerons par la multitude des travaux à tâche qu’ils peuvent faire. Propriétés seigneuriales et bourgeoises. Un inventaire des propriétés foncières en 1793 à Saumur pour le don patriotique permet de connaître l’importance des principales fortunes saumuroises à ce moment. L’ensemble de biens possédés à Parnay par la grande bourgeoisie ou la noblesse saumuroise peut apparaître modeste : 3035 livres alors que la totalité des biens fonciers tenus dans les campagnes autour de Saumur est évaluée à 58 844 livres. L’ensemble rend compte cependant du choix des Saumurois pour les biens vignobles autour de la ville (Souzay, Turquant, Distré, Fourneux, Dampierre, Chacé, Parnay Saint Cyr en Bourg). Sur les 129 lieux cités 50 dépassent les 1000 livres, mais la moyenne se situe à 2700 livres. Pour Parnay, quatre grandes fortunes se détachent encore : Richaudeau, les Gigault (Marconnay et Targé), Alexis Prunier. La lecture des inventaires après décès complète ces informations et laisse devenir une grande aisance, tant sur plan financier que sur le plan moral. Les Richaudeau de Parnay se font passer en l’an II pour des cultivateurs, mais l’on sait que cette famille est suzeraine de ce lieu depuis le XVe siècle au moins et que le tombeau d’un de leurs ancêtres symbolise cet état à l’intérieur de la petite église de Parnay. Les biens fonciers de Jacques Richaudeau étaient importants sur Allonnes, Souzay, Parnay, Dampierre et Saumur. L’ensemble déclaré en 1793 est estimé à 2900 livres. La propriété de Parnay, dit château de Parnay, estimée à 944 livres, future maison Cristal, est certes la plus importante en valeur, mais les biens fonciers possédés à Souzay (920 livres) et à Saumur (835 livres) ou encore sur la place Saint Pierre de Saumur sont de la même importance. Par une enquête complémentaire, les biens possédés par la mère Richaudeau de Parnay ??? apparaissent comme encore plus importants. En particulier, le corps de logis des Richaudeau, située rue du Temple fut évalué à 14 500 livres et seuls les négociants Banclair et Pupier avec respectivement 34440 livres et 29119 livres peuvent rivaliser. En 1790, ils vivent apparemment sans domesticité. L’essentiel de la fortune, pourtant, se trouve ailleurs : rentes à Paris, rentes sur le parlement de Bordeaux, maison à Paris (760 livres), rentes sur la nation (848 livres), rentes sur un prêt de 2000 livres à Fermé, négociant en vin Saumurois. L’ensemble de ces biens financiers s’élevait à plus de 10750 livres, les biens possédés à Paris, selon les dires même de la citoyenne étaient sousestimés. Au début de la période révolutionnaire, en mars 1790, à la souscription organisée pour le don patriotique, Jacques de Richaudeau est de très loin le plus généreux donateur saumurois, on sait que son appartenance à la Franc Maçonnerie y est pour beaucoup. La famille de Targé, branche cadette, tout aussi emblématique, est également richement dotée pour le Saumurois. Elle s’est assurée aux approches de la période révolutionnaire d’une toute-puissance qui ne va guère fléchir à une période où d’autres familles tremblent. Plus proches des idéaux révolutionnaires encore, volontiers contestataires au point de vue religieux, les bases de sa nouvelle puissance sont mieux assurées. En s’associant aux fortunes locales et en privilégiant la robe plutôt que la terre, au moins pour l’Ancien Régime, la dynastie va pouvoir s’affirmer au courant du XIXe siècle, comptant parmi les plus influentes de France. Targé, est d’abord un nom qui dépasse la seule province d’Anjou, car l’alliance entre Madeleine Phelippeaux de Pontchartrain, fille du ministre de Louis XIV et Joseph Gigault de Targé Parnay s’est établie sur la dotation du château de Parnay au XVIIe siècle. Des alliances multiples avec les familles saumuroises les plus fortunées, une gestion assurée, vont placer les Targé au centre de la vie saumuroise. Au XVIIIe siècle, pourtant, la fortune de Targé n’est pas encore aussi importante que celle des Richaudeau : des biens à Russé (1716 L), à Parnay et une maison à Saumur en 1790 située rue de l’ancienne messagerie. Le foyer est alors composé de 6 personnes : outre Henri gigault de Targé et sa femme, 3 filles résident sous leur toit ainsi qu’une servante. Ce n’est qu’au XIXe siècle que leur toute-puissance se révélera clairement. Un inventaire des biens au milieu du XIXe siècle décrit une fortune très importante étendue à tout le Saumurois (Parnay, Fontevrault, Varrains, Chacé, Brézé, Saint Lambert des Levées, Louerre, Martigné Briand) estimée à plus de 500 000 livres. Pour Parnay, on compte quatre hectares de vignoble, principalement constitués par le clos de la Maison, le Clos Saint Père, le Clos du Vaudebrun, des vignes sur les devants, on doit citer 33 ares de vignes rouges. Au gré des alliances la famille Guéniveau rejoint une famille de grands administrateurs les Allain, dont un des membres défend les intérêts du château de Brézé. Leur influence s’encrera bien plus tardivement encore avec l’alliance scellée avec la famille Ferry dont Jules et Abel illustreront notamment le nom. Alexis Prunier, plus effacé que les deux seigneurs du lieu, possédait néanmoins un patrimoine fort enviable. De par sa position comme conseiller à la sénéchaussée de Saumur, sa puissance était sûre. Son père, également prénommé Alexis, était premier bourgeois de Saumur. Il avait épousé Perrine Budan de Russé le 1er juillet 1752 dans la chapelle du château de Parnay. Celle-ci était la fille du subdélégué de l’élection de Saumur, également seigneur de Lignières. Les biens possédés, démontrent une aisance certaine : une maison rue des Basses Perrières était évaluée en 1793 à 6000 livres, ce qui le plaçait nettement en retrait d’un Richaudeau de Parnay ou d’un Gigault de Targé. Néanmoins, il figurent parmi les vingt premières fortunes saumuroises. Gestionnaire très avisé, son domaine viticole ont été soigneusement arpenté le 27 novembre 1759, plan réalisé en couleur, détaillant chaque terroir, chaque chaînée de vigne, ce qui démontre son très grand intérêt pour la vigne. Les Gigault de Marconnay, dont la demeure troglodytique, encore visible, a conservé le nom, était proche voisine du domaine de Parnay et leur fortune n’avait rien à envier aux trois lignées précédemment citées, ce qui ajoutait encore à la prospérité du lieu. Figure 7 : Intérieur troglodytique du château du Marconnay, qui peut toujours se visiter et où l’on peut séjourner, sur le méridien de Greenwich ! Un inventaire de la fin du XVIIIe siècle, place cette propriété comme la plus grosse fortune du coteau. Entre Montsoreau et Saumur, ce n’est pas seulement une succession de demeures paysannes, mais également un lieu de villégiature pour la bourgeoisie et la noblesse saumuroise. Sur ce coteau figurent les plus humbles, mais également les plus fortunés, mélange hétéroclite, mais redoutable d’efficacité architecturale et sociale. La demeure du Marconnay à la sortie du village de Parnay, occupait un site troglodytique du XVe siècle, dont les remaniements aux XVIIe et XVIIIe ont fait une demeure bourgeoise. De l’ancien logis, évalué en 1781, à près de 50 000 L, on peut encore apprécier les boiseries somptueuses réalisées au XVIIIe siècle, dans un état de conservation remarquable, mais plus rien de la magnifique bibliothèque et des tentures qui couvrent alors les murs. L’ensemble viticole est particulièrement représentatif de l’aisance générale des Gigault : on y trouvait deux pressoirs, dont un pressoir à roue de grande dimension. Dans les caves étaient conservés différents crus vieux de 1 à 5 années, démontrant une certaine capacité à vieillir, ce qui était rare à cette époque. Il fallait encore ajouter à cette propriété une maison à Saumur, des vignobles à Souzay, des terres à Savigny en Véron dans la proche Touraine, une importante propriété au Coudray Macouard, à Artannes, à Saint-Hippolyte et à Distré. L’ensemble était estimé à 4517 livres. La propriété cléricale Les celliers de la cure de Parnay étaient achetés par les Hollandais au XVIIe siècle et dans la première partie du XVIIIe siècle, puis par les Anglais dans la 2e moitié. Le curé en obtenait des prix élevés, le classant parmi les 20 à 30 producteurs les plus cotés du Saumurois et luttant ainsi à côté des seigneuries dont les moyens semblaient plus importants comme celles de Brézé ou du Petit Thouars. C’est l’homogénéité de l’ ensemble viticole qui assurait la bonne exploitation de la dotation paroissiale du curé, la part de dîme dans ses revenus y était par contre quasiment inexistante. Une soigneuse gestion, occupée dès le XVIIIe siècle à regrouper des lots éclatés, à Parnay ou à Souzay procurait entre 1500 et 3000 livres de revenus en moyenne pour les années 1770, entre 2 et 3000 livres de revenus pour les années 1780. Deux négociants, travaillant pour les courtiers étrangers, achetaient l’ensemble du cellier de la cure. Figure 8 : Vue ouest de l’église de Parnay dans les années 1990 En l’an II, l’estimation évaluait le domaine de la cure à 918 L 10s, pour un revenu annuel de 6061 L. En effet, la propriété se montait à 27 quartiers au total décomposés en 18 quartiers et demi de vignes tenant au jardin de la cure de Parnay, 11 quartiers de vignes en un seul tenant, 5 autres quartiers et encore 8 autres quartiers et demi de vignes, il faut aller chercher 2 nouveaux quartiers et demi de vignes au canton des Pierres Blanches. (retrouver le document !) Cette propriété, bien située, très homogène, est adjugée, le 17 janvier 1791, au 7e feu au sieur Henri Gigault de Targé, alors suppléant du district de Saumur pour 15900 livres. D’autres possessions du clergé sur Parnay ont été également vendues : à Pierre Coutelet, huissier à Saumur, pour le leg des Rochaires comprenant une cave et 18 boisselées de vignes soit 1800 livres, une autre partie comprenant la chapelle de Toussaint des Herbeux sur les paroisses de Parnay et Dampierre soit 67 boisselées de vignes, 32 boisseaux de seigle et 157 boisselées de vignes le tout estimé à 13100 livres à Paul Jacques Guérin, demeurant à Saumur. Benjamin Gigault, d’abord curé de Saint Hippolyte, puis de Parnay s’adjuge encore un quartier de vigne au lieu dit la chapelle de la Tapissière pour 505 livres au total. Jacques Richaudeau de Parnay lui, choisit d’acquérir les biens du Chapitre Ste Croix de Parnay qui sont sur Souzay et qui représentent 15 arpents de vigne et de terre pour 21 000 L payables en 2 fois. Propriétés paysannes et vigneronnes S’agissant de fortunes spectaculaires, du choix d’un nom prestigieux, l’explication d’une logique dynastique s’étalant sur 3 siècles semble éclater par un sens stratégique. Dès lors qu’il s’agit de familles moins renommées, le choix s’avère plus délicat : le terme même de paysan semble dénier une possibilité fondée sur l’intelligence d’une gestion. Beaucoup de familles du village ont aujourd’hui disparu, rares sont les tenants d’une tradition multiséculaire dont les témoignages peuvent rendre encore sensibles quelques actes notariaux ou des noms au bas des registres paroissiaux. Pourtant en approfondissant la recherche, quelques patronymes réapparaissent dans le village. Pour Parnay, quelques familles vigneronnes encore présentes peuvent justifier d’une présence ancienne : les familles Charruau, Berthelot, Sanzay ou Beaufils peuvent prétendre présenter des arbres généalogiques complets sur le village. Le recours aux registres d’inventaire s’impose afin de connaître au mieux l’état des fortunes paysannes. Les inventaires après décès du coteau de Saumur entre Montsoreau et Dampierre, les fortunes sont assez faibles à la fin du XVIIIe siècle, comprises pour l’essentiel entre 150 et 750 livres. Peu de vignerons ont des fortunes supérieures à 1000 L, l’essentiel se trouve entre 300 et 600 livres, ce qui représente globalement une à deux années de travail pour un journalier (une livre étant le salaire journalier d’un homme dans les décennies 1780-1790). Pour la région du Layon, autre vignoble angevin réputé, à la même époque, globalement la situation était plus médiocre : au strict terme de vigneron ne correspond aucun inventaire après décès supérieur à 1000 livres, tandis que les fortunes commerciales et artisanales sont quasiment deux fois plus élevées, toutes supérieures à 1000 livres et plus nombreuses qu’en Saumurois. Dans un village où la population tire essentiellement ses revenus à la vigne, il n’est guère étonnant de constater semblable faiblesse des fortunes. Les micropropriétés (1 à 2 ha) sont les plus nombreuses, encore faut-il soustraire sur Parnay de nombreuses terres en friche ou en sable. Une approche fine rend ce sentiment encore plus perceptible. En observant avec soin certains inventaires, on constate le dénuement, proche de la misère, ce peut être le sentiment vers 1740, mais plus l’on approche du terme du XVIIIe siècle, plus l’on doit constater un réel progrès dans les fortunes enregistrées, non seulement en terme financier, mais essentiellement en raison de changements importants dans la nature des objets possédés. Berthelot de Villeneuve, un témoin de la fin du XVIIIe siècle, affirme cependant que l’amélioration du niveau de vie dans le coteau de Saumur est stoppée. Vue 9 : Vue récente de la rue Valbrun dans le village de Parnay, village vigneron qui mélange des demeures classées et des habitats troglodytiques … C’est aussi ce que suggère l’inventaire pratiqué au domicile d’Urbain Léger, vigneron dans les basses rues de Parnay. Ayant épousé Marie Chotard en seconde noce de laquelle il a deux fils, urbain et Pierre. Son inventaire après décès est révélateur d’une certaine aisance : multiples pièces dans l’habitat, spécialisées dans chacun des produits, c'est-à-dire cave pour le vin et non-enchevêtrement des fonctions, cheval plutôt qu’âne, chemises nombreuses pour le mari, cotillons et coiffes pour la femme, des ustensiles de cuisine nombreux, panier à beurre, paillons pour la pâte… sur le port près de la Loire une « toue » en bois avec gouvernail et surtout une multitude de liens, cercles, javeaux destinés à la vigne. L’ensemble est estimé à 607 livres, soit une fortune moyenne du coteau. Une estimation d’un « petit » vigneron de la décennie 1740-1750 voit la moyenne des fortunes chuter d’environ 150 livres et les inventaires pratiqués suggérer la misère : c’est l’évaluation de la communauté des biens d’Urbain Gondouin, rue de Valdebrun pratiqué le 2 janvier 1741 : les coffres (mettes) en bois de chêne, de noyer ou de bois inconnus sont pour la plupart écroulés. Dans la maison, les pièces se confondent : dans l’écurie, dans un recoin est également conservé le vin, rare, qui côtoie un âne d’âge inconnu (bien qu’il y ait deux chambres, une cour, une cave à vin-écurie, un casse-pierre et un casse bois). L’ensemble de l’estimation est accompagné des termes «usés » ou « presque hors d’usage » et ne vaut que 40 livres. L’estimation des terres dénombre 21 boisselées, dont l’essentiel consiste en un mélange de vignes et de bois, de friches et de vignes ou de friches et bois, suggérant une certaine confusion dans la mise en valeur des terres, mais peut être également le résultat d’une maladie ou d’une infirmité. Les lieux de ces terres sont la Paleine, les Chaluson, les Cossans, les Cloisons, les Chaudelamort etc. Difficile donc de rendre compte des situations multiples qui se dégagent des inventaires après décès. Figure 10 : une ancienne maison de vigneron, il y a quelques années, dans la rue principale du village, laissée à l’abandon,. La vente des biens nationaux suggère un très faible taux d’acquisition par les vignerons ou les cultivateurs (5 à 10 % seulement) selon les lieux, encore faut-il distinguer ceux qui sont déjà aisés, d’une majorité sans doute bien plus humble qui ne peut enchérir lors des ventes aux enchères de ces biens. Pouvoir et mentalités au village Au terme de cet inventaire des personnalités et des propriétés du village, se pose la question du fonctionnement quotidien de la paroisse. Sous l’ancien régime, l’église est le lieu important de la communauté. A Parnay, on se rassemble devant le petit porche pour annoncer toutes les nouvelles importantes touchant à la fois à la vie du village ou participant plus largement à la vie du royaume. Ainsi le 8 mars 1789, Pierre Beaufils, meunier et Charles Toucher, laboureur, avaient été élus représentants du tiers état pour l’assemblée provinciale des États Généraux, parmi 56 hommes âgés de plus de 25 ans (pour 124 feux) tous imposables et vignerons. Fait curieux, la population massivement vigneronne porta son choix pour sa représentation sur un meunier et un laboureur. Moins anecdotique cependant, tous deux figuraient comme les plus belles fortunes paysannes de Parnay et savaient lire et écrire. Pierre Beaufils était également syndic municipal depuis quelques années déjà. S’il est difficile de connaître leur comportement lors de l’assemblée des états généraux, il est certain que noyés dans la cohue de l’assemblée provinciale, nos deux hommes ne firent guère parler d’eux, pas plus que les autres vignerons du département d’ailleurs. Impressionnés par les débats, moins virulents que d’autres, représentant des intérêts similaires, ils s’en furent sans que leur mission n’ait apparemment eu de conséquences. Cependant, les choses évoluent à leur insu, après les États Généraux de mai 1789 les évènements s’emballent même… La Grande Peur montre ses effets : des bateaux de grains descendant la Loire sont arraisonnés à Gennes et à Souzay, on murmure que le roi veut faire fusiller la foule, au moins ce message est-il relayé par le curé de Souzay le 13 juillet. Nos vignerons sont avertis comme toute la paroisse avec retard soit le 20 juillet seulement de la prise de la Bastille. Les commis et autres percepteurs de taxes de Saumur, de droits sur le vin particulièrement, doivent diminuer leurs activités à la fin de l’année 1789. Dès 1790, la menace est telle qu’ils doivent arrêter tout travail, encourant le risque de se retrouver noyés dans la Loire. À la demande de serment à la constitution que doit prêter le clergé, le curé de Parnay, César Minier, répond par l’affirmative, il est suivi en cela par la plupart de ses collègues saumurois qu’il entraîne à sa suite. Ainsi, les heurts entre paroissiens et clergé apparaissent- ils comme minimes. Le traumatisme occasionné par la révolution semble donc négligeable aux vignerons du Saumurois, tout au plus regrettent-ils leur ancien curé, devenu curé de Nantilly avec qui ils avaient de très bons rapports. Leur nouveau curé n’est pas remplacé aussi cela prive les malades des secours spirituels, les enfants d’instruction et plusieurs personnes qui désirent contracter mariage auprès d’un prêtre… La municipalité qui loge alors dans la partie basse du bourg, en troglodyte, avoue que l’accès à l’église de Souzay est d’un accès impraticable pendant les inondations. Figure 11 : Le seul vestige de l’ancienne mairie de Parnay pendant la révolution, au lieu dit la cave forte, une cheminée taillée dans le roc … D’autres établissements religieux proches, telle l’abbaye de Fontevraud, qui possédent essentiellement les bois sur la commune, sont vidés de leur mobilier sans mot dire, leur personnel dispersé, alors que dans la proche région Vendéenne, la seule disparition des cloches du village de Tigné, pourtant en partie vignoble, provoque une émeute. La vente des biens nationaux s’effectue rapidement, sans heurts importants et la bourgeoisie, d’office essentiellement, s’empare de nombreuses propriétés et terres bien situées sans difficulté. Pour Parnay, c’est la famille Targé qui s’empare des meilleurs lots, tandis que François Charruau, un vigneron assure passagèrement l’exploitation du temporel de la cure de Parnay, c'est-à-dire « maisons, cour, jardin et un quartier de vigne pour l’année 1793, c'est-à-dire à partir du 24 août ». Dès le début des premières conscriptions de volontaires, tout le coteau de saumur, se présente comme favorable à l’armée. Des contingents importants de Saumurois sont formés et la seule explication tenant à la pression démographique n’est pas suffisante pour affirmer un tel enthousiasme. S’avançant dans la révolution, des sociétés populaires virulentes, formées de vignerons tiennent des réunions où les éloges patriotiques et les serments le dispute à la confection de statistiques. Des comités révolutionnaires comme à Parnay, contrôlent les allers et venues des citoyens, arbitrant au besoin des différends : au regard des courriers et des registres, il n’en faut pas douter le sentiment global est largement favorable aux idéaux révolutionnaires. Aussi dès l’an II de la révolution, en 1793, le Saumurois sombre dans l’extrémisme. A Saumur, alors que les Vendéens emportent la place le 9 juin, sans pratiquement livrer combat, ce qui passe pour une trahison aux yeux de Robespierre, une partie de la municipalité fait un accueil chaleureux aux principaux chefs vendéens. Tout au contraire, cet épisode tragique dépassé, une large partie de la population saumuroise s’impatiente de tant d’hébétude devant la Vendée et ses représentants. De cet épisode, s’ensuit un ressentiment plus vif et plus net contre les émigrés et contrerévolutionnaires ou suspectés comme tels. Des chasses à l’homme s’organisent ainsi dans les villages proches à Brézé, Fontevraud, Chacé, Montfort, Passavant, on extirpe de leurs domaines, hommes, femmes et enfants suspectés de trahison. La violence du comité révolutionnaire de Saumur s’exprime surtout par la bouche du commissaire Lepetit ordonnant les exécutions ou les déportations. C’est précisément à Parnay que sont exécutés 112 hommes tirés des prisons de Saumur le 6 février 1794. C’est encore là aussi entre Saumur et Montsoreau, que les convois de déportés vers Bourges ou Orléans sont très régulièrement pris à parti. Parmi ces déportés, le témoignage du curé Philippe Mercier de la Rivière, ancien prieur de Dampierre, appartenant au convoi de pluviôse an II, laisse à penser que son attitude est particulièrement mal appréciée par les habitants du coteau. Dans chaque paroisse entre Saumur et Chinon, le convoi qui le conduit, lui, et les femmes et enfants l’accompagnant est copieusement conspué, certains hommes à ses côtés sont même exécutés. Quelques jours auparavant, lors de la chasse à l’homme qui s’exerce dans le coteau, il a pu vérifier la haine et la crainte qui entoure le clergé réfractaire et la noblesse : les portes se sont fermées devant lui et a dû se réfugier dans les caves. Des nobles saumurois, tout aussi inquiets de leur sort, comme l’ancien seigneur de Chacé, de Caux, propriétaire de grands domaines à Saint-Domingue, pourtant devenu maire, lui ferme la porte au nez, lui conseillant de fuir. A quelques exceptions, la région prend fait et cause pour la révolution et s’enquiert des attitudes pro ou contre révolutionnaires des populations. Cependant quelques personnages éclairés, comme Berthelot de Villeneuve, à Souzay trouvent grâce aux yeux de ces Saumurois enfiévrés, lui dont l’attitude envers les populations avait toujours été sage et mesurée jusqu’alors. Vingt ans après la tenue d’un colloque sur les contre-révolutions tenu à Rennes en 1989, on sera d’accord avec Roger Dupuy, soulignant les attitudes circonstanciées des paysanneries de l’Ouest, p.14, « Il y a donc une contre-révolution autonome, tout comme la révolution paysanne décrite par G lefebvre et p.38 « On peut d’abord sur un plan quasi théorique, récuser la notion même d’ignorance : dans une société rurale ou prévaut la communication orale, les paysans ne sont pas, à proprement parler ignorants, mais utilisant un savoir traditionnel, empirique. Certes, la routine, les préjugés risquent de peser lourdement sur leurs comportements, mais la méconnaissance de l’expression écrite, n’altère en rien leur facilité d’observation et leur capacité de raisonnement, le fameux bon sens… ». A Parnay, malgré le faible pourcentage de gens originaires du pays ne sachant signer sur les registres paroissiaux (15 personnes sur 99), le curé Minier et ses collègues a fait office d’instituteur et réussi à développer un solide sens critique. À une époque où l’on apprend à lire et écrire, en recopiant laborieusement des passages de la bible, il a pu tout autant faire connaître rapidement les nouvelles nationales en leur donnant son éclairage personnel. Plus largement tous les actes de la vie ont été connus de tous grâce à ce clergé bienveillant. On a pu ainsi répartir la taille, approuver ou réprouver des changements effectués dans la perception : le 22 janvier 1741, l’assemblée de paroisse présidée par Pierre Charruau, syndic de la paroisse juge que seules 5 personnes seront exemptées, dont 4 considérées comme mendiantes mais le 12 février 1741, Renée Trigalou, dont le mari Pierre Resneau vient de mourir demande une réduction de taille : si elle obtient satisfaction, sa réduction d’impôt ne sera effectuée qu’en 1742, soit l’année suivante. On a pu également participer à la vie religieuse, chaque village élisant un syndic de fabrique qui gérait les bâtiments religieux : ainsi le 5 janvier 1741, un nouveau syndic de paroisse, Michel Frémont, est élu pour six années à la demande de Jean Poussineau de la Motte, curé de Parnay, en lieu et place de Jean Beaufils. Enfin, on peut participer au recrutement de personnes nécessaires à la vie du village. En pays de vignoble, outre le ban de vendange qui est décidé d’un commun accord, la nomination d’un garde vigne est encore l’occasion de donner un avis : le 12 septembre 1751, Joseph Langelin, de la compagnie du château de Saumur est nommé à la fois par le curé décimateur Poussineau de la Motte et les citoyens assemblés autour de Paul Cartault, syndic à raison de 6 deniers par boisselées, tâche révocable par commun accord. Ainsi une certaine forme de démocratie peut-elle, au moins localement, présider au devenir du village. Ce n’est qu’avec la révolution, effet paradoxal, que le pouvoir, sous couvert de démocratie fut confisqué par quelques-uns. La création de la charge de maire écarta une grande partie de la population des informations désormais centralisées par le pouvoir local. Au lieu de la trentaine de personnes habituées à se réunir, seule une dizaine de personnes furent désormais appelées à se prononcer. Les comités de surveillance tenus par une poignée de personne favorables au nouvel ordre en place ne firent pas mieux. À la tradition multiséculaire, où comme en Saumurois, les vignerons avaient fini par triompher dans le rapport de force avec des seigneurs décimateurs, se substitue un régime de charges électives où les plus fortunés et les plus influents vont pouvoir s’imposer progressivement. La démocratie bourgeoise triomphe rapidement du petit peuple, amenuisant étape par étape les tentatives révolutionnaires d’imposer une certaine égalité. Dans une région volontiers éclairée, traversée depuis toujours par des hommes et par des courants de pensée différents, les abus imputés aux nobles et aux émigrés ne sont pas mieux excusés, tout au contraire. Le ressentiment issu des siècles de servage n’est pas une expression vaine. Aussi les évènements imputés à Lepetit ne furent sans doute pas commis aux dépens de la population, mais avec son assentiment. Dans une grande majorité des cas, on approuve les purges pourvues qu’elles soient rigoureuses et sélectives… Petit village vigneron, Parnay semble aujourd’hui un village sans histoire. Si le vignoble en reste le fleuron principal, combien se souviennent que dans les nombreuses demeures troglodytiques vivait encore il y a un demi-siècle, toute une population active, besogneuse à l’extrême, rythmée par les prix des vins et par les quelques visites d’hôtes prestigieux au château de Parnay ou de Targé. Au regard du faible nombre de vignerons encore présents sur la commune, combien s’en souviendront encore dans un siècle ? L’essentiel de ce texte est issu des documents cités dans le livre « Les Pressoirs de la République » paru aux éditions Cheminements en 2003. Toutes les références y sont citées. Seules les photos réactualisent le propos.