Mégastructure, grille et ville linéaire : trois figures pour
projeter la périphérie grenobloise
Jean-Michel Roux, Gilles Novarina, Charles Ambrosino, Marie-Christine
Couic, Steven Melemis, Carine Bonnot, Charles Capelli, Diane de Chilly,
Laure Brayer, Julien Mc Oisans, et al.
To cite this version:
Jean-Michel Roux, Gilles Novarina, Charles Ambrosino, Marie-Christine Couic, Steven Melemis, et al..
Mégastructure, grille et ville linéaire : trois figures pour projeter la périphérie grenobloise. [Rapport
de recherche] AGE-2009-ROU, Ministère de la culture et de la communication / Bureau de la recherche
architecturale, urbaine et paysagère (BRAUP); Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA);
Institut d’Urbanisme de Grenoble / UMR PACTE / Laboratoire Territoires. 2010, 135 p. hal01816862
HAL Id: hal-01816862
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Submitted on 22 Jun 2018
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AGE-2009-ROU
Architecture à Grande Echelle Programme interdisciplinaire de recherche 4ème session 2010
BRAUP, Bureau de la Recherche en Architecture, Urbanisme et Paysage
PUCA, Plan Urbanisme Construction Architecture
MEGASTRUCTURE, GRILLE ET VILLE LINEAIRE,
TROIS FIGURES POUR PROJETER LA PERIPHERIE GRENOBLOISE
RAPPORT FINAL
Institut d’Urbanisme de Grenoble
Laboratoire Territoires/UMR CNRS PACTE
1
2
SOMMAIRE
CHAPITRE INTRODUCTIF
Comment définir la ville contemporaine ?
5
CHAPITRE 1
La mégastructure au risque de la ville
17
CHAPITRE 2
De la grille au «maillage opportuniste»
51
CHAPITRE 3
La Rocade Sud, une ville linéaire en gestation ?
87
Jean-Michel Roux et Charles Ambrosino
Paulette Duarte et Carine Bonnot
Natacha Seigneuret et Gilles Novarina
CONCLUSION 127
3
4
Chapitre introductif
Comment définir la ville contemporaine ?
Définir la ville contemporaine constitue
une tâche délicate. Qu’est-ce la ville
contemporaine ? De quoi est-elle faite ?
Deux postures scientifiques sont possibles
pour définir la ville contemporaine : une
que nous qualifierons d’hypothéticodéductive et une deuxième que nous
nommerons phénoménologique ou
compréhensive.
1. La ville contemporaine a priori fractale et
fragmentaire
Une première posture scientifique
possible est de considérer que la ville
contemporaine existe par elle-même,
qu’elle est une réalité indépendante du
regard scientifique qui se pose sur elle
et que le scientifique de la ville émet
des hypothèses sur son organisation
spatiale et sociale et vérifie l’exactitude
de ses hypothèses. Cette posture renvoie
à la posture scientifique développée
par le platonicisme au Vème siècle av.
JC, le cartésianisme au XVIIème siècle, le
matérialisme historique du XIXème siècle
ou le béhaviorisme du début du XXème
siècle. Cette posture fait d’une part la
distinction entre le monde du sensible et
le monde de l’intelligible, postule qu’il y a
d’un côté la réalité et de l’autre l’idée que
nous nous en faisons et d’autre part émet
des idées, des hypothèses sur ce qu’est
la réalité, hypothèses qu’elle cherche à
vérifier.
Ainsi, la ville contemporaine existe. Elle
apparaît a priori comme diffuse soit
de manière continue, soit de manière
ségréguée et fragmentée. Mais les outils
d’analyse et le vocabulaire employés
à l’égard de la ville traditionnelle ou
moderne ne peuvent témoigner d’un
visible toujours plus complexe. Les
espaces périphériques constitutifs de la
ville contemporaine semblent échapper
à tout exercice de classification et de
désignation raisonné.
Nombreux sont les scientifiques qui
vont loin dans leurs hypothèses et
pointent du doigt le caractère fractal de
la ville et la dissolution de l’urbain en un
nombre imperceptible de « fragments ».
La ville contemporaine apparaît alors
a priori comme fractale, composée de
fragments, et requiert un changement
de « lunettes », un changement de
regard scientifique pour la décrire, et
pour décrire ses fragments.
Selon B. Secchi, la notion de « fractalité »
peut être un mode d’intelligibilité
de la ville contemporaine. La ville
contemporaine est « fractale », c’est-àdire qu’elle n’est plus structurée sur la
base d’un mode d’organisation unique
mais apparaît comme une juxtaposition
de formes (l’ancien village rue, le
lotissement, l’ensemble collectif, le mall
commercial, le parc d’activités) qui sont
le produit d’une histoire particulière.
Elle est caractérisée par la « figure du
fragment », bien loin de l’idéal classique
de l’unité, si tant est que la ville se soit
un jour réellement faite, au-delà des
discours, sur cette base :
5
« La figure de la continuité a construit
l’image et l’esthétique d’un espace urbain
régulier, isotrope et infini, universel
parce qu’il est épuré de tout caractère
contingent, tel qu’on le saisit dans les
grandes villes du XIXe siècle, comme
Paris, Vienne et Berlin. De même, la
figure de la fragmentation renvoie à une
conception topologique de l’espace, de
la différence et de la spécificité des lieux.
La figure de la continuité a bâti une idée
synoptique de la ville telle qu’elle est
représentée, de manière extrême, dans
certaines propositions de ville idéale des
architectes de la Renaissance, dans les
villes de fondation comme Palmanova ou
Saint-Pétersbourg, dans le plan de L’Enfant
pour Washington (1791) ou de Griffin pour
Canberra (1911) et, de manière encore
plus extrême, dans la grille territoriale
américaine.
La figure du fragment, de son côté, a construit
l’idée d’une politique suivant une logique
de processus qui encourage la construction
et la modification de la ville et du territoire,
par des interventions fragmentaires,
soustractions ou ajouts cumulatifs qui, bien
qu’agissant ponctuellement et localement,
parviennent à donner un nouveau sens à
l’ensemble urbain dans sa totalité » (Secchi,
2006, p. 28).
Analyser la ville contemporaine à travers
le prisme de la ville fractale permet
donc de rendre compte de l’intelligibilité
de la ville qui émerge sous nos yeux
(Chalas et Dubois-Taine, 1998). Elle
nous donne des clefs de lecture sur les
modes d’organisation spatiale qui nous
échappaient.
Dès lors se pose la question de définir ce
qu’est un fragment, un morceau de ville
et de savoir comme le décrire avant de
pouvoir, peut-être, lui prescrire un projet.
De nombreux auteurs, architectes,
urbanistes ou géographes, le plus
souvent proches des courants européens
de la typologie et de la morphologie, se
sont penchés sur la question en essayant
6
de décrire les modes de remplissage
de l’espace urbain et d’en déceler les
processus (logiques temporelles), mais ils
ne nous donnent pas des modes d’entrée
en projet, sauf à considérer comme Rem
Koolhaas que puisque la situation nous
échappe totalement, il vaut mieux en
prendre son parti.
Dès le début du XXème siècle, en France
(Poëte, 1904 ; Lavedan, 1936), puis
à partir des années 1950, en Italie
(Muratori, Caniggia), la « notion de tissu
urbain » s’est constituée comme étant la
« superposition de plusieurs structures
qui agissent à des niveaux différents,
mais viennent s’articuler dans chaque
partie de la ville. Le tissu urbain peut
être défini comme la rencontre de trois
logiques : celle des voies dans leur double
rôle de conduire et de distribuer, celle des
découpages parcellaires où se nouent les
enjeux fonciers et où se manifestent les
initiatives privées et publiques, celle des
bâtiments qui abritent les différentes
activités » (Panerai, 1977). La notion
de tissu urbain nous rappelle ainsi que
la ville n’est jamais que la somme de
plusieurs morceaux d’urbanisation qui
coexistent côte à côte et forment, en
théorie, un tout. Elle nous invite aussi
à nous intéresser non seulement à
l’exceptionnel (éléments bâtis singuliers
comme les églises ou les châteaux, places
et bel espace public) mais au banal, à
l’ordinaire, au remplissage quotidien et
capillaire du territoire urbain.
Aldo Rossi (1990, pp. 56-57) évoque
quant à lui la notion de « fragment de
ville », désignant ainsi une unité de l’« aire
urbaine », une portion de territoire qui
au cours du temps et des évènements
acquière des caractéristiques qui lui sont
propres. Une ville est un système spatial
composé de plusieurs parties ayant
chacune des caractéristiques définies. « Il
serait absurde de vouloir soumettre ces
éléments différents à un principe unique
d’explication, à une loi formelle unique.
La ville dans toute son ampleur et dans
toute sa beauté est une création qui
s’est faite à partir de nombreux éléments
constitutifs, différents les uns des autres ;
l’unité de ces éléments est constituée
par l’unité urbaine dans son ensemble ».
Ce faisant, il développe l’idée que la ville
se constitue partie par partie.
Cheminant sur une route parallèle qui ne
croisera celle des auteurs précédents que
dans les années 1990, les géographes
anglais, à l’instar de M.R.G. Conzen,
emploient quant à eux le concept de plan
unit (« unités du plan »), lequel identifie
des parties distinctes du plan d’une ville
présentant une combinaison spécifique
de rues, parcelles et bâtiments, sur
un site particulier et possédant une
mesure d’unité morphologique et/ou
d’homogénéité. Les « unités du plan »
sont produites essentiellement par les
évolutions morphogénétiques de la ville.
Nous pouvons les analyser au moyen
d’une
typologie
morphogénétique
(Conzen, 1960, p. 128).
La notion de plan unit permet
parfaitement de décrire la constitution en
patchwork de la ville industrielle anglaise
du XIXème siècle, faite de l’agrégation
de morceaux de ville produits par des
entrepreneurs ou promoteurs fonciers
indépendamment les uns des autres,
le plus souvent sur d’anciennes terres
communales et qui ne présentent de
logique d’organisation qu’à l’échelle de
leur seule propriété.
Les « unités du plan » de la ville anglaise
se rapprochent aussi sensiblement de
la notion de « ville par partie » (città
per parte) que développe Aldo Rossi.
L’architecte italien et le géographe
britannique renvoient à la même idée
d’une ville dont la forme serait le
résultat de la juxtaposition de différents
« fragments de ville » d’époques et de
structures différentes (Rossi, 1966).
Il est dès lors possible de se poser la
question : qu’est-ce qui fait alors l’unité
de la ville ? Pour les uns il s’agit des
infrastructures telles que les réseaux
viaires et systèmes de places ou parcs,
pour les autres, comme A. Rossi, c’est ce
qu’il appelle les « éléments singuliers »
et qui regroupent selon les cas des
équipements et infrastructures, des
édifices historiques, le plan d’une ville,
un noyau historique voire des lieux
où se sont déroulés des évènements
entraînant des transformations spatiales.
Ce sont eux qui assurent, par leur
influence sur la croissance urbaine et par
leur permanence, le caractère pérenne
de la ville et son unicité.
Si la ville est un objet, nous pouvons
l’analyser comme tel en étudiant sa
structure et l’articulation des éléments
qui la composent. C’est ce qu’Aldo
Rossi appelle l’«architecture de la ville»
entendu dans le sens de disposition
ou de structure. Pour cela, il convient
de considérer la complexité de l’objet,
d’identifier les éléments le composant,
d’analyser l’importance relative de ces
éléments et enfin de comprendre ses
processus de transformation dans la
durée.
Aldo Rossi recommande de considérer
la complexité de l’objet qu’est la ville et
d’opérer sur des portions délimitées de
l’« aire urbaine », sur des « fragments
de ville » qui constituent la base de l’aire
d’étude. Le fragment de ville est composé
de différents éléments ou « faits urbains »
caractérisés par leur architecture et
donc par leur forme et analysable
individuellement ou collectivement
comme des artefacts composant la ville.
Ces faits sont de natures très diverses.
7
A. Rossi en cite plusieurs : les rues, les
logements, les monuments, etc. Les
rapports entre ces faits urbains sont
complexes et n’impliquent pas dans le
travail d’A. Rossi une même méthode
de lecture ou une même attention. Il
s’attarde par contre sur l’importance des
logements et des « aires de résidence »
qu’ils forment dans la ville.
De son côté, P. Gresset dans son étude
sur Bath désigne le fragment comme
une « formation délibérée, autonome
formellement et sémantiquement, qui
comprend à la fois le bâtiment, la nature
(ou représentation de celle-ci, sous
les espèces variables des jardins et du
paysage) et les voies et réseaux (voirie
hiérarchisée, égout et alimentation
d’eau) en un dispositif réglé aisément
reproductible » (Gresset, 1987, p.10).
Selon lui, quatre traits caractérisent
les fragments, à savoir : la délimitation
(c’est-à-dire la mesure et la forme),
l’espacement (le rapport au paysage),
le décentrement (l’autonomie du
fragment) et l’extension du planifiable.
La principale différence qui existe entre
cette acception et celle que propose A.
Rossi est d’ordre scalaire : là où A. Rossi
évoque l’échelle du quartier, P. Gresset
s’appesantit sur un chapelet d’objets
urbains unitaires tels que le crescent,
le circus, le square, l’oval ou encore la
promenade.
Mais ce qui spécifie avant tout le fragment,
explique B. Secchi (2004), relève du
décalage rythmique qui s’installe
entre les temporalités d’évolution des
composants matériels qui les structurent
(lotissements, ensembles industriels,
équipements, espaces ouverts, etc.)
et celles des pratiques sociales et des
activités économiques qu’ils accueillent.
De cette séparation des temps, ceux,
rapides, volatiles et subreptices de
8
l’individu et de la société, d’un côté, et,
ceux, lents, stables et persistants des
objets physiques posés dans leur espace,
de l’autre, naissent des processus de
transformation urbaine, plus ou moins
intenses.
Depuis M. Poète, en passant par P.
Lavedan, G. Caniggia et P. Panerai, jusqu’à
B. Secchi, l’idée que la structure de la ville
et que l’évolution de ses formes puissent
résulter de mutations à la fois capillaires,
embrassant l’ensemble des modifications
anonymes auxquelles s’adonnent les
habitants et plus permanentes, lesquelles
assurent une certaine continuité dans
l’évolution des tissus urbains, s’est
très largement affirmée au cours du
XXe siècle. Ainsi, délivrer l’histoire
d’un fragment de ville suppose-t-il que
nous distinguions, préalablement, les
phases qui en ponctuent la constitution,
le contexte qui le singularise, mais
également que nous repérions les
différents éléments qui l’organise :
système viaire, réseau d’espaces libres et
trame parcellaire, implantation du bâti,
typologie architecturale et usage des
sols.
Les fragments de villes peuvent se
trouver à des échelles qui vont depuis
un élément singulier du tissu urbain (cf
Gresset et ses squares, crescent, etc.)
jusqu’aux « parties de ville » de Rossi.
Tous les fragments qui constituent la
ville fractale disposent d’une forme, qui
peut être analysée à travers une lecture
typo-morphologique et une analyse des
usages.
2. Ou la ville contemporaine, comme
phénomène à comprendre
La deuxième posture scientifique est de
considérer que la ville contemporaine
n’existe pas par elle-même, qu’elle
n’est une matérialité, une réalité que
dépendante du regard scientifique qui se
pose sur elle. Elle n’acquiert une existence
que parce qu’on la pratique, que parce
qu’on se la représente. Cette posture
est celle de philosophes de la fin du
XVIIIème siècle et de phénoménologues
du XXème siècle. Dans « Critique de
la raison pure », publiée en 1781,
Emmanuel Kant démontre pour la
première fois qu’il n’y a pas d’objet en
soi, extérieur à soi, de réalité a priori,
car les hommes sont dans l’incapacité de
vérifier la nature de cet objet. L’objet est
donc soumis au sujet connaissant, il fait
partie de ses pensées. La connaissance
est une connaissance phénoménale
qui porte sur le phénomène de l’objet
existant que parce qu’on le regarde.
Arthur Schopenhauer, quant à lui, dit
clairement, dans « Le monde comme
Volonté et comme Représentation » que
le monde, ou la réalité, n’existe que
comme représentation dans son rapport
avec un être percevant et pensant, qui
est l’homme lui-même (Schopenhauer,
1966, p. 25). Tout ce qui existe pour
la pensée. Il n’y a pas d’objet en soi,
indépendant du sujet. Le monde objectif
est conditionné par le sujet. Objet et sujet
sont inséparables. La phénoménologie
de la perception du XXème siècle reprend
cette posture et nous montre qu’il n’y
a pas d’un côté la réalité et de l’autre
l’idée qu’on s’en fait (Sansot, 1988), qu’il
n’y a pas séparation entre sujet et objet,
individu et société, nature et culture,
les sens et le sens, l’intelligible et le
sensible, représentations et pratiques.
Au contraire, la réalité et l’idée qu’on s’en
fait ne font qu’un.
Ainsi, le scientifique de la ville,
phénoménologue et compréhensif,
n’élabore a priori aucune hypothèse sur
l’organisation de la ville contemporaine.
Il n’y a pas de ville fractale, pas de ville
fragmentaire, pas de ville continue. Il
considère la ville comme un objet flou,
indéfini, voire inexistant. Il porte son
regard sur ce que pourrait être la ville
contemporaine et commence, par làmême, à lui donner du sens. Il sait qu’en
s’attachant à définir la ville, il lui donne
une certaine consistance, et fait émerger
la ville contemporaine comme objet et
réalité.
Aussi, loin de nous l’idée de mettre fin
à cette controverse, en optant pour
une posture ou une autre, nous nous
conterons modestement d’une posture
intermédiaire, en choisissant d’orienter
un peu notre regard ce qui nous semble
représenter la ville contemporaine, la ville
périphérique et les morceaux d’espaces
qui a priori la composent. Pour cette
observation nous utiliserons « la figure
urbanistique » ou « la figure de l’habiter ».
Observer l’espace, ses caractéristiques
principales, et les exagérer, si nécessaire,
permet de construire une ou des figures
qui donnent de l’intelligibilité à la ville
contemporaine.
3. La figure
Qu’entendons-nous par figure ? La
figure au sens étymologique est une
« forme » visible, un aspect d’une forme,
une illustration, une image, qui donne à
voir ou qui exprime quelque chose par
un symbole. L’utilisation de la notion de
figure est ici conçue comme celle donnée
par Yves Chalas. Pour ce dernier, « Une
figure est un rassemblement cohérent
d’images». Elle « est à la fois fondée et
illustrée par des images » (Chalas, 1996,
p. 31). Pour nous, la figure urbanistique
9
est un ensemble cohérent d’éléments
de forme, et consiste à la fois en une
approche méthodologique, un mode
de lecture de la ville, qui aide à se
représenter la forme de la ville, et en un
contenu, une définition de la ville.
3.1 La figure comme mode de lecture de la ville
contemporaine
Ainsi, la figure présente selon nous deux
caractéristiques importantes :
Un mode d’organisation de l’espace. La
figure est un mode d’organisation de
l’espace qui présente une forme lisible
et intelligible parfois annonciatrice d’un
changement sociétal. Ce qui signifie que
l’on peut avec pertinence privilégier une
entrée dans l’analyse des figures par leur
contenu formel de l’habiter sans pour
autant se désintéresser de la dimension
usagère de l’espace.
Un mode de représentation de l’espace
(dessein et dessin). La figure est une forme
qui, par son dessin, véhicule un discours
(dessein) porteur de sens pouvant aller
jusqu’à la mise en scène d’une organisation
de la vie sociale. Les auteurs du dessin ne
sont pas nécessairement les mêmes que
ceux du dessein.
L’observation de ces deux caractéristiques
nous permet de construire des
figures et de comprendre ce qu’est
la ville contemporaine. En exagérant
ces caractéristiques, nous obtenons
une ou des figures-types de la ville
contemporaine que nous nommons.
3.2 La figure ou les figures
contemporaine
de la ville
Pour faire état du sens des figures, il
paraît indispensable de se référer à
la méthode de l’idéal-type élaborée
par Max Weber et reprise depuis dans
les sciences sociales. Les figures ne se
révèlent pas construites, formalisées,
10
toutes prêtes dans les discours et
dessins recueillis. Parfois, elles sont
explicites, manifestes, mais la plupart
du temps, elles sont cachées, latentes.
Il est donc nécessaire de procéder à un
travail d’analyse inversée du sens, de
juxtaposition d’idées, d’amplification du
sens et de construction exagérée pour
mettre en avant les figures-types. La
méthode idéal-typique permet ce travail
de construction et de reconstruction.
Elle consiste à partir d’un phénomène
général ou singulier à construire à son
propos un schéma explicatif assez général
pour comprendre son fonctionnement.
En effet, dans cette construction idéaltypique, seuls les éléments essentiels
pour la compréhension sont retenus et
exagérés. On obtient un idéal-type : « (...)
en accentuant unilatéralement un ou
plusieurs points de vue et en enchaînant
une multitude de phénomènes donnés
isolément, diffus ou discrets, que l’on
trouve tantôt en grand nombre, tantôt
en petit nombre et par endroits pas du
tout, qu’on ordonne selon les précédents
points de vue choisis unilatéralement,
pour former un tableau de pensée
homogène (Weber, 1965, p. 181) ».
La figure ou les figures ainsi obtenues
de la ville contemporaine sont des types
que nous nommons explicitement.
Elle est un type grâce à l’exagération
de ses caractéristiques, mais elle est
également un type car déterminé par
ses propres logiques de constitution,
d’organisation et d’évolution. Elle est
sujette à interprétation et dispose d’une
capacité à se reproduire ; de ce fait, elle
permet d’éventuelles proliférations.
Elle en devient a-historique, utopique,
universelle.
Les noms des figures, tels que figure
linéaire, figure de la grille, figure de la
mégastructure, figure de la continuité,
figure du fractal…, nous les construisons
nous-mêmes comme des résumés
condensés, réduits à quelques mots,
parfois à un seul, qui témoignent des
significations des figures.
4. Contexte de la recherche : la périphérie
grenobloise et ses figures
Au cours des trente dernières années,
ce que nous pouvons appeler « l’espace
sud de l’agglomération », tant ses limites
sont imprécises et ses caractéristiques
morphologiques complexes, a connu
des interventions publiques d’envergure
à l’initiative des collectivités publiques
(État dans les années 1960-1970,
communes et intercommunalités par la
suite) qui ont cherché à mieux organiser
l’urbanisation en proposant par exemple
la création de nouveaux centres.
La première de ces initiatives est la mise
à l’étude d’un Plan directeur d’urbanisme
(approuvé en 1963) qui se traduit par la
création d’une vaste Zone à Urbaniser
en Priorité, dont le plan-masse élaboré
originellement par Henry Bernard sera
revu quelques années plus tard par Michel
Steinebach, architecte de l’AUA. Ce planmasse, conformément aux principes
de l’urbanisme moderne, organise
l’urbanisation à l’intérieur des mailles
d’un réseau de voies à grande circulation
(Novarina, 1993). Ces mailles sont
implantées de part et d’autres d’un grand
axe recevant les équipements publics
dans la version proposée par Henry
Bernard. Elles constituent les pétales
d’une fleur dont le cœur est constitué
par un vaste centre de commerces et
de services dans la version de Michel
Steinebach. Le quartier de l’Arlequin,
dont la structure proliférante rappelle la
cluster city des époux Smithson, s’arrête
pourtant aux limites fixées par la maille
viaire à l’intérieur de laquelle elle prend
place.
La deuxième initiative découle de
la création de la rocade et de sa
transformation en autoroute. Inscrits
en zone d’activités au Schéma directeur
de 1973, les terrains, situés de part
et d’autre de cette voie rapide, font
l’objet d’une préemption foncière (dans
le cadre d’un Programme d’action
foncière signé par l’Etat, le département
et l’agglomération). Les communes
profitent de ce foncier abondant pour
aménager une succession de zones
artisanales et commerciales, aujourd’hui
caractéristiques d’un paysage d’entrée
de ville. Au cours des dernières années,
ces zones ont connu des transformations
importantes avec le départ de
certaines entreprises à l’extérieur de
l’agglomération. Des micro-friches sont
apparues, alors que subsistent des
activités aujourd’hui incompatibles
avec le voisinage de zones résidentielles
accueillant soit des logements collectifs
soit des logements individuels. La
question du devenir de ces espaces est
aujourd’hui posée (confirmation de la
spécialisation actuelle, implantation de
logements) et elle est étroitement liée à
la requalification de ce grand couloir de
circulation à l’intérieur duquel coexistent
une autoroute et une voie ferrée.
La troisième initiative remonte au
milieu des années 1980 et émane
directement des communes. La Ville
d’Echirolles s’engage dans un processus
de construction d’un nouveau centre.
A l’issue d’une phase de concertation
(réunions avec les habitants et les acteurs
économiques
locaux,
organisation
d’un appel d’idées et d’un workshop
mobilisant architectes et chercheurs
extérieurs à l’agglomération, sondages
d’opinion), elle se dote d’un « schéma
directeur » fondé sur trois orientations :
la création d’une avenue, l’aménagement
d’une vaste place autour de laquelle
11
seront implantés les équipements et les
services les plus important, la création
d’une maille de voirie ordinaire délimitant
des îlots de 80 m x 200 m. Les principes
retenus (hiérarchisation du système viaire
et îlots ouverts) donnent naissance à une
organisation spatiale en forme de grille
(Novarina, 2007). Cette même forme
urbaine est retenue quelques années
plus tard par la Ville de Grenoble pour
l’aménagement du nouveau quartier de
Vigny-Musset, séparé de la Villeneuve
par une avenue. L’objectif de ces deux
projets urbains, objectif plus affirmé
dans le centre-ville d’Echirolles qu’à
Vigny-Musset, est l’engagement d’une
restructuration urbaine d’un tissu urbain
profondément marqué par les coupures
entre des opérations remontant à des
époques différentes.
Au début des années 2000, ce qui
devait devenir le centre de gravité du
sud de l’agglomération grenobloise se
compose de pièces urbaines disparates.
La ligne de tramway qui le traverse
(inauguré en 1987) est à son image :
une infrastructure de transport posée
sur un territoire et qui vient relier par
les marges des opérations successives.
Depuis une dizaine d’années, à l’initiative
de la communauté d’agglomération
(Métro) et des deux Villes d’Echirolles
et de Grenoble, les études urbaines se
multiplient en différents points de ce
territoire. Dans le prolongement de son
projet d’agglomération, la Métro confie
à une série de cabinets d’architectesurbanistes
de
multiples
études
urbaines intercommunales (INterland,
AAA architecture vidéo, Transitec
Déplacement, Stratégie Territoires,
2006 ; Les Pressés de la Cité, Strates et
JNC Agence Sud, 2006 ; Seura, Pierre BelliRiz, Epure Paysage, ETC Déplacement,
2006) permettant d’amorcer la réflexion
sur le devenir de franges, situées le
12
plus souvent à proximité de grandes
infrastructures au Sud, à l’Est et à l’Ouest
de l’agglomération.
Dans le prolongement de ses actions
de développement social urbain
et conformément à une volonté
d’ouverture des quartiers d’habitat
social, la Ville de Grenoble missionne
Yves Lion pour dresser la possibilité d’un
ambitieux projet de requalification des
quartiers qui composent la Villeneuve
(Village Olympique, Arlequin, Baladins,
Grand-Place). Un marché de définition
porte actuellement sur la réhabilitation
du patrimoine bâti de l’Arlequin. Comandatés par la Ville de Grenoble et
deux des principaux bailleurs sociaux,
Actis et SDH, il donne l’occasion
d’approfondir la réflexion1. Son centreville pratiquement achevé, la Ville
d’Echirolles s’interroge aujourd’hui sur
son extension vers le Nord. Dans le cadre
du projet « NOVASUD 21 », elle se pose la
question du franchissement de la rocade
et de la voie ferrée, de leur meilleure
intégration dans le tissu urbain et de
la requalification des espaces libérés
par une éventuelle transformation de
l’autoroute en boulevard urbain (Projet
Urbain NOVASUD 21, 2009).
5. Premières hypothèses et questionnements
A l’instar de David Mangin, l’on peut
affirmer que « seule l’élaboration d’une
grille de lecture et l’approche comparée à
l’aide de monographies de villes peuvent
faire progresser les questions débattues
par les observateurs du périurbain »
1
Trois équipes sont actuellement en lice
pour l’obtention du marché. Les trois mandataires
principaux sont l’Atelier Castro Denissof Casi,
l’Atelier de la Gère | Bernard Paris & Associés et
INterland.
(Mangin, 2004). En périphérie, la ville est
en cours de consolidation tant et si bien
qu’aujourd’hui se pose la question de son
renouvellement à travers notamment la
problématique de l’habitat. A la double
injonction de répondre à la crise du
logement et de satisfaire une demande
toujours plus diversifiée, les collectivités
territoriales sont amenées à réinvestir des
territoires jusque-là fonctionnellement
définis pour en évaluer la capacité de
transformation.
L’agglomération grenobloise est à
cet égard symptomatique de ces
évolutions. Tandis que les quartiers
centraux de Grenoble enregistrent soit
une stabilisation de leur population
soit une progression, les quartiers de la
périphérie sud connaissent une baisse
démographique continue. En réponse, la
municipalité de Grenoble s’est donné le
double objectif de réhabiliter le parc de
logements anciens et de construire 750
logements neufs par an2.
Au moyen de son Plan local d’urbanisme,
elle vise également un rééquilibrage
territorial prenant en compte la situation
actuelle de ses différents quartiers :
maintien de la mixité lorsqu’elle existe
déjà, renforcement de la part des
logements sociaux dans les quartiers
qui en sont insuffisamment pourvus et
augmentation du nombre de logements
privés dans les secteurs d’habitat social,
et plus particulièrement ceux du sud de
la ville.
2
Cette offre de logements s’indexe à une
réalité socio-démographique qui se traduit par une
demande d’autant plus diversifiée que le nombre
de ménages augmente plus vite que la population
et que l’on compte de moins en moins d’occupants
par logement (vieillissement de la population,
augmentation du nombre de personnes seules,
décohabitation des jeunes, hausse du nombre de
divorces et séparations, tendance à une mise en
couple plus tardive).
Aussi, le sud de l’agglomération
grenobloise s’avère-t-il un terrain
d’étude potentiellement fécond. Il
résulte d’une série de choix contrastés
ayant eu successivement une volonté de
l’organiser, d’améliorer son « urbanité »
et la qualité de son habitabilité (nombre,
type, accueillance des logements).
Ces choix se traduisent par autant de
figures urbanistiques et architecturales
caractéristiques
des
périphéries
urbaines : la cité-jardin, le grand
ensemble, la mégastructure, la grille, la
ville linéaire, le lotissement (de maisons
comme de bâtiments d’activité).
Parmi ces figures, nous faisons l’hypothèse
que certaines se distinguent par leur
ambition, passé, présente et future, de
proliférer et de structurer l’ensemble
d’un territoire. La mégastructure, la ville
linéaire et la grille s’imposent ici :
- la Villeneuve de Grenoble
(mégastructure) qui ne devait pas
rester enfermée à l’intérieur des
limites étroites d’une maille mais
se superposer progressivement à
l’ensemble des tissus avoisinants ;
- la rocade sud qui fonctionne comme
une sorte de ville linéaire desservie
par une grande infrastructure de
déplacement ;
- le centre-ville d’Echirolles et le
quartier grenoblois de Vigny-Musset
dont les grilles se proposent d’intégrer
progressivement les fragments de ville
qui les entourent dans le cadre d’une
organisation urbaine mieux irriguée et
hiérarchisée par le réseau viaire3.
3
Cf. à ce propos l’Orientation
d’aménagement sur la morphologie urbaine du
Plan local d’urbanisme d’Echirolles.
13
6.
Feuille de route de l’analyse
monographique
Nous utiliserons la figure pour relire les
projets de la Villeneuve, du centre-ville
d’Echirolles et du quartier de Vigny ainsi
que celui de la Rocade Sud4. Pour chacune
des trois monographies, il s’agira de :
1. Définir ce qu’est chacune des figures,
sans en faire l’historique (les références,
leur interprétation). Définir en quoi il
s’agit de figure.
- Sur quelles références théoriques
(architecturales/ urbanistiques/ sociales) les
projets ont-ils pris appui ?
- Comment ces références ont-elles été
interprétées et utilisées par les acteurs locaux
de l’urbanisme ?
2. Évaluer la capacité des figures à
organiser le territoire
- Comment ces figures articulent-elles la
question spécifique du logement avec des
problématiques urbaines plus générales
(l’interface avec les infrastructures de
transport, le traitement des espaces publics,
le développement économique ?
- La figure que nous avons aujourd’hui sous les
yeux ressemble-t-elle à un système original
ou à une forme de « bricolage » entre des
références théoriques et des contingences
locales ?
3. Dans quelle mesure les projets en
cours se saisissent-ils de ces figures ?
- Se basent-ils sur la négation, la confrontation
ou l’interprétation des figures existantes ?
- Certaines figures auraient-elles la capacité
à se transformer et à se renouveler plus
naturellement que d’autres ?
4
Des trois figures étudiées, deux
correspondent a priori à la définition que nous nous
en sommes donnés et le dernier, la ville linéaire,
correspond a posteriori à notre définition.
14
Analyser une figure en tant que forme implique
une double lecture morphographique
(analyse du réseau viaire, du parcellaire et
du bâti) et morphogénétique (analyse de
l’évolution dans le temps) temporelle afin
de comprendre le décalage qui existe entre
les temporalités d’évolution des objets qui
composent l’espace et les usages qui s’y
développent. En théorie le bâti traduit plus
rapidement les évolutions usagères que le
parcellaire et le réseau viaire. (cf Conzen et
Lavedan). Nous allons observer si nos figures
répondent à ce principe.
Hypothèse qu’elles sont différentes. Grille
et ville linéaire auraient une plus grande
aisance à faire évoluer bâti et parcellaire
en réaction à l’émergence de nouveaux
usages que la mégastructure, plus rétive
au changement typologique et encore plus
morphologique. D’où deux postures de
projet face à la mégastructure : considérer
qu’elle ankylosée/enkystée et qu’un travail de
remise en mouvement/mutation typologique
est possible ou bien considérer qu’elle est
fossilisée et donc que seule la démolition est
possible.
4. Dans une dernière partie (chapitre
conclusif), il s’agira de relire les trois
monographies de manière croisée afin
d’évaluer la possibilité de construire un
« projet urbain métropolitain » sur la
base de ces figures.
- Quelle sont leur capacité à redonner
de la cohérence aux territoires du sud de
l’agglomération grenobloise ?
Sur la base de l’analyse précédente qui
permettra d’évaluer les limites et la capacité
à muter des figures urbaines existantes dans
le sud de l’agglomération, il s’agira d’imaginer
les scénarios possibles de transformation de
l’ensemble du territoire étudié.
Les projets en cours (comme ceux qui seront
produits dans le cadre des réflexions de
l’équipe de recherche et des travaux étudiants)
devront-ils organiser une coexistence de ces
figures ou au contraire faire prévaloir l’une
d’entre elle ?
Bibliographie
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et restitution de la parole urbaine quotidienne.
Grenoble, CRESSON, 1996.
INterland, AAA architecture vidéo, Transitec
Déplacement, Stratégie Territoires, Étude intercommunale de prospective urbaine, Comité
d’agglomération Grenoble Alpes Métropoles,
Isère, 2006.
Les Pressés de la Cité, Strates et JNC Agence
Sud, Étude intercommunale de prospective
urbaine, Comité d’agglomération Grenoble
Alpes Métropoles, Isère, 2006.
MANGIN D., La ville franchisée. Formes et
structures de la ville contemporaine, Paris, Ed.
de la Villette, 2004.
NOVARINA G. (sous la direction de), Villes
européennes en projet, Grenoble: Institut d’Urbanisme de Grenoble, Fondation
Braillard Architectes (Genève), Plan Urbanisme
Construction et Architecture, 2007.
NOVARINA G., De l’urbain à la ville. Les transformations des politiques d’urbanisme dans les
grandes agglomérations, L’exemple de Grenoble (1960-1990) CIVIL / CGP, 1993.
Projet Urbain NOVASUD 21, Grands principes
de composition urbaine, janvier 2009.
SANSOT P., Poétique de la ville. Paris, Méridiens Klincksieck, 1988.
SCHOPENHAUER A., Le monde comme Volonté
et comme Représentation, Paris, PUF, 1966.
SEURA, BELLI-RIZ P., Epure Paysage, ETC Déplacement, Étude intercommunale de prospective
urbaine, Comité d’agglomération Grenoble
Alpes Métropoles, Isère, 2006.
WEBER M., Essais sur la théorie de la science.
Paris, Librairie Plon, 1965.
14
15
16
Chapitre 1
La mégastructure au risque de la ville
Jean-Michel Roux et Charles Ambrosino
Introduction
Fruit d’un processus d’urbanisation
ex-nihilo (1966-1983), le quartier de
la Villeneuve, et plus particulièrement
l’Arlequin, caractérisé par sa continuité,
sa densité, sa linéarité et sa verticalité,
représentent l’un des premiers exemples
réalisés en France de mégastructure
associant dès le début de sa conception
logements et équipements publics. La
Villeneuve fait figure de dernière tentative
du mouvement moderne de corriger
certains de ses défauts. Une quarante
d’année après son inauguration, celle-ci
est sur le point de faire l’objet d’immenses
transformations dans le cadre d’un vaste
projet ANRU. La destruction, l’évolution
ou la patrimonialisation de ses formes
urbaines, architecturales et sociales sont
aujourd’hui en jeu.
Élément singulier de la périphérie
grenobloise, la mégastructure de
l’Arlequin représente tout à la fois :
1. une utopie sociale et urbaine née d’un
dessein politique portée par les élites
locales dans les années 1970,
2. une forme urbaine exclusive au regard
de son environnement et
3. un objet à la fois architectural et urbain
disposant de ses propres modalités
d’organisation.
De ce fait, elle constitue certainement
l’une des trois figures la plus aboutie
que nous avons pu identifier et dont
nous allons questionner les références
théoriques, les règles de constitution et
la capacité à proliférer, à structurer le sud
grenoblois ou à se transformer.
Dans le cadre du présent chapitre, nous
proposons trois modes d’exploration.
Le premier (1. Mégastructure, ville
et territoire) se veut une analyse des
origines du projet, de ses racines
théoriques et établit une première
grille de lecture critique de l’évolution
de la mégastructure de l’Arlequin. Le
deuxième (2. L’arlequin a-t-il structuré la
périphérie grenobloise ?) prend appui sur
les parcours organisés en février 20101
entre concepteurs d’hier et concepteurs
d’aujourd’hui avec pour objectif de
reconstituer histoire et mémoire de cette
mégastructure en articulant paroles
d’acteurs et analyse morphologique. Le
troisième (3. L’Arlequin est-il parvenu à
« réinventer la ville » ?) et dernier mode
se veut un bilan des différents projets
contemporains ayant tous formulé un
certain nombre de propositions de
transformation voire de renouvellement
de tout ou partie de la mégastructure.
1
Nous souhaitions recueillir les
témoignages des acteurs passés, présents et futurs
de la Villeneuve sous la forme d’un entretien à
trois (deux enquêtés et un enquêteur), in situ et
chemin faisant. L’objectif était de comprendre,
micro-lieux par micro-lieux, les intentions de
départ, les difficultés de réalisation et de gestion,
les opportunités d’action, et de mettre en dialogue
des projeteurs d’un même lieu. Chaque binôme
était équipé d’un microphone, d’un appareil photo
et acceptait la possibilité d’une interpellation
habitante. Etaient donc présents : les concepteurs
du projet d’origine de la Villeneuve (Franz
Charmettant, Claude Fourmy, Charles Fourrey,
Pierre Mignotte et Jean Tribel) et les concepteurs
actuels (Ateliers Lion : Claire Piguet ; Lacaton-Vassal
Architectes : Anne Lacaton, Jean-Philippe Vassal
et Sandrine Puech ; INterland : Franck Huillard et
Laure Favier ; la Ville de Grenoble et ACTIS) ainsi
que Nicolas Tixier du Braup.
17
1. Mégastructure, ville et territoire
L’histoire de la mégastructure de
l’Arlequin se confond avec celle de
l’urbanisation du sud grenoblois. Erigée
dans une période faste, cette forme de
développement de la ville illustre bien
les velléités d’un urbanisme de conquête
porté par le dynamisme économique
et l’ambition politique d’une frange des
élites locales. Fruit d’une création par
tâtonnement, l’Arlequin est porteur d’un
discours sur la société qui trouvera en la
mégastructure un parti d’organisation
spatiale adapté et revendiqué.
1.1. Urbaniser le sud grenoblois
1.1.1 Quel projet pour la périphérie grenobloise
C’est dans un contexte de forte expansion
démographique et économique que
l’État décide en 1960 de créer, à
l’initiative de la municipalité conduite
par Albert Michallon, une Zone à
Urbaniser en Priorité (ZUP) au sud du
territoire grenoblois afin de maîtriser
le développement de la ville alors que
le sud dont Echirolles s’est constitué
jusqu’alors par une croissance urbaine
discontinue faite d’opérations disparates,
d’usines, de quartiers d’habitation, de
casernes, fermes et aérodrome sans plan
d’ensemble. Deux périmètres à la lisière
de l’urbanisation existante sont alors
délimités : l’un à Grenoble (120 hectares),
l’autre à Échirolles (80 hectares). La
publication du nouveau Plan Directeur du
groupement d’urbanisme des quatorze
communes de l’agglomération, dont
l’élaboration a été confiée par l’État à
l’architecte Henry Bernard (Grand prix de
Rome), rend impossible la collaboration
entre Grenoble et Échirolles. En effet,
le «Plan Bernard» rejette sur Échirolles
et Eybens les contraintes des grands
18
tracés circulatoires (voie autoroutière de
contournement, déplacement de la voie
ferrée). Le projet propose également de
construire au cœur de la ZUP le nouveau
centre de Grenoble et d’y accueillir tous
les grands équipements.
Figures 1. Les territoires de la ZUP
1a) Plan de la ZUP (Source : Villeneuve de
Grenoble Échirolles objectifs et réalisation
1961-1977 (1977). Rapport dressé par JF
Parent en 1977 et la SADI, à destination du
conseil municipal)
1b) Avant la ZUP (Source : Villeneuve de
Grenoble Échirolles objectifs et réalisation
1961-1977 (1977). Rapport dressé par JF
Parent en 1977 et la SADI, à destination du
conseil municipal)
Crée en 1961, la ZUP s’étend sur 200 ha
(120ha sur Grenoble et 80 ha sur Echirolles)
et vient urbaniser un territoire marqué par
l’agriculture et un développement rythmé par
de grandes opérations.
Figure 2. Les propositions du plan
Bernard pour le Sud grenoblois
2) Plan Bernard (Source : Villeneuve de
Grenoble Échirolles objectifs et réalisation
1961-1977 (1977). Rapport dressé par JF
Parent en 1977 et la SADI, à destination du
conseil municipal)
En 1963, l’Etat confie l’élaboration du plan
directeur de l’agglomération à Henry Bernard
sous la mandature de Hubert Michallon
(mouvement gaulliste). La ville de Grenoble,
en désaccord avec Bovet, lui confie également
les études d’urbanisme sur le secteur Sud
dans le cadre de la ZUP. Mais l’étude de la ZUP
est repoussé après celle du plan directeur. Le
« Plan Bernard » prévoit notamment la percée
de grands axes et le déplacement de centre
ville sur les quartiers Sud. Les incidences du
plan Bernard pour la ZUP sont significatives
: positionnement de la centralité du secteur
Sud sera au Nord de la ZUP, éloignement de la
ZUP d’Echirolles, etc.
19
Élue en 1965, la municipalité d’Hubert
Dubedout affirme que l’évolution de
la ville doit être maîtrisée par les élus
locaux et confie à la SADI (Société
d’Aménagement du Département de
l’Isère) l’aménagement de la partie
grenobloise de la ZUP.
Les idées prônées sont celles :
- du contrôle municipal de l’urbanisation,
- du refus de la ségrégation résidentielle
et spatiale,
- de la structuration de la vie sociale
autour des équipements collectifs et
- du dialogue avec la population et les
usagers.
Au printemps 1966, la municipalité,
souhaitant s’affranchir des tutelles
étatiques, crée l’Agence municipale
d’urbanisme avec l’aide de l’AUA2.
L’agence reprend alors le projet de la
ZUP – suite à l’abandon d’Henry Bernard
en 1966 de ses fonctions d’architecte en
chef –, son équipe reformulant toutes
les questions : vocation de la ZUP dans
l’agglomération, contenu du programme
(logements, emplois, équipements) et
organisation spatiale.
Plusieurs scénarios sont envisagés en
fonction des impératifs et de la hiérarchie
des besoins.
Figure 3. Les différents scénarios proposés
par l’agence d’urbanisme et l’AUA
2
L’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture
(AUA) fut créé à l’initiative de quelques jeunes
architectes en 1959 en réaction à la charte
d’Athènes. Composé d’architectes, d’ingénieurs,
de paysagistes, d’économistes, de sociologues
et d’urbanistes l’agence s’inscrit en faux face à
une culture bien ancrée de stricte séparation des
métiers (ingénieurs, architectes, promoteurs, etc).
20
3a Les trois vocations possibles de la ZUP
(Source : Villeneuve de Grenoble Échirolles
objectifs et réalisation 1961-1977 (1977).
Rapport dressé par JF Parent en 1977 et la
SADI, à destination du conseil municipal)
En mai 1966 du le plan Bernard pour la ZUP
est remis à plat. La ville demande à la SADI
de réfléchir avec l’agence d’urbanisme à
nouveau projet (juin 1966 / juillet 1967).
La réflexion s’engage sur l’urbanisation de
l’ensemble de l’agglomération (il manque
10 000 logements). Villeneuve est le « point
d’ancrage » au confluent des trois vallées, et la
porte d’entrée pour le Sud de l’agglomération,
moins bien doté en équipements, etc. («
centre relais »).
3b) Schémas organiques (Source : J. Tribel et
G. Loiseau)
Le projet s’articule autour des principes
de mixité des logements, de maillage en
équipements et la recherche d’un équilibre
habitat / emploi – c’est le rejet du zoning, de
la ségrégation, etc.
3a) Longtemps la question tourne autour de
la vocation de la ZUP par rapport au centre
ville :
Option A : la ZUP est le nouveau centre
(plan Bernard)
Option B : la ZUP est un quartier
indifférencié
Option C : la ZUP est le centre pour la
zone Sud (250 000 habitants à terme) et
pour l’accueil de grands équipements
d’agglomération (option retenue).
3b) En 1968, J. Tribel et G. Loiseau proposent 3
plans masse pour le secteur Sud Ces schémas
organiques proposent :
Option 1 : un noyau central et trois unités
Option 2 : un noyau central et une ossature
unique
Option 3 : un noyau central et une
juxtaposition d’unités résidentielles
C’est finalement la première option qui est
retenue : trois quartiers rattachés par un
centre commercial et un parc de 25ha placé
au cœur.
21
Dès lors, le contenu du programme
comme sa traduction formelle évolue
sensiblement. Refusant le zoning et
son corollaire, la ségrégation spatiale
et résidentielle, le nouveau programme
défini en 1967, vise à faire de la ZUP
une extension urbaine équilibrée entre
habitat, équipements et activités. Au
printemps 1970, l’équipe Villeneuve
(composée de techniciens, d’économistes,
de
sociologues,
d’ingénieurs,
d’architectes et d’urbanistes) établit
un projet de plan de masse définissant
une volumétrie générale et les sens des
épannelages souhaités, et insistent sur le
besoin de repères visuels, de points forts,
de variations volumétriques du bâti, de
jeu des vides et des pleins en évoquant
l’idée de paysage urbain. La volonté des
architectes en chef est clairement de
créer non pas un objet architectural mais
une structure urbanistique non figée et
évolutive.
22
Figure 4. Plan masse de l’Arlequin et de
la Villeneuve
(Source : Grenoble, Echirolles, ville neuve,
plaquette dressée par la SADI et l’AUA en
1978)
Sur le plan architectural, le projet de
la Villeneuve matérialise les volontés
réformatrices du « mouvement moderne ».
La Villeneuve rompt avec le schématisme
des « tours dans la nature » de Le Corbusier
et bien d’autres, et se présente comme une
ré-interprétation du caractère organique de
la ville traditionnelle. La structure linéaire
unique cherche à rendre la continuité du bâti
urbain, la galerie piétonne sous immeuble à
reprendre le rôle de la rue et la séparation
des espaces d’accès et du parc à transcrire
la distinction classique entre les espaces de
services et ceux de loisirs. Il s’agit de donner
une impression de continuité du bâti, marque
historique de la ville que les grands ensembles
avaient rompue.
1.1.2 L’Arlequin, une création par tâtonnement
La mégastructure de l’Arlequin est le fruit
d’une création par tâtonnement. Cette
« urbatecture », comme la définissaient
G. Tribel et G. Loiseau, appartient à une
parenthèse utopiste de la pensée urbaine
et architecturale (les années 1950-1970).
En effet, l’Arlequin, loin de n’être qu’un
épiphénomène grenoblois, s’inscrit
dans une mouvance internationale et
synthétise, à bien des égards, les débats
et propositions de nombreux praticiens
et théoriciens de l’époque, plus en clin à
renouveler la manière de fabriquer ville
qu’à s’enfermer dans la seule échelle de
la conception architecturale (Rouillard,
2004).
L’on doit aux architectes et urbanistes
anglais les premières expérimentations
mégastructurelles (Portnoi, 2011). Des
programmes comme le Barbican Center
(Grand Londres/City), le Brunswick
Center (Grand Londres/Camdem) ou
encore le Cumbernauld New Town Center
(Glasgow/Cumbernauld), certaines des
opérations promues par les boroughs
de Londres ou encore les projets de
préfiguration du Rapport Buchanann,
Traffic in towns, témoignent tous de
cette conjonction singulière entre
grandes opérations urbaines et projets
visionnaires (Ibid.).
Figures 5. Le Barbican Center
(Source : Charles Ambrosino - Avril 2007)
22
Autour du groupe Team X, des architectes
s’insurgent contre la ville fonctionnaliste
dans son acceptation la plus doctrinale
représentée par les CIAM (Congrès
Internationaux
pour
l’Architecture
Moderne) et la Charte d’Athènes. Refus
de la hiérarchie fonctionnelle et du
zonage, valorisation de la mixité des
fonctions et recours à la métaphore
organique plutôt que machiniste, tel
est le credo des angry young men du
Team X. C’est en effet un nouveau mode
d’organisation de la société que ces jeunes
praticiens cherchent à mettre en forme.
La prégnance des sciences humaines
sur la discipline architecturale est alors
palpable et se manifeste de manière
diversifiée. C’est tout particulièrement
l’anthropologie et l’ethnologie qui
impacte à la fois le discours et le rapport
à l’espace. La pensée constructiviste
transpire dans nombre d’écrits. En
terme d’aménagement, les effets se font
23
ressentir dans la posture que développent
certains d’entre eux autour d’un retour
voire d’une réforme des pratiques de
l’architecture et de l’urbanisme jugées
arbitraire et méprisante à l’égard des
réalités sociales en présence et latente.
Figure 6. La Cluster city de A. et P.
Smithson
(Source : dessins de B. Du Verger et de L. Der
Madirossian)
Est alors prôné le retour à des valeurs
humanistes « mettant en avant les
notions de communautés, de voisinage,
de mobilité, proposant de nouvelles
structures pour le quartier, fondées sur
un modèle systémique » (Devillard et
Janniere, 1997, p.24).
Il s’agit de concilier infrastructures et
échelles de voisinage au moyen d’une
forme urbaine nouvelle, la Cluster city.
Développé par les époux Smithson
(1967), le cluster (grappe, groupement),
terme générique, explorent et désignent
de nouvelles formes d’associations entre
la maison individuelle, la rue, le village et
la ville. Tout ce qui réunit est cluster.
D’un élan conjoint, sont conceptualisées
infrastructures et formes urbaines :
les membres du Team X affirment que
« l’architecture de la ville devrait répondre
à la hiérarchie des mouvements » (Dehan
et Julien, 1997, p.49). De fait, ils renouent
avec la continuité d’un bâti qui, d’un seul
tenant, « enjambe » le réseau viaire
(voiture, bus), permet de circuler – à pied
– à plusieurs niveaux surélevés et enclos,
dans des ramifications ponctuelles aux
formes géométriques, les espaces verts,
étendus à la ville.
Ainsi, les membres du Team X se
livrent à une « réinterprétation de la
communauté » et réintroduisent la
notion de rue comme « lieu de rencontre,
lieu d’échange et de commerce ».
La forme géométrique qu’adopte la cluster
city affirme le rôle relationnel du « bâtimentrue », composant fondamental de cette
structure urbaine d’un genre nouveau.
24
Car c’est bien en terme de « rue » « dans l’idée et non dans la forme » que les Smithson pensent cette « ville
relationnelle ». De lieu, la rue devient
place, elle est «l’espace de sociabilité des
gens qui ne peuvent rester chez eux »
et qu’occupe les enfants « quand les
logements sont trop petits » (Rouillard,
2004, p.27).
Le problème c’est la forme, « Quelle
forme pour le lieu public à inventer, à la
fois rue et place, mais qui ne perpétuerait
pas leurs contraintes formelles ?» (Ibid.).
De place la rue finit par se confondre au
bâtiment.
La séparation du trafic automobile et des
lieux habités étant actée, la nouveauté
réside dans la volonté de qualifier un
espace extérieur – « libre » aurait pensé
les modernes de la première heure – à la
fois intégré au bâtiment et support des
activités de la communauté.
Figures 7. La composition d’ensemble de
l’arlequin et ses zones de voisinage
7a) Plan de composition urbaine (Source :
Villeneuve de Grenoble Échirolles objectifs et
réalisation 1961-1977 (1977). Rapport dressé
par JF Parent en 1977 et la SADI, à destination
du conseil municipal)
Les Smithson, et plus généralement
les membres du Team X, recherchent
une typologie nouvelle « d’espaces de
liaison », associés à « des modes de
relation sociales », « une rue qui soit place,
et qui réussisse encore à envelopper sans
enfermer, la communauté et toute sa
hiérarchie d’associations (de la rue aux
quartiers, du village à la ville) » (Ibid).
La géométrie originale qu’adopte
l’Arlequin basée sur une trame à 120°
articulant un réseau trois « zones de
voisinage », trois « criques », n’est
évidemment pas étrangère des projets
portés par le Team X.
Bien qu’ils aient pu s’en défendre, on
peut percevoir dans les travaux des
membres de l’AUA en charge du projet,
l’influence du projet lauréat de Candilis,
Josic et Woods (tous trois membres du
Team X) pour le concours de la ZUP du
Mirail à Toulouse en 1961.
Seulement, le projet grenoblois radicalise
quelques-unes des propositions du Mirail
et, d’une certaine manière, apparaît plus
abouti et mieux réalisé (Lucan, 2001).
25
7b) Les zones de voisinages (Source :
Villeneuve de Grenoble Échirolles objectifs et
réalisation 1961-1977 (1977). Rapport dressé
par JF Parent en 1977 et la SADI, à destination
du conseil municipal)
Les criques ou « zones de voisinages »
disposent d’une relative autonomie et ont un
fonctionnement spécifique :
- implantation au sol ; circuit : de la rue aux
équipements, au silo, ... ; plus ou moins
grande ouverture sur le parc
Chaque zone a son « centre de voisinage » :
- espace personnalité avec une unité de
traitement ; bien équipé en mobilier urbain
(cabines tel, kiosques, bans, panneaux
d’affichage, WC, protection du vent, ...) ;
espace libre, couvert, bien dégagé depuis
l’extérieur ; position centrale au sein de
chaque sous ensemble par rapport : aux
distributions verticales, aux écoles, à
l’accès au silo (liaison vers les mezzanines)
Chaque centre s’articule autour d’un élément
particulier :
- Crique nord : une grande percée sur le
parc ; Crique centrale : le centre commercial
et le CES ; Crique sud : le marché et la place
balcon.
1.1.3
Entre ville et architecture, le projet
mégastructurel
La structure urbaine du quartier est définie
dans le cadre du plan masse général de Mars
1968 :
- un linéaire de grande hauteur (R+6 à
R+15) : élévation moyenne en R+10 mais
très découpé aux extrémités Nord et Sud ;
monolithique en partie centrale (R+15)
- la rue intérieure : 1465 m linéaire, 15m
large, 6m de haut
- circuit mezzanine – passerelle : vocation
fonctionnelle
- aménagements techniques : silos (jusqu’à
hauteur des premiers logements), galerie
technique, télédistribution
26
S’appuyant sur la critique des projets
et discours de l’époque, le praticien et
historien de l’architecture R. Banham
donnera plusieurs définitions de la
mégastructure. Au travers de nombreux
articles, publiés au cours des années
1970 – que son ouvrage Megastructure:
Urban Futures of the Recent Past viendra
synthétiser en 1976 –, l’auteur délivre
un travail qui, aujourd’hui encore,
demeurent la tentative de stabilisation
théorique la plus aboutie à ce sujet.
La première définition qu’il proposera
exprime le projet mégastructurel en
terme scalaire et programmatique :
« Ce ne sont pas justes de très grands
bâtiments. Leur intention première
et déterminante est de résoudre des
problèmes urbains de grande échelle
(environ un quart de mile, au minimum)
au moyen de l’architecture. Le propre des
mégastructures est donc de combiner
des multiples programmes dans une très
grande densité » (Banham, 1971)
Cette approche initiale, R. Banham, la
complètera progressivement au moyen
de définitions incorporant la dimension
technologique de ces « grands complexes
multifonctionnels » qui, au-delà de leur
taille, se démarqueront par une volonté
prégnante d’agencer socialement et
spatialement des objets à la fois urbains
et architecturaux capables de muter au
gré des sursauts sociétaux :
« Très grand complexe urbain
multifonctionnel contenant de plus
petites unités éphémères adaptables à
des besoins changeants » (1975)
Ainsi selon R. Banham (1976) une
« mégastructure n’est pas seulement une
structure de grande taille, mais aussi une
structure qui est fréquemment construite
avec des unités modulaires, capable
d’une extension importante voire même
« sans limite », un cadre structurel dans
lequel de plus petites unités structurelles
(par exemple des pièces, maisons ou
même de petits bâtiments de toutes
sortes) peuvent être construites – ou
même « pluggées » ou « clippées » après
avoir été préfabriquées ailleurs, un cadre
structurel dont on escompte qu’il ait
une durée de vie plus longue que celle
des plus petites unités structurelles qu’il
pourrait supporter ».
Plus encore, comme le remarque A.
Portnoi, ces « bâtiments-infrastructures »
de grandes dimensions témoignent avant
tout d’un rapport particulier « entretenu
entre l’architecture et les infrastructures
de la ville ». L’auteur de souligner qu’à
cette époque, « l’infrastructure acquiert
dans le discours des architectes de
grandes opérations (tout comme dans
celui des projets visionnaires), un rôle
d’élément unificateur, tandis que la
forme de la ville future est conçue selon
un système de connexions. Les notions
de flux, d’échanges ou de connexions
se substituent à celle de la ville verticale
comme image de la modernité.
Les architectes de ces bâtiments,
clairement associés à la maitrise des
infrastructures de la ville, proposent, au
moyen de l’architecture, une réponse
aux problèmes de la coexistence du
transport mécanisé et du piéton, grâce
à un dispositif de gestion des flux en
coupe. D’une manière générale, la
logique de superpositions des sols vise
à associer confort environnemental et
concentration urbaine, en combinant la
ville disparue du piéton et l’univers de
la vitesse. Le dispositif de sol artificiel
est justifié par une addition productive
de relations, plutôt que par la simple
discrimination des espaces, comme c’était
le cas au début du XXème siècle. Pour les
auteurs des bâtiments-infrastructures,
ce dispositif vise à la fois l’urbanité et
l’insularité, en permettant de densifier
et de rassembler les programmes, de
complexifier les relations entre les
fonctions de la ville, tout en privilégiant
un monde de loisirs plus ou moins isolé.
[...] Aussi, ces bâtiments-infrastructures,
véritables outils de rentabilisation et
de densification de l’espace urbain,
proposent-ils des espaces publics
supplémentaires plus qu’ils ne se
substituent
aux
infrastructures
traditionnelles. »
En somme, la mégastructure se veut une
synthèse des éléments composant la ville
traditionnelle. Pensée comme un tout,
elle dispose d’une logique d’organisation
spatiale et sociale ainsi que d’une
distribution des circulations internes
spécifiques.
27
Son objet vise à interpréter puis (re)
créer la complexité de la ville dans un
projet d’ensemble construit ex nihilo. Elle
réinterprète les infrastructures (réseaux
viaires et découpages parcellaires) et
superstructures (le bâti) composant
traditionnellement et successivement la
ville au profit d’une « urbatecture » pour
reprendre le terme de J. Tribel.
Souvent pensée dès sa conception dans
une perspective organique d’évolution
(par renouvellement ou division
cellulaire), elle oublie cependant les
usages privatifs de la ville, les logiques
de division et de remembrement
parcellaire, les mutations capillaires des
tissus urbains. La mégastructure peut
évoluer mais elle nécessite pour cela
un traitement d’ampleur de la forme
que seule la puissance publique peut
impulser.
1.2 La mégastructure de l’Arlequin, une
organisation à la fois sociale et spatiale
1.2.1 La quête de la complexité
Reformuler la complexité formelle de
la ville, seule garante d’une vie sociale
potentiellement riche, tel est le credo
des concepteurs de l’Arlequin. Il suffit
d’ailleurs de visionner le reportage
réalisé par la télévision canadienne3 sur
le quartier en 1974 pour s’en convaincre.
Les premières minutes sont l’occasion
de présenter Grenoble et son contexte
territorial. Suivant une subtile alternance
de plans fixes et de scènes évocatrices
d’une dense animation, le documentaire
3
Documentaire réalisé en 1974 pour
le programme « Société nouvelle » par l’Office
National du Film du Canada. Série Urba-2.000, n°8
Grenoble, la Villeneuve. Réinventer la ville.
28
met en évidence le double processus de
sédimentation urbaine et de polarisation
des usages dans les espaces publics du
centre historique. D’un mouvement
égal, les vidéastes accompagnent le
téléspectateur vers la Villeneuve, alors
présentée
comme
l’interprétation
contemporaine de la ville constituée ; fait
marquant, le quartier nouveau s’affiche
dans la continuité d’un centre ancien
pourtant lointain géographiquement et
morphologiquement.
Tant sur le plan formel qu’architectural,
sa silhouette identifiable, enrichie par
un écrêtement et une polychromie,
constitue en effet une ligne (pour ne pas
dire muraille) de construction dense (6
à 15 niveaux sur RDC) bordant un parc
que l’on devine plus qu’on ne l’aperçoit,
offrant à chaque logement large prospect
et bonne perception du site montagneux4.
Ici, la linéarité semble répondre aux
besoins de cette « urbatecture » que J.
Tribel et G. Loiseau entendent mettre en
œuvre en combinant gestion des flux et
développement urbain, tout en mettant
en opposition la structure lourde des
logements avec celle, plus légère et
modifiable, des équipements susceptible
d’adopter des principes d’organisation et
de développement proliférants (Lucan,
2001, p.174) :
« Nous partions de l’hypothèse
qu’une structure urbanistique très
puissante devait digérer les variables
architectoniques sans qu’il soit besoin
d’imposer un cahier des charges
proprement architectural. (…)
4
D’ailleurs, parmi les qualités
architecturales susceptibles de distinguer l’Arlequin
d’autres quartiers érigés à la même époque figurent
incontestablement les cellules de logement.
Leur conception fait preuve d’innovation et de
générosité spatiale. De même, les balcons, larges,
offrent une transition et un dégagement vers les
vues lointaines, du parc à la montagne.
Notre responsabilité portait uniquement
sur la définition de l’urbatecture,
l’ensemble du quartier devant être
réalisé par les architectes des différents
promoteurs » (cité dans Lucan, 2001,
P.74)
Cette volonté de reconstituer la
complexité urbaine héritée de l’histoire,
épouse une autre prise de position,
tout aussi significative : la rupture avec
le mouvement moderne. La nouveauté
revendiquée des concepteurs se loge
dans cette quête d’une réalisation
antithétique des grands ensembles,
reprenant un à un les défauts qui les
accablent. L’on cherche alors à retrouver
les vertus de la rue, d’un espace collectif
(plutôt que public) où puissent se
développer les rencontres, la convivialité.
L’époque est en effet au retour à des
formes de continuité organique.
1.2.2 La rue, fondement de l’ « architecture urbaine »
L’objectif poursuivit par les aménageurs
est de faire de l’architecture urbaine,
c’est à dire proposer un cadre, un
support de relations sociales et non
une simple accumulation d’espaces
aux seules propriétés et enveloppes
fonctionnelles. A l’objet architectural,
les concepteurs disent préférer les lieux
publics, les liaisons, les relations entre
objets. H. Ciriani, membre de l’AUA
chargé de représenter l’espace de la rue,
exprimera d’ailleurs les objectifs fixés de
la manière suivante :
Ainsi, le projet articule-t-il quelques lignes
forces qui dicteront la réalisation du
quartier :
- la création d’un lieu public volontaire
et dense (la rue de piétons sous
immeuble) ;
- la libération d’un vaste espace libre
cohérent de 120 ha ;
l’étroite
équipement ;
relation
logement-
- les réserves et les attentes pour
l’avenir ;
- les solutions techniques évoluées
(télédistribution, ramassage éolien
des ordures)
Figures 8. La galerie piétonne et les
espaces publics de l’Arlequin
8a) Quelques planches de l’Architecture
d’Aujourd’hui
(Source
:
Architecture
d’Aujourd’hui, 1974, n°174, p. 26-27)
« Prévoir le support, le cadre physique
[…] pour permettre l’animation d’une
rue, lieu urbain linéaire, prévoir sans
trop décider ; diriger ou informer sans
trop contraindre ; imaginer sans trop
concevoir » (cité dans Lucan, 2001, p.176)
29
30
8b) Les croquis d’H. Ciriani (Source : Grenoble,
Echirolles, ville neuve, plaquette dressée par
la SADI et l’AUA en 1978)
Objet d’un numéro spécial de l’Architecture
d’Aujourd’hui, l’Arlequin est analysé sous toutes
ses coutures. C’est plus particulièrement les
espaces publics qui sont décryptés. Par ailleurs, les
illustrations d’H. Ciriani, particulièrement soignées
et renseignées viennent rendre imaginable l’utopie
que livre l’AUA.
31
La galerie et l’ensemble des espaces publics
supportent le système et propose une échelle
intermédiaire, celle du voisinage (entre la ville
et logement). Ce système de distribution doit
favoriser la vie sociale :
32
les équipements sont intégrés ; la
convergence des flux est organisée pour
créer des occasions de rencontre ; tout y est
concentré : hall d’entrée, boite au lettre, parc,
équipements, parking,...
Mais la mégastructure rencontre
assez tôt un certain nombre de
dysfonctionnements. Des auteurs comme
P. Belli-Riz (2006) soulignent que ceux-là
apparaissent dès la construction du site et
concernent directement les fondements
de l’architecture urbaine promue :
- La continuité de la galerie sous les
immeubles qui montrent rapidement
ses limites. Seules quelques enfilades
demeurent dégagées, la plupart des
autres séquences ne constituant qu’un
labyrinthe de poteaux et de voiles en
béton ponctué de coins et recoins. Par
ailleurs, la fonction économique qui
vient justifier le système linéaire est
rapidement frappée d’obsolescence suite
à l’implantation du centre commercial :
Pierre Mignotte : « L’idée c’était cet espèce
de cordon ombilical où il devait y avoir
de part et d’autre des équipements qui
devaient se greffer. [...] Cela ne s’est pas
fait pour des tas de raisons. En particulier
à cause de la contradiction flagrante
qu’est Grand’Place. Du moment qu’on
met Grand’Place, il n’y a aucune raison
pour que les gens restent dans le quartier.
Du coup, la longueur de la rue piétonne
n’a plus de sens pour des commerces
de quartier. Si on devait refaire ça
aujourd’hui, il est probable que la plupart
des immeubles – quitte à avoir quelques
étages de moins – seraient construits
jusqu’au sol. [...] Du coup, la Ville a greffé
le centre social en disant, on occupe un
peu l’espace et la rue piétonne est devenu
un espèce de machin filiforme avec un
trou de chaque côté. H .Ciriani, qui était
un des grands architectes qui a travaillé
sur la rue piétonne, est venu faire un jour
une conférence à l’Ecole d’architecture et
je lui ai posé la question : « qu’est-ce que
tu penses de ta rue ? ». Il m’a répondu
avec son accent péruvien : « une rue c’est
deux façades et un trou et pas un toit et
deux trous ». Lui-même reconnaissait
32
que la rue piétonne ne fonctionnait pas
vraiment. Elle aurait pu fonctionner sur
un petit morceau mais sur l’ensemble,
ça n’a pas de sens. » (Séminaire du 10
février 2010)
L’originalité du système géométrique
qui, en s’écartant du mode de repérage
cardinal
traditionnel,
accentue
l’autonomie du quartier, son isolement,
et la difficulté, même pour les gens
familiers des lieux, de s’y retrouver.
Cette difficulté d’accès aux logements
depuis l’espace public sera d’ailleurs
largement soulignée à l’occasion du
séminaire réunissant concepteurs d’hier
et d’aujourd’hui :
Pierre Mignotte : « Je ne sais pas s’il y a en
France un morceau de ville qui est d’une
taille pareil et qui n’est pas traversé par
des rues transversales, même pour des
points de vue de sécurité, d’entretien et
autre. Ça pose des problèmes particuliers
le plan de la Villeneuve, il est fermé sur
lui-même. Quand on est à pied c’est
bien, mais demandez à un médecin qui
n’est pas de la Villeneuve d’intervenir à
l’appartement 8-5-06 de l’arlequin, et
bien il n’est pas arrivé. »
- Anne Lacaton : « c’est un problème de
signalétique. »
- Laure Favier : « Je ne suis pas sur que ce
ne soit qu’un problème de signalétique.
On a l’impression qu’à la Villeneuve elle
vient comme une sorte de remplacement
de quelque chose qui n’est pas abouti
qui est la relation à la ville. Comme cette
relation à la ville ne fonctionne pas, on
sur signalise, parce que c’est la relation
entre la galerie et la rue. » (séminaire du
10 février 2010).
De même, le principe qui concourt
à penser l’organisation spatiale et
la distribution des flux sur le mode
33
de la coupe rend, certes, possible la
concentration de la densité résidentielle
au-dessus de la galerie en libérant le
sol de manière significative, mais « c’est
au prix d’une impression de densité
élevée » (Belli-Riz, 2006, p. 214) quand
bien même, la densité objective de
l’Arlequin demeure modérée (environ
100 logements à l’hectare, parc compris).
Aussi, atteint-on ici « les limites des
procédés de la composition dite ouverte,
le gigantisme et la concentration
des constructions provoquent une
perception subjective de la densité qui
est sans rapport avec sa mesure réelle.
Le paradoxe de l’espace libre est que, de
34
partout, on verra forcément l’immense
muraille bâtie: l’omniprésence visuelle
du béton semble contredire tous les
efforts de libération du sol. » (Ibid.).
Figures 9. L’Arlequin en coupe
9a) Les différentes configurations de rapport
entre sol, rue, logements et coursives (Source :
Villeneuve de Grenoble Échirolles objectifs et
réalisation 1961-1977 (1977). Rapport dressé
par JF Parent en 1977 et la SADI, à destination
du conseil municipal)
9b) De la maternelle au parc (Source :
Grenoble, Echirolles, ville neuve, plaquette
dressée par la SADI et l’AUA en 1978)
Interviewé en 2006 sur le quartier de
l’Arlequin, M. Corajoud exprime l’échec
de ce mode de distribution des espaces
et plus particulièrement celui de la
galerie, incapable de reformuler la rue
comme support de l’altérité :
contentieux inextricables : la limite entre
le privé et le public est rarement claire, et
les espaces qui relèvent de l’entre-deux
sont nombreux (coursives, halls d’entrée,
accès aux ascenseurs, halls des boîtes
aux lettres, etc.) »
« La rue intérieure de Grenoble, c’était
dans l’imaginaire, et l’on a bien vu son
échec dans la réalité. Nous avons fait une
rue, certes, mais là où nous nous sommes
trompés, c’est que nous avons voulu la
mettre en dessous des immeubles. Et
lorsque l’on s’y promène, la nuit, on y est
tout seul, alors que l’on a cinq ou six mille
logements au-dessus de la tête et que
personne ne peut nous voir. Le fait d’avoir
réinventé la rue pour la placer autrement
était une erreur. De part et d’autre de
la rue ancienne, il y a mille fenêtres
où, parfois, des gens vous regardent
et peuvent porter secours en cas de
danger ; à Grenoble, la superposition
rend cette civilité impossible » (Corajoud,
2006, p.253)
Et l’auteur de conclure : « Les tentatives
pour créer des parties communes à des
groupes d’habitants de taille plus réduite
restent peu concluantes: l’organisation
spatiale est effectivement trop originale
pour se plier aux recettes de la
«résidentialisation» » (Belli-Riz, 2006, p.
221)
1.2.3 La confusion du statut des espaces
Par ailleurs, la confusion des statuts des
espaces, loin d’assurer les transitions
nécessaires au bon fonctionnement
de la ville, vient, sous couvert de
complexité, figer une forme sur laquelle
il paraît parfois difficile d’envisager
des transformations ponctuelles qui
s’opérerait progressivement, au gré
d’initiatives sporadiques, dans le cadre
du réseau viaire, de la trame parcellaire
existante et des terrains peu valorisés
disponibles :
« Privés, privatifs, collectifs, semi-publics,
ou vraiment publics ? L’intégration
a ici produit une interdépendance
qui empêche toute initiative, tout
changement. La complexité n’est plus une
richesse, mais une source de malentendus
sans fin, de renvois de responsabilité, de
Point de « banalisation » possible –
pourrait-on dire – pour cet ensemble
dont le découpage foncier interdit à
bien des égards une mutation capillaire
qui viendrait se loger dans les interstices
libérés au cours du temps. D’une certaine
manière, l’évolution de l’Arlequin semble
faire appel à une mécanique relativement
similaire à celle qui l’a vue naître :
une intervention publique volontaire
se traduisant par des changements
d’affectation, un nouveau tracé des voies
et un redécoupage foncier.
1.3 L’Arlequin depuis ses franges
1.3.1 Côté vert : un monument posé sur le territoire
L’Arlequin est un objet posé sur le
territoire. Engoncé par la ville, la
mégastructure paraît repliée sur ellemême. C’est un monument qui vient
ponctuer la périphérie grenobloise bien
plus qu’elle ne l’organise.
A l’instar de J.-L. Cohen, nous constatons
que « la monumentalité latente dans la
séquence des mégastructures » résulte
d’ « un compromis instable entre recherche
de complexité tissulaire et recherche
d’autonomie par rapport au paysage ».
35
A cet égard, les réflexions de M. Corajoud
sont éclairantes. Dans l’un de ses textes,
ce dernier rend compte avec clarté du
processus par lequel, il parvint à faire du
parc le prolongement, l’ « avant-corps »
du projet architectural.
En définitive, la principale caractéristique
de la Villeneuve est précisément d’être
nouvelle. En s’imposant d’un seul tenant
à son territoire d’élection, elle aura laisser
de côté les traces qui lui préexistaient,
comme autant de témoignages d’un
« avant » incompatible avec la singularité
du monument :
« Entre 1970 et 1971, moment où je
dessinais le parc de la Villeneuve de
Grenoble, j’étais fasciné par les paysages
ruraux, par les campagnes anciennes
où l’arpentage et le travail des champs
restent soumis aux contingences d’un
pays. […]
Je voulais […] que le projet du parc
transfère, d’une manière ou d’une autre,
sur cet espace laissé libre de toutes
constructions, certains signes et figures
capables de témoigner de l’attachement
que j’ai, bien que citadin de longue date,
pour mon histoire paysanne. Je voulais
aussi rompre avec les modèles de mes
aînés paysagistes qui n’aimaient pas
l’urbain ou du moins qui ne savaient
rien de l’architecture et qui cependant
acceptaient que leurs projets, inspirés
de l’idée de «Nature», occupent l’espace
de la ville par les formes contournées et
molles de son démenti.
36
façonne la campagne. La géométrie n’est
pas, sur le parc, le tracé qui coordonne
le rustique et l’accidentel, c’était, du
moins je le pensais, la structure même
du site d’origine, son substrat. L’espace,
en effet, était déjà plein des lignes qui
vont et viennent de l’ombre épaisse des
bâtiments, il était lourd des traits de la
ville. Je devais donc laisser s’exprimer
l’architecture bien au-delà des pans qui
la ferment. […]
Mais, à l’endroit du parc où s’épuise
l’influence des bâtiments, au-delà
des ombres portées, le sol allégé se
gonfle et se soulève; Il déforme par des
bombements chaque trait de la résille
d’origine. C’est donc la géographie qui est
ici importée, une géographie tendue par
le champ urbain. […]
En travaillant ainsi l’espace du parc je ne
voulais pas qu’il entre en dissidence avec
la ville mais qu’au contraire, il en soit son
avant-corps.
Les «Espaces-Verts», qu’ils imaginaient
comme une des formes de la rédemption
de la ville moderne, ont de fait toujours
contribué à la violence du paysage des
banlieues. […]
Pour montrer ce qui m’intéresse
aujourd’hui, je dois nécessairement faire
la critique de ce parc. […] Je considère […]
que la manière dont je l’ai transposée [la
campagne] sur le site de Grenoble, relève
de la création ex-nihilo, c’est-à-dire d’un
système de projet qui considère le sol
où il s’installe comme une page blanche.
À cette époque, l’idée de nouveauté
l’emportait sur tout autre critère, ce
qui explique pourquoi on a nommé ce
quartier «la Villeneuve». Or, ce terrain
avait une histoire dont il portait les
indices visibles (les anciennes pistes
d’un aéroport, les limites de parcelles
de jardins ouvriers etc...) et je dois
reconnaître que mon projet a largement
contribué à l’effacement de ce réseau de
signe.
C’est donc le rapport d’une géographie
et d’une géométrie qui préside à la
conception de ce parc, mais ce rapport
est ici dans un ordre inverse de celui qui
Je sais donc aujourd’hui, que j’ai trahi la
notion que je prétendais défendre, celle
de l’antériorité du site, de la contingence
et de la circonstance.
Certes le parc de la Villeneuve parle du
rapport de la ville et de la campagne,
mais il en parle en termes généraux,
c’est un projet emblématique. Or, j’ai
appris depuis que le paysage résiste aux
généralités. […]
Mes projets d’aujourd’hui sont toujours
tendus par les mêmes aspirations mais
ils sont plus attentifs aux lieux où ils
s’installent. Je cherche un prolongement
plus qu’une transformation. Pour
maîtriser l’espace il n’est pas nécessaire
de rompre avec le temps » (Corajoud,
1980).
protection dont bénéficie le côté parc,
le côté vert, c’est évidemment le côté
opposé: le côté parking, le côté noir. La
face ouest de l’Arlequin rassemble ainsi
tous les espaces dits de service: accès
automobiles, parkings au sol et en silos
aériens. Tout cet espace concentre les
nécessités techniques ». L’auteur de
rajouter, « la mégastructure semble
avoir été pensée à partir du sommet, de
sa silhouette supérieure, pour habiter
surtout sur la ligne de crête: décidément,
la malédiction du rapport au sol
semble caractéristique des architectes
modernistes du XXème siècle... » (Belli-Riz,
2006, p. 213)
1.3.2 Côté noir : une muraille entourée de son glacis
Le mode distribution verticale adopté
dans le projet de l’Arlequin viendra
à terme cliver la mégastructure qui,
rattrapée par l’urbanisation de sa frange
occidentale, offre désormais deux
visages :
- un côté parc plaisant et arboré, véritable
temple du loisir et sanctuaire végétal sur
lequel viendront s’échouer les velléités
de transformations de la Villeneuve ;
auquel s’oppose
- un côté parking, bordé de voiries et de
silos à voitures, initialement nécessaires
pour libérer le sol des parkings et justifiés
par cette « préoccupation de souligner
fortement la fonction utilitaire du
paysage » (Joly et Parent, 1988, p. 35).
Paradoxalement, le flan ouest de
l’Arlequin, espace dans le pourtour
et au sein duquel auront été rejetés
les dispositifs techniques nuisibles
à la quiétude du côté parc, assure
également l’accès depuis l’extérieur de la
mégastructure s’offrant comme l’abrupte
façade d’un grand ensemble isolé au
regard du reste de la ville. Constat qu’il
nous faut désormais interroger au prisme
de l’histoire et de la mémoire, objet de la
section suivante.
Il est vrai qu’à l’origine les silos assuraient
une double fonction de repérage et de
signalisation de la rue piétonnière, et
constituaient des volumes de transition
entre le sol et la paroi verticale des
logements, accueillants dans certains
cas des équipements comme des écoles
maternelles (aujourd’hui fermées). A y
regarder de plus près, la réalité est tout
autre. Comme l’indique P. Belli-Riz, « en
plan, la contrepartie du calme et de la
37
2. L’Arlequin est-il parvenu à « réinventer la
ville »5 ?
Le séminaire ainsi que les parcours
organisés le 10 février 2010 auront
été l’occasion de croiser nombre
d’observations in situ avec des réflexions
à la fois introspectives et prospectives
riches d’enseignements sur le devenir
de l’Arlequin. Trois constats se dressent
quant au bilan de la figure de la
mégastructure :
- son échec à proliférer en raison d’une
maille qui l’engonce,
- sa transformation progressive en un
« grand ensemble »
- et l’émergence de pistes de projet
pour l’Arlequin en partant de la marge.
Figure 10. Moments des parcours et du
séminaire du 10 février 2010 (Source :
Jean-Michel Roux - Février 2010)
5
Nous empruntons délibérément
l’expression au documentaire canadien cité plus en
amont.
38
2.1.
La
non-prolifération
de
l’Arlequin
2.1.1. Un « déjà là » qui encadre la croissance
Comme nous avons pu le voir
précédemment, lorsqu’est décidé la mise
en œuvre du programme de la ZUP, le site
à construire est déjà occupé (aérodrome,
fermes, casernes). S’il s’efface pour
faire « table rase » (« c’était un terrain
d’aviation, les architectes travaillaient
comme sur du velours, c’était vierge »
dira Franz Charmettant, séminaire
du 10 février 2010), plans et projets
d’urbanisme alentours – pas encore
réalisés ou votés comme le Plan Bernard,
la construction d’une centre commercial
(le future Grand’Place) et les opérations
de La Bruyère ou des Résidences 2000
– orientent dès le début la croissance
urbaine et constituent des bornes et des
axes de croissance significatifs.
La mégastructure de l’Arlequin n’organise
pas le territoire mais y prend place, plus
modestement. La faute à un simple
tracé de composition urbaine ? Si le plan
Bernard est abandonné définitivement
en 1966, il est pourtant déterminant
dans le tracé des grandes mailles du
territoire sud-grenoblois qu’il faut bien
se résoudre à faire dans l’urgence des
Jeux Olympiques. Cette maille de grandes
voies autoroutières structure le grand
territoire et offre aux projets d’urbanisme
ultérieurs une assiette de projet dont
il est impossible de s’affranchir et qu’il
reste difficile à franchir.
« On était partie quand même des
données de la ville : la marche vers le
Sud, le franchissement de la voie 24 [n.b.
l’actuel cours de l’Europe]. On avait fait
des schémas de positionnement des
logements qui étaient demandés au
programme, des places que ça occupait,
de la place de la voiture – très important
– des voies qui existaient, de celles qui
éventuellement, il fallait créer.
Donc on a fait des schémas comme ça.
Le problème c’était le raccordement au
centre-ville qui était marqué par la rue
La Bruyère. L’objectif était évidemment
de relier par transport public et par des
circulations voiture faciles vers le centreville. L’avenue La Bruyère était considérée
comme « existant qui était pérenne ». De
l’autre côté, c’était beaucoup moins clair
parce qu’il n’y avait pas ce tracé de la rue
qui s’appelle Dodero maintenant. Voilà,
c’était le cadre dans lequel on devait
travailler ». Jean Tribel (séminaire du 10
février 2010)
- Anne Lacaton : « Tout le plan Grenoble
Sud est fait avec des grands boulevards.
Il y a juste un décalage avec la Villeneuve
entre M. Reynoard et M. Berthelot
alors : est-ce une volonté d’avoir fait en
sorte que la Villeneuve soit au bout de
Berthelot et décalée de Reynoard ou estce un accident ? »
- Gilles Novarina : « Le plan Bernard
prévoyait des avenues parallèles mais
ça a été effacé pour faire la Villeneuve »
(séminaire du 10 février 2010)
Point besoin d’un «traité de nonprolifération»,
un
simple
tracé
d’ingénieur issu d’un plan jamais voté a
ainsi raison des ambitions proliférantes
de la mégastructure.
Par ailleurs, l’Arlequin se heurte à des
fragments voisins eux aussi régis par des
principes d’organisation distincts, comme
par exemple le Village Olympique de M.
Novarina qui interdit toute expansion à
l’ouest, au delà de l’avenue M. Reynoard,
legs tardif du plan Bernard. Au nord,
la résidence privée La Bruyère, qui se
caractérise par des barres d’immeubles et
le groupement d’habitats intermédiaires,
les Résidences 2000, fixe également les
limites septentrionales du quartier. Il
y a proximité spatiale mais pas sociale
tel que le souligne malicieusement
un ancien concepteur de l’Arlequin,
« j’habite [encore] le quartier mais je vais
vous faire des confidences. J’habite le
Neuilly de la Villeneuve : les résidences
2000 » (séminaire du 10 février 2010).
« On avait aussi décidé d’une zone de
transition avec La Bruyère qui était déjà
commencé. Il y avait une opération qui
avait été déjà réalisée par Maurice Blanc
[n.b. un promoteur immobilier] et une
partie de logements dit « intermédiaire »
avec un prototype de maisons
individuelles superposées. C’était une
grande mode : on en avait fait aussi
dans la région parisienne ». Jean Tribel
(séminaire du 10 février 2010)
De fait, au nord, la transition se fait
par une passerelle piétonne qui
vient enjamber la rue ; héritage de la
ségrégation des mobilités mécaniques
et biologiques, aujourd’hui remise en
question par la reconquête du « sol » de
la ville.
Mais c’est tout particulièrement le centre
commercial au sud constituant à la fois
une forme architecturale et urbaine
résistante et un projet économique
et social efficace qui représente une
rupture entre l’Arlequin et les quartiers
d’Échirolles.
39
« Il est vrai qu’il y avait un élément
de rupture important en plus de cette
voie [la voie 24] c’était la création d’un
centre commercial. La position du centre
commercial était déjà fixée. Ça se jouait
aussi avec Échirolles car les deux équipes
d’architectes travaillaient ensemble
[...]. On avait essayer de faire, dans les
propositions initiales, traverser la voie
24. Cette hypothèse a été testée mais
considérée comme trop onéreuse au
niveau de la réalisation et avec des fortes
réticences des commerçants. Cela a été
une discussion importante. On a eu des
projets avec une nappe de commerces
qui franchissaient la voie pour relier les
deux parties de l’opération qui aurait été,
non pas jusqu’à des plans d’exécutions,
mais des plans assez poussés. On a dû
renoncer et la municipalité a choisi
l’hypothèse où on faisait un programme
qui se découpait en deux grands
morceaux principaux : la partie Est et
la partie Ouest avec un grand espace
public, que souhaitait le maire, entre les
deux. [...]
1980, l’occasion de profiter d’une telle
infrastructure pour assurer la suture
qui fait défaut est tout simplement
écartée faute de réflexion à l’échelle
urbaine. Une fois de plus, un tracé
d’ingénieur contribue au containment
de la Villeneuve. Ce qui n’est pas sans
poser question : un modèle urbain visant
à l’expansion peut-il être introverti ?
Une citadelle inexpugnable ne crée pas
de la ville (cf. les châteaux cathares).
Cela résiste longtemps, très longtemps,
puis cela tombe. C’est plus une colonie,
un établissement humain ex-situ et qui
entretient un dialogue asymétrique
avec ce qui l’entoure. Une colonie ne
prolifère pas, elle ne s’étend que par la
création d’une autre colonie, plus loin,
sur le même modèle. C’est un type de
croissance discontinue si nous reprenons
le vocabulaire des morphologues.
Les grandes données c’était ça. Le partage
du territoire c’était l’espace central - sur
la demande du maire - et deux quartiers
parallèles nord/sud qui se rencontraient
au franchissement de la grande voie,
sachant qu’effectivement, il n’était pas
économiquement possible d’avoir un
franchissement plus large. C’est là-dessus
qu’on est partie. ». Jean Tribel (séminaire
du 10 février 2010)
« Les promoteurs privés n’avaient
pas accepté d’être mitoyens avec les
opérations sociales de logement. C’était
absolument clair. Les maîtres d’ouvrage
de logements en copropriétés étaient
convaincus qu’ils ne trouveraient pas
leur clientèle s’il y avait des proximités
avec des logements sociaux. Cela a
été un point de départ radical qui a
entraîné après des conséquences très
importantes ; et le maire a dû trouver des
promoteurs sociaux pour faire ces 800900 logements ». Jean Tribel (séminaire
du 10 février 2010)
2.1.2. L’Arlequin porte en elle les ferments de sa non
prolifération
Dans son pourtour, l’Arlequin peine
à franchir son propre glacis (silos,
nappe de parkings, voirie). En effet,
la mégastructure porte en elle les
ferments de sa non-prolifération.
Même lorsqu’arrive la première ligne
de tramway au milieu des années
40
Très tôt, le modèle se fissure. Il n’entraîne
pas l’adhésion des promoteurs locaux qui
refusent prudemment le projet qu’on
leur propose.
L’Arlequin est donc une opération portée
par les secteurs public et para-public.
Conséquences immédiates : l’objet gagne
en hauteur et en densité pour équilibrer
son budget.
« Les privés ont refusé de venir, donc ils
ont regroupé les immeubles qui étaient
prévus au niveau des résidences 2000
pour les mettre dessus, ce qui fait qu’on a
quinze étages au lieu de neuf à l’origine »
Claude Fourmy (Parcours commenté
Crique Centrale, 10 février 2010)
Le manque d’argent oblige également à
réduire le nombre d’ascenseurs :
« Il y avait plus d’ascenseurs prévus mais
ça ne s’est pas fait pour des raisons de
prix. C’est M. Chalandon qui avait fixé
un prix plafond pour faire les HLM. Et
les prix plafond de la Villeneuve sont 5%
plus bas que ceux du Village Olympique
qui était fait 4-5ans avant. Pour faire
des économies ils ont été amenée à
supprimer certaines prestations, et
en particulier les ascenseurs ». Pierre
Mignotte (Parcours commenté Crique
Nord, 10 février 2010)
Ce qui prolifère, un temps tout du
moins, et avec une certaine efficacité,
c’est le système de déplacement piéton
déconnecté du sol et indifférents au statut
foncier. Il est possible de franchir toute la
périphérie sud de la ville de Grand’Place
au Cargo (maison de la culture) à pied et
au-dessus du sol jusqu’aux années 2000.
L’Arlequin ne peut pas « proliférer »
librement au-delà de sa maille d’origine
si ce n’est via des passerelles piétonnes
qui sont pensées comme une possibilité
de proliférer mais seront en vérité que
des éléments de connexions aériennes
entre des opérations d’habitats ou
d’équipements de natures complètement
différentes.
2.2. La mégastructure de l’Arlequin, un grand
ensemble pas comme les autres ?
Au cours des trente dernières années, la
réglementation, les modes de vie ainsi
40
que l’action politique de la Ville et des
bailleurs ont peu à peu déconstruit la
structure globale de la mégastructure,
rendant caduque le projet social et
spatial d’origine. La mégastructure
fut ainsi conçue que chacun de ses
éléments paraissait indispensable au
bon fonctionnement du tout. L’Arlequin
apparaît dès sa genèse comme un
programme novateur sur le plan social,
plus encore que dans sa dimension
urbaine. L’innovation venait en grande
partie des ambitions socioéducatives que
l’évolution des normes viendra tarir.
- Pierre Mignotte : « Je vais essayer
de faire la liste des domaines dans
lesquels il y a eu expérimentation. Il y
avait la volonté urbanistique, la volonté
juridique, l’aspect éducatif et social
avec les écoles expérimentales. Il y avait
aussi l’architecturale car il y avait des
dérogations sur la cellule et même sur
la hauteur sous plafond éventuellement.
L’aspect médical : il s’est créé une maison
médicale à la Villeneuve, c’était une des
premières de France. La collecte éolienne,
le transport par télérail... le centre Grand
place était municipal ! »
- Charles Fourrey : « C’est vrai qu’il y a eu la
volonté politique et la volonté d’une équipe
qui était là pour pousser et ça avançait, ça
allait vite, peut-être trop vite. »
- Pierre Mignotte : « Toutes sortes de
critiques apparaissaient. Il y avait des
critiques sur le parc… »
- Jean Tribel : « Il n’était pas bon de faire
des critiques ! »
- Pierre Mignotte « Non il ne fallait
pas en faire, ce n’était pas possible car
c’était très mal vu et la vitesse à laquelle
travaillait l’équipe, elle pouvait entendre
une critique, éventuellement la prendre
en compte une fois sur cent et surtout
continuer à bosser ».
Séminaire du 10 février 2010
41
Force est de constater que nombres
d’expérimentations
originelles
ont
progressivement disparu. C’est le cas,
par exemple, des écoles, construites sur
les toits des silos avant de redescendre
au sol, reléguant ces derniers à leur
seule fonction de stockage des véhicules
là où ils assuraient un rôle structurant
d’interface sociale et dans la signalétique
de la mégastructure.
Il en va de même pour les salons d’étage.
L’évolution des modes de vie impacteront
bientôt l’architecture, rendant inopérant
ces m2 sociaux qui ponctuaient les
coursives :
- Charles Fourrey : « Je me rappelle, [...]
on a vu effectivement les salons d’étages
se rétrécir avec le reste ».
- Franz Charmettant : « Pour des problèmes
de sécurité. Je crois qu’ils en ont fermé
parce que des gens s’installaient. »
- Pierre Mignotte : « Il y avait ce qu’on
appelle les m² sociaux. Quand on
construisait des logements HLM à
l’époque, il y avait un pourcentage de m²
à usage social. Les m² sociaux sont restés.
Au début, les gens s’en servaient comme
des locaux puis, progressivement, ils ont
servi à des squattes. C’était un peu une
utopie administrative. » (séminaire du 10
février 2010)
Enfin, le peuplement de l’Arlequin va
évoluer avec le départ des « pionniers »
remplacés par des populations ne
partageant pas ce désir d’expérimenter
su prégnant. Le quartier se mue
progressivement en un quartier d’habitat
social de plus en plus stigmatisé :
« N’oubliez pas que les véritables
logements sociaux de Grenoble sont
ici : A l’Arlequin, à Mistral. Ils étaient à
Teisseire mais maintenant que les loyers
ont été augmentés, ils le sont un peu
42
moins. Aujourd’hui quand on construit
des HLM, le maximum du prix des loyers
c’est du social mais pas encore du très
social. Ce sont les anciens « grands
ensembles » qu’on ne fait plus qui sont
les logements sociaux de Grenoble. [...]
J’ai vécu pendant deux ans à l’Arlequin :
j’avais une poignée de porte qui n’était
jamais fermé, nuit et jour, même quand
on était pas là. On a jamais été visité
et progressivement ça a basculé. [...]
Progressivement l’utopie s’est éloignée.
A un moment donné, j’ai enlevé la
poignée qu’il y avait sur ma porte et j’ai
fermé à clé. » Parcours commenté Crique
Nord, 10 février 2010
D’ailleurs, l’évolution des stratégies
politiques de la municipalité et des
bailleurs ne fera que renforcer ce
phénomène :
« Au début c’était très bobo avant
l’heure. Pour les jeunes, les intellectuels,
les professeurs c’était attractif. De 1972
à 1980 c’était un quartier formidable
et puis petit à petit tous les gens qui
habitaient sur les terrasses ont migré sur
les résidences 2000 et sont partis ailleurs.
On a souvent casé ici beaucoup de
familles à problèmes et puis le problème
des grands ensembles c’est qu’ils sont
très bien les premières années et au
bout d’une dizaine d’années... C’est pas
un problème de statistiques, avec l’âge,
les cités deviennent problématiques. »
Parcours commenté Crique Centrale, 10
février 2010
En dehors du programme social, c’est
un « grand ensemble » assez classique
avec à la marge la voiture immobile, les
services dont on ne veut pas comme les
parkings, les ateliers, les usines, et des
enclaves résidentielles de standing qui
cherchent à se singulariser et se mettre
à l’écart.
L’implantation du tramway dans les
années 1980 apparaît pour nombres de
participants au séminaire comme une
occasion manquée de repenser l’Arlequin.
Le tramway et son infrastructure ont
été « déposés » à la marge du quartier
sans penser le lien urbain potentiel.
Pour certains, comme J. Tribel, on a
alors raté l’occasion de renouveler le
quartier en faisant passer le tram à
travers le parc. Simplicité de la logique
du tracé technique et/ou résultante de
l’opposition farouche des défenseurs du
parc, on joue alors la carte du « grand
ensemble » introverti alors que le tracé
fait exactement l’inverse dans le centreville.
A l’échelle du bâti, l’Arlequin ne
réinvente rien en terme d’urbanité.
L’échec de la galerie à devenir un axe
urbain structurant, une sorte de rambla
ou d’avenue couverte mais une voie
de desserte semi-privée de logements
et d’équipements. Ne reste que le
vocabulaire de la rue mais pas les usages.
La multiplication des équipements
et commerces en pied de galerie a
progressivement renforcée les problèmes
de connections ouest-est, entre autres
parce que ces équipements ne sont
traversables que pendant la journée. A
la dynamique de développement NordSud se substitue une problématique de
déplacement ouest-est.
Au demeurant, selon F. Huillard,
l’Arlequin n’est pas un grand ensemble
comme les autres car il démontre une
forme de résistance au mouvement
actuel de cloisonnement des grands
ensembles en mettant en avant l’idée
que tout s’articule :
« Il faut déconstruire un certain nombre
d’idées reçues pour commencer à
construire l’évolution de l’Arlequin. On
est pas vraiment sur un grand ensemble,
il est de deuxième génération… C’est
aussi ça la difficulté dans les amalgames
qu’on peut faire entre une production
massive de grands ensembles et de cités
et cette opération-là qui est tout à fait
unique.
C’est intéressant parce qu’il démontre
une certaine forme de résistance par
rapport à un mouvement qu’on sent
de plus en plus prégnant qui est plutôt
celui du cloisonnement. L’Arlequin
met en avant cette idée que les choses
s’articulent toutes les unes avec les autres
c’est-à-dire construisent des interactions
en permanence et ça, visiblement, la
société n’apprécie pas beaucoup, elle
préfère sectoriser et re-cloisonner. Il faut
que le politique comprenne... ce qui n’est
pas encore tout à fait évident ». Frank
Huillard, Parcours commenté Crique
Centrale, 10 février 2010
Le paradoxe est au final que nous
sommes face à un objet architectural de
grande échelle mais qui produit un objet
urbain qui fonctionne à petite échelle. 10
000 habitants y vivent, soit autant que
dans une petite préfecture, mais c’est
une vie de quartier grenoblois. Le parc
de M. Corajoud n’est pas un équipement
d’agglomération mais un immense «
square de quartier ».
43
3. Les projets en cours se saisissent-ils de
cette figure ?
La Villeneuve se voulait un nouveau
centre, le deuxième de Grenoble mais
demeure un quartier d’habitat dont le
mode de fonctionnement n’interfère que
très peu avec l’échelle métropolitaine.
A défaut d’agir comme un centre, elle
constitue une véritable centralité.
A ce titre, la marge de l’Arlequin,
longtemps réceptacle de tout ce qu’on
ne souhaitait pas avoir en son sein (la
voirie de l’automobile et du tram, les
parkings et silos à voitures, les activités
économiques, etc.) peut redevenir un
enjeu de projets afin de retisser les liens
entre l’Arlequin et les quartiers riverains.
A l’issue d’un marché de définition établi
en 2008, c’est le groupement INterland,
(composé principalement des équipes
INterland, Lacaton-Vassal et BazarUrbain)
qui, au côtés de l’atelier de Y. Lion,
architecte conseil mandaté par la Ville
pour les études du secteur Sud, obtient
le projet de réhabilitation des logements
de l’Arlequin. Courant 2010, suite à des
conflits entre la ville et les mandataires
de l’étude, l’atelier Lion reprendra le
projet. Dans le cadre de ce rapport, seul
les travaux d’INterland seront pris en
considération.
3.1. La question de la fin de l’Arlequin
Le point de départ du projet du
groupement est le constat que la
stigmatisation généralisée des « grands
ensembles » produit une réponse
générique catastrophique : démolir pour
reconstruire. La réponse du groupement,
est alors tout aussi générique : ne rien
démolir, ou tout du moins, faire le moins
possible violence à l’existant : « Pour nous
c’est lié à un travail que l’on fait depuis
5, 6 ans relatif aux grands ensembles et
44
aux banlieues et à une alternative à la
démolition puisque aujourd’hui, il y a
clairement l’idée que c’est un échec dans
beaucoup de cas. [...] C’est pour ça qu’il
faut être vigilent sur la moindre petite
chose que l’on démolit : avoir cassé des
passerelles, ce n’est pas bon. Il y a des
situations sociales difficiles et je crois que
tout ce qui est de l’ordre d’une certaine
violence ne fait foncièrement pas
améliorer les choses. Il faut réinventer
à partir de l’existant. C’est ça qui nous
semble intéressant. Tout est fragile. En 20
ans, on a jamais coupé un arbre dans nos
projets et, de la même façon, on n’a pas
envie de casser la moindre passerelle,
d’abîmer le moindre rosier, de bousculer,
de déranger la moindre famille.
Cela interroge de manière générale
l’urbanisme parce qu’il est différent : on
n’est plus dans un urbanisme de terrain
vierge ou de tabula rasa. Dubaï c’est
dépassé. Aujourd’hui on est dans de
l’existant à fignoler. C’est pour ça que
les maquettes nous servent à constater
des choses mais l’essentiel c’est d’être
sur place, dans la réalité des espaces et
d’être extrêmement précis. Être attentif
aux gens, aux discours, aux débats, à
leur opinions et être d’une extrême
gentillesse. » Jean-Philippe Vassal
(Parcours commenté Crique Centrale, 10
février 2010)
Si le groupement ne mentionne pas
la mégastructure en tant que telle, il
postule qu’il faut considérer l’Arlequin
comme un tout, un « ensemble global ».
Le groupement propose de finir l’Arlequin,
de le compléter, le densifier plutôt que
de continuer à le démonter morceau par
morceau. Il y a une dénonciation très
claire de la politique engagée depuis des
années qui consiste à altérer le projet
initial et lui faire perdre sens, perdre
face :
« Il y a des choses exceptionnelles
dans ce quartier. On s’aperçoit que,
depuis une dizaine d’années, par petits
bouts, il y a des problèmes qu’on ne
sait pas résoudre et qui amènent de
très légères modifications, qui abîment
considérablement le travail qui est fait
ici. Petit à petit on s’aperçoit que les
soi-disant réhabilitations amènent les
ensembles immobiliers à des stades où
il n’est plus possible de faire quoi que ce
soit.
Nous avons une ambition incroyable,
c’est-à-dire que vous étiez dans une
utopie et elle s’est réalisée. Je pense
qu’aujourd’hui, l’utopie elle est de faire
de ce quartier le plus beau de Grenoble
et c’est absolument possible. Il y a des
conditions d’habitations fantastiques et
je crois qu’il faut tous ensemble se serrer
les coudes pour arriver à cela, ce serait
vraiment exceptionnel. [...] Commencer
à sectionner l’Arlequin, ce peut-être
considéré comme une tentative de
déconstruction. Il ne gardera du sens
que s’il conserve son intégrité. » JeanPhilippe Vassal (séminaire du 10 février
2010)
Le projet est donc de finir le quartier en
rajoutant les couches qui lui manquent.
« La valorisation de l’Arlequin ne passe
non pas par du vide mais par du plein.
C’est-à-dire ajouter et considérer que
l’Arlequin a encore énormément de
potentiels et donc que la transformation
de son image passera aussi dans cette
forme de légitimité qu’on donne à
l’Arlequin de recevoir demain d’autres
programmes. Plus de densité et donc,
d’une certaine manière, une polarité
encore plus forte qu’elle ne l’est
aujourd’hui. Sur le plan politique c’est
effectivement une affirmation qu’on
attend ou du moins sur laquelle il faut
prendre position ». Jean-Philippe Vassal
(séminaire du 10 février 2010)
3.2. La question de la démolition
C’est une dénonciation de la logique de
l’ANRU qui favorise la démolition.
- Jean-Philippe Vassal : « Ce qui est
curieux c’est que, quand on parle
« développement durable », on rase des
tours, on rase des barres et puis on fait
des immeubles soi-disant écologiques. Le
développement durable c’est déjà faire
durer ce qui existe déjà et le faire bien
durer, bien avancer. On peut d’ailleurs
vendre au maire quelque chose qui
soit complètement exceptionnel dans
ce sens-là : de la continuité vis-à-vis de
l’existant. Ça nous a paru relativement
facile de faire en sorte qu’en terme
d’économie d’énergie ces logements de
l’Arlequin soient tout à fait performants
et pertinents, sans aller sur la surisolation mais, au contraire, en allant vers
les principes d’apport solaire. [...]
Je n’arrive pas à comprendre cette sorte
de leurre que représente l’ANRU qui
finance essentiellement des démolitions
dans une situation où on manque de
logements. A chaque fois qu’on démolit
un logement il faut en reconstruire
un, ce qui laisse à la commune ou aux
bailleurs le soin de reconstruire. Il
appâte avec l’argent de la démolition.
Toutes les municipalités tombent dans
ce piège. Ce qui est incroyable c’est
que les bilans sont terribles : il y a 30
milliards d’euros qui sont engagés pour
la rénovation urbaine et là-dedans, il y a
4 milliards pour la démolition et 15 pour
en reconstruire moins qu’on en a démoli.
Par ailleurs, l’argent qui est mis dans la
transformation est tellement infime que
cela perpétue ce qui c’est fait dans les
années 80 c’est-à-dire des réhabilitations
légères. [...]
Quand on est arrivé, l’idée c’était de
dire : « il faut une relation entre la ville
et le parc, parce que ce n’est pas assez
visible ». Ce qui était évoqué, c’était la
45
démolition de la branche du 50 et d’une
petite partie de SDH également. Tout ça
pour avoir soi-disant une percée : perte de
120 logements... La démolition est actée
à 60 000 € par logement qui comprend
la démolition technique, les frais de
relogement et la part d’exploitation
du bailleur. Logiquement, ces 120
logements il faut les reconstruire : c’està-dire 150 000euro de reconstruction
par logement. Cela signifie 210 000 € par
logement pour soi-disant faire une percée
entre la ville et le parc. On demande si
on ne peut pas récupérer cet argent
et le redistribuer d’une manière plus
équitable sur l’ensemble des logements
existants. »
- Anna Lacaton : « Si on regarde les vues
aériennes, on a l’impression que le parc
vient jusque-là. Après, la question qu’on
peut se poser c’est : « l’ouvrir, mais pour
qui ? ». Par exemple, quand on regarde
ici, en réalité, il y a déjà une grande
porte, elle n’est plus visible parce qu’il y
a un encombrement des sols alors qu’en
réalité on voyait des arbres. On pourrait
très bien renforcer ce passage sans avoir
à forcément casser la structure. Quand on
rentre sur la place des Vosges, on passe
sous des portes et ça ne viendrait pas à
l’idée qu’il faudrait trancher la hauteur
des immeubles pour mieux voir l’entrée. Il
y a dans le rez-de-chaussée une intention
de passage quand même.»
Le lieu vide est souvent ramené par les
élus comme une idée assez étrange. Il
faut libérer de très loin les vues sur les
rez-de-chaussée alors que, finalement,
on est dans des distances énormes et
que dans un milieu urbain, on n’enlève
pas tout ce qui gêne la vue sur un autre
immeuble. C’est cette idée là qu’il
faut vraiment retravailler. Non pas en
disant : « ce qui est là ne va pas » mais
en se disant « comment ça pourrait être
autrement ? » En se disant que construire
c’est aussi une façon de qualifier. [...]
46
C’est en construisant qu’on arrivera
à ramener d’autres activités et des
raisons d’aller à la Villeneuve. Une autre
perméabilité ce n’est pas vider l’espace,
c’est le construire et c’est tant mieux que
sur la ZAC des Peupliers la Ville envisage
de racheter pour pouvoir transformer
les choses parce que ça continue à aller
dans le sens qu’il faut ramener d’autres
activités pour que des gens qui ne sont
pas de la Villeneuve y viennent ». Anne
Lacaton (séminaire du 10 février 2010)
3.3. La question des silos
Derrière la question de la démolition
des silos se pose celle du stationnement.
Actuellement vides en partie, les
silos sont promis à la démolition pour
plusieurs d’entre eux avec un projet
de construction d’un nouveau silo plus
à l’écart. Le groupement s’interroge
d’abord et de concert avec les projeteurs
initiaux, comme en témoignent les
discussions en séminaire, sur l’avenir
de l’espace dégagé et la proposition de
l’atelier Lion d’en faire un espace public :
- Pierre Mignotte : « Quand on va enlever
le parking n°3 qui est au milieu de la
crique, on va se retrouver dans la même
situation urbaine qu’à la place de la
convention à Echirolles, allez-y à minuit
et laisser tomber une bille par terre, vous
réveillez d’un seul coup 200 familles. Je ne
sais pas par quoi on va remplacer le silo
mais il a un avantage, c’est qu’on ne fait
pas de bruit dans la crique. »
- Jean Tribel : « Et où est-ce qu’on va
mettre les voitures ? »
- Pierre Mignotte : « Je ne sais pas mais
il paraît qu’ils veulent le raser. C’est vrai
que pour la perméabilité, pour l’agrément
visuel c’est évident qu’il est embêtant,
mais une fois qu’on l’a enlevé ça va être
pire. A moins qu’on fasse raser ACTIS, un
pan du 130 ou je ne sais pas quoi. Il va y
avoir un problème. »
- Anne Lacaton : « Le problème des silos
aujourd’hui, ce n’est pas tant leur usage
que ces masses inactives. En démolissant
un silo on ne crée pas forcément de
l’espace public intéressant parce que
l’espace public n’a pas été pensé à cet
endroit là. »
- Jean-Philippe Vassal : « La crique
centrale est à mon avis l’endroit le plus
dur de l’Arlequin parce que c’est là où le
patrimoine ACTIS est le plus haut et c’est
là où précisément il se retourne, qu’il
crée le plus d’ombre. On voit qu’elle est
pratiquement tout le temps dans l’ombre
et je pense qu’il vaut mieux construire
ici plutôt que de faire un espace public
de plain pied, un parc ou un jardin parce
qu’il ne marchera vraiment jamais. »
Séminaire du 10 février 2010
Le groupement INterland penche pour
la réhabilitation des silos existants ou, à
défaut, la (re)construction de plusieurs
petits silos à leur emplacement initial,
voire même l’achèvement du projet
initial de quatre silos au plus proche des
habitations. La densité de logements
d’un centre-ville, le souci de mettre la
voiture au plus près des logements et
une volonté de diversifier les usages
guident leurs propos :
« On est à un nombre de logements à
l’hectare qui est très important, qui est
équivalent voire supérieur à ce qu’on
trouve en centre-ville. En centre-ville,
jamais on aurait l’idée de napper la
surface d’un sol avec du parking. La
réponse en silo paraît aujourd’hui tout
à fait opportune comme elle l’était à
l’époque ; sur le fond il n’y a pas de
changement.
Dans la situation actuelle, c’est important
d’avoir du stationnement de proximité
vis-à-vis de là où on habite, c’est-à-dire
que, entre une ou deux minutes, je vais
de ma voiture à mon logement. Dans
ce sens, il me semble que la position
des silos telle qu’elle a été imaginée
à l’époque est aujourd’hui la plus
pertinente pour assurer entre la partie
Sud, la partie médiane et la partie Nord
une relation d’extrême proximité entre la
voiture et son logement. Nous ce qu’on
pense, c’est qu’il faudrait maintenir
cette capacité, il faudrait même revenir
sur les deux silos qui n’ont jamais été
construits pour donner cette capacité
nécessaire d’environ 1 800 places
de stationnement à proximité des
logements. Il faut accompagner cette
offre de stationnement d’une mixité
d’usages pour faire en sorte que dans ce
principe de silos ouverts, sécurisés mais
beaucoup plus conviviaux, le rez-dechaussée soit systématiquement public
et traversé, ce qui donne la possibilité
de trouver des bureaux, des activités,
des commerces. Qu’on ait en sous-sol
juste un niveau parce qu’on sait qu’on
ne peut pas descendre trop bas à cause
des problèmes de nappes et qu’on ait audessus des nouveaux stationnements et,
sur ces deux niveaux de stationnements,
on peut, si nécessaire, recréer un espace
pour des bureaux, des entreprises, etc.
Sans augmenter de manière trop
importante la hauteur des silos, il y a une
capacité de 100 000 m² à construire à
l’emplacement précis des silos. C’est-àdire l’emplacement où le terrassement
est déjà fait, où on ne va pas démolir un
certain nombre d’arbres ou de végétation
qui se sont créés en périphérie. On peut
programmer une sorte de phasage de
transformation de ces silos en rendant
systématiquement
une
attractivité
au niveau du rez-de-chaussée, en le
remplissant d’un certain nombre de
services, d’équipements, etc. [...]
On a une capacité de créer une zone
extrêmement active, capable de proposer
une façade agréable et intéressante vis-àvis du tramway, qui crée une façade ouest
de l’Arlequin active et dynamique et qui
permet, par ailleurs, d’avoir un côté est
47
calme et tranquille qui donne sur le parc.
[...] Aujourd’hui, par exemple, il y a une
recherche de 2 000m² pour un gymnase
qui a brûlé. Si on pense que ce gymnase
est mieux côté ville que côté parc on peut
bien le trouver deux, trois fois plus grand
dans ces espaces là ; qu’il soit rez-dechaussée ou qu’il soit sur le toit. On peut
imaginer, comme ça c’est fait à Paris, un
gymnase qui commence à moins 3 m
et qui termine 6 m plus haut et dessus
il peut y avoir du stationnement. Donc
c’est la possibilité de projets qui ne sont
plus des silos de stationnement mais qui
sont des silos d’activités, d’équipements
qui assurent en plus le stationnement. »
Jean-Philippe Vassal (séminaire du 10
février 2010)
Conclusion : l’achèvement de la Villeneuve
L’Arlequin n’est pas un « grand
ensemble » standard dans la mesure où
il a d’abord été pensé par les usages.
Dans les premiers grands ensembles, les
concepteurs ont pensé à des fonctions
essentielles de l’homme moderne et
ont produit des formes permettant de
répondre à ces fonctions. A l’Arlequin,
les concepteurs du programme ont
demandé aux architectes de répondre à
des usages nouveaux ou potentiels par
la création d’espaces de vie de qualité à
l’échelle des logements, des coursives,
des bâtiments, bref de l’espace public.
L’évolution du peuplement et la rigidité
formelle de l’Arlequin ont rendu un verdict
qui semble a priori en l’état tout aussi
négatif que pour les grands ensembles.
L’usage de la figure est complexe pour
l’habitant et incompréhensible a priori
pour le passant. L’Arlequin ne simplifie
pas la vie comme ses promoteurs
l’escomptaient :
48
- distance de la voiture qui amènent
certains à détourner les caddies de
supermarché ;
- mauvais fonctionnements des
ascenseurs, coursives, vide-ordure,
etc ;
- dysfonctionnement social des
espaces communs des coursives qui
amènent à leur condamnation.
La lisibilité de l’espace est si faible qu’elle
nécessite de l’usager une véritable
expertise. Il est à ce point difficile de
se déplacer et de se repérer que les
habitants ou les commerçants viennent
chercher visiteurs et chalands jusqu’au
tramway, dernier espace public lisible,
et que les médecins et pompiers s’y
perdent.
L’Arlequin n’est pas un « grand
ensemble » standard dans la mesure où
il résiste aux réhabilitations classiques
(type écrêtage, démolition partielle, etc.)
ou à la résidentialisation. Cette dernière
commence son oeuvre par la reconnexion
des grands ensembles aux réseaux viaires
alentours par le tracé de pénétrantes.
Elles
sont
presque
impossibles
aujourd’hui tant le parc de la Villeneuve
est sanctuarisé. Elle ne fonctionne pas
non plus au niveau du (re)découpage
des parcelles et des immeubles pour
créer des unités résidentielles. Il faut
pour cela démolir à grand frais des
montées complètes en raison d’une
propriété du sol complexe (avec des droit
de surface et un mélange copropriétéslogements sociaux unique en son genre).
Il ne reste alors véritablement que
deux grandes solutions caricaturales :
l’achèvement de la mégastructure en
conservant ses principes fondateurs
ou le démantèlement progressif, petits
bouts par petits bouts, afin de rendre
l’urbatecture ingérable et justifier sa
complète éradication. Les maîtres
d’ouvrage actuels (Ville et bailleurs
sociaux) ont semble-t-il fait leur choix...
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48
49
50
Chapitre 2
De la grille au « maillage opportuniste »
Paulette Duarte et Carine Bonnot
Introduction
Quand nous surplombons du regard le
sud de l’agglomération grenobloise, et
les différents morceaux de tissus urbains
qui le composent, certains morceaux
semblent organisés selon des règles et des
principes qui relèvent de ceux mobilisés
par le modèle de la « grille ». En effet,
le centre-ville échirollois et le quartier
grenoblois de Vigny-Musset, récemment
construits et aménagés, offrent, a
priori, une organisation régulière et
quadrillée de l’espace. En focalisant
notre regard sur ces deux morceaux
d’habiter en périphérie, nous pouvons
nous demander si leur organisation
ressemble à la figure originale de la grille
ou si elle est une forme de « bricolage »
entre des références théoriques et des
contingences locales. De même, nous
pouvons nous demander si cette forme
a la capacité à redonner de la cohérence
aux territoires du sud de l’agglomération
grenobloise et si elle est une forme
destinée à proliférer.
Pour répondre à ces questions, nous
avons souhaité, dans un premier temps,
identifier les référents urbanistiques de
la grille définies par les architectes et
les urbanistes de ce courant de pensée,
et dans un deuxième temps, identifier
et qualifier, tout en les comparant, les
référents développés dans le centre-ville
d’Echirolles et dans le quartier de VignyMusset à Grenoble par les architectes et
les urbanistes de ces deux projets.
Les identifications et les comparaisons
entre référents s’appuient sur un
matériau divers : discours écrits, plans,
dessins, schémas, photographies. Si les
réponses aux questions de la recherche
sont issues des résultats de l’analyse sur
du matériau existant (ouvrages, études,
pré-études…), elles sont également
issues de l’enquête qualitative1 réalisée
par nos soins auprès des concepteurs et
des maîtres d’ouvrage de ce deux projets.
1
Nous avons organisé une enquête
en deux temps : un premier temps consacré à la
réalisation de parcours commentés in situ, dans
le centre-ville d’Echirolles et dans le quartier de
Vigny-Musset à Grenoble, et un deuxième temps
consacré à un séminaire-débat sur la grille. Le
parcours commenté du centre-ville d’Echirolles
a été réalisé le 15 juin 2010. Il a consisté en une
déambulation et une interview d’un deux urbanistes
conseils du projet, Yves Sauvage, et l’urbaniste de
la ville d’Echirolles, Philippe Vic. La déambulation
orientée par les deux urbanistes a permis aux
acteurs de développer les thèmes de l’historique
du projet du centre-ville, de son phasage, de sa
morphologie et des références urbanistiques
mobilisées. Les discours des acteurs interviewés
ont été enregistrés et le parcours photographié.
Le parcours commenté dans le quartier VignyMusset a été réalisé le 17 juin 2010 en présence
de Loizos Saava, un des architectes-urbanistes en
chef de la ZAC Vigny-Musset et de Paul Durand,
architecte-urbaniste à la Ville de Grenoble. Le
séminaire-débat, quant à lui, a eu lieu le 28 juin
et a été enregistré en présences des architectes et
urbanistes précédemment interviewés, de Pierre
Grandveaud, deuxième architecte-urbaniste en
chef de la ZAC Vigny-Musset, et Catherine Maumi,
maître de conférences en architecture, ayant publié
des travaux de recherche sur la grille. Les débats ont
porté sur les thèmes suivants : définition générique
de la grille, présence ou pas de la grille dans les
deux sites visités (centre-ville d’Echirolles et grille
de Vigny-Musset), différences ou ressemblances
des modèles morphologiques et typologiques
mobilisés dans les deux sites, avantages et limites
de la grille en général, par rapport à d’autres
modèles (mégastructure, ville linéaire) en termes
de gestion, de fonctions et d’habiter, prolifération
ou pas de la grille dans l’avenir dans les territoires
périphériques. L’ensemble des discours ont été
retranscrits et analysés.
51
Cette monographie tend à montrer que
la « grille » pensée et mise en œuvre
dans le sud de l’agglomération est
un « bricolage » entre des références
théoriques et des contingences locales.
Elle est une « trame » régulière dans
le quartier de Vigny-Musset qui a pour
objectif de relier les quartiers avoisinants
et un maillage d’îlots pour mieux faire
habiter cette partie du sud.
Elle est un « maillage opportuniste »
dans le centre-ville d’Echirolles qui tout
en organisant les tissus urbains, s’adapte
à la périphérie existante et future. Sa
capacité à proliférer, tout en s’adaptant,
est constatée sur le territoire d’Echirolles,
voire au-delà.
Figure 1 Vue aérienne de San Francisco
Source : F. Lipski , San Francisco. La grille sur
les collines, Marseilles, Editions Parenthèses,
1999, p. 13
52
1. La figure de la grille dans les théories de
l’urbanisme
La grille, a priori, mobilisée dans les
projets urbains récents du sud de
l’agglomération grenobloise (projets dans
le quartier de Vigny-Musset à Grenoble
et dans le centre-ville d’Echirolles) a
une longue histoire. Elle a été mise en
œuvre à différents moments historiques
de l’urbanisation des territoires, et plus
particulièrement dans l’Antiquité, au
Moyen Age, aux XVIIIème, XIXème et XXème
siècles. La lecture historique de sa mise en
œuvre permet de la définir comme une
figure, c’est-à-dire comme un discours
sur l’espace, un mode d’organisation de
l’espace et un mode de représentation
de l’espace, et de comprendre les raisons
de sa mobilisation par les urbanistes
concepteurs de Vigny-Musset et du
centre-ville d’Echirolles.
1.1. Une brève histoire de la mise en œuvre de
la grille
Figure 3 Turquie, Ville de Milet, plan
d’ensemble
1.1.1. Dans l’Antiquité, aux temps des villes
égyptiennes, grecques et romaines
Le plan de ville en grille orthogonale
est mis en œuvre depuis l’Antiquité.
Tantôt, symbole sacré, outil de partage
et de zoning, et outil militaire, les tracés
organisent les cités du monde, dont
nombreux sont encore visibles encore
aujourd’hui.
Figure 2 Egypte, Tell-el-Amarna (XIVème
siècle av. J.C.), village des ouvriers
Figure 4 Ville de Priène, IVème siècle
Source : F. Divernois, B. Gendre, B. Lavergne,
Ph. Panerai , Les bastides d’Aquitaine, du BasLanguedoc et du Béarn. Essai sur la régularité.
Bruxelles, AAM éditions, 1987, p. 86
Les recherches de Catherine Maumi
(2001) nous éclairent sur les origines de
la grille dans les villes égyptiennes, où
le tracé est le symbole divin, comme à
Tell-el-Amarna (XIVe siècle avant J.C.),
en Chine, à Suzhou (617 après J.C)
ou en Inde. L’idée de Dieu justifie la
hiérarchisation des différentes classes
de la population, et des lieux d’exercice
du pouvoir. En Inde, au IIIème millénaire
avant J.C, les villes correspondent à
« une image parfaite du cosmos » et leur
organisation est basée sur les formes du
cercle et du carré qui représentent la
centralité, l’équilibre et l’ordre.
Source : C. Maumi, Grille, ville et territoire aux
Etats-Unis : un quadrillage de l’espace pour
une pensée spécifique de la ville et de son
territoire, Vol 1, thèse de doctorat en Etudes
Urbaines, Paris, 2001, planches 8.
53
Les grecs, qui connaissaient eux-mêmes
les civilisations mésopotamiennes et
égyptiennes, développent des villes en
grille dès le VIIème siècle, mais c’est avec
le philosophe ionien Hippodamos de
Milet qui s’intéresse à ce qu’on appelle
aujourd’hui le zoning, que la grille va
circuler comme modèle.
La forme de la grille répond à une
organisation spatiale et sociale. Selon
Catherine Maumi, c’est à cette époque
que « la ville, la polis, et par conséquent
la société qui la compose, -deviennentdes sujets d’études » (2001, p. 43).
Ainsi, les villes se divisent en rues
perpendiculaires au Pirée. La ville
de Thurium, en 443 avant J.C., est
composée de rues droites, soit quatre
rues principales dans sa longueur et
trois rues dans sa largeur. Les habitations
sont alignées. Ce tracé régulier est dû au
partage des terres pour leur colonisation
et à une conception esthétique de la ville.
A l’âge hellénistique, cette représentation
esthétique se développe. Aux croisements
à angle droit de grandes rues bordées
de colonnades, des éléments décoratifs
sont construits. C’est le cas à Alexandrie,
à Antioche, dans les villes nouvelles,
comme à Smyrne 300 avant J.C., Nicée en
Bithynie. Puis, progressivement, le tracé
régulier répond à des considérations
hygiéniques. Ainsi, à l’intérieur de Nicée,
représenté par un carré de 700 mètres
de côté, deux grandes rues se croisant à
angle droit, et correspondant aux quatre
portes de la ville, sont orientées suivant
des données hygiéniques :
- ensoleillement, orientations des
vents et des odeurs.
Ce tracé régulier influencera par la suite
les villes romaines. Il est notamment
à l’origine de réseaux réguliers et du
54
double axe du cardo (nord-sud) et du
decumanus (est-ouest).
Les conquêtes de l’Empire romain sont
guidées par une stratégie précise de
colonisation des territoires. Un outil,
le Centuriation, réglé par un manuel
d’aménagement le Corpus Agrimensorum
Romanorum de Hyginus Gromaticus
(Maumi, 2001) permet de mettre en
place un tracé régulier, dont l’origine,
le cardo et le decumanus, déterminent
quatre quartiers identiques. Un système
de voiries secondaires dessert les blocs
rectangulaires ou carrés. Plusieurs
modèles dérivent de ce principe, selon
les sites et leur importance politique :
- le modèle Castrum : une grille
régulière, au centre de laquelle
s’établit le forum, est composée de
blocs, appelés insulae, de forme
carrée. Ce modèle concerne par
exemple les villes d’Ostia, Alife, Lucca,
Pyrgi.
- le modèle Per strigae : Un axe
principal est irrigué par de nombreuses
voies secondaires qui forment des
blocs rectangulaires, en longueur. Ce
modèle est appliqué dans les villes de
Carnuntum, Lambesi.
- le modèle Scamna : Comme dans
le modèle précédent, les blocs
rectangulaires composent le plan
mais dans l’autre sens, le grand côté
du rectangle étant parallèle au cardo,
comme c’est le cas à Carthage.
- le modèle Via Principalis et Via
Quintana : Deux axes parallèles, nordsud, constituent la base de la grille et
les blocs se développent de part et
d’autre. Ce modèle se retrouve dans
les campements romains et certaines
villes italiennes comme Turin et Aoste.
Figures 5 Schéma des différents modèles
de grille de la ville romaine
Source : archives personnelles, C. Bonnot
Dans tous les cas, à l’échelle de la cité
(et non à l’échelle d’un grand territoire,
comme ce sera le cas plus tard, aux
Etats-Unis), « la grille symboliserait
l’ordre nouveau imposé à ces territoires
car, par ce biais, chaque colonia
deviendrait effectivement une nouvelle
représentation de la capitale. » (Maumi,
2001, p. 49). Le modèle romain sert de
base à la plupart des villes nouvelles
européennes jusqu’au Moyen Age.
1.1.2. Au Moyen-Age, aux temps des bastides en
France
Lors de la deuxième moitié du Moyen
Age, en France, dans les pays de langues
d’Oc du sud-ouest, sur 50 000 km2, des
villes nouvelles ou bastides, soit plus
de 200 fondations, sont construites
et organisées suivant un urbanisme
moderne, réfléchi et fonctionnel.
Elles sont implantées le long d’axes
fluviaux pour acheminer le vin gascon et
permettent la rencontre entre artisans et
commerçants.
55
Les « promoteurs » de ce modèle sont les
seigneurs ou les personnes en paréage.
L’accord issu de paréage consiste en un
contrat entre le seigneur et le souverain
représenté par son sénéchal pour
exploiter en commun un territoire.
Les fondateurs des bastides partagent
équitablement les charges et les
bénéfices. Le seigneur met à disposition
les terres aux populations migrant vers
les bastides. Ces dernières, à condition
d’être fidèle au seigneur, peuvent y
travailler librement et en sécurité. Ainsi,
l’organisation spatiale de la bastide suit
un plan orthogonal ou une grille et est
composée :
- d’une place de marché fermée,
bordée de maisons construites sur des
passages ouverts entourant une halle
en charpente portée par des piliers
(couvert), support économique des
échanges entre commerçants,
d’un savoir-faire empirique transmis par
les arpenteurs itinérants d’une fondation
de bastide à l’autre, ne nécessitant pas
de grandes compétences techniques
et facilement mémorisable, et, pour
Françoise Divorne, Bernard Gendre,
Bruno Lavergne et Philippe Panerai,
issue d’une interprétation de documents
juridiques de l’Antiquité par les religieux
de monastères du Moyen Age. Cette
organisation évolue par la suite après
les destructions dues aux guerres et les
reconstructions par les habitants au fil
du temps. Ainsi, avec la généralisation
des couverts, les places acquièrent un
caractère monumental, ordonnateur de
plan. Elles deviennent de plus en plus
grandes et se différencient.
Figure 6 Plan de Carcassone reconstruite
en 1335 selon un plan ortohogonal,
composé d’îlots carrés
- d’une grande église en retrait par
rapport à la place,
- d’un découpage foncier régulier et
orthogonal qui aménage de manière
efficace les sols,
- d’axes de circulation se croisant à angle
droit,
- d’îlots orthogonaux. Ces îlots
correspondent aux parcelles gothiques
et sont soit rectangulaires où le grand
côté du rectangle représente deux fois
le petit côté, entre 4 et 7 mètres de
large et entre 20 et 30 mètres de long,
ou soit composées, mais de manière
plus exceptionnelle, de deux îlots
carrés de 20 mètres ou de 30 mètres
de côté.
Cette organisation spatiale répond au
besoin de lotissement du sol urbain, et
non à des considérations esthétiques ou
hygiéniques. Elle est, pour Michel Coste
et Antoine De Roux, une conséquence
56
Source : C. Maumi, ibid., planche 12
Figure 7 La place, les îlots, leurs
organisations Villefranche de Rouergue
Figure 8 Monpazier, la ville neuve
médiévale dessinée par Viollet-le-Duc et
le cadastre contemporain
Source : M. Coste, A. De Roux, Bastides. Villes
neuves médiévales, Villefranche de Rouerge,
ed. Desclée de Brouwer, 2007, p. 122
Source : M. Coste, A. De Roux ibid., p. 89
Certaines
sont
carrées,
d’autres
rectangulaires. Le parcellaire devient
plus lâche et les îlots de moins en moins
différenciés. Ces derniers suivent le tracé
des places. La place étant carré, les îlots
sont également carrés. La place étant
rectangulaire, les îlots le sont également.
Des rues principales de 6 à 10 mètres
organisent les îlots, rangés face à face.
Dans les îlots alignés, un système de
ruelles secondaires de 1 mètre de large,
dits « carrons » ou « carreyous », se
développe. Ces venelles sont limitées
dans leur fond et forment un T. La
localisation de l’église varie également.
L’église peut être à la diagonale de la
place, à un îlot de distance de la place,
en façade sur la place, dans la place ou le
long de la grande rue. L’architecture varie
aussi d’une bastide à l’autre. Si au départ,
les bastides ne sont pas entourées
d’enceintes, elles sont progressivement
enfermées par des clôtures, puis par des
murailles, pour des raisons de sécurité.
Figure 9 Monflanquin, la place carrée
Source : M. Coste, A. De Roux, ibid., p. 120
Au cours du XVIIIème et XIXème siècle,
le savoir-faire concernant la construction
de bastides se perd.
57
1.1.3. Au XVIIIème siècle, aux Etats-Unis
La grille apparaît aux USA à partir de
1785 avec la National Land Ordinance de
Thomas Jefferson. Elle est mise en œuvre
d’abord à Philadelphie et à New York,
puis à San Francisco. Elle est d’influence
hispanique, française et anglo-saxonne.
Figure 10 Une maille de la grille
territoriale établie en 1785 par Thomas
Jefferson pour les Etats-Unis d’Amérique
équitable des terres. L’utilisation de la
grille se fait à partir de concessions.
Progressivement les quadrilatères ont
les mêmes formes et leurs surfaces sont
numérotées. La parcelle (et non le bloc)
domine. La rue très présente est une
pause dans le processus de partage.
Avec le développement immobilier, la
grille devient un outil de spéculation
foncière. Elle permet l’étendue de la ville,
y compris dans l’urgence.
Figure 11 San Francisco de Jasper
O’Farell, 1847
Source : L. Benevolo, Histoire de la ville,
Marseille, Editions Parenthèses, 2004, p. 319
A San Francisco, c’est Jean-Jacques
Vioget (ingénieur militaire, 1799-1855)
qui met en place la forme urbaine de
la grille. Cette forme est d’inspiration
hispanique. Elle renvoie aux éléments de
composition urbaine des villes coloniales
(place rectangulaire, système de douze
rues partant de la place pour définir les
quartiers, emplacement de l’église et des
bâtiments publics) décrits dans la loi des
Indes de 1573 par Philippe II d’Espagne
et induisant une implantation et un
développement spatial en échiquier.
Ainsi, elle forme un quadrillage de
6 milles de côté, composés de 36
sections (ou quadrilatères) de mille de
côté. Cette forme est la traduction de
la propagation de la civilisation par la
colonisation l’espace, avec un partage
58
Source : F. Lipsky, ibid., p. 50
A New York, la trame de Manhattan est
pensée au début du XIXème siècle sur
un territoire encore très peu peuplé et
sauvage. Rem Koohlaas, qui présente
le manifeste rétroactif de la ville dans
New York Delire analyse la grille comme
une « spéculation conceptuelle » :
« Tous les blocs sont identiques ; leur
similitude
invalide
instantanément
tous les systèmes d’articulation et de
différenciation qui ont présidé à la
formation des villes traditionnelles.
La trame rend caduque l’histoire de
l’architecture et toutes les expériences
d’urbanisme antérieures » (Koohlass,
2003, p. 20). L’auteur compare les blocs
à des socles de statues qui peuvent se
développer verticalement, à l’infini.
Chaque parcelle est ainsi libre d’évoluer
mais « Le fait que le « changement »
soit circonscrit aux « îles » constitutives
garantit l’immutabilité du système »
(Koohlass, 2003, p. 296).
Figure 12 Les blocs de New-York, socles
des gratte-ciel
formés de cinq trapèzes eux-mêmes
composés d’îlots réguliers. Mais en
1860, le gouvernement de Madrid
impose le projet de Cerdà, qui présente
en accompagnement de son plan
monumental, un texte théorique qui
marquera l’histoire de l’urbanisme :
La théorie générale de l’urbanisation
(publié en français en 1975 et réédité
en 2005). Il présente un historique de
la formation de la ville, en analysant
les origines de l’urbanisation, c’est-àdire d’habitations regroupées dans le
territoire. En présentant une apologie
de l’urbanisation rurale et de la maison
individuelle, il justifie sa critique de
la ville historique, construite sur ellemême, dense et étouffée.
Figures 13 Plan d’extension de la ville de
Cerdà
Source : photographie, 2010, C. Bonnot
1.1.4. Au XIXème siècle, en Espagne
Dans la deuxième moitié du XIXème siècle,
Idelfonso Cerdà (1815-1876), ingénieur
des Ponts et Chaussées, propose pour
Barcelone un plan d’extension sous
la forme de grille régulière. En 1854,
la forte croissance démographique
et l’industrialisation entraînent la
démolition des fortifications de la ville
afin de permettre son évolution.
En 1859, la ville lance un concours
et désigne dans un premier temps
l’architecte Antonio Rovira y Trias,
qui propose un plan concentrique
Source : V. Vercelloni, Atlante storico dell’idea
europea della città ideale, Milan, Editions Jaca
Book, 1994.
59
Son projet pour Barcelone, une immense
grille greffée autour du noyau existant,
tend à améliorer petit à petit, les
conditions d’hygiène, en encourageant
les reconstructions des îlots insalubres, et
développe une base pour la ville nouvelle.
La grille est composée d’axes principaux,
les avenues, orthogonales et diagonales.
La voirie scrupuleusement étudiée par
l’ingénieur constitue un système efficace
de circulation. Les rues font 20 mètres
de large et les avenues 60 ou 80 mètres.
La régularité et l’orientation des voies
permettent aux îlots de s’organiser de
manière rationnelle : « L’espace prend
donc une valeur curative, il est un moyen
thérapeutique contre les «maux» de la
société » explique Aberasturi (Cerdà, par
Aberasturi, 2005, p.22). L’îlot carré de
Cerdà mesure 113 mètres de côté, les
pans coupés, valorisant les façades, font
20 mètres. La superficie de l’îlot est de 12
700 m2 dont 8 000 m2 de jardin.
Les logements conservent ainsi une
indépendance dans la ville, en référence
à l’échelle de la maison individuelle, tout
en composant un tout : la ville. L’égalité
des parcelles et la décentralisation du
système en grille (contrairement au plan
concentrique d’Antonio Rovira y Trias qui
accentuait la focalisation sur le centre
ancien) permet aussi une répartition
homogène des services de la ville.
Cerdà, en 1857, propose donc une ville
rationnelle et fonctionnelle, dictée par
les principes d’hygiène et articulée par la
séparation des fonctions de circulation et
d’habitation. Ce sont ces mêmes critères
qui définiront l’urbanisme moderne au
XXème siècle.
1.1.5. Au XXème siècle, la grille comme mythe de
l’urbanisme moderne
La ville moderne, dont les principes sont
inspirés de la Charte d’Athènes publiée
par Le Corbusier en 1943 (réédité
60
en 1957), voit ses plans d’urbanisme
composés à partir de grilles : la séparation
des quatre fonctions majeures (Habiter,
Travailler, Circuler, Se recréer) et l’idéal
de la ville fonctionnelle vont être les
arguments principaux de Le Corbusier
pour développer des plans réguliers
notamment pour Paris ou Buenos Aires,
et influencent toute la production du
XXème siècle, notamment les grands
ensembles.
A Athènes en 1933, le CIAM propose
une véritable doctrine urbanistique. En
découle La Charte d’Athènes, considérée
comme le manifeste de l’urbanisme
progressiste. En effet, elle condamne
la ville historique qu’elle oppose à la
ville rationnelle et encourage le zoning
lié aux fonctions. Les circulations sont
hiérarchisées, adaptées aux trois vitesses
(piéton, voiture, train) et le sol qui
accueille un maximum d’espaces verts
constitue une seule entité. Le Corbusier
évoque le plan en grille à Bridgewater
en 1947, lors du CIAM VI et en fait le
sujet central du CIAM VII de Bergame,
en 1949, en proposant une exposition de
trente projets dont ceux de Le Corbusier
(Les Trois Habitats humains et Buenos
Aires), Piero Bottoni (QT8 de Milan), José
Luis Sert (Lima, Tumaco et Chimbote),
Jakob Bakema (une banlieue non située),
Guiseppe Samonà (Portho Marghera,
Venise), Luigi Carlo Daneri (Gênes), Luigi
Cosenza (Naples), Franco Albini (quartier
des Anges à Gênes), Figini et Pollini
(Ivréa), groupe BBPR (Elbe), conçus à
l’aide d’une grille. « Le Corbusier présente
la Grille, outil de travail permettant de
« penser plus rapidement » et avec «
plus de précision ». Il s’agit, (expliquet-il), d’un réseau orthogonal issu de
la rencontre des quatre fonctions de
l’urbanisme (…) avec neuf catégories. A
savoir : l’environnement, l’occupation des
sols, le volume du bâti, les équipements,
l’éthique et l’esthétique, les influences
économiques et sociales la législation,
le financement et les phases de mise en
œuvre.» (Nicoloso, 2010)
Figure 14 Le Corbusier, Plan Voisin pour
Paris : au centre de chaque parcelle une
tour d’habitation en plan de croix
Source : V. Vercelloni, Atlante storico dell’idea
europea della città ideale, Milan, Editions Jaca
Book, 1994.
Figure 15 Le Corbusier, Unité d’habitation
de Marseille, 1950. La grille en 3
dimensions : les cellules d’habitation
verticale de l’unité d’habitation en
commençant son discours ainsi : « J’ai
à vous parler d’une certaine poésie,
une poésie en casiers. » A Bergame, la
grille suscite le débat et de nombreuses
remarques sont critiques : certains tel
que l’architecte polonaise Hélène Syrkus
défendent une dimension plus humaine,
d’autres tel que l’architecte Hans Schmidt
s’opposent à la standardisation des
usages. Franco Albini, lui, rejoint l’idée
que la grille pose avant tout un cadre
scientifique, un moyen de fabrication
et de gestion urbaine. Cette idée est
défendue par Le Corbusier, comme elle
l’était pour Hippodamos de Milet ou pour
Cerdà.
A partir des années 1950, on retrouve
l’idée de grille dans certains grands
ensembles, par exemple ceux de Jean
Dubuisson, architecte de nombreuses
ZUP, dont celles de Chambéry-le-Haut
et de Borny à Metz. En alternative aux
grandes barres et tours construites
à la même époque, il propose des
« grecques » : typologies d’immeubles
recroquevillés sur eux-mêmes, autour
de cours intérieures. Ainsi, le plan
masse est formé de carrés ouverts, plus
ou moins réguliers et semblables, qui
rappellent des îlots, mais à une échelle
plus importante.
Figure 16 Jean Dubuisson, ZUP de
Chambéry-le-Haut : plan masse orthogonal
et les barres en forme de « grecques »
Source : photographie, 2010, C. Bonnot
Il présente la grille dans ses trois
dimensions, en référence à l’organisation
Source : carte postale
61
Figure 17 Jean Dubuisson, ZUP de Metz :
schéma de plan d’origine par Reichen
et Robert architectes, chargés de la
restructuration, 2009
bâtis spécifiques, comme dans les cas
des bastides au Moyen Age, des villes de
Barcelone et de New York.
Figure 18 Axonométrie des parcelles des
bastides avec la typologie des habitations
et des jardins privés
Source : Reichen et Robert Architectes, site
internet
Source : Ph. Panerai, ibid., p. 56
1.2. La grille, une forme orthogonale régulière,
génératrice de typologies et accueillant diverses
fonctions de l’habiter
À travers l’histoire, la forme de la grille
offre des caractéristiques identiques.
Elle est une forme urbaine régulière
et constitue un tracé orthogonal,
quadrillé régulier, un « damier » ou
un « échiquier ». Elle est composée
d’îlots rectangles ou carrés, délimités
par des rues principales rectilignes qui
constituent des pauses dans le passage
d’un îlot à un autre. Ces îlots sont
parfois eux-mêmes composés de rues
secondaires traversantes qui forment
de plus petits carrés ou rectangles. Les
îlots sont souvent bâtis et/ou composés
d’espaces verts et les rues assurent la
circulation entre et autour des îlots ou
l’accès à ces derniers. La morphologie
régulière de la grille accueille ou génère
des typologies d’espaces bâtis et non
62
Figure 19 Armagnac, relevé des
constructions de la place centrale : des
bâtiments construits sur des arcades
Source : M. Coste, A. De Roux, ibid., p. 106
Ainsi, au cœur des grilles des bastides,
les places publiques accueillent des
architectures à arcades, en relation avec
la fonction commerciale et dans le but
d’orner les rez-de-chaussée de manière
homogène. Ces villes nouvelles sont
composées d’îlots en partie bâtis.
Dans ces îlots, des petites maisons à un
ou deux étages sont disposées d’un côté
de la parcelle et alignées aux axes de
circulation, dégageant un jardin privé de
l’autre côté.
Figure 20 Central Methodist Episcopal
Church, plan de Raymond Hood
Cette organisation, étudiée par Philippe
Panerai, donne une orientation à l’îlot :
« L’îlot rectangulaire simple est formé par
l’association de deux rangées dos à dos.
Il est bordé sur les grands côtés par des
rues principales avec un bâti continu, sur
les petits côtés par des rues secondaires
avec bâti discontinu. » (Divorne et ali,
1987, p. 56).
Deux côtés dans l’îlot se distinguent. Le
fond de la parcelle assure les fonctions
techniques comme l’évacuation des eaux
usées. Le devant de la parcelle assure
les fonctions d’habitation et favorise
l’implantation d’habitations individuelles
avec jardin. Le type « habitations
individuelles avec jardin » développée
dans cette grille composée de rectangles
se rapproche de l’habitat en bande et
permet une économie du territoire, des
accès et des réseaux techniques.
Dans le cas de New York, les blocs de
Manhattan sont le support de tous les
projets fantasques et des architectures
innovantes, dont le symbole est le gratteciel. Comme la grille qui peut s’étendre
à l’infini et comme les cellules de Le
Corbusier qui peuvent se développer
régulièrement dans les trois dimensions,
le gratte-ciel permet « la création
illimitée de sites vierges sur un même
emplacement urbain » (Koohlaas, 2003,
p. 87).
À partir de la même parcelle, les
architectes projettent des gratte-ciels
aux bases rectangulaires, parfois divisé
en deux, aux élévations pyramidales
ou au contraire aux formes massives et
compactes.
62
Source : R. Koolhass, New York Delire,
Marseille, Editions Parenthèses, 2003, p. 172
Figure 21 New York, les architectes
associés et les promoteurs jouant avec
des centres miniatures
Source : R. Koolhass, ibid, p. 179
Une église imaginée par Raymond Hood
en 1927, le Central Methodist Episcopal
Church (à Colombus, non réalisé), est
insérée dans la diagonale d’un bloc
rectangulaire et entourée de commerces
et divers équipements afin de ne pas
perdre d’espace au sol.
63
On ne trouve pas de parvis ni de
retrait par rapport à ce monument, le
bloc l’absorbe et le gratte-ciel devient
multifonctionnel. Les défauts de la
grille, notamment lorsqu’elle rencontre
Broadway, produisent des bâtiments
qui se démarquent des autres : comme
le Flatiron, de 1903, qui est connu pour
son plan triangulaire. Cela illustre aussi
l’influence du plan d’urbanisme sur
l’architecture. Une autre exception qui
diffère des autres buildings non pas par
sa forme mais par son plan : le Seagram
Building construit en 1958 par Mies van
der Rohe.
Koohlaas qui analyse aussi les différentes
vies d’un bloc, dont celui de l’Empire
State Building, montre que la parcelle
peut être divisée, construite, démolie,
puis réaménagée sans que jamais ne soit
modifié son rapport avec le reste de la
ville. Le bloc, composant de la grille, est
une base immuable qui constitue aussi
une mémoire de l’histoire de la ville.
Figure 23 Vue aérienne de Barcelone
Figure 22 Immeuble de Flatiron, situé à
l’angle Broadway et de la 5th avenue
Source : Carte Postale
A Barcelone, à partir du support
théorique établi par Cerdà, à une même
période, les typologies architecturales
construites sont influencées par la
morphologie régulière. Les travaux d’Yves
Sauvage et Patrick Chedal-Anglay (2002)
à l’Ecole d’Architecture de Grenoble,
questionnent cette hypothèse et analyse
comment la réglementation urbaine
influence les logements.
Source : photographie, 2010, C. Bonnot
L’architecte place son édifice au centre
de la parcelle dérogeant à la règle de
l’alignement. La grille est tout de même
respectée car l’aménagement de la
parcelle en espace public est clairement
délimité (murets, plan d’eau) mais le bloc
n’est pas totalement bâti. Enfin, Rem
64
Selon eux, les solutions de la conception
des logements sont liées au lieu et aux
conditions sociales qui l’accompagnent.
Les comparaisons dans un lieu unique,
Barcelone, sur la période de la première
moitié du XXème siècle, valident
l’idée que la morphologie de Cerdà a
influencé l’organisation des habitations,
et même, dans le cas de Gaudi, lui a
permis de développer des typologies
nouvelles, avec des constantes, comme
les angles coupés, qui prennent des
formes spécifiques, et deviennent
parfois de véritables « vitrines » avec des
ornements, des balcons, des décors.
Si la morphologie de la grille influence
les typologies bâties et non bâties, elle
répond et permet le développement
de diverses fonctions : fonctions
économiques, sociales et symboliques.
Ainsi, dans les bastides du Moyen-Age
ou à San Francisco au XVIIIème siècle,
cette forme rationnelle, fonctionnelle,
assez simple à mémoriser et à mettre
en place, a permis une colonisation
du territoire rapide et équitable, c’està-dire un partage des terres entre
individus pour leur exploitation, et une
urbanisation réfléchie. Dans le cas, des
bastides, la mis en œuvre de la grille a été
conditionnée par le développement de la
fonction commerçante et la nécessité
de rapprocher spatialement fonction
de production de vin et fonction de
commercialisation.
ensoleillement, orientations des vents
et des odeurs. A partir du XIXème siècle,
en Europe, l’aération, en opposition
aux congestions des centres anciens et
l’arrivée de la lumière dans les logements
constituent
des
préoccupations
prioritaires reprises dans les doctrines de
la grille.
Au XXème, la grille comme organisation
rationnelle des fonctions atteint un
paroxysme. Le Corbusier propose de
« mettre de l’ordre », dans la ville
moderne, en développant la grille dans
les trois dimensions (largeur, longueur
et hauteur) et en séparant les quatre
fonctions majeures (Habiter, Travailler,
Circuler, Se recréer) de la vie urbaine.
La grille a certes une fonction
économique principale, mais elle valorise
également des fonctions esthétiques et
symboliques. La régularité des plans de
composition évoquent la symétrie et la
proportionnalité ; la présence d’éléments
décoratifs à l’intersection des rues
perpendiculaires dans la ville romaine,
ou encore les angles coupés des îlots de
Barcelone mettent en valeur des façades
travaillées et monumentales.
Le carré dans l’Antiquité et le tracé régulier
des places publiques comportant pour
certaines des églises dans les bastides du
Moyen Age représentent la centralité du
pouvoir politique et religieux, l’équilibre
et l’ordre.
La grille répond également à des
fonctions hygiéniques et sanitaires. Ainsi
dans l’Antiquité, les rues sont orientées
suivant des données hygiéniques :
65
2. La trame de Vigny-Musset : un moyen
pour recoudre les quartiers entre eux
Figure 24 Le secteur sud de
l’agglomération grenobloise avec les
terrains disponibles pour la future ZAC
Vigny-Musset
Dans le cadre de la recherche, le
quartier de Vigny-Musset à Grenoble est
un des terrains d’étude qui correspond à
la figure de la grille, à première vue, de
par la forme de son plan d’urbanisme.
Il s’agit ici de questionner cette figure :
est-elle présente dans les 30 hectares
du projet de ZAC ? Prolifère-t-elle ? Les
concepteurs ont-ils employé le terme de
« grille » ? Quels sont ses formes et ses
applications ?
Nous reviendrons dans un premier
temps sur un aperçu historique afin de
comprendre le contexte d’édification de
ce quartier, avant d’analyser le projet
d’urbanisme de Pierre Granveaud et
Loïzos Savva, architectes en chef de la
ZAC et d’observer sa mise en œuvre.
2.1. Une brève histoire du quartier Vigny-Musset
La ZAC Vigny-Musset, dans le sud de
Grenoble, a été réalisée entre 1997
et 2007. Des friches industrielles
constituaient des terrains disponibles,
qui permettent à la Ville d’amorcer
une réflexion sur l’aménagement de 30
hectares, entre les faubourgs d’après
guerre, situés au sud des grands
boulevards, et les grands ensembles
de la fin des années 1960 : le Village
Olympique, construit entre 1964 et
1968 dans le cadre des jeux d’hiver, et
la Villeneuve, mégastructure élaborée
entre 1972 et 1976, sous la municipalité
du socialiste Hubert Dubedout.
66
Source : Ville de Grenoble, document d’étude
pour la ZAC
En 1990, lorsque commencent les
études, le contexte immobilier est
fragile et l’établissement de nouveaux
logements dans ce secteur fait douter
de nombreux promoteurs. En effet, les
appartements des quartiers alentours
se vendaient très peu chers et proposer
du logement neuf au même endroit
constituait un défi à relever. « Quand
nous commencions Vigny-Musset, on
avait des appartements magnifiques à
la Villeneuve, de toute beauté, avec des
vues incroyables, qui se vendaient 2 000
francs le m². Nous ici, on comptait les
vendre 6000… ! » (Loïzos Savva, Extrait
du parcours à Vigny-Musset, du 17 juin
2010).
Les études commencent en 1990,
encouragées par Alain Carignon, maire
de Grenoble, qui souhaite voir construire
un quartier résidentiel, basé sur un
tout autre modèle urbain que celui des
décennies précédentes. La présence de
l’université dans ce secteur est également
prévue, afin de rompre avec l’isolement
du campus de Saint-Martin-d’Hères et
d’intégrer l’université dans la ville. Le
programme comprend aussi la nécessité
de prendre en compte un périmètre plus
large que le site proposé et de proposer
un urbanisme capable de fédérer les
différents quartiers environnants entre
eux, notamment en favorisant les
liaisons avec la Villeneuve (à l’est) et le
VO (au sud). La mixité entre les espaces
sociaux et les espaces économiques est
demandée. Le programme prévoit 1500
logements, dont 20 % de logements
sociaux, 50 % d’accession à la propriété
et 30 % du secteur libre. La maîtrise
d’ouvrage déléguée à la ville est la SEM
Sagès.
La Ville de Grenoble lance un concours en
1991 pour une ZAC. Le jury est composé
de la Ville et des associations de quartiers
du VO, Villeneuve, Malherbe, Alliés et
Alpins, dans un souci de concertation
avec les quartiers environnants.
L’organisation du concours s’est appuyée
sur un colloque de deux jours à la maison
de la Culture à Grenoble, qui réunissait
les équipes sélectionnées à concourir,
les programmateurs et les associations
d’habitants. Le projet de l’équipe de
Pierre Granveaud, architecte et urbaniste
parisien, associé à Loïzos Savva architecte
grenoblois de l’agence d’architecture
Aktis, remporte le concours. « Nous
avons fait basculer les habitants »
explique Loïzos Savva, « le colloque (…)
a créé une bonne ambiance de travail
et une certaine émulation. A la suite de
ce colloque, il nous a été communiqué
une liste de personnes que l’on pouvait
consulter pendant la phase de création.
On était invité, en quelque sorte, à faire
une pré-concertation. Dans cette liste, il y
avait des acteurs politiques, économiques
et des associations d’habitants qui étaient
extrêmement soucieuses de savoir ce qui
allait se passer ici ». Nous reviendrons
précisément sur le projet plus loin.
Vigny-Musset compte aujourd’hui plus
de 2 500 logements, dont 24% en locatif
social ; 40 logements étudiants ; 120
logements pour personnes âgées ou
handicapées ; un groupe scolaire ; le pôle
universitaire de la Cité des Territoires,
des activités tertiaires et 5,5 hectares
d’espaces verts et publics dont un jardin
public d’un hectare. Le quartier est
peuplé aujourd’hui de 5 400 habitants,
alors qu’on en compte 5970 au VO.
Les deux quartiers ont des structures en
commun telle que la maison des Jeunes
et de la Culture et le centre social Prémol.
2.3. Une trame pour relier des quartiers
Le projet lauréat de Pierre Granveaud et
Loïzos Savva se met en place dès 1997. Un
des premiers objectifs, comme demandé
dans le programme, est de relier trois
quartiers du sud de l’agglomération :
Vigny-Musset, Village Olympique et
Villeneuve. Pour ce faire, les architectes
choisissent l’outil de la grille, qu’ils
appellent une trame, afin de se baser
sur des tracés existants, et parfois même
les prolonger, positionner l’université
de manière centrale, et prévoir des
prolongements au delà du périmètre
de projet, en suggérant certaines
démolitions de bâtiments existants.
67
68
Figure 25 Plan du projet de la ZAC de
Vigny-Musset de Pierre Granveaud et
Aktis architecture
Source : site Internet Aktis architecture
Au cours des entretiens avec Loïzos Savva
et Pierre Granveaud, le terme de trame
a été attribué au plan du quartier VignyMusset. « Ce n’est pas un maillage mais
une trame (…) qui existe aussi sur le VO.
C’est une composition orthogonale. Si tu
ouvres le plan, tu le retrouves aussi sur
la Villeneuve » explique Loïzos Savva,
alors que Paul Durand ne semble pas
approuver cette idée à propos de la
Villeneuve : « Ce n’est quand même pas
d’une lecture aisée sur la Villeneuve ».
Si on observe le plan du secteur, on
retrouve en effet des axes orthogonaux
nord-sud, est-ouest, qui se prolongent au
sud et à l’est.
L’avenue Marie Reynoard, à l’origine
organisée comme un grand axe de deux
fois trois voies, est réduite à deux fois
deux voies et réaménagée. Le programme
encourageait à rendre cette avenue
plus urbaine. Ce tracé est important à
l’échelle de Grenoble puisqu’elle relie le
nord au sud, en passant par la maison de
la Culture et en se terminant à la gare.
« Nous avons souhaité de lui enlever son
caractère autoroutier » explique Loïzos
Savva. Cette avenue marque la limite
de la trame orthogonale à l’est. Elle
constitue encore une limite avec le reste
du territoire bien qu’elle soit coupée
transversalement par d’autres tracés,
nous le verrons plus loin.
« On a décidé de mettre l’université,
ce grand équipement institutionnel,
à l’épicentre des trois quartiers. Nous
avons tracé des cercles et nous l’avons
mis là. Il faut dire que le programme
était trois fois plus important que ça.
C’était l’université 2000. Je ne sais pas
combien, mais on attendait un nombre
d’étudiant énorme ! (…) Nous voulions
donner à l’université une face urbaine
importante. » raconte Loïzos Savva. En
effet, ce choix place l’établissement entre
les quartiers, face à la zone d’activités
des Peupliers et génère une activité
quotidienne dynamique.
La grille du projet cherche à se rattacher
à des axes existants dans deux cas : le
premier, au sud, concerne la rue Lachenal
du village Olympique ; le deuxième, la rue
Alfred de Musset jusqu’à la Villeneuve.
Ces deux prolongements nécessitent des
démolitions de bâtiments : une barre de
logement social dans le cas du VO et une
montée, le « 50 » à la Villeneuve, ainsi
qu’un parking silo. Au VO, la volonté était
d’obtenir une continuité entre la rueparc, l’allée des Romantiques, avec la rue
piétonne du grand ensemble : « Cette
rue parc, qui est de la même dimension
que les autres rues des axes nord-sud du
quartier, (…) est réduite au maximum. Il
n’y a pas beaucoup de stationnements.
Les arbres sont plantés sans alignement.
La rue est singulière. Elle fut dessinée
dans le prolongement de la rue Lachenal
du Village Olympique. Dans notre projet,
il y avait la démolition de ce bâtiment
que l’on reconstruisait ici. Là, on s’est
heurté à une opposition des habitants,
une opposition de principe qui nous a
beaucoup chagrinés. Le débouché de
cette rue aurait eu une autre signification.
Mais, on peut aussi comprendre le
sentiment des habitants. L’Opac était
d’accord, les Maires successifs aussi,
mais pas les habitants. Ils ont fait de la
résistance » (Loïzos Savva, Extrait du
parcours à Vigny-Musset, du 17 juin
2010).
Figure 26 Allée des Romantiques : la Rueparc
Source : photographie 2010, C. Bonnot
A la Villeneuve, il semble qu’aujourd’hui
la Ville ait décidé la destruction du n°50
de la barre de l’Arlequin. Paul Durand,
urbaniste à la Ville, en précise l’intérêt :
« Cela doit être confirmé prochainement,
dans le but d’ouvrir le parc de la
Villeneuve sur le quartier. Le but est aussi
de renforcer les polarités inter-quartiers
avec tout ce qui va se passer dans le
secteur des Peupliers avec la création
d’un espace public majeur. Dans le cadre
des démolitions, il y a ici une histoire
intéressante ».
Ces prolongements, projetés ou bientôt
réalisés, montrent la capacité du maillage
a proliféré.
2.2. Un maillage d’îlots
La trame du projet forme un maillage
rationnel composé d’îlots carrés ou
rectangulaires.
69
La municipalité d’Alain Carignon a insisté
maintes fois sur la volonté de favoriser
une forme urbaine contraire à celle du
VO et de la Villeneuve.
Dans un communiqué de 2006, le maire
revient sur ce qui a l’époque avait guidé
ses choix lors du concours, il souhaitait
« un quartier qui ressemble à la ville,
avec des angles droits, des croisements à
portée de pas, (…) des immeubles à taille
humaine, (…) une limite précise entre
le domaine privé et le domaine public,
(…) des rues où chacun a son domaine voiture, piétons, cyclistes - ne permettant
pas de rouler vite, ce qui a donné des
voiries étroites et un aménagement
spécifique avec des trottoirs larges et
arborés…»(Alain Carignon, pod-cast n°2,
17 février 2006).
Le plan du quartier est composé d’îlots
de 70 x 70 mètres ou de 70 x 110 mètres
(ressemblants à ceux d’Echirolles qui font
80 x 80 mètres). Les architectes défendent
un retour à l’îlot, en opposition à la forme
des grands ensembles environnants,
et qui permet la définition des espaces
publics et privés.
Pierre Granveaud raconte qu’une visite
de la Villeneuve, l’observation des
nombreux espaces « libres », « vacants »,
et souvent laissés à l’abandon, les a
confortés dans leur choix. Les îlots de
Vigny-Musset ne sont pas accessibles
au public, donc pas traversables. Ils
sont clôturés par de hautes grilles et
sont ornés d’espaces verts seulement
accessibles aux habitants de l’îlot.
Un des éléments de programme
concernait un parc public de 5 hectares,
que les études préalables de la Ville
plaçaient au sud du site, entre la nouvelle
ZAC et le VO.
70
Figure 27 Etude préalable pour
l’établissement de la ZAC Vigny-Musset
Source : document, archives de la Ville de
Grenoble
Les lauréats du concours ont déplacé et
contourné le programme en proposant
de distribuer les espaces verts à un
maximum d’habitants – les cœurs verts
des îlots – plutôt que d’aménager un
nouveau parc, celui de la Villeneuve,
le parc Jean Verlhac, étant déjà d’une
superficie immense et à terme, devrait
être visible depuis l’avenue Marie
Reynoard. « Cela permettait aussi de ne
pas faire des privilégiés qui auraient eu
la vue sur le parc depuis leur logement,
mais plutôt d’envisager une multitude de
petits jardins », explique Loïzos Savva.
Chaque cœur d’îlot accueillerait donc
un parc, élaboré sur un thème (paysage,
jardin d’agrément, jardin japonais) et
pensé par un paysagiste. Les espèces
sont choisies, comme dans l’allée des
Romantiques où les bouleaux, fougères
et bruyères cohabitent et restent
feuillues au fil des saisons.
Ces cœurs d’îlots offre une qualité aux
logements, bien qu’ils soient souvent
réglementés, interdisant notamment
les jeux de ballons ou les jeux d’enfants,
trop bruyants ! « Dans le quartier, les
logements sont tous banalisés face
aux espaces verts car ces derniers sont
essaimés un peu de partout. Et, du
coup, le parc s’est réduit à même pas un
hectare et il a été disposé de manière à
créer un campus » (Loïzos Savva, Extrait
du parcours à Vigny-Musset, du 17 juin
2010). En effet, le parc prévu a été réduit
à deux îlots, aménagé en terrasses et
proposant une aire de jeux pour enfants
au sud.
Le cahier des charges au niveau
architectural a été rédigé de façon
à homogénéiser les îlots. Les
préconisations concernent : le cœur des
îlots qui devaient correspondre à des
espaces privés, aménagés en jardin ;
la transparence des halls d’entrée, leur
surface (60 m2 en moyenne) et leur
fermeture ; deux niveaux de sous-sol
avec un accès par des rampes intégrées
aux bâtiments, fermées mais permettant
la transparence ; le travail des sols et des
bordures en pied d’immeuble (matériaux,
végétaux).
Dans le quartier Vigny-Musset, la grille
organise le territoire. Les interviewés
parlent d’îlots fermés, de carrés et de
rectangles réguliers, de trames mais
n’utilisent pas le terme de grille. Nous
l’avons vu, la trame se déforme au
contact d’autres tissus environnants,
notamment celui du grand ensemble du
Village Olympique et de la mégastructure
de la Villeneuve et tend surtout à les
pénétrer. La trame prolifère également,
au niveau des anciens Renault, l’actuelle
ZAC Flaubert.
Figure 28 Le parc de la ZAC
Source : photographie 2010, C. Bonnot
71
3. Le « maillage opportuniste » du centreville d’Echirolles
Avant même de répondre aux
questions de la recherche, c’est-à-dire
à est-ce que le centre-ville d’Echirolles
est une grille ?, est-ce que le centre-ville
d’Echirolles a la capacité d’organiser
le territoire ? et est-ce que les projets
en cours se saisissent de cette figure ?,
il convient de présenter brièvement
l’histoire de ce projet devenu réalité.
l’implantation d’activités du secteur
tertiaire. La proximité avec la ville centre
Grenoble, le projet de la 3ème ligne de
tramway et le développement du pôle
d’activités de Galaxie Sud sont autant
d’atouts pour la mise en œuvre de ce
projet de centre-ville.
Figure 29 Echirolles et son centre-ville
dans l’agglomération grenobloise
3.1. Une brève histoire du projet centre-ville
d’Echirolles
La commune d’Echirolles qui est dès
les années 1975 la plus importante
des communes périphériques de
l’agglomération grenobloise (34 000
habitants pour une agglomération
de 400 000 habitants en 1990) est
composée de quartiers d’habitat public
social (Village II, La Villeneuve, La Luire)
et d’habitat privé collectif (Jean Jaurès)
et individuel (La commanderie, Le
Mas Fleuri) et d’un quartier jouant le
rôle de centre (Le Village). Après une
urbanisation rapide où les équipements
les plus indispensables ont été réalisés,
elle est confrontée au problème de
l’organisation et de l’amélioration de
son urbanisation. Pour cela, elle doit
terminer l’urbanisation de son territoire,
requalifier le tissu urbain dans le sud de
l’agglomération fortement marqué par
le logement social car il a accueilli entre
1965 et 1975 une ZUP et les quartiers
du Village Olympique, de la Villeneuve
de Grenoble et d’Echirolles, et se doter
d’une identité spécifique.
Le projet du centre-ville d’Echirolles qui
date des années 1975 vise à créer un
centre à la mesure de l’importance de
la ville et permettre le développement
d’un pôle d’animation urbaine et
72
Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude
d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 8
Pour réaliser ce projet, la Ville d’Echirolles
engage les premières études préalables
dès 1975. Mais la mauvaise situation
financière de la commune due au déficit
généré par l’opération de logements
sociaux à La Villeneuve pousse la commune
à donner la priorité à l’implantation de
nouvelles activités économiques pour
accroître ses ressources et à développer
l’espace Comboire destiné à accueillir des
commerces et un parc technologique, au
détriment du centre-ville. La commune
laisse traîner le projet du centre-ville,
engage des réalisations ponctuelles
(le centre culturelle de La Rampe, un
lycée), et ce n’est que vingt ans après,
dès le milieu des années 1990, que les
premières constructions sortent de terre.
Figure 30 Commune d’Echirolles et ses
quartiers
Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude
d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 10
Le fait d’avoir « laisser traîner » le projet
a été une opportunité pour la commune
qui a pu ainsi prendre le temps pour mûrir
son projet. Les élus et les techniciens
ont remis en cause tout d’abord les
conclusions des premières études
réalisées par l’agence d’urbanisme et la
société d’aménagement du département
de l’Isère, puis progressivement les
outils traditionnels utilisés en matière
d’urbanisme
opérationnel,
pour
finalement développer une démarche de
projet urbain.
de logement (accession à la propriété,
locatif social) et souhaite faire de ce
centre un quartier d’habitat comme les
autres, et si possible vert comme les
nouveaux quartiers en construction dans
l’agglomération.
Lorsque la municipalité remet en cause
les conclusions des premières études,
elle n’a que des représentations vagues
de ce que pourrait être un futur centreville d’une commune de banlieue : elle
est favorable à une mixité des statuts
Aussi, en 1987, les responsables du
service d’urbanisme, poussent les élus
à préciser leurs représentations et leurs
demandent de relancer des études et
de mettre en place une démarche de
concertation.
73
Entre 1987
et 1989,
deux urbanistes
Pour
réaliser
ce les
projet,
la Ville
conseils choisisengage
par la ville
chargés
d’Echirolles
les sont
premières
de mettre
en place la
études
préalables
dèsconcertation
1975. Maisavec
la
les habitantssituation
et les acteurs
économiques
mauvaise
financière
de la
locaux. Cette
concertation,
d’abord
commune
due au
déficit généré
par
classique, avec
la réalisation
l’opération
de logements
sociaux d’une
à La
enquête parpousse
l’agence
d’urbanisme
auprès
Villeneuve
la commune
à donner
d’un
millieràde
personnes pour
recueillir
la
priorité
l’implantation
de nouvelles
leurs attentes
à l’égard du
futuraccroître
centreactivités
économiques
pour
ville,ressources
de débatsetpublics,
se poursuit
par
ses
à développer
l’espace
la mise en place
d’ateliers
thématiques,
Comboire
destiné
à accueillir
des
associant élus,
techniciens
et habitants.
commerces
et un
parc technologique,
au
Les propositions
formulées
lors de
détriment
du centre-ville.
La commune
cette traîner
concertation
sontdu synthétisées
laisse
le projet
centre-ville,
pour servir
matériaux quant
à la
engage
des deréalisations
ponctuelles
programmation
du futur
(le
centre culturelle
de centre-ville.
La Rampe, un
lycée), et ce n’est que vingt ans après,
« Il le
y amilieu
pas eu
consultations
ni les
de
dès
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années
1990, que
mise en concurrence
la ville
était
premières
constructionscar
sortent
de terre.
dans une phase de renouveau. C’était
l’idée
construire
untraîner
centre» ville.
Il y
Le
fait de
d’avoir
« laisser
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moment
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opportunité
pour
la commune
avait
une
grande
volonté
de lepour
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qui
a pu
ainsi
prendre
le temps
la population.
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a eu et
de les
la concertation
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projet. Les
techniciens
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dessins.
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d’abord les
conclusions des premières études
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des grandes
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de
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puis progressivement
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de grands
architectes,
le choix
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outils
traditionnels
utilisés
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d’Echirolles était de
dire que non, on
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d’urbanisme
opérationnel,
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travaillant
avec
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démarche
de
les habitants
projet
urbain.depuis des années, il fallait
donc que nous co-construisions le projet
avec eux.laLamunicipalité
forme, à l’époque,
Lorsque
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cause
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encore décidée,
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centreavec d’une
cette équipe
« Combaz
– Sauvage
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de banlieue
: elle
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avait été àmissionnée
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des assister
statuts
la ville
à la concertation.»
du
de
logement
(accession à la(Extrait
propriété,
parcourssocial)
Echirolles
Centre faire
du 15dejuin
locatif
et souhaite
ce
2010). un quartier d’habitat comme les
centre
autres, et si possible vert comme les
nouveaux quartiers en construction dans
l’agglomération.
Aussi, en 1987, les responsables du
74
Au cours du projet, un dispositif
organisationnel se dessine pour conduire
les études, encadrer la concertation et
suivre les réalisations. Il comporte trois
« dispositifs-gigognes » qui associent des
acteurs différents :
- une équipe de maîtrise d’œuvre
urbaine ou équipe technique
centre-ville, composée d’acteurs
professionnels, à savoir le service
d’urbanisme de la ville et deux
urbanistes-conseils.
D’autres
professionnels (des autres services
municipaux,
prestataires
de
services extérieurs comme l’agence
d’urbanisme, le cabinet TEN RhôneAlpes, la CCI, le cabinet Territoires
38, bureaux d’études en VRD)
sont, en fonction des besoins,
associés. Cette équipe, qui se réunit
hebdomadairement, tranche sur les
questions relatives aux programmes
de construction.
- une équipe de maîtrise d’ouvrage
urbaine, composée de l’équipe
technique et des élus chargés
de l’économie, des travaux, de
l’urbanisme et des finances. Elle valide
les décisions prises par les techniciens.
- et un groupe de pilotage, qui
comprend l’équipe technique, la
maîtrise d’ouvrage et d’autres élus
dont le maire. Il se réunit quatre à
cinq fois par an et se prononce sur les
objectifs généraux du projet urbain
(plan de composition urbaine, schéma
de définition des espaces publics,
programmation, ZAC).
Au sein de ce dispositif, si les techniciens
proposent et tranchent sur des questions
de contenu relatives aux programmes, ce
sont les élus, et en particulier le conseil
municipal, instance habilitée à décider
lorsque la responsabilité de la commune
est engagée, qui délibèrent sur les
projets et les actions ayant fait l’objet de
nombreux allers et retours.
Figures 31 Echirolles. Centre-ville.
31a) Schéma de structure,
3.2. Le centre-ville d’Echirolles, un «maillage
opportuniste» plutôt qu’une grille
A l’issue de la concertation, quelques
idées et concepts sont mobilisés par les
deux urbanistes conseils pour formuler
un schéma de structure. Ce dernier fixe
le projet urbain du centre-ville, c’està-dire les règles de constructibilité des
sols à partir d’un tracé de l’espace public
lisible, qui soit simple et hiérarchisé. Ce
schéma de structure est fondé sur quatre
principes :
- la constitution de l’avenue du 8 mai
1954 comme véritable épine dorsale du
centre-ville, car lisible et accessible. Son
gabarit de 40 mètres permet d’accueillir
deux chaussées, un site propre pour
le tramway, des stationnements, des
trottoirs, des plantations et du mobilier
urbain. Un front bâti continu doit être
réalisé à l’alignement du domaine public ;
31b) Avenue
- tous les espaces et équipements
majeurs du centre-ville devant être
reliés directement à cet axe fédérateur.
Ce principe favorise un maillage viaire
venant croiser l’avenue, la constitution
d’une place transversale et la mise en
place de parvis favorisant l’adressage des
équipements sur cet axe ;
- les fonctions porteuses d’animation
urbaine étant réunies autour d’une vaste
place transversale (80 x 200 mètres),
composée sur ces quatre façades d’une
architecture urbaine d’alignement ;
- et une maille régulière de voirie
ordinaire (gabarit 25 mètres) permettant
un découpage au sol en îlots carrés de 80
x 80 mètres.
Sources : M. Combaz, Y. Sauvage. Echirolles.
Centre-ville. Schéma de structure. Echirolles,
1991. Centre-ville. Etudes complémentaires.
Echirolles, 1989
75
31c) Place
Ce schéma de structure comprend à la
fois des documents prescriptifs et des
simulations d’aménagement :
- un schéma de définition des espaces
publics qui fixe leur tracé et en définit
le gabarit,
- les règles de constitution des îlots
(implantation à l’alignement ou en
retrait, si l’alignement est matérialisé
par une clôture ou plantation,
continuité ou discontinuité),
- une analyse de la capacité des
îlots à accueillir des typologies
architecturales diverses,
- une simulation des programmes de
logements ou d’activités possibles sur
les différents îlots,
- et la localisation des principales
fonctions de centralité (commerces,
services, équipements publics).
76
Ce schéma définit de manière stricte
le tracé des espaces publics comme
les règles de leur constitution. Il fixe
les principes de découpage des sols et
de constitution des îlots. Mais, il reste
très souple tant en ce qui concerne
l’architecture des constructions que
les éléments de programmation. Il
permet d’accueillir différents types
de programmes immobiliers tant de
logements que d’activités économiques.
Dès le début des réflexions sur le projet
du centre-ville d’Echirolles, la forme
urbaine en maille régulière, avec des îlots
carrés de même dimension suggère une
référence à la figure de la grille. Les îlots
sont des îlots ouverts autour desquels
on circule, qui pour certains accueillent
en leur sein des équipements, pour
d’autres des logements et des espaces
verts privés. Le stationnement se fait sur
les voiries qui les bordent ou en soussols de certains immeubles. Dans les
îlots qui bordent des axes importants
de circulation comme l’avenue du 8 Mai
1945, des commerces sont implantés en
rez-de-chaussée.
Mais l’un des deux urbanistes conseils,
récemment interviewé, explique que dès
le départ du projet, ils n’ont pas parlé de
grille. Ils ont utilisé les termes de matrice,
de maille ou de « maillage opportuniste »
de la ville pour mettre l’accent sur l’idée
de connexion plutôt que sur celle de
régularité : « la matrice elle est là (…) un
système de maillage viaire (…) la matrice
de la place (…) une maille (…) un système
de maillage… qui se recoupe de façon
opportuniste… Maillage c’est connexion.
La grille renvoie à la régularité.» (Extraits
du parcours Echirolles Centre du 15 juin
2010)
La matrice du projet est définie en partant
de l’avenue du 8 mai 1945. D’abord
régulière, car composée d’îlots carrés
et d’un maillage viaire rectangulaire,
la matrice devient irrégulière puisque
les îlots n’ont pas tous la même taille
et que le maillage viaire se déforme en
s’éloignant de l’avenue du 8 mai 1945 et
en allant vers l’est de la ville.
Figure 32 Principe d’organisation du
centre-ville d’Echirolles
une grille mais un système de maillage
qui vient chercher cette avenue et qui
se recoupe de façon opportuniste pour
découper des îlots. C’est vrai que l’on a
beaucoup travaillé sur le 80/80, (…) mais
on n’en a aucun de régulier.» (Extrait du
parcours Echirolles Centre du 15 juin
2010).
Figure 33 Esquisse de composition
générale
Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude
d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 69
Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude
d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 25
Pour ces urbanistes conseils, ce maillage
« opportuniste » qui se traduit par du
« lotissement urbain » a vocation à
mettre de l’ordre et à accueillir toutes
sortes d’éléments.
« Après, ça n’est pas un urbanisme de
grille (…), ce n’est pas une théorie de la
ville régulière. Il y avait une régularité
cherchée sur mai 1945, car il y avait un
tel chaos qu’il fallait produire un ordre
lisible et ensuite faire une avenue de
cette importance avec une seule rive
aménageable car le lycée était déjà en
place. Ça n’est pas facile, on a donné un
grand ordre avec un cahier des charges
très précis pour les systèmes d’angles par
exemple, qui finalement se perçoivent
peu mais qui favorisent une diversité
architecturale. On n’a pas vraiment
« Nécessité de mettre un peu d’ordre
dans un endroit qui en manquait : notion
de lotissement urbain. C’est-à-dire un
découpage du sol entre privé et public
puis un redécoupage de l’espace privé.
Il y a ensuite des lots. Les lots sont des
lots îlots. Cette indépendance totale,
comment dire, que l’on défendait ne
c’est pas fait. Les évolutions se sont fait
lots par lots. On retrouve des éléments
communs. Les jardins sont collectivisés.
On a beaucoup employé le terme de
lotissement urbain. (…) Notre point
d’ancrage était programmatif. Du
77
fait que l’on n’avait pas d’élément de
programme : quelques mètres carré
d’université et peut être un hôtel de
ville, je dis bien peut être. L’objectif est
que dans la taille, nous avons testé du
supermarché à la salle de spectacles.
On a testé la capacité des îlots. Cela
était assez efficace. On a jamais bougé
l’espace public et sont venus, là dedans,
un multiplex, non prévu, une très grosse
clinique… . On était plus programme (…)»
(Extrait du séminaire à la Bastille du 28
juin 2010).
L’espace du futur centre-ville d’Echirolles
n’étant
pasLesvierge,
cette matrice
doit
Figure 34
équipements
d’Echirolles
d’abord
intégrer
les
équipements
préexistants au projet du centre-ville
préexistants au projet de centre-ville
(équipement culturel de La Rampe,
le lycée…) et les quelques logements
collectifs et individuels présents sur le
territoire du projet.
78
L’espace du futur centre-ville d’Echirolles
n’étant pas vierge, cette matrice doit
d’abord intégrer les
équipements
préexistants au projet de centre-ville
(équipement culturel de La Rampe,
le lycée…) et les quelques logements
collectifs et individuels présents sur le
territoire du projet.
Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude
d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 17
Figure 35 Morphologie du bâti préexistant
au projet du centre-ville
Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude
d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 20
Puis, ce maillage doit également accueillir
le futur programme de logements,
d’équipements, d’espaces publics du
projet. « L’idée d’une matrice qui était
plutôt prête à accueillir des programmes
avec une grosse capacité d’adaptabilité
mais avec des éléments invariants
classiques, le lotissement urbain avec un
espace public inaliénable, avec aucune
négociation sur des redimensionnements
d’îlots et ça c’est ce qui a fait tenir le
projet. Il n’y avait pas de contenus dans
le programme initial, mais nous avons
pu prendre de vrais risques. » (Extrait
du parcours Echirolles Centre du 15 juin
2010).
3.3. Le «maillage opportuniste», une volonté et
une capacité à organiser le reste de la ville
Les urbanistes conseils disent volontiers
s’inspirer de la figure de la grille utilisée
par Cerda à Barcelone ou de celle
mobilisée pour urbaniser New York.
Mais ils disent en même temps qu’ils s’en
éloignent, cette figure leur paraissant
trop rigide, trop régulière.
« Après est ce que c’est une grille ? Heu,
partiellement quand même je dirais.
Là encore au sens de quelque chose qui
installe un principe de prise de position.
Les terrains étaient disponibles sur
Echirolles, depuis très longtemps, une
cinquantaine d’hectares. Ça permettait
d’en prendre la mesure, de définir un
certain nombre de principes, d’échelle,
d’éléments. Partiellement oui, dans la
mesure ou à un moment où la grille
crée 113 ou 117 à Barcelone. Nous, elle
fait 80, non, 102 si on parle de la grille
strictement, des axes de composition.
80 par 80 pour les îlots. C’est un peu plus
de 6000 m². Ce qui se dimensionne avec
des idées d’un projet urbain possible avec
toutes les souplesses et substituvité. C’est
une des grandes leçons de Barcelone.
Pourquoi 80 par 80. C’est les éléments
en place qui le détermine. Nous, c’est
des éléments en place, très présents,
importants. Ils relèvent, à la foi, d’une
idée générique, d’un modèle et aussi
des éléments mis en place.» (Extrait du
séminaire à la Bastille du 28 juin 2010).
Formés
dans
différentes
écoles
d’architecture, ils évoquent la référence à
la ville régulière de Malverti, la référence
à l’îlot de Panerai, Devillers et de Huet,
celle de la ville historique de Rossi,
les influences de l’Ecole de Versailles,
ainsi que de la géographie française
de Lavedan. Ils disent également s’être
inspiré d’un texte produit à l’époque
du projet du centre-ville, le texte de
Tabouret et Beret de l’AURG, « Maille à
l’endroit et à l’envers ».
79
Pour eux, la figure de la grille peut être
étendue au reste du territoire échirollois.
« Nous, nous avons pris comme modèle
une extension possible. Ne pas faire un
super quartier. L’idée était de créer un
élément à partir du quel va se rajouter
d’autres couches sur d’autres points de
la ville. Elle est définie comme dispositif.
Là, c’est la grille, dans cette temporalité.
Dans le dossier d’origine, il y a l’idée de
recouvrir la rocade. Ça a été repris dans le
PLU. La maille est là pour aller chercher le
nord. » (Extrait du séminaire à la Bastille
du 28 juin 2010).
Figures 36 Adaptation des îlots en limites
Ouest et Est
Mais cette extension n’est possible que
à la condition de pouvoir déformer et
adapter le maillage et l’îlot à ce qui
existe déjà et aux futurs programmes
de construction. « Donc voila, les petites
maisons Poloti, c’est cette diagonale làbas, qui nous on fait déformer la grille. »
(Extrait du parcours Echirolles Centre du
15 juin 2010).
Le maillage doit donc être souple pour
pouvoir créer de la continuité avec les
axes existants. « Il y avait deux dessins
importants (…). Y’a le dessin théorique ou
tout est régulier, ou ça vient s’estomper,
ou l’on ne montre pas les raccords avec
l’existant. Puis, on retrouve le vrai dessin
de projet urbain, qui partant de ça n’a
gardé cette structure fixe que sur mai
1945 et la place centrale et qui ensuite
est venu chercher des vrais solutions
de jonctions, de continuités avec les
rues existantes. » (Extrait du parcours
Echirolles Centre du 15 juin 2010).
80
Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude
d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 73 et p. 75
Le maillage opportuniste de ce
centre-ville ressemble à une forme
de « bricolage » entre des références
théoriques et des contingences locales,
qui a pour vocation à organiser le reste
de la ville, voire la périphérie sud de
l’agglomération grenobloise.
4. Le projet en cours de NOVASUD21, une
mobilisation de la référence «maillage
opportuniste»
A la question est-ce que des projets
en cours dans la périphérie sud
grenobloise se saisissent de cette figure,
il semblerait que l’on puisse répondre
par l’affirmative. Depuis 2008, dans le
sud de l’agglomération grenobloise, à
la demande des communes d’Eybens
et d’Echirolles, un projet urbain est
en cours de réflexion : NOVASUD21
(projet Novateur, Solidarité Urbaine
et Durable au 21ème siècle). Ce projet
vise à constituer la « Ville Sud » et à
répondre au projet d’agglomération
acte II qui s’oriente aujourd’hui vers
une agglomération tripolaire avec
connexions entre les trois pôles, situés
chacun à l’entrée d’une trois vallées
qui structurent morphologiquement le
territoire grenoblois en Y.
architectes conseils, de deux bureaux
d’études spécialisés en déplacements
et infrastructures, et de trois experts
spécialisés en programmation, en
stratégies urbaines et en communication,
montrent qu’il y a deux types de centralité
dans le sud :
- des centralités linéaires le long des
deux axes historiques, Lesdiguières
et Jean Perrot, qui fonctionnent de
manière autonome.
- des centralités polaires, parfois
mixtes
(centres
villes),
mais
souvent thématisées : commerces,
équipements, activités économiques
d’un certain type (médical).
Figure 38 Centralités dans le sud de
l’agglomération
Figure 37 Polarités à l’échelle de
l’agglomération grenobloise
Source : SUD. Dossier de synthèse. Analyses/
Enjeux /Scénarios /Stratégies /hypothèses
d’aménagement. Grenoble, 2008
Source : SUD. Dossier de synthèse. Analyses/
Enjeux /Scénarios /Stratégies /hypothèses
d’aménagement. Grenoble, 2008
Les analyses qui ont été menées
par l’équipe d’experts chargée de
penser ce projet, composée de trois
Toutefois, il n’y a pas de lien entre ces
centralités ou de polarité structurante à
l’échelle de l’agglomération. En effet, à
l’exception de l’Espace Comboire, situé
entre le Drac et l’autoroute A 48, les
pôles de centralités sont tous implantés
sur des systèmes linéaires et ont pour
autre particularité de se situer de part
et d’autre d’une voie rapide, la Rocade
Sud. Ces centralités souffrent donc d’une
grande discontinuité.
81
Le projet NOVASUD souhaite développer
un pôle suffisamment fort pour fédérer
l’ensemble de ces centralités. Ce pôle
Sud, pour faire face aux grands espaces
polarisés du Nord de l’agglomération
(Polygone scientifique, CHU, Campus,
ZIRST) viserait plutôt la mixité urbaine,
l’intensité (vie sociale, vie culturelle, vie
économique ), la qualité des espaces
publics (continuité), la densité de
commerces et services qui caractérisent
la ville traditionnelle, tout en valorisant
certaines caractéristiques de la ville
moderne présentes dans le sud (interdéfinition des espaces libres privés
et publics ; qualité résidentielle des
ensembles d’habitat ; autonomie
typologique des édifices…).
Figure 39 La Gare d’Echirolles au cœur
d’un vaste quadrilatère concentrant
diverses fonctions
espaces libres à dominante végétale
(trame verte reliant parcs et espaces
naturels), en rapportant une couche
d’urbanisation dense et en restructurant
une maillage viaire et parcellaire
génératrice de renouvellement urbain.
La Gare d’Echirolles, qui devient le centre
de ce pôle, est dans sa composition
urbaine maillée et densifiée. Une
structure
rectangulaire
composée
d’axes et d’îlots pouvant accueillir
des équipements, des activités et des
logements présents et nouveaux est
créée. Les axes de circulation et les
espaces publics sont reliés à ceux du
centre-ville d’Echirolles. La Rocade est
recouverte à cet endroit, créant une
opportunité unique d’aménagement
durable (économie foncière, réduction
des nuisances, mixité urbaine), le
tout adossé à une intermodalité
exceptionnelle.
Figures 40 Développement du maillage
40 a) Développement du maillage viaire
Source : SUD. Dossier de synthèse. Analyses/
Enjeux /Scénarios /Stratégies /hypothèses
d’aménagement. Grenoble, 2008
Ce projet propose de faire à la fois la
Ville Sud et son centre, en intégrant
pleinement à l’organisation urbaine les
équipements et les commerces autrefois
pensés comme « périphériques », en
développant une ossature d’espaces
publics, en créant une continuité des
82
Source : SUD. Dossier de synthèse. Analyses/
Enjeux /Scénarios /Stratégies /hypothèses
d’aménagement. Grenoble, 2008
40 b) Développement du maillage modes
doux
Ce projet, à bien des égards, mobilise la
référence du « maillage opportuniste »
développée
dans
le
centre-ville
d’Echirolles et indirectement la figure
de la grille. Là encore, il s’agit de mettre
de l’ordre dans les tissus urbains très
disparates, de les mettre en lien, de créer
un maillage à l’image de celui du centreville d’Echirolles ou du quartier VignyMusset à Grenoble.
Figure 41 Projet futur de la Gare
d’Echirolles comme centralité
La présence d’un des deux urbanistes
conseils du centre-ville d’Echirolles dans
l’équipe d’experts explique peut-être que
ce projet reprenne en partie la référence
du « maillage opportuniste » pour donner
de la cohérence aux territoires du sud de
l’agglomération grenobloise.
Source : Plan élaboré par l’équipe d’experts,
en charge du projet NOVASUD, Grenoble,
2008.
83
Bibliographie
La grille
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84
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SUD. Dossier de synthèse. Analyses/
Enjeux /Scénarios /Stratégies /hypothèses
d’aménagement. Grenoble, 2008.
85
86
Chapitre 3
La Rocade Sud, une ville linéaire en gestation
Natacha Seigneuret et Gilles Novarina
Introduction
Quelles sont les relations entre Rocade Sud
et ville linéaire ?
pour séparer ville-centre et banlieues.
Le caractère principalement routier
est délibérément écarté, la Rocade
Sud ne joue plus un rôle de voie de
transit pour éviter la ville, elle offre
aux habitants comme aux territoriants
la possibilité de disposer d’un nouvel
espace de distribution et de mise en
contact entre ville-centre et banlieue
dans la perspective d’une agglomération
grenobloise homogène.
Figures 1 : Rocade Sud, Agglomération de
Grenoble
Mobiliser la figure de la ville linéaire
nous permet de questionner le rôle
des infrastructures routières dans la
planification
territoriale
moderne.
Les axes de mobilités sont support de
nombreuses utopies, ils représentent
une forme dynamique, propre en
conséquence à porter le progrès, la
vitesse, la richesse d’un territoire. Dans la
planification territoriale contemporaine,
le rôle des axes de mobilité se
transforme, ils conservent leurs qualités
originelles, mais ils acquièrent des
qualités nouvelles. Ils deviennent
éléments de distribution, de liaisons et ils
s’offrent comme agrégateurs des espaces
périphériques diffus et ségrégués. Ils
acquièrent ainsi une capacité à participer
à la structuration d’un territoire.
Couverture partielle et continuité bâtie,
transformation en parkway intégrée dans
un maillage végétal, intégration dans un
système de mobilités multimodales…
Dans le sud de l’agglomération
grenobloise, les projets contemporains
s’attachent tous à donner une nouvelle
définition à la Rocade Sud. Ils cherchent
tous à supprimer la prédisposition
originelle de cet axe comme limite à
l’urbanisation et comme espace tampon
Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble,
IUG, 2009-2010.
87
1. La ville linéaire, une figure adaptée pour
lire le Sud de l’agglomération ?
Les relations entre infrastructure routière
et urbanisation sont anciennes. Il serait
arbitraire « d’affirmer que la conception
des réseaux de transport dans leurs
relations aux fonctions urbaines ne voit
le jour que dans la seconde partie du
XIXème siècle. » (Wachter, 2003, p13).
Virgilio Vercelloni, dans son ouvrage sur
la cité idéale en Occident, présentent
de nombreux exemples antérieurs et les
illustre remarquablement.
Certains paraissent extraordinaires
et presque anachroniques, lorsque
nous les comparons à des projets
dessinés quelques siècles plus tard. Il
en va ainsi des esquisses de Léonard
de Vinci au XVème siècle « parce qu’elles
renferment une invention véritable,
l’idée d’une rénovation radicale de la
structure des déplacements dans la ville
contemporaine » (Vercelloni, 1994, p43),
lorsqu’on les compare aux grands travaux
hygiénistes de Londres ou Paris.
Il en va aussi du dessin de la Strada
Nuova projetée au XVIème siècle à Gènes
qui constitue une cité idéale personnelle,
longuement pensée et finalement
édifiée afin de permettre à la noblesse
de montrer sa richesse économique par
l’édification de magnifiques palais le long
d’un axe majeur de la ville, à l’instar de
la mise en scène projetée pour Chicago,
par le City Beautiful Movement à la fin du
XIXème siècle.
Néanmoins, à partir de la fin du XIXème
siècle, se développent les utopies
qui mettent en relation mobilité et
morphologie urbaine et donnent
naissance à des projets qui sont réalisés,
88
pour les plus emblématiques d’une
nouvelle modernité, à Barcelone par
Ildefonso Cerdà et à Paris par Haussmann
et Alphand. Cette période historique,
identifiée par Christian de Portzamparc et
Olivier Mongin, comme le premier âge de
la ville, correspond ainsi à l’apparition de
l’urbanisme dans une société bourgeoise
en cours d’affirmation. Au sein de cette
concentration
généreuse d’utopies,
nous avons choisi de retenir la ville
linéaire, comme expression remarquable
de la relation entre réseau de transport
et morphologie urbaine.
La rue comme lieu des différents modes
de déplacements
Figure 2 : Milan, Léonard de Vinci, XVème
siècle
Figure 3 : Londres, XIXème siècle
La rue comme lieu de représentation
construite de son statut social
Figure 4 : Gènes, Strada Nuova, XVIème
siècle
populations ouvrières dans une société
en cours d’industrialisation. La densité
de la ville et l’obsolescence des réseaux
de transport sont alors dénoncées et le
rejet de la ville ancienne est l’élément
commun des théoriciens qui recherchent
à intégrer les apports du monde industriel
et à articuler réseaux viaires et formes
urbaines. Tous rejettent l’urbanisme
compact et confus de la ville historique.
La ville linéaire, propre à porter la vitesse,
le mouvement, la modernité
Figure 5 : Chicago, l’essai du City Beautiful
Movement, XIXème siècle
Figure 6 : Paris, Rue de Rivoli, Edvard
Munch, Paris 1891
Source : V. Vercelloni, Atlante storico dell’idea
europea della città ideale, Milan, Editions Jaca
Book, 1994.
1.1- L’accent mis sur l’importance des réseaux
Source : La Ville, Art et architecture en Europe
1870-1993, Paris, Editions Centre Georges
Pompidou. 1994.
La ville linéaire appartient aux travaux
théoriques développés dans le premier
âge de la ville, autrement dit dans la
période qui s’étend de la fin du XIXème
siècle à la seconde guerre mondiale. Cette
phase va être une étape de fondation,
des premières théories de l’urbanisme,
dont l’objectif est l’amélioration des
conditions de vie et de logements des
De Cerdà qui écrit en 1867 : « Nos villes
ne répondent pas à nos souhaits et à nos
objectifs. Elles s’opposent à notre activité
et à notre manière de vivre. Rien dans
la ville de nos ancêtres ne correspond
plus aux besoins de notre vie sociale
et urbaine... Hommes de l’époque de
l’électricité et de la vapeur !... N’ayez
89
pas peur de proclamer : nous sommes
une nouvelle génération, nous disposons
de nouveaux moyens infiniment plus
puissants que ceux des générations
précédentes, nous menons une vie
nouvelle, les vieilles villes ne sont que
des obstacles. A bas, donc, ces villes ! »
(Cerdà in Melissinos, 2007, p5). A Le
Corbusier qui lui emboîte le pas en
1924 : « La ville est un outil de travail. Les
villes ne remplissent plus normalement
cette fonction. Elles sont inefficaces :
elles usent le corps, elles contrecarrent
l’esprit. Le désordre qui s’y multiplie est
offensant, leur déchéance blesse notre
amour-propre et froisse notre dignité.
Elles ne sont pas dignes de l’époque : elles
ne sont plus dignes de nous. » (Cerdà in
Melissinos, 2007, p6).
Figure 7 : La dynamique de la flèche, Paul
Klee, 1920
Source : La Ville, Art et architecture en Europe
1870-1993, Paris, Editions Centre Georges
Pompidou. 1994.
90
Pour ces urbanistes comme pour les
artistes modernes, la ville historique
présente
une
forme
urbaine
radioconcentrique considérée comme
une forme statique, alors que la forme
urbaine linéaire représente une forme
dynamique, propre en conséquence à
porter le progrès, la vitesse, la croissance.
C’est la dynamique de la flèche, figurée
par les mouvements artistiques dès la fin
du XIXème siècle, développée par Paul Klee
pour son enseignement au Bauhaus dans
les années 1920 et qui constitue l’axe
structurant donnant naissance à la cité
linéaire.
1.2- La Ciudad lineal, Arturo Soria Y Mata
Arturo Soria Y Matta compte parmi
les théoriciens de l’urbanisme qui ont
cherché à matérialiser leurs principes
d’organisation de la ville dans un projet
concret. Avant même d’écrire son livre
dans lequel il développe sa conception
de la cité linéaire, il se lance dans la
création d’une compagnie immobilière,
La Compañia Madrileña de Urbanización,
créée en 1894, qui réalise, dans la
banlieue de Madrid, un premier tronçon
de ville linéaire de part et d’autre d’une
voie de plus de cinq kilomètres de long,
voie qui accueille une ligne de tramway.
Il compte, avec Ebenezer Howard, parmi
les rares personnalités de la fin du XIXème
siècle, qui ont cherché à concrétiser leur
utopie (Soria Y Matta, 1979).
Arturo Soria Y Matta part d’une critique
de la congestion urbaine et de l’abandon
des campagnes pour proposer une
nouvelle forme d’organisation de la
cité qui soit une alternative à ce qu’il
appelle la « ville-point ». Cette nouvelle
organisation
doit permettre, en
démolissant les habitations à étages de
donner à chaque habitant un lopin de
terres où il pourra bâtir sa maison et
entretenir un jardin. Le projet d’Arturo
Soria Y Matta associe au tracé d’une
voie accueillant dans sa partie centrale
un moyen moderne de locomotion
(tramway électrique) un lotissement tout
particulièrement régulier. Les règles et
principes qui procèdent à l’organisation
de la cité linéaire sont en effet très précis.
1. La rue centrale (« rue cardo »), qui
sert d’élément générateur au plan,
a une dimension proportionnelle à
l’importance de la cité linéaire, qui
est de 40, 60 ou 100 mètres. Plantée
d’arbres, elle comprend des trottoirs
et des chaussées pavées permettant
le passage d’une ligne de tramway
et de véhicules individuels (voitures,
bicyclettes, véhicules à traction
animale). Tous les 300 mètres, aux
intersections, des kiosques sont
implantés de manière à permettre
l’accueil de commerces et services
La Ciudad lineal
Figure 8 : Madrid, Progetto di Ciudad
Lineal, Soria Y Mata, 1892
Figure 9 : Madrid, la maison à 6 000
pesetas, Soria Y Mata, 1892
2.
Les
voies
perpendiculaires
permettant
une
desserte
en
profondeurs des lots sont implantées
tous les 300 mètres et ont 20 mètres
de large.
3. Les îlots ont des dimensions de
300 m. x 500 m. et sont subdivisés
en parcelles qui pour les plus petites
d’entre elles sont de 40 m. x 40 m.
Des parcelles plus grandes permettent
d’accueillir des habitations plus
luxueuses.
4. L’emprise au sol des maisons
est au maximum de 1/5ème et elles
sont implantées à une distance de
l’alignement de 5 mètres en ce qui
concerne la rue principale, de 3
mètres pour les autres voies. Toutes
les maisons sont indépendantes.
Figure 10 : Premier quartier de la ville
linéaire
Source : Soria Y Matta A., La cité linéaire.
Conception pour l’aménagement des villes,
Paris, Centre d’Etudes et de Recherches
Architecturales, 1979. (réédition et traduction
en français du texte originel de 1913).
91
La cité linéaire peut être pensée comme
l’extension d’une « ville point » existante,
comme un jonction entre deux « villespoints » et Arturo Soria Y Mata considère
que si elle envahit de vastes portions du
territoire, elle peut contribuer à rénover
en profondeur la campagne : « la cité
linéaire se prolonge dans la campagne,
gravissant les montagnes et gagnant les
sites pittoresques, étalant le charme de
ses lotissements sur les bords du fleuve
et sur les côtes du littoral. Et partout sur
son passage, les solitudes se peuplent, les
terres entrent en culture, les chutes d’eau
sont utilisées, les mines et les carrières
sont exploitées, la richesse se crée, la
ville surgit » (Soria Y Matta, 1979, p.16).
Comme Idelfonso Cerdà, qui imagine
que sa grille envahira l’ensemble du
continent européen (Novarina, 2008),
Arturo Soria Y Matta envisage que la ville
linéaire, reliant les villes existantes, finira
par structurer le grand territoire sur la
base d’un processus de « triangulation ».
« Le meilleur moyen pour que les villespoints du passé, dans lesquelles la valeur
du terrain décroît en suivant des lignes
concentriques au fur et à mesure que
l’on s’éloigne du centre pour aller vers les
banlieues, puissent vivre côte à côte des
cités linéaires de l’avenir, dans lesquelles
la valeur du terrain est inversement
proportionnel à l’éloignement des voies
parallèles à l’avenue centrale avec ses
moyens de communications, c’est de
réunir les villes actuelles ou cités-points
par des cités linéaires. De cette façon, il
se formera avec le temps dans chaque
pays un vaste réseau de triangulation
dans lequel la surface de chaque triangle
urbain, déterminé par les sommets
des anciennes villes et les côtés des
villes nouvelles, sera consacrée à des
exploitations agricoles et industrielles »
(Soria Y Matta, 1979, p.18).
92
La Ciudad lineal
Figure 11 : Ville linéaire entre deux villes
points
Figure 12 : Processus de triangulation
Source : Soria Y Matta A., La cité linéaire.
Conception pour l’aménagement des villes,
Paris, Centre d’Etudes et de Recherches
Architecturales, 1979. (réédition et traduction
en français du texte originel de 1913).
Les deux urbanistes espagnols, que
sont Idelfonso Cerdà et Arturo Soria Y
Matta, développent une critique de la
ville historique dont les fortifications
empêchent le plein épanouissement : en
limitant le développement de la ville, ces
enceintes contribuent à une raréfaction
des terrains et des logements disponibles,
à une hausse des valeurs immobilières et
des loyers et expliquent l’entassement
des couches populaires dans certains
quartiers. Défenseurs d’un urbanisme de
réseau (pour reprendre ici l’expression
de Gabriel Dupuy), I. Cerdà et A. Soria
Y Matta en viennent à proposer, selon
des modalités différentes, une sorte de
ville-territoire qui ne peut connaître de
limite à son extension. Leurs propositions
d’organisation font l’objet d’un début
de mise en œuvre à Barcelone pour le
premier, à Madrid pour le second, mais les
réalisations qui en découlent (l’extension
dense de la capitale catalane d’une part,
un lotissement de villas dans la banlieue
madrilène de l’autre) ne correspondent
pas pleinement aux intentions de leurs
créateurs.
La « Ciudad lineal » constitue une des
premières tentatives de construction d’un
urbanisme des réseaux (Dupuy, 1991)
qui s’appuie sur la création de lignes de
tramway. Le modèle proposé est fondé
sur un découpage du sol en parcelles de
tailles différentes, permettant d’accueillir
des maisons individuelles de tailles et
de prix différents, pour répondre aux
besoins des différentes catégories de la
population. L’accent est par ailleurs mis,
comme dans la cité-jardin, sur la mise à
disposition d’un jardin individuel et plus
largement sur une réconciliation entre la
ville et la campagne. Le modèle proposé
ne constitue pas une utopie à proprement
parler, car la ville linéaire cherche à
s’insérer à l’intérieur de l’urbanisation
existante, tout en proposant une
réorganisation d’ensemble du grand
territoire.
1.3- La ville linéaire, Nicolaï Milioutine
Quelques années plus tard, Nicolaï
Milioutine (1899-1942) s’inscrit lui aussi
dans un courant de fondation de la pensée
urbanistique séduit par les qualités
du développement urbain linéaire.
Il développe sa pensée urbanistique
dans le contexte de la révolution russe
de 1917, dans laquelle l joue un rôle
politique comme commissaire du peuple
aux finances dans les premiers temps de
la révolution. Il apporte sa contribution
aux soviets lieux de réflexion alors
ouverts à chaque membre de la société
soviétique pour proposer un axe de
développement destiné à construire
un nouveau monde. Pour Nicolaï
Milioutine, cette reconstruction ou
perestroïka, doit rechercher un modèle
urbain subordonné à l’économie du
territoire. « La restructuration massive
de l’économie selon les principes du
socialisme conduit inévitablement la
reconstruction de la culture et de la vie
quotidienne ». (Milioutine, 2002, p48)
Nicolaï Milioutine, expérimente tout
d’abord ses idées dans la commande
de logements débarrassés de ses
attributs bourgeois, dans l’écriture
architecturale
comme
dans
la
distribution fonctionnelle intérieure.
La libération de la femme et la mise
en commun des équipements doivent
déboucher, pour Nicolaï Milioutine, sur
une nouvelle structuration de l’habitat,
alliant simplicité et fonctionnalité de
l’architecture pour une collectivisation
des équipements domestiques (cuisine,
buanderie) et des équipements culturels
(bibliothèque, gymnase). La réalisation
du Narkomfin est une illustration de cette
pensée. Dessiné par Ginzbourg et Milinis
en 1928, et achevé en1932 à Moscou,
cet immeuble influence Le Corbusier qui
en reprend les principes dans ses unités
d’habitations.
Nicolaï Milioutine participe ensuite au
débat sur la cité idéale soviétique avec
la publication en 1930, d’un manifeste
d’urbanisme pour la construction de villes
nouvelles. Ce manifeste de l’urbanisme
utopique soviétique récuse les modèles
des villes traditionnelles pour prolonger
93
les propositions de la « Ciudad lineal »
avancée par Arturo Soria y Mata à la
fin du XIXème - même si la référence au
modèle madrilène n’est pas explicite
- comme celles de Henry Ford pour la
recherche d’efficacité dans la production
de biens. La métaphore de la « villemachine » est la référence du XXème siècle
et les théories de Taylor et de Ford sur
les chaînes de production captivent toute
l’Europe, y compris l’Union Soviétique.
Le film de Chaplin « Modern Times »
illustre cette nouvelle forme d’esclavage
que constituent alors les chaînes de
montage des lieux de production.
Chaplin se positionne fortement contre,
néanmoins, dans les années 1930, la
réussite économique et la mise en place
des chaînes de production de Ford
fascinent les économistes comme les
urbanistes. L’industrialisation de l’Union
Soviétique qui avance avec une rapidité
sans précédent, oblige Milioutine à
travailler sur la question de nouveaux
grands centres industriels.
à partir du fonctionnement d’une
centrale thermique où chaque élément
est positionné pour que les parcours de
l’énergie soient les plus rapides et les
plus efficaces.
Sur la question de la rénovation de la
construction de logement, Milioutine se
propose de :
La cité linéaire : plans d’aménagement
« formuler les principales exigences
qu’entraîne pour la société soviétique
l’analyse des réflexions de K. Marx, F.
Engels et V.I. Lénine sur cette question ;
d’analyser les possibilités techniques et
matérielles dont nous disposons déjà
à l’heure actuelle et de proposer, à
tout le moins de manière schématique,
des exemples de solutions concrètes
pour l’habitat nouveau des travailleurs
soviétiques dans le premier âge du
socialisme. » (Milioutine, 2002, p 47)
Pour cela, Nicolaï Milioutine esquisse,
dans ses représentations schématiques,
un modèle qui met en relation
rationnelle les différentes composantes
du territoire. La comparaison est menée
94
En conséquence, Nicolaï Milioutine
adopte comme principes majeurs, d’une
part, la recherche de rationalité pour
les unités productives qui doivent être
reliées entre elles et avec les principales
voies de transport. Ainsi « l’implantation
la plus rationnelle des voies de chemin de
fer est au-delà de la zone de production,
c’est-à-dire derrière la ligne des bâtiments
industriels, tandis que la desserte routière
se situerait entre les zones de production
et d’habitation. D’autre part, la séparation
des fonctions est recherchée pour que
les logements soient dissociés des lieux
de production et ouverts sur la nature.
« La zone résidentielle de l’agglomération
est située parallèlement à la zone de
production et doit être séparée de celle-ci
par une bande verte. » (Miliouti;
Figure 13 : Cité linéaire Stalingrad, Nicolaï
Milioutine, 1930.
Source : Milioutine,N., Sotsgorod la
construction des villes soviétiques, de
l’Imprimeur, Paris, 2002. (édition et traduction
en français du texte originel de 1930).
Figure 14 : Cité linéaire Magnitogorsk,
Nicolaï Milioutine, 1930.
Villes linéaires : utopies urbaines
Figure 15 : Cité fantastique Virgilio Marli,
Italie, 1920
Source : Milioutine,N., Sotsgorod la
construction des villes soviétiques, de
l’Imprimeur, Paris, 2002. (édition et traduction
en français du texte originel de 1930).
Enfin, le territoire agricole doit être
disposé au delà de la zone résidentielle,
mais à proximité directe car les liens
entre la ville et l’agriculture se doivent
d’être forts. Enfin, le territoire agricole
doit être disposé au delà de la zone
résidentielle, mais à proximité directe
car les liens entre la ville et l’agriculture
se doivent d’être forts. Le transport
est ici le serviteur de la production
industrielle rationalisée, repérable dans
les plans de Nijni-Novgorod, Stalingrad
ou Magnitogorsk.
Les utopies urbaines sont nombreuses
et Milioutine n’est pas le seul à produire
un modèle de ville linéaire, mais ses
propositions radicales, résumées ci
avant et publiées dans « Sotsgorod » en
1930 ont un impact sur la réflexion des
architectes modernes européens et elles
conduisent entre autres, les architectes
allemands, Ernst May et Ernst Schweizer,
comme les architectes français, dont
Le Corbusier, à imaginer des « cités
linéaires». Les illustrations produites dès
la fin du XIXème siècle sont révélatrices
de cette recherche d’idéal urbain, avant
ou après la publication de l’ouvrage de
Nicolaï Milioutine.
Figure 16 : Cité linéaire industrielle Le
Corbusier, France 1942
Source : V. Vercelloni, Atlante storico dell’idea
europea della città ideale, Milan, Editions Jaca
Book, 1994.
95
Comme pour une majorité des utopies
naissantes du XXème, la cité idéale de
Nicolaï Milioutine est une ville nouvelle
qui fait table rase du passé. Elle ne
se développe pas à partir d’une ville
existante, insatisfaisante pour répondre
aux exigences révolutionnaires, mais elle
recherche un site d’implantation parfait
pour le développement d’un ensemble
d’activités économiques produites à la
chaine. La séparation de la ville de son
territoire physique permet de d’organiser
le territoire à partir d’une règle définit
par la chaine de montage, caractéristique
du centre de production qui justifie
l’implantation d’une ville. La création
d’une ville se justifie à proximité d’un
site non urbanisé de production, en
effet « la tendance croissante à bâtir les
nouvelles entreprises dans les villes et
villages existants,…, doit être fermement
rejetée. » (Milioutine, 2002, p 59)
Dans ses approches visionnaires,
Milioutine comme les promoteurs
d’utopies qui le suivront, se positionne à la
recherche d’une ville construite ex nihilo
et ce à partir d’un espace imaginaire sans
matérialité, où les éléments physiques
sont détachés de toutes contingences
liées à l’orographie, l’hydrographie ou la
couverture végétale.
Dans les projets produits au cours du
XXème siècle, les représentations de
cité linéaire, montrent que ce mode
de développement linéaire le long
d’un axe de transport structurant la
croissance s’apparente toujours à la
recherche d’une modernité technique
et fonctionnelle mettant en relation des
flux et des formes urbaines étant donné
que « il n’y a pas de conception de la ville
qui puisse s’abstraire d’une conception
de la mobilité. Et inversement.» (Theys,
2004, p77). Car avant sa modélisation, le
développement linéaire préexistait dans
le village-rue, car « une ville naît dans
96
un endroit donné, mais c’est la route qui
la maintient en vie. Associer le destin
de la ville aux voies de communication
est donc une règle méthodologique
fondamentale » (Marcel Poète in Rossi,
2001, p46), comme les analyses urbaines
des villages rue ou le projet d’un villagerue par James Stirling et le Team X.
Analyse urbaine, village-rue
Figure 17 : Village-Rue
Source: Analyse urbaine, CAUE 17, 20002.
Figure 18 : Terraced Housing fronting a
village street. Team X with James Stirling
1955.
Source : Ching D., Architecture, form, space
and order, London, 1980.
Conclusion
Dans les projets de ville linéaire, un
ruban d’urbanisation nouvelle permet
de relier deux tissus urbains existants,
comme c’est le cas dans les travaux de
Soria y Mata à Madrid ; l’axe structurant
peut être aussi envisagé comme un
long ruban qui se développe sur un
territoire à conquérir entre deux villes
existantes
relativement
éloignées,
comme c’est le cas avec les projets de
Nicolaï Milioutine. Ce « running fence »
est alors le support, voire même la raison
d’être, d’un développement urbain
constitué de bandes parallèles d’habitat,
de jardins et de lieux de production et
comme dans le travail contemporain de
Christo, le « running fence » se déploie
dans une campagne préservée de toute
urbanisation.
hégémonique dans la ville à une autre
représentation où il est nécessaire de
restituer aux voies une valeur d’urbanité,
c’est-à-dire de permettre une mixité
des usages, de promouvoir le transport
collectif et de mettre en valeur l’espace
public. La légitimité montante de la ville
durable assigne une place et un rôle
différent aux réseaux de voirie dans la
ville et elle invite à pacifier les flux pour
atteindre à une morphologie urbaine
réputée compatible avec l’élévation
du bien-être urbain » (Wachter, 2003,
p 7). La figure ville linéaire doit alors
montrer sa capacité à s’immerger dans
son contexte et tendre à s’intégrer et à
coopérer avec les tissus urbains voisins.
La cité linéaire permet ainsi de réaliser le
rêve des utopies socialistes du XXème siècle
de ne plus opposer ville et campagne
et de réunir faucilles et marteaux dans
une urbanisation idéale : la cité linéaire
« établit la contiguïté la plus intime qu’il
soit possible de rêver de la terre et de
l’industrie, de la vie de la terre et de la vie
de l’usine, de l’ouvrier et du paysan. » (Le
Corbusier, 169).
Cependant, cette forme d’urbanisation
conquérante et consommatrice d’espaces
n’est plus le modèle contemporain. Il
ne s’agit plus de conquérir sans fin les
territoires et de proposer des plans
d’extension.
Désormais, il devient nécessaire d’arrêter
le processus engagé et de faire muter la
figure de la ville linéaire. « Dans notre
époque récente, on est passé en moins de
vingt ans d’une vision où les circulations
motorisées et les routes tenaient un rôle
97
2. La Rocade Sud : quelle figure urbaine ?
Introduction
Par la reconstitution des étapes de
constitution de la Rocade Sud, nous
souhaitons repérer comment cette
infrastructure a été positionnée par
décision d’Etat pour constituer une
limite à l’urbanisation, un espace
tampon pour séparer ville-centre et
banlieues ouvrières ; puis planifiée lors
de l’élaboration du Schéma directeur
d’aménagement et d’urbanisme, pour
servir de voie de transit et ainsi favoriser
une distribution fonctionnelle et un effet
de vitrine des activités économiques ;
enfin pensée pour constituer un support
potentiel à l’idée de remettre en contact
ville-centre et banlieues.
Source : Ville de Grenoble, archives.
98
Dans le sud de Grenoble, les
municipalités successives ont privilégié
des structures urbaines qui permettaient
l’élaboration successive de fragments de
ville, donnant naissance à une structure
aréolaire, constituée d’une juxtaposition
d’expérimentations urbaines. Nous
repérons ainsi comment l’urbanisation
a pris corps autour d’une polarité sud
projetée depuis les années 1970. Les
élus et les techniciens de l’agglomération
grenobloise ont utilisé le territoire comme
laboratoire urbain et à l’intérieur des
services urbanisme, comme à l’intérieur
des municipalités ont coexisté plusieurs
manières d’aborder les questions
urbaines et le processus de fabrication
de l’espace public et des tissus urbains.
Le sud de l’agglomération grenobloise
Figure 19 : vue aérienne de la Rocade
C’est ainsi que la figure de la ville
linéaire de Milioutine a été convoquée
à différents moments de l’histoire de
la Rocade Sud. La mise en perspective
historique de la Rocade Sud nous permet
ainsi de présenter le territoire sur lequel
nous travaillons et de caler la création de
l’infrastructure Rocade Sud dans le cadre
expérimental grenoblois. Il ne s’agit pas
d’un travail d’historien, trop d’éléments
de
l’histoire
de
l’agglomération
grenobloise sont, dans ce travail,
rapidement esquissés, il s’agit plus
particulièrement de repérer comment
cette voie de circulation a été planifiée,
dessinée, puis réalisée et enfin modifiée.
2.1- Les premiers exercices de planification
Avant la création de l’infrastructure, le sud
de l’agglomération grenobloise est libre
d’urbanisation dans sa partie centrale et
présente des germes de développement
sur les communes d’Echirolles et de
Saint Martin d’Hères. Suite à la loi
de mars 1919, qui rend obligatoire
l’élaboration d’un Plan d’aménagement,
d’embellissement et d’extension dans les
communes de plus de dix mille habitants,
la Ville de Grenoble appelle Léon Jaussely
afin d’établir une planification urbaine
réfléchie. Le fondateur de la Société
Française des Urbanistes propose la
création des Grands Boulevards en lieu
et place des remparts qui ont fait l’objet
d’une démolition préalable, et souhaite
ouvrir le sud de la ville à l’extension,
extension urbaine qui prendra réellement
forme dans les années 1950.
Par la suite, compte tenu de la
formidable croissance de l’agglomération
grenobloise après-guerre, la population
passe de 80 000 habitants environ en
1914, à 140 000 en 1945, puis 280 000 en
1965, la Ville de Grenoble est conduite
à maintes reprises à modifier son plan
d’urbanisme. La banlieue est composée
de communes industrielles qui soit sont
la continuité historique des faubourgs
grenoblois, comme Saint Martin d’Hères,
soit ont connu des implantations
d’entreprises à distance de l’ancien centre
(Echirolles). Ces communes connaissent
tour à tour une forte croissance de leur
population, alors que les communes
à dominante rurale, comme Eybens,
doivent attendre le début des années
1970 pour assister au démarrage de leur
urbanisation. Cependant, l’ensemble des
communes périphériques ne se dotent
que tardivement de plans pour canaliser
la croissance et seule la Ville de Grenoble
cherche à imposer une structuration du
sud de l’agglomération.
Le territoire de notre étude, à l’origine
rural, est progressivement urbanisé puis
constitue un espace-charnière entre les
différentes communes.
Dans
son
Plan
d’aménagement,
d’embellissement et d’extension, Léon
Jaussely insiste sur la nécessité de ne pas
réduire sa réflexion aux strictes limites
de la ville-centre, mais de travailler sur le
territoire de l’agglomération et pour cela
d’intégrer les communes périphériques.
Le plan Jaussely propose en conséquence
une structuration du territoire urbain par
les infrastructures de transport.
Ainsi la voie ferrée jusqu’alors en pleine
ville est déplacée vers l’extérieur sur un
tracé qui passe à l’ouest sur la commune
de Fontaine et au sud sur les communes
d’Echirolles et de Saint-Martin d’Hères ;
de plus le contournement sud de
Grenoble est envisagé au moyen d’une
rocade routière. Ce plan, qui entraîne la
création des grands boulevards, n’est que
très peu pris en compte dans la partie
sud de la ville.
99
Dans un deuxième temps, suite à l’échec
du plan Jaussely de nouveaux plans seront
étudiés. Entre les années 1930 et les
années 1960, les plans d’urbanisme qui se
succèdent sont parfois complémentaires,
parfois contradictoires et ils traiteront
tous cet espace-charnière comme un
espace pour relier ou mettre à distance
la Ville de Grenoble des communes de
banlieue.
Au début des années 1940, le plan
Prud’homme prévoit une urbanisation
qui se recentre sur la ville de Grenoble
avec un travail sur les voies déjà
existantes, peu de nouveaux maillages
et pas d’extension majeure. Suite à
l’adoption de la loi d’urbanisme de 1943,
l’Etat se veut l’acteur principal de la
planification urbaine et le Plan Berrier
témoigne de cette politique volontariste
du régime de Vichy. Il prévoit un triple
contournement est-ouest de la ville par
une succession radio-concentrée de
rocades contournant le centre ville de
Grenoble.
sud de la ville servant de transit entre les
différentes vallées de l’agglomération.
Le second ne souhaite pas de
contournement sud et envisage de
transformer les Grands Boulevards en
axe de transit très important avec un
minimum de carrefours. Ces plans ne sont
pas réalisés, toutefois, nous observons
que l’idée d’un contournement de la
Ville de Grenoble pour le trafic de transit
est actée dans la tête des élus et des
techniciens grenoblois.
Les exercices de planification
Figure 20 : Plan Jaussely et projet de
tracé de l’infrastructure
Après-guerre, l’Etat conserve sa
suprématie en matière d’urbanisme
et d’aménagement du territoire mais
cela n’apporte pas pour autant de la
cohérence dans la planification du sud
de l’agglomération grenobloise. Si l’Etat
n’oublie pas Grenoble dans sa politique
planificatrice cette dernière devient un
lieu de contradiction entre les différents
nouveaux ministères crées après la
guerre : le Plan Bovet de 1950 émanant
du Ministère de la Reconstruction et de
l’Urbanisme entre en contradiction avec
le Plan Revillard de 1955 émanant du
Ministère des Travaux Publics.
Le premier prévoit une hiérarchisation
entre différentes traversées est-ouest
de Grenoble : les Grands Boulevards
servant de desserte avec un maximum
de carrefours et une nouvelle rocade au
100
Source : Ville de Grenoble, archives.
2.2- L’implantation de la rocade, une décision
d’Etat
Au
cours
des
années
1960,
l’agglomération grenobloise connaît
une des croissances démographiques
les plus importantes en France et son
économie se spécialise autour des
activités scientifiques et technologiques.
L’acceptation de la candidature de
Grenoble pour l’organisation des
Jeux Olympiques de 1968 permet
à l’agglomération d’envisager un
rattrapage de son retard en matière
d’infrastructures et d’équipements
publics. C’est à cette occasion que
sont décidés les tracés des principales
autoroutes d’accès et de contournement
et qu’est envisagée la création d’un
nouvel Hôtel de Ville, d’une Maison de
la Culture et de nombreux équipements
sportifs. L’Etat ressent la nécessité d’un
cadre d’ensemble pour organiser ces
nouveaux développement et, en accord
avec la municipalité de Grenoble, dirigée
par Albert Michalon, confie à l’architecte
parisien Henry Bernard l’étude d’un Plan
directeur d’urbanisme.
En réponse à une étude conjointe de l’IEP
et de l’OREAM (1965) qui fait ressortir les
problèmes d’enclavement de Grenoble et
la mauvaise qualité des infrastructures,
la voie ferrée est déplacée depuis le
centre vers la limite communale sud de
Grenoble, et le plan Bernard envisage
la
construction
d’infrastructures
routières de dimensions importantes,
avec un système de voies autoroutières
doublé systématiquement de voies
rapides suburbaines. C’est dans ce plan
qu’apparaît le dessin de l’axe routier alors
appelée « voie U2 ». Selon les termes
de l’enquête préalable à la déclaration
d’utilité publique, elle était destinée
« tout d’abord à assurer une liaison
intercommunale entre Saint Martin
d’Hères, Eybens, Poisat et Echirolles,
d’autre part à relier l’autoroute rive
droite du Drac vers Gap et la RN75 au
sud de Grenoble avec l’autoroute A 41
et la RN 523 vers Chambéry à l’est de
Grenoble ». Elle devait ainsi permettre
de « détourner le trafic de transit venant
du Sud, de l’est et de l’Ouest en évitant le
centre de Grenoble ».
Le Plan Bernard, approuvé en 1963,
qui propose par ailleurs la création
d’un nouveau centre au sud du centre
historique, se heurte au désaccord des
communes de banlieue qui protestent
contre le surdimensionnement des
voies urbaines envisagées. Suite au
remplacement d’Albert Michalon par
Hubert Dubedout, la municipalité de
Grenoble remet en question l’idée d’un
nouveau centre-ville et choisit de réaliser
les seuls éléments du plan Bernard
nécessaires au bon fonctionnement des
Jeux olympiques. Sont ainsi lancés les
opérations de construction du centre
de presse (devenu quartier Malherbe),
du village des athlètes olympiques
(devenu quartier du Village Olympique),
la réalisation du stade olympique, crée
à l’emplacement actuel du quartier
Villeneuve, des équipements majeurs,
situés entre Grenoble et Echirolles, que
la Maison de la culture, l’Hôpital Sud ou
le centre Alpes Congrès.
Avec ces équipements d’agglomération,
le sud de Grenoble acquiert une nouvelle
position dans la géographie grenobloise
et la Rocade Sud assure en plus de son
rôle de liaison avec les autres villes
de la région, une fonction de desserte
de cette nouvelle polarité Sud. Le
Schéma directeur d’aménagement et
d’urbanisme (1973) lui confère un rôle
de structure majeure pour la distribution
des activités économiques.
101
2.3- Des objectifs contradictoires pour une
même infrastructure
L’U2, devenue Rocade Sud, avait été
pensée par le Ministère de l’Equipement
comme une infrastructure destinée
à écouler la circulation de transit et
pour cette raison avait été implantée
à l’extérieur des zones urbanisées. Le
Schéma
directeur
d’aménagement
et d’urbanisme, pour répondre à
des prévisions de forte croissance
démographique, réservent de vastes
espaces pour l’urbanisation future. Il fait
le choix de développer au sud de la rocade
une succession de zones industrielles
et commerciales afin de protéger les
secteurs résidentiels des nuisances liées
à la circulation. Ces zones d’activités
font l’objet d’un financement public
dans le cadre du Programme d’Action
Foncière, dont sont partenaires l’Etat,
le Département et l’agglomération. La
rocade devient une sorte épine dorsale le
long de laquelle les activités viennent se
placer en vitrine pour être vues et pour
donner l’image d’une agglomération
dynamique.
Au fur et à mesure que se développe
de nouveaux quartiers (Villeneuves de
Grenoble et Echirolles, Maisons Neuves
et Les Ruires à Eybens, Nouveau Centre
de Saint-Martin d’Hères) ou de nouveaux
pôles d’activités (Grand Place, Sud
Galaxie, Les Ruires ), les entrées et sorties
sur l’autoroute se multiplient, prenant la
forme d’échangeurs complets ou partiels.
La circulation de transit, qui n’a jamais
été importante, devient de plus en plus
minoritaire (8% des déplacements) et la
rocade devient de plus en plus un axe
urbain qui dessert des pôles d’activités
ou d’habitat qui n’entretiennent pas avec
elle un rapport de mitoyenneté. L’image
qui se dégage d’une telle organisation
n’est pas à proprement parler celle de la
ville linéaire (telle qu’elle se dégage des
102
propositions d’Arturo Soria Y Matta ou
de Nicolaï Milioutine), mais d’une ville en
grappe qui voit se juxtaposer une série de
clusters (d’activités ou d’habitations) qui
s’implantent à proximité des échangeurs.
Les exercices de planification
Figure 20 : 1973, le Schéma Directeur
d’Aménagement et d’Urbanisme
Source : Ville de Grenoble, archives.
2.4- Vers une transformation de l’infrastructure
et de ses fonctions ?
Entre les années 1980 et 1990, la Rocade
Sud ainsi que les grandes infrastructures
auxquelles elle est reliée (A480, A41) ne
cessent de se développer pour répondre
à la croissance de l’agglomération et
au développement des activités. A la
fin des années 1980, la Rocade Sud
est achevée, elle est à deux fois deux
voies sur tout son linéaire et elle se
présente comme une limite difficile à
traverser. C’est à cette même période
qu’émergent les premières remises en
question de rôle de la Rocade Sud. Les
études préparatoires à l’élaboration du
Plan de déplacements urbains, approuvé
en 2000, permettent de saisir la faible
importance de la circulation de transit
(2% au niveau de l’ensemble de la région
urbaine, 8% sur la rocade), alors que se
développe toujours plus la circulation
interne à l’agglomération et surtout les
échanges entre cette agglomération et
les secteurs dits extérieurs de la région
urbaine (Grésivaudan, Sud, Voironnais,
Sud Grésivaudan). La solution des
problèmes de déplacements passe
moins par une augmentation de la
capacité des infrastructures routières
que par un rééquilibrage du système
de mobilité en faveur des transports
collectifs et des modes doux. Si la rocade
apparaît être un vecteur d’attractivité,
car une part importante des emplois de
la région grenobloise sont concentrés
le long de cet axe, elle est aussi « une
infrastructure rejointe par l’extension
urbaine, génératrice de discontinuités
»…« la rocade est à la fois une colonne
vertébrale et une déchirure ». Dans le
prolongement des réflexions menées
dans un certain nombre de pays du nord
de l’Europe, la décision est prise au début
des années 2000 de réduire la vitesse de
110 à 90 km/h et dans le cadre d’une
stratégie dite de chronoaménagement,
nombreux sont ceux qui envisagent à
terme la mise en place d’une autoroute
apaisée (où serait autorisée une vitesse
maximale de 70 km/h). Cette nouvelle
perspective permet d’envisager une
requalification de l’infrastructure et la
transformation des territoires jusquelà concernés par les nuisances liées à la
circulation. C’est dans un tel contexte
que différentes initiatives sont prises au
niveau intercommunal comme au niveau
communal pour réfléchir à une nouvelle
organisation de l’urbanisation dans le
Sud de l’agglomération.
Conclusion
La rocade Sud est pensée dans un
premier temps comme une infrastructure
de déplacements qui se déploie, dans la
majeure partie de son trajet, à l’extérieur
de l’urbanisation. Dans un second
temps, après l’approbation en 1973
du Schéma directeur d’aménagement
et d’urbanisme, elle se transforme en
une voie d’accès aux différentes zones
industrielles et commerciales, implantées
pour faire écran entre l’autoroute et les
quartiers d’urbanisation en cours de
réalisation. C’est au cours des années
1970-1990 qu’elle devient le support
d’une bande d’activités qui s’apparente
en partie à une ville linéaire même s’il faut
souligner que celle-ci n’est pas implantée
dans une campagne vierge. Les différents
parcs d’activités sont desservis par des
échangeurs et il est à noter qu’il n’existe
pas de rapport de riveraineté entre la
voie et les espaces qui la jouxtent.
Les Plans de déplacements urbains de
2000 et 2006 constituent l’occasion
pour constater un changement de la
fonction même de l’infrastructure à
l’intérieur du système de mobilité à
l’échelle de la région urbaine. Pensée par
les ingénieurs des Ponts-et-Chaussées
comme une voie de transit, l’autoroute
joue en réalité de premier plan dans les
échanges entre les différents secteurs
qui composent la région urbaine. La
décision prise de modérer la vitesse
(de 110 à 90 km/h) permet de prendre
conscience du caractère de voie urbaine
de l’autoroute et si les réflexions sur
le chronoaménagement permettent
d’envisager un nouvel abaissement
à 70km/h, elle ne permettent pas
d’envisager la transformation de la
rocade en un véritable boulevard
urbain. Une vitesse de 70km/h est en
effet difficilement compatible avec la
conception d’un espace public partagé
entre différents modes de déplacements.
La réflexion est donc encore en cours sur
les transformations possibles de cette
infrastructure de déplacements.
103
3. La prise en compte de la rocade dans les
projets urbains en cours
qui composent le territoire. L’expression
est explicitement employée par l’équipe
dirigée par Franck Huilliard dans la partie
« diagnostic et enjeux » de leur étude.
Introduction
Au cours des cinq dernières années,
nombreuses ont été les études,
les analyses, les projets qui se sont
interrogés sur les transformations
possibles du Sud de l’Agglomération. Les
commanditaires de ces études ont été
soit la communauté d’agglomération
Grenoble Alpes Métropole (La Métro),
soit les communes (Grenoble, Echirolles,
Eybens…).
Parmi les productions intellectuelles
les plus significatives, il convient de
citer les études de prospective urbaine,
confiées en 2004-2005 à trois cabinets
d’architectes-urbanistes, Groupements
Atelier Franck Huilliard + Transitec
+ Stratégie et Territoire, Agence
Nicolas Michelin + Agence Territoires
Paysagistes + AUDI économistes + CG
Conseil Déplacements + Isabelle Hurpy
Environnement, Atelier Lion Architectes
+
CITEC Transports + Inventaires
Economistes par La Métro d’une part, les
projets portées par les Villes d’Echirolles
(projet NOVASUD 21) et de Grenoble
(études quartiers sud, marché de
définition sur les abords de la Villeneuve)
de l’autre.
Ces études et projets portent un
diagnostic sur des secteurs de banlieue
profondément marqués par l’urbanisme
moderne que celui-ci prenne la forme de
grands ensembles ou de parcs d’activités
spécialisées. Tous prennent en compte
la rocade sud, à la fois comme un atout
et un problème et s’interrogent sur les
formes prises par l’urbanisation qui lui
est liée et se fondent sur une analyse de
la morphologie des différents « fragment
104
3.1- Les études de prospective urbaine
3.1.1- Diagnostic et enjeux
La nature du diagnostic porté par
les différentes équipes change : plus
géographique et urbanistique chez
Franck Huilliard, plus paysager et
environnemental chez Nicolas Michelin,
plus architectural chez Yves Lion. Si ce
dernier insiste sur la présence de l’habitat
diffus et la nécessaire densification, les
deux premiers mettent plutôt l’accent
sur la fragmentation de l’urbanisation,
employant des expressions comme
patchwork, dislocation, pièces isolées,
liant cette situation aux effets des grandes
opérations se réclamant de l’urbanisme
moderne (dans le cadre notamment de la
Zone à urbaniser en priorité). Implantés à
l’intérieur des mailles d’un réseau viaire
très distendus, les ensembles que sont
les différents quartiers, qui composent ce
qui était appelé dans les années 1970, la
Villeneuve de Grenoble-Echirolles, sont
desservis par des antennes qui partent
des grands axes nord-sud ou de la rocade
(qui a une orientation est-ouest).
Dans un tel contexte, le contournement
autoroutier, dont il faut souligner qu’il est
doublé par la voie ferrée, non seulement
met en relation, car il assure la desserte
des principaux quartiers et des zones
d’activités industrielles ou commerciales,
mais aussi constitue une coupure qui
sépare des secteurs pourtant proches
géographiquement. Ces difficultés de
franchissement sont particulièrement
sensibles pour les piétons et les cyclistes.
L’équipe dirigée par Franck Huilliard note
à ce propos que si le réseau de voies
secondaires constitue un trame organisée
perpendiculairement au Drac et à la
rocade ouest (ce qui permet d’envisager
sa transformation en un éventuelle
boulevard urbain), la rocade sud est
isolée du réseau dans sa façade nord, à
cause notamment de la présence de la
voie ferrée qui relie Lyon à Chambéry. Un
constat commun à tous les professionnels
est que cette rocade sud joue désormais
un rôle de première importance pour
la desserte de proximité, le transit ne
représentant en 2000 que 8% du total
du trafic empruntant cette voie (SMTC,
2000).
Les transformations envisagées du rôle de
la rocade sud sont liées à l’identification
des enjeux à affronter dans le cadre
d’une stratégie de nouvellement urbain :
- la volonté de créer un véritable
morceau de ville passe par une
requalification du réseau de voies et
d’espaces publics, dont la rocade est
partie intégrante ;
- la recherche de continuités
environnementales et paysagères
conduit à la création d’une rocade
verte ;
- la recherche d’une densification et
d’une plus grande mixité ne fait pas
de la rocade un élément central du
projet.
Le
grand
territoire
L’économie
La
morphologie
urbaine
Les
infrastructures
de
déplacement
Groupement
Groupement
Franck
Huilliard
Nicolas
Michelin
Une
capitale
«
en
»
Un
territoire
sous
montagne.
influence
de
la
montagne,
de
l’eau,
de
la
rocade.
Un
positionnement
à
Un
territoire
de
flux
l’intérieur
du
Sillon
Alpin
(autoroute
+
voie
ferrée).
à
mieux
définir.
Un
développement
Un
territoire
disloqué,
contraint
et
des
espaces
«
fragmenté
en
pièces
en
patchwork.
isolées,
souvent
monofonctionnelles
»
Un
territoire
imperméabilisé.
Une
absence
de
Des
zones
d’activités
et
spécialisation
commerciales
mutables.
économique.
Une
absence
hiérarchisation
centre/périphérie.
de
Un
secteur
central
composé
de
trois
quartiers
de
ville
nouvelle
s’articulant
autour
de
Grand
Place
(qui
aurait
dû
devenir
le
centre
secondaire
de
l’agglomération).
Une
concurrence
entre
les
deux
centralités
de
Grand
Place
et
du
Centre-‐Ville
d’Echirolles
«
La
rocade
sud,
une
infrastructure
qui
distribue
les
espaces
d’activités
et
les
équipements,
innervant
le
secteur
»…mais
…
…des
difficultés
de
franchissement,
notamment
pour
les
piétons
et
les
cycles.
Groupement
Yves
Lion
De
grandes
emprises
d’activités
consommatrices
d’espaces.
Une
forte
présence
de
De
grands
parcs
urbains
l’habitat
diffus
peu
associés
à
des
grands
compatible
avec
le
ensembles.
développement
des
transports
en
commun.
«
Une
forme
urbaine
éclatée,
construites
par
à-‐coups,
fondée
sur
la
pratique
de
l’automobile
».
«
La
rocade,
coupure…
infrastructures
une
Des
routières
et
ferroviaires
rejointes
par
l’urbanisation
et
génératrices
de
discontinuités.
…
mais
aussi
une
La
voie
ferrée,
une
forte
desserte
pouvant
coupure.
exprimer
un
potentiel
du
point
de
vue
du
paysage
».
Une
bonne
desserte
par
les
transports
en
commun.
3.1.2- Stratégies
Les stratégies, proposées pour le sud de
l’agglomération, dans le cadre des études
de prospective urbaine, concernent à
la fois le positionnement économique
de la ville, son insertion dans le grand
territoire, la restructuration des tissus
urbains et la requalification du système
de mobilité.
La rocade, associée à la voie ferrée, forme
une sorte de ville étalée, qui assure par
le biais d’échangeurs ou de simples ponts
la desserte, pour l’essentiel automobile,
des espaces qui sont localisées sur ces
franges. Très rapidement, la rocade est
devenue autre chose qu’une simple
infrastructure de contournement de
l’agglomération. La décision, prise
dans le cadre du Schéma directeur
d’aménagement et d’urbanisme de 1973,
de localiser sur sa frange sud de manière
prioritaire des zones d’activités l’a par
exemple transformer en infrastructure
de desserte du domaine universitaire, de
105
pôles technopolitains (Hewlett-Packard,
Les Ruires, Sud Galaxie) et principalement
de zones commerciales. Elle joue un rôle
similaire pour de nombreux quartiers
d’habitation qu’il s’agisse de lotissements
de maisons individuelles ou d’ensembles
collectifs.
L’accent mis par certaines équipes
professionnelles sur la dimension
territoriale de la stratégie à mettre en
œuvre conduit tout naturellement à
voir dans le rocade une infrastructure
d’importance dans la structuration du
territoire du Sud Grenoblois, alors que
le repli sur une approche urbanistique
et architecturale conduit à en minimiser
l’importance.
Les groupements constitués autour
de Franck Huilliard et Nicolas Michelin
mettent tous deux l’accent sur la
fragmentation, induite notamment par le
fait que le Sud Grenoblois a pendant de
longues années constitué un laboratoire
d’expérimentation
des
solutions
préconisées par l’urbanisme moderne,
avec notamment la forte implication de
l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture au
cours des années 1970.
Mais les stratégies préconisées pour
retrouver une cohérence d’ensemble
diffèrent de manière assez radicale.
Franck Huilliard établit une distinction
entre la ville traditionnelle et ses
faubourgs, qui s’étendent au sud
jusqu’au tracé de l’ancienne voie ferrée,
et la ville nouvelle constituée de « pièces
isolées » et propose, à l’image de plans
d’urbanisme qui ont précédé son étude
(le plan Jaussely de 1925, le plan Bernard
de 1963) un élargissement du centre
vers le sud par création d’un nouveau
« morceau de ville ». Pour ce faire, il
cherche à intégrer la rocade dans un
réseau d’espaces publics requalifiés et
envisage sa transformation en multipliant
106
les franchissements et en créant des
contre-allées de manière à en faire une
sorte de boulevard urbain. Une telle
proposition se heurte à une difficulté
d’importance : la présence d’une
voie ferrée, encore plus difficilement
franchissable qu’une autoroute, à
proximité immédiate de cette dernière.
Franck Huilliard insiste par ailleurs sur la
nécessaire requalification des axes nordsud (les grands cours historiques) et sur la
création d’un nouvel axe vert est-ouest.
Les préconisations de Nicolas Michelin
sont d’une toute autre nature, car elles
privilégient une approche écologique et
paysagère. Dans le prolongement des
réflexions du paysagiste Gilles Clément,
qui considère les bas-côtés des autoroutes
comme des réserves de naturalité, il
préconise d’envelopper la rocade d’une
gaine végétale et de mettre en relation
la ripisylve ainsi créée avec une série
de corridors écologiques, dénommés
« infiltrations », qui traversent l’ensemble
des tissus bâtis de la cuvette grenobloise
de manière à assurer les connexions entre
les différents massifs montagneux qui
bordent l’agglomération. Il envisage aussi
de créer de nouveaux franchissements
(piétons et cycles) au-dessus de la rocade
et voit dans la végétalisation des délaissés
et des « à côté » le support de nouveaux
projets urbains. La rocade devient ainsi
un axe vert qui assure la jonction entre le
Haut et le Bas Grésivaudan et la colonne
vertébrale d’une trame écologique verte
et bleue.
Ce dernier type de proposition rejoint
celles qui sont formulées dans le cadre
de projets plus localisés (au premier rang
desquels le projet NOVASUD 21 porté par
la Ville d’Echirolles en association avec les
communes d’Eybens et Grenoble, projet
qui est aujourd’hui repris à son compte
par La Métro).
Figure 21 Equipe Hulliard : le projet de
nouvelle ligne de tramway
Figure 22 Equipe Hulliard : l’organisation
de l’intermodalité
Figure 23 Equipe
franchissements
Figure 24 Equipe Lion : valoriser le
potentiel urbain
Michelin
:
les
Source : Ville de Grenoble, archives.
107
Synthèse
diagnostic
Groupement
Franck
Huilliard
L’agglomération
grenobloise
du
a
les
mêmes
dimensions
que
les
centres
historiques
des
autres
grandes
villes
françaises.
Prendre
appui
sur
une
réorganisation
du
réseau
viaires
pour
constituer
un
«
morceau
de
ville
».
Recomposition
d’un
«
faubourg
»
par
création
de
nouveaux
axes
nord-‐sud
favorisant
les
liaisons
entre
le
centre
historique,
le
pôle
sud
et
le
plateau
de
Champagnier.
Axes
urbains
nord-‐sud
:
Jean
Perrot
-‐
Jean
Jaurès,
prolongement
de
l’axe
de
centralité
urbaine
d’Echirolles
vers
le
nord.
des
Axe
vert
est-‐ouest
en
lieu
et
place
de
l’ancienne
voie
ferrée,
aménagée
sur
le
modèle
de
la
ville
linéaire
de
Soria
y
Matta.
Nouvelle
ligne
de
tram
entre
Saint-‐Martin
d’Hères
et
Seyssins.
Transformation
des
franges
de
la
rocade
par
création
de
contre-‐allées.
Fondement
d’une
stratégie
Principes
d’action
Détail
projets
Groupement
Nicolas
Michelin
La
fragmentation
en
entités
isolées
par
de
grandes
voiries
conduit
à
l’effacement
de
l’identité
géographique
du
territoire
et
favorise
une
place
excessive
des
déplacements
en
voiture.
Favoriser
les
«
infiltrations
»
de
la
nature
dans
la
ville
en
constituant
de
nouveaux
franchissements
de
la
rocade.
Un
regard
décalé
:
instaurer
des
infiltrations
vertes
en
prolongeant
la
vallée
du
Grésivaudan
par
une
rocade
verte
et
recherche
de
continuités
naturelles
entre
les
massifs
entourant
le
cuvette
grenobloise.
Faire
de
«
la
rocade
une
ripisylve
urbaine
»
en
l’enveloppant
d’une
gaine
végétale.
Végétaliser
les
délaissés
et
densifier
l’urbanisation
à
proximité
des
nouveaux
cheminements
verts
ainsi
créées.
Favoriser
les
continuités
vertes
entre
les
parcs
urbains.
Créer
sept
nouveaux
franchissements
de
la
rocade
pour
favoriser
ces
continuités
(«
agrafes
»).
Groupement
Yves
Lion
Le
territoire
est
marqué
par
l’habitat
diffus
et
de
grandes
zones
d’activités
où
se
font
sentir
des
besoins
de
requalification.
Dégager
de
nouvelles
surfaces
constructibles
pour
favoriser
la
mixité
fonctionnelle.
Renforcement
de
l’identité
du
secteur
sud.
Construire
de
grands
équipements
d’agglomération
et
développer
des
activités
tertiaires.
Renforcer
le
réseau
de
tramway.
Requalification
des
grands
boulevards
(cours
de
l’Europe,
cours
Jean
Jaurès)
Favoriser
l’insertion
de
la
rocade
sud
en
traitant
les
échangeurs.
3.2- Le projet NOVASUD 21
Ce projet, réalisé à l’initiative au départ
de la Ville d’Echirolles, propose un
positionnement de l’entité territoriale
« Sud agglomération » et trace les
premières lignes du projet urbain
intitulé NOVASUD 21. Il propose de
révéler le potentiel urbain du sud de
l’agglomération grenobloise. Ce projet
a pour objectif de « porter l’ambition
d’un nouveau développement pour les
territoires Sud, résolument innovant
dans ses méthodes d’élaboration et
les réponses qu’il entend apporter aux
enjeux urbains et environnementaux
du 21e siècle ». Il fait l’objet en janvier
2009 d’une présentation devant un
panel d’experts européens mis en place
par l’International Urban Development
Association (INTA) dont le siège social
est à La Haye et ses conclusions sont
en partie reprises par la Métro dans le
cadre de ses études sur la polarité sud de
l’agglomération.
108
3.2.1- Le contexte : une nouvelle polarité pour le Sud
de l’agglomération
Le Sud de l’agglomération, du fait de
l’implantation de grandes infrastructures
de déplacement (rocade et voie ferrée),
de la réalisation de grands équipements
publics et de la création de grands
ensembles d’habitations, représente,
en ce début de XXIème siècle, un pôle
d’urbanisation et d’activités économiques
(100 000 habitants et 40 000 emplois). La
création, à partir du milieu des années
1980, du nouveau centre-ville d’Echirolles
a non seulement conforté l’attractivité
de ce secteur géographique, mais aussi
a pour la première fois proposé, dans
le cadre d’un schéma directeur, des
principes de constitution des formes
urbaines qui ont l’ambition de redonner
de la cohérence à l’urbanisation
de l’ensemble du secteur Sud. Ce
centre-ville, qui accueille désormais
des
équipements
d’agglomération
(lycée,
centre
culturel,
institut
universitaire, pôle de santé, complexe
cinématographique), en relation avec les
polarités fonctionnelles présentes dans
le Sud (zones commerciales de Grand
Place et de Comboire, parcs d’activités
des Ruires et de Sud Galaxie, Ecole
d’Architecture et Cité des Territoires…)
constitue désormais un potentiel de
développement qui pourrait être mise
en valeur dans le cadre d’un grand projet
urbain à l’échelle intercommunale.
La réflexion proposée, qui se base
notamment sur un bilan des analyses
et des études disponibles au niveau
du Sillon Alpin, de la région urbaine,
de l’agglomération et de la commune
d’Echirolles, s’organise autour de trois
échelles territoriales de projet : l’échelle
de l’agglomération, celle de la rocade
et celle du projet urbain. A l’échelle de
l’agglomération, l’objectif est dépasser
la contrainte que représente la coupure
de l’urbanisation par une autoroute
et une voie ferrée pour achever la
constitution de la « ville Sud », une ville
contemporaine qui exploite au mieux la
potentialité constituée par le présence
de ces deux infrastructures. A l’échelle de
la rocade, l’objectif est la mise en place
d’une autoroute apaisée (avec réduction
de la vitesse à soixante-dix kilomètres/
heure) et la recherche d’une relation
positive entre cette infrastructure et
les tissus urbains qui l’environnent.
A l’échelle du projet urbain, l’objectif
est la constitution d’un nouvel espace
intercommunal organisé sur la base des
deux principes de continuité des espaces
publiques et de recherche de cohérences
entre les différentes formes urbaines
présentes sur le site.
La création d’une « ville Sud » s’inscrit
dans la volonté de la communauté
d’agglomération de réorganiser son
développement autour d’un centre
principal
dont
l’attractivité
doit
être renforcée et de trois polarités
secondaires qui correspondent chacune
à une des branches du « Y » grenoblois.
Si l’Est (domaine universitaire et
Innovallée) et l’Ouest (presqu’île
scientifique concernée aujourd’hui par
le projet Giant) constituent des polarités
caractérisées par une excellence
scientifique et technologiques, le Sud
accueillent des activités humaines
beaucoup plus diversifiées tant et si bien
qu’il est difficile de lui assigner une image
spécialisée.
A la différence des deux autres polarités
qui sont segmentées par les rivières et
des tronçons routiers ou autoroutiers, le
Sud apparaît comme un chapelet de petits
pôles qui s’égrainent le long de la rocade.
Il convient donc d’améliorer les relations
entre ces pôles dans le cadre de la création
d’un morceau de ville à part entière.
3.2.2- Repositionner la centralité Sud agglomération
A deux reprises au cours de son histoire,
l’agglomération grenobloise a fait l’objet
de proposition de réorganisation du Sud
de son territoire. Le Plan d’aménagement,
d’embellissement et d’extension, dit aussi
Plan Jaussely (1922), propose d’organiser
le territoire, à l’époque non encore
urbanisé, autour de trois axes nordsud qui convergent vers une nouvelle
gare. Il n’est guère suivi d’effets. Le Plan
directeur du groupement d’urbanisme,
dit Plan Bernard (1963) installe le tracé
de l’actuelle rocade sud et propose la
structuration d’un nouveau centre-ville
(pour Grenoble) qui articule les quartiers
modernes de la Zone à urbaniser en
priorité de part et d’autres d’un grand
axe (nord-sud) qui accueille les grands
équipements et services publics.
Reformulée à partir de 1965, par les
architectes de l’Atelier d’Urbanisme
et d’Architecture, au premier rang
desquels Michel Steinebach, cette
proposition d’organisation découpe le
territoire du sud de Grenoble et du nord
d’Echirolles en mailles d’urbanisation
qui communiquent par des dalles et
des passerelles piétonnes. Les grands
axes, qui séparent les nouveaux
quartiers (Village Olympique, Arlequin
et Baladins, Surieux, Les Essarts), sont
traités comme de simples axes de
circulation et perdent toute qualité
d’espace public. Le projet moderne
développé dans les années 1960-1970,
contrairement à ses intentions initiales,
a contribué à fragmenter le territoire
et le Schéma directeur d’aménagement
et d’urbanisme, approuvé en 1973, a
contribué à remplir les espaces libres
proches de la rocade d’une série de zones
d’activités aujourd’hui peu valorisantes
pour le reste du territoire.
109
Le projet NOVASUD21 propose de
repositionner la future polarité Sud
de l’agglomération en relation avec
la plate-forme d’intermodalité que
constitue ce que l’on pourrait appeler
un futur pôle Gare. L’intersection entre
la rocade autoroutière et l’avenue des
Etats Généraux met en relation en plus
de ces deux infrastructures routières la
voie ferrée (halte-ferroviaire) et une ligne
de tramway. La proposition de déplacer
vers le sud la future polarité permet
donc une meilleure articulation entre
le développement de l’urbanisation
et la réorientation des politiques de
déplacements en faveur des transports
publics et des modes doux amorcée
avec l’approbation en 2000 du second
Plan de déplacements urbains de
l’agglomération.
3.2.3- « Immerger » la rocade dans le tissu urbain
L’analyse
des
possibilités
de
franchissement de la rocade (et de la
voie ferrée) montre une implantation
régulière d’échangeurs, de ponts et de
passerelles qui constituent autant de
liaisons ponctuelles entre le nord et le
sud de l’agglomération. Le projet met
l’accent sur la nécessité de renforcer la
continuité des axes historiques (cours
Jean Jaurès, Jean Perrot, A. Croizat) et de
créer cette même continuité sur les axes
modernes (avenue des Etats Généraux et
d’Innsbruck), ce qui implique notamment
un traitement du franchissement de
la rocade. Il examine les possibilités
d’atténuation de la coupure que
représente cette même rocade en
proposant selon les lieux un effacement
avec création d’une couverture ou un
traitement des franges (contre-allées ou
traitement paysager).
110
3.2.4- Une recomposition urbaine d’ensemble
Un nouveau maillage viaire est proposé,
qui permet une meilleure irrigation
de la majeure part du tissu urbain, qui
voit la persistance de vastes enclaves,
correspondant aux ensembles modernes,
programmés dans les années 1970. A
partir du pôle gare, qui accueille autour
d’une place un important développement
et doit devenir un outil de fédération
du centre de la ville du Sud, un axe estouest sert d’élément générateur d’un
projet urbain organisé en îlots ouverts de
forme et de dimensions régulières. Des
simulations permettent d’envisager à
terme un programme ambitieux mêlant
activités (entre 220 000 et 400 000 m2 de
surface hors œuvre nette) et logements
(entre 750 et 1 500). Une attention
particulière est par ailleurs portée à la
constitution de trames vertes et à la
continuité des cheminements piétons ou
cycles.
3.2.5- Les dimensions
intercommunales du projet
communales
et
Le projet NOVASUD21, bien qu’il
s’organise autour de trois échelles
territoriales, porte une attention plus
particulière à la requalification d’un
secteur géographique délimité par
l’avenue des Etats Généraux à l’ouest,
l’avenue d’Innsbruck à l’est, secteur qui
correspond à une partie des territoires
des trois communes d’Echirolles, Eybens
et Grenoble. De manière opérationnelle,
il s’intéresse de manière privilégiée aux
capacités d’urbanisation d’un ensemble
de terrains situés à Echirolles, commune
dont il faut rappeler qu’elle fut le
commanditaire de l’étude qu’elle a par
ailleurs financée intégralement. Toute
la difficulté du projet est de souhaiter
offrir un cadre de référence pour
opérer « la réinsertion plus complète
de la composante économique Sud
agglomération dans la dynamique de
compétitivité et d’innovation qui marque
la région urbaine », tout en répondant
plus particulièrement aux demandes
d’Echirolles.
En ce qui concerne la rocade, le projet
s’intéresse plus particulièrement à la
possibilité de couvrir la rocade de part
et d’autre de l’échangeur Jacques Duclos
par une dalle qui permettrait de créer
la place de la gare et de développer un
nouveau pôle de développement. S’il
indique des solutions possibles pour
l’amélioration de l’insertion urbaine de
l’autoroute (contre-allées et traitement
paysager), il n’en évalue en rien la
faisabilité.
de l’innovation. D’autres, plus critiques
à l’égard d’une volonté permanente
d’innovation qui renvoie en fin de
compte à un regard moderne sur la ville,
trouve dans l’attitude des professionnels
missionnés par Echirolles, la garantie
d’une prise en compte des spécificités du
territoire local et la possibilité de prendre
les innovations architecturales dans une
démarche qui garantit la constitution
d’un véritable tissu urbain.
Figure 25 : NOVASUD21 : l’échelle de
l’agglomération, le projet urbain et son
interprétation
Ce projet, qui se veut « résolument
innovant », s’appuie néanmoins sur des
principes de constitution des formes
urbaines (maillage viaire, découpage
en îlots, îlots ouverts) qui ont été
expérimentés dans le cadre du centreville d’Echirolles d’abord, dans le Projet
de ville (2006) de cette même commune
par la suite.
La démarche adoptée prend appui sur
la méthode mise au point par les écoles
dites du projet urbain pour tenter une
restructuration de tissus issus d’une
urbanisation de faubourgs ouvriers,
caractérisée par une insuffisance de
qualité urbaine et un manque en espaces
publics. Si elle a connu un certains succès
lorsqu’il s’est agi de donner cohérence
à une urbanisation juxtaposant zones
d’activités, lotissements de maisons
individuelles et petits collectifs, l’on
peut être plus dubitatif sur sa capacité à
intégrer les véritables îles que constituent
les grands ensembles modernes.
Source : Ville d’Echirolles, archives.
Certains peuvent voir dans cette volonté
de s’appuyer sur des principes qui ont fait
leur preuve une certaine frilosité à l’égard
111
Figure 26 : : NOVASUD21 : le schéma
directeur
Figure 27 : NOVASUD21 : axonométrie
Source : Ville d’Echirolles, archives.
112
Conclusion
L’ensemble des études et projets,
qui ont porté, au cours des dernières
années, sur le sud de l’agglomération,
ont perçu la rocade à la fois comme un
atout – elle relie des pôles, distribue la
circulation et innerve le territoire – et un
handicap – difficilement franchissable,
elle renforce la fragmentation. Sa
transformation en une voie urbaine – qui
pourrait prendre la forme d’un nouveau
boulevard – n’est envisagée par aucune
des équipes professionnelles, même pas
par celle qui partage la philosophie d’un
ralentissement des vitesses dans le cadre
d’une stratégie de chronoaménagement.
Le couloir de transport qui sépare
l’agglomération de sa périphérie sud
accueille en effet à la fois une autoroute
et une voie ferrée d’intérêt régional
assurant la jonction entre Chambéry et
Lyon. L’idée d’implanter de nouvelles
constructions à l’alignement apparaît
d’autant moins tenable qu’une des rives
de ce couloir jouxte la voie ferrée. Seul
le projet NOVASUD21 envisage de créer
dans le long du tronçon Eybens SaintMartin d’Hères une contre-allée, sans
que soient définis de manière précise les
points d’échange entre cette contre-allée
et la rocade.
gué, et suppose d’une part un traitement
des berges, d’autre part la création de
passage aérien qui peuvent être de
simples ponts ou devenir un nouveau
sol urbain susceptible d’accueillir des
programmes d’activités ou de logements.
En aucune manière il n’est envisagé de
faire de la rocade l’élément générateur
de nouvelles formes urbaines et la
recherche porte sur la possibilité de faire
communiquer les tissus urbains du nord
et du sud en passant au dessus de la voie
rapide qui restera en quelque manière
un élément étranger à la nouvelle
urbanisation. La végétalisation des
abords et des délaissés devient un outil
bien pratique pour atténuer – et non
supprimer – l’effet de coupure entraîné
par cette double infrastructure que
constitue l’autoroute et la voie ferrée.
Les orientations retenues par les
professionnels envisagent deux pistes
qui peuvent être poursuivies de manière
complémentaire : la multiplication des
franchissements (les « agrafes » du
projet de Nicolas Michelin) d’une part,
la transformation en « une ripisylve
urbaine » qui permette de relier
différents corridors écologiques ou lignes
d’infiltration, orientés nord-sud. Le terme
de ripisylve renvoie d’ailleurs à l’image
d’un fleuve que l’on ne peut traverser à
113
4. La Rocade Sud un axe structurant pour
l’urbanisation ?
Introduction
En 2010, l’Etablissement Public du
SCoT organise en collaboration avec
trois établissements d’enseignement
supérieur : l’Ecole Nationale Supérieure
d’Architecture de Grenoble, l’Ecole
Nationale des Travaux Publics de l’Etat et
l’Institut d’Urbanisme de Grenoble.
des ateliers du Grenelle au cours duquel
différents groupes d’étudiants formulent
des scénarios de transformation
de la rocade sud. Dans l’atelier du
Grenelle grenoblois, nos étudiants ont
dialogué avec les acteurs politiques
et économiques, avec les associations
d’habitants, avec les urbanistes de
l’Etablissement Public du SCOT, de
l’Agence d’Urbanisme et de GrenobleAlpes Métropole (Fombonne, 2010, p10).
Notre souci dans cet atelier a été de
favoriser une entrée en matière frontale
des étudiants avec le cas de la Rocade Sud.
Nous avons choisi de travailler à une large
échelle, sur l’ensemble des communes
du sud de l’agglomération grenobloise.
Nous avons mis sur pieds de nouvelles
façons de penser et de nouveaux modes
opératoires pour travailler les relations
entre les infrastructures et les territoires,
qui peuvent pour partie prendre appui
sur des solutions techniques anciennes
qui ont participé au développement
des villages-rues ou des villes linéaires ;
mais qui peuvent aussi proposer sans
contrainte des solutions plus délicates à
mettre en œuvre techniquement mais
plus prometteuses et innovantes pour le
devenir de la périphérie grenobloise.
114
4.1- La méthode de travail
Pour alimenter notre réflexion, pour
comprendre comment des projets sont
susceptibles de se saisir des traces de
ville linéaire présentes sur le territoire
sud de Grenoble nous avons travaillé
à construire de nouveaux scénarios
de fabrication de tissus urbains, ceci
afin d’évaluer, en chambre, la capacité
de la Rocade Sud de participer à une
nouvelle organisation du territoire. Les
étudiants de première année de master
« urbanisme et projet urbain » réunis
dans l’Atelier de Projet Urbain ont été
invité dans un premier temps à formuler
un diagnostic quant aux relations que
l’infrastructure entretient avec la ville
et dans un deuxième temps à proposer
des scénarios de transformation de la
Rocade Sud. Sur la base des résultats de
cet atelier, il nous est ainsi possible de
tester des propositions susceptibles de
faire école pour le renouvellement des
périphéries urbaines.
Les scénarios proposés cherchent à
redéfinir le rôle de la rocade et à l’utiliser
pour constituer un axe potentiellement
structurant
de l’urbanisation. Les
solutions envisagées, qu’il s’agisse de
continuité bâtie, de densification, de
couverture partielle la Rocade, de sa
transformation en parkway intégrée dans
un maillage végétal, ou de son intégration
dans un système de déplacements
basé sur l’intermodalité, remettent en
contact ville-centre et banlieues dans
la perspective d’une agglomération
grenobloise plus homogène.
4.2- TOD’s, densification et couverture partielle
Les enjeux sociologiques liés à la
transformation de la rocade concernent
les habitants et les territoriants. En
conséquence, les projets s’attachent
à proposer une densification autour
des pôles intermodaux présents sur le
territoire sud grenoblois. Les scénarios
retiennent comme référent historique,
le modèle américain des Transit
Oriented Developments qui propose une
urbanisation radioconcentrique autour
des « gares » (Calthorpe, Fulton, 2001).
A partir de cette référence, tous les
projets travaillent sur une organisation
des déplacements plus efficaces, avec
une réduction des coûts collectifs et
individuels liés au transport. De plus, par
une densification de pôles, les projets
entendent répondre à la diversité des
besoins en matière de logements et à
la demande localisée d’amélioration de
la qualité de vie urbaine. La centralité
organisée autour des TOD’s offre ainsi
un lieu où le mouvement est présent,
un lieu qui diffuse, qui rayonne, qui
provoque des échanges, qui permet une
communication, visuelle, de parole ou
de mouvement. Les TOD’s permettent
de répondre à l’idée qu’il ne peut pas
se créer d’activités sans la présence
d’individus et qu’il ne peut pas se créer de
centralité sans concentration d’individus
dans un espace précis.
La densification se traduit dans tous les
projets par des travaux de couverture de
l’infrastructure. Les exemples espagnols,
rondas de Barcelone et M-30 de Madrid
sont les références de recouvrement de
voirie repérées par les étudiants. Ces
dispositifs permettent de dégager un
vaste espace public, aménageable.
Figure 28 : Agglomération, Rocade Sud et
franchissements
Figure 29 : Rocade Sud, TOD’s et densités
Il s’agit également d’intégrer et d’insérer
davantage l’infrastructure routière au
paysage urbain, ce qui permet de densifier
en riveraineté très proche de la rocade.
Ce type de recouvrement nécessite des
travaux importants, et un coût très élevé,
cependant, les résultats sont à la hauteur de
la demande des collectivités qui souhaitent
supprimer la rupture que constitue la Rocade
Sud et recomposer une unité spatiale pour
l’entité « agglomération grenobloise ».
En effet les analyses morphologiques en
rives de rocade montrent qu’il existe une
dichotomie importante entre les tissus
situés au nord et ceux situés au sud. Ainsi
deux tissus urbains se font face de part et
d’autre de cette infrastructure. Le réseau
bâti se modifie, tout comme le réseau
parcellaire.
Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble,
IUG, 2009-2010.
115
Sur la commune d’Echirolles, la maille est
relativement fine, claire et logique. Mais
pour le sud de la commune de Grenoble,
elle devient bien plus large, presque
difforme. Et c’est avec une mutation
discrète, du sud vers le nord, que la
maille change dans sa taille et dans sa
forme. La couverture partielle permet de
reprendre les liens entre ces deux tissus
et de parfaire le sud de l’agglomération.
Figure 30 : Nanterre, références pour la
couverture partielle de la Rocade
Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble,
IUG, 2009-2010.
4.3- Rocade dessus – dessous
Parmi les projets des étudiants de
l’Atelier de Projet Urbain, nous avons
retenu le projet dit « Rocade dessusdessous » qui répond le plus à la volonté,
de transformer le caractère routier
de la Rocade Sud par la densification
des rives de cette infrastructure et
de mailler le territoire par de larges
couvertures permettant de traverser
et de reconstruire le territoire. En
conséquence, les orientations principales
d’aménagement se structurent par la
densification du tissu urbain autour des
principes de l’habiter dessus et l’habiter
dessous.
116
La densification répond à la volonté
d’atténuer les différences entre les deux
tissus urbains repérés en tenant compte
des tissus préexistants. De manière
assez logique, le projet crée un langage
urbain capable de faire le lien entre
tissu pavillonnaire et tissu des grands
ensembles. Dès lors, en s’inspirant d’un
comic-strip qui développe une histoire en
quatre vignettes, le projet propose deux
types de tissus urbains pour combler le
vide. Le premier présente un maillage fin
à l’image du centre-ville de la commune
d’Echirolles. Le bâti s’organise à l’image de
l’îlot ouvert de Christian de Portzamparc,
le projet propose un découpage de
chaque parcelle où chaque bâtiment est
indépendant et n’est pas soumis à des
règles d’alignement ou de mitoyenneté.
Cette implantation permet une plus
grande porosité des parcelles. Le second
est de type «hybride», il est construit sur
les mêmes bases morphologiques que le
premier, cependant la maille parcellaire
est beaucoup plus lâche.
Sur la commune d’Echirolles, cette
densification s’appuie, au moins
en partie, sur le recouvrement de
la rocade qui permet de mettre du
foncier nouveau à disposition des
municipalités. Le recouvrement de la
rocade permet la création de traversées
urbaines et de pôles multimodaux qui
sont redéveloppés à partir de la halte
ferroviaire de la commune d’Echirolles
et de la gare de la commune de Gières.
Chaque pôle est situé à proximité d’un
échangeur de la rocade, d’un arrêt de
tramway et il dispose tous deux d’un
parking relais, néanmoins, ces sites
n’apparaissent pas comme de véritables
pôles multimodaux. Le projet propose
de développer ces pôles et de les
intégrer au tissu urbain. Les parking sont
requalifiés et repositionné dans l’offre de
stationnement des deux communes.
Figures 31 : Restructuration du maillage
et comics trip
Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble,
IUG, 2009-2010.
géographique actuelle et en créant deux
percées. Ces percées sous forme de
voies de circulation routière et piétonne
permettent de relier chaque côté de
la rocade. L’espace de transition entre
le centre commercial Ikéa et les zones
d’habitation est constitué d’une galerie
de commerces de proximité et d’un vaste
espace public qui deviendrait une zone de
transition majeure sur ce territoire. Dans
cette proposition, c’est l’appropriation
des dessous d’une infrastructure dans
le quartier de Mitte à Berlin qui est
retenue comme référence dans le projet
d’habiter dessous. Des commerces et
des espaces publics ont été réalisés sous
la voie ferrée pour revitaliser le quartier
du Mitte. De nombreuses percées ont été
réalisées et l’originalité du projet tient
dans la conservation de l’infrastructure
en tant que voie de communication.
L’implantation d’activités dans ces zones
crée un espace d’échanges dans des lieux
en manque de dynamisme.
Figures 32 : New York, références pour le
traitement dessus dessous de la Rocade
L’appropriation sociale d’un élément de
recouvrement peut se repérer dans les
réalisations parisiennes et newyorkaises
de réutilisation d’anciennes voies
ferroviaires aériennes. La High Line à
New York qui s’appuie sur la conservation
des installations existantes pour offrir
un espace public attractif, constitue
la référence de l’habiter dessus de ce
projet.
Sur la commune de Saint Martin
d’Hères, la liaison entre les deux rives
de la rocade se fait par dessous. Le
projet consiste à investir le dessous de
la rocade, en profitant de son élévation
Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble,
IUG, 2009-2010.
117
4.4- Espace d’appropriation sociale, parkway et
maillage végétal
Comme dans les scénarios précédents,
les enjeux sociologiques liés à la
transformation de la rocade concernent
les habitants et les territoriants, mais
les scénarios d’évolution de la rocade
diffèrent. Dans cette seconde série de
projets, les propositions ont toutes pour
objectif de créer une succession d’espaces
de promenade, de déambulation,
de loisirs : la création de corridors et
de trames vertes et bleues est une
opportunité pour constituer ces espaces
de proximité. Par ailleurs, l’enjeu est
aussi de permettre aux usagers d’accéder
aux espaces naturels proches de
l’agglomération grenobloise. Les sentiers
partant du centre-ville et traversant la
rocade sont une opportunité pour les
habitants de pouvoir accéder à des parcs
périphériques, des espaces naturels et
agricoles. Les espaces de loisirs sont
rendus plus accessibles, disponibles plus
facilement grâce à ce réseau d’espaces
verts et de sentiers urbains et ruraux.
Figure 33 : Rocade Sud et Parkway
118
Cette réponse à une demande de nature
sensible proche, en lien avec la ville,
est un enjeu majeur auquel tous les
scénarios ambitionnent de répondre.
Plus globalement, l’enjeu habitant est
l’amélioration du cadre de vie : l’espace
urbain est paysagé, le cadre de vie se
trouve mis en valeur, les espaces verts
sont proches, accessibles, disponibles.
L’appropriation de la rocade est donc
l’occasion de répondre à un enjeu social
et à une demande de nature proche,
interpénétrée avec le tissu urbain.
Les scénarios de maillage végétal
retiennent comme référent historique
le modèle de la parkway. Dans les
travaux des étudiants, une parkway est
une avenue promenade permettant
de relier la ville à ses différents parcs
périphériques. C’est une voie de
communication relativement large et
agréable, à la fois un lieu de circulation
rapide et efficace et large espace de
promenade destiné aux piétons. En
1868, le terme de parkway est utilisé
pour la première fois, sous la forme parkway, aux Etats-Unis, dans le rapport de
Frederick Law Olmsted pour Brooklyn.
En 1906, l’expression sera traduite par
Jean-Claude-Nicolas Forestier par le
terme d’« avenue-promenade ». D’autres
définitions sont proposées : « un espace
public linéaire utilisé à la fois pour le
transport et les loisirs » pour Glenn
Orlin, ou « une parkway est une voie
limitée aux véhicules privés, et rendue
extrêmement plaisante comme voie
pour les trajets d’agrément avec toutes
sortes de moyens, mais en particulier
avec le sentiment d’ouverture que donne
une généreuse largeur d’emprise et par
un ample encadrement d’arbres, de
buissons et autres plantations sur les
trottoirs parallèles » pour Frederick Law
Olmsted en 1824. Les objectifs de ces
voies se croisent : elles répondent à une
ambition sociale en favorisant l’accès de
toutes les catégories de population aux
parcs grâce à une promenade égalitaire.
C’est aussi une voie de communication
moderne, où peuvent coexister tous les
modes de transports et qui raccourcit
les distances entre nature et ville. La
parkway se définit aussi par une forte
présence végétale pour mettre en place
un maillage végétal du territoire. Le
souci esthétique est prépondérant dans
la création des parkways et le type de
végétation, diversifiée et hétérogène
ou régulière et rectiligne, est toujours
massive et linéaire, tout le long de la voie
urbaine. La parkway se veut en rupture
par rapport à la ville minérale.
C’est une promenade fortement
végétalisée et paysagée qui sublime
l’espace dans lequel elle s’insère. C’est
donc un projet qui s’inscrit dans une
vision d’ensemble du territoire. Par
ailleurs, la parkway est un outil de
reconquête de l’espace urbain. Elle joue
un rôle organisationnel, dans le sens où
elle va contribuer à l’aménagement du
sud de l’agglomération, et à plus grande
échelle à modifier toute l’agglomération
grenobloise. Cette faculté d’organiser
l’espace fait de la parkway, l’élément
structurant des scénarios d’évolution de
la Rocade Sud. Dans tous les projets,
la parkway doit pallier au manque réel
de connectivité entre les parcs et autres
espaces végétalisés du territoire. En effet,
l’agglomération grenobloise présente une
diversité paysagère qui se caractérise par
la proximité des montagnes, des Parcs
Naturels Régionaux du Vercors et de la
Chartreuse, ainsi que d’espaces agricoles
et de nombreux parcs urbains. Les projets
se calent sur le Schéma Directeur de la
Région Urbaine de Grenoble qui suggère
de développer des liaisons, à travers des
trames vertes, des corridors écologiques
pour relier la ville à la montagne, et
sauvegarder la biodiversité. L’idée cadre
étant de matérialiser des continuums
verts et bleus pour encercler la ville et
reconnecter les massifs montagneux
entre eux.
Figures 34 : Paris, références parkway
Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble,
IUG, 2009-2010.
119
4.5- Rocade apaisée et traversante
Parmi les projets des étudiants de
l’Atelier de Projet Urbain, nous avons
retenu le projet dit « Rocade apaisée
et traversante » qui répond le plus à
la volonté de transformer le caractère
routier de la Rocade Sud par la création
d’un linéaire vert et de mailler le
territoire par des traversées constituant
un maillage vert efficace du territoire. En
conséquence, les orientations principales
d’aménagement se structurent autour
des principes de l’autoroute apaisée, la
couture urbaine, l’habiter d’exception et
la logique globale paysagère.
Figure 35 : Rocade Sud et animation
paysagère structurante
Figure 36 : Rocade Sud et image
paysagère structurante
La démarche de chronoaménagement
en cours dans la région urbaine
grenobloise et son outil symbolique,
l’autoroute apaisée, sont au cœur du
projet. Cette démarche réinterroge,
à partir de leur contribution aux
objectifs d’aménagement du territoire,
les fonctions, et, par conséquent, la
conception voire l’opportunité des
grandes infrastructures de déplacement.
Ainsi, l’autoroute apaisée est un label
qui impose plusieurs caractéristiques à
la voie qui participent à la définition de
ce nouvel objet urbain. : « Une autoroute
apaisée doit être structurante à la façon
d’une autoroute, avec un débit important
et des échangeurs à niveau. Incitatrice,
elle est située entre le réseau de voies
urbaines et les routes intermédiaires
à vitesse modérée, ainsi elle garantit
sécurité et confort, ce qui en fait une
voie à haut niveau de service. Ouverte
au réseau de transports en communs
pour le rendre plus compétitif avec la
voiture, elle satisfait aux exigences de
multimodalité.
L’autoroute apaisée s’insère au mieux
dans son environnement proche et
lointain, elle est contextuelle. De plus,
elle devient urbaine par sa mise en scène
du paysage. La couture urbaine répond
Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble,
IUG, 2009-2010.
120
ainsi à la volonté de créer pour la rocade
un lien avec son environnement, c’està-dire de former progressivement une «
couture urbaine » et pour cela le projet
travaille sur la thématique des traversées
de la rocade alliée aux principes de
l’autoroute apaisée. Le vide structurant
que constitue la rocade aujourd’hui
deviendra une présence urbaine,
sans pour autant être bâti, puisque
l’intervention sur la voie doit rester
végétale dans le cadre d’une autoroute
apaisée qui revisite la fonction du décor
et de l’approche environnementale.
Figure 37 : Rocade Sud et image
paysagère structurante
Figure 38 : Projet Green by pass, référence
pour la couverture végétale de la Rocade
Les interventions majeures se feront
donc au niveau des abords et du tracé de
la rocade, ainsi que sur les passerelles et
échangeurs qui constituent de véritables
points de liaison. En effet, habiter un
lieu d’exception impose de parvenir à
relier les deux rives de la rocade. Il s’agit
tout d’abord d’apprivoiser la rocade afin
de lui donner un caractère urbain et
d’en faire un lieu d’exception à l’échelle
de l’agglomération. Ceci passe par la
constitution de sites particuliers au
niveau des passerelles. L’apaisement de la
rocade et de son environnement proche
sera enfin l’occasion d’unifier l’ensemble
des interventions sur l’infrastructure
dans une même dynamique.
La logique globale paysagère s’appuie sur
les forts contrastes repérés en rives de
rocade, entre des secteurs très denses et
d’autres beaucoup plus aérés. Le projet
propose de travailler sur ces contrastes
afin de les restructurer et d’introduire
un véritable rythme dans le parcours de
la rocade. Le recours au végétal est un
moyen efficace de modeler une logique
paysagère sur la rocade.
Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble,
IUG, 2009-2010.
121
Le végétal aura pour rôle d’irriguer et
de faire respirer le tissu urbain grâce
à des liaisons vertes. Il se développera
notamment sous la forme de bras verts
en suivant une maille végétale, comme
on peut le voir dans le parc Hellenikon
à Athènes. Du point de vue social, cet
aménagement est voué à devenir un lieu
de promenade, de détente, de jardinage.
Le contraste entre bâti et végétal est fort
sur le secteur sud/ouest de la rocade
où le bâti est déjà dense. Dans cette
séquence, le paysage végétal est traité de
façon à ce qu’il évoque une nature brute :
une forêt urbaine à la hauteur de la
commune d’Echirolles. Puis il s’atténuera
progressivement, pour déboucher sur
une homogénéité entre un bâti et un
végétal moins denses. Après la forêt
urbaine située de part et d’autre de la
rocade, le projet propose une prairie
urbaine aménagée sur la couverture
partielle de la rocade. La prairie est un
jardin en mouvement inspiré des travaux
de Gilles Clément, alliant points d’eau
avec une végétation basse de prairie.
L’aménagement vise un public familial
et de promeneurs, c’est pourquoi, à
l’extrémité nord de la couverture, les
équipements prendront la forme de jeux
pour enfants en prolongement de ceux
qui existent en rives de rocade. Dans
le secteur nord/est, le projet propose
d’évoluer progressivement vers une
nature maîtrisée et cultivée au niveau de
la commune de Saint Martin d’Hères.
Cet espace paysager se présente en
deux parties reliées par une longue
passerelle piétonne aérienne et filaire
qui se fait discrète dans le paysage
montagnard perçu depuis la rocade.
On trouve au nord ouest un ensemble
de jardins collectifs de ville entourés
d’une prairie qui se poursuit de l’autre
côté de la rocade sur une vaste surface
plane au pied du massif de Belledonne.
122
Pour une meilleure continuité de cet
espace paysager, les herbes folles et les
graminées seront présentes également
sur le terre-plein central de la rocade. Au
milieu de cette grande prairie émerge un
bâtiment qui sort de terre par un effet de
prolongement du sol. Il peut être occupé
par un équipement nautique qui laisse à
disposition des usagers le toit végétal qui
le recouvre. Cet équipement « bâtimentcolline » est un pôle d’attractivité proche
des quartiers, il dialogue avec les massifs
proches et il a pour vocation d’être un
intermédiaire entre ville et montagne.
Le parc qui l’entoure joue le rôle de vide
structurant et liant. Il est à disposition
des deux établissements scolaires
proches, Henri Wallon et Pablo Neruda
ainsi que de quatre zones résidentielles
différentes qui peuvent en profiter
quotidiennement.
Conclusion
Dans l’Atelier de Projet Urbain, les projets
cherchent tous à donner une nouvelle
fonction urbaine à la Rocade Sud. Ils
tendent à limiter voire à supprimer
la prédisposition originelle de cet axe
comme limite à l’urbanisation et comme
espace de séparation entre la villecentre et ses banlieues. Ces scénarios
ne présentent pas tous la même
qualité de transformation du territoire.
Nous observons que les premiers, qui
développent les principes des TOD’s, de la
densification et de la couverture partielle
de la rocade sont dans une logique de
négation de la figure de la ville linéaire.
Ces projets ne se confrontent pas avec
l’infrastructure, ils s’attachent à gommer
son existence et ils se construisent en
niant la force de la linéarité du dessin
originel. A contrario, les seconds,
qui développent les principes de la
parkway et du maillage végétal, offrent
une capacité de transformation plus
probante et présentent plus de garantie
d’appropriation sociale. La figure linéaire,
même recouverte de végétation, est
conservée, elle poursuit son inscription
dans le territoire et elle conserve son
rôle d’élément structurant pour la
constitution d’un nouveau tissu urbain
au sud de l’agglomération.
Les scénarios de fabrication de nouveaux
tissus permettent d’alimenter la réflexion
pour un projet urbain fédérateur. La
Rocade Sud projetée ne constitue plus
une coupure pas plus qu’elle ne joue un
rôle de voie de transit pour éviter la ville.
Elle offre désormais aux territoriants
grenoblois, la possibilité de disposer d’un
nouvel espace de distribution et de mise
en contact entre ville-centre et banlieues
dans la perspective d’une agglomération
grenobloise reconstruite.
Conclusion générale
Si dans le cas de la Villeneuve d’une
part, du Centre-Ville d’Echirolles et du
quartier de Vigny-Musset, les figures
de la mégastructure et de la grille ont
été explicitement mobilisées par les
acteurs (plus par les urbanistes et les
professionnels que par les décideurs
politiques) qui ont la responsabilité
des projets, le lien qui peut être établi
entre les tissus urbains situés de part et
d’autre de la rocade et la ville linéaire
sont plus ténus. La rocade et la voie
ferrée qui la jouxte ont été dans un
premier temps pensées comme de
simples infrastructures de mobilité qui
devaient être implantées à l’extérieur
de l’urbanisation. C’est seulement dans
un deuxième temps que la rocade est
perçue comme une voie qui « innerve »
un ruban est/ouest de zones industrielles,
commerciales
et
technologiques.
L’infrastructure routière apparaît dès
lors comme une « rue centrale » (pour
reprendre l’expression de A. Soria Y
Matta) qui sert d’élément générateur au
plan d’une partie de la ville. Le lien entre
le tissu ainsi créé et la rocade s’arrête
pourtant là : les échangeurs, en petit
nombre, ne peuvent en aucune manière
être assimilés à des croisements et les
relations de riveraineté sont absentes
entre la rocade et le tissu urbain.
L’ensemble des études et projets pris
en compte dans cette recherche, qu’ils
émanent de professionnels (architectes,
paysagistes et urbanistes) ou d’étudiants
(en architecture, en ingénierie et en
urbanisme), s’ils insistent sur l’importance
de l’infrastructure routière (et plus
encore aujourd’hui de la voie ferrée),
n’envisagent pas d’en faire l’élément
générateur d’une mise en cohérence des
différents fragments qui constituent « la
ville Sud ». Les éléments qui permettent
le franchissement de l’infrastructure, en
dessous ou en dessus, sont privilégiés
et, lorsqu’ils intègrent une couverture
partielle de la rocade, doivent favoriser
une continuité des tissus urbains (en
permettant une extension vers le nord
de la maille d’urbanisation retenue pour
le Centre-Ville d’Echirolles par exemple).
L’aspect le plus novateur d’une partie
au moins de ces projets consiste dans la
volonté de faire des couloirs de mobilité
des corridors écologiques en végétalisant
les abords et les délaissés. Dans cette
perspective, la rocade et la voie ferrée,
qui contournent l’agglomération, peuvent
devenir un vecteur privilégié de mise
en relations d’une série de corridors
écologiques ou d’infiltrations vertes.
Cette introduction de la végétation est
souvent accompagnée de l’implantation
de nouveaux parcours pour les piétons et
les cycles.
123
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125
126
Conclusion
L’objectif de cette recherche est d’évaluer
de quelle manière des « concepteurs »,
architectes, ingénieurs ou urbanistes,
se sont appuyés sur les figures
urbanistiques que sont respectivement la
mégastructure, la grille et la ville linéaire
dans leur proposition d’organisation
sinon de la totalité du moins de fragment
de la « ville Sud » pour reprendre
l’expression utilisée par les responsables
du projet NOVASUD21. Une première
remarque doit être formulée : rare sont
les personnes interrogées au cours de
cette recherche qui font immédiatement
référence à une quelconque référence
urbanistique ou architecturale qui aurait
pu inspirer leur travail. Les architectes de
la Villeneuve, fidèle au credo des avantgardes modernistes, se considèrent
comme des inventeurs qui partent de
rien (pour eux ni le territoire ni l’histoire
ne peuvent servir de référence à leur
projet). Les ingénieurs qui ont eu la
responsabilité du tracé de la rocade
sud argumentent les solutions retenues
sur la base d’arguments strictement
techniques, liés à la fluidité de
l’écoulement de la circulation. Les seuls
qui acceptent l’idée de référence sont en
fin de compte une partie des architectesurbanistes qui a été partie prenante
du débat sur le projet urbain (Panerai,
Mangin, 1999). Les architectes conseils
de la Ville d’Echirolles, les urbanistes
responsables des études préalables à
la Zone d’aménagement concerté de
Vigny-Musset revisitent les expériences
de l’urbanisme haussmannien et de
l’urbanisme réformiste des années 19201930 pour proposer d’organiser la ville, à
partir non pas de la figure de la « grille »
mais de celle du « maillage » de l’espace,
en insistant sur l’importance du tracé
des espaces publics et du découpage
des îlots (qu’ils préfèrent ouverts). La
maille, selon les propos d’Yves Sauvage,
apparaît comme une figure opportuniste,
un « concept opératoire » qui permet de
produire un ordre lisible dans un territoire
de banlieue qui se caractérise par la
fragmentation à Echirolles (juxtaposition
de lotissements, d’ensembles collectifs,
d’usines et de zones commerciales)
ou est saturé de projets introvertis à
Grenoble (Arlequin, Village Olympique).
Les trois figures n’ont pas le même
statut. Le maillage (pour reprendre le
terme préféré par les concepteurs) qui
constitue une référence explicite, et la
mégastructure, à laquelle les architectes
de la Villeneuve font implicitement
référence en citant le quartier du Mirail
à Toulouse, peuvent être considérées
comme des figures posées a priori,
alors que celle de la ville linéaire se
constitue progressivement lorsque le
Schéma directeur d’aménagement et
d’urbanisme (approuvé en 1973) décide
d’implanter tout au long de la Rocade
Sud un chapelet de zones industrielles
ou commerciales. La référence au deux
premières figures témoigne d’un dessein
organisationnel qui propose de structurer
l’espace sur la base d’un dessin fixé a
priori et traduit une volonté de voir la
structure proposée convaincre, croître
et proliférer pour contribuer à structurer
(cas de la mégastructure) ou restructurer
(cas de la maille) le territoire. La rocade
n’est pas le produit d’une telle pensée de
composition de l’espace mais le fruit d’un
projet de flux, porté par des ingénieurs
qui pensent une voie de transit à la
127
périphérie sans escompter qu’elle
deviendra bientôt une voie de desserte
pour ses rives industrielles. Elle a par
contre pris, a posteriori, la figure de la
ville linéaire. S’il n’y avait pas au départ le
dessein de coloniser la périphérie (mais
plutôt de marquer la limite entre ville
centre et villes de banlieue), le mode
d’organisation de l’espace, le dessin et
la capacité à proliférer et se reproduire
relèvent bel et bien de la figure de la
ville linéaire. Aujourd’hui, les projets
en cours pour cette rocade la pensent
d’ailleurs comme telle, qu’il s’agisse de la
transformer en « autoroute apaisée » ou
parkway, figure moderne ou réinventée
de la croissance linéaire.
La mise en perspective des trois études
de cas de cette recherche permet de
faire ressortir quelques caractéristiques
communes quant à la manière dont a été
conçue au cours des années 1970-1980
la « ville Sud » et de nous interroger sur
la manière dont les fragments urbains
(constitués en référence explicite ou
implicite à des figures) peuvent être
revisités pour être pris en compte dans
une stratégie de recomposition de
l’ensemble du sud de l’agglomération
grenobloise.
Des projets construits en réaction à…
Dès le moment où ils se sont proposés
de mettre sur pieds une « science de la
ville », les urbanistes ont adopté une
attitude thérapeutique en proposant de
remédier aux maux entraînés par une
industrialisation et une urbanisation qui
a disloqué les communautés sociales sur
lesquelles étaient fondées jusque-là les
villes et les villages. Cette attitude « en
réaction à » est portée à son paroxysme
par les modernes qui imaginent à travers
leurs œuvres remédier aux mots non
seulement de la ville mais aussi de la
société. Tous les projets étudiés (la
128
Villeneuve de Grenoble, la Rocade Sud,
Vigny-Musset et Échirolles) se fondent sur
une réaction à une situation urbaine : ils
diagnostiquent des problèmes, ils passent
en revue les politiques municipales et
étatiques qui ont donné naissance à
des quartiers qu’ils jugent désormais
éloignés des besoins des territoires
et des populations, ils proposent des
solutions alternatives. Les architectes de
l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture,
qui, il faut le rappeler, ont été choisis en
accord avec la direction nationale de la
SCET, se positionnent, conformément à
une certaine mythologie grenobloise, en
rupture avec l’urbanisme technocratique
de l’État et avec les grands ensembles. La
Rocade Sud est présentée comme une
infrastructure qui doit marquer la limite
entre la ville et sa périphérie et témoigne
ainsi d’une volonté d’aller à l’encontre
d’un laisser-faire. Les urbanistes en
charge du Centre-Ville d’Echirolles et
de Vigny-Musset ont mesuré les limites
de l’urbanisme modernes, affirment
que la ville ne peut se fabriquer à coup
d’innovations et préconisent le recours
aux notions simples et éprouvées de rue,
place, jardin public et îlot… (Novarina,
1993).
La création de la Villeneuve intervient
dans un contexte de remise en cause
(partielle) du Plan directeur d’urbanisme.
Vingt ans avant la décentralisation,
l’équipe municipale conduite par Hubert
Dubedout entend peser sur les choix
urbanistiques. « Le conflit sur le Plan
Directeur d’Urbanisme d’Henry Bernard
en 1965 conduit à sa mise à l’écart, et à
une rupture entre l’État et les communes
concernées. Chacune d’elles (Grenoble et
Échirolles) obtient de pouvoir choisir les
architectes en chef de sa ZUP » (Belli-Riz,
« Grenoble (38). Villeneuve, quartier I,
l’Arlequin. Côté parc/côté parking », p.
147). Une telle décision est à l’origine
d’une façon d’écrire l’histoire locale, qui
insiste sur l’importance de la rupture avec
les politiques de l’Etat. Lors du séminaire
organisé à l’occasion de cette recherche,
une large partie des participant insiste sur
le fait que la Villeneuve aurait été projetée
en réaction à l’urbanisme technocratique
de l’État dont le grand ensemble est la
concrétisation. La Villeneuve ne serait
pas un grand ensemble, parce qu’elle
cherche à intégrer différents statuts
d’occupation des logements, qu’elle
mêle résidences et activités et qu’elle
voit dans les équipements intégrés le
support d’une intensification de la vie
de quartier. Une telle prise de position
doit être relativisée car elle oublie que
la mixité sociale faisait partie du projet
initial du grand ensemble (Chombart de
Lauwe, 1959) et que la Grille Dupont
fixait des normes d’équipements à
respecter lors des opérations de Zone
à urbaniser en priorité (Parfait, 1959).
D’autres formulations de Jean Tribel ne
doivent pas laisser à penser qu’il n’était
pas ou courant que son collègue de
l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture,
Michel Steinbach, à l’époque même du
lancement de la Villeneuve, redessinait
le plan d’Henry Bernard et proposait
une organisation en mailles, convergeant
vers un point central, correspondant
aujourd’hui à Grand Place. Le quartier
de l’Arlequin, comme toutes les
mégastructures, avait la volonté de se
connecter par des passages piétons
surélevés avec la Maison de la Culture au
nord, avec le Village Olympique à l’ouest,
avec Grand Place, considéré à l’époque
comme le nouveau centre secondaire
de l’agglomération. La mégastructure
doit être pensée moins comme une
tentative de dépasser le grand ensemble
que comme une volonté de porter à
son paroxysme un modèle avec lequel
elle partage le principe du rejet de
la circulation à l’extérieur des unités
de voisinage, le caractère introverti
des quartiers proposés, la volonté
de promouvoir la mixité sociale et la
primauté accordée au logement collectif.
Ironiquement, les urbanistes en charge
du Centre-Ville d’Echirolles et de VignyMusset cherchent vingt-cinq ans plus
tard à tirer les leçons des échecs de cette
expérience de rupture pour construire
leurs projets.. A Echirolles, Michel
Combaz et Yves Sauvage proposent de
construire un nouveau processus de
fabrication de la ville en s’appuyant sur
les principes du projet urbain formulés à
la même époque par Christian Devillers
et Philipe Panerai. Ces propositions sont
perçues par les élus et l’administration
de la Ville d’Echirolles comme le résultat
d’une évolution sans heurt qui veut
qu’à différentes époques historiques
l’urbanisme change de forme. A Grenoble,
Marcel Bajard et Daniel Hamelin, alors
responsables d’un atelier municipal
d’architecture et d’urbanisme, proposent
une analyse extrêmement fouillée des
dysfonctionnements des quartiers sud et
c’est sur cette base qu’ils préconisent un
retour à des solutions simples qui ont fait
leurs preuves (Berrien, 1992). Le maire
gaulliste de l’époque, Alain Carignon, en
bon tacticien, saute sur l’occasion pour
développer avec ses amis politiques
une critique en règle de la Villeneuve
qu’il présente comme la réalisation
majeure des années Dubedout. VignyMusset doit être un anti-Arlequin d’où
le choix de ne surtout pas se lancer dans
l’expérimentation Lors de l’organisation
du concours pour désigner l’architecte en
chef de la future Zone d’aménagement
concerté, la visite de l’Arlequin figure
au programme des équipes répondant
à la sollicitation de la Ville et joue un
rôle de déclencheur du projet. Comme
le rappelle L. Savva, un des deux
architectes en chef de la ZAC (Parcours
commenté, Vigny-Musset, 17 juin 2010),
à la Villeneuve, les appartements sont
« formidables » alors que l’espace
129
public est sans intérêt, sans lisibilité :
«quand tout est public, rien n’est public».
Dès lors, le projet essaie de localiser
clairement les espaces privés et publics,
crée des rues en partant des axes et des
réseaux existants pour définir des îlots.
Il est à noter que la prise de position du
maire Alain Carignon à propos de VignyMusset est particulièrement flexible et
que, devant les critiques des Unions de
Quartiers (dont plusieurs responsables
sont d’ailleurs d’anciens architectes
ou urbanistes qui sont intervenus à la
Villeneuve), il retient l’équipe arrivée en
deuxième position lors du concours, car
elle plus respectueuse de l’urbanisation
existante.
Le projet de Rocade Sud ne fait pas l’objet
de débats doctrinaux et politiques. Le
tracé est établi par les ingénieurs des
Ponts-et-Chaussées à l’occasion de la
préparation des Jeux Olympiques de
1968 et sa localisation répond à une
pensée technique qui veut qu’une
infrastructure dédiée théoriquement au
transit doit être implantée à l’extérieur de
l’urbanisation. L’étroitesse de la cuvette
grenobloise rend difficile l’application
d’un tel principe et la rocade est très
rapidement rattrapée par l’urbanisation.
Le Schéma directeur d’aménagement et
d’urbanisme, dont les premières études
ont été confiée à l’Atelier d’Urbanisme
et d’Architecture, fait explicitement le
choix de construire à proximité de la
rocade une bande de zones industrielles
et commerciales qui devait faire écran
entre les quartiers d’habitations et
l’infrastructure. De ce choix naît l’idée
d’un ruban d’urbanisation qui entretient
des relations – il est vrai distendues –
avec la ville linéaire.
130
Une échelle d’intervention intermédiaire entre
l’urbanisme et l’architecture
L’échelle d’intervention qui prévaut dans
les années 1970-1980 est une échelle
intermédiaire entre celle de l’architecture
de l’immeuble et celle du plan de ville.
Pendant toute la période dite des Trente
Glorieuses, les ingénieurs des services de
l’Etat définissent a priori l’organisation en
grande mailles du réseau viaire destiné à
accueillir la circulation de transit. C’est à
l’intérieur de chacune de ces mailles que
les architectes sont invités à organiser
l’urbanisation. Jean Tribel forge pour
l’occasion le terme d’« urbatecture »
pour désigner l’Arlequin et l’importance
que prend la dimension sociale dans le
projet. De cette situation particulière
naît la contradiction entre la volonté de
faire référence à la figure proliférante
de la mégastructure et une intervention
qui s’inscrit à l’intérieur d’un périmètre
fixé à l’avance. Et la difficulté est encore
renforcée par le fait que les « urbanistes
de l’époque » sont dans leur très grande
majorité des architectes, mal à l’aise dans
l’organisation de la voirie et le traitement
des espaces publics.
La Rocade Sud apparaît elle aussi comme
l’axe structurant d’un fragment de ville
dédié à la seule activité économique.
Là encore, le raisonnement sur
lequel s’appuie le Schéma directeur
d’aménagement et d’urbanisme fait
l’impasse sur la compréhension de
la mobilité dans sa complexité (en
postulant par exemple une possible
séparation entre circulation interne et
circulation de transit). L’infrastructure
est pensée comme un moyen privilégié
de relier des zones d’activité et la relation
avec les nombreux quartiers d’habitation
du sud de l’agglomération n’est guère
envisagée. La réflexion porte là encore
sur une bande d’urbanisation.
Il faut attendre le début des années 1980
pour qu’une série de professionnels
revendique la nécessité de concilier une
intervention se construisant à la fois à
l’échelle du quartier et à celle de la ville.
L’expérience d’Echirolles est significative à
ce propos, qui revendique la construction
en parallèle d’un projet de centre et d’un
projet de ville. Le maillage du territoire
par les espaces publics sert à la fois à
construire un schéma directeur (un plan
guide) servant à construire une cohérence
entre les différents programmes qui font
le futur centre-ville et sert de principe
d’organisation du système de mobilité
considéré comme un des éléments
permettant de guider la stratégie de
renouvellement urbain adopté dans le
Plan local d’urbanisme adopté en 2007
par la Ville d’Echirolles. A Vigny-Musset,
l’intention était la même, mais la décision
de déléguer la maîtrise d’ouvrage à
une société d’économie et le recours à
la procédure de Zone d’aménagement
concerté expliquent un certain repli à
l’intérieur du périmètre opérationnel
dont témoigne par exemple le traitement
différencié des deux rives de l’avenue
Marie Reynoard, qui constitue la limite
est de la ZAC. Les projeteurs insistent
par ailleurs sur le rôle de l’urbaniste qui
s’intéresse non pas au logement mais
à l’intégration optimale des logements
dans un projet d’urbanisme. Pierre
Granveaud est convaincu que le travail
était d’abord un travail d’urbaniste
connaissant la question du logement. Le
rapport du logement à l’espace public et
aux cœurs d’îlot passe alors par un cahier
des charges maîtrisé à l’échelle urbaine
mais assez libre à l’échelle bâtie.
Des solutions programmatiques qui naissent du
terrain ?
En France, la tradition de l’Ecole des
Beaux, qui n’a jamais cessé de structurer
l’enseignement de l’architecture et dans
une moindre mesure de l’urbanisme,
donne la priorité au savoir-faire et à
l’expérimentation projectuelle (dans le
cadre hier de l’atelier, aujourd’hui du
studio) sur l’acquisition de connaissances
théoriques. Cette spécificité du système
français de formation explique que la
plupart des concepteurs ne soient pas en
mesure de citer des références lorsqu’ils
présentent leurs projets. Avec modestie
et honnêteté, Jean Tribel nous rappelle
que le projet s’est donc construit comme
une hypothèse de recherche, une
expérience grandeur nature :
« L’Arlequin a été une expérience, on était
dans un moment où il fallait innover, la
société était en train de changer et, du
coup, il fallait du courage pour mener des
expériences. Alors qui dit expériences,
veut dire faire des hypothèses et, ensuite,
les mettre en œuvre ; et un certain temps
plus tard, les évaluer. Jusqu’à quel point
les idées étaient valides et pertinentes ?
Cela a été d’une brutalité pour nous, la
prise en charge de cette opération qui
nous dépassait un peu, parce qu’on avait
jamais été confronté à ça » (séminaire 10
février 2010).
Les références explicites au Team X sont
ainsi minorées par les concepteurs de
la Villeneuve. Si référence théorique il
y a, elle est négative et c’est celle des
grands ensembles issus du Mouvement
moderne. La seule exception étant celle
du Mirail, « une des seules références
qu’on a prise, c’était le Mirail mais pas
les villes nouvelles... c’était différent »
affirme J. Tribel.
131
L’équipe de conception explique qu’elle a
fonctionné par des voyages d’étude selon
les thèmes : la Scandinavie, la Hollande,
l’Allemagne pour les logements, Vélizy
pour les centres commerciaux ou
l’Angleterre pour les écoles. A VignyMusset, L. Savva rejette lors du parcours
toute importance au débat théorique :
« Ce n’est pas notre tasse de thé. C’est le
contexte qui a guidé », ce que confirme
P. Granveaud : « Je pense que pour nous,
cela a été fait d’une façon beaucoup
moins intellectuelle [...]. Ce qui nous a
décidés, c’est la visite de la Villeneuve.
Ce concours était fort bien préparé ;
nous avons rencontré plein de gens.
Les appartements de la Villeneuve sont
formidables mais dès que l’on met le pied
dehors, il y a une non prise en charge de
l’espace public par les habitants, un non
intérêt. Pour nous, il fallait absolument
localiser ce qui est privé et public. Ce que
ne fait pas l’urbanisme des années 60,
70 et 80. Il a fallu définir la rue, puis l’îlot
et ensuite la grille. C’est l’inverse. On est
parti d’une question d’usage. On est parti
d’une vision « sociologique » (séminaire
Grille, 28 juin 2010). Yves Sauvage, dont
il faut rappeler qu’il est aussi maîtreassistant à l’Ecole National Supérieure
d’Architecture de Grenoble, ne dément
pas s’être appuyé sur des références
théoriques - « Pour les références, on
n’est pas totalement vierge. Bien sûr que
l’on connaît l’histoire de la grille. On les
a étudiées, dans leur fonctionnement
rectangulaire, ou plus carré. On les
a évaluées. » - mais insiste sur le fait
qu’il était à la recherche d’un « concept
opératoire » (séminaire Grille, 28 juin
2010).
Le pragmatisme des projeteurs se traduit
par le principe du test qui est partout
utilisé. Il faut d’abord convaincre sur une
première phase avant de reproduire le
132
travail sur tout le périmètre de projet. Le
test peut se faire à l’échelle d’un quartier
ou d’un îlot. A la Villeneuve, l’Arlequin
est appelé « quartier 1 » et il doit servir
de test à la création des deux autres qui
doivent suivre. La leçon du test fait qu’on
ne renouvelle pas en totalité les principes
retenus pour le quartier 1 dans l’opération
suivante des Baladins. A Vigny-Musset le
succès économique de l’opération repose
sur la commercialisation de logements à
des prix trois fois supérieurs à ceux des
quartiers alentours... et qui servent de
repoussoir dans toute la ville. Comme
en plus, le programme intègre des cœurs
d’îlot ouverts et végétalisés, ce qui est
une nouveauté à Grenoble - la tradition
locale étant plutôt au parking sur dalle il faut rassurer des promoteurs qui sont
pour le moins « frileux ». Un îlot témoin
ou test est d’abord réalisé pour montrer
les principes fondateurs du projet : des
cœurs d’îlot végétalisés et cogérés par
une association syndicale, des halls
d’entrée ouverts sur l’espace public, deux
sous-sols sans rampe extérieure d’accès,
etc. La SEM doit rassurer les acquéreurs
en offrant les mètres carrées des halls
d’immeubles et en payant les cœurs d’îlot
tout en garantissant que les usages de
ceux-ci seront limités. A Échirolles, où le
problème et le programme ne sont guère
différents, la Ville passe par un îlot test,
dans une ZAC ad hoc et sur lequel elle
lance un concours d’îlot. Les difficultés
rencontrées lors de la première ZAC
servent de leçon : Echirolles cesse par
exemple de demander des cœurs d’îlot
ouvert à tout vent...
Cette volonté de mise en œuvre
pragmatique que mettent en avant
tous les intervenants interrogés ne doit
pas néanmoins conduire à passer sous
silence le fait qu’à des moments de
l’histoire des villes au cours des XIXème et
XXème siècles, ont prévalu des doctrines
urbanistiques bien précises. Il est vrai
qu’il existe par exemple, en France plus
que dans d’autres pays comme l’Espagne
ou l’Italie, une coupure entre les
théoriciens de la modernité et ceux que
Carine Bonnot appelle les architectes
de la « modernité ordinaire », qui ont
mis en œuvre, sans en être totalement
conscients, la plupart des principes
formulés par les Congrès Internationaux
de l’Architecture Moderne. Aujourd’hui,
avec l’entrée dans un mode postmoderne, qui admet une diversité
possible des références architecturales
et urbanistiques, revisiter les expériences
passées est un choix assumé par une
partie ou moins des concepteurs qui ont
en charge les projets urbains.
Quelle intégration de ces fragments de ville
dans les projet contemporain ?
Les quatre projets étudiés dans cette
recherche ont été construits de manière
implicite ou explicite en référence aux
figures identifiés lors de la formulation
de la réponse à l’appel d’offres. Mais la
plupart de ces projets ont pour l’instant
au moins échoué dans leur volonté de
structurer l’ensemble de la « ville Sud»
sur la base des principes de chacune
des figures de référence. Au mieux,
ils ont permis la structuration d’une
partie, d’un morceau, d’un fragment de
territoire, qui correspond le plus souvent
au périmètre opérationnel initialement
fixé. La mégastructure n’a pas proliféré
car ses promoteurs n’ont jamais réussi à
dépasser le niveau des photomontages
pour proposer un fonctionnement global
de villes fonctionnant sur deux niveaux
topographiques. La rocade n’a pas réussi
à générer une « véritable ville linéaire »
car, pour des raisons liés à l’écoulement
de la circulation, les ingénieurs ont
souhaité limité le nombre d’échangeurs
et se sont refusés à poser la question de
la riveraineté. La maille est sans doute la
figure qui a permis de traiter l’insertion
d’un projet dans son contexte territorial
et le projet en cours de NOVASUD21
envisage par exemple un prolongement
du maillage proposé pour le Centre-Ville
en direction du nord de manière à servir
de guide à l’urbanisation de deux rives de
la rocade.
Les expériences sont nombreuses en
France, comme dans les autres pays
européens, qui montrent la possibilité
d’utiliser une stratégie fondée sur les
tracés viaires (continuité et hiérarchisation
du réseau) et le découpage des îlots
(régularité, taille réduite, ouverture) pour
restructurer les terrains de banlieue,
résidentialiser certains grands ensembles
ou transformer d’anciennes zones
industrielles. Grenoble a connu quelques
expériences réussies en la matière, dont
la plus connue est sans aucun doute
le projet de résidentialisation proposé
par Philippe Panerai pour le quartier
Teisseire. La difficulté devient plus
grande quand il s’agit de traiter d’objets
plus « durs » comme une infrastructure
de déplacements ou un grand ensemble.
Ces objets ont été effet pensés, dans un
perspective fonctionnelle (se déplacer,
se loger) sans prendre en compte de
possibles relations avec l’environnement
immédiat ou plus lointain.
La cas de la Villeneuve, plus particulier des
quartiers de l’Arlequin et des Baladins est
éclairant à ce propos. Nombreuses ont
été les équipes professionnelles qui ont
été mobilisées depuis le début des années
1990 pour proposer des pistes pour sa
requalification. Parce qu’il constitue un
objet unique – telle est la définition de la
mégastructure en tant que bâtiment-ville
– l’Arlequin ne peut être facilement pris
en compte par des stratégies qui visent à
réintroduire une séparation des espaces
133
publics et privés d’une part, à proposer
un découpage parcellaire de l’autre. Les
démarches de résidentialisation ou de
projet urbain – significative à ce propos
est la proposition du projet NOVASUD
21 qui remonte vers le nord jusqu’à la
limite sud de la Villeneuve d’Echirolles –
semblent aujourd’hui butter contre les
cathédrales que sont les plus récents des
grands ensembles. Pour mettre en œuvre
de telles stratégies, il faudrait démolir
à grand frais des montées complètes
et simplifier une propriété du sol
particulièrement complexe (avec des droit
de surface et un mélange copropriétéslogements sociaux unique en son genre).
Il ne reste alors véritablement que deux
solutions possibles : l’achèvement de
la mégastructure en lui conservant
ses principes fondateurs et son
extraterritorialité ou son démantèlement
et son remplacement par des formes
urbaines, qui ont, pour reprendre les
propos des architectes-urbanistes de
Vigny-Musset, fait leur preuve.
La Rocade Sud pose des problèmes
similaires. Ni les projets opérationnels
conduits à l’échelle intercommunale
ou communale, ni les propositions des
étudiants de l’Institut d’Urbanisme de
Grenoble ne réussissent à proposer la
transformation de l’autoroute apaisée
en un véritable boulevard urbain. Ils
se contentent d’appeler de leurs vœux
une amélioration des franchissements,
une urbanisation des délaissés et
une immersion dans la végétation.
Pour novatrices qu’elles soient, les
solutions préconisées sont contraintes
de faire avec des objets difficilement
intégrables. La requalification des
espaces intermédiaires, des interstices,
constituent peut-être, à cause de son
ambition modeste, une voie à suivre
riche de perspectives nouvelles.
134
Bibliographie
BERRIEN V., «Grenoble : dérapage
contrôlé»,
Dossier
consultations
urbaines, Diagonal, décembre, n°98,
1992.
CHOMBARD DE LAUWE P., « Sociologie de
l’habitation. Méthodes et perspectives
de recherches », Urbanisme, n°65, 1959.
NOVARINA G., De l’urbain à la ville.
Les transformations des politiques
d’urbanisme
dans
les
grandes
agglomérations. L’exemple de Grenoble
(1960-1990).
Paris,
Commissariat
Général au Plan, Plan Urbain ; Grenoble,
CIVIL, 1993.
PARFAIT F., « Conception, organisation,
réalisation des ensembles d’habitation »,
Urbanisme, n°55, 1959.
PANERAI P., MANGIN D., Projet urbain,
Editions Parenthèses, 1999.
Équipe
Remerciements
Responsables scientifiques
Pour leur participation aux parcours
et séminaire sur la mégastructure : les
concepteurs du projet d’origine de la
Villeneuve (Franz Charmettant, Claude
Fourmy, Charles Fourrey, Pierre Mignotte
et Jean Tribel) et les concepteurs actuels
(Ateliers Lion : Claire Piguet ; LacatonVassal Architectes : Anne Lacaton, JeanPhilippe Vassal et Sandrine Puech ;
INterland : Franck Huillard et Laure
Favier ; la Ville de Grenoble et ACTIS)
ainsi que Nicolas Tixier du BRAUP.
Jean-Michel Roux et Gilles Novarina
Enquêtes et rédaction des monographies
La mégastructure : Jean-Michel Roux
et Charles Ambrosino (resp.) avec la
collaboration de Marie-Christine Couic,
Steven Melemis, Carine Bonnot, Charles
Capelli, Diane de Chilly, Laure Brayer,
Julien Mc Oisans et Zoom Architecture
pour l’organisation des parcours et du
séminaire.
La grille : Paulette Duarte et Carine
Bonnot (resp.) avec la collaboration
de Jean-Michel Roux et Dorian Martin
pour l’organisation des parcours et du
séminaire.
La ville linéaire : Natacha Seigneuret et
Gilles Novarina.
Graphisme et mise en page : Natacha
Seigneuret.
Pour leur participation aux parcours et
séminaire sur la grille : les concepteurs
du projet d’origine de Vigny-Musset
(Pierre Granveaud, Loizo Savva et Paul
Durand) ; les concepteurs du projet
d’origine d’Echirolles (Yves Sauvage et
Philippe Vic) ainsi que Catherine Maumi.
Pour
l’organisation
des
ateliers
d’étudiants : Naïm Aït-Sidhoum, Charles
Ambrosino, Pierre Belli-Riz, MarieChristine Couic, Paulette Duarte, Gabriel
Sibille, Gilles Novarina, Jean-Michel Roux
et Natacha Seigneuret.
Pour le suivi administratif du contrat :
le Braup (Edith Faucheux, Nicolas Tixier
et Panos Mantziaras), le Puca (Pierre
Bernard) mais aussi et surtout Françoise
Petitjean et Madeleine Picon (IUG).
135