Recherche et formation
66 | 2011
Varia
Savoirs et éthique dans l’accompagnement
Knowledge and ethics in accompaniment
Fachkenntnisse und Ethik in der Betreuung
Saberes y ética en el acompañamiento
Évelyne Simondi et Béatrice Perrenoud
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/rechercheformation/1121
DOI : 10.4000/rechercheformation.1121
ISSN : 1968-3936
Éditeur
ENS Éditions
Édition imprimée
Date de publication : 1 mars 2011
Pagination : 79-92
ISSN : 0988-1824
Référence électronique
Évelyne Simondi et Béatrice Perrenoud, « Savoirs et éthique dans l’accompagnement », Recherche et
formation [En ligne], 66 | 2011, mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le 19 avril 2019. URL : http://
journals.openedition.org/rechercheformation/1121 ; DOI : 10.4000/rechercheformation.1121
© Tous droits réservés
savoirs et éthique dans l’accompagnement
> évelyne siMoNdi
> béatrice perreNoud
Université de Provence-Aix-Marseille 1, UMR ADEF-équipe 3 (éducation, formation
et évaluation), CRAEP (Groupe de recherche sur l’étayage en éducation :
accompagnement, évaluation et professionnalisation)
RÉSUmÉ • on distingue trois modèles éthiques et des savoirs multiples référés
à une posture d’accompagnement. Le discours de deux formatrices en service social
au sujet de leur pratique d’accompagnement est utilisé pour questionner les liens
entre savoirs et réflexion éthique. Des postures singulières sont mises en évidence
dans leur rapport au savoir conçu comme dialectique entre savoir et éthique, et à partir
desquelles des perspectives de recherche sont proposées.
motS-cLÉS • savoir, relations interpersonnelles, formation professionnelle continue.
Dans un dispositif d’Analyse des pratiques (AP), peu codifié et visant
l’émancipation des formés, se pose la question du rapport au savoir du formateur
dans la construction d’un agir éthique. Une réflexion est initiée sur le lien
entre les savoirs mobilisés et le travail engagé sur la relation éducative. Elle s’appuie
sur le postulat qu’il n’y a de savoirs que dans un rapport au savoir, nécessitant
lui-même un positionnement éthique, et le constat de la diversité des savoirs
et des modèles éthiques référés à l’accompagnement des formés dans un dispositif
de formation. À partir d’une enquête de terrain dans le champ de la formation
française en Travail social (TS), le discours de deux formatrices en formation
initiale constitue le matériau alimentant notre questionnement. En regard
des multiples savoirs référés à une relation éducative d’accompagnement, qu’en
est-il de l’engagement éthique du formateur ? En quoi le rapport au savoir, en ce
qu’il permet d’analyser les liens entre savoirs mobilisés et éthique professionnelle,
éclaire-t-il la posture éthique en accompagnement ?
1. problématique des savoirs et de l’éthique dans l’accompagnement
Le modèle d’AP proposé par les formateurs du TS en formation initiale vise
un processus de professionnalisation ancré dans l’expérience des formés (Fablet,
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2001). Dans un atelier d’AP, le groupe de formés est utilisé pour la confrontation
des représentations à propos des situations et des pratiques, et pour la construction
d’une interprétation partagée. Le rôle du formateur consiste à sensibiliser les formés
aux processus en jeu dans les situations évoquées, à favoriser une énonciation de ces
divers processus. Il consiste également à leur faire prendre conscience de la pluralité
des interprétations, ain de se positionner dans leurs propres choix d’action. Enin,
il comprend la mise en lien avec des références théoriques ain de renforcer l’assise
des interventions choisies.
Ce modèle d’analyse appelle donc à la mise en œuvre d’un accompagnement,
une forme d’étayage la moins « impositive » et la moins extérieure possible
au cheminement des formés (Vial & Mencacci, 2007). Le formateur est
alors davantage centré sur le processus du formé que sur la transmission d’un
savoir (Beauvais, 2004). Cette forme de relation éducative doit être pensée et agie
en fonction de la singularité des échanges engagés par les formés, dans un cadre
— une manière d’être et de travailler ensemble – qui articule les exigences
individuelles et institutionnelles. Susciter l’engagement et la prise de décision
du formé requiert du formateur l’adoption de postures et de stratégies sans cesse
à réguler et réajuster. C’est pourquoi, il semble souhaitable que le formateur,
pour engager ce travail de distanciation, d’orientation et de prise de décision
en situation, soit conscient de la posture didactique qu’il occupe (Stahl, 2001 ; Cifali,
1998) et qu’il développe la capacité à en estimer les enjeux, à en saisir les occasions.
Par ailleurs, cette praxis d’accompagnement, « faire dans lequel l’autre
ou les autres sont visés comme êtres autonomes et considérés comme l’agent
essentiel de développement de leur propre autonomie » (Castoriadis, 1975, p. 103),
implique une rélexion sur les valeurs fondamentales de l’éducation (Gaberan,
2006). Ce travail inluence aussi la manière dont les savoirs sont à mettre en œuvre
en situation.
1.1 De la question des savoirs mobilisés
Le formateur mobilise en AP quatre types de savoirs dont l’ensemble forme
une totalité mouvante, structurée et opératoire que Malglaive (1998) appelle
le savoir en usage. Il s’agit des :
– savoirs techniques ou procéduraux qui sont les outils de travail de l’assistant en TS.
Ces savoirs, indispensables pour se repérer et jouer son rôle dans la pratique,
lui permettent de déinir, argumenter et légitimer ses décisions et sa position.
Ils signent l’inscription sociale de son activité professionnelle ;
– savoirs théoriques, issus de différentes disciplines. Ces savoirs permettent
de donner des interprétations fondées sur des situations professionnelles.
Ils sont utiles pour rompre avec le sens commun et participent à l’inscription
dans le corps professionnel ;
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– savoirs pratiques d’expérience, issus de la propre expérience d’assistant en TS
du formateur ou puisés dans l’expérience d’autres praticiens. Ces savoirs
sont constitués par un répertoire de situations emblématiques. Ils sont
utiles pour interpréter les situations et décider de l’action. Ils favorisent
la socialisation des étudiants, par l’intégration de repères, de normes,
de stratégies d’actions et d’un langage professionnel ;
– savoir-faire, appris et expérimentés dans la pratique de formateur. Ces savoirs
portent sur le travail d’analyse des situations amenées par les étudiants
et sur la capacité à « faire faire » aux étudiants. Ces savoirs portent également
sur l’utilisation du groupe pour favoriser l’apprentissage et la régulation
de la dynamique de groupe.
Même si la mise en œuvre d’un accompagnement vise clairement l’émancipation
des formés quant à leur capacité à décider dans l’action, le formateur ne peut pas nier
sa fonction d’enseignement, ni la inalité d’insertion professionnelle de la formation.
La dimension essentielle de transmission de savoirs en formation initiale questionne
la formation par l’AP : quelle(s) posture(s) didactique(s) le formateur va-t-il privilégier
dans l’atelier ? Va-t-il adopter la posture qui consiste à assurer l’acquisition de savoirs
théoriques et savoir-faire professionnels, à interroger le sens de l’action et élaborer
des hypothèses, et/ou à s’assurer de la motivation à l’exercice de la profession ?
Pour Cifali (1998), la posture d’accompagnement convoque « un rapport spéciique
au savoir et une mobilisation particulière de la théorie » (p. 123). Peu importe,
semble-t-il, la nature des savoirs mobilisés par le formateur, il importe surtout
que celui-ci se construise un référentiel qui lui corresponde. Pour accompagner,
il s’agirait aussi de développer certaines attitudes (Blanchard-Laville, 2004). Ce sont
plus les savoirs en acte de l’accompagnateur que les savoirs sur l’accompagnement
qui seraient importants pour arriver à mettre en œuvre cette pratique.
D’autres auteurs (Lhotellier, 2001 ; Beauvais, 2004) questionnent les conditions
nécessaires à la pratique d’accompagnement, la rélexion éthique étant pour eux
première. La volonté d’influencer existe, tout l’enjeu consiste en situation
d’accompagnement, à ce que le formateur choisisse d’inluencer le formé avec
intégrité (Stahl, 2001). La construction d’une rélexion éthique paraît alors aussi
importante que la question de l’appropriation de savoirs par le formateur.
1.2 À une éthique de l’accompagnement
L’éthique conduit le formateur à questionner divers niveaux de responsabilité,
complémentaires dans les actes et la inalité visée.
1.2.1 Déontologie professionnelle
Un premier niveau, déontologique, centre la responsabilité du formateur
sur le mandat qui lui est attribué et tente de répondre à la question « qu’est-ce qu’un
formateur doit faire ? ». Dans une perspective fonctionnaliste, la responsabilité
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morale vise à assurer la bonne conformité des prestations fournies par le formateur
pour atteindre le but ixé et à garantir l’adéquation des moyens mis en œuvre.
La morale, en servant de cadre normatif, se place ainsi du côté de l’obligatoire
et de l’universalité (Ricoeur, 1990). Imbert (1994) relève cependant que le respect
de la morale seule permet d’instaurer une maîtrise et un ordre apparents
qui excluent la prise en compte de la différence et de l’altérité, empêchant d’œuvrer
à la inalité émancipatoire.
1.2.2 Éthique aristotélicienne
La philosophie aristotélicienne propose un deuxième niveau d’engagement
dans l’action éducative pour prétendre à la mise en œuvre d’un agir véritablement
éthique. Il s’agit de tenter de répondre à la question « qu’est-ce qu’être un bon
formateur ? » en passant au crible de la raison les principes de la déontologie
professionnelle, dans la perspective de les mettre en œuvre avec justesse.
Cette « délibération prudente » nécessite un mouvement herméneutique
entre la visée d’un idéal de bon formateur et la pesée des avantages et des
inconvénients de ce choix au niveau de l’action (Ricœur, 1990). Les valeurs
sont le fil rouge de ce deuxième degré d’engagement professionnel. Il s’agit,
dans la contingence d’un accompagnement singulier, de s’approprier et d’adapter
les normativités pour s’accorder aux spéciicités de chaque situation.
1.2.3 Éthique de l’accompagnement
Le projet d’émancipation, finalité de l’accompagnement, implique d’une
part, de concevoir la relation comme une rencontre intersubjective et d’autre
part, de ne plus s’identifier à des modèles de pratiques ou de raisonnements
(Cifali, 1998). Trois orientations éthiques différentes sont rattachées à la posture
d’accompagnateur : l’éthique de la responsabilité, du désir et de la relation.
Vouloir accompagner l’autre dans sa professionnalisation pose non seulement
la question de l’autonomie, mais également celle de la responsabilité. Beauvais
(2004) propose pour l’accompagnement une éthique de la responsabilité prenant
appui sur la métaphysique de Levinas (1995). Celui-ci suggère de penser la relation
intersubjective non comme une relation réciproque mais comme un rapport
dissymétrique, et non à partir d’un espace commun mais à travers l’écart
qui sépare le moi et l’autre. L’émotion du visage de l’autre est le fondement
de cette responsabilité éthique. Dans une telle relation, le moi est mis en question
par l’autre. La responsabilité du formateur envers le formé se conçoit pour Beauvais
(2004), comme la réalisation des potentialités de conduite raisonnable du formateur,
à l’aune de valeurs morales telles la responsabilité, le doute et la retenue.
Une autre conception de l’éthique s’oriente sur la prise en compte
de l’inconscient et du désir des sujets pour décider des actions du formateur
dans l’accompagnement. La relation éducative considère alors l’apprentissage
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savoirs et éthique dans l’accompagnement
comme un processus dans lequel « chacun se greffe au “savoir” comme objet
extérieur, l’investit ain qu’il lui devienne objet désirable, et donc que se tisse
une relation durable entre soi et lui » (Cifali, 1994, p. 215). Le formateur est
amené à prendre en considération l’autre et les effets transférentiels de la relation
intersubjective. Sans se considérer comme un thérapeute, il fait « l’expérience
de la subjectivité comme discours de l’inconscient » (Weil, 1997, p. 8). La régulation
de son « désir d’emprise » et le repérage des phénomènes inconscients qui traversent
la relation éducative (Vallet, 2003) font alors référence à une éthique du désir.
Conjuguant ces deux conceptions, Vial et Mencacci (2007) évoquent pour
l’accompagnement une éthique du sujet dans sa relation à l’autre, mettant
en dialectique pouvoir d’agir et désir, social et subjectivité. Le formateur médiatise
le lien entre les étudiants et la communauté professionnelle. L’éthique de la relation
s’éprouve dans la contingence de la situation. Elle requiert, de la part du formateur,
l’interprétation et le débat des valeurs sociales incorporées ain d’intégrer l’inattendu
dans l’interaction avec des étudiants en changement, et d’estimer la prise de risque
dans les actions envisagées.
Dans une situation de formation peu codiiée comme l’AP, il est fait l’hypothèse
que le rapport au savoir, comme processus dialectique entre savoir et éthique,
occupe une place importante dans la construction de l’action de formation. L’objectif
de ce texte est d’identiier les traces de la dialectique entre positionnement éthique
et savoirs dans les discours des formateurs, ain de mieux en comprendre les liens
dans une pratique d’accompagnement.
2. investigation méthodologique et traitement du discours
Deux formatrices, Ingrid et Rose (prénoms ictifs), ayant chacune une expérience
d’environ dix ans de l’AP en TS, ont été interviewées. Outre l’obtention
de leur diplôme d’état en TS, chacune détient un titre universitaire de master 2
(en sociologie pour Ingrid, en sciences de l’éducation pour Rose). Toutes deux ont
accumulé une longue expérience professionnelle avant de devenir formatrices.
Un entretien de type compréhensif (Kaufman, 2004) d’une durée de 75 minutes
a été mené avec chacune d’elles au sujet de sa pratique dans des ateliers d’AP en
formation initiale. Une analyse de contenu verticale des propos recueillis a été
croisée avec une analyse transversale (Bardin, 2007), ce qui a permis d’établir
des comparaisons entre les positions éthiques et les formes de rapport au savoir
entretenues par les formatrices. Ain de caractériser les interventions décrites
par ces formatrices, leurs discours ont tout d’abord été traités par une analyse
à l’aide de la typologie des savoirs (Malglaive, 1998) et des dimensions du rapport
au savoir (Beillerot, Blanchard-Laville & Mosconi, 1996).
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2.1 Savoirs en usage dans la relation éducative
Les savoirs décrits par les deux formatrices s’inscrivent dans deux dimensions :
les processus cognitifs qu’elles disent promouvoir chez les étudiants et les stratégies
qu’elles disent mettre en œuvre pour favoriser ces processus.
L’analyse de contenu a permis d’identiier trois processus que les formatrices
cherchent à mettre en travail chez les formés. Il s’agit des processus de référenciation,
problématisation et distanciation présentés dans le tableau 1.
Processus
à promouvoir
chez l’étudiant
Exemples d’items représentatifs
chez Ingrid
Il faut s’appuyer en même temps
sur ce qui constitue le cadre
d’une profession, donc déjà
une déontologie, un cadre juridique
administratif, des missions
Il y a d’une part les savoirs savants,
c’est-à-dire ce qui est de l’ordre
1. b Référenciation
d’études scientiiques qui ont été
à des savoirs
faites, que ce soit en sociologie,
théoriques
en psychologie, en économie, etc.
C’est le savoir de toutes
les expériences qu’on peut récupérer
1. c Référenciation
de droite et de gauche. Je ne me
aux savoirs pratiques
sers pas que de mon expérience,
d’expérience
je me sers de l’expérience
des étudiants, de professionnels
C’est faire prendre conscience
justement que rien n’est évident […],
qu’on peut faire d’autres choix
Certaines personnes peuvent
être dans la dépendance tout
2. Problématisation
en ayant quand même une certaine
autonomie. C’est des fois des choses
comme ça qu’il faut réléchir dans ces
groupes
On fait plus travailler sur le choix
professionnel qu’on fait à un
moment donné et par rapport
à son engagement professionnel
et personnel
3. Distanciation
C’est par le regard des autres qu’on
va pouvoir renvoyer à chacun ce
qui est objectif dans la situation
et puis ce qui l’est moins
1. a Référenciation
à des savoirs
procéduraux
Exemples d’items représentatifs
chez Rose
On va leur demander de faire
des liens avec des concepts
de législation ou une question
de droit, avec la manière dont ils
l’utilisent dans la relation à l’autre
L’enjeu va être de voir tous ces
éléments théoriques qu’on leur a
donnés, qui ont été programmés :
qu’est ce qu’ils vont en faire
sur le terrain ?
J’avais monté énormément
mes interventions par des
exemples pratiques, par des
expériences professionnelles ou
personnelles
C’est une posture qui renvoie
à l’autre des interrogations […]
pour permettre à l’autre de réléchir,
de se questionner
Quand l’étudiant a compris
que, au-delà de l’appréciation
du formateur, c’est ce travail sur soi
qui est en jeu pour construire
sa posture professionnelle, je crois
que c’est gagné parce que le travail
a commencé à se faire
tableau 1 : processus à promouvoir chez l’étudiant
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Les trois processus détaillés dans le tableau ci-dessus dévoilent le travail
d’implication et de distanciation des formatrices dans leur rapport au savoir.
Le processus de référenciation apparaît comme un rapport construit à la culture
professionnelle, pour s’étayer et se repérer dans l’action. Il fait partie des processus
qui « construisent l’identité professionnelle du sujet » (Vial, 2001, p. 30).
La problématisation en tant que processus de questionnement permet, chez
Ingrid, de poser le doute et l’incertitude au cœur de la pratique. Les questions
non résolues, les manques non comblés, permettent d’« introduire la nécessité
de la déprise à côté de la maîtrise, dans le mouvement instituant de la construction
du savoir » (Giust-Desprairies, 2003, p. 136). La distanciation incite à la rélexion
sur son implication dans les situations professionnelles, à ce qu’on y projette
de soi. Elle indique le travail effectué sur soi ain d’éviter les biais d’une implication
à la fois professionnelle « tenant aux afiliations, aux options, aux transversalités,
aux appartenances, aux statuts, aux fonctions et aux rôles » et libidinale concernant
« les pulsions, les investissements, éventuellement les fantasmes personnels »
(Ardoino, 2000, p. 35).
Ces processus concourent à la professionnalisation conçue comme
un travail entre soi et la culture professionnelle, en incitant les étudiants à un
positionnement fait de questionnement, de choix, d’engagement. Le travail
engagé par les formatrices fait appel à une mise en travail singulier des étudiants,
mobilisant les dimensions professionnelles et personnelles, qui ne se satisfait pas
de raisonnements désincarnés.
Des stratégies pédagogiques sont mises en œuvre pour maintenir un cadre
de travail qui favorise le développement des processus cognitifs décrits
dans le tableau 1. Les trois stratégies pédagogiques repérées dans le discours
des formatrices : construire un espace de confiance, gérer la dynamique
de groupe et utiliser le groupe comme catalyseur de l’apprentissage, sont illustrées
dans le tableau 2.
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évelyne siMoNdi et béatrice perreNoud
Stratégies
pédagogiques
Exemples d’items représentatifs
chez Ingrid
1. Construire
un espace
de coniance
Que l’expression des uns et des
autres ne soit pas, à un moment
donné, une blessure pour d’autres
J’avais l’impression que des
2. Gérer la dynamique fois ça explosait […] je pense
du groupe
que par moments on peut être
dans la subversion
3. Utiliser le groupe
comme catalyseur
de l’apprentissage
Chacun se posant la question
de savoir comment lui, il aurait
fait, quel engagement il aurait eu,
quel choix il aurait fait
Exemples d’items représentatifs
chez Rose
Il y a quelque chose qui va
exploser autour du ressenti et de ce
que l’étudiant a vécu et ça peut
être très formateur […] en fonction
de comment c’est repris sans jugement,
de façon très basique, [les étudiants]
vont s’autoriser peut être à un peu plus
parler d’eux dans la profession
Si on reste trop directive c’est sûr
que ça va être plus dificile, mais moi
où je pense que je suis peut-être un peu
trop directive, c’est dans la prise
de parole
L’idéal c’est que les étudiants
puissent entre eux trouver, non pas
des réponses, mais des pistes
de rélexion
tableau 2 : stratégies pédagogiques mises en œuvre
Les formatrices mettent en œuvre les conditions pour que l’apprentissage
s’effectue dans le groupe et par le groupe. Le groupe est envisagé, par les formatrices,
comme un espace-temps relationnel où priment protection et permission
pour l’expression, la rélexion et la prise de décision.
2.2 Rapport au savoir
Le tableau 3 ci-dessous présente ce qu’il apparaît du rapport au savoir des deux
formatrices. Cinq dimensions du rapport au savoir ont été repérées : rapport
à l’autre, à sa pratique, au groupe, au soi professionnel et aux savoirs.
Rapport au savoir
1. Rapport à l’autre
2. Rapport
à sa pratique
Exemples d’items représentatifs
chez Ingrid
Faire coniance, ce qu’on doit
retrouver chez un étudiant
qui présente une situation sociale.
C’est lui, en tant que futur
professionnel, c’est pas l’autre
À un moment donné, il y
a aussi des choix et que,
en ayant pris conscience de ça
en tant que chercheur, j’ai pris
conscience de ça aussi en tant
que professionnelle
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Exemples d’items représentatifs
chez Rose
C’est très important de faire coniance
au processus de l’autre, c’est l’autre
qui est en travail et que l’autre est
en capacité de faire et d’avancer
Je sens que l’étudiante est en souffrance
et je sens que j’ai du mal. Même si
elle reconnaît qu’elle est en dificulté,
on sent qu’elle est bloquée, qu’elle n’y
arrive pas quoi, alors est-ce que c’est moi
qui n’y arrive pas ?
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savoirs et éthique dans l’accompagnement
Rapport au savoir
3. Rapport
au groupe de formés
4. Rapport
au soi professionnel
5. Rapport
aux savoirs
Exemples d’items représentatifs
chez Ingrid
Exemples d’items représentatifs
chez Rose
Si l’étudiant ne vient pas, c’est
Par moments on ne fait plus
au formateur d’aller vers lui et de pointer
qu’un avec le groupe, on n’est pas
un certain nombre de choses qui vont
plus distingué qu’un autre
ou ne vont pas et d’essayer de voir ce qu’il
membre du groupe
peut mettre en place
L’élément qui m’a permis de basculer
Je crois que ce qui m’a le plus
de ma posture de praticien, même
servi, bizarrement, pour animer
en situation d’analyse de pratiques, à ma
ces groupes c’est davantage
posture de formateur, je pense que ça a été
mon parcours de chercheur
ma formation autour de l’évaluation,
que d’assistante sociale
je pense, le travail systémique
J’ai vécu des situations très fortes
Je ne me pose pas en tant
où le travail en supervision, où le travail
que professionnelle qui a exercé
en analyse de pratiques qu’ils soient
pendant X ans et qui donc
en psycho sociale ou en systémie, m’ont
savait bien faire et faire mieux
beaucoup aidée à comprendre ce que je
que les autres, c’est pas ça du tout
vivais dans la situation
tableau 3 : rapport au savoir
Les savoirs en tant que tels n’existent pas. Ils n’existent que parce qu’ils
sont à certains moments éprouvés et que d’incorporés, ils deviennent incarnés
en situation, mis en œuvre par des sujets parlant et désirant. Dans cette dynamique
du rapport au savoir, l’expérience antérieure et l’auto-questionnement permanent
du formateur apparaissent primordiaux. Rose évoque le travail engagé par elle
précédemment en supervision ainsi que son intérêt pour l’approche systémique,
qui permet d’envisager les situations dans leur globalité. Ingrid fait, elle, référence
à la posture du chercheur qui lui a permis de travailler cette nécessaire distanciation.
Au regard de sa capacité d’implication et de distanciation, le rapport au savoir
du formateur lui permet de se décaler, voire de se décoller, c’est-à-dire qu’il
fait rupture entre lui et les formés. Cette « rupture instauratrice d’écart » doit
être envisageable car « paradoxalement, la distanciation s’avère être le prix
de la proximité (à soi-même, à l’autre, au monde) » (Paul, 2004, p. 76).
Le rapport au savoir représente un tiers possible dans la relation éducative
d’accompagnement en formation professionnelle. Ce tiers régule la relation
éducative permettant d’éviter fusion ou confusion dans les interactions. De
plus, lorsqu’il est engagé dans la culture de la profession enseignée, il permet
la reliance entre les étudiants et la communauté des assistants en TS, favorisant
ainsi leur professionnalisation. Le rapport au savoir comme tiers constitue alors un
acte éthique fondateur de l’accompagnement.
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évelyne siMoNdi et béatrice perreNoud
3. conception éthique des formatrices
Si les deux formatrices s’inscrivent dans les missions dévolues à un atelier
d’AP, leur activité se situe aussi dans une orientation didactique singulière,
un « bricolage » (Lévi-Strauss, 1962). Elles occupent des postures d’accompagnement
distinctes, inluencées par leur propre conception de l’éthique. Cette conception
apparaît dans l’interprétation de leur discours respectif.
3.1 Ingrid : un accompagnement fondé par une éthique de la relation
La posture d’Ingrid montre une forte visée émancipatoire, l’autre détient
sa propre vérité : « Je crois bien leur avoir dit plusieurs fois : ‘’la réponse c’est
vous qui l’avez, moi j’en ai une mais qui est personnelle […] ce n’est pas LA réponse’’ ».
Elle accepte de laisser l’espace aux étudiants, d’être témoin de leur processus
de changement, « C’est principalement le groupe qui travaille, à la limite le formateur
ne devrait être qu’animateur du groupe ». Elle renonce à une position modélisante,
« Je ne me posais pas en tant que professionnelle qui a exercé pendant X ans et qui donc
savait bien faire et faire mieux que les autres » et prend des risques, « Je pense que,
par moments, on peut être dans la subversion ».
En accueillant la subjectivité et l’altérité, « Faire coniance, ce qu’on doit retrouver
chez un étudiant qui présente une situation sociale. C’est lui, en tant que futur
professionnel, c’est pas l’autre », Ingrid marie dans une dialectique « logique
des idéaux de la Loi » et « logique inconsciente du devenir du désir », (Vial
& Mencacci, 2007, p. 104), dans la perspective d’un étudiant en devenir.
Sa posture d’accompagnement s’ancre fortement dans les valeurs professionnelles de l’assistant en TS, « On peut parler d’éthique professionnelle, c’est-à-dire
qu’on fait référence à des valeurs communes et c’est aussi là-dessus qu’on travaille ».
Ses propos relètent un engagement, « C’est important de montrer que l’autre est
toujours différent et qu’on est aussi différent soi-même des autres travailleurs sociaux »
et un travail de distanciation, « C’est par le regard des autres qu’on va pouvoir
renvoyer à chacun ce qui est objectif dans la situation et puis ce qui l’est moins ».
Elle ouvre le débat sur les valeurs, « C’est faire prendre conscience justement que rien
n’est évident […] qu’on peut faire d’autres choix », favorisant un travail d’élucidation
chez les étudiants. L’accompagnement décrit par Ingrid allie la mise en relation
des étudiants avec la culture professionnelle et la mise en débat des normes et des
valeurs liées à cette culture.
Sa posture est sous-tendue par une visée interprétative, l’intention de donner
sens à son agir professionnel, d’interroger le sens de l’action : « à chaque fois il faut
se la faire soi-même la réponse et faut surtout pas être dans la bonne parole ». Ingrid
joue des autres attitudes didactiques possibles dans la formation par l’AP, c’est-àdire assurer l’acquisition de savoirs théoriques et professionnels et questionner
la motivation à l’exercice professionnel : « On fait plus travailler sur le choix
professionnel qu’on fait à un moment donné et par rapport à son engagement
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savoirs et éthique dans l’accompagnement
professionnel et personnel ». Elle fait ainsi passer un message fort aux étudiants
qui est celui de la responsabilité individuelle.
Elle vise le transfert dans la pratique jusqu’à la prise de décision, « C’est
aussi savoir agir dans l’action ; pas simplement, je fais une évaluation je réléchis
et puis je dis aux gens : «voilà j’ai compris» et puis ça s’arrête là l’objectif. Au bout
du compte c’est quand même un changement », allant jusqu’au bout des visées
de professionnalisation de l’AP. Son discours démontre un engagement tant dans
la relation que dans l’action. Il s’inscrit bien dans une éthique de la relation, comme
une articulation de l’éthique de l’action et de l’éthique du sujet.
3.2 Rose : un accompagnement fondé sur une éthique du désir
La posture de Rose apparaît plus confuse, alternant des interventions axées
sur le processus d’émancipation et d’autres orientées sur la mise en conformité :
« On termine sur un face-à-face, c’est-à-dire que les étudiants restituent et le formateur
réagit ». Son accompagnement est métissé d’enseignement, s’orientant alors sur
la transmission de savoirs et le contrôle : « On est dans les deux postures et (que)
je crois que l’étudiant est en capacité de pouvoir repérer qu’on peut être plus dans un
processus de régulation qui nous oblige à contrôler un certain nombre de choses,
mais qui peut les amener à réléchir sur d’autres choses ». Elle semble travaillée
par le problème de la toute puissance : « Je sens que l’étudiante est en souffrance
et je sens que j’ai du mal […] elle n’y arrive pas ou alors est-ce que c’est moi qui n’y
arrive pas ». Elle met aussi en travail sa relation au groupe, « C’est tout l’enjeu
d’avoir coniance en l’étudiant par rapport au travail qu’il peut faire », tout en étant
consciente de son pouvoir d’emprise, « Si on reste trop directive c’est sûr que ça va
être plus dificile mais moi, où je pense que je suis peut-être un peu trop directive,
c’est dans la prise de parole ». Elle cherche à comprendre et interpréter sa propre
subjectivité et son action professionnelle dans la rencontre de la subjectivité
de l’autre.
Rose privilégie la dimension humaine de la relation au groupe et aux étudiants,
« On peut être aussi dans un moment où on partage quelque chose puisqu’il y a des jeux
de solidarité qui peuvent se mettre en place. Des effets de groupe peuvent être ce moment
commun qu’on partage », confondant ainsi un effet possible de l’accompagnement
avec son but. Son discours fait état de valeurs humanistes alliant respect et ouverture
à l’autre : « C’est très important de faire coniance au processus de l’autre, c’est l’autre
qui est en travail et que l’autre est en capacité de faire et d’avancer ». Elle cherche
à promouvoir chez les étudiants la prise de conscience de leur propre subjectivité :
« Ce travail sur le ressenti sur leur implication sur ce qu’ils ont pu vivre me paraît
essentiel dans la formation me parait être un tournant majeur ». Elle insiste
sur la nécessaire distanciation de soi à soi, de soi aux autres, « C’est ce travail sur soi
qui est en jeu pour construire sa posture professionnelle », travaillant le processus
de distanciation et d’implication.
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évelyne siMoNdi et béatrice perreNoud
Parallèlement à ces orientations, Rose privilégie une approche plus cognitive,
« On va leur demander de faire des liens entre les concepts et leur pratique », ne se
positionnant pas comme un modèle qui favoriserait une identiication. Son discours
est plus déclaratif qu’engagé dans la relation et l’agir. L’inconscient et la subjectivité
paraissant être les fondements de sa relation d’accompagnement, son discours
s’inscrit principalement dans une éthique du désir.
conclusion
Dans un atelier d’AP, le rôle du formateur est moins d’enseigner un savoir
que d’accompagner les sujets d’un collectif dans leur processus d’apprentissage.
L’analyse des discours tenus par deux formatrices en TS a permis d’accéder en partie
aux divers processus et stratégies mis en œuvre auprès des formés et à la dynamique
du rapport au savoir dans un tel dispositif.
Pour les deux formatrices, les savoirs ne sont pas des certitudes. Se référant toutes
deux à des valeurs humanistes, l’une privilégie les questions du choix en situation
et de l’engagement relatifs à une éthique de la relation, alors que l’autre insiste
sur un questionnement permanent du processus d’implication et de distanciation
dans une éthique du désir.
Deux perspectives de recherche apparaissent. L’une consisterait à explorer si, d’une
posture éthique singulière mise en dialectique avec les savoirs mobilisés et l’expérience
acquise, peut naître une nouvelle culture professionnelle chez les formateurs, orientée
sur la capacité à se distancer des idéaux et des aliénations imposés par les institutions.
L’autre porterait sur la mise au jour des enjeux entre ce qui est considéré comme
universel et les singularités des formés dans un dispositif d’AP.
évelyne siMoNdi
evelynesimondi@yahoo.fr
béatrice perreNoud
b.perrenoud@heurtebise.ch
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Abstracts • Zusammenfassungen • Resúmenes
Knowledge and ethics in accompaniment
ABSTRACT • Three ethical models and multiple theoretical references are linked to accompaniment
practice. Two social service vocational teachers talks of their accompaniment. Their talks are used
to question the relationship between knowledge and ethical relexion. some singular positions are
revealed in regard to their relationship to knowledge, which is designed as a dialectic between
knowledge and ethics. From these examples, some research perspectives on the dialectics between
knowledge and ethics are suggested.
KEYWORDS • knowledge, interpersonal relations, continuing professional development.
fachkenntnisse und ethik in der betreuung
ZUSAMMENFASSUNG • Drei ethische Modelle und mehrfache Fahrkenntnisse sind in direktem
Zusammenhang mit einem Betreuungsverhalten. Das Interview von zwei Ausbilderinnen im
Sozialbereich über ihre Betreuung dient dazu, die Verhältnisse zwischen Fachkenntnissen und
ethischer Relexion zu prüfen. Ihr singuläres Verhalten wird in ihrem Verhältnis zu den Fachkenntnissen
betont, was als Dialektik zwischen Fachkenntnissen und Ethik betrachtet wird. Daraus werden
Forschungsperspektiven vorgeschlagen.
SCHLAGWÖRTER • Fachkenntnisse, Verhältnis, Berufsausbildung.
saberes y ética en el acompañamiento
RESUMEN • Se distinguen tres modelos éticos y unos saberes múltiples referidos a una postura
de acompañamiento. El discurso de dos formadoras en servicio social a propósito de su práctica
de acompañamiento es utilizado para cuestionar los vínculos entre saberes y relexión ética. Unas
posturas singulares han sido puesto en evidencia en su relación al saber concebido como dialéctica
entre saber y ética, y a partir de las cuales proponemos algunas perspectivas de investigación.
PALABRAS CLAVES • conocimiento, relaciones interpersonales, formación profesional continua.
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