Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
Mégastructure, grille et ville linéaire : trois figures pour projeter la périphérie grenobloise Jean-Michel Roux, Gilles Novarina, Charles Ambrosino, Marie-Christine Couic, Steven Melemis, Carine Bonnot, Charles Capelli, Diane de Chilly, Laure Brayer, Julien Mc Oisans, et al. To cite this version: Jean-Michel Roux, Gilles Novarina, Charles Ambrosino, Marie-Christine Couic, Steven Melemis, et al.. Mégastructure, grille et ville linéaire : trois figures pour projeter la périphérie grenobloise. [Rapport de recherche] AGE-2009-ROU, Ministère de la culture et de la communication / Bureau de la recherche architecturale, urbaine et paysagère (BRAUP); Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA); Institut d’Urbanisme de Grenoble / UMR PACTE / Laboratoire Territoires. 2010, 135 p. ฀hal01816862฀ HAL Id: hal-01816862 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01816862 Submitted on 22 Jun 2018 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. AGE-2009-ROU Architecture à Grande Echelle Programme interdisciplinaire de recherche 4ème session 2010 BRAUP, Bureau de la Recherche en Architecture, Urbanisme et Paysage PUCA, Plan Urbanisme Construction Architecture MEGASTRUCTURE, GRILLE ET VILLE LINEAIRE, TROIS FIGURES POUR PROJETER LA PERIPHERIE GRENOBLOISE RAPPORT FINAL Institut d’Urbanisme de Grenoble Laboratoire Territoires/UMR CNRS PACTE 1 2 SOMMAIRE CHAPITRE INTRODUCTIF Comment définir la ville contemporaine ? 5 CHAPITRE 1 La mégastructure au risque de la ville 17 CHAPITRE 2 De la grille au «maillage opportuniste» 51 CHAPITRE 3 La Rocade Sud, une ville linéaire en gestation ? 87 Jean-Michel Roux et Charles Ambrosino Paulette Duarte et Carine Bonnot Natacha Seigneuret et Gilles Novarina CONCLUSION 127 3 4 Chapitre introductif Comment définir la ville contemporaine ? Définir la ville contemporaine constitue une tâche délicate. Qu’est-ce la ville contemporaine ? De quoi est-elle faite ? Deux postures scientifiques sont possibles pour définir la ville contemporaine : une que nous qualifierons d’hypothéticodéductive et une deuxième que nous nommerons phénoménologique ou compréhensive. 1. La ville contemporaine a priori fractale et fragmentaire Une première posture scientifique possible est de considérer que la ville contemporaine existe par elle-même, qu’elle est une réalité indépendante du regard scientifique qui se pose sur elle et que le scientifique de la ville émet des hypothèses sur son organisation spatiale et sociale et vérifie l’exactitude de ses hypothèses. Cette posture renvoie à la posture scientifique développée par le platonicisme au Vème siècle av. JC, le cartésianisme au XVIIème siècle, le matérialisme historique du XIXème siècle ou le béhaviorisme du début du XXème siècle. Cette posture fait d’une part la distinction entre le monde du sensible et le monde de l’intelligible, postule qu’il y a d’un côté la réalité et de l’autre l’idée que nous nous en faisons et d’autre part émet des idées, des hypothèses sur ce qu’est la réalité, hypothèses qu’elle cherche à vérifier. Ainsi, la ville contemporaine existe. Elle apparaît a priori comme diffuse soit de manière continue, soit de manière ségréguée et fragmentée. Mais les outils d’analyse et le vocabulaire employés à l’égard de la ville traditionnelle ou moderne ne peuvent témoigner d’un visible toujours plus complexe. Les espaces périphériques constitutifs de la ville contemporaine semblent échapper à tout exercice de classification et de désignation raisonné. Nombreux sont les scientifiques qui vont loin dans leurs hypothèses et pointent du doigt le caractère fractal de la ville et la dissolution de l’urbain en un nombre imperceptible de « fragments ». La ville contemporaine apparaît alors a priori comme fractale, composée de fragments, et requiert un changement de « lunettes », un changement de regard scientifique pour la décrire, et pour décrire ses fragments. Selon B. Secchi, la notion de « fractalité » peut être un mode d’intelligibilité de la ville contemporaine. La ville contemporaine est « fractale », c’est-àdire qu’elle n’est plus structurée sur la base d’un mode d’organisation unique mais apparaît comme une juxtaposition de formes (l’ancien village rue, le lotissement, l’ensemble collectif, le mall commercial, le parc d’activités) qui sont le produit d’une histoire particulière. Elle est caractérisée par la « figure du fragment », bien loin de l’idéal classique de l’unité, si tant est que la ville se soit un jour réellement faite, au-delà des discours, sur cette base : 5 « La figure de la continuité a construit l’image et l’esthétique d’un espace urbain régulier, isotrope et infini, universel parce qu’il est épuré de tout caractère contingent, tel qu’on le saisit dans les grandes villes du XIXe siècle, comme Paris, Vienne et Berlin. De même, la figure de la fragmentation renvoie à une conception topologique de l’espace, de la différence et de la spécificité des lieux. La figure de la continuité a bâti une idée synoptique de la ville telle qu’elle est représentée, de manière extrême, dans certaines propositions de ville idéale des architectes de la Renaissance, dans les villes de fondation comme Palmanova ou Saint-Pétersbourg, dans le plan de L’Enfant pour Washington (1791) ou de Griffin pour Canberra (1911) et, de manière encore plus extrême, dans la grille territoriale américaine. La figure du fragment, de son côté, a construit l’idée d’une politique suivant une logique de processus qui encourage la construction et la modification de la ville et du territoire, par des interventions fragmentaires, soustractions ou ajouts cumulatifs qui, bien qu’agissant ponctuellement et localement, parviennent à donner un nouveau sens à l’ensemble urbain dans sa totalité » (Secchi, 2006, p. 28). Analyser la ville contemporaine à travers le prisme de la ville fractale permet donc de rendre compte de l’intelligibilité de la ville qui émerge sous nos yeux (Chalas et Dubois-Taine, 1998). Elle nous donne des clefs de lecture sur les modes d’organisation spatiale qui nous échappaient. Dès lors se pose la question de définir ce qu’est un fragment, un morceau de ville et de savoir comme le décrire avant de pouvoir, peut-être, lui prescrire un projet. De nombreux auteurs, architectes, urbanistes ou géographes, le plus souvent proches des courants européens de la typologie et de la morphologie, se sont penchés sur la question en essayant 6 de décrire les modes de remplissage de l’espace urbain et d’en déceler les processus (logiques temporelles), mais ils ne nous donnent pas des modes d’entrée en projet, sauf à considérer comme Rem Koolhaas que puisque la situation nous échappe totalement, il vaut mieux en prendre son parti. Dès le début du XXème siècle, en France (Poëte, 1904 ; Lavedan, 1936), puis à partir des années 1950, en Italie (Muratori, Caniggia), la « notion de tissu urbain » s’est constituée comme étant la « superposition de plusieurs structures qui agissent à des niveaux différents, mais viennent s’articuler dans chaque partie de la ville. Le tissu urbain peut être défini comme la rencontre de trois logiques : celle des voies dans leur double rôle de conduire et de distribuer, celle des découpages parcellaires où se nouent les enjeux fonciers et où se manifestent les initiatives privées et publiques, celle des bâtiments qui abritent les différentes activités » (Panerai, 1977). La notion de tissu urbain nous rappelle ainsi que la ville n’est jamais que la somme de plusieurs morceaux d’urbanisation qui coexistent côte à côte et forment, en théorie, un tout. Elle nous invite aussi à nous intéresser non seulement à l’exceptionnel (éléments bâtis singuliers comme les églises ou les châteaux, places et bel espace public) mais au banal, à l’ordinaire, au remplissage quotidien et capillaire du territoire urbain. Aldo Rossi (1990, pp. 56-57) évoque quant à lui la notion de « fragment de ville », désignant ainsi une unité de l’« aire urbaine », une portion de territoire qui au cours du temps et des évènements acquière des caractéristiques qui lui sont propres. Une ville est un système spatial composé de plusieurs parties ayant chacune des caractéristiques définies. « Il serait absurde de vouloir soumettre ces éléments différents à un principe unique d’explication, à une loi formelle unique. La ville dans toute son ampleur et dans toute sa beauté est une création qui s’est faite à partir de nombreux éléments constitutifs, différents les uns des autres ; l’unité de ces éléments est constituée par l’unité urbaine dans son ensemble ». Ce faisant, il développe l’idée que la ville se constitue partie par partie. Cheminant sur une route parallèle qui ne croisera celle des auteurs précédents que dans les années 1990, les géographes anglais, à l’instar de M.R.G. Conzen, emploient quant à eux le concept de plan unit (« unités du plan »), lequel identifie des parties distinctes du plan d’une ville présentant une combinaison spécifique de rues, parcelles et bâtiments, sur un site particulier et possédant une mesure d’unité morphologique et/ou d’homogénéité. Les « unités du plan » sont produites essentiellement par les évolutions morphogénétiques de la ville. Nous pouvons les analyser au moyen d’une typologie morphogénétique (Conzen, 1960, p. 128). La notion de plan unit permet parfaitement de décrire la constitution en patchwork de la ville industrielle anglaise du XIXème siècle, faite de l’agrégation de morceaux de ville produits par des entrepreneurs ou promoteurs fonciers indépendamment les uns des autres, le plus souvent sur d’anciennes terres communales et qui ne présentent de logique d’organisation qu’à l’échelle de leur seule propriété. Les « unités du plan » de la ville anglaise se rapprochent aussi sensiblement de la notion de « ville par partie » (città per parte) que développe Aldo Rossi. L’architecte italien et le géographe britannique renvoient à la même idée d’une ville dont la forme serait le résultat de la juxtaposition de différents « fragments de ville » d’époques et de structures différentes (Rossi, 1966). Il est dès lors possible de se poser la question : qu’est-ce qui fait alors l’unité de la ville ? Pour les uns il s’agit des infrastructures telles que les réseaux viaires et systèmes de places ou parcs, pour les autres, comme A. Rossi, c’est ce qu’il appelle les « éléments singuliers » et qui regroupent selon les cas des équipements et infrastructures, des édifices historiques, le plan d’une ville, un noyau historique voire des lieux où se sont déroulés des évènements entraînant des transformations spatiales. Ce sont eux qui assurent, par leur influence sur la croissance urbaine et par leur permanence, le caractère pérenne de la ville et son unicité. Si la ville est un objet, nous pouvons l’analyser comme tel en étudiant sa structure et l’articulation des éléments qui la composent. C’est ce qu’Aldo Rossi appelle l’«architecture de la ville» entendu dans le sens de disposition ou de structure. Pour cela, il convient de considérer la complexité de l’objet, d’identifier les éléments le composant, d’analyser l’importance relative de ces éléments et enfin de comprendre ses processus de transformation dans la durée. Aldo Rossi recommande de considérer la complexité de l’objet qu’est la ville et d’opérer sur des portions délimitées de l’« aire urbaine », sur des « fragments de ville » qui constituent la base de l’aire d’étude. Le fragment de ville est composé de différents éléments ou « faits urbains » caractérisés par leur architecture et donc par leur forme et analysable individuellement ou collectivement comme des artefacts composant la ville. Ces faits sont de natures très diverses. 7 A. Rossi en cite plusieurs : les rues, les logements, les monuments, etc. Les rapports entre ces faits urbains sont complexes et n’impliquent pas dans le travail d’A. Rossi une même méthode de lecture ou une même attention. Il s’attarde par contre sur l’importance des logements et des « aires de résidence » qu’ils forment dans la ville. De son côté, P. Gresset dans son étude sur Bath désigne le fragment comme une « formation délibérée, autonome formellement et sémantiquement, qui comprend à la fois le bâtiment, la nature (ou représentation de celle-ci, sous les espèces variables des jardins et du paysage) et les voies et réseaux (voirie hiérarchisée, égout et alimentation d’eau) en un dispositif réglé aisément reproductible » (Gresset, 1987, p.10). Selon lui, quatre traits caractérisent les fragments, à savoir : la délimitation (c’est-à-dire la mesure et la forme), l’espacement (le rapport au paysage), le décentrement (l’autonomie du fragment) et l’extension du planifiable. La principale différence qui existe entre cette acception et celle que propose A. Rossi est d’ordre scalaire : là où A. Rossi évoque l’échelle du quartier, P. Gresset s’appesantit sur un chapelet d’objets urbains unitaires tels que le crescent, le circus, le square, l’oval ou encore la promenade. Mais ce qui spécifie avant tout le fragment, explique B. Secchi (2004), relève du décalage rythmique qui s’installe entre les temporalités d’évolution des composants matériels qui les structurent (lotissements, ensembles industriels, équipements, espaces ouverts, etc.) et celles des pratiques sociales et des activités économiques qu’ils accueillent. De cette séparation des temps, ceux, rapides, volatiles et subreptices de 8 l’individu et de la société, d’un côté, et, ceux, lents, stables et persistants des objets physiques posés dans leur espace, de l’autre, naissent des processus de transformation urbaine, plus ou moins intenses. Depuis M. Poète, en passant par P. Lavedan, G. Caniggia et P. Panerai, jusqu’à B. Secchi, l’idée que la structure de la ville et que l’évolution de ses formes puissent résulter de mutations à la fois capillaires, embrassant l’ensemble des modifications anonymes auxquelles s’adonnent les habitants et plus permanentes, lesquelles assurent une certaine continuité dans l’évolution des tissus urbains, s’est très largement affirmée au cours du XXe siècle. Ainsi, délivrer l’histoire d’un fragment de ville suppose-t-il que nous distinguions, préalablement, les phases qui en ponctuent la constitution, le contexte qui le singularise, mais également que nous repérions les différents éléments qui l’organise : système viaire, réseau d’espaces libres et trame parcellaire, implantation du bâti, typologie architecturale et usage des sols. Les fragments de villes peuvent se trouver à des échelles qui vont depuis un élément singulier du tissu urbain (cf Gresset et ses squares, crescent, etc.) jusqu’aux « parties de ville » de Rossi. Tous les fragments qui constituent la ville fractale disposent d’une forme, qui peut être analysée à travers une lecture typo-morphologique et une analyse des usages. 2. Ou la ville contemporaine, comme phénomène à comprendre La deuxième posture scientifique est de considérer que la ville contemporaine n’existe pas par elle-même, qu’elle n’est une matérialité, une réalité que dépendante du regard scientifique qui se pose sur elle. Elle n’acquiert une existence que parce qu’on la pratique, que parce qu’on se la représente. Cette posture est celle de philosophes de la fin du XVIIIème siècle et de phénoménologues du XXème siècle. Dans « Critique de la raison pure », publiée en 1781, Emmanuel Kant démontre pour la première fois qu’il n’y a pas d’objet en soi, extérieur à soi, de réalité a priori, car les hommes sont dans l’incapacité de vérifier la nature de cet objet. L’objet est donc soumis au sujet connaissant, il fait partie de ses pensées. La connaissance est une connaissance phénoménale qui porte sur le phénomène de l’objet existant que parce qu’on le regarde. Arthur Schopenhauer, quant à lui, dit clairement, dans « Le monde comme Volonté et comme Représentation » que le monde, ou la réalité, n’existe que comme représentation dans son rapport avec un être percevant et pensant, qui est l’homme lui-même (Schopenhauer, 1966, p. 25). Tout ce qui existe pour la pensée. Il n’y a pas d’objet en soi, indépendant du sujet. Le monde objectif est conditionné par le sujet. Objet et sujet sont inséparables. La phénoménologie de la perception du XXème siècle reprend cette posture et nous montre qu’il n’y a pas d’un côté la réalité et de l’autre l’idée qu’on s’en fait (Sansot, 1988), qu’il n’y a pas séparation entre sujet et objet, individu et société, nature et culture, les sens et le sens, l’intelligible et le sensible, représentations et pratiques. Au contraire, la réalité et l’idée qu’on s’en fait ne font qu’un. Ainsi, le scientifique de la ville, phénoménologue et compréhensif, n’élabore a priori aucune hypothèse sur l’organisation de la ville contemporaine. Il n’y a pas de ville fractale, pas de ville fragmentaire, pas de ville continue. Il considère la ville comme un objet flou, indéfini, voire inexistant. Il porte son regard sur ce que pourrait être la ville contemporaine et commence, par làmême, à lui donner du sens. Il sait qu’en s’attachant à définir la ville, il lui donne une certaine consistance, et fait émerger la ville contemporaine comme objet et réalité. Aussi, loin de nous l’idée de mettre fin à cette controverse, en optant pour une posture ou une autre, nous nous conterons modestement d’une posture intermédiaire, en choisissant d’orienter un peu notre regard ce qui nous semble représenter la ville contemporaine, la ville périphérique et les morceaux d’espaces qui a priori la composent. Pour cette observation nous utiliserons « la figure urbanistique » ou « la figure de l’habiter ». Observer l’espace, ses caractéristiques principales, et les exagérer, si nécessaire, permet de construire une ou des figures qui donnent de l’intelligibilité à la ville contemporaine. 3. La figure Qu’entendons-nous par figure ? La figure au sens étymologique est une « forme » visible, un aspect d’une forme, une illustration, une image, qui donne à voir ou qui exprime quelque chose par un symbole. L’utilisation de la notion de figure est ici conçue comme celle donnée par Yves Chalas. Pour ce dernier, « Une figure est un rassemblement cohérent d’images». Elle « est à la fois fondée et illustrée par des images » (Chalas, 1996, p. 31). Pour nous, la figure urbanistique 9 est un ensemble cohérent d’éléments de forme, et consiste à la fois en une approche méthodologique, un mode de lecture de la ville, qui aide à se représenter la forme de la ville, et en un contenu, une définition de la ville. 3.1 La figure comme mode de lecture de la ville contemporaine Ainsi, la figure présente selon nous deux caractéristiques importantes : Un mode d’organisation de l’espace. La figure est un mode d’organisation de l’espace qui présente une forme lisible et intelligible parfois annonciatrice d’un changement sociétal. Ce qui signifie que l’on peut avec pertinence privilégier une entrée dans l’analyse des figures par leur contenu formel de l’habiter sans pour autant se désintéresser de la dimension usagère de l’espace. Un mode de représentation de l’espace (dessein et dessin). La figure est une forme qui, par son dessin, véhicule un discours (dessein) porteur de sens pouvant aller jusqu’à la mise en scène d’une organisation de la vie sociale. Les auteurs du dessin ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux du dessein. L’observation de ces deux caractéristiques nous permet de construire des figures et de comprendre ce qu’est la ville contemporaine. En exagérant ces caractéristiques, nous obtenons une ou des figures-types de la ville contemporaine que nous nommons. 3.2 La figure ou les figures contemporaine de la ville Pour faire état du sens des figures, il paraît indispensable de se référer à la méthode de l’idéal-type élaborée par Max Weber et reprise depuis dans les sciences sociales. Les figures ne se révèlent pas construites, formalisées, 10 toutes prêtes dans les discours et dessins recueillis. Parfois, elles sont explicites, manifestes, mais la plupart du temps, elles sont cachées, latentes. Il est donc nécessaire de procéder à un travail d’analyse inversée du sens, de juxtaposition d’idées, d’amplification du sens et de construction exagérée pour mettre en avant les figures-types. La méthode idéal-typique permet ce travail de construction et de reconstruction. Elle consiste à partir d’un phénomène général ou singulier à construire à son propos un schéma explicatif assez général pour comprendre son fonctionnement. En effet, dans cette construction idéaltypique, seuls les éléments essentiels pour la compréhension sont retenus et exagérés. On obtient un idéal-type : « (...) en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus ou discrets, que l’on trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroits pas du tout, qu’on ordonne selon les précédents points de vue choisis unilatéralement, pour former un tableau de pensée homogène (Weber, 1965, p. 181) ». La figure ou les figures ainsi obtenues de la ville contemporaine sont des types que nous nommons explicitement. Elle est un type grâce à l’exagération de ses caractéristiques, mais elle est également un type car déterminé par ses propres logiques de constitution, d’organisation et d’évolution. Elle est sujette à interprétation et dispose d’une capacité à se reproduire ; de ce fait, elle permet d’éventuelles proliférations. Elle en devient a-historique, utopique, universelle. Les noms des figures, tels que figure linéaire, figure de la grille, figure de la mégastructure, figure de la continuité, figure du fractal…, nous les construisons nous-mêmes comme des résumés condensés, réduits à quelques mots, parfois à un seul, qui témoignent des significations des figures. 4. Contexte de la recherche : la périphérie grenobloise et ses figures Au cours des trente dernières années, ce que nous pouvons appeler « l’espace sud de l’agglomération », tant ses limites sont imprécises et ses caractéristiques morphologiques complexes, a connu des interventions publiques d’envergure à l’initiative des collectivités publiques (État dans les années 1960-1970, communes et intercommunalités par la suite) qui ont cherché à mieux organiser l’urbanisation en proposant par exemple la création de nouveaux centres. La première de ces initiatives est la mise à l’étude d’un Plan directeur d’urbanisme (approuvé en 1963) qui se traduit par la création d’une vaste Zone à Urbaniser en Priorité, dont le plan-masse élaboré originellement par Henry Bernard sera revu quelques années plus tard par Michel Steinebach, architecte de l’AUA. Ce planmasse, conformément aux principes de l’urbanisme moderne, organise l’urbanisation à l’intérieur des mailles d’un réseau de voies à grande circulation (Novarina, 1993). Ces mailles sont implantées de part et d’autres d’un grand axe recevant les équipements publics dans la version proposée par Henry Bernard. Elles constituent les pétales d’une fleur dont le cœur est constitué par un vaste centre de commerces et de services dans la version de Michel Steinebach. Le quartier de l’Arlequin, dont la structure proliférante rappelle la cluster city des époux Smithson, s’arrête pourtant aux limites fixées par la maille viaire à l’intérieur de laquelle elle prend place. La deuxième initiative découle de la création de la rocade et de sa transformation en autoroute. Inscrits en zone d’activités au Schéma directeur de 1973, les terrains, situés de part et d’autre de cette voie rapide, font l’objet d’une préemption foncière (dans le cadre d’un Programme d’action foncière signé par l’Etat, le département et l’agglomération). Les communes profitent de ce foncier abondant pour aménager une succession de zones artisanales et commerciales, aujourd’hui caractéristiques d’un paysage d’entrée de ville. Au cours des dernières années, ces zones ont connu des transformations importantes avec le départ de certaines entreprises à l’extérieur de l’agglomération. Des micro-friches sont apparues, alors que subsistent des activités aujourd’hui incompatibles avec le voisinage de zones résidentielles accueillant soit des logements collectifs soit des logements individuels. La question du devenir de ces espaces est aujourd’hui posée (confirmation de la spécialisation actuelle, implantation de logements) et elle est étroitement liée à la requalification de ce grand couloir de circulation à l’intérieur duquel coexistent une autoroute et une voie ferrée. La troisième initiative remonte au milieu des années 1980 et émane directement des communes. La Ville d’Echirolles s’engage dans un processus de construction d’un nouveau centre. A l’issue d’une phase de concertation (réunions avec les habitants et les acteurs économiques locaux, organisation d’un appel d’idées et d’un workshop mobilisant architectes et chercheurs extérieurs à l’agglomération, sondages d’opinion), elle se dote d’un « schéma directeur » fondé sur trois orientations : la création d’une avenue, l’aménagement d’une vaste place autour de laquelle 11 seront implantés les équipements et les services les plus important, la création d’une maille de voirie ordinaire délimitant des îlots de 80 m x 200 m. Les principes retenus (hiérarchisation du système viaire et îlots ouverts) donnent naissance à une organisation spatiale en forme de grille (Novarina, 2007). Cette même forme urbaine est retenue quelques années plus tard par la Ville de Grenoble pour l’aménagement du nouveau quartier de Vigny-Musset, séparé de la Villeneuve par une avenue. L’objectif de ces deux projets urbains, objectif plus affirmé dans le centre-ville d’Echirolles qu’à Vigny-Musset, est l’engagement d’une restructuration urbaine d’un tissu urbain profondément marqué par les coupures entre des opérations remontant à des époques différentes. Au début des années 2000, ce qui devait devenir le centre de gravité du sud de l’agglomération grenobloise se compose de pièces urbaines disparates. La ligne de tramway qui le traverse (inauguré en 1987) est à son image : une infrastructure de transport posée sur un territoire et qui vient relier par les marges des opérations successives. Depuis une dizaine d’années, à l’initiative de la communauté d’agglomération (Métro) et des deux Villes d’Echirolles et de Grenoble, les études urbaines se multiplient en différents points de ce territoire. Dans le prolongement de son projet d’agglomération, la Métro confie à une série de cabinets d’architectesurbanistes de multiples études urbaines intercommunales (INterland, AAA architecture vidéo, Transitec Déplacement, Stratégie Territoires, 2006 ; Les Pressés de la Cité, Strates et JNC Agence Sud, 2006 ; Seura, Pierre BelliRiz, Epure Paysage, ETC Déplacement, 2006) permettant d’amorcer la réflexion sur le devenir de franges, situées le 12 plus souvent à proximité de grandes infrastructures au Sud, à l’Est et à l’Ouest de l’agglomération. Dans le prolongement de ses actions de développement social urbain et conformément à une volonté d’ouverture des quartiers d’habitat social, la Ville de Grenoble missionne Yves Lion pour dresser la possibilité d’un ambitieux projet de requalification des quartiers qui composent la Villeneuve (Village Olympique, Arlequin, Baladins, Grand-Place). Un marché de définition porte actuellement sur la réhabilitation du patrimoine bâti de l’Arlequin. Comandatés par la Ville de Grenoble et deux des principaux bailleurs sociaux, Actis et SDH, il donne l’occasion d’approfondir la réflexion1. Son centreville pratiquement achevé, la Ville d’Echirolles s’interroge aujourd’hui sur son extension vers le Nord. Dans le cadre du projet « NOVASUD 21 », elle se pose la question du franchissement de la rocade et de la voie ferrée, de leur meilleure intégration dans le tissu urbain et de la requalification des espaces libérés par une éventuelle transformation de l’autoroute en boulevard urbain (Projet Urbain NOVASUD 21, 2009). 5. Premières hypothèses et questionnements A l’instar de David Mangin, l’on peut affirmer que « seule l’élaboration d’une grille de lecture et l’approche comparée à l’aide de monographies de villes peuvent faire progresser les questions débattues par les observateurs du périurbain » 1 Trois équipes sont actuellement en lice pour l’obtention du marché. Les trois mandataires principaux sont l’Atelier Castro Denissof Casi, l’Atelier de la Gère | Bernard Paris & Associés et INterland. (Mangin, 2004). En périphérie, la ville est en cours de consolidation tant et si bien qu’aujourd’hui se pose la question de son renouvellement à travers notamment la problématique de l’habitat. A la double injonction de répondre à la crise du logement et de satisfaire une demande toujours plus diversifiée, les collectivités territoriales sont amenées à réinvestir des territoires jusque-là fonctionnellement définis pour en évaluer la capacité de transformation. L’agglomération grenobloise est à cet égard symptomatique de ces évolutions. Tandis que les quartiers centraux de Grenoble enregistrent soit une stabilisation de leur population soit une progression, les quartiers de la périphérie sud connaissent une baisse démographique continue. En réponse, la municipalité de Grenoble s’est donné le double objectif de réhabiliter le parc de logements anciens et de construire 750 logements neufs par an2. Au moyen de son Plan local d’urbanisme, elle vise également un rééquilibrage territorial prenant en compte la situation actuelle de ses différents quartiers : maintien de la mixité lorsqu’elle existe déjà, renforcement de la part des logements sociaux dans les quartiers qui en sont insuffisamment pourvus et augmentation du nombre de logements privés dans les secteurs d’habitat social, et plus particulièrement ceux du sud de la ville. 2 Cette offre de logements s’indexe à une réalité socio-démographique qui se traduit par une demande d’autant plus diversifiée que le nombre de ménages augmente plus vite que la population et que l’on compte de moins en moins d’occupants par logement (vieillissement de la population, augmentation du nombre de personnes seules, décohabitation des jeunes, hausse du nombre de divorces et séparations, tendance à une mise en couple plus tardive). Aussi, le sud de l’agglomération grenobloise s’avère-t-il un terrain d’étude potentiellement fécond. Il résulte d’une série de choix contrastés ayant eu successivement une volonté de l’organiser, d’améliorer son « urbanité » et la qualité de son habitabilité (nombre, type, accueillance des logements). Ces choix se traduisent par autant de figures urbanistiques et architecturales caractéristiques des périphéries urbaines : la cité-jardin, le grand ensemble, la mégastructure, la grille, la ville linéaire, le lotissement (de maisons comme de bâtiments d’activité). Parmi ces figures, nous faisons l’hypothèse que certaines se distinguent par leur ambition, passé, présente et future, de proliférer et de structurer l’ensemble d’un territoire. La mégastructure, la ville linéaire et la grille s’imposent ici : - la Villeneuve de Grenoble (mégastructure) qui ne devait pas rester enfermée à l’intérieur des limites étroites d’une maille mais se superposer progressivement à l’ensemble des tissus avoisinants ; - la rocade sud qui fonctionne comme une sorte de ville linéaire desservie par une grande infrastructure de déplacement ; - le centre-ville d’Echirolles et le quartier grenoblois de Vigny-Musset dont les grilles se proposent d’intégrer progressivement les fragments de ville qui les entourent dans le cadre d’une organisation urbaine mieux irriguée et hiérarchisée par le réseau viaire3. 3 Cf. à ce propos l’Orientation d’aménagement sur la morphologie urbaine du Plan local d’urbanisme d’Echirolles. 13 6. Feuille de route de l’analyse monographique Nous utiliserons la figure pour relire les projets de la Villeneuve, du centre-ville d’Echirolles et du quartier de Vigny ainsi que celui de la Rocade Sud4. Pour chacune des trois monographies, il s’agira de : 1. Définir ce qu’est chacune des figures, sans en faire l’historique (les références, leur interprétation). Définir en quoi il s’agit de figure. - Sur quelles références théoriques (architecturales/ urbanistiques/ sociales) les projets ont-ils pris appui ? - Comment ces références ont-elles été interprétées et utilisées par les acteurs locaux de l’urbanisme ? 2. Évaluer la capacité des figures à organiser le territoire - Comment ces figures articulent-elles la question spécifique du logement avec des problématiques urbaines plus générales (l’interface avec les infrastructures de transport, le traitement des espaces publics, le développement économique ? - La figure que nous avons aujourd’hui sous les yeux ressemble-t-elle à un système original ou à une forme de « bricolage » entre des références théoriques et des contingences locales ? 3. Dans quelle mesure les projets en cours se saisissent-ils de ces figures ? - Se basent-ils sur la négation, la confrontation ou l’interprétation des figures existantes ? - Certaines figures auraient-elles la capacité à se transformer et à se renouveler plus naturellement que d’autres ? 4 Des trois figures étudiées, deux correspondent a priori à la définition que nous nous en sommes donnés et le dernier, la ville linéaire, correspond a posteriori à notre définition. 14 Analyser une figure en tant que forme implique une double lecture morphographique (analyse du réseau viaire, du parcellaire et du bâti) et morphogénétique (analyse de l’évolution dans le temps) temporelle afin de comprendre le décalage qui existe entre les temporalités d’évolution des objets qui composent l’espace et les usages qui s’y développent. En théorie le bâti traduit plus rapidement les évolutions usagères que le parcellaire et le réseau viaire. (cf Conzen et Lavedan). Nous allons observer si nos figures répondent à ce principe. Hypothèse qu’elles sont différentes. Grille et ville linéaire auraient une plus grande aisance à faire évoluer bâti et parcellaire en réaction à l’émergence de nouveaux usages que la mégastructure, plus rétive au changement typologique et encore plus morphologique. D’où deux postures de projet face à la mégastructure : considérer qu’elle ankylosée/enkystée et qu’un travail de remise en mouvement/mutation typologique est possible ou bien considérer qu’elle est fossilisée et donc que seule la démolition est possible. 4. Dans une dernière partie (chapitre conclusif), il s’agira de relire les trois monographies de manière croisée afin d’évaluer la possibilité de construire un « projet urbain métropolitain » sur la base de ces figures. - Quelle sont leur capacité à redonner de la cohérence aux territoires du sud de l’agglomération grenobloise ? Sur la base de l’analyse précédente qui permettra d’évaluer les limites et la capacité à muter des figures urbaines existantes dans le sud de l’agglomération, il s’agira d’imaginer les scénarios possibles de transformation de l’ensemble du territoire étudié. Les projets en cours (comme ceux qui seront produits dans le cadre des réflexions de l’équipe de recherche et des travaux étudiants) devront-ils organiser une coexistence de ces figures ou au contraire faire prévaloir l’une d’entre elle ? Bibliographie CHALAS Y., L’oralité sociale. Écoute, traitement et restitution de la parole urbaine quotidienne. Grenoble, CRESSON, 1996. INterland, AAA architecture vidéo, Transitec Déplacement, Stratégie Territoires, Étude intercommunale de prospective urbaine, Comité d’agglomération Grenoble Alpes Métropoles, Isère, 2006. Les Pressés de la Cité, Strates et JNC Agence Sud, Étude intercommunale de prospective urbaine, Comité d’agglomération Grenoble Alpes Métropoles, Isère, 2006. MANGIN D., La ville franchisée. Formes et structures de la ville contemporaine, Paris, Ed. de la Villette, 2004. NOVARINA G. (sous la direction de), Villes européennes en projet, Grenoble: Institut d’Urbanisme de Grenoble, Fondation Braillard Architectes (Genève), Plan Urbanisme Construction et Architecture, 2007. NOVARINA G., De l’urbain à la ville. Les transformations des politiques d’urbanisme dans les grandes agglomérations, L’exemple de Grenoble (1960-1990) CIVIL / CGP, 1993. Projet Urbain NOVASUD 21, Grands principes de composition urbaine, janvier 2009. SANSOT P., Poétique de la ville. Paris, Méridiens Klincksieck, 1988. SCHOPENHAUER A., Le monde comme Volonté et comme Représentation, Paris, PUF, 1966. SEURA, BELLI-RIZ P., Epure Paysage, ETC Déplacement, Étude intercommunale de prospective urbaine, Comité d’agglomération Grenoble Alpes Métropoles, Isère, 2006. WEBER M., Essais sur la théorie de la science. Paris, Librairie Plon, 1965. 14 15 16 Chapitre 1 La mégastructure au risque de la ville Jean-Michel Roux et Charles Ambrosino Introduction Fruit d’un processus d’urbanisation ex-nihilo (1966-1983), le quartier de la Villeneuve, et plus particulièrement l’Arlequin, caractérisé par sa continuité, sa densité, sa linéarité et sa verticalité, représentent l’un des premiers exemples réalisés en France de mégastructure associant dès le début de sa conception logements et équipements publics. La Villeneuve fait figure de dernière tentative du mouvement moderne de corriger certains de ses défauts. Une quarante d’année après son inauguration, celle-ci est sur le point de faire l’objet d’immenses transformations dans le cadre d’un vaste projet ANRU. La destruction, l’évolution ou la patrimonialisation de ses formes urbaines, architecturales et sociales sont aujourd’hui en jeu. Élément singulier de la périphérie grenobloise, la mégastructure de l’Arlequin représente tout à la fois : 1. une utopie sociale et urbaine née d’un dessein politique portée par les élites locales dans les années 1970, 2. une forme urbaine exclusive au regard de son environnement et 3. un objet à la fois architectural et urbain disposant de ses propres modalités d’organisation. De ce fait, elle constitue certainement l’une des trois figures la plus aboutie que nous avons pu identifier et dont nous allons questionner les références théoriques, les règles de constitution et la capacité à proliférer, à structurer le sud grenoblois ou à se transformer. Dans le cadre du présent chapitre, nous proposons trois modes d’exploration. Le premier (1. Mégastructure, ville et territoire) se veut une analyse des origines du projet, de ses racines théoriques et établit une première grille de lecture critique de l’évolution de la mégastructure de l’Arlequin. Le deuxième (2. L’arlequin a-t-il structuré la périphérie grenobloise ?) prend appui sur les parcours organisés en février 20101 entre concepteurs d’hier et concepteurs d’aujourd’hui avec pour objectif de reconstituer histoire et mémoire de cette mégastructure en articulant paroles d’acteurs et analyse morphologique. Le troisième (3. L’Arlequin est-il parvenu à « réinventer la ville » ?) et dernier mode se veut un bilan des différents projets contemporains ayant tous formulé un certain nombre de propositions de transformation voire de renouvellement de tout ou partie de la mégastructure. 1 Nous souhaitions recueillir les témoignages des acteurs passés, présents et futurs de la Villeneuve sous la forme d’un entretien à trois (deux enquêtés et un enquêteur), in situ et chemin faisant. L’objectif était de comprendre, micro-lieux par micro-lieux, les intentions de départ, les difficultés de réalisation et de gestion, les opportunités d’action, et de mettre en dialogue des projeteurs d’un même lieu. Chaque binôme était équipé d’un microphone, d’un appareil photo et acceptait la possibilité d’une interpellation habitante. Etaient donc présents : les concepteurs du projet d’origine de la Villeneuve (Franz Charmettant, Claude Fourmy, Charles Fourrey, Pierre Mignotte et Jean Tribel) et les concepteurs actuels (Ateliers Lion : Claire Piguet ; Lacaton-Vassal Architectes : Anne Lacaton, Jean-Philippe Vassal et Sandrine Puech ; INterland : Franck Huillard et Laure Favier ; la Ville de Grenoble et ACTIS) ainsi que Nicolas Tixier du Braup. 17 1. Mégastructure, ville et territoire L’histoire de la mégastructure de l’Arlequin se confond avec celle de l’urbanisation du sud grenoblois. Erigée dans une période faste, cette forme de développement de la ville illustre bien les velléités d’un urbanisme de conquête porté par le dynamisme économique et l’ambition politique d’une frange des élites locales. Fruit d’une création par tâtonnement, l’Arlequin est porteur d’un discours sur la société qui trouvera en la mégastructure un parti d’organisation spatiale adapté et revendiqué. 1.1. Urbaniser le sud grenoblois 1.1.1 Quel projet pour la périphérie grenobloise C’est dans un contexte de forte expansion démographique et économique que l’État décide en 1960 de créer, à l’initiative de la municipalité conduite par Albert Michallon, une Zone à Urbaniser en Priorité (ZUP) au sud du territoire grenoblois afin de maîtriser le développement de la ville alors que le sud dont Echirolles s’est constitué jusqu’alors par une croissance urbaine discontinue faite d’opérations disparates, d’usines, de quartiers d’habitation, de casernes, fermes et aérodrome sans plan d’ensemble. Deux périmètres à la lisière de l’urbanisation existante sont alors délimités : l’un à Grenoble (120 hectares), l’autre à Échirolles (80 hectares). La publication du nouveau Plan Directeur du groupement d’urbanisme des quatorze communes de l’agglomération, dont l’élaboration a été confiée par l’État à l’architecte Henry Bernard (Grand prix de Rome), rend impossible la collaboration entre Grenoble et Échirolles. En effet, le «Plan Bernard» rejette sur Échirolles et Eybens les contraintes des grands 18 tracés circulatoires (voie autoroutière de contournement, déplacement de la voie ferrée). Le projet propose également de construire au cœur de la ZUP le nouveau centre de Grenoble et d’y accueillir tous les grands équipements. Figures 1. Les territoires de la ZUP 1a) Plan de la ZUP (Source : Villeneuve de Grenoble Échirolles objectifs et réalisation 1961-1977 (1977). Rapport dressé par JF Parent en 1977 et la SADI, à destination du conseil municipal) 1b) Avant la ZUP (Source : Villeneuve de Grenoble Échirolles objectifs et réalisation 1961-1977 (1977). Rapport dressé par JF Parent en 1977 et la SADI, à destination du conseil municipal) Crée en 1961, la ZUP s’étend sur 200 ha (120ha sur Grenoble et 80 ha sur Echirolles) et vient urbaniser un territoire marqué par l’agriculture et un développement rythmé par de grandes opérations. Figure 2. Les propositions du plan Bernard pour le Sud grenoblois 2) Plan Bernard (Source : Villeneuve de Grenoble Échirolles objectifs et réalisation 1961-1977 (1977). Rapport dressé par JF Parent en 1977 et la SADI, à destination du conseil municipal) En 1963, l’Etat confie l’élaboration du plan directeur de l’agglomération à Henry Bernard sous la mandature de Hubert Michallon (mouvement gaulliste). La ville de Grenoble, en désaccord avec Bovet, lui confie également les études d’urbanisme sur le secteur Sud dans le cadre de la ZUP. Mais l’étude de la ZUP est repoussé après celle du plan directeur. Le « Plan Bernard » prévoit notamment la percée de grands axes et le déplacement de centre ville sur les quartiers Sud. Les incidences du plan Bernard pour la ZUP sont significatives : positionnement de la centralité du secteur Sud sera au Nord de la ZUP, éloignement de la ZUP d’Echirolles, etc. 19 Élue en 1965, la municipalité d’Hubert Dubedout affirme que l’évolution de la ville doit être maîtrisée par les élus locaux et confie à la SADI (Société d’Aménagement du Département de l’Isère) l’aménagement de la partie grenobloise de la ZUP. Les idées prônées sont celles : - du contrôle municipal de l’urbanisation, - du refus de la ségrégation résidentielle et spatiale, - de la structuration de la vie sociale autour des équipements collectifs et - du dialogue avec la population et les usagers. Au printemps 1966, la municipalité, souhaitant s’affranchir des tutelles étatiques, crée l’Agence municipale d’urbanisme avec l’aide de l’AUA2. L’agence reprend alors le projet de la ZUP – suite à l’abandon d’Henry Bernard en 1966 de ses fonctions d’architecte en chef –, son équipe reformulant toutes les questions : vocation de la ZUP dans l’agglomération, contenu du programme (logements, emplois, équipements) et organisation spatiale. Plusieurs scénarios sont envisagés en fonction des impératifs et de la hiérarchie des besoins. Figure 3. Les différents scénarios proposés par l’agence d’urbanisme et l’AUA 2 L’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture (AUA) fut créé à l’initiative de quelques jeunes architectes en 1959 en réaction à la charte d’Athènes. Composé d’architectes, d’ingénieurs, de paysagistes, d’économistes, de sociologues et d’urbanistes l’agence s’inscrit en faux face à une culture bien ancrée de stricte séparation des métiers (ingénieurs, architectes, promoteurs, etc). 20 3a Les trois vocations possibles de la ZUP (Source : Villeneuve de Grenoble Échirolles objectifs et réalisation 1961-1977 (1977). Rapport dressé par JF Parent en 1977 et la SADI, à destination du conseil municipal) En mai 1966 du le plan Bernard pour la ZUP est remis à plat. La ville demande à la SADI de réfléchir avec l’agence d’urbanisme à nouveau projet (juin 1966 / juillet 1967). La réflexion s’engage sur l’urbanisation de l’ensemble de l’agglomération (il manque 10 000 logements). Villeneuve est le « point d’ancrage » au confluent des trois vallées, et la porte d’entrée pour le Sud de l’agglomération, moins bien doté en équipements, etc. (« centre relais »). 3b) Schémas organiques (Source : J. Tribel et G. Loiseau) Le projet s’articule autour des principes de mixité des logements, de maillage en équipements et la recherche d’un équilibre habitat / emploi – c’est le rejet du zoning, de la ségrégation, etc. 3a) Longtemps la question tourne autour de la vocation de la ZUP par rapport au centre ville : Option A : la ZUP est le nouveau centre (plan Bernard) Option B : la ZUP est un quartier indifférencié Option C : la ZUP est le centre pour la zone Sud (250 000 habitants à terme) et pour l’accueil de grands équipements d’agglomération (option retenue). 3b) En 1968, J. Tribel et G. Loiseau proposent 3 plans masse pour le secteur Sud Ces schémas organiques proposent : Option 1 : un noyau central et trois unités Option 2 : un noyau central et une ossature unique Option 3 : un noyau central et une juxtaposition d’unités résidentielles C’est finalement la première option qui est retenue : trois quartiers rattachés par un centre commercial et un parc de 25ha placé au cœur. 21 Dès lors, le contenu du programme comme sa traduction formelle évolue sensiblement. Refusant le zoning et son corollaire, la ségrégation spatiale et résidentielle, le nouveau programme défini en 1967, vise à faire de la ZUP une extension urbaine équilibrée entre habitat, équipements et activités. Au printemps 1970, l’équipe Villeneuve (composée de techniciens, d’économistes, de sociologues, d’ingénieurs, d’architectes et d’urbanistes) établit un projet de plan de masse définissant une volumétrie générale et les sens des épannelages souhaités, et insistent sur le besoin de repères visuels, de points forts, de variations volumétriques du bâti, de jeu des vides et des pleins en évoquant l’idée de paysage urbain. La volonté des architectes en chef est clairement de créer non pas un objet architectural mais une structure urbanistique non figée et évolutive. 22 Figure 4. Plan masse de l’Arlequin et de la Villeneuve (Source : Grenoble, Echirolles, ville neuve, plaquette dressée par la SADI et l’AUA en 1978) Sur le plan architectural, le projet de la Villeneuve matérialise les volontés réformatrices du « mouvement moderne ». La Villeneuve rompt avec le schématisme des « tours dans la nature » de Le Corbusier et bien d’autres, et se présente comme une ré-interprétation du caractère organique de la ville traditionnelle. La structure linéaire unique cherche à rendre la continuité du bâti urbain, la galerie piétonne sous immeuble à reprendre le rôle de la rue et la séparation des espaces d’accès et du parc à transcrire la distinction classique entre les espaces de services et ceux de loisirs. Il s’agit de donner une impression de continuité du bâti, marque historique de la ville que les grands ensembles avaient rompue. 1.1.2 L’Arlequin, une création par tâtonnement La mégastructure de l’Arlequin est le fruit d’une création par tâtonnement. Cette « urbatecture », comme la définissaient G. Tribel et G. Loiseau, appartient à une parenthèse utopiste de la pensée urbaine et architecturale (les années 1950-1970). En effet, l’Arlequin, loin de n’être qu’un épiphénomène grenoblois, s’inscrit dans une mouvance internationale et synthétise, à bien des égards, les débats et propositions de nombreux praticiens et théoriciens de l’époque, plus en clin à renouveler la manière de fabriquer ville qu’à s’enfermer dans la seule échelle de la conception architecturale (Rouillard, 2004). L’on doit aux architectes et urbanistes anglais les premières expérimentations mégastructurelles (Portnoi, 2011). Des programmes comme le Barbican Center (Grand Londres/City), le Brunswick Center (Grand Londres/Camdem) ou encore le Cumbernauld New Town Center (Glasgow/Cumbernauld), certaines des opérations promues par les boroughs de Londres ou encore les projets de préfiguration du Rapport Buchanann, Traffic in towns, témoignent tous de cette conjonction singulière entre grandes opérations urbaines et projets visionnaires (Ibid.). Figures 5. Le Barbican Center (Source : Charles Ambrosino - Avril 2007) 22 Autour du groupe Team X, des architectes s’insurgent contre la ville fonctionnaliste dans son acceptation la plus doctrinale représentée par les CIAM (Congrès Internationaux pour l’Architecture Moderne) et la Charte d’Athènes. Refus de la hiérarchie fonctionnelle et du zonage, valorisation de la mixité des fonctions et recours à la métaphore organique plutôt que machiniste, tel est le credo des angry young men du Team X. C’est en effet un nouveau mode d’organisation de la société que ces jeunes praticiens cherchent à mettre en forme. La prégnance des sciences humaines sur la discipline architecturale est alors palpable et se manifeste de manière diversifiée. C’est tout particulièrement l’anthropologie et l’ethnologie qui impacte à la fois le discours et le rapport à l’espace. La pensée constructiviste transpire dans nombre d’écrits. En terme d’aménagement, les effets se font 23 ressentir dans la posture que développent certains d’entre eux autour d’un retour voire d’une réforme des pratiques de l’architecture et de l’urbanisme jugées arbitraire et méprisante à l’égard des réalités sociales en présence et latente. Figure 6. La Cluster city de A. et P. Smithson (Source : dessins de B. Du Verger et de L. Der Madirossian) Est alors prôné le retour à des valeurs humanistes « mettant en avant les notions de communautés, de voisinage, de mobilité, proposant de nouvelles structures pour le quartier, fondées sur un modèle systémique » (Devillard et Janniere, 1997, p.24). Il s’agit de concilier infrastructures et échelles de voisinage au moyen d’une forme urbaine nouvelle, la Cluster city. Développé par les époux Smithson (1967), le cluster (grappe, groupement), terme générique, explorent et désignent de nouvelles formes d’associations entre la maison individuelle, la rue, le village et la ville. Tout ce qui réunit est cluster. D’un élan conjoint, sont conceptualisées infrastructures et formes urbaines : les membres du Team X affirment que « l’architecture de la ville devrait répondre à la hiérarchie des mouvements » (Dehan et Julien, 1997, p.49). De fait, ils renouent avec la continuité d’un bâti qui, d’un seul tenant, « enjambe » le réseau viaire (voiture, bus), permet de circuler – à pied – à plusieurs niveaux surélevés et enclos, dans des ramifications ponctuelles aux formes géométriques, les espaces verts, étendus à la ville. Ainsi, les membres du Team X se livrent à une « réinterprétation de la communauté » et réintroduisent la notion de rue comme « lieu de rencontre, lieu d’échange et de commerce ». La forme géométrique qu’adopte la cluster city affirme le rôle relationnel du « bâtimentrue », composant fondamental de cette structure urbaine d’un genre nouveau. 24 Car c’est bien en terme de « rue » « dans l’idée et non dans la forme » que les Smithson pensent cette « ville relationnelle ». De lieu, la rue devient place, elle est «l’espace de sociabilité des gens qui ne peuvent rester chez eux » et qu’occupe les enfants « quand les logements sont trop petits » (Rouillard, 2004, p.27). Le problème c’est la forme, « Quelle forme pour le lieu public à inventer, à la fois rue et place, mais qui ne perpétuerait pas leurs contraintes formelles ?» (Ibid.). De place la rue finit par se confondre au bâtiment. La séparation du trafic automobile et des lieux habités étant actée, la nouveauté réside dans la volonté de qualifier un espace extérieur – « libre » aurait pensé les modernes de la première heure – à la fois intégré au bâtiment et support des activités de la communauté. Figures 7. La composition d’ensemble de l’arlequin et ses zones de voisinage 7a) Plan de composition urbaine (Source : Villeneuve de Grenoble Échirolles objectifs et réalisation 1961-1977 (1977). Rapport dressé par JF Parent en 1977 et la SADI, à destination du conseil municipal) Les Smithson, et plus généralement les membres du Team X, recherchent une typologie nouvelle « d’espaces de liaison », associés à « des modes de relation sociales », « une rue qui soit place, et qui réussisse encore à envelopper sans enfermer, la communauté et toute sa hiérarchie d’associations (de la rue aux quartiers, du village à la ville) » (Ibid). La géométrie originale qu’adopte l’Arlequin basée sur une trame à 120° articulant un réseau trois « zones de voisinage », trois « criques », n’est évidemment pas étrangère des projets portés par le Team X. Bien qu’ils aient pu s’en défendre, on peut percevoir dans les travaux des membres de l’AUA en charge du projet, l’influence du projet lauréat de Candilis, Josic et Woods (tous trois membres du Team X) pour le concours de la ZUP du Mirail à Toulouse en 1961. Seulement, le projet grenoblois radicalise quelques-unes des propositions du Mirail et, d’une certaine manière, apparaît plus abouti et mieux réalisé (Lucan, 2001). 25 7b) Les zones de voisinages (Source : Villeneuve de Grenoble Échirolles objectifs et réalisation 1961-1977 (1977). Rapport dressé par JF Parent en 1977 et la SADI, à destination du conseil municipal) Les criques ou « zones de voisinages » disposent d’une relative autonomie et ont un fonctionnement spécifique : - implantation au sol ; circuit : de la rue aux équipements, au silo, ... ; plus ou moins grande ouverture sur le parc Chaque zone a son « centre de voisinage » : - espace personnalité avec une unité de traitement ; bien équipé en mobilier urbain (cabines tel, kiosques, bans, panneaux d’affichage, WC, protection du vent, ...) ; espace libre, couvert, bien dégagé depuis l’extérieur ; position centrale au sein de chaque sous ensemble par rapport : aux distributions verticales, aux écoles, à l’accès au silo (liaison vers les mezzanines) Chaque centre s’articule autour d’un élément particulier : - Crique nord : une grande percée sur le parc ; Crique centrale : le centre commercial et le CES ; Crique sud : le marché et la place balcon. 1.1.3 Entre ville et architecture, le projet mégastructurel La structure urbaine du quartier est définie dans le cadre du plan masse général de Mars 1968 : - un linéaire de grande hauteur (R+6 à R+15) : élévation moyenne en R+10 mais très découpé aux extrémités Nord et Sud ; monolithique en partie centrale (R+15) - la rue intérieure : 1465 m linéaire, 15m large, 6m de haut - circuit mezzanine – passerelle : vocation fonctionnelle - aménagements techniques : silos (jusqu’à hauteur des premiers logements), galerie technique, télédistribution 26 S’appuyant sur la critique des projets et discours de l’époque, le praticien et historien de l’architecture R. Banham donnera plusieurs définitions de la mégastructure. Au travers de nombreux articles, publiés au cours des années 1970 – que son ouvrage Megastructure: Urban Futures of the Recent Past viendra synthétiser en 1976 –, l’auteur délivre un travail qui, aujourd’hui encore, demeurent la tentative de stabilisation théorique la plus aboutie à ce sujet. La première définition qu’il proposera exprime le projet mégastructurel en terme scalaire et programmatique : « Ce ne sont pas justes de très grands bâtiments. Leur intention première et déterminante est de résoudre des problèmes urbains de grande échelle (environ un quart de mile, au minimum) au moyen de l’architecture. Le propre des mégastructures est donc de combiner des multiples programmes dans une très grande densité » (Banham, 1971) Cette approche initiale, R. Banham, la complètera progressivement au moyen de définitions incorporant la dimension technologique de ces « grands complexes multifonctionnels » qui, au-delà de leur taille, se démarqueront par une volonté prégnante d’agencer socialement et spatialement des objets à la fois urbains et architecturaux capables de muter au gré des sursauts sociétaux : « Très grand complexe urbain multifonctionnel contenant de plus petites unités éphémères adaptables à des besoins changeants » (1975) Ainsi selon R. Banham (1976) une « mégastructure n’est pas seulement une structure de grande taille, mais aussi une structure qui est fréquemment construite avec des unités modulaires, capable d’une extension importante voire même « sans limite », un cadre structurel dans lequel de plus petites unités structurelles (par exemple des pièces, maisons ou même de petits bâtiments de toutes sortes) peuvent être construites – ou même « pluggées » ou « clippées » après avoir été préfabriquées ailleurs, un cadre structurel dont on escompte qu’il ait une durée de vie plus longue que celle des plus petites unités structurelles qu’il pourrait supporter ». Plus encore, comme le remarque A. Portnoi, ces « bâtiments-infrastructures » de grandes dimensions témoignent avant tout d’un rapport particulier « entretenu entre l’architecture et les infrastructures de la ville ». L’auteur de souligner qu’à cette époque, « l’infrastructure acquiert dans le discours des architectes de grandes opérations (tout comme dans celui des projets visionnaires), un rôle d’élément unificateur, tandis que la forme de la ville future est conçue selon un système de connexions. Les notions de flux, d’échanges ou de connexions se substituent à celle de la ville verticale comme image de la modernité. Les architectes de ces bâtiments, clairement associés à la maitrise des infrastructures de la ville, proposent, au moyen de l’architecture, une réponse aux problèmes de la coexistence du transport mécanisé et du piéton, grâce à un dispositif de gestion des flux en coupe. D’une manière générale, la logique de superpositions des sols vise à associer confort environnemental et concentration urbaine, en combinant la ville disparue du piéton et l’univers de la vitesse. Le dispositif de sol artificiel est justifié par une addition productive de relations, plutôt que par la simple discrimination des espaces, comme c’était le cas au début du XXème siècle. Pour les auteurs des bâtiments-infrastructures, ce dispositif vise à la fois l’urbanité et l’insularité, en permettant de densifier et de rassembler les programmes, de complexifier les relations entre les fonctions de la ville, tout en privilégiant un monde de loisirs plus ou moins isolé. [...] Aussi, ces bâtiments-infrastructures, véritables outils de rentabilisation et de densification de l’espace urbain, proposent-ils des espaces publics supplémentaires plus qu’ils ne se substituent aux infrastructures traditionnelles. » En somme, la mégastructure se veut une synthèse des éléments composant la ville traditionnelle. Pensée comme un tout, elle dispose d’une logique d’organisation spatiale et sociale ainsi que d’une distribution des circulations internes spécifiques. 27 Son objet vise à interpréter puis (re) créer la complexité de la ville dans un projet d’ensemble construit ex nihilo. Elle réinterprète les infrastructures (réseaux viaires et découpages parcellaires) et superstructures (le bâti) composant traditionnellement et successivement la ville au profit d’une « urbatecture » pour reprendre le terme de J. Tribel. Souvent pensée dès sa conception dans une perspective organique d’évolution (par renouvellement ou division cellulaire), elle oublie cependant les usages privatifs de la ville, les logiques de division et de remembrement parcellaire, les mutations capillaires des tissus urbains. La mégastructure peut évoluer mais elle nécessite pour cela un traitement d’ampleur de la forme que seule la puissance publique peut impulser. 1.2 La mégastructure de l’Arlequin, une organisation à la fois sociale et spatiale 1.2.1 La quête de la complexité Reformuler la complexité formelle de la ville, seule garante d’une vie sociale potentiellement riche, tel est le credo des concepteurs de l’Arlequin. Il suffit d’ailleurs de visionner le reportage réalisé par la télévision canadienne3 sur le quartier en 1974 pour s’en convaincre. Les premières minutes sont l’occasion de présenter Grenoble et son contexte territorial. Suivant une subtile alternance de plans fixes et de scènes évocatrices d’une dense animation, le documentaire 3 Documentaire réalisé en 1974 pour le programme « Société nouvelle » par l’Office National du Film du Canada. Série Urba-2.000, n°8 Grenoble, la Villeneuve. Réinventer la ville. 28 met en évidence le double processus de sédimentation urbaine et de polarisation des usages dans les espaces publics du centre historique. D’un mouvement égal, les vidéastes accompagnent le téléspectateur vers la Villeneuve, alors présentée comme l’interprétation contemporaine de la ville constituée ; fait marquant, le quartier nouveau s’affiche dans la continuité d’un centre ancien pourtant lointain géographiquement et morphologiquement. Tant sur le plan formel qu’architectural, sa silhouette identifiable, enrichie par un écrêtement et une polychromie, constitue en effet une ligne (pour ne pas dire muraille) de construction dense (6 à 15 niveaux sur RDC) bordant un parc que l’on devine plus qu’on ne l’aperçoit, offrant à chaque logement large prospect et bonne perception du site montagneux4. Ici, la linéarité semble répondre aux besoins de cette « urbatecture » que J. Tribel et G. Loiseau entendent mettre en œuvre en combinant gestion des flux et développement urbain, tout en mettant en opposition la structure lourde des logements avec celle, plus légère et modifiable, des équipements susceptible d’adopter des principes d’organisation et de développement proliférants (Lucan, 2001, p.174) : « Nous partions de l’hypothèse qu’une structure urbanistique très puissante devait digérer les variables architectoniques sans qu’il soit besoin d’imposer un cahier des charges proprement architectural. (…) 4 D’ailleurs, parmi les qualités architecturales susceptibles de distinguer l’Arlequin d’autres quartiers érigés à la même époque figurent incontestablement les cellules de logement. Leur conception fait preuve d’innovation et de générosité spatiale. De même, les balcons, larges, offrent une transition et un dégagement vers les vues lointaines, du parc à la montagne. Notre responsabilité portait uniquement sur la définition de l’urbatecture, l’ensemble du quartier devant être réalisé par les architectes des différents promoteurs » (cité dans Lucan, 2001, P.74) Cette volonté de reconstituer la complexité urbaine héritée de l’histoire, épouse une autre prise de position, tout aussi significative : la rupture avec le mouvement moderne. La nouveauté revendiquée des concepteurs se loge dans cette quête d’une réalisation antithétique des grands ensembles, reprenant un à un les défauts qui les accablent. L’on cherche alors à retrouver les vertus de la rue, d’un espace collectif (plutôt que public) où puissent se développer les rencontres, la convivialité. L’époque est en effet au retour à des formes de continuité organique. 1.2.2 La rue, fondement de l’ « architecture urbaine » L’objectif poursuivit par les aménageurs est de faire de l’architecture urbaine, c’est à dire proposer un cadre, un support de relations sociales et non une simple accumulation d’espaces aux seules propriétés et enveloppes fonctionnelles. A l’objet architectural, les concepteurs disent préférer les lieux publics, les liaisons, les relations entre objets. H. Ciriani, membre de l’AUA chargé de représenter l’espace de la rue, exprimera d’ailleurs les objectifs fixés de la manière suivante : Ainsi, le projet articule-t-il quelques lignes forces qui dicteront la réalisation du quartier : - la création d’un lieu public volontaire et dense (la rue de piétons sous immeuble) ; - la libération d’un vaste espace libre cohérent de 120 ha ; l’étroite équipement ; relation logement- - les réserves et les attentes pour l’avenir ; - les solutions techniques évoluées (télédistribution, ramassage éolien des ordures) Figures 8. La galerie piétonne et les espaces publics de l’Arlequin 8a) Quelques planches de l’Architecture d’Aujourd’hui (Source : Architecture d’Aujourd’hui, 1974, n°174, p. 26-27) « Prévoir le support, le cadre physique […] pour permettre l’animation d’une rue, lieu urbain linéaire, prévoir sans trop décider ; diriger ou informer sans trop contraindre ; imaginer sans trop concevoir » (cité dans Lucan, 2001, p.176) 29 30 8b) Les croquis d’H. Ciriani (Source : Grenoble, Echirolles, ville neuve, plaquette dressée par la SADI et l’AUA en 1978) Objet d’un numéro spécial de l’Architecture d’Aujourd’hui, l’Arlequin est analysé sous toutes ses coutures. C’est plus particulièrement les espaces publics qui sont décryptés. Par ailleurs, les illustrations d’H. Ciriani, particulièrement soignées et renseignées viennent rendre imaginable l’utopie que livre l’AUA. 31 La galerie et l’ensemble des espaces publics supportent le système et propose une échelle intermédiaire, celle du voisinage (entre la ville et logement). Ce système de distribution doit favoriser la vie sociale : 32 les équipements sont intégrés ; la convergence des flux est organisée pour créer des occasions de rencontre ; tout y est concentré : hall d’entrée, boite au lettre, parc, équipements, parking,... Mais la mégastructure rencontre assez tôt un certain nombre de dysfonctionnements. Des auteurs comme P. Belli-Riz (2006) soulignent que ceux-là apparaissent dès la construction du site et concernent directement les fondements de l’architecture urbaine promue : - La continuité de la galerie sous les immeubles qui montrent rapidement ses limites. Seules quelques enfilades demeurent dégagées, la plupart des autres séquences ne constituant qu’un labyrinthe de poteaux et de voiles en béton ponctué de coins et recoins. Par ailleurs, la fonction économique qui vient justifier le système linéaire est rapidement frappée d’obsolescence suite à l’implantation du centre commercial : Pierre Mignotte : « L’idée c’était cet espèce de cordon ombilical où il devait y avoir de part et d’autre des équipements qui devaient se greffer. [...] Cela ne s’est pas fait pour des tas de raisons. En particulier à cause de la contradiction flagrante qu’est Grand’Place. Du moment qu’on met Grand’Place, il n’y a aucune raison pour que les gens restent dans le quartier. Du coup, la longueur de la rue piétonne n’a plus de sens pour des commerces de quartier. Si on devait refaire ça aujourd’hui, il est probable que la plupart des immeubles – quitte à avoir quelques étages de moins – seraient construits jusqu’au sol. [...] Du coup, la Ville a greffé le centre social en disant, on occupe un peu l’espace et la rue piétonne est devenu un espèce de machin filiforme avec un trou de chaque côté. H .Ciriani, qui était un des grands architectes qui a travaillé sur la rue piétonne, est venu faire un jour une conférence à l’Ecole d’architecture et je lui ai posé la question : « qu’est-ce que tu penses de ta rue ? ». Il m’a répondu avec son accent péruvien : « une rue c’est deux façades et un trou et pas un toit et deux trous ». Lui-même reconnaissait 32 que la rue piétonne ne fonctionnait pas vraiment. Elle aurait pu fonctionner sur un petit morceau mais sur l’ensemble, ça n’a pas de sens. » (Séminaire du 10 février 2010) L’originalité du système géométrique qui, en s’écartant du mode de repérage cardinal traditionnel, accentue l’autonomie du quartier, son isolement, et la difficulté, même pour les gens familiers des lieux, de s’y retrouver. Cette difficulté d’accès aux logements depuis l’espace public sera d’ailleurs largement soulignée à l’occasion du séminaire réunissant concepteurs d’hier et d’aujourd’hui : Pierre Mignotte : « Je ne sais pas s’il y a en France un morceau de ville qui est d’une taille pareil et qui n’est pas traversé par des rues transversales, même pour des points de vue de sécurité, d’entretien et autre. Ça pose des problèmes particuliers le plan de la Villeneuve, il est fermé sur lui-même. Quand on est à pied c’est bien, mais demandez à un médecin qui n’est pas de la Villeneuve d’intervenir à l’appartement 8-5-06 de l’arlequin, et bien il n’est pas arrivé. » - Anne Lacaton : « c’est un problème de signalétique. » - Laure Favier : « Je ne suis pas sur que ce ne soit qu’un problème de signalétique. On a l’impression qu’à la Villeneuve elle vient comme une sorte de remplacement de quelque chose qui n’est pas abouti qui est la relation à la ville. Comme cette relation à la ville ne fonctionne pas, on sur signalise, parce que c’est la relation entre la galerie et la rue. » (séminaire du 10 février 2010). De même, le principe qui concourt à penser l’organisation spatiale et la distribution des flux sur le mode 33 de la coupe rend, certes, possible la concentration de la densité résidentielle au-dessus de la galerie en libérant le sol de manière significative, mais « c’est au prix d’une impression de densité élevée » (Belli-Riz, 2006, p. 214) quand bien même, la densité objective de l’Arlequin demeure modérée (environ 100 logements à l’hectare, parc compris). Aussi, atteint-on ici « les limites des procédés de la composition dite ouverte, le gigantisme et la concentration des constructions provoquent une perception subjective de la densité qui est sans rapport avec sa mesure réelle. Le paradoxe de l’espace libre est que, de 34 partout, on verra forcément l’immense muraille bâtie: l’omniprésence visuelle du béton semble contredire tous les efforts de libération du sol. » (Ibid.). Figures 9. L’Arlequin en coupe 9a) Les différentes configurations de rapport entre sol, rue, logements et coursives (Source : Villeneuve de Grenoble Échirolles objectifs et réalisation 1961-1977 (1977). Rapport dressé par JF Parent en 1977 et la SADI, à destination du conseil municipal) 9b) De la maternelle au parc (Source : Grenoble, Echirolles, ville neuve, plaquette dressée par la SADI et l’AUA en 1978) Interviewé en 2006 sur le quartier de l’Arlequin, M. Corajoud exprime l’échec de ce mode de distribution des espaces et plus particulièrement celui de la galerie, incapable de reformuler la rue comme support de l’altérité : contentieux inextricables : la limite entre le privé et le public est rarement claire, et les espaces qui relèvent de l’entre-deux sont nombreux (coursives, halls d’entrée, accès aux ascenseurs, halls des boîtes aux lettres, etc.) » « La rue intérieure de Grenoble, c’était dans l’imaginaire, et l’on a bien vu son échec dans la réalité. Nous avons fait une rue, certes, mais là où nous nous sommes trompés, c’est que nous avons voulu la mettre en dessous des immeubles. Et lorsque l’on s’y promène, la nuit, on y est tout seul, alors que l’on a cinq ou six mille logements au-dessus de la tête et que personne ne peut nous voir. Le fait d’avoir réinventé la rue pour la placer autrement était une erreur. De part et d’autre de la rue ancienne, il y a mille fenêtres où, parfois, des gens vous regardent et peuvent porter secours en cas de danger ; à Grenoble, la superposition rend cette civilité impossible » (Corajoud, 2006, p.253) Et l’auteur de conclure : « Les tentatives pour créer des parties communes à des groupes d’habitants de taille plus réduite restent peu concluantes: l’organisation spatiale est effectivement trop originale pour se plier aux recettes de la «résidentialisation» » (Belli-Riz, 2006, p. 221) 1.2.3 La confusion du statut des espaces Par ailleurs, la confusion des statuts des espaces, loin d’assurer les transitions nécessaires au bon fonctionnement de la ville, vient, sous couvert de complexité, figer une forme sur laquelle il paraît parfois difficile d’envisager des transformations ponctuelles qui s’opérerait progressivement, au gré d’initiatives sporadiques, dans le cadre du réseau viaire, de la trame parcellaire existante et des terrains peu valorisés disponibles : « Privés, privatifs, collectifs, semi-publics, ou vraiment publics ? L’intégration a ici produit une interdépendance qui empêche toute initiative, tout changement. La complexité n’est plus une richesse, mais une source de malentendus sans fin, de renvois de responsabilité, de Point de « banalisation » possible – pourrait-on dire – pour cet ensemble dont le découpage foncier interdit à bien des égards une mutation capillaire qui viendrait se loger dans les interstices libérés au cours du temps. D’une certaine manière, l’évolution de l’Arlequin semble faire appel à une mécanique relativement similaire à celle qui l’a vue naître : une intervention publique volontaire se traduisant par des changements d’affectation, un nouveau tracé des voies et un redécoupage foncier. 1.3 L’Arlequin depuis ses franges 1.3.1 Côté vert : un monument posé sur le territoire L’Arlequin est un objet posé sur le territoire. Engoncé par la ville, la mégastructure paraît repliée sur ellemême. C’est un monument qui vient ponctuer la périphérie grenobloise bien plus qu’elle ne l’organise. A l’instar de J.-L. Cohen, nous constatons que « la monumentalité latente dans la séquence des mégastructures » résulte d’ « un compromis instable entre recherche de complexité tissulaire et recherche d’autonomie par rapport au paysage ». 35 A cet égard, les réflexions de M. Corajoud sont éclairantes. Dans l’un de ses textes, ce dernier rend compte avec clarté du processus par lequel, il parvint à faire du parc le prolongement, l’ « avant-corps » du projet architectural. En définitive, la principale caractéristique de la Villeneuve est précisément d’être nouvelle. En s’imposant d’un seul tenant à son territoire d’élection, elle aura laisser de côté les traces qui lui préexistaient, comme autant de témoignages d’un « avant » incompatible avec la singularité du monument : « Entre 1970 et 1971, moment où je dessinais le parc de la Villeneuve de Grenoble, j’étais fasciné par les paysages ruraux, par les campagnes anciennes où l’arpentage et le travail des champs restent soumis aux contingences d’un pays. […] Je voulais […] que le projet du parc transfère, d’une manière ou d’une autre, sur cet espace laissé libre de toutes constructions, certains signes et figures capables de témoigner de l’attachement que j’ai, bien que citadin de longue date, pour mon histoire paysanne. Je voulais aussi rompre avec les modèles de mes aînés paysagistes qui n’aimaient pas l’urbain ou du moins qui ne savaient rien de l’architecture et qui cependant acceptaient que leurs projets, inspirés de l’idée de «Nature», occupent l’espace de la ville par les formes contournées et molles de son démenti. 36 façonne la campagne. La géométrie n’est pas, sur le parc, le tracé qui coordonne le rustique et l’accidentel, c’était, du moins je le pensais, la structure même du site d’origine, son substrat. L’espace, en effet, était déjà plein des lignes qui vont et viennent de l’ombre épaisse des bâtiments, il était lourd des traits de la ville. Je devais donc laisser s’exprimer l’architecture bien au-delà des pans qui la ferment. […] Mais, à l’endroit du parc où s’épuise l’influence des bâtiments, au-delà des ombres portées, le sol allégé se gonfle et se soulève; Il déforme par des bombements chaque trait de la résille d’origine. C’est donc la géographie qui est ici importée, une géographie tendue par le champ urbain. […] En travaillant ainsi l’espace du parc je ne voulais pas qu’il entre en dissidence avec la ville mais qu’au contraire, il en soit son avant-corps. Les «Espaces-Verts», qu’ils imaginaient comme une des formes de la rédemption de la ville moderne, ont de fait toujours contribué à la violence du paysage des banlieues. […] Pour montrer ce qui m’intéresse aujourd’hui, je dois nécessairement faire la critique de ce parc. […] Je considère […] que la manière dont je l’ai transposée [la campagne] sur le site de Grenoble, relève de la création ex-nihilo, c’est-à-dire d’un système de projet qui considère le sol où il s’installe comme une page blanche. À cette époque, l’idée de nouveauté l’emportait sur tout autre critère, ce qui explique pourquoi on a nommé ce quartier «la Villeneuve». Or, ce terrain avait une histoire dont il portait les indices visibles (les anciennes pistes d’un aéroport, les limites de parcelles de jardins ouvriers etc...) et je dois reconnaître que mon projet a largement contribué à l’effacement de ce réseau de signe. C’est donc le rapport d’une géographie et d’une géométrie qui préside à la conception de ce parc, mais ce rapport est ici dans un ordre inverse de celui qui Je sais donc aujourd’hui, que j’ai trahi la notion que je prétendais défendre, celle de l’antériorité du site, de la contingence et de la circonstance. Certes le parc de la Villeneuve parle du rapport de la ville et de la campagne, mais il en parle en termes généraux, c’est un projet emblématique. Or, j’ai appris depuis que le paysage résiste aux généralités. […] Mes projets d’aujourd’hui sont toujours tendus par les mêmes aspirations mais ils sont plus attentifs aux lieux où ils s’installent. Je cherche un prolongement plus qu’une transformation. Pour maîtriser l’espace il n’est pas nécessaire de rompre avec le temps » (Corajoud, 1980). protection dont bénéficie le côté parc, le côté vert, c’est évidemment le côté opposé: le côté parking, le côté noir. La face ouest de l’Arlequin rassemble ainsi tous les espaces dits de service: accès automobiles, parkings au sol et en silos aériens. Tout cet espace concentre les nécessités techniques ». L’auteur de rajouter, « la mégastructure semble avoir été pensée à partir du sommet, de sa silhouette supérieure, pour habiter surtout sur la ligne de crête: décidément, la malédiction du rapport au sol semble caractéristique des architectes modernistes du XXème siècle... » (Belli-Riz, 2006, p. 213) 1.3.2 Côté noir : une muraille entourée de son glacis Le mode distribution verticale adopté dans le projet de l’Arlequin viendra à terme cliver la mégastructure qui, rattrapée par l’urbanisation de sa frange occidentale, offre désormais deux visages : - un côté parc plaisant et arboré, véritable temple du loisir et sanctuaire végétal sur lequel viendront s’échouer les velléités de transformations de la Villeneuve ; auquel s’oppose - un côté parking, bordé de voiries et de silos à voitures, initialement nécessaires pour libérer le sol des parkings et justifiés par cette « préoccupation de souligner fortement la fonction utilitaire du paysage » (Joly et Parent, 1988, p. 35). Paradoxalement, le flan ouest de l’Arlequin, espace dans le pourtour et au sein duquel auront été rejetés les dispositifs techniques nuisibles à la quiétude du côté parc, assure également l’accès depuis l’extérieur de la mégastructure s’offrant comme l’abrupte façade d’un grand ensemble isolé au regard du reste de la ville. Constat qu’il nous faut désormais interroger au prisme de l’histoire et de la mémoire, objet de la section suivante. Il est vrai qu’à l’origine les silos assuraient une double fonction de repérage et de signalisation de la rue piétonnière, et constituaient des volumes de transition entre le sol et la paroi verticale des logements, accueillants dans certains cas des équipements comme des écoles maternelles (aujourd’hui fermées). A y regarder de plus près, la réalité est tout autre. Comme l’indique P. Belli-Riz, « en plan, la contrepartie du calme et de la 37 2. L’Arlequin est-il parvenu à « réinventer la ville »5 ? Le séminaire ainsi que les parcours organisés le 10 février 2010 auront été l’occasion de croiser nombre d’observations in situ avec des réflexions à la fois introspectives et prospectives riches d’enseignements sur le devenir de l’Arlequin. Trois constats se dressent quant au bilan de la figure de la mégastructure : - son échec à proliférer en raison d’une maille qui l’engonce, - sa transformation progressive en un « grand ensemble » - et l’émergence de pistes de projet pour l’Arlequin en partant de la marge. Figure 10. Moments des parcours et du séminaire du 10 février 2010 (Source : Jean-Michel Roux - Février 2010) 5 Nous empruntons délibérément l’expression au documentaire canadien cité plus en amont. 38 2.1. La non-prolifération de l’Arlequin 2.1.1. Un « déjà là » qui encadre la croissance Comme nous avons pu le voir précédemment, lorsqu’est décidé la mise en œuvre du programme de la ZUP, le site à construire est déjà occupé (aérodrome, fermes, casernes). S’il s’efface pour faire « table rase » (« c’était un terrain d’aviation, les architectes travaillaient comme sur du velours, c’était vierge » dira Franz Charmettant, séminaire du 10 février 2010), plans et projets d’urbanisme alentours – pas encore réalisés ou votés comme le Plan Bernard, la construction d’une centre commercial (le future Grand’Place) et les opérations de La Bruyère ou des Résidences 2000 – orientent dès le début la croissance urbaine et constituent des bornes et des axes de croissance significatifs. La mégastructure de l’Arlequin n’organise pas le territoire mais y prend place, plus modestement. La faute à un simple tracé de composition urbaine ? Si le plan Bernard est abandonné définitivement en 1966, il est pourtant déterminant dans le tracé des grandes mailles du territoire sud-grenoblois qu’il faut bien se résoudre à faire dans l’urgence des Jeux Olympiques. Cette maille de grandes voies autoroutières structure le grand territoire et offre aux projets d’urbanisme ultérieurs une assiette de projet dont il est impossible de s’affranchir et qu’il reste difficile à franchir. « On était partie quand même des données de la ville : la marche vers le Sud, le franchissement de la voie 24 [n.b. l’actuel cours de l’Europe]. On avait fait des schémas de positionnement des logements qui étaient demandés au programme, des places que ça occupait, de la place de la voiture – très important – des voies qui existaient, de celles qui éventuellement, il fallait créer. Donc on a fait des schémas comme ça. Le problème c’était le raccordement au centre-ville qui était marqué par la rue La Bruyère. L’objectif était évidemment de relier par transport public et par des circulations voiture faciles vers le centreville. L’avenue La Bruyère était considérée comme « existant qui était pérenne ». De l’autre côté, c’était beaucoup moins clair parce qu’il n’y avait pas ce tracé de la rue qui s’appelle Dodero maintenant. Voilà, c’était le cadre dans lequel on devait travailler ». Jean Tribel (séminaire du 10 février 2010) - Anne Lacaton : « Tout le plan Grenoble Sud est fait avec des grands boulevards. Il y a juste un décalage avec la Villeneuve entre M. Reynoard et M. Berthelot alors : est-ce une volonté d’avoir fait en sorte que la Villeneuve soit au bout de Berthelot et décalée de Reynoard ou estce un accident ? » - Gilles Novarina : « Le plan Bernard prévoyait des avenues parallèles mais ça a été effacé pour faire la Villeneuve » (séminaire du 10 février 2010) Point besoin d’un «traité de nonprolifération», un simple tracé d’ingénieur issu d’un plan jamais voté a ainsi raison des ambitions proliférantes de la mégastructure. Par ailleurs, l’Arlequin se heurte à des fragments voisins eux aussi régis par des principes d’organisation distincts, comme par exemple le Village Olympique de M. Novarina qui interdit toute expansion à l’ouest, au delà de l’avenue M. Reynoard, legs tardif du plan Bernard. Au nord, la résidence privée La Bruyère, qui se caractérise par des barres d’immeubles et le groupement d’habitats intermédiaires, les Résidences 2000, fixe également les limites septentrionales du quartier. Il y a proximité spatiale mais pas sociale tel que le souligne malicieusement un ancien concepteur de l’Arlequin, « j’habite [encore] le quartier mais je vais vous faire des confidences. J’habite le Neuilly de la Villeneuve : les résidences 2000 » (séminaire du 10 février 2010). « On avait aussi décidé d’une zone de transition avec La Bruyère qui était déjà commencé. Il y avait une opération qui avait été déjà réalisée par Maurice Blanc [n.b. un promoteur immobilier] et une partie de logements dit « intermédiaire » avec un prototype de maisons individuelles superposées. C’était une grande mode : on en avait fait aussi dans la région parisienne ». Jean Tribel (séminaire du 10 février 2010) De fait, au nord, la transition se fait par une passerelle piétonne qui vient enjamber la rue ; héritage de la ségrégation des mobilités mécaniques et biologiques, aujourd’hui remise en question par la reconquête du « sol » de la ville. Mais c’est tout particulièrement le centre commercial au sud constituant à la fois une forme architecturale et urbaine résistante et un projet économique et social efficace qui représente une rupture entre l’Arlequin et les quartiers d’Échirolles. 39 « Il est vrai qu’il y avait un élément de rupture important en plus de cette voie [la voie 24] c’était la création d’un centre commercial. La position du centre commercial était déjà fixée. Ça se jouait aussi avec Échirolles car les deux équipes d’architectes travaillaient ensemble [...]. On avait essayer de faire, dans les propositions initiales, traverser la voie 24. Cette hypothèse a été testée mais considérée comme trop onéreuse au niveau de la réalisation et avec des fortes réticences des commerçants. Cela a été une discussion importante. On a eu des projets avec une nappe de commerces qui franchissaient la voie pour relier les deux parties de l’opération qui aurait été, non pas jusqu’à des plans d’exécutions, mais des plans assez poussés. On a dû renoncer et la municipalité a choisi l’hypothèse où on faisait un programme qui se découpait en deux grands morceaux principaux : la partie Est et la partie Ouest avec un grand espace public, que souhaitait le maire, entre les deux. [...] 1980, l’occasion de profiter d’une telle infrastructure pour assurer la suture qui fait défaut est tout simplement écartée faute de réflexion à l’échelle urbaine. Une fois de plus, un tracé d’ingénieur contribue au containment de la Villeneuve. Ce qui n’est pas sans poser question : un modèle urbain visant à l’expansion peut-il être introverti ? Une citadelle inexpugnable ne crée pas de la ville (cf. les châteaux cathares). Cela résiste longtemps, très longtemps, puis cela tombe. C’est plus une colonie, un établissement humain ex-situ et qui entretient un dialogue asymétrique avec ce qui l’entoure. Une colonie ne prolifère pas, elle ne s’étend que par la création d’une autre colonie, plus loin, sur le même modèle. C’est un type de croissance discontinue si nous reprenons le vocabulaire des morphologues. Les grandes données c’était ça. Le partage du territoire c’était l’espace central - sur la demande du maire - et deux quartiers parallèles nord/sud qui se rencontraient au franchissement de la grande voie, sachant qu’effectivement, il n’était pas économiquement possible d’avoir un franchissement plus large. C’est là-dessus qu’on est partie. ». Jean Tribel (séminaire du 10 février 2010) « Les promoteurs privés n’avaient pas accepté d’être mitoyens avec les opérations sociales de logement. C’était absolument clair. Les maîtres d’ouvrage de logements en copropriétés étaient convaincus qu’ils ne trouveraient pas leur clientèle s’il y avait des proximités avec des logements sociaux. Cela a été un point de départ radical qui a entraîné après des conséquences très importantes ; et le maire a dû trouver des promoteurs sociaux pour faire ces 800900 logements ». Jean Tribel (séminaire du 10 février 2010) 2.1.2. L’Arlequin porte en elle les ferments de sa non prolifération Dans son pourtour, l’Arlequin peine à franchir son propre glacis (silos, nappe de parkings, voirie). En effet, la mégastructure porte en elle les ferments de sa non-prolifération. Même lorsqu’arrive la première ligne de tramway au milieu des années 40 Très tôt, le modèle se fissure. Il n’entraîne pas l’adhésion des promoteurs locaux qui refusent prudemment le projet qu’on leur propose. L’Arlequin est donc une opération portée par les secteurs public et para-public. Conséquences immédiates : l’objet gagne en hauteur et en densité pour équilibrer son budget. « Les privés ont refusé de venir, donc ils ont regroupé les immeubles qui étaient prévus au niveau des résidences 2000 pour les mettre dessus, ce qui fait qu’on a quinze étages au lieu de neuf à l’origine » Claude Fourmy (Parcours commenté Crique Centrale, 10 février 2010) Le manque d’argent oblige également à réduire le nombre d’ascenseurs : « Il y avait plus d’ascenseurs prévus mais ça ne s’est pas fait pour des raisons de prix. C’est M. Chalandon qui avait fixé un prix plafond pour faire les HLM. Et les prix plafond de la Villeneuve sont 5% plus bas que ceux du Village Olympique qui était fait 4-5ans avant. Pour faire des économies ils ont été amenée à supprimer certaines prestations, et en particulier les ascenseurs ». Pierre Mignotte (Parcours commenté Crique Nord, 10 février 2010) Ce qui prolifère, un temps tout du moins, et avec une certaine efficacité, c’est le système de déplacement piéton déconnecté du sol et indifférents au statut foncier. Il est possible de franchir toute la périphérie sud de la ville de Grand’Place au Cargo (maison de la culture) à pied et au-dessus du sol jusqu’aux années 2000. L’Arlequin ne peut pas « proliférer » librement au-delà de sa maille d’origine si ce n’est via des passerelles piétonnes qui sont pensées comme une possibilité de proliférer mais seront en vérité que des éléments de connexions aériennes entre des opérations d’habitats ou d’équipements de natures complètement différentes. 2.2. La mégastructure de l’Arlequin, un grand ensemble pas comme les autres ? Au cours des trente dernières années, la réglementation, les modes de vie ainsi 40 que l’action politique de la Ville et des bailleurs ont peu à peu déconstruit la structure globale de la mégastructure, rendant caduque le projet social et spatial d’origine. La mégastructure fut ainsi conçue que chacun de ses éléments paraissait indispensable au bon fonctionnement du tout. L’Arlequin apparaît dès sa genèse comme un programme novateur sur le plan social, plus encore que dans sa dimension urbaine. L’innovation venait en grande partie des ambitions socioéducatives que l’évolution des normes viendra tarir. - Pierre Mignotte : « Je vais essayer de faire la liste des domaines dans lesquels il y a eu expérimentation. Il y avait la volonté urbanistique, la volonté juridique, l’aspect éducatif et social avec les écoles expérimentales. Il y avait aussi l’architecturale car il y avait des dérogations sur la cellule et même sur la hauteur sous plafond éventuellement. L’aspect médical : il s’est créé une maison médicale à la Villeneuve, c’était une des premières de France. La collecte éolienne, le transport par télérail... le centre Grand place était municipal ! » - Charles Fourrey : « C’est vrai qu’il y a eu la volonté politique et la volonté d’une équipe qui était là pour pousser et ça avançait, ça allait vite, peut-être trop vite. » - Pierre Mignotte : « Toutes sortes de critiques apparaissaient. Il y avait des critiques sur le parc… » - Jean Tribel : « Il n’était pas bon de faire des critiques ! » - Pierre Mignotte « Non il ne fallait pas en faire, ce n’était pas possible car c’était très mal vu et la vitesse à laquelle travaillait l’équipe, elle pouvait entendre une critique, éventuellement la prendre en compte une fois sur cent et surtout continuer à bosser ». Séminaire du 10 février 2010 41 Force est de constater que nombres d’expérimentations originelles ont progressivement disparu. C’est le cas, par exemple, des écoles, construites sur les toits des silos avant de redescendre au sol, reléguant ces derniers à leur seule fonction de stockage des véhicules là où ils assuraient un rôle structurant d’interface sociale et dans la signalétique de la mégastructure. Il en va de même pour les salons d’étage. L’évolution des modes de vie impacteront bientôt l’architecture, rendant inopérant ces m2 sociaux qui ponctuaient les coursives : - Charles Fourrey : « Je me rappelle, [...] on a vu effectivement les salons d’étages se rétrécir avec le reste ». - Franz Charmettant : « Pour des problèmes de sécurité. Je crois qu’ils en ont fermé parce que des gens s’installaient. » - Pierre Mignotte : « Il y avait ce qu’on appelle les m² sociaux. Quand on construisait des logements HLM à l’époque, il y avait un pourcentage de m² à usage social. Les m² sociaux sont restés. Au début, les gens s’en servaient comme des locaux puis, progressivement, ils ont servi à des squattes. C’était un peu une utopie administrative. » (séminaire du 10 février 2010) Enfin, le peuplement de l’Arlequin va évoluer avec le départ des « pionniers » remplacés par des populations ne partageant pas ce désir d’expérimenter su prégnant. Le quartier se mue progressivement en un quartier d’habitat social de plus en plus stigmatisé : « N’oubliez pas que les véritables logements sociaux de Grenoble sont ici : A l’Arlequin, à Mistral. Ils étaient à Teisseire mais maintenant que les loyers ont été augmentés, ils le sont un peu 42 moins. Aujourd’hui quand on construit des HLM, le maximum du prix des loyers c’est du social mais pas encore du très social. Ce sont les anciens « grands ensembles » qu’on ne fait plus qui sont les logements sociaux de Grenoble. [...] J’ai vécu pendant deux ans à l’Arlequin : j’avais une poignée de porte qui n’était jamais fermé, nuit et jour, même quand on était pas là. On a jamais été visité et progressivement ça a basculé. [...] Progressivement l’utopie s’est éloignée. A un moment donné, j’ai enlevé la poignée qu’il y avait sur ma porte et j’ai fermé à clé. » Parcours commenté Crique Nord, 10 février 2010 D’ailleurs, l’évolution des stratégies politiques de la municipalité et des bailleurs ne fera que renforcer ce phénomène : « Au début c’était très bobo avant l’heure. Pour les jeunes, les intellectuels, les professeurs c’était attractif. De 1972 à 1980 c’était un quartier formidable et puis petit à petit tous les gens qui habitaient sur les terrasses ont migré sur les résidences 2000 et sont partis ailleurs. On a souvent casé ici beaucoup de familles à problèmes et puis le problème des grands ensembles c’est qu’ils sont très bien les premières années et au bout d’une dizaine d’années... C’est pas un problème de statistiques, avec l’âge, les cités deviennent problématiques. » Parcours commenté Crique Centrale, 10 février 2010 En dehors du programme social, c’est un « grand ensemble » assez classique avec à la marge la voiture immobile, les services dont on ne veut pas comme les parkings, les ateliers, les usines, et des enclaves résidentielles de standing qui cherchent à se singulariser et se mettre à l’écart. L’implantation du tramway dans les années 1980 apparaît pour nombres de participants au séminaire comme une occasion manquée de repenser l’Arlequin. Le tramway et son infrastructure ont été « déposés » à la marge du quartier sans penser le lien urbain potentiel. Pour certains, comme J. Tribel, on a alors raté l’occasion de renouveler le quartier en faisant passer le tram à travers le parc. Simplicité de la logique du tracé technique et/ou résultante de l’opposition farouche des défenseurs du parc, on joue alors la carte du « grand ensemble » introverti alors que le tracé fait exactement l’inverse dans le centreville. A l’échelle du bâti, l’Arlequin ne réinvente rien en terme d’urbanité. L’échec de la galerie à devenir un axe urbain structurant, une sorte de rambla ou d’avenue couverte mais une voie de desserte semi-privée de logements et d’équipements. Ne reste que le vocabulaire de la rue mais pas les usages. La multiplication des équipements et commerces en pied de galerie a progressivement renforcée les problèmes de connections ouest-est, entre autres parce que ces équipements ne sont traversables que pendant la journée. A la dynamique de développement NordSud se substitue une problématique de déplacement ouest-est. Au demeurant, selon F. Huillard, l’Arlequin n’est pas un grand ensemble comme les autres car il démontre une forme de résistance au mouvement actuel de cloisonnement des grands ensembles en mettant en avant l’idée que tout s’articule : « Il faut déconstruire un certain nombre d’idées reçues pour commencer à construire l’évolution de l’Arlequin. On est pas vraiment sur un grand ensemble, il est de deuxième génération… C’est aussi ça la difficulté dans les amalgames qu’on peut faire entre une production massive de grands ensembles et de cités et cette opération-là qui est tout à fait unique. C’est intéressant parce qu’il démontre une certaine forme de résistance par rapport à un mouvement qu’on sent de plus en plus prégnant qui est plutôt celui du cloisonnement. L’Arlequin met en avant cette idée que les choses s’articulent toutes les unes avec les autres c’est-à-dire construisent des interactions en permanence et ça, visiblement, la société n’apprécie pas beaucoup, elle préfère sectoriser et re-cloisonner. Il faut que le politique comprenne... ce qui n’est pas encore tout à fait évident ». Frank Huillard, Parcours commenté Crique Centrale, 10 février 2010 Le paradoxe est au final que nous sommes face à un objet architectural de grande échelle mais qui produit un objet urbain qui fonctionne à petite échelle. 10 000 habitants y vivent, soit autant que dans une petite préfecture, mais c’est une vie de quartier grenoblois. Le parc de M. Corajoud n’est pas un équipement d’agglomération mais un immense « square de quartier ». 43 3. Les projets en cours se saisissent-ils de cette figure ? La Villeneuve se voulait un nouveau centre, le deuxième de Grenoble mais demeure un quartier d’habitat dont le mode de fonctionnement n’interfère que très peu avec l’échelle métropolitaine. A défaut d’agir comme un centre, elle constitue une véritable centralité. A ce titre, la marge de l’Arlequin, longtemps réceptacle de tout ce qu’on ne souhaitait pas avoir en son sein (la voirie de l’automobile et du tram, les parkings et silos à voitures, les activités économiques, etc.) peut redevenir un enjeu de projets afin de retisser les liens entre l’Arlequin et les quartiers riverains. A l’issue d’un marché de définition établi en 2008, c’est le groupement INterland, (composé principalement des équipes INterland, Lacaton-Vassal et BazarUrbain) qui, au côtés de l’atelier de Y. Lion, architecte conseil mandaté par la Ville pour les études du secteur Sud, obtient le projet de réhabilitation des logements de l’Arlequin. Courant 2010, suite à des conflits entre la ville et les mandataires de l’étude, l’atelier Lion reprendra le projet. Dans le cadre de ce rapport, seul les travaux d’INterland seront pris en considération. 3.1. La question de la fin de l’Arlequin Le point de départ du projet du groupement est le constat que la stigmatisation généralisée des « grands ensembles » produit une réponse générique catastrophique : démolir pour reconstruire. La réponse du groupement, est alors tout aussi générique : ne rien démolir, ou tout du moins, faire le moins possible violence à l’existant : « Pour nous c’est lié à un travail que l’on fait depuis 5, 6 ans relatif aux grands ensembles et 44 aux banlieues et à une alternative à la démolition puisque aujourd’hui, il y a clairement l’idée que c’est un échec dans beaucoup de cas. [...] C’est pour ça qu’il faut être vigilent sur la moindre petite chose que l’on démolit : avoir cassé des passerelles, ce n’est pas bon. Il y a des situations sociales difficiles et je crois que tout ce qui est de l’ordre d’une certaine violence ne fait foncièrement pas améliorer les choses. Il faut réinventer à partir de l’existant. C’est ça qui nous semble intéressant. Tout est fragile. En 20 ans, on a jamais coupé un arbre dans nos projets et, de la même façon, on n’a pas envie de casser la moindre passerelle, d’abîmer le moindre rosier, de bousculer, de déranger la moindre famille. Cela interroge de manière générale l’urbanisme parce qu’il est différent : on n’est plus dans un urbanisme de terrain vierge ou de tabula rasa. Dubaï c’est dépassé. Aujourd’hui on est dans de l’existant à fignoler. C’est pour ça que les maquettes nous servent à constater des choses mais l’essentiel c’est d’être sur place, dans la réalité des espaces et d’être extrêmement précis. Être attentif aux gens, aux discours, aux débats, à leur opinions et être d’une extrême gentillesse. » Jean-Philippe Vassal (Parcours commenté Crique Centrale, 10 février 2010) Si le groupement ne mentionne pas la mégastructure en tant que telle, il postule qu’il faut considérer l’Arlequin comme un tout, un « ensemble global ». Le groupement propose de finir l’Arlequin, de le compléter, le densifier plutôt que de continuer à le démonter morceau par morceau. Il y a une dénonciation très claire de la politique engagée depuis des années qui consiste à altérer le projet initial et lui faire perdre sens, perdre face : « Il y a des choses exceptionnelles dans ce quartier. On s’aperçoit que, depuis une dizaine d’années, par petits bouts, il y a des problèmes qu’on ne sait pas résoudre et qui amènent de très légères modifications, qui abîment considérablement le travail qui est fait ici. Petit à petit on s’aperçoit que les soi-disant réhabilitations amènent les ensembles immobiliers à des stades où il n’est plus possible de faire quoi que ce soit. Nous avons une ambition incroyable, c’est-à-dire que vous étiez dans une utopie et elle s’est réalisée. Je pense qu’aujourd’hui, l’utopie elle est de faire de ce quartier le plus beau de Grenoble et c’est absolument possible. Il y a des conditions d’habitations fantastiques et je crois qu’il faut tous ensemble se serrer les coudes pour arriver à cela, ce serait vraiment exceptionnel. [...] Commencer à sectionner l’Arlequin, ce peut-être considéré comme une tentative de déconstruction. Il ne gardera du sens que s’il conserve son intégrité. » JeanPhilippe Vassal (séminaire du 10 février 2010) Le projet est donc de finir le quartier en rajoutant les couches qui lui manquent. « La valorisation de l’Arlequin ne passe non pas par du vide mais par du plein. C’est-à-dire ajouter et considérer que l’Arlequin a encore énormément de potentiels et donc que la transformation de son image passera aussi dans cette forme de légitimité qu’on donne à l’Arlequin de recevoir demain d’autres programmes. Plus de densité et donc, d’une certaine manière, une polarité encore plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui. Sur le plan politique c’est effectivement une affirmation qu’on attend ou du moins sur laquelle il faut prendre position ». Jean-Philippe Vassal (séminaire du 10 février 2010) 3.2. La question de la démolition C’est une dénonciation de la logique de l’ANRU qui favorise la démolition. - Jean-Philippe Vassal : « Ce qui est curieux c’est que, quand on parle « développement durable », on rase des tours, on rase des barres et puis on fait des immeubles soi-disant écologiques. Le développement durable c’est déjà faire durer ce qui existe déjà et le faire bien durer, bien avancer. On peut d’ailleurs vendre au maire quelque chose qui soit complètement exceptionnel dans ce sens-là : de la continuité vis-à-vis de l’existant. Ça nous a paru relativement facile de faire en sorte qu’en terme d’économie d’énergie ces logements de l’Arlequin soient tout à fait performants et pertinents, sans aller sur la surisolation mais, au contraire, en allant vers les principes d’apport solaire. [...] Je n’arrive pas à comprendre cette sorte de leurre que représente l’ANRU qui finance essentiellement des démolitions dans une situation où on manque de logements. A chaque fois qu’on démolit un logement il faut en reconstruire un, ce qui laisse à la commune ou aux bailleurs le soin de reconstruire. Il appâte avec l’argent de la démolition. Toutes les municipalités tombent dans ce piège. Ce qui est incroyable c’est que les bilans sont terribles : il y a 30 milliards d’euros qui sont engagés pour la rénovation urbaine et là-dedans, il y a 4 milliards pour la démolition et 15 pour en reconstruire moins qu’on en a démoli. Par ailleurs, l’argent qui est mis dans la transformation est tellement infime que cela perpétue ce qui c’est fait dans les années 80 c’est-à-dire des réhabilitations légères. [...] Quand on est arrivé, l’idée c’était de dire : « il faut une relation entre la ville et le parc, parce que ce n’est pas assez visible ». Ce qui était évoqué, c’était la 45 démolition de la branche du 50 et d’une petite partie de SDH également. Tout ça pour avoir soi-disant une percée : perte de 120 logements... La démolition est actée à 60 000 € par logement qui comprend la démolition technique, les frais de relogement et la part d’exploitation du bailleur. Logiquement, ces 120 logements il faut les reconstruire : c’està-dire 150 000euro de reconstruction par logement. Cela signifie 210 000 € par logement pour soi-disant faire une percée entre la ville et le parc. On demande si on ne peut pas récupérer cet argent et le redistribuer d’une manière plus équitable sur l’ensemble des logements existants. » - Anna Lacaton : « Si on regarde les vues aériennes, on a l’impression que le parc vient jusque-là. Après, la question qu’on peut se poser c’est : « l’ouvrir, mais pour qui ? ». Par exemple, quand on regarde ici, en réalité, il y a déjà une grande porte, elle n’est plus visible parce qu’il y a un encombrement des sols alors qu’en réalité on voyait des arbres. On pourrait très bien renforcer ce passage sans avoir à forcément casser la structure. Quand on rentre sur la place des Vosges, on passe sous des portes et ça ne viendrait pas à l’idée qu’il faudrait trancher la hauteur des immeubles pour mieux voir l’entrée. Il y a dans le rez-de-chaussée une intention de passage quand même.» Le lieu vide est souvent ramené par les élus comme une idée assez étrange. Il faut libérer de très loin les vues sur les rez-de-chaussée alors que, finalement, on est dans des distances énormes et que dans un milieu urbain, on n’enlève pas tout ce qui gêne la vue sur un autre immeuble. C’est cette idée là qu’il faut vraiment retravailler. Non pas en disant : « ce qui est là ne va pas » mais en se disant « comment ça pourrait être autrement ? » En se disant que construire c’est aussi une façon de qualifier. [...] 46 C’est en construisant qu’on arrivera à ramener d’autres activités et des raisons d’aller à la Villeneuve. Une autre perméabilité ce n’est pas vider l’espace, c’est le construire et c’est tant mieux que sur la ZAC des Peupliers la Ville envisage de racheter pour pouvoir transformer les choses parce que ça continue à aller dans le sens qu’il faut ramener d’autres activités pour que des gens qui ne sont pas de la Villeneuve y viennent ». Anne Lacaton (séminaire du 10 février 2010) 3.3. La question des silos Derrière la question de la démolition des silos se pose celle du stationnement. Actuellement vides en partie, les silos sont promis à la démolition pour plusieurs d’entre eux avec un projet de construction d’un nouveau silo plus à l’écart. Le groupement s’interroge d’abord et de concert avec les projeteurs initiaux, comme en témoignent les discussions en séminaire, sur l’avenir de l’espace dégagé et la proposition de l’atelier Lion d’en faire un espace public : - Pierre Mignotte : « Quand on va enlever le parking n°3 qui est au milieu de la crique, on va se retrouver dans la même situation urbaine qu’à la place de la convention à Echirolles, allez-y à minuit et laisser tomber une bille par terre, vous réveillez d’un seul coup 200 familles. Je ne sais pas par quoi on va remplacer le silo mais il a un avantage, c’est qu’on ne fait pas de bruit dans la crique. » - Jean Tribel : « Et où est-ce qu’on va mettre les voitures ? » - Pierre Mignotte : « Je ne sais pas mais il paraît qu’ils veulent le raser. C’est vrai que pour la perméabilité, pour l’agrément visuel c’est évident qu’il est embêtant, mais une fois qu’on l’a enlevé ça va être pire. A moins qu’on fasse raser ACTIS, un pan du 130 ou je ne sais pas quoi. Il va y avoir un problème. » - Anne Lacaton : « Le problème des silos aujourd’hui, ce n’est pas tant leur usage que ces masses inactives. En démolissant un silo on ne crée pas forcément de l’espace public intéressant parce que l’espace public n’a pas été pensé à cet endroit là. » - Jean-Philippe Vassal : « La crique centrale est à mon avis l’endroit le plus dur de l’Arlequin parce que c’est là où le patrimoine ACTIS est le plus haut et c’est là où précisément il se retourne, qu’il crée le plus d’ombre. On voit qu’elle est pratiquement tout le temps dans l’ombre et je pense qu’il vaut mieux construire ici plutôt que de faire un espace public de plain pied, un parc ou un jardin parce qu’il ne marchera vraiment jamais. » Séminaire du 10 février 2010 Le groupement INterland penche pour la réhabilitation des silos existants ou, à défaut, la (re)construction de plusieurs petits silos à leur emplacement initial, voire même l’achèvement du projet initial de quatre silos au plus proche des habitations. La densité de logements d’un centre-ville, le souci de mettre la voiture au plus près des logements et une volonté de diversifier les usages guident leurs propos : « On est à un nombre de logements à l’hectare qui est très important, qui est équivalent voire supérieur à ce qu’on trouve en centre-ville. En centre-ville, jamais on aurait l’idée de napper la surface d’un sol avec du parking. La réponse en silo paraît aujourd’hui tout à fait opportune comme elle l’était à l’époque ; sur le fond il n’y a pas de changement. Dans la situation actuelle, c’est important d’avoir du stationnement de proximité vis-à-vis de là où on habite, c’est-à-dire que, entre une ou deux minutes, je vais de ma voiture à mon logement. Dans ce sens, il me semble que la position des silos telle qu’elle a été imaginée à l’époque est aujourd’hui la plus pertinente pour assurer entre la partie Sud, la partie médiane et la partie Nord une relation d’extrême proximité entre la voiture et son logement. Nous ce qu’on pense, c’est qu’il faudrait maintenir cette capacité, il faudrait même revenir sur les deux silos qui n’ont jamais été construits pour donner cette capacité nécessaire d’environ 1 800 places de stationnement à proximité des logements. Il faut accompagner cette offre de stationnement d’une mixité d’usages pour faire en sorte que dans ce principe de silos ouverts, sécurisés mais beaucoup plus conviviaux, le rez-dechaussée soit systématiquement public et traversé, ce qui donne la possibilité de trouver des bureaux, des activités, des commerces. Qu’on ait en sous-sol juste un niveau parce qu’on sait qu’on ne peut pas descendre trop bas à cause des problèmes de nappes et qu’on ait audessus des nouveaux stationnements et, sur ces deux niveaux de stationnements, on peut, si nécessaire, recréer un espace pour des bureaux, des entreprises, etc. Sans augmenter de manière trop importante la hauteur des silos, il y a une capacité de 100 000 m² à construire à l’emplacement précis des silos. C’est-àdire l’emplacement où le terrassement est déjà fait, où on ne va pas démolir un certain nombre d’arbres ou de végétation qui se sont créés en périphérie. On peut programmer une sorte de phasage de transformation de ces silos en rendant systématiquement une attractivité au niveau du rez-de-chaussée, en le remplissant d’un certain nombre de services, d’équipements, etc. [...] On a une capacité de créer une zone extrêmement active, capable de proposer une façade agréable et intéressante vis-àvis du tramway, qui crée une façade ouest de l’Arlequin active et dynamique et qui permet, par ailleurs, d’avoir un côté est 47 calme et tranquille qui donne sur le parc. [...] Aujourd’hui, par exemple, il y a une recherche de 2 000m² pour un gymnase qui a brûlé. Si on pense que ce gymnase est mieux côté ville que côté parc on peut bien le trouver deux, trois fois plus grand dans ces espaces là ; qu’il soit rez-dechaussée ou qu’il soit sur le toit. On peut imaginer, comme ça c’est fait à Paris, un gymnase qui commence à moins 3 m et qui termine 6 m plus haut et dessus il peut y avoir du stationnement. Donc c’est la possibilité de projets qui ne sont plus des silos de stationnement mais qui sont des silos d’activités, d’équipements qui assurent en plus le stationnement. » Jean-Philippe Vassal (séminaire du 10 février 2010) Conclusion : l’achèvement de la Villeneuve L’Arlequin n’est pas un « grand ensemble » standard dans la mesure où il a d’abord été pensé par les usages. Dans les premiers grands ensembles, les concepteurs ont pensé à des fonctions essentielles de l’homme moderne et ont produit des formes permettant de répondre à ces fonctions. A l’Arlequin, les concepteurs du programme ont demandé aux architectes de répondre à des usages nouveaux ou potentiels par la création d’espaces de vie de qualité à l’échelle des logements, des coursives, des bâtiments, bref de l’espace public. L’évolution du peuplement et la rigidité formelle de l’Arlequin ont rendu un verdict qui semble a priori en l’état tout aussi négatif que pour les grands ensembles. L’usage de la figure est complexe pour l’habitant et incompréhensible a priori pour le passant. L’Arlequin ne simplifie pas la vie comme ses promoteurs l’escomptaient : 48 - distance de la voiture qui amènent certains à détourner les caddies de supermarché ; - mauvais fonctionnements des ascenseurs, coursives, vide-ordure, etc ; - dysfonctionnement social des espaces communs des coursives qui amènent à leur condamnation. La lisibilité de l’espace est si faible qu’elle nécessite de l’usager une véritable expertise. Il est à ce point difficile de se déplacer et de se repérer que les habitants ou les commerçants viennent chercher visiteurs et chalands jusqu’au tramway, dernier espace public lisible, et que les médecins et pompiers s’y perdent. L’Arlequin n’est pas un « grand ensemble » standard dans la mesure où il résiste aux réhabilitations classiques (type écrêtage, démolition partielle, etc.) ou à la résidentialisation. Cette dernière commence son oeuvre par la reconnexion des grands ensembles aux réseaux viaires alentours par le tracé de pénétrantes. Elles sont presque impossibles aujourd’hui tant le parc de la Villeneuve est sanctuarisé. Elle ne fonctionne pas non plus au niveau du (re)découpage des parcelles et des immeubles pour créer des unités résidentielles. Il faut pour cela démolir à grand frais des montées complètes en raison d’une propriété du sol complexe (avec des droit de surface et un mélange copropriétéslogements sociaux unique en son genre). Il ne reste alors véritablement que deux grandes solutions caricaturales : l’achèvement de la mégastructure en conservant ses principes fondateurs ou le démantèlement progressif, petits bouts par petits bouts, afin de rendre l’urbatecture ingérable et justifier sa complète éradication. Les maîtres d’ouvrage actuels (Ville et bailleurs sociaux) ont semble-t-il fait leur choix... Bibliographie DEHAN P. et JULIEN B., Au détour des chemins de grues, in PICON-LEFEBVRE V., Les espaces publics modernes, Paris, Moniteur, 1997. BANHAM R., « The glass of fashion », New Society, n°9, 1971. BANHAM R., « Megastructure », Architectural Design, Juillet 1975. BANHAM R., Megastructure: Urban Futures of the Recent Past, Londres, Thames and Hudson, 1976. BELLIRIZ P., « Galerie de l’Arlequin à Grenoble : regards croisés », in GUILLOT X. (dir.), Habiter la modernité, Saint-Etienne, 2006. COHEN J.-L., « Monuments déguisés », Les cahiers de la médiologie, n°7, 1998. CORAJOUD M., « À Propos du Parc de la Villeneuve de Grenoble », 1980. [ h tt p : / /c o ra j o u d m i c h e l . n e r i m . n e t / 1 0 textes/01a-a-propos-du-parc-de-gr.htm] CORAJOUD M., « L’espace public contemporain : crise ou mutation ? », in TEXIER S., Voies publiques, Paris, Picard, p. 252-264, 2006. DEVILLARD V. & JANNIERE H., Les espaces publics modernes. Communauté et voisinage, in PICON-LEFEBVRE V., Les espaces publics modernes, Paris, Moniteur, 1997. JOLY J. et PARENT J.-F., Paysage et politique de la ville, Grenoble de 1965 à 1985, Presses Universitaires de Grenoble, Grenoble, 1988. LUCAN J., Architecture en France (1940-2000), Paris, Moniteur, 2001. PORTNOI A., « Terrace revival. Le bâtimentinfrastructure en Grande-Bretagne 19551975 », in Marnes, vol. 1, p. 94-131, 2011. ROUILLARD D., Superarchitecture. Le futur de l’architecture (1950-1970), Paris, Ed. de la Villette, 2004. SMITHSON A. et P., Urban structuring. Studies of Alison and Peter Smithson, Londres, Studio Vista LD, New York, Reinhold Publishing Corporation, 1967. 48 49 50 Chapitre 2 De la grille au « maillage opportuniste » Paulette Duarte et Carine Bonnot Introduction Quand nous surplombons du regard le sud de l’agglomération grenobloise, et les différents morceaux de tissus urbains qui le composent, certains morceaux semblent organisés selon des règles et des principes qui relèvent de ceux mobilisés par le modèle de la « grille ». En effet, le centre-ville échirollois et le quartier grenoblois de Vigny-Musset, récemment construits et aménagés, offrent, a priori, une organisation régulière et quadrillée de l’espace. En focalisant notre regard sur ces deux morceaux d’habiter en périphérie, nous pouvons nous demander si leur organisation ressemble à la figure originale de la grille ou si elle est une forme de « bricolage » entre des références théoriques et des contingences locales. De même, nous pouvons nous demander si cette forme a la capacité à redonner de la cohérence aux territoires du sud de l’agglomération grenobloise et si elle est une forme destinée à proliférer. Pour répondre à ces questions, nous avons souhaité, dans un premier temps, identifier les référents urbanistiques de la grille définies par les architectes et les urbanistes de ce courant de pensée, et dans un deuxième temps, identifier et qualifier, tout en les comparant, les référents développés dans le centre-ville d’Echirolles et dans le quartier de VignyMusset à Grenoble par les architectes et les urbanistes de ces deux projets. Les identifications et les comparaisons entre référents s’appuient sur un matériau divers : discours écrits, plans, dessins, schémas, photographies. Si les réponses aux questions de la recherche sont issues des résultats de l’analyse sur du matériau existant (ouvrages, études, pré-études…), elles sont également issues de l’enquête qualitative1 réalisée par nos soins auprès des concepteurs et des maîtres d’ouvrage de ce deux projets. 1 Nous avons organisé une enquête en deux temps : un premier temps consacré à la réalisation de parcours commentés in situ, dans le centre-ville d’Echirolles et dans le quartier de Vigny-Musset à Grenoble, et un deuxième temps consacré à un séminaire-débat sur la grille. Le parcours commenté du centre-ville d’Echirolles a été réalisé le 15 juin 2010. Il a consisté en une déambulation et une interview d’un deux urbanistes conseils du projet, Yves Sauvage, et l’urbaniste de la ville d’Echirolles, Philippe Vic. La déambulation orientée par les deux urbanistes a permis aux acteurs de développer les thèmes de l’historique du projet du centre-ville, de son phasage, de sa morphologie et des références urbanistiques mobilisées. Les discours des acteurs interviewés ont été enregistrés et le parcours photographié. Le parcours commenté dans le quartier VignyMusset a été réalisé le 17 juin 2010 en présence de Loizos Saava, un des architectes-urbanistes en chef de la ZAC Vigny-Musset et de Paul Durand, architecte-urbaniste à la Ville de Grenoble. Le séminaire-débat, quant à lui, a eu lieu le 28 juin et a été enregistré en présences des architectes et urbanistes précédemment interviewés, de Pierre Grandveaud, deuxième architecte-urbaniste en chef de la ZAC Vigny-Musset, et Catherine Maumi, maître de conférences en architecture, ayant publié des travaux de recherche sur la grille. Les débats ont porté sur les thèmes suivants : définition générique de la grille, présence ou pas de la grille dans les deux sites visités (centre-ville d’Echirolles et grille de Vigny-Musset), différences ou ressemblances des modèles morphologiques et typologiques mobilisés dans les deux sites, avantages et limites de la grille en général, par rapport à d’autres modèles (mégastructure, ville linéaire) en termes de gestion, de fonctions et d’habiter, prolifération ou pas de la grille dans l’avenir dans les territoires périphériques. L’ensemble des discours ont été retranscrits et analysés. 51 Cette monographie tend à montrer que la « grille » pensée et mise en œuvre dans le sud de l’agglomération est un « bricolage » entre des références théoriques et des contingences locales. Elle est une « trame » régulière dans le quartier de Vigny-Musset qui a pour objectif de relier les quartiers avoisinants et un maillage d’îlots pour mieux faire habiter cette partie du sud. Elle est un « maillage opportuniste » dans le centre-ville d’Echirolles qui tout en organisant les tissus urbains, s’adapte à la périphérie existante et future. Sa capacité à proliférer, tout en s’adaptant, est constatée sur le territoire d’Echirolles, voire au-delà. Figure 1 Vue aérienne de San Francisco Source : F. Lipski , San Francisco. La grille sur les collines, Marseilles, Editions Parenthèses, 1999, p. 13 52 1. La figure de la grille dans les théories de l’urbanisme La grille, a priori, mobilisée dans les projets urbains récents du sud de l’agglomération grenobloise (projets dans le quartier de Vigny-Musset à Grenoble et dans le centre-ville d’Echirolles) a une longue histoire. Elle a été mise en œuvre à différents moments historiques de l’urbanisation des territoires, et plus particulièrement dans l’Antiquité, au Moyen Age, aux XVIIIème, XIXème et XXème siècles. La lecture historique de sa mise en œuvre permet de la définir comme une figure, c’est-à-dire comme un discours sur l’espace, un mode d’organisation de l’espace et un mode de représentation de l’espace, et de comprendre les raisons de sa mobilisation par les urbanistes concepteurs de Vigny-Musset et du centre-ville d’Echirolles. 1.1. Une brève histoire de la mise en œuvre de la grille Figure 3 Turquie, Ville de Milet, plan d’ensemble 1.1.1. Dans l’Antiquité, aux temps des villes égyptiennes, grecques et romaines Le plan de ville en grille orthogonale est mis en œuvre depuis l’Antiquité. Tantôt, symbole sacré, outil de partage et de zoning, et outil militaire, les tracés organisent les cités du monde, dont nombreux sont encore visibles encore aujourd’hui. Figure 2 Egypte, Tell-el-Amarna (XIVème siècle av. J.C.), village des ouvriers Figure 4 Ville de Priène, IVème siècle Source : F. Divernois, B. Gendre, B. Lavergne, Ph. Panerai , Les bastides d’Aquitaine, du BasLanguedoc et du Béarn. Essai sur la régularité. Bruxelles, AAM éditions, 1987, p. 86 Les recherches de Catherine Maumi (2001) nous éclairent sur les origines de la grille dans les villes égyptiennes, où le tracé est le symbole divin, comme à Tell-el-Amarna (XIVe siècle avant J.C.), en Chine, à Suzhou (617 après J.C) ou en Inde. L’idée de Dieu justifie la hiérarchisation des différentes classes de la population, et des lieux d’exercice du pouvoir. En Inde, au IIIème millénaire avant J.C, les villes correspondent à « une image parfaite du cosmos » et leur organisation est basée sur les formes du cercle et du carré qui représentent la centralité, l’équilibre et l’ordre. Source : C. Maumi, Grille, ville et territoire aux Etats-Unis : un quadrillage de l’espace pour une pensée spécifique de la ville et de son territoire, Vol 1, thèse de doctorat en Etudes Urbaines, Paris, 2001, planches 8. 53 Les grecs, qui connaissaient eux-mêmes les civilisations mésopotamiennes et égyptiennes, développent des villes en grille dès le VIIème siècle, mais c’est avec le philosophe ionien Hippodamos de Milet qui s’intéresse à ce qu’on appelle aujourd’hui le zoning, que la grille va circuler comme modèle. La forme de la grille répond à une organisation spatiale et sociale. Selon Catherine Maumi, c’est à cette époque que « la ville, la polis, et par conséquent la société qui la compose, -deviennentdes sujets d’études » (2001, p. 43). Ainsi, les villes se divisent en rues perpendiculaires au Pirée. La ville de Thurium, en 443 avant J.C., est composée de rues droites, soit quatre rues principales dans sa longueur et trois rues dans sa largeur. Les habitations sont alignées. Ce tracé régulier est dû au partage des terres pour leur colonisation et à une conception esthétique de la ville. A l’âge hellénistique, cette représentation esthétique se développe. Aux croisements à angle droit de grandes rues bordées de colonnades, des éléments décoratifs sont construits. C’est le cas à Alexandrie, à Antioche, dans les villes nouvelles, comme à Smyrne 300 avant J.C., Nicée en Bithynie. Puis, progressivement, le tracé régulier répond à des considérations hygiéniques. Ainsi, à l’intérieur de Nicée, représenté par un carré de 700 mètres de côté, deux grandes rues se croisant à angle droit, et correspondant aux quatre portes de la ville, sont orientées suivant des données hygiéniques : - ensoleillement, orientations des vents et des odeurs. Ce tracé régulier influencera par la suite les villes romaines. Il est notamment à l’origine de réseaux réguliers et du 54 double axe du cardo (nord-sud) et du decumanus (est-ouest). Les conquêtes de l’Empire romain sont guidées par une stratégie précise de colonisation des territoires. Un outil, le Centuriation, réglé par un manuel d’aménagement le Corpus Agrimensorum Romanorum de Hyginus Gromaticus (Maumi, 2001) permet de mettre en place un tracé régulier, dont l’origine, le cardo et le decumanus, déterminent quatre quartiers identiques. Un système de voiries secondaires dessert les blocs rectangulaires ou carrés. Plusieurs modèles dérivent de ce principe, selon les sites et leur importance politique : - le modèle Castrum : une grille régulière, au centre de laquelle s’établit le forum, est composée de blocs, appelés insulae, de forme carrée. Ce modèle concerne par exemple les villes d’Ostia, Alife, Lucca, Pyrgi. - le modèle Per strigae : Un axe principal est irrigué par de nombreuses voies secondaires qui forment des blocs rectangulaires, en longueur. Ce modèle est appliqué dans les villes de Carnuntum, Lambesi. - le modèle Scamna : Comme dans le modèle précédent, les blocs rectangulaires composent le plan mais dans l’autre sens, le grand côté du rectangle étant parallèle au cardo, comme c’est le cas à Carthage. - le modèle Via Principalis et Via Quintana : Deux axes parallèles, nordsud, constituent la base de la grille et les blocs se développent de part et d’autre. Ce modèle se retrouve dans les campements romains et certaines villes italiennes comme Turin et Aoste. Figures 5 Schéma des différents modèles de grille de la ville romaine Source : archives personnelles, C. Bonnot Dans tous les cas, à l’échelle de la cité (et non à l’échelle d’un grand territoire, comme ce sera le cas plus tard, aux Etats-Unis), « la grille symboliserait l’ordre nouveau imposé à ces territoires car, par ce biais, chaque colonia deviendrait effectivement une nouvelle représentation de la capitale. » (Maumi, 2001, p. 49). Le modèle romain sert de base à la plupart des villes nouvelles européennes jusqu’au Moyen Age. 1.1.2. Au Moyen-Age, aux temps des bastides en France Lors de la deuxième moitié du Moyen Age, en France, dans les pays de langues d’Oc du sud-ouest, sur 50 000 km2, des villes nouvelles ou bastides, soit plus de 200 fondations, sont construites et organisées suivant un urbanisme moderne, réfléchi et fonctionnel. Elles sont implantées le long d’axes fluviaux pour acheminer le vin gascon et permettent la rencontre entre artisans et commerçants. 55 Les « promoteurs » de ce modèle sont les seigneurs ou les personnes en paréage. L’accord issu de paréage consiste en un contrat entre le seigneur et le souverain représenté par son sénéchal pour exploiter en commun un territoire. Les fondateurs des bastides partagent équitablement les charges et les bénéfices. Le seigneur met à disposition les terres aux populations migrant vers les bastides. Ces dernières, à condition d’être fidèle au seigneur, peuvent y travailler librement et en sécurité. Ainsi, l’organisation spatiale de la bastide suit un plan orthogonal ou une grille et est composée : - d’une place de marché fermée, bordée de maisons construites sur des passages ouverts entourant une halle en charpente portée par des piliers (couvert), support économique des échanges entre commerçants, d’un savoir-faire empirique transmis par les arpenteurs itinérants d’une fondation de bastide à l’autre, ne nécessitant pas de grandes compétences techniques et facilement mémorisable, et, pour Françoise Divorne, Bernard Gendre, Bruno Lavergne et Philippe Panerai, issue d’une interprétation de documents juridiques de l’Antiquité par les religieux de monastères du Moyen Age. Cette organisation évolue par la suite après les destructions dues aux guerres et les reconstructions par les habitants au fil du temps. Ainsi, avec la généralisation des couverts, les places acquièrent un caractère monumental, ordonnateur de plan. Elles deviennent de plus en plus grandes et se différencient. Figure 6 Plan de Carcassone reconstruite en 1335 selon un plan ortohogonal, composé d’îlots carrés - d’une grande église en retrait par rapport à la place, - d’un découpage foncier régulier et orthogonal qui aménage de manière efficace les sols, - d’axes de circulation se croisant à angle droit, - d’îlots orthogonaux. Ces îlots correspondent aux parcelles gothiques et sont soit rectangulaires où le grand côté du rectangle représente deux fois le petit côté, entre 4 et 7 mètres de large et entre 20 et 30 mètres de long, ou soit composées, mais de manière plus exceptionnelle, de deux îlots carrés de 20 mètres ou de 30 mètres de côté. Cette organisation spatiale répond au besoin de lotissement du sol urbain, et non à des considérations esthétiques ou hygiéniques. Elle est, pour Michel Coste et Antoine De Roux, une conséquence 56 Source : C. Maumi, ibid., planche 12 Figure 7 La place, les îlots, leurs organisations Villefranche de Rouergue Figure 8 Monpazier, la ville neuve médiévale dessinée par Viollet-le-Duc et le cadastre contemporain Source : M. Coste, A. De Roux, Bastides. Villes neuves médiévales, Villefranche de Rouerge, ed. Desclée de Brouwer, 2007, p. 122 Source : M. Coste, A. De Roux ibid., p. 89 Certaines sont carrées, d’autres rectangulaires. Le parcellaire devient plus lâche et les îlots de moins en moins différenciés. Ces derniers suivent le tracé des places. La place étant carré, les îlots sont également carrés. La place étant rectangulaire, les îlots le sont également. Des rues principales de 6 à 10 mètres organisent les îlots, rangés face à face. Dans les îlots alignés, un système de ruelles secondaires de 1 mètre de large, dits « carrons » ou « carreyous », se développe. Ces venelles sont limitées dans leur fond et forment un T. La localisation de l’église varie également. L’église peut être à la diagonale de la place, à un îlot de distance de la place, en façade sur la place, dans la place ou le long de la grande rue. L’architecture varie aussi d’une bastide à l’autre. Si au départ, les bastides ne sont pas entourées d’enceintes, elles sont progressivement enfermées par des clôtures, puis par des murailles, pour des raisons de sécurité. Figure 9 Monflanquin, la place carrée Source : M. Coste, A. De Roux, ibid., p. 120 Au cours du XVIIIème et XIXème siècle, le savoir-faire concernant la construction de bastides se perd. 57 1.1.3. Au XVIIIème siècle, aux Etats-Unis La grille apparaît aux USA à partir de 1785 avec la National Land Ordinance de Thomas Jefferson. Elle est mise en œuvre d’abord à Philadelphie et à New York, puis à San Francisco. Elle est d’influence hispanique, française et anglo-saxonne. Figure 10 Une maille de la grille territoriale établie en 1785 par Thomas Jefferson pour les Etats-Unis d’Amérique équitable des terres. L’utilisation de la grille se fait à partir de concessions. Progressivement les quadrilatères ont les mêmes formes et leurs surfaces sont numérotées. La parcelle (et non le bloc) domine. La rue très présente est une pause dans le processus de partage. Avec le développement immobilier, la grille devient un outil de spéculation foncière. Elle permet l’étendue de la ville, y compris dans l’urgence. Figure 11 San Francisco de Jasper O’Farell, 1847 Source : L. Benevolo, Histoire de la ville, Marseille, Editions Parenthèses, 2004, p. 319 A San Francisco, c’est Jean-Jacques Vioget (ingénieur militaire, 1799-1855) qui met en place la forme urbaine de la grille. Cette forme est d’inspiration hispanique. Elle renvoie aux éléments de composition urbaine des villes coloniales (place rectangulaire, système de douze rues partant de la place pour définir les quartiers, emplacement de l’église et des bâtiments publics) décrits dans la loi des Indes de 1573 par Philippe II d’Espagne et induisant une implantation et un développement spatial en échiquier. Ainsi, elle forme un quadrillage de 6 milles de côté, composés de 36 sections (ou quadrilatères) de mille de côté. Cette forme est la traduction de la propagation de la civilisation par la colonisation l’espace, avec un partage 58 Source : F. Lipsky, ibid., p. 50 A New York, la trame de Manhattan est pensée au début du XIXème siècle sur un territoire encore très peu peuplé et sauvage. Rem Koohlaas, qui présente le manifeste rétroactif de la ville dans New York Delire analyse la grille comme une « spéculation conceptuelle » : « Tous les blocs sont identiques ; leur similitude invalide instantanément tous les systèmes d’articulation et de différenciation qui ont présidé à la formation des villes traditionnelles. La trame rend caduque l’histoire de l’architecture et toutes les expériences d’urbanisme antérieures » (Koohlass, 2003, p. 20). L’auteur compare les blocs à des socles de statues qui peuvent se développer verticalement, à l’infini. Chaque parcelle est ainsi libre d’évoluer mais « Le fait que le « changement » soit circonscrit aux « îles » constitutives garantit l’immutabilité du système » (Koohlass, 2003, p. 296). Figure 12 Les blocs de New-York, socles des gratte-ciel formés de cinq trapèzes eux-mêmes composés d’îlots réguliers. Mais en 1860, le gouvernement de Madrid impose le projet de Cerdà, qui présente en accompagnement de son plan monumental, un texte théorique qui marquera l’histoire de l’urbanisme : La théorie générale de l’urbanisation (publié en français en 1975 et réédité en 2005). Il présente un historique de la formation de la ville, en analysant les origines de l’urbanisation, c’est-àdire d’habitations regroupées dans le territoire. En présentant une apologie de l’urbanisation rurale et de la maison individuelle, il justifie sa critique de la ville historique, construite sur ellemême, dense et étouffée. Figures 13 Plan d’extension de la ville de Cerdà Source : photographie, 2010, C. Bonnot 1.1.4. Au XIXème siècle, en Espagne Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, Idelfonso Cerdà (1815-1876), ingénieur des Ponts et Chaussées, propose pour Barcelone un plan d’extension sous la forme de grille régulière. En 1854, la forte croissance démographique et l’industrialisation entraînent la démolition des fortifications de la ville afin de permettre son évolution. En 1859, la ville lance un concours et désigne dans un premier temps l’architecte Antonio Rovira y Trias, qui propose un plan concentrique Source : V. Vercelloni, Atlante storico dell’idea europea della città ideale, Milan, Editions Jaca Book, 1994. 59 Son projet pour Barcelone, une immense grille greffée autour du noyau existant, tend à améliorer petit à petit, les conditions d’hygiène, en encourageant les reconstructions des îlots insalubres, et développe une base pour la ville nouvelle. La grille est composée d’axes principaux, les avenues, orthogonales et diagonales. La voirie scrupuleusement étudiée par l’ingénieur constitue un système efficace de circulation. Les rues font 20 mètres de large et les avenues 60 ou 80 mètres. La régularité et l’orientation des voies permettent aux îlots de s’organiser de manière rationnelle : « L’espace prend donc une valeur curative, il est un moyen thérapeutique contre les «maux» de la société » explique Aberasturi (Cerdà, par Aberasturi, 2005, p.22). L’îlot carré de Cerdà mesure 113 mètres de côté, les pans coupés, valorisant les façades, font 20 mètres. La superficie de l’îlot est de 12 700 m2 dont 8 000 m2 de jardin. Les logements conservent ainsi une indépendance dans la ville, en référence à l’échelle de la maison individuelle, tout en composant un tout : la ville. L’égalité des parcelles et la décentralisation du système en grille (contrairement au plan concentrique d’Antonio Rovira y Trias qui accentuait la focalisation sur le centre ancien) permet aussi une répartition homogène des services de la ville. Cerdà, en 1857, propose donc une ville rationnelle et fonctionnelle, dictée par les principes d’hygiène et articulée par la séparation des fonctions de circulation et d’habitation. Ce sont ces mêmes critères qui définiront l’urbanisme moderne au XXème siècle. 1.1.5. Au XXème siècle, la grille comme mythe de l’urbanisme moderne La ville moderne, dont les principes sont inspirés de la Charte d’Athènes publiée par Le Corbusier en 1943 (réédité 60 en 1957), voit ses plans d’urbanisme composés à partir de grilles : la séparation des quatre fonctions majeures (Habiter, Travailler, Circuler, Se recréer) et l’idéal de la ville fonctionnelle vont être les arguments principaux de Le Corbusier pour développer des plans réguliers notamment pour Paris ou Buenos Aires, et influencent toute la production du XXème siècle, notamment les grands ensembles. A Athènes en 1933, le CIAM propose une véritable doctrine urbanistique. En découle La Charte d’Athènes, considérée comme le manifeste de l’urbanisme progressiste. En effet, elle condamne la ville historique qu’elle oppose à la ville rationnelle et encourage le zoning lié aux fonctions. Les circulations sont hiérarchisées, adaptées aux trois vitesses (piéton, voiture, train) et le sol qui accueille un maximum d’espaces verts constitue une seule entité. Le Corbusier évoque le plan en grille à Bridgewater en 1947, lors du CIAM VI et en fait le sujet central du CIAM VII de Bergame, en 1949, en proposant une exposition de trente projets dont ceux de Le Corbusier (Les Trois Habitats humains et Buenos Aires), Piero Bottoni (QT8 de Milan), José Luis Sert (Lima, Tumaco et Chimbote), Jakob Bakema (une banlieue non située), Guiseppe Samonà (Portho Marghera, Venise), Luigi Carlo Daneri (Gênes), Luigi Cosenza (Naples), Franco Albini (quartier des Anges à Gênes), Figini et Pollini (Ivréa), groupe BBPR (Elbe), conçus à l’aide d’une grille. « Le Corbusier présente la Grille, outil de travail permettant de « penser plus rapidement » et avec « plus de précision ». Il s’agit, (expliquet-il), d’un réseau orthogonal issu de la rencontre des quatre fonctions de l’urbanisme (…) avec neuf catégories. A savoir : l’environnement, l’occupation des sols, le volume du bâti, les équipements, l’éthique et l’esthétique, les influences économiques et sociales la législation, le financement et les phases de mise en œuvre.» (Nicoloso, 2010) Figure 14 Le Corbusier, Plan Voisin pour Paris : au centre de chaque parcelle une tour d’habitation en plan de croix Source : V. Vercelloni, Atlante storico dell’idea europea della città ideale, Milan, Editions Jaca Book, 1994. Figure 15 Le Corbusier, Unité d’habitation de Marseille, 1950. La grille en 3 dimensions : les cellules d’habitation verticale de l’unité d’habitation en commençant son discours ainsi : « J’ai à vous parler d’une certaine poésie, une poésie en casiers. » A Bergame, la grille suscite le débat et de nombreuses remarques sont critiques : certains tel que l’architecte polonaise Hélène Syrkus défendent une dimension plus humaine, d’autres tel que l’architecte Hans Schmidt s’opposent à la standardisation des usages. Franco Albini, lui, rejoint l’idée que la grille pose avant tout un cadre scientifique, un moyen de fabrication et de gestion urbaine. Cette idée est défendue par Le Corbusier, comme elle l’était pour Hippodamos de Milet ou pour Cerdà. A partir des années 1950, on retrouve l’idée de grille dans certains grands ensembles, par exemple ceux de Jean Dubuisson, architecte de nombreuses ZUP, dont celles de Chambéry-le-Haut et de Borny à Metz. En alternative aux grandes barres et tours construites à la même époque, il propose des « grecques » : typologies d’immeubles recroquevillés sur eux-mêmes, autour de cours intérieures. Ainsi, le plan masse est formé de carrés ouverts, plus ou moins réguliers et semblables, qui rappellent des îlots, mais à une échelle plus importante. Figure 16 Jean Dubuisson, ZUP de Chambéry-le-Haut : plan masse orthogonal et les barres en forme de « grecques » Source : photographie, 2010, C. Bonnot Il présente la grille dans ses trois dimensions, en référence à l’organisation Source : carte postale 61 Figure 17 Jean Dubuisson, ZUP de Metz : schéma de plan d’origine par Reichen et Robert architectes, chargés de la restructuration, 2009 bâtis spécifiques, comme dans les cas des bastides au Moyen Age, des villes de Barcelone et de New York. Figure 18 Axonométrie des parcelles des bastides avec la typologie des habitations et des jardins privés Source : Reichen et Robert Architectes, site internet Source : Ph. Panerai, ibid., p. 56 1.2. La grille, une forme orthogonale régulière, génératrice de typologies et accueillant diverses fonctions de l’habiter À travers l’histoire, la forme de la grille offre des caractéristiques identiques. Elle est une forme urbaine régulière et constitue un tracé orthogonal, quadrillé régulier, un « damier » ou un « échiquier ». Elle est composée d’îlots rectangles ou carrés, délimités par des rues principales rectilignes qui constituent des pauses dans le passage d’un îlot à un autre. Ces îlots sont parfois eux-mêmes composés de rues secondaires traversantes qui forment de plus petits carrés ou rectangles. Les îlots sont souvent bâtis et/ou composés d’espaces verts et les rues assurent la circulation entre et autour des îlots ou l’accès à ces derniers. La morphologie régulière de la grille accueille ou génère des typologies d’espaces bâtis et non 62 Figure 19 Armagnac, relevé des constructions de la place centrale : des bâtiments construits sur des arcades Source : M. Coste, A. De Roux, ibid., p. 106 Ainsi, au cœur des grilles des bastides, les places publiques accueillent des architectures à arcades, en relation avec la fonction commerciale et dans le but d’orner les rez-de-chaussée de manière homogène. Ces villes nouvelles sont composées d’îlots en partie bâtis. Dans ces îlots, des petites maisons à un ou deux étages sont disposées d’un côté de la parcelle et alignées aux axes de circulation, dégageant un jardin privé de l’autre côté. Figure 20 Central Methodist Episcopal Church, plan de Raymond Hood Cette organisation, étudiée par Philippe Panerai, donne une orientation à l’îlot : « L’îlot rectangulaire simple est formé par l’association de deux rangées dos à dos. Il est bordé sur les grands côtés par des rues principales avec un bâti continu, sur les petits côtés par des rues secondaires avec bâti discontinu. » (Divorne et ali, 1987, p. 56). Deux côtés dans l’îlot se distinguent. Le fond de la parcelle assure les fonctions techniques comme l’évacuation des eaux usées. Le devant de la parcelle assure les fonctions d’habitation et favorise l’implantation d’habitations individuelles avec jardin. Le type « habitations individuelles avec jardin » développée dans cette grille composée de rectangles se rapproche de l’habitat en bande et permet une économie du territoire, des accès et des réseaux techniques. Dans le cas de New York, les blocs de Manhattan sont le support de tous les projets fantasques et des architectures innovantes, dont le symbole est le gratteciel. Comme la grille qui peut s’étendre à l’infini et comme les cellules de Le Corbusier qui peuvent se développer régulièrement dans les trois dimensions, le gratte-ciel permet « la création illimitée de sites vierges sur un même emplacement urbain » (Koohlaas, 2003, p. 87). À partir de la même parcelle, les architectes projettent des gratte-ciels aux bases rectangulaires, parfois divisé en deux, aux élévations pyramidales ou au contraire aux formes massives et compactes. 62 Source : R. Koolhass, New York Delire, Marseille, Editions Parenthèses, 2003, p. 172 Figure 21 New York, les architectes associés et les promoteurs jouant avec des centres miniatures Source : R. Koolhass, ibid, p. 179 Une église imaginée par Raymond Hood en 1927, le Central Methodist Episcopal Church (à Colombus, non réalisé), est insérée dans la diagonale d’un bloc rectangulaire et entourée de commerces et divers équipements afin de ne pas perdre d’espace au sol. 63 On ne trouve pas de parvis ni de retrait par rapport à ce monument, le bloc l’absorbe et le gratte-ciel devient multifonctionnel. Les défauts de la grille, notamment lorsqu’elle rencontre Broadway, produisent des bâtiments qui se démarquent des autres : comme le Flatiron, de 1903, qui est connu pour son plan triangulaire. Cela illustre aussi l’influence du plan d’urbanisme sur l’architecture. Une autre exception qui diffère des autres buildings non pas par sa forme mais par son plan : le Seagram Building construit en 1958 par Mies van der Rohe. Koohlaas qui analyse aussi les différentes vies d’un bloc, dont celui de l’Empire State Building, montre que la parcelle peut être divisée, construite, démolie, puis réaménagée sans que jamais ne soit modifié son rapport avec le reste de la ville. Le bloc, composant de la grille, est une base immuable qui constitue aussi une mémoire de l’histoire de la ville. Figure 23 Vue aérienne de Barcelone Figure 22 Immeuble de Flatiron, situé à l’angle Broadway et de la 5th avenue Source : Carte Postale A Barcelone, à partir du support théorique établi par Cerdà, à une même période, les typologies architecturales construites sont influencées par la morphologie régulière. Les travaux d’Yves Sauvage et Patrick Chedal-Anglay (2002) à l’Ecole d’Architecture de Grenoble, questionnent cette hypothèse et analyse comment la réglementation urbaine influence les logements. Source : photographie, 2010, C. Bonnot L’architecte place son édifice au centre de la parcelle dérogeant à la règle de l’alignement. La grille est tout de même respectée car l’aménagement de la parcelle en espace public est clairement délimité (murets, plan d’eau) mais le bloc n’est pas totalement bâti. Enfin, Rem 64 Selon eux, les solutions de la conception des logements sont liées au lieu et aux conditions sociales qui l’accompagnent. Les comparaisons dans un lieu unique, Barcelone, sur la période de la première moitié du XXème siècle, valident l’idée que la morphologie de Cerdà a influencé l’organisation des habitations, et même, dans le cas de Gaudi, lui a permis de développer des typologies nouvelles, avec des constantes, comme les angles coupés, qui prennent des formes spécifiques, et deviennent parfois de véritables « vitrines » avec des ornements, des balcons, des décors. Si la morphologie de la grille influence les typologies bâties et non bâties, elle répond et permet le développement de diverses fonctions : fonctions économiques, sociales et symboliques. Ainsi, dans les bastides du Moyen-Age ou à San Francisco au XVIIIème siècle, cette forme rationnelle, fonctionnelle, assez simple à mémoriser et à mettre en place, a permis une colonisation du territoire rapide et équitable, c’està-dire un partage des terres entre individus pour leur exploitation, et une urbanisation réfléchie. Dans le cas, des bastides, la mis en œuvre de la grille a été conditionnée par le développement de la fonction commerçante et la nécessité de rapprocher spatialement fonction de production de vin et fonction de commercialisation. ensoleillement, orientations des vents et des odeurs. A partir du XIXème siècle, en Europe, l’aération, en opposition aux congestions des centres anciens et l’arrivée de la lumière dans les logements constituent des préoccupations prioritaires reprises dans les doctrines de la grille. Au XXème, la grille comme organisation rationnelle des fonctions atteint un paroxysme. Le Corbusier propose de « mettre de l’ordre », dans la ville moderne, en développant la grille dans les trois dimensions (largeur, longueur et hauteur) et en séparant les quatre fonctions majeures (Habiter, Travailler, Circuler, Se recréer) de la vie urbaine. La grille a certes une fonction économique principale, mais elle valorise également des fonctions esthétiques et symboliques. La régularité des plans de composition évoquent la symétrie et la proportionnalité ; la présence d’éléments décoratifs à l’intersection des rues perpendiculaires dans la ville romaine, ou encore les angles coupés des îlots de Barcelone mettent en valeur des façades travaillées et monumentales. Le carré dans l’Antiquité et le tracé régulier des places publiques comportant pour certaines des églises dans les bastides du Moyen Age représentent la centralité du pouvoir politique et religieux, l’équilibre et l’ordre. La grille répond également à des fonctions hygiéniques et sanitaires. Ainsi dans l’Antiquité, les rues sont orientées suivant des données hygiéniques : 65 2. La trame de Vigny-Musset : un moyen pour recoudre les quartiers entre eux Figure 24 Le secteur sud de l’agglomération grenobloise avec les terrains disponibles pour la future ZAC Vigny-Musset Dans le cadre de la recherche, le quartier de Vigny-Musset à Grenoble est un des terrains d’étude qui correspond à la figure de la grille, à première vue, de par la forme de son plan d’urbanisme. Il s’agit ici de questionner cette figure : est-elle présente dans les 30 hectares du projet de ZAC ? Prolifère-t-elle ? Les concepteurs ont-ils employé le terme de « grille » ? Quels sont ses formes et ses applications ? Nous reviendrons dans un premier temps sur un aperçu historique afin de comprendre le contexte d’édification de ce quartier, avant d’analyser le projet d’urbanisme de Pierre Granveaud et Loïzos Savva, architectes en chef de la ZAC et d’observer sa mise en œuvre. 2.1. Une brève histoire du quartier Vigny-Musset La ZAC Vigny-Musset, dans le sud de Grenoble, a été réalisée entre 1997 et 2007. Des friches industrielles constituaient des terrains disponibles, qui permettent à la Ville d’amorcer une réflexion sur l’aménagement de 30 hectares, entre les faubourgs d’après guerre, situés au sud des grands boulevards, et les grands ensembles de la fin des années 1960 : le Village Olympique, construit entre 1964 et 1968 dans le cadre des jeux d’hiver, et la Villeneuve, mégastructure élaborée entre 1972 et 1976, sous la municipalité du socialiste Hubert Dubedout. 66 Source : Ville de Grenoble, document d’étude pour la ZAC En 1990, lorsque commencent les études, le contexte immobilier est fragile et l’établissement de nouveaux logements dans ce secteur fait douter de nombreux promoteurs. En effet, les appartements des quartiers alentours se vendaient très peu chers et proposer du logement neuf au même endroit constituait un défi à relever. « Quand nous commencions Vigny-Musset, on avait des appartements magnifiques à la Villeneuve, de toute beauté, avec des vues incroyables, qui se vendaient 2 000 francs le m². Nous ici, on comptait les vendre 6000… ! » (Loïzos Savva, Extrait du parcours à Vigny-Musset, du 17 juin 2010). Les études commencent en 1990, encouragées par Alain Carignon, maire de Grenoble, qui souhaite voir construire un quartier résidentiel, basé sur un tout autre modèle urbain que celui des décennies précédentes. La présence de l’université dans ce secteur est également prévue, afin de rompre avec l’isolement du campus de Saint-Martin-d’Hères et d’intégrer l’université dans la ville. Le programme comprend aussi la nécessité de prendre en compte un périmètre plus large que le site proposé et de proposer un urbanisme capable de fédérer les différents quartiers environnants entre eux, notamment en favorisant les liaisons avec la Villeneuve (à l’est) et le VO (au sud). La mixité entre les espaces sociaux et les espaces économiques est demandée. Le programme prévoit 1500 logements, dont 20 % de logements sociaux, 50 % d’accession à la propriété et 30 % du secteur libre. La maîtrise d’ouvrage déléguée à la ville est la SEM Sagès. La Ville de Grenoble lance un concours en 1991 pour une ZAC. Le jury est composé de la Ville et des associations de quartiers du VO, Villeneuve, Malherbe, Alliés et Alpins, dans un souci de concertation avec les quartiers environnants. L’organisation du concours s’est appuyée sur un colloque de deux jours à la maison de la Culture à Grenoble, qui réunissait les équipes sélectionnées à concourir, les programmateurs et les associations d’habitants. Le projet de l’équipe de Pierre Granveaud, architecte et urbaniste parisien, associé à Loïzos Savva architecte grenoblois de l’agence d’architecture Aktis, remporte le concours. « Nous avons fait basculer les habitants » explique Loïzos Savva, « le colloque (…) a créé une bonne ambiance de travail et une certaine émulation. A la suite de ce colloque, il nous a été communiqué une liste de personnes que l’on pouvait consulter pendant la phase de création. On était invité, en quelque sorte, à faire une pré-concertation. Dans cette liste, il y avait des acteurs politiques, économiques et des associations d’habitants qui étaient extrêmement soucieuses de savoir ce qui allait se passer ici ». Nous reviendrons précisément sur le projet plus loin. Vigny-Musset compte aujourd’hui plus de 2 500 logements, dont 24% en locatif social ; 40 logements étudiants ; 120 logements pour personnes âgées ou handicapées ; un groupe scolaire ; le pôle universitaire de la Cité des Territoires, des activités tertiaires et 5,5 hectares d’espaces verts et publics dont un jardin public d’un hectare. Le quartier est peuplé aujourd’hui de 5 400 habitants, alors qu’on en compte 5970 au VO. Les deux quartiers ont des structures en commun telle que la maison des Jeunes et de la Culture et le centre social Prémol. 2.3. Une trame pour relier des quartiers Le projet lauréat de Pierre Granveaud et Loïzos Savva se met en place dès 1997. Un des premiers objectifs, comme demandé dans le programme, est de relier trois quartiers du sud de l’agglomération : Vigny-Musset, Village Olympique et Villeneuve. Pour ce faire, les architectes choisissent l’outil de la grille, qu’ils appellent une trame, afin de se baser sur des tracés existants, et parfois même les prolonger, positionner l’université de manière centrale, et prévoir des prolongements au delà du périmètre de projet, en suggérant certaines démolitions de bâtiments existants. 67 68 Figure 25 Plan du projet de la ZAC de Vigny-Musset de Pierre Granveaud et Aktis architecture Source : site Internet Aktis architecture Au cours des entretiens avec Loïzos Savva et Pierre Granveaud, le terme de trame a été attribué au plan du quartier VignyMusset. « Ce n’est pas un maillage mais une trame (…) qui existe aussi sur le VO. C’est une composition orthogonale. Si tu ouvres le plan, tu le retrouves aussi sur la Villeneuve » explique Loïzos Savva, alors que Paul Durand ne semble pas approuver cette idée à propos de la Villeneuve : « Ce n’est quand même pas d’une lecture aisée sur la Villeneuve ». Si on observe le plan du secteur, on retrouve en effet des axes orthogonaux nord-sud, est-ouest, qui se prolongent au sud et à l’est. L’avenue Marie Reynoard, à l’origine organisée comme un grand axe de deux fois trois voies, est réduite à deux fois deux voies et réaménagée. Le programme encourageait à rendre cette avenue plus urbaine. Ce tracé est important à l’échelle de Grenoble puisqu’elle relie le nord au sud, en passant par la maison de la Culture et en se terminant à la gare. « Nous avons souhaité de lui enlever son caractère autoroutier » explique Loïzos Savva. Cette avenue marque la limite de la trame orthogonale à l’est. Elle constitue encore une limite avec le reste du territoire bien qu’elle soit coupée transversalement par d’autres tracés, nous le verrons plus loin. « On a décidé de mettre l’université, ce grand équipement institutionnel, à l’épicentre des trois quartiers. Nous avons tracé des cercles et nous l’avons mis là. Il faut dire que le programme était trois fois plus important que ça. C’était l’université 2000. Je ne sais pas combien, mais on attendait un nombre d’étudiant énorme ! (…) Nous voulions donner à l’université une face urbaine importante. » raconte Loïzos Savva. En effet, ce choix place l’établissement entre les quartiers, face à la zone d’activités des Peupliers et génère une activité quotidienne dynamique. La grille du projet cherche à se rattacher à des axes existants dans deux cas : le premier, au sud, concerne la rue Lachenal du village Olympique ; le deuxième, la rue Alfred de Musset jusqu’à la Villeneuve. Ces deux prolongements nécessitent des démolitions de bâtiments : une barre de logement social dans le cas du VO et une montée, le « 50 » à la Villeneuve, ainsi qu’un parking silo. Au VO, la volonté était d’obtenir une continuité entre la rueparc, l’allée des Romantiques, avec la rue piétonne du grand ensemble : « Cette rue parc, qui est de la même dimension que les autres rues des axes nord-sud du quartier, (…) est réduite au maximum. Il n’y a pas beaucoup de stationnements. Les arbres sont plantés sans alignement. La rue est singulière. Elle fut dessinée dans le prolongement de la rue Lachenal du Village Olympique. Dans notre projet, il y avait la démolition de ce bâtiment que l’on reconstruisait ici. Là, on s’est heurté à une opposition des habitants, une opposition de principe qui nous a beaucoup chagrinés. Le débouché de cette rue aurait eu une autre signification. Mais, on peut aussi comprendre le sentiment des habitants. L’Opac était d’accord, les Maires successifs aussi, mais pas les habitants. Ils ont fait de la résistance » (Loïzos Savva, Extrait du parcours à Vigny-Musset, du 17 juin 2010). Figure 26 Allée des Romantiques : la Rueparc Source : photographie 2010, C. Bonnot A la Villeneuve, il semble qu’aujourd’hui la Ville ait décidé la destruction du n°50 de la barre de l’Arlequin. Paul Durand, urbaniste à la Ville, en précise l’intérêt : « Cela doit être confirmé prochainement, dans le but d’ouvrir le parc de la Villeneuve sur le quartier. Le but est aussi de renforcer les polarités inter-quartiers avec tout ce qui va se passer dans le secteur des Peupliers avec la création d’un espace public majeur. Dans le cadre des démolitions, il y a ici une histoire intéressante ». Ces prolongements, projetés ou bientôt réalisés, montrent la capacité du maillage a proliféré. 2.2. Un maillage d’îlots La trame du projet forme un maillage rationnel composé d’îlots carrés ou rectangulaires. 69 La municipalité d’Alain Carignon a insisté maintes fois sur la volonté de favoriser une forme urbaine contraire à celle du VO et de la Villeneuve. Dans un communiqué de 2006, le maire revient sur ce qui a l’époque avait guidé ses choix lors du concours, il souhaitait « un quartier qui ressemble à la ville, avec des angles droits, des croisements à portée de pas, (…) des immeubles à taille humaine, (…) une limite précise entre le domaine privé et le domaine public, (…) des rues où chacun a son domaine voiture, piétons, cyclistes - ne permettant pas de rouler vite, ce qui a donné des voiries étroites et un aménagement spécifique avec des trottoirs larges et arborés…»(Alain Carignon, pod-cast n°2, 17 février 2006). Le plan du quartier est composé d’îlots de 70 x 70 mètres ou de 70 x 110 mètres (ressemblants à ceux d’Echirolles qui font 80 x 80 mètres). Les architectes défendent un retour à l’îlot, en opposition à la forme des grands ensembles environnants, et qui permet la définition des espaces publics et privés. Pierre Granveaud raconte qu’une visite de la Villeneuve, l’observation des nombreux espaces « libres », « vacants », et souvent laissés à l’abandon, les a confortés dans leur choix. Les îlots de Vigny-Musset ne sont pas accessibles au public, donc pas traversables. Ils sont clôturés par de hautes grilles et sont ornés d’espaces verts seulement accessibles aux habitants de l’îlot. Un des éléments de programme concernait un parc public de 5 hectares, que les études préalables de la Ville plaçaient au sud du site, entre la nouvelle ZAC et le VO. 70 Figure 27 Etude préalable pour l’établissement de la ZAC Vigny-Musset Source : document, archives de la Ville de Grenoble Les lauréats du concours ont déplacé et contourné le programme en proposant de distribuer les espaces verts à un maximum d’habitants – les cœurs verts des îlots – plutôt que d’aménager un nouveau parc, celui de la Villeneuve, le parc Jean Verlhac, étant déjà d’une superficie immense et à terme, devrait être visible depuis l’avenue Marie Reynoard. « Cela permettait aussi de ne pas faire des privilégiés qui auraient eu la vue sur le parc depuis leur logement, mais plutôt d’envisager une multitude de petits jardins », explique Loïzos Savva. Chaque cœur d’îlot accueillerait donc un parc, élaboré sur un thème (paysage, jardin d’agrément, jardin japonais) et pensé par un paysagiste. Les espèces sont choisies, comme dans l’allée des Romantiques où les bouleaux, fougères et bruyères cohabitent et restent feuillues au fil des saisons. Ces cœurs d’îlots offre une qualité aux logements, bien qu’ils soient souvent réglementés, interdisant notamment les jeux de ballons ou les jeux d’enfants, trop bruyants ! « Dans le quartier, les logements sont tous banalisés face aux espaces verts car ces derniers sont essaimés un peu de partout. Et, du coup, le parc s’est réduit à même pas un hectare et il a été disposé de manière à créer un campus » (Loïzos Savva, Extrait du parcours à Vigny-Musset, du 17 juin 2010). En effet, le parc prévu a été réduit à deux îlots, aménagé en terrasses et proposant une aire de jeux pour enfants au sud. Le cahier des charges au niveau architectural a été rédigé de façon à homogénéiser les îlots. Les préconisations concernent : le cœur des îlots qui devaient correspondre à des espaces privés, aménagés en jardin ; la transparence des halls d’entrée, leur surface (60 m2 en moyenne) et leur fermeture ; deux niveaux de sous-sol avec un accès par des rampes intégrées aux bâtiments, fermées mais permettant la transparence ; le travail des sols et des bordures en pied d’immeuble (matériaux, végétaux). Dans le quartier Vigny-Musset, la grille organise le territoire. Les interviewés parlent d’îlots fermés, de carrés et de rectangles réguliers, de trames mais n’utilisent pas le terme de grille. Nous l’avons vu, la trame se déforme au contact d’autres tissus environnants, notamment celui du grand ensemble du Village Olympique et de la mégastructure de la Villeneuve et tend surtout à les pénétrer. La trame prolifère également, au niveau des anciens Renault, l’actuelle ZAC Flaubert. Figure 28 Le parc de la ZAC Source : photographie 2010, C. Bonnot 71 3. Le « maillage opportuniste » du centreville d’Echirolles Avant même de répondre aux questions de la recherche, c’est-à-dire à est-ce que le centre-ville d’Echirolles est une grille ?, est-ce que le centre-ville d’Echirolles a la capacité d’organiser le territoire ? et est-ce que les projets en cours se saisissent de cette figure ?, il convient de présenter brièvement l’histoire de ce projet devenu réalité. l’implantation d’activités du secteur tertiaire. La proximité avec la ville centre Grenoble, le projet de la 3ème ligne de tramway et le développement du pôle d’activités de Galaxie Sud sont autant d’atouts pour la mise en œuvre de ce projet de centre-ville. Figure 29 Echirolles et son centre-ville dans l’agglomération grenobloise 3.1. Une brève histoire du projet centre-ville d’Echirolles La commune d’Echirolles qui est dès les années 1975 la plus importante des communes périphériques de l’agglomération grenobloise (34 000 habitants pour une agglomération de 400 000 habitants en 1990) est composée de quartiers d’habitat public social (Village II, La Villeneuve, La Luire) et d’habitat privé collectif (Jean Jaurès) et individuel (La commanderie, Le Mas Fleuri) et d’un quartier jouant le rôle de centre (Le Village). Après une urbanisation rapide où les équipements les plus indispensables ont été réalisés, elle est confrontée au problème de l’organisation et de l’amélioration de son urbanisation. Pour cela, elle doit terminer l’urbanisation de son territoire, requalifier le tissu urbain dans le sud de l’agglomération fortement marqué par le logement social car il a accueilli entre 1965 et 1975 une ZUP et les quartiers du Village Olympique, de la Villeneuve de Grenoble et d’Echirolles, et se doter d’une identité spécifique. Le projet du centre-ville d’Echirolles qui date des années 1975 vise à créer un centre à la mesure de l’importance de la ville et permettre le développement d’un pôle d’animation urbaine et 72 Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 8 Pour réaliser ce projet, la Ville d’Echirolles engage les premières études préalables dès 1975. Mais la mauvaise situation financière de la commune due au déficit généré par l’opération de logements sociaux à La Villeneuve pousse la commune à donner la priorité à l’implantation de nouvelles activités économiques pour accroître ses ressources et à développer l’espace Comboire destiné à accueillir des commerces et un parc technologique, au détriment du centre-ville. La commune laisse traîner le projet du centre-ville, engage des réalisations ponctuelles (le centre culturelle de La Rampe, un lycée), et ce n’est que vingt ans après, dès le milieu des années 1990, que les premières constructions sortent de terre. Figure 30 Commune d’Echirolles et ses quartiers Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 10 Le fait d’avoir « laisser traîner » le projet a été une opportunité pour la commune qui a pu ainsi prendre le temps pour mûrir son projet. Les élus et les techniciens ont remis en cause tout d’abord les conclusions des premières études réalisées par l’agence d’urbanisme et la société d’aménagement du département de l’Isère, puis progressivement les outils traditionnels utilisés en matière d’urbanisme opérationnel, pour finalement développer une démarche de projet urbain. de logement (accession à la propriété, locatif social) et souhaite faire de ce centre un quartier d’habitat comme les autres, et si possible vert comme les nouveaux quartiers en construction dans l’agglomération. Lorsque la municipalité remet en cause les conclusions des premières études, elle n’a que des représentations vagues de ce que pourrait être un futur centreville d’une commune de banlieue : elle est favorable à une mixité des statuts Aussi, en 1987, les responsables du service d’urbanisme, poussent les élus à préciser leurs représentations et leurs demandent de relancer des études et de mettre en place une démarche de concertation. 73 Entre 1987 et 1989, deux urbanistes Pour réaliser ce les projet, la Ville conseils choisisengage par la ville chargés d’Echirolles les sont premières de mettre en place la études préalables dèsconcertation 1975. Maisavec la les habitantssituation et les acteurs économiques mauvaise financière de la locaux. Cette concertation, d’abord commune due au déficit généré par classique, avec la réalisation l’opération de logements sociaux d’une à La enquête parpousse l’agence d’urbanisme auprès Villeneuve la commune à donner d’un millieràde personnes pour recueillir la priorité l’implantation de nouvelles leurs attentes à l’égard du futuraccroître centreactivités économiques pour ville,ressources de débatsetpublics, se poursuit par ses à développer l’espace la mise en place d’ateliers thématiques, Comboire destiné à accueillir des associant élus, techniciens et habitants. commerces et un parc technologique, au Les propositions formulées lors de détriment du centre-ville. La commune cette traîner concertation sontdu synthétisées laisse le projet centre-ville, pour servir matériaux quant à la engage des deréalisations ponctuelles programmation du futur (le centre culturelle de centre-ville. La Rampe, un lycée), et ce n’est que vingt ans après, « Il le y amilieu pas eu consultations ni les de dès desde années 1990, que mise en concurrence la ville était premières constructionscar sortent de terre. dans une phase de renouveau. C’était l’idée construire untraîner centre» ville. Il y Le fait de d’avoir « laisser le projet eu un débat à ce moment là, il y aa été unegros opportunité pour la commune avait une grande volonté de lepour fairemûrir avec qui a pu ainsi prendre le temps la population. Il y élus a eu et de les la concertation son projet. Les techniciens avantremis mêmeen les cause premiers dessins. ont tout d’abord les conclusions des premières études Et du coup, momentd’urbanisme où il a fallu et faire réalisées paraul’agence la un projet, c’était la modedu desdépartement concours ou société d’aménagement des grandes urbaines avec de l’Isère, concertations puis progressivement les de grands architectes, le choix la ville outils traditionnels utilisés endematière d’Echirolles était de dire que non, on ne d’urbanisme opérationnel, pour pouvait pasdévelopper faire ça, carune travaillant avec finalement démarche de les habitants projet urbain.depuis des années, il fallait donc que nous co-construisions le projet avec eux.laLamunicipalité forme, à l’époque, Lorsque remetelle en n’était cause pas conclusions encore décidée, il y avait cette les des mais premières études, idée n’a de que consulter les habitants le plus elle des représentations vagues largement possible,être toutunen travaillant de ce que pourrait futur centreavec d’une cette équipe « Combaz – Sauvage » ville commune de banlieue : elle qui favorable avait été àmissionnée est une mixitépour des assister statuts la ville à la concertation.» du de logement (accession à la(Extrait propriété, parcourssocial) Echirolles Centre faire du 15dejuin locatif et souhaite ce 2010). un quartier d’habitat comme les centre autres, et si possible vert comme les nouveaux quartiers en construction dans l’agglomération. Aussi, en 1987, les responsables du 74 Au cours du projet, un dispositif organisationnel se dessine pour conduire les études, encadrer la concertation et suivre les réalisations. Il comporte trois « dispositifs-gigognes » qui associent des acteurs différents : - une équipe de maîtrise d’œuvre urbaine ou équipe technique centre-ville, composée d’acteurs professionnels, à savoir le service d’urbanisme de la ville et deux urbanistes-conseils. D’autres professionnels (des autres services municipaux, prestataires de services extérieurs comme l’agence d’urbanisme, le cabinet TEN RhôneAlpes, la CCI, le cabinet Territoires 38, bureaux d’études en VRD) sont, en fonction des besoins, associés. Cette équipe, qui se réunit hebdomadairement, tranche sur les questions relatives aux programmes de construction. - une équipe de maîtrise d’ouvrage urbaine, composée de l’équipe technique et des élus chargés de l’économie, des travaux, de l’urbanisme et des finances. Elle valide les décisions prises par les techniciens. - et un groupe de pilotage, qui comprend l’équipe technique, la maîtrise d’ouvrage et d’autres élus dont le maire. Il se réunit quatre à cinq fois par an et se prononce sur les objectifs généraux du projet urbain (plan de composition urbaine, schéma de définition des espaces publics, programmation, ZAC). Au sein de ce dispositif, si les techniciens proposent et tranchent sur des questions de contenu relatives aux programmes, ce sont les élus, et en particulier le conseil municipal, instance habilitée à décider lorsque la responsabilité de la commune est engagée, qui délibèrent sur les projets et les actions ayant fait l’objet de nombreux allers et retours. Figures 31 Echirolles. Centre-ville. 31a) Schéma de structure, 3.2. Le centre-ville d’Echirolles, un «maillage opportuniste» plutôt qu’une grille A l’issue de la concertation, quelques idées et concepts sont mobilisés par les deux urbanistes conseils pour formuler un schéma de structure. Ce dernier fixe le projet urbain du centre-ville, c’està-dire les règles de constructibilité des sols à partir d’un tracé de l’espace public lisible, qui soit simple et hiérarchisé. Ce schéma de structure est fondé sur quatre principes : - la constitution de l’avenue du 8 mai 1954 comme véritable épine dorsale du centre-ville, car lisible et accessible. Son gabarit de 40 mètres permet d’accueillir deux chaussées, un site propre pour le tramway, des stationnements, des trottoirs, des plantations et du mobilier urbain. Un front bâti continu doit être réalisé à l’alignement du domaine public ; 31b) Avenue - tous les espaces et équipements majeurs du centre-ville devant être reliés directement à cet axe fédérateur. Ce principe favorise un maillage viaire venant croiser l’avenue, la constitution d’une place transversale et la mise en place de parvis favorisant l’adressage des équipements sur cet axe ; - les fonctions porteuses d’animation urbaine étant réunies autour d’une vaste place transversale (80 x 200 mètres), composée sur ces quatre façades d’une architecture urbaine d’alignement ; - et une maille régulière de voirie ordinaire (gabarit 25 mètres) permettant un découpage au sol en îlots carrés de 80 x 80 mètres. Sources : M. Combaz, Y. Sauvage. Echirolles. Centre-ville. Schéma de structure. Echirolles, 1991. Centre-ville. Etudes complémentaires. Echirolles, 1989 75 31c) Place Ce schéma de structure comprend à la fois des documents prescriptifs et des simulations d’aménagement : - un schéma de définition des espaces publics qui fixe leur tracé et en définit le gabarit, - les règles de constitution des îlots (implantation à l’alignement ou en retrait, si l’alignement est matérialisé par une clôture ou plantation, continuité ou discontinuité), - une analyse de la capacité des îlots à accueillir des typologies architecturales diverses, - une simulation des programmes de logements ou d’activités possibles sur les différents îlots, - et la localisation des principales fonctions de centralité (commerces, services, équipements publics). 76 Ce schéma définit de manière stricte le tracé des espaces publics comme les règles de leur constitution. Il fixe les principes de découpage des sols et de constitution des îlots. Mais, il reste très souple tant en ce qui concerne l’architecture des constructions que les éléments de programmation. Il permet d’accueillir différents types de programmes immobiliers tant de logements que d’activités économiques. Dès le début des réflexions sur le projet du centre-ville d’Echirolles, la forme urbaine en maille régulière, avec des îlots carrés de même dimension suggère une référence à la figure de la grille. Les îlots sont des îlots ouverts autour desquels on circule, qui pour certains accueillent en leur sein des équipements, pour d’autres des logements et des espaces verts privés. Le stationnement se fait sur les voiries qui les bordent ou en soussols de certains immeubles. Dans les îlots qui bordent des axes importants de circulation comme l’avenue du 8 Mai 1945, des commerces sont implantés en rez-de-chaussée. Mais l’un des deux urbanistes conseils, récemment interviewé, explique que dès le départ du projet, ils n’ont pas parlé de grille. Ils ont utilisé les termes de matrice, de maille ou de « maillage opportuniste » de la ville pour mettre l’accent sur l’idée de connexion plutôt que sur celle de régularité : « la matrice elle est là (…) un système de maillage viaire (…) la matrice de la place (…) une maille (…) un système de maillage… qui se recoupe de façon opportuniste… Maillage c’est connexion. La grille renvoie à la régularité.» (Extraits du parcours Echirolles Centre du 15 juin 2010) La matrice du projet est définie en partant de l’avenue du 8 mai 1945. D’abord régulière, car composée d’îlots carrés et d’un maillage viaire rectangulaire, la matrice devient irrégulière puisque les îlots n’ont pas tous la même taille et que le maillage viaire se déforme en s’éloignant de l’avenue du 8 mai 1945 et en allant vers l’est de la ville. Figure 32 Principe d’organisation du centre-ville d’Echirolles une grille mais un système de maillage qui vient chercher cette avenue et qui se recoupe de façon opportuniste pour découper des îlots. C’est vrai que l’on a beaucoup travaillé sur le 80/80, (…) mais on n’en a aucun de régulier.» (Extrait du parcours Echirolles Centre du 15 juin 2010). Figure 33 Esquisse de composition générale Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 69 Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 25 Pour ces urbanistes conseils, ce maillage « opportuniste » qui se traduit par du « lotissement urbain » a vocation à mettre de l’ordre et à accueillir toutes sortes d’éléments. « Après, ça n’est pas un urbanisme de grille (…), ce n’est pas une théorie de la ville régulière. Il y avait une régularité cherchée sur mai 1945, car il y avait un tel chaos qu’il fallait produire un ordre lisible et ensuite faire une avenue de cette importance avec une seule rive aménageable car le lycée était déjà en place. Ça n’est pas facile, on a donné un grand ordre avec un cahier des charges très précis pour les systèmes d’angles par exemple, qui finalement se perçoivent peu mais qui favorisent une diversité architecturale. On n’a pas vraiment « Nécessité de mettre un peu d’ordre dans un endroit qui en manquait : notion de lotissement urbain. C’est-à-dire un découpage du sol entre privé et public puis un redécoupage de l’espace privé. Il y a ensuite des lots. Les lots sont des lots îlots. Cette indépendance totale, comment dire, que l’on défendait ne c’est pas fait. Les évolutions se sont fait lots par lots. On retrouve des éléments communs. Les jardins sont collectivisés. On a beaucoup employé le terme de lotissement urbain. (…) Notre point d’ancrage était programmatif. Du 77 fait que l’on n’avait pas d’élément de programme : quelques mètres carré d’université et peut être un hôtel de ville, je dis bien peut être. L’objectif est que dans la taille, nous avons testé du supermarché à la salle de spectacles. On a testé la capacité des îlots. Cela était assez efficace. On a jamais bougé l’espace public et sont venus, là dedans, un multiplex, non prévu, une très grosse clinique… . On était plus programme (…)» (Extrait du séminaire à la Bastille du 28 juin 2010). L’espace du futur centre-ville d’Echirolles n’étant pasLesvierge, cette matrice doit Figure 34 équipements d’Echirolles d’abord intégrer les équipements préexistants au projet du centre-ville préexistants au projet de centre-ville (équipement culturel de La Rampe, le lycée…) et les quelques logements collectifs et individuels présents sur le territoire du projet. 78 L’espace du futur centre-ville d’Echirolles n’étant pas vierge, cette matrice doit d’abord intégrer les équipements préexistants au projet de centre-ville (équipement culturel de La Rampe, le lycée…) et les quelques logements collectifs et individuels présents sur le territoire du projet. Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 17 Figure 35 Morphologie du bâti préexistant au projet du centre-ville Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 20 Puis, ce maillage doit également accueillir le futur programme de logements, d’équipements, d’espaces publics du projet. « L’idée d’une matrice qui était plutôt prête à accueillir des programmes avec une grosse capacité d’adaptabilité mais avec des éléments invariants classiques, le lotissement urbain avec un espace public inaliénable, avec aucune négociation sur des redimensionnements d’îlots et ça c’est ce qui a fait tenir le projet. Il n’y avait pas de contenus dans le programme initial, mais nous avons pu prendre de vrais risques. » (Extrait du parcours Echirolles Centre du 15 juin 2010). 3.3. Le «maillage opportuniste», une volonté et une capacité à organiser le reste de la ville Les urbanistes conseils disent volontiers s’inspirer de la figure de la grille utilisée par Cerda à Barcelone ou de celle mobilisée pour urbaniser New York. Mais ils disent en même temps qu’ils s’en éloignent, cette figure leur paraissant trop rigide, trop régulière. « Après est ce que c’est une grille ? Heu, partiellement quand même je dirais. Là encore au sens de quelque chose qui installe un principe de prise de position. Les terrains étaient disponibles sur Echirolles, depuis très longtemps, une cinquantaine d’hectares. Ça permettait d’en prendre la mesure, de définir un certain nombre de principes, d’échelle, d’éléments. Partiellement oui, dans la mesure ou à un moment où la grille crée 113 ou 117 à Barcelone. Nous, elle fait 80, non, 102 si on parle de la grille strictement, des axes de composition. 80 par 80 pour les îlots. C’est un peu plus de 6000 m². Ce qui se dimensionne avec des idées d’un projet urbain possible avec toutes les souplesses et substituvité. C’est une des grandes leçons de Barcelone. Pourquoi 80 par 80. C’est les éléments en place qui le détermine. Nous, c’est des éléments en place, très présents, importants. Ils relèvent, à la foi, d’une idée générique, d’un modèle et aussi des éléments mis en place.» (Extrait du séminaire à la Bastille du 28 juin 2010). Formés dans différentes écoles d’architecture, ils évoquent la référence à la ville régulière de Malverti, la référence à l’îlot de Panerai, Devillers et de Huet, celle de la ville historique de Rossi, les influences de l’Ecole de Versailles, ainsi que de la géographie française de Lavedan. Ils disent également s’être inspiré d’un texte produit à l’époque du projet du centre-ville, le texte de Tabouret et Beret de l’AURG, « Maille à l’endroit et à l’envers ». 79 Pour eux, la figure de la grille peut être étendue au reste du territoire échirollois. « Nous, nous avons pris comme modèle une extension possible. Ne pas faire un super quartier. L’idée était de créer un élément à partir du quel va se rajouter d’autres couches sur d’autres points de la ville. Elle est définie comme dispositif. Là, c’est la grille, dans cette temporalité. Dans le dossier d’origine, il y a l’idée de recouvrir la rocade. Ça a été repris dans le PLU. La maille est là pour aller chercher le nord. » (Extrait du séminaire à la Bastille du 28 juin 2010). Figures 36 Adaptation des îlots en limites Ouest et Est Mais cette extension n’est possible que à la condition de pouvoir déformer et adapter le maillage et l’îlot à ce qui existe déjà et aux futurs programmes de construction. « Donc voila, les petites maisons Poloti, c’est cette diagonale làbas, qui nous on fait déformer la grille. » (Extrait du parcours Echirolles Centre du 15 juin 2010). Le maillage doit donc être souple pour pouvoir créer de la continuité avec les axes existants. « Il y avait deux dessins importants (…). Y’a le dessin théorique ou tout est régulier, ou ça vient s’estomper, ou l’on ne montre pas les raccords avec l’existant. Puis, on retrouve le vrai dessin de projet urbain, qui partant de ça n’a gardé cette structure fixe que sur mai 1945 et la place centrale et qui ensuite est venu chercher des vrais solutions de jonctions, de continuités avec les rues existantes. » (Extrait du parcours Echirolles Centre du 15 juin 2010). 80   Source : Centre-ville d’Echirolles. Etude d’impact. Grenoble, AURG, 1993, p. 73 et p. 75 Le maillage opportuniste de ce centre-ville ressemble à une forme de « bricolage » entre des références théoriques et des contingences locales, qui a pour vocation à organiser le reste de la ville, voire la périphérie sud de l’agglomération grenobloise. 4. Le projet en cours de NOVASUD21, une mobilisation de la référence «maillage opportuniste» A la question est-ce que des projets en cours dans la périphérie sud grenobloise se saisissent de cette figure, il semblerait que l’on puisse répondre par l’affirmative. Depuis 2008, dans le sud de l’agglomération grenobloise, à la demande des communes d’Eybens et d’Echirolles, un projet urbain est en cours de réflexion : NOVASUD21 (projet Novateur, Solidarité Urbaine et Durable au 21ème siècle). Ce projet vise à constituer la « Ville Sud » et à répondre au projet d’agglomération acte II qui s’oriente aujourd’hui vers une agglomération tripolaire avec connexions entre les trois pôles, situés chacun à l’entrée d’une trois vallées qui structurent morphologiquement le territoire grenoblois en Y. architectes conseils, de deux bureaux d’études spécialisés en déplacements et infrastructures, et de trois experts spécialisés en programmation, en stratégies urbaines et en communication, montrent qu’il y a deux types de centralité dans le sud : - des centralités linéaires le long des deux axes historiques, Lesdiguières et Jean Perrot, qui fonctionnent de manière autonome. - des centralités polaires, parfois mixtes (centres villes), mais souvent thématisées : commerces, équipements, activités économiques d’un certain type (médical). Figure 38 Centralités dans le sud de l’agglomération Figure 37 Polarités à l’échelle de l’agglomération grenobloise Source : SUD. Dossier de synthèse. Analyses/ Enjeux /Scénarios /Stratégies /hypothèses d’aménagement. Grenoble, 2008 Source : SUD. Dossier de synthèse. Analyses/ Enjeux /Scénarios /Stratégies /hypothèses d’aménagement. Grenoble, 2008 Les analyses qui ont été menées par l’équipe d’experts chargée de penser ce projet, composée de trois Toutefois, il n’y a pas de lien entre ces centralités ou de polarité structurante à l’échelle de l’agglomération. En effet, à l’exception de l’Espace Comboire, situé entre le Drac et l’autoroute A 48, les pôles de centralités sont tous implantés sur des systèmes linéaires et ont pour autre particularité de se situer de part et d’autre d’une voie rapide, la Rocade Sud. Ces centralités souffrent donc d’une grande discontinuité. 81 Le projet NOVASUD souhaite développer un pôle suffisamment fort pour fédérer l’ensemble de ces centralités. Ce pôle Sud, pour faire face aux grands espaces polarisés du Nord de l’agglomération (Polygone scientifique, CHU, Campus, ZIRST) viserait plutôt la mixité urbaine, l’intensité (vie sociale, vie culturelle, vie économique ), la qualité des espaces publics (continuité), la densité de commerces et services qui caractérisent la ville traditionnelle, tout en valorisant certaines caractéristiques de la ville moderne présentes dans le sud (interdéfinition des espaces libres privés et publics ; qualité résidentielle des ensembles d’habitat ; autonomie typologique des édifices…). Figure 39 La Gare d’Echirolles au cœur d’un vaste quadrilatère concentrant diverses fonctions espaces libres à dominante végétale (trame verte reliant parcs et espaces naturels), en rapportant une couche d’urbanisation dense et en restructurant une maillage viaire et parcellaire génératrice de renouvellement urbain. La Gare d’Echirolles, qui devient le centre de ce pôle, est dans sa composition urbaine maillée et densifiée. Une structure rectangulaire composée d’axes et d’îlots pouvant accueillir des équipements, des activités et des logements présents et nouveaux est créée. Les axes de circulation et les espaces publics sont reliés à ceux du centre-ville d’Echirolles. La Rocade est recouverte à cet endroit, créant une opportunité unique d’aménagement durable (économie foncière, réduction des nuisances, mixité urbaine), le tout adossé à une intermodalité exceptionnelle. Figures 40 Développement du maillage 40 a) Développement du maillage viaire Source : SUD. Dossier de synthèse. Analyses/ Enjeux /Scénarios /Stratégies /hypothèses d’aménagement. Grenoble, 2008 Ce projet propose de faire à la fois la Ville Sud et son centre, en intégrant pleinement à l’organisation urbaine les équipements et les commerces autrefois pensés comme « périphériques », en développant une ossature d’espaces publics, en créant une continuité des 82 Source : SUD. Dossier de synthèse. Analyses/ Enjeux /Scénarios /Stratégies /hypothèses d’aménagement. Grenoble, 2008 40 b) Développement du maillage modes doux Ce projet, à bien des égards, mobilise la référence du « maillage opportuniste » développée dans le centre-ville d’Echirolles et indirectement la figure de la grille. Là encore, il s’agit de mettre de l’ordre dans les tissus urbains très disparates, de les mettre en lien, de créer un maillage à l’image de celui du centreville d’Echirolles ou du quartier VignyMusset à Grenoble. Figure 41 Projet futur de la Gare d’Echirolles comme centralité La présence d’un des deux urbanistes conseils du centre-ville d’Echirolles dans l’équipe d’experts explique peut-être que ce projet reprenne en partie la référence du « maillage opportuniste » pour donner de la cohérence aux territoires du sud de l’agglomération grenobloise. Source : Plan élaboré par l’équipe d’experts, en charge du projet NOVASUD, Grenoble, 2008. 83 Bibliographie La grille BENEVOLO Leonardo, Histoire de la ville, Marseille, Editions Parenthèses, 2004. CERDA Idelfonso présenté et adapté par, ABERASTURI Antonio Lopez, La théorie générale de l’urbanisation, Paris, Les Editions de l’Imprimeur, collection Tranches de Villes, 2005. CHEDAL-ANGLAY Patrick, SAUVAGE Yves, Les typologies et la règle d’urbanisme, Grenoble, ENSAG, 2002. COSTE Michel et DE ROUX Antoine. Bastides. Villes neuves médiévales, Villefranche de Rouerge, ed. Desclée de Brouwer, collec. Rempart, 2007. DIVORNE Françoise, GENDRE Bernard, LAVERGNE Bruno et PANERAI, Philippe. Les bastides d’Aquitaine, du Bas-Languedoc et du Béarn. Essai sur la régularité. Bruxelles, AAM éditions, 1987. KOOLHAAS Rem, New York Delire, Marseille, Editions Parenthèses, 2003. LE CORBUSIER, La Charte d’Athènes, Paris, Seuil, Points, 1957. LIPSKY Florence, San Francisco. La grille sur les collines. Marseille, Editions Parenthèses, 1999. MAUMI Catherine, Grille, ville et territoire, aux Etats-Unis : un quadrillage de l’espace pour une pensée spécifique de la ville et de son territoire. Volume I, Thèse de doctorat en Etudes urbaines, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 2001. NICOLOSO Paolo, Le VIIe Ciam de Bergam dans Rencontres de la fondation Le Corbusier, L’Italie de Le Corbusier, Paris, Editions de la Villette, 2010. 84 PANERAI Philippe, CASTEX Jean, DEPAULE JeanCharles. Formes urbaines, de l’îlot à la barre. Marseille, Editions Parenthèses, 1997. POETE Marcel, Introduction à l’urbanisme. L’évolution des villes. La leçon de l’histoire. L’Antiquité. Paris, édition Anthropos, 1967. Le quartier de Vigny-Musset à Grenoble CCAS. Rapport des centres sociaux de la ville de Grenoble : centre social Prémol. Grenoble, Ville de Grenoble, 2009. CARIGNON Alain, pod-cast n°2, 17 février 2006, www.alaincarignon.blogs.com VILLE DE GRENOBLE. Etude préalable pour la ZAC de Vigny Musset. Grenoble, 1990. PARENT Jean-François, DUBEDOUT, Hubert, Grenoble, deux siècles d’urbanisation. Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1982. Le centre-ville d’Echirolles AURG, Centre-ville d’Echirolles. Etude d’impact. Grenoble, 1993. GUILLOT, Béatrice, Le nouveau centre ville d’Echirolles : un projet urbain confronté aux représentations des habitants. Grenoble, IUG, mémoire d’IUP Aménagement et Développement Territorial, 2006. NOVARINA, Gilles et DELACOURT, Laurent, Le projet d’urbanisme. Du concept aux réalisations. Paris, CRESSON, PIR Villes, action concertée « Architecture à Grande Echelle », 1999. SUD. Dossier de synthèse. Analyses/ Enjeux /Scénarios /Stratégies /hypothèses d’aménagement. Grenoble, 2008. 85 86 Chapitre 3 La Rocade Sud, une ville linéaire en gestation Natacha Seigneuret et Gilles Novarina Introduction Quelles sont les relations entre Rocade Sud et ville linéaire ? pour séparer ville-centre et banlieues. Le caractère principalement routier est délibérément écarté, la Rocade Sud ne joue plus un rôle de voie de transit pour éviter la ville, elle offre aux habitants comme aux territoriants la possibilité de disposer d’un nouvel espace de distribution et de mise en contact entre ville-centre et banlieue dans la perspective d’une agglomération grenobloise homogène. Figures 1 : Rocade Sud, Agglomération de Grenoble Mobiliser la figure de la ville linéaire nous permet de questionner le rôle des infrastructures routières dans la planification territoriale moderne. Les axes de mobilités sont support de nombreuses utopies, ils représentent une forme dynamique, propre en conséquence à porter le progrès, la vitesse, la richesse d’un territoire. Dans la planification territoriale contemporaine, le rôle des axes de mobilité se transforme, ils conservent leurs qualités originelles, mais ils acquièrent des qualités nouvelles. Ils deviennent éléments de distribution, de liaisons et ils s’offrent comme agrégateurs des espaces périphériques diffus et ségrégués. Ils acquièrent ainsi une capacité à participer à la structuration d’un territoire. Couverture partielle et continuité bâtie, transformation en parkway intégrée dans un maillage végétal, intégration dans un système de mobilités multimodales… Dans le sud de l’agglomération grenobloise, les projets contemporains s’attachent tous à donner une nouvelle définition à la Rocade Sud. Ils cherchent tous à supprimer la prédisposition originelle de cet axe comme limite à l’urbanisation et comme espace tampon Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble, IUG, 2009-2010. 87 1. La ville linéaire, une figure adaptée pour lire le Sud de l’agglomération ? Les relations entre infrastructure routière et urbanisation sont anciennes. Il serait arbitraire « d’affirmer que la conception des réseaux de transport dans leurs relations aux fonctions urbaines ne voit le jour que dans la seconde partie du XIXème siècle. » (Wachter, 2003, p13). Virgilio Vercelloni, dans son ouvrage sur la cité idéale en Occident, présentent de nombreux exemples antérieurs et les illustre remarquablement. Certains paraissent extraordinaires et presque anachroniques, lorsque nous les comparons à des projets dessinés quelques siècles plus tard. Il en va ainsi des esquisses de Léonard de Vinci au XVème siècle « parce qu’elles renferment une invention véritable, l’idée d’une rénovation radicale de la structure des déplacements dans la ville contemporaine » (Vercelloni, 1994, p43), lorsqu’on les compare aux grands travaux hygiénistes de Londres ou Paris. Il en va aussi du dessin de la Strada Nuova projetée au XVIème siècle à Gènes qui constitue une cité idéale personnelle, longuement pensée et finalement édifiée afin de permettre à la noblesse de montrer sa richesse économique par l’édification de magnifiques palais le long d’un axe majeur de la ville, à l’instar de la mise en scène projetée pour Chicago, par le City Beautiful Movement à la fin du XIXème siècle. Néanmoins, à partir de la fin du XIXème siècle, se développent les utopies qui mettent en relation mobilité et morphologie urbaine et donnent naissance à des projets qui sont réalisés, 88 pour les plus emblématiques d’une nouvelle modernité, à Barcelone par Ildefonso Cerdà et à Paris par Haussmann et Alphand. Cette période historique, identifiée par Christian de Portzamparc et Olivier Mongin, comme le premier âge de la ville, correspond ainsi à l’apparition de l’urbanisme dans une société bourgeoise en cours d’affirmation. Au sein de cette concentration généreuse d’utopies, nous avons choisi de retenir la ville linéaire, comme expression remarquable de la relation entre réseau de transport et morphologie urbaine. La rue comme lieu des différents modes de déplacements Figure 2 : Milan, Léonard de Vinci, XVème siècle Figure 3 : Londres, XIXème siècle La rue comme lieu de représentation construite de son statut social Figure 4 : Gènes, Strada Nuova, XVIème siècle populations ouvrières dans une société en cours d’industrialisation. La densité de la ville et l’obsolescence des réseaux de transport sont alors dénoncées et le rejet de la ville ancienne est l’élément commun des théoriciens qui recherchent à intégrer les apports du monde industriel et à articuler réseaux viaires et formes urbaines. Tous rejettent l’urbanisme compact et confus de la ville historique. La ville linéaire, propre à porter la vitesse, le mouvement, la modernité Figure 5 : Chicago, l’essai du City Beautiful Movement, XIXème siècle Figure 6 : Paris, Rue de Rivoli, Edvard Munch, Paris 1891 Source : V. Vercelloni, Atlante storico dell’idea europea della città ideale, Milan, Editions Jaca Book, 1994. 1.1- L’accent mis sur l’importance des réseaux Source : La Ville, Art et architecture en Europe 1870-1993, Paris, Editions Centre Georges Pompidou. 1994. La ville linéaire appartient aux travaux théoriques développés dans le premier âge de la ville, autrement dit dans la période qui s’étend de la fin du XIXème siècle à la seconde guerre mondiale. Cette phase va être une étape de fondation, des premières théories de l’urbanisme, dont l’objectif est l’amélioration des conditions de vie et de logements des De Cerdà qui écrit en 1867 : « Nos villes ne répondent pas à nos souhaits et à nos objectifs. Elles s’opposent à notre activité et à notre manière de vivre. Rien dans la ville de nos ancêtres ne correspond plus aux besoins de notre vie sociale et urbaine... Hommes de l’époque de l’électricité et de la vapeur !... N’ayez 89 pas peur de proclamer : nous sommes une nouvelle génération, nous disposons de nouveaux moyens infiniment plus puissants que ceux des générations précédentes, nous menons une vie nouvelle, les vieilles villes ne sont que des obstacles. A bas, donc, ces villes ! » (Cerdà in Melissinos, 2007, p5). A Le Corbusier qui lui emboîte le pas en 1924 : « La ville est un outil de travail. Les villes ne remplissent plus normalement cette fonction. Elles sont inefficaces : elles usent le corps, elles contrecarrent l’esprit. Le désordre qui s’y multiplie est offensant, leur déchéance blesse notre amour-propre et froisse notre dignité. Elles ne sont pas dignes de l’époque : elles ne sont plus dignes de nous. » (Cerdà in Melissinos, 2007, p6). Figure 7 : La dynamique de la flèche, Paul Klee, 1920 Source : La Ville, Art et architecture en Europe 1870-1993, Paris, Editions Centre Georges Pompidou. 1994. 90 Pour ces urbanistes comme pour les artistes modernes, la ville historique présente une forme urbaine radioconcentrique considérée comme une forme statique, alors que la forme urbaine linéaire représente une forme dynamique, propre en conséquence à porter le progrès, la vitesse, la croissance. C’est la dynamique de la flèche, figurée par les mouvements artistiques dès la fin du XIXème siècle, développée par Paul Klee pour son enseignement au Bauhaus dans les années 1920 et qui constitue l’axe structurant donnant naissance à la cité linéaire. 1.2- La Ciudad lineal, Arturo Soria Y Mata Arturo Soria Y Matta compte parmi les théoriciens de l’urbanisme qui ont cherché à matérialiser leurs principes d’organisation de la ville dans un projet concret. Avant même d’écrire son livre dans lequel il développe sa conception de la cité linéaire, il se lance dans la création d’une compagnie immobilière, La Compañia Madrileña de Urbanización, créée en 1894, qui réalise, dans la banlieue de Madrid, un premier tronçon de ville linéaire de part et d’autre d’une voie de plus de cinq kilomètres de long, voie qui accueille une ligne de tramway. Il compte, avec Ebenezer Howard, parmi les rares personnalités de la fin du XIXème siècle, qui ont cherché à concrétiser leur utopie (Soria Y Matta, 1979). Arturo Soria Y Matta part d’une critique de la congestion urbaine et de l’abandon des campagnes pour proposer une nouvelle forme d’organisation de la cité qui soit une alternative à ce qu’il appelle la « ville-point ». Cette nouvelle organisation doit permettre, en démolissant les habitations à étages de donner à chaque habitant un lopin de terres où il pourra bâtir sa maison et entretenir un jardin. Le projet d’Arturo Soria Y Matta associe au tracé d’une voie accueillant dans sa partie centrale un moyen moderne de locomotion (tramway électrique) un lotissement tout particulièrement régulier. Les règles et principes qui procèdent à l’organisation de la cité linéaire sont en effet très précis. 1. La rue centrale (« rue cardo »), qui sert d’élément générateur au plan, a une dimension proportionnelle à l’importance de la cité linéaire, qui est de 40, 60 ou 100 mètres. Plantée d’arbres, elle comprend des trottoirs et des chaussées pavées permettant le passage d’une ligne de tramway et de véhicules individuels (voitures, bicyclettes, véhicules à traction animale). Tous les 300 mètres, aux intersections, des kiosques sont implantés de manière à permettre l’accueil de commerces et services La Ciudad lineal Figure 8 : Madrid, Progetto di Ciudad Lineal, Soria Y Mata, 1892 Figure 9 : Madrid, la maison à 6 000 pesetas, Soria Y Mata, 1892 2. Les voies perpendiculaires permettant une desserte en profondeurs des lots sont implantées tous les 300 mètres et ont 20 mètres de large. 3. Les îlots ont des dimensions de 300 m. x 500 m. et sont subdivisés en parcelles qui pour les plus petites d’entre elles sont de 40 m. x 40 m. Des parcelles plus grandes permettent d’accueillir des habitations plus luxueuses. 4. L’emprise au sol des maisons est au maximum de 1/5ème et elles sont implantées à une distance de l’alignement de 5 mètres en ce qui concerne la rue principale, de 3 mètres pour les autres voies. Toutes les maisons sont indépendantes. Figure 10 : Premier quartier de la ville linéaire Source : Soria Y Matta A., La cité linéaire. Conception pour l’aménagement des villes, Paris, Centre d’Etudes et de Recherches Architecturales, 1979. (réédition et traduction en français du texte originel de 1913). 91 La cité linéaire peut être pensée comme l’extension d’une « ville point » existante, comme un jonction entre deux « villespoints » et Arturo Soria Y Mata considère que si elle envahit de vastes portions du territoire, elle peut contribuer à rénover en profondeur la campagne : « la cité linéaire se prolonge dans la campagne, gravissant les montagnes et gagnant les sites pittoresques, étalant le charme de ses lotissements sur les bords du fleuve et sur les côtes du littoral. Et partout sur son passage, les solitudes se peuplent, les terres entrent en culture, les chutes d’eau sont utilisées, les mines et les carrières sont exploitées, la richesse se crée, la ville surgit » (Soria Y Matta, 1979, p.16). Comme Idelfonso Cerdà, qui imagine que sa grille envahira l’ensemble du continent européen (Novarina, 2008), Arturo Soria Y Matta envisage que la ville linéaire, reliant les villes existantes, finira par structurer le grand territoire sur la base d’un processus de « triangulation ». « Le meilleur moyen pour que les villespoints du passé, dans lesquelles la valeur du terrain décroît en suivant des lignes concentriques au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre pour aller vers les banlieues, puissent vivre côte à côte des cités linéaires de l’avenir, dans lesquelles la valeur du terrain est inversement proportionnel à l’éloignement des voies parallèles à l’avenue centrale avec ses moyens de communications, c’est de réunir les villes actuelles ou cités-points par des cités linéaires. De cette façon, il se formera avec le temps dans chaque pays un vaste réseau de triangulation dans lequel la surface de chaque triangle urbain, déterminé par les sommets des anciennes villes et les côtés des villes nouvelles, sera consacrée à des exploitations agricoles et industrielles » (Soria Y Matta, 1979, p.18). 92 La Ciudad lineal Figure 11 : Ville linéaire entre deux villes points Figure 12 : Processus de triangulation Source : Soria Y Matta A., La cité linéaire. Conception pour l’aménagement des villes, Paris, Centre d’Etudes et de Recherches Architecturales, 1979. (réédition et traduction en français du texte originel de 1913). Les deux urbanistes espagnols, que sont Idelfonso Cerdà et Arturo Soria Y Matta, développent une critique de la ville historique dont les fortifications empêchent le plein épanouissement : en limitant le développement de la ville, ces enceintes contribuent à une raréfaction des terrains et des logements disponibles, à une hausse des valeurs immobilières et des loyers et expliquent l’entassement des couches populaires dans certains quartiers. Défenseurs d’un urbanisme de réseau (pour reprendre ici l’expression de Gabriel Dupuy), I. Cerdà et A. Soria Y Matta en viennent à proposer, selon des modalités différentes, une sorte de ville-territoire qui ne peut connaître de limite à son extension. Leurs propositions d’organisation font l’objet d’un début de mise en œuvre à Barcelone pour le premier, à Madrid pour le second, mais les réalisations qui en découlent (l’extension dense de la capitale catalane d’une part, un lotissement de villas dans la banlieue madrilène de l’autre) ne correspondent pas pleinement aux intentions de leurs créateurs. La « Ciudad lineal » constitue une des premières tentatives de construction d’un urbanisme des réseaux (Dupuy, 1991) qui s’appuie sur la création de lignes de tramway. Le modèle proposé est fondé sur un découpage du sol en parcelles de tailles différentes, permettant d’accueillir des maisons individuelles de tailles et de prix différents, pour répondre aux besoins des différentes catégories de la population. L’accent est par ailleurs mis, comme dans la cité-jardin, sur la mise à disposition d’un jardin individuel et plus largement sur une réconciliation entre la ville et la campagne. Le modèle proposé ne constitue pas une utopie à proprement parler, car la ville linéaire cherche à s’insérer à l’intérieur de l’urbanisation existante, tout en proposant une réorganisation d’ensemble du grand territoire. 1.3- La ville linéaire, Nicolaï Milioutine Quelques années plus tard, Nicolaï Milioutine (1899-1942) s’inscrit lui aussi dans un courant de fondation de la pensée urbanistique séduit par les qualités du développement urbain linéaire. Il développe sa pensée urbanistique dans le contexte de la révolution russe de 1917, dans laquelle l joue un rôle politique comme commissaire du peuple aux finances dans les premiers temps de la révolution. Il apporte sa contribution aux soviets lieux de réflexion alors ouverts à chaque membre de la société soviétique pour proposer un axe de développement destiné à construire un nouveau monde. Pour Nicolaï Milioutine, cette reconstruction ou perestroïka, doit rechercher un modèle urbain subordonné à l’économie du territoire. « La restructuration massive de l’économie selon les principes du socialisme conduit inévitablement la reconstruction de la culture et de la vie quotidienne ». (Milioutine, 2002, p48) Nicolaï Milioutine, expérimente tout d’abord ses idées dans la commande de logements débarrassés de ses attributs bourgeois, dans l’écriture architecturale comme dans la distribution fonctionnelle intérieure. La libération de la femme et la mise en commun des équipements doivent déboucher, pour Nicolaï Milioutine, sur une nouvelle structuration de l’habitat, alliant simplicité et fonctionnalité de l’architecture pour une collectivisation des équipements domestiques (cuisine, buanderie) et des équipements culturels (bibliothèque, gymnase). La réalisation du Narkomfin est une illustration de cette pensée. Dessiné par Ginzbourg et Milinis en 1928, et achevé en1932 à Moscou, cet immeuble influence Le Corbusier qui en reprend les principes dans ses unités d’habitations. Nicolaï Milioutine participe ensuite au débat sur la cité idéale soviétique avec la publication en 1930, d’un manifeste d’urbanisme pour la construction de villes nouvelles. Ce manifeste de l’urbanisme utopique soviétique récuse les modèles des villes traditionnelles pour prolonger 93 les propositions de la « Ciudad lineal » avancée par Arturo Soria y Mata à la fin du XIXème - même si la référence au modèle madrilène n’est pas explicite - comme celles de Henry Ford pour la recherche d’efficacité dans la production de biens. La métaphore de la « villemachine » est la référence du XXème siècle et les théories de Taylor et de Ford sur les chaînes de production captivent toute l’Europe, y compris l’Union Soviétique. Le film de Chaplin « Modern Times » illustre cette nouvelle forme d’esclavage que constituent alors les chaînes de montage des lieux de production. Chaplin se positionne fortement contre, néanmoins, dans les années 1930, la réussite économique et la mise en place des chaînes de production de Ford fascinent les économistes comme les urbanistes. L’industrialisation de l’Union Soviétique qui avance avec une rapidité sans précédent, oblige Milioutine à travailler sur la question de nouveaux grands centres industriels. à partir du fonctionnement d’une centrale thermique où chaque élément est positionné pour que les parcours de l’énergie soient les plus rapides et les plus efficaces. Sur la question de la rénovation de la construction de logement, Milioutine se propose de : La cité linéaire : plans d’aménagement « formuler les principales exigences qu’entraîne pour la société soviétique l’analyse des réflexions de K. Marx, F. Engels et V.I. Lénine sur cette question ; d’analyser les possibilités techniques et matérielles dont nous disposons déjà à l’heure actuelle et de proposer, à tout le moins de manière schématique, des exemples de solutions concrètes pour l’habitat nouveau des travailleurs soviétiques dans le premier âge du socialisme. » (Milioutine, 2002, p 47) Pour cela, Nicolaï Milioutine esquisse, dans ses représentations schématiques, un modèle qui met en relation rationnelle les différentes composantes du territoire. La comparaison est menée 94 En conséquence, Nicolaï Milioutine adopte comme principes majeurs, d’une part, la recherche de rationalité pour les unités productives qui doivent être reliées entre elles et avec les principales voies de transport. Ainsi « l’implantation la plus rationnelle des voies de chemin de fer est au-delà de la zone de production, c’est-à-dire derrière la ligne des bâtiments industriels, tandis que la desserte routière se situerait entre les zones de production et d’habitation. D’autre part, la séparation des fonctions est recherchée pour que les logements soient dissociés des lieux de production et ouverts sur la nature. « La zone résidentielle de l’agglomération est située parallèlement à la zone de production et doit être séparée de celle-ci par une bande verte. » (Miliouti; Figure 13 : Cité linéaire Stalingrad, Nicolaï Milioutine, 1930. Source : Milioutine,N., Sotsgorod la construction des villes soviétiques, de l’Imprimeur, Paris, 2002. (édition et traduction en français du texte originel de 1930). Figure 14 : Cité linéaire Magnitogorsk, Nicolaï Milioutine, 1930. Villes linéaires : utopies urbaines Figure 15 : Cité fantastique Virgilio Marli, Italie, 1920 Source : Milioutine,N., Sotsgorod la construction des villes soviétiques, de l’Imprimeur, Paris, 2002. (édition et traduction en français du texte originel de 1930). Enfin, le territoire agricole doit être disposé au delà de la zone résidentielle, mais à proximité directe car les liens entre la ville et l’agriculture se doivent d’être forts. Enfin, le territoire agricole doit être disposé au delà de la zone résidentielle, mais à proximité directe car les liens entre la ville et l’agriculture se doivent d’être forts. Le transport est ici le serviteur de la production industrielle rationalisée, repérable dans les plans de Nijni-Novgorod, Stalingrad ou Magnitogorsk. Les utopies urbaines sont nombreuses et Milioutine n’est pas le seul à produire un modèle de ville linéaire, mais ses propositions radicales, résumées ci avant et publiées dans « Sotsgorod » en 1930 ont un impact sur la réflexion des architectes modernes européens et elles conduisent entre autres, les architectes allemands, Ernst May et Ernst Schweizer, comme les architectes français, dont Le Corbusier, à imaginer des « cités linéaires». Les illustrations produites dès la fin du XIXème siècle sont révélatrices de cette recherche d’idéal urbain, avant ou après la publication de l’ouvrage de Nicolaï Milioutine. Figure 16 : Cité linéaire industrielle Le Corbusier, France 1942 Source : V. Vercelloni, Atlante storico dell’idea europea della città ideale, Milan, Editions Jaca Book, 1994. 95 Comme pour une majorité des utopies naissantes du XXème, la cité idéale de Nicolaï Milioutine est une ville nouvelle qui fait table rase du passé. Elle ne se développe pas à partir d’une ville existante, insatisfaisante pour répondre aux exigences révolutionnaires, mais elle recherche un site d’implantation parfait pour le développement d’un ensemble d’activités économiques produites à la chaine. La séparation de la ville de son territoire physique permet de d’organiser le territoire à partir d’une règle définit par la chaine de montage, caractéristique du centre de production qui justifie l’implantation d’une ville. La création d’une ville se justifie à proximité d’un site non urbanisé de production, en effet « la tendance croissante à bâtir les nouvelles entreprises dans les villes et villages existants,…, doit être fermement rejetée. » (Milioutine, 2002, p 59) Dans ses approches visionnaires, Milioutine comme les promoteurs d’utopies qui le suivront, se positionne à la recherche d’une ville construite ex nihilo et ce à partir d’un espace imaginaire sans matérialité, où les éléments physiques sont détachés de toutes contingences liées à l’orographie, l’hydrographie ou la couverture végétale. Dans les projets produits au cours du XXème siècle, les représentations de cité linéaire, montrent que ce mode de développement linéaire le long d’un axe de transport structurant la croissance s’apparente toujours à la recherche d’une modernité technique et fonctionnelle mettant en relation des flux et des formes urbaines étant donné que « il n’y a pas de conception de la ville qui puisse s’abstraire d’une conception de la mobilité. Et inversement.» (Theys, 2004, p77). Car avant sa modélisation, le développement linéaire préexistait dans le village-rue, car « une ville naît dans 96 un endroit donné, mais c’est la route qui la maintient en vie. Associer le destin de la ville aux voies de communication est donc une règle méthodologique fondamentale » (Marcel Poète in Rossi, 2001, p46), comme les analyses urbaines des villages rue ou le projet d’un villagerue par James Stirling et le Team X. Analyse urbaine, village-rue Figure 17 : Village-Rue Source: Analyse urbaine, CAUE 17, 20002. Figure 18 : Terraced Housing fronting a village street. Team X with James Stirling 1955. Source : Ching D., Architecture, form, space and order, London, 1980. Conclusion Dans les projets de ville linéaire, un ruban d’urbanisation nouvelle permet de relier deux tissus urbains existants, comme c’est le cas dans les travaux de Soria y Mata à Madrid ; l’axe structurant peut être aussi envisagé comme un long ruban qui se développe sur un territoire à conquérir entre deux villes existantes relativement éloignées, comme c’est le cas avec les projets de Nicolaï Milioutine. Ce « running fence » est alors le support, voire même la raison d’être, d’un développement urbain constitué de bandes parallèles d’habitat, de jardins et de lieux de production et comme dans le travail contemporain de Christo, le « running fence » se déploie dans une campagne préservée de toute urbanisation. hégémonique dans la ville à une autre représentation où il est nécessaire de restituer aux voies une valeur d’urbanité, c’est-à-dire de permettre une mixité des usages, de promouvoir le transport collectif et de mettre en valeur l’espace public. La légitimité montante de la ville durable assigne une place et un rôle différent aux réseaux de voirie dans la ville et elle invite à pacifier les flux pour atteindre à une morphologie urbaine réputée compatible avec l’élévation du bien-être urbain » (Wachter, 2003, p 7). La figure ville linéaire doit alors montrer sa capacité à s’immerger dans son contexte et tendre à s’intégrer et à coopérer avec les tissus urbains voisins. La cité linéaire permet ainsi de réaliser le rêve des utopies socialistes du XXème siècle de ne plus opposer ville et campagne et de réunir faucilles et marteaux dans une urbanisation idéale : la cité linéaire « établit la contiguïté la plus intime qu’il soit possible de rêver de la terre et de l’industrie, de la vie de la terre et de la vie de l’usine, de l’ouvrier et du paysan. » (Le Corbusier, 169). Cependant, cette forme d’urbanisation conquérante et consommatrice d’espaces n’est plus le modèle contemporain. Il ne s’agit plus de conquérir sans fin les territoires et de proposer des plans d’extension. Désormais, il devient nécessaire d’arrêter le processus engagé et de faire muter la figure de la ville linéaire. « Dans notre époque récente, on est passé en moins de vingt ans d’une vision où les circulations motorisées et les routes tenaient un rôle 97 2. La Rocade Sud : quelle figure urbaine ? Introduction Par la reconstitution des étapes de constitution de la Rocade Sud, nous souhaitons repérer comment cette infrastructure a été positionnée par décision d’Etat pour constituer une limite à l’urbanisation, un espace tampon pour séparer ville-centre et banlieues ouvrières ; puis planifiée lors de l’élaboration du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme, pour servir de voie de transit et ainsi favoriser une distribution fonctionnelle et un effet de vitrine des activités économiques ; enfin pensée pour constituer un support potentiel à l’idée de remettre en contact ville-centre et banlieues. Source : Ville de Grenoble, archives. 98 Dans le sud de Grenoble, les municipalités successives ont privilégié des structures urbaines qui permettaient l’élaboration successive de fragments de ville, donnant naissance à une structure aréolaire, constituée d’une juxtaposition d’expérimentations urbaines. Nous repérons ainsi comment l’urbanisation a pris corps autour d’une polarité sud projetée depuis les années 1970. Les élus et les techniciens de l’agglomération grenobloise ont utilisé le territoire comme laboratoire urbain et à l’intérieur des services urbanisme, comme à l’intérieur des municipalités ont coexisté plusieurs manières d’aborder les questions urbaines et le processus de fabrication de l’espace public et des tissus urbains. Le sud de l’agglomération grenobloise Figure 19 : vue aérienne de la Rocade C’est ainsi que la figure de la ville linéaire de Milioutine a été convoquée à différents moments de l’histoire de la Rocade Sud. La mise en perspective historique de la Rocade Sud nous permet ainsi de présenter le territoire sur lequel nous travaillons et de caler la création de l’infrastructure Rocade Sud dans le cadre expérimental grenoblois. Il ne s’agit pas d’un travail d’historien, trop d’éléments de l’histoire de l’agglomération grenobloise sont, dans ce travail, rapidement esquissés, il s’agit plus particulièrement de repérer comment cette voie de circulation a été planifiée, dessinée, puis réalisée et enfin modifiée. 2.1- Les premiers exercices de planification Avant la création de l’infrastructure, le sud de l’agglomération grenobloise est libre d’urbanisation dans sa partie centrale et présente des germes de développement sur les communes d’Echirolles et de Saint Martin d’Hères. Suite à la loi de mars 1919, qui rend obligatoire l’élaboration d’un Plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension dans les communes de plus de dix mille habitants, la Ville de Grenoble appelle Léon Jaussely afin d’établir une planification urbaine réfléchie. Le fondateur de la Société Française des Urbanistes propose la création des Grands Boulevards en lieu et place des remparts qui ont fait l’objet d’une démolition préalable, et souhaite ouvrir le sud de la ville à l’extension, extension urbaine qui prendra réellement forme dans les années 1950. Par la suite, compte tenu de la formidable croissance de l’agglomération grenobloise après-guerre, la population passe de 80 000 habitants environ en 1914, à 140 000 en 1945, puis 280 000 en 1965, la Ville de Grenoble est conduite à maintes reprises à modifier son plan d’urbanisme. La banlieue est composée de communes industrielles qui soit sont la continuité historique des faubourgs grenoblois, comme Saint Martin d’Hères, soit ont connu des implantations d’entreprises à distance de l’ancien centre (Echirolles). Ces communes connaissent tour à tour une forte croissance de leur population, alors que les communes à dominante rurale, comme Eybens, doivent attendre le début des années 1970 pour assister au démarrage de leur urbanisation. Cependant, l’ensemble des communes périphériques ne se dotent que tardivement de plans pour canaliser la croissance et seule la Ville de Grenoble cherche à imposer une structuration du sud de l’agglomération. Le territoire de notre étude, à l’origine rural, est progressivement urbanisé puis constitue un espace-charnière entre les différentes communes. Dans son Plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension, Léon Jaussely insiste sur la nécessité de ne pas réduire sa réflexion aux strictes limites de la ville-centre, mais de travailler sur le territoire de l’agglomération et pour cela d’intégrer les communes périphériques. Le plan Jaussely propose en conséquence une structuration du territoire urbain par les infrastructures de transport. Ainsi la voie ferrée jusqu’alors en pleine ville est déplacée vers l’extérieur sur un tracé qui passe à l’ouest sur la commune de Fontaine et au sud sur les communes d’Echirolles et de Saint-Martin d’Hères ; de plus le contournement sud de Grenoble est envisagé au moyen d’une rocade routière. Ce plan, qui entraîne la création des grands boulevards, n’est que très peu pris en compte dans la partie sud de la ville. 99 Dans un deuxième temps, suite à l’échec du plan Jaussely de nouveaux plans seront étudiés. Entre les années 1930 et les années 1960, les plans d’urbanisme qui se succèdent sont parfois complémentaires, parfois contradictoires et ils traiteront tous cet espace-charnière comme un espace pour relier ou mettre à distance la Ville de Grenoble des communes de banlieue. Au début des années 1940, le plan Prud’homme prévoit une urbanisation qui se recentre sur la ville de Grenoble avec un travail sur les voies déjà existantes, peu de nouveaux maillages et pas d’extension majeure. Suite à l’adoption de la loi d’urbanisme de 1943, l’Etat se veut l’acteur principal de la planification urbaine et le Plan Berrier témoigne de cette politique volontariste du régime de Vichy. Il prévoit un triple contournement est-ouest de la ville par une succession radio-concentrée de rocades contournant le centre ville de Grenoble. sud de la ville servant de transit entre les différentes vallées de l’agglomération. Le second ne souhaite pas de contournement sud et envisage de transformer les Grands Boulevards en axe de transit très important avec un minimum de carrefours. Ces plans ne sont pas réalisés, toutefois, nous observons que l’idée d’un contournement de la Ville de Grenoble pour le trafic de transit est actée dans la tête des élus et des techniciens grenoblois. Les exercices de planification Figure 20 : Plan Jaussely et projet de tracé de l’infrastructure Après-guerre, l’Etat conserve sa suprématie en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire mais cela n’apporte pas pour autant de la cohérence dans la planification du sud de l’agglomération grenobloise. Si l’Etat n’oublie pas Grenoble dans sa politique planificatrice cette dernière devient un lieu de contradiction entre les différents nouveaux ministères crées après la guerre : le Plan Bovet de 1950 émanant du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme entre en contradiction avec le Plan Revillard de 1955 émanant du Ministère des Travaux Publics. Le premier prévoit une hiérarchisation entre différentes traversées est-ouest de Grenoble : les Grands Boulevards servant de desserte avec un maximum de carrefours et une nouvelle rocade au 100 Source : Ville de Grenoble, archives. 2.2- L’implantation de la rocade, une décision d’Etat Au cours des années 1960, l’agglomération grenobloise connaît une des croissances démographiques les plus importantes en France et son économie se spécialise autour des activités scientifiques et technologiques. L’acceptation de la candidature de Grenoble pour l’organisation des Jeux Olympiques de 1968 permet à l’agglomération d’envisager un rattrapage de son retard en matière d’infrastructures et d’équipements publics. C’est à cette occasion que sont décidés les tracés des principales autoroutes d’accès et de contournement et qu’est envisagée la création d’un nouvel Hôtel de Ville, d’une Maison de la Culture et de nombreux équipements sportifs. L’Etat ressent la nécessité d’un cadre d’ensemble pour organiser ces nouveaux développement et, en accord avec la municipalité de Grenoble, dirigée par Albert Michalon, confie à l’architecte parisien Henry Bernard l’étude d’un Plan directeur d’urbanisme. En réponse à une étude conjointe de l’IEP et de l’OREAM (1965) qui fait ressortir les problèmes d’enclavement de Grenoble et la mauvaise qualité des infrastructures, la voie ferrée est déplacée depuis le centre vers la limite communale sud de Grenoble, et le plan Bernard envisage la construction d’infrastructures routières de dimensions importantes, avec un système de voies autoroutières doublé systématiquement de voies rapides suburbaines. C’est dans ce plan qu’apparaît le dessin de l’axe routier alors appelée « voie U2 ». Selon les termes de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, elle était destinée « tout d’abord à assurer une liaison intercommunale entre Saint Martin d’Hères, Eybens, Poisat et Echirolles, d’autre part à relier l’autoroute rive droite du Drac vers Gap et la RN75 au sud de Grenoble avec l’autoroute A 41 et la RN 523 vers Chambéry à l’est de Grenoble ». Elle devait ainsi permettre de « détourner le trafic de transit venant du Sud, de l’est et de l’Ouest en évitant le centre de Grenoble ». Le Plan Bernard, approuvé en 1963, qui propose par ailleurs la création d’un nouveau centre au sud du centre historique, se heurte au désaccord des communes de banlieue qui protestent contre le surdimensionnement des voies urbaines envisagées. Suite au remplacement d’Albert Michalon par Hubert Dubedout, la municipalité de Grenoble remet en question l’idée d’un nouveau centre-ville et choisit de réaliser les seuls éléments du plan Bernard nécessaires au bon fonctionnement des Jeux olympiques. Sont ainsi lancés les opérations de construction du centre de presse (devenu quartier Malherbe), du village des athlètes olympiques (devenu quartier du Village Olympique), la réalisation du stade olympique, crée à l’emplacement actuel du quartier Villeneuve, des équipements majeurs, situés entre Grenoble et Echirolles, que la Maison de la culture, l’Hôpital Sud ou le centre Alpes Congrès. Avec ces équipements d’agglomération, le sud de Grenoble acquiert une nouvelle position dans la géographie grenobloise et la Rocade Sud assure en plus de son rôle de liaison avec les autres villes de la région, une fonction de desserte de cette nouvelle polarité Sud. Le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (1973) lui confère un rôle de structure majeure pour la distribution des activités économiques. 101 2.3- Des objectifs contradictoires pour une même infrastructure L’U2, devenue Rocade Sud, avait été pensée par le Ministère de l’Equipement comme une infrastructure destinée à écouler la circulation de transit et pour cette raison avait été implantée à l’extérieur des zones urbanisées. Le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme, pour répondre à des prévisions de forte croissance démographique, réservent de vastes espaces pour l’urbanisation future. Il fait le choix de développer au sud de la rocade une succession de zones industrielles et commerciales afin de protéger les secteurs résidentiels des nuisances liées à la circulation. Ces zones d’activités font l’objet d’un financement public dans le cadre du Programme d’Action Foncière, dont sont partenaires l’Etat, le Département et l’agglomération. La rocade devient une sorte épine dorsale le long de laquelle les activités viennent se placer en vitrine pour être vues et pour donner l’image d’une agglomération dynamique. Au fur et à mesure que se développe de nouveaux quartiers (Villeneuves de Grenoble et Echirolles, Maisons Neuves et Les Ruires à Eybens, Nouveau Centre de Saint-Martin d’Hères) ou de nouveaux pôles d’activités (Grand Place, Sud Galaxie, Les Ruires ), les entrées et sorties sur l’autoroute se multiplient, prenant la forme d’échangeurs complets ou partiels. La circulation de transit, qui n’a jamais été importante, devient de plus en plus minoritaire (8% des déplacements) et la rocade devient de plus en plus un axe urbain qui dessert des pôles d’activités ou d’habitat qui n’entretiennent pas avec elle un rapport de mitoyenneté. L’image qui se dégage d’une telle organisation n’est pas à proprement parler celle de la ville linéaire (telle qu’elle se dégage des 102 propositions d’Arturo Soria Y Matta ou de Nicolaï Milioutine), mais d’une ville en grappe qui voit se juxtaposer une série de clusters (d’activités ou d’habitations) qui s’implantent à proximité des échangeurs. Les exercices de planification Figure 20 : 1973, le Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme Source : Ville de Grenoble, archives. 2.4- Vers une transformation de l’infrastructure et de ses fonctions ? Entre les années 1980 et 1990, la Rocade Sud ainsi que les grandes infrastructures auxquelles elle est reliée (A480, A41) ne cessent de se développer pour répondre à la croissance de l’agglomération et au développement des activités. A la fin des années 1980, la Rocade Sud est achevée, elle est à deux fois deux voies sur tout son linéaire et elle se présente comme une limite difficile à traverser. C’est à cette même période qu’émergent les premières remises en question de rôle de la Rocade Sud. Les études préparatoires à l’élaboration du Plan de déplacements urbains, approuvé en 2000, permettent de saisir la faible importance de la circulation de transit (2% au niveau de l’ensemble de la région urbaine, 8% sur la rocade), alors que se développe toujours plus la circulation interne à l’agglomération et surtout les échanges entre cette agglomération et les secteurs dits extérieurs de la région urbaine (Grésivaudan, Sud, Voironnais, Sud Grésivaudan). La solution des problèmes de déplacements passe moins par une augmentation de la capacité des infrastructures routières que par un rééquilibrage du système de mobilité en faveur des transports collectifs et des modes doux. Si la rocade apparaît être un vecteur d’attractivité, car une part importante des emplois de la région grenobloise sont concentrés le long de cet axe, elle est aussi « une infrastructure rejointe par l’extension urbaine, génératrice de discontinuités »…« la rocade est à la fois une colonne vertébrale et une déchirure ». Dans le prolongement des réflexions menées dans un certain nombre de pays du nord de l’Europe, la décision est prise au début des années 2000 de réduire la vitesse de 110 à 90 km/h et dans le cadre d’une stratégie dite de chronoaménagement, nombreux sont ceux qui envisagent à terme la mise en place d’une autoroute apaisée (où serait autorisée une vitesse maximale de 70 km/h). Cette nouvelle perspective permet d’envisager une requalification de l’infrastructure et la transformation des territoires jusquelà concernés par les nuisances liées à la circulation. C’est dans un tel contexte que différentes initiatives sont prises au niveau intercommunal comme au niveau communal pour réfléchir à une nouvelle organisation de l’urbanisation dans le Sud de l’agglomération. Conclusion La rocade Sud est pensée dans un premier temps comme une infrastructure de déplacements qui se déploie, dans la majeure partie de son trajet, à l’extérieur de l’urbanisation. Dans un second temps, après l’approbation en 1973 du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme, elle se transforme en une voie d’accès aux différentes zones industrielles et commerciales, implantées pour faire écran entre l’autoroute et les quartiers d’urbanisation en cours de réalisation. C’est au cours des années 1970-1990 qu’elle devient le support d’une bande d’activités qui s’apparente en partie à une ville linéaire même s’il faut souligner que celle-ci n’est pas implantée dans une campagne vierge. Les différents parcs d’activités sont desservis par des échangeurs et il est à noter qu’il n’existe pas de rapport de riveraineté entre la voie et les espaces qui la jouxtent. Les Plans de déplacements urbains de 2000 et 2006 constituent l’occasion pour constater un changement de la fonction même de l’infrastructure à l’intérieur du système de mobilité à l’échelle de la région urbaine. Pensée par les ingénieurs des Ponts-et-Chaussées comme une voie de transit, l’autoroute joue en réalité de premier plan dans les échanges entre les différents secteurs qui composent la région urbaine. La décision prise de modérer la vitesse (de 110 à 90 km/h) permet de prendre conscience du caractère de voie urbaine de l’autoroute et si les réflexions sur le chronoaménagement permettent d’envisager un nouvel abaissement à 70km/h, elle ne permettent pas d’envisager la transformation de la rocade en un véritable boulevard urbain. Une vitesse de 70km/h est en effet difficilement compatible avec la conception d’un espace public partagé entre différents modes de déplacements. La réflexion est donc encore en cours sur les transformations possibles de cette infrastructure de déplacements. 103 3. La prise en compte de la rocade dans les projets urbains en cours qui composent le territoire. L’expression est explicitement employée par l’équipe dirigée par Franck Huilliard dans la partie « diagnostic et enjeux » de leur étude. Introduction Au cours des cinq dernières années, nombreuses ont été les études, les analyses, les projets qui se sont interrogés sur les transformations possibles du Sud de l’Agglomération. Les commanditaires de ces études ont été soit la communauté d’agglomération Grenoble Alpes Métropole (La Métro), soit les communes (Grenoble, Echirolles, Eybens…). Parmi les productions intellectuelles les plus significatives, il convient de citer les études de prospective urbaine, confiées en 2004-2005 à trois cabinets d’architectes-urbanistes, Groupements Atelier Franck Huilliard + Transitec + Stratégie et Territoire, Agence Nicolas Michelin + Agence Territoires Paysagistes + AUDI économistes + CG Conseil Déplacements + Isabelle Hurpy Environnement, Atelier Lion Architectes + CITEC Transports + Inventaires Economistes par La Métro d’une part, les projets portées par les Villes d’Echirolles (projet NOVASUD 21) et de Grenoble (études quartiers sud, marché de définition sur les abords de la Villeneuve) de l’autre. Ces études et projets portent un diagnostic sur des secteurs de banlieue profondément marqués par l’urbanisme moderne que celui-ci prenne la forme de grands ensembles ou de parcs d’activités spécialisées. Tous prennent en compte la rocade sud, à la fois comme un atout et un problème et s’interrogent sur les formes prises par l’urbanisation qui lui est liée et se fondent sur une analyse de la morphologie des différents « fragment 104 3.1- Les études de prospective urbaine 3.1.1- Diagnostic et enjeux La nature du diagnostic porté par les différentes équipes change : plus géographique et urbanistique chez Franck Huilliard, plus paysager et environnemental chez Nicolas Michelin, plus architectural chez Yves Lion. Si ce dernier insiste sur la présence de l’habitat diffus et la nécessaire densification, les deux premiers mettent plutôt l’accent sur la fragmentation de l’urbanisation, employant des expressions comme patchwork, dislocation, pièces isolées, liant cette situation aux effets des grandes opérations se réclamant de l’urbanisme moderne (dans le cadre notamment de la Zone à urbaniser en priorité). Implantés à l’intérieur des mailles d’un réseau viaire très distendus, les ensembles que sont les différents quartiers, qui composent ce qui était appelé dans les années 1970, la Villeneuve de Grenoble-Echirolles, sont desservis par des antennes qui partent des grands axes nord-sud ou de la rocade (qui a une orientation est-ouest). Dans un tel contexte, le contournement autoroutier, dont il faut souligner qu’il est doublé par la voie ferrée, non seulement met en relation, car il assure la desserte des principaux quartiers et des zones d’activités industrielles ou commerciales, mais aussi constitue une coupure qui sépare des secteurs pourtant proches géographiquement. Ces difficultés de franchissement sont particulièrement sensibles pour les piétons et les cyclistes. L’équipe dirigée par Franck Huilliard note à ce propos que si le réseau de voies secondaires constitue un trame organisée perpendiculairement au Drac et à la rocade ouest (ce qui permet d’envisager sa transformation en un éventuelle boulevard urbain), la rocade sud est isolée du réseau dans sa façade nord, à cause notamment de la présence de la voie ferrée qui relie Lyon à Chambéry. Un constat commun à tous les professionnels est que cette rocade sud joue désormais un rôle de première importance pour la desserte de proximité, le transit ne représentant en 2000 que 8% du total du trafic empruntant cette voie (SMTC, 2000). Les transformations envisagées du rôle de la rocade sud sont liées à l’identification des enjeux à affronter dans le cadre d’une stratégie de nouvellement urbain : - la volonté de créer un véritable morceau de ville passe par une requalification du réseau de voies et d’espaces publics, dont la rocade est partie intégrante ; - la recherche de continuités environnementales et paysagères conduit à la création d’une rocade verte ; - la recherche d’une densification et d’une plus grande mixité ne fait pas de la rocade un élément central du projet.             Le  grand  territoire     L’économie                 La  morphologie  urbaine             Les  infrastructures  de   déplacement   Groupement   Groupement   Franck  Huilliard   Nicolas  Michelin   Une   capitale   «  en  »   Un   territoire   sous   montagne.   influence   de   la   montagne,   de   l’eau,   de   la   rocade.   Un   positionnement   à   Un   territoire   de   flux   l’intérieur   du   Sillon   Alpin   (autoroute  +  voie  ferrée).   à  mieux  définir.   Un   développement   Un   territoire   disloqué,   contraint   et   des   espaces   «  fragmenté   en   pièces   en  patchwork.   isolées,   souvent   monofonctionnelles  »     Un   territoire   imperméabilisé.   Une   absence   de   Des   zones   d’activités   et   spécialisation   commerciales  mutables.   économique.   Une   absence   hiérarchisation   centre/périphérie.   de   Un   secteur   central   composé   de   trois   quartiers   de   ville   nouvelle   s’articulant   autour   de   Grand   Place   (qui   aurait   dû   devenir   le   centre   secondaire   de   l’agglomération).   Une   concurrence   entre   les   deux   centralités   de   Grand   Place   et   du   Centre-­‐Ville  d’Echirolles   «  La   rocade   sud,   une   infrastructure   qui   distribue   les   espaces   d’activités   et   les   équipements,   innervant   le  secteur  »…mais  …   …des   difficultés   de   franchissement,   notamment   pour   les   piétons  et  les  cycles.   Groupement   Yves  Lion           De   grandes   emprises   d’activités   consommatrices   d’espaces.   Une   forte   présence   de   De   grands   parcs   urbains   l’habitat   diffus   peu   associés   à   des   grands   compatible   avec   le   ensembles.   développement   des   transports  en  commun.     «  Une   forme   urbaine   éclatée,   construites   par   à-­‐coups,   fondée   sur   la   pratique   de   l’automobile  ».       «  La   rocade,   coupure…         infrastructures   une   Des   routières   et   ferroviaires   rejointes   par   l’urbanisation   et   génératrices   de   discontinuités.   …   mais   aussi   une   La   voie   ferrée,   une   forte   desserte   pouvant   coupure.   exprimer   un   potentiel   du   point   de   vue   du   paysage  ».   Une   bonne   desserte   par       les   transports   en   commun.       3.1.2- Stratégies Les stratégies, proposées pour le sud de l’agglomération, dans le cadre des études de prospective urbaine, concernent à la fois le positionnement économique de la ville, son insertion dans le grand territoire, la restructuration des tissus urbains et la requalification du système de mobilité. La rocade, associée à la voie ferrée, forme une sorte de ville étalée, qui assure par le biais d’échangeurs ou de simples ponts la desserte, pour l’essentiel automobile, des espaces qui sont localisées sur ces franges. Très rapidement, la rocade est devenue autre chose qu’une simple infrastructure de contournement de l’agglomération. La décision, prise dans le cadre du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de 1973, de localiser sur sa frange sud de manière prioritaire des zones d’activités l’a par exemple transformer en infrastructure de desserte du domaine universitaire, de 105 pôles technopolitains (Hewlett-Packard, Les Ruires, Sud Galaxie) et principalement de zones commerciales. Elle joue un rôle similaire pour de nombreux quartiers d’habitation qu’il s’agisse de lotissements de maisons individuelles ou d’ensembles collectifs. L’accent mis par certaines équipes professionnelles sur la dimension territoriale de la stratégie à mettre en œuvre conduit tout naturellement à voir dans le rocade une infrastructure d’importance dans la structuration du territoire du Sud Grenoblois, alors que le repli sur une approche urbanistique et architecturale conduit à en minimiser l’importance. Les groupements constitués autour de Franck Huilliard et Nicolas Michelin mettent tous deux l’accent sur la fragmentation, induite notamment par le fait que le Sud Grenoblois a pendant de longues années constitué un laboratoire d’expérimentation des solutions préconisées par l’urbanisme moderne, avec notamment la forte implication de l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture au cours des années 1970. Mais les stratégies préconisées pour retrouver une cohérence d’ensemble diffèrent de manière assez radicale. Franck Huilliard établit une distinction entre la ville traditionnelle et ses faubourgs, qui s’étendent au sud jusqu’au tracé de l’ancienne voie ferrée, et la ville nouvelle constituée de « pièces isolées » et propose, à l’image de plans d’urbanisme qui ont précédé son étude (le plan Jaussely de 1925, le plan Bernard de 1963) un élargissement du centre vers le sud par création d’un nouveau « morceau de ville ». Pour ce faire, il cherche à intégrer la rocade dans un réseau d’espaces publics requalifiés et envisage sa transformation en multipliant 106 les franchissements et en créant des contre-allées de manière à en faire une sorte de boulevard urbain. Une telle proposition se heurte à une difficulté d’importance : la présence d’une voie ferrée, encore plus difficilement franchissable qu’une autoroute, à proximité immédiate de cette dernière. Franck Huilliard insiste par ailleurs sur la nécessaire requalification des axes nordsud (les grands cours historiques) et sur la création d’un nouvel axe vert est-ouest. Les préconisations de Nicolas Michelin sont d’une toute autre nature, car elles privilégient une approche écologique et paysagère. Dans le prolongement des réflexions du paysagiste Gilles Clément, qui considère les bas-côtés des autoroutes comme des réserves de naturalité, il préconise d’envelopper la rocade d’une gaine végétale et de mettre en relation la ripisylve ainsi créée avec une série de corridors écologiques, dénommés « infiltrations », qui traversent l’ensemble des tissus bâtis de la cuvette grenobloise de manière à assurer les connexions entre les différents massifs montagneux qui bordent l’agglomération. Il envisage aussi de créer de nouveaux franchissements (piétons et cycles) au-dessus de la rocade et voit dans la végétalisation des délaissés et des « à côté » le support de nouveaux projets urbains. La rocade devient ainsi un axe vert qui assure la jonction entre le Haut et le Bas Grésivaudan et la colonne vertébrale d’une trame écologique verte et bleue. Ce dernier type de proposition rejoint celles qui sont formulées dans le cadre de projets plus localisés (au premier rang desquels le projet NOVASUD 21 porté par la Ville d’Echirolles en association avec les communes d’Eybens et Grenoble, projet qui est aujourd’hui repris à son compte par La Métro). Figure 21 Equipe Hulliard : le projet de nouvelle ligne de tramway Figure 22 Equipe Hulliard : l’organisation de l’intermodalité Figure 23 Equipe franchissements Figure 24 Equipe Lion : valoriser le potentiel urbain Michelin : les Source : Ville de Grenoble, archives. 107         Synthèse   diagnostic   Groupement   Franck  Huilliard     L’agglomération  grenobloise   du   a  les  mêmes  dimensions  que   les   centres   historiques   des   autres   grandes   villes   françaises.     Prendre   appui   sur   une   réorganisation   du   réseau   viaires   pour   constituer   un   «  morceau  de  ville  ».       Recomposition   d’un   «  faubourg  »  par  création  de   nouveaux   axes   nord-­‐sud   favorisant   les   liaisons   entre   le   centre   historique,   le   pôle   sud   et   le   plateau   de   Champagnier.     Axes   urbains   nord-­‐sud  :   Jean   Perrot   -­‐   Jean   Jaurès,   prolongement   de   l’axe   de   centralité   urbaine   d’Echirolles  vers  le  nord.     des   Axe  vert  est-­‐ouest  en  lieu  et   place   de   l’ancienne   voie   ferrée,   aménagée   sur   le   modèle  de  la  ville  linéaire  de   Soria  y  Matta.     Nouvelle  ligne  de  tram  entre   Saint-­‐Martin   d’Hères   et   Seyssins.     Transformation   des   franges   de  la  rocade  par  création  de   contre-­‐allées.     Fondement   d’une  stratégie         Principes   d’action                 Détail   projets   Groupement   Nicolas  Michelin   La   fragmentation   en   entités   isolées   par   de   grandes   voiries   conduit   à   l’effacement   de   l’identité   géographique   du   territoire   et   favorise   une   place   excessive   des   déplacements   en  voiture.   Favoriser   les   «  infiltrations  »   de   la   nature   dans   la   ville   en   constituant   de   nouveaux   franchissements   de   la   rocade.   Un   regard   décalé  :   instaurer   des   infiltrations   vertes   en   prolongeant   la   vallée   du   Grésivaudan  par  une  rocade   verte   et   recherche   de   continuités   naturelles   entre   les   massifs   entourant   le   cuvette  grenobloise.     Faire   de   «  la   rocade   une   ripisylve   urbaine  »   en   l’enveloppant   d’une   gaine   végétale.       Végétaliser   les   délaissés   et   densifier   l’urbanisation   à   proximité   des   nouveaux   cheminements   verts   ainsi   créées.     Favoriser   les   continuités   vertes   entre   les   parcs   urbains.     Créer   sept   nouveaux   franchissements   de   la   rocade   pour   favoriser   ces   continuités  («  agrafes  »).   Groupement   Yves  Lion     Le   territoire   est   marqué   par   l’habitat   diffus   et   de   grandes   zones   d’activités   où   se   font   sentir   des   besoins  de  requalification.       Dégager   de   nouvelles   surfaces   constructibles   pour   favoriser   la   mixité   fonctionnelle.     Renforcement  de  l’identité   du  secteur  sud.     Construire   de   grands   équipements   d’agglomération   et   développer   des   activités   tertiaires.       Renforcer   le   réseau   de   tramway.       Requalification   des   grands   boulevards   (cours   de   l’Europe,   cours   Jean   Jaurès)     Favoriser   l’insertion   de   la   rocade   sud   en   traitant   les   échangeurs.     3.2- Le projet NOVASUD 21 Ce projet, réalisé à l’initiative au départ de la Ville d’Echirolles, propose un positionnement de l’entité territoriale « Sud agglomération » et trace les premières lignes du projet urbain intitulé NOVASUD 21. Il propose de révéler le potentiel urbain du sud de l’agglomération grenobloise. Ce projet a pour objectif de « porter l’ambition d’un nouveau développement pour les territoires Sud, résolument innovant dans ses méthodes d’élaboration et les réponses qu’il entend apporter aux enjeux urbains et environnementaux du 21e siècle ». Il fait l’objet en janvier 2009 d’une présentation devant un panel d’experts européens mis en place par l’International Urban Development Association (INTA) dont le siège social est à La Haye et ses conclusions sont en partie reprises par la Métro dans le cadre de ses études sur la polarité sud de l’agglomération. 108 3.2.1- Le contexte : une nouvelle polarité pour le Sud de l’agglomération Le Sud de l’agglomération, du fait de l’implantation de grandes infrastructures de déplacement (rocade et voie ferrée), de la réalisation de grands équipements publics et de la création de grands ensembles d’habitations, représente, en ce début de XXIème siècle, un pôle d’urbanisation et d’activités économiques (100 000 habitants et 40 000 emplois). La création, à partir du milieu des années 1980, du nouveau centre-ville d’Echirolles a non seulement conforté l’attractivité de ce secteur géographique, mais aussi a pour la première fois proposé, dans le cadre d’un schéma directeur, des principes de constitution des formes urbaines qui ont l’ambition de redonner de la cohérence à l’urbanisation de l’ensemble du secteur Sud. Ce centre-ville, qui accueille désormais des équipements d’agglomération (lycée, centre culturel, institut universitaire, pôle de santé, complexe cinématographique), en relation avec les polarités fonctionnelles présentes dans le Sud (zones commerciales de Grand Place et de Comboire, parcs d’activités des Ruires et de Sud Galaxie, Ecole d’Architecture et Cité des Territoires…) constitue désormais un potentiel de développement qui pourrait être mise en valeur dans le cadre d’un grand projet urbain à l’échelle intercommunale. La réflexion proposée, qui se base notamment sur un bilan des analyses et des études disponibles au niveau du Sillon Alpin, de la région urbaine, de l’agglomération et de la commune d’Echirolles, s’organise autour de trois échelles territoriales de projet : l’échelle de l’agglomération, celle de la rocade et celle du projet urbain. A l’échelle de l’agglomération, l’objectif est dépasser la contrainte que représente la coupure de l’urbanisation par une autoroute et une voie ferrée pour achever la constitution de la « ville Sud », une ville contemporaine qui exploite au mieux la potentialité constituée par le présence de ces deux infrastructures. A l’échelle de la rocade, l’objectif est la mise en place d’une autoroute apaisée (avec réduction de la vitesse à soixante-dix kilomètres/ heure) et la recherche d’une relation positive entre cette infrastructure et les tissus urbains qui l’environnent. A l’échelle du projet urbain, l’objectif est la constitution d’un nouvel espace intercommunal organisé sur la base des deux principes de continuité des espaces publiques et de recherche de cohérences entre les différentes formes urbaines présentes sur le site. La création d’une « ville Sud » s’inscrit dans la volonté de la communauté d’agglomération de réorganiser son développement autour d’un centre principal dont l’attractivité doit être renforcée et de trois polarités secondaires qui correspondent chacune à une des branches du « Y » grenoblois. Si l’Est (domaine universitaire et Innovallée) et l’Ouest (presqu’île scientifique concernée aujourd’hui par le projet Giant) constituent des polarités caractérisées par une excellence scientifique et technologiques, le Sud accueillent des activités humaines beaucoup plus diversifiées tant et si bien qu’il est difficile de lui assigner une image spécialisée. A la différence des deux autres polarités qui sont segmentées par les rivières et des tronçons routiers ou autoroutiers, le Sud apparaît comme un chapelet de petits pôles qui s’égrainent le long de la rocade. Il convient donc d’améliorer les relations entre ces pôles dans le cadre de la création d’un morceau de ville à part entière. 3.2.2- Repositionner la centralité Sud agglomération A deux reprises au cours de son histoire, l’agglomération grenobloise a fait l’objet de proposition de réorganisation du Sud de son territoire. Le Plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension, dit aussi Plan Jaussely (1922), propose d’organiser le territoire, à l’époque non encore urbanisé, autour de trois axes nordsud qui convergent vers une nouvelle gare. Il n’est guère suivi d’effets. Le Plan directeur du groupement d’urbanisme, dit Plan Bernard (1963) installe le tracé de l’actuelle rocade sud et propose la structuration d’un nouveau centre-ville (pour Grenoble) qui articule les quartiers modernes de la Zone à urbaniser en priorité de part et d’autres d’un grand axe (nord-sud) qui accueille les grands équipements et services publics. Reformulée à partir de 1965, par les architectes de l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture, au premier rang desquels Michel Steinebach, cette proposition d’organisation découpe le territoire du sud de Grenoble et du nord d’Echirolles en mailles d’urbanisation qui communiquent par des dalles et des passerelles piétonnes. Les grands axes, qui séparent les nouveaux quartiers (Village Olympique, Arlequin et Baladins, Surieux, Les Essarts), sont traités comme de simples axes de circulation et perdent toute qualité d’espace public. Le projet moderne développé dans les années 1960-1970, contrairement à ses intentions initiales, a contribué à fragmenter le territoire et le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme, approuvé en 1973, a contribué à remplir les espaces libres proches de la rocade d’une série de zones d’activités aujourd’hui peu valorisantes pour le reste du territoire. 109 Le projet NOVASUD21 propose de repositionner la future polarité Sud de l’agglomération en relation avec la plate-forme d’intermodalité que constitue ce que l’on pourrait appeler un futur pôle Gare. L’intersection entre la rocade autoroutière et l’avenue des Etats Généraux met en relation en plus de ces deux infrastructures routières la voie ferrée (halte-ferroviaire) et une ligne de tramway. La proposition de déplacer vers le sud la future polarité permet donc une meilleure articulation entre le développement de l’urbanisation et la réorientation des politiques de déplacements en faveur des transports publics et des modes doux amorcée avec l’approbation en 2000 du second Plan de déplacements urbains de l’agglomération. 3.2.3- « Immerger » la rocade dans le tissu urbain L’analyse des possibilités de franchissement de la rocade (et de la voie ferrée) montre une implantation régulière d’échangeurs, de ponts et de passerelles qui constituent autant de liaisons ponctuelles entre le nord et le sud de l’agglomération. Le projet met l’accent sur la nécessité de renforcer la continuité des axes historiques (cours Jean Jaurès, Jean Perrot, A. Croizat) et de créer cette même continuité sur les axes modernes (avenue des Etats Généraux et d’Innsbruck), ce qui implique notamment un traitement du franchissement de la rocade. Il examine les possibilités d’atténuation de la coupure que représente cette même rocade en proposant selon les lieux un effacement avec création d’une couverture ou un traitement des franges (contre-allées ou traitement paysager). 110 3.2.4- Une recomposition urbaine d’ensemble Un nouveau maillage viaire est proposé, qui permet une meilleure irrigation de la majeure part du tissu urbain, qui voit la persistance de vastes enclaves, correspondant aux ensembles modernes, programmés dans les années 1970. A partir du pôle gare, qui accueille autour d’une place un important développement et doit devenir un outil de fédération du centre de la ville du Sud, un axe estouest sert d’élément générateur d’un projet urbain organisé en îlots ouverts de forme et de dimensions régulières. Des simulations permettent d’envisager à terme un programme ambitieux mêlant activités (entre 220 000 et 400 000 m2 de surface hors œuvre nette) et logements (entre 750 et 1 500). Une attention particulière est par ailleurs portée à la constitution de trames vertes et à la continuité des cheminements piétons ou cycles. 3.2.5- Les dimensions intercommunales du projet communales et Le projet NOVASUD21, bien qu’il s’organise autour de trois échelles territoriales, porte une attention plus particulière à la requalification d’un secteur géographique délimité par l’avenue des Etats Généraux à l’ouest, l’avenue d’Innsbruck à l’est, secteur qui correspond à une partie des territoires des trois communes d’Echirolles, Eybens et Grenoble. De manière opérationnelle, il s’intéresse de manière privilégiée aux capacités d’urbanisation d’un ensemble de terrains situés à Echirolles, commune dont il faut rappeler qu’elle fut le commanditaire de l’étude qu’elle a par ailleurs financée intégralement. Toute la difficulté du projet est de souhaiter offrir un cadre de référence pour opérer « la réinsertion plus complète de la composante économique Sud agglomération dans la dynamique de compétitivité et d’innovation qui marque la région urbaine », tout en répondant plus particulièrement aux demandes d’Echirolles. En ce qui concerne la rocade, le projet s’intéresse plus particulièrement à la possibilité de couvrir la rocade de part et d’autre de l’échangeur Jacques Duclos par une dalle qui permettrait de créer la place de la gare et de développer un nouveau pôle de développement. S’il indique des solutions possibles pour l’amélioration de l’insertion urbaine de l’autoroute (contre-allées et traitement paysager), il n’en évalue en rien la faisabilité. de l’innovation. D’autres, plus critiques à l’égard d’une volonté permanente d’innovation qui renvoie en fin de compte à un regard moderne sur la ville, trouve dans l’attitude des professionnels missionnés par Echirolles, la garantie d’une prise en compte des spécificités du territoire local et la possibilité de prendre les innovations architecturales dans une démarche qui garantit la constitution d’un véritable tissu urbain. Figure 25 : NOVASUD21 : l’échelle de l’agglomération, le projet urbain et son interprétation Ce projet, qui se veut « résolument innovant », s’appuie néanmoins sur des principes de constitution des formes urbaines (maillage viaire, découpage en îlots, îlots ouverts) qui ont été expérimentés dans le cadre du centreville d’Echirolles d’abord, dans le Projet de ville (2006) de cette même commune par la suite. La démarche adoptée prend appui sur la méthode mise au point par les écoles dites du projet urbain pour tenter une restructuration de tissus issus d’une urbanisation de faubourgs ouvriers, caractérisée par une insuffisance de qualité urbaine et un manque en espaces publics. Si elle a connu un certains succès lorsqu’il s’est agi de donner cohérence à une urbanisation juxtaposant zones d’activités, lotissements de maisons individuelles et petits collectifs, l’on peut être plus dubitatif sur sa capacité à intégrer les véritables îles que constituent les grands ensembles modernes. Source : Ville d’Echirolles, archives. Certains peuvent voir dans cette volonté de s’appuyer sur des principes qui ont fait leur preuve une certaine frilosité à l’égard 111 Figure 26 : : NOVASUD21 : le schéma directeur Figure 27 : NOVASUD21 : axonométrie Source : Ville d’Echirolles, archives. 112 Conclusion L’ensemble des études et projets, qui ont porté, au cours des dernières années, sur le sud de l’agglomération, ont perçu la rocade à la fois comme un atout – elle relie des pôles, distribue la circulation et innerve le territoire – et un handicap – difficilement franchissable, elle renforce la fragmentation. Sa transformation en une voie urbaine – qui pourrait prendre la forme d’un nouveau boulevard – n’est envisagée par aucune des équipes professionnelles, même pas par celle qui partage la philosophie d’un ralentissement des vitesses dans le cadre d’une stratégie de chronoaménagement. Le couloir de transport qui sépare l’agglomération de sa périphérie sud accueille en effet à la fois une autoroute et une voie ferrée d’intérêt régional assurant la jonction entre Chambéry et Lyon. L’idée d’implanter de nouvelles constructions à l’alignement apparaît d’autant moins tenable qu’une des rives de ce couloir jouxte la voie ferrée. Seul le projet NOVASUD21 envisage de créer dans le long du tronçon Eybens SaintMartin d’Hères une contre-allée, sans que soient définis de manière précise les points d’échange entre cette contre-allée et la rocade. gué, et suppose d’une part un traitement des berges, d’autre part la création de passage aérien qui peuvent être de simples ponts ou devenir un nouveau sol urbain susceptible d’accueillir des programmes d’activités ou de logements. En aucune manière il n’est envisagé de faire de la rocade l’élément générateur de nouvelles formes urbaines et la recherche porte sur la possibilité de faire communiquer les tissus urbains du nord et du sud en passant au dessus de la voie rapide qui restera en quelque manière un élément étranger à la nouvelle urbanisation. La végétalisation des abords et des délaissés devient un outil bien pratique pour atténuer – et non supprimer – l’effet de coupure entraîné par cette double infrastructure que constitue l’autoroute et la voie ferrée. Les orientations retenues par les professionnels envisagent deux pistes qui peuvent être poursuivies de manière complémentaire : la multiplication des franchissements (les « agrafes » du projet de Nicolas Michelin) d’une part, la transformation en « une ripisylve urbaine » qui permette de relier différents corridors écologiques ou lignes d’infiltration, orientés nord-sud. Le terme de ripisylve renvoie d’ailleurs à l’image d’un fleuve que l’on ne peut traverser à 113 4. La Rocade Sud un axe structurant pour l’urbanisation ? Introduction En 2010, l’Etablissement Public du SCoT organise en collaboration avec trois établissements d’enseignement supérieur : l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat et l’Institut d’Urbanisme de Grenoble. des ateliers du Grenelle au cours duquel différents groupes d’étudiants formulent des scénarios de transformation de la rocade sud. Dans l’atelier du Grenelle grenoblois, nos étudiants ont dialogué avec les acteurs politiques et économiques, avec les associations d’habitants, avec les urbanistes de l’Etablissement Public du SCOT, de l’Agence d’Urbanisme et de GrenobleAlpes Métropole (Fombonne, 2010, p10). Notre souci dans cet atelier a été de favoriser une entrée en matière frontale des étudiants avec le cas de la Rocade Sud. Nous avons choisi de travailler à une large échelle, sur l’ensemble des communes du sud de l’agglomération grenobloise. Nous avons mis sur pieds de nouvelles façons de penser et de nouveaux modes opératoires pour travailler les relations entre les infrastructures et les territoires, qui peuvent pour partie prendre appui sur des solutions techniques anciennes qui ont participé au développement des villages-rues ou des villes linéaires ; mais qui peuvent aussi proposer sans contrainte des solutions plus délicates à mettre en œuvre techniquement mais plus prometteuses et innovantes pour le devenir de la périphérie grenobloise. 114 4.1- La méthode de travail Pour alimenter notre réflexion, pour comprendre comment des projets sont susceptibles de se saisir des traces de ville linéaire présentes sur le territoire sud de Grenoble nous avons travaillé à construire de nouveaux scénarios de fabrication de tissus urbains, ceci afin d’évaluer, en chambre, la capacité de la Rocade Sud de participer à une nouvelle organisation du territoire. Les étudiants de première année de master « urbanisme et projet urbain » réunis dans l’Atelier de Projet Urbain ont été invité dans un premier temps à formuler un diagnostic quant aux relations que l’infrastructure entretient avec la ville et dans un deuxième temps à proposer des scénarios de transformation de la Rocade Sud. Sur la base des résultats de cet atelier, il nous est ainsi possible de tester des propositions susceptibles de faire école pour le renouvellement des périphéries urbaines. Les scénarios proposés cherchent à redéfinir le rôle de la rocade et à l’utiliser pour constituer un axe potentiellement structurant de l’urbanisation. Les solutions envisagées, qu’il s’agisse de continuité bâtie, de densification, de couverture partielle la Rocade, de sa transformation en parkway intégrée dans un maillage végétal, ou de son intégration dans un système de déplacements basé sur l’intermodalité, remettent en contact ville-centre et banlieues dans la perspective d’une agglomération grenobloise plus homogène. 4.2- TOD’s, densification et couverture partielle Les enjeux sociologiques liés à la transformation de la rocade concernent les habitants et les territoriants. En conséquence, les projets s’attachent à proposer une densification autour des pôles intermodaux présents sur le territoire sud grenoblois. Les scénarios retiennent comme référent historique, le modèle américain des Transit Oriented Developments qui propose une urbanisation radioconcentrique autour des « gares » (Calthorpe, Fulton, 2001). A partir de cette référence, tous les projets travaillent sur une organisation des déplacements plus efficaces, avec une réduction des coûts collectifs et individuels liés au transport. De plus, par une densification de pôles, les projets entendent répondre à la diversité des besoins en matière de logements et à la demande localisée d’amélioration de la qualité de vie urbaine. La centralité organisée autour des TOD’s offre ainsi un lieu où le mouvement est présent, un lieu qui diffuse, qui rayonne, qui provoque des échanges, qui permet une communication, visuelle, de parole ou de mouvement. Les TOD’s permettent de répondre à l’idée qu’il ne peut pas se créer d’activités sans la présence d’individus et qu’il ne peut pas se créer de centralité sans concentration d’individus dans un espace précis. La densification se traduit dans tous les projets par des travaux de couverture de l’infrastructure. Les exemples espagnols, rondas de Barcelone et M-30 de Madrid sont les références de recouvrement de voirie repérées par les étudiants. Ces dispositifs permettent de dégager un vaste espace public, aménageable. Figure 28 : Agglomération, Rocade Sud et franchissements Figure 29 : Rocade Sud, TOD’s et densités Il s’agit également d’intégrer et d’insérer davantage l’infrastructure routière au paysage urbain, ce qui permet de densifier en riveraineté très proche de la rocade. Ce type de recouvrement nécessite des travaux importants, et un coût très élevé, cependant, les résultats sont à la hauteur de la demande des collectivités qui souhaitent supprimer la rupture que constitue la Rocade Sud et recomposer une unité spatiale pour l’entité « agglomération grenobloise ». En effet les analyses morphologiques en rives de rocade montrent qu’il existe une dichotomie importante entre les tissus situés au nord et ceux situés au sud. Ainsi deux tissus urbains se font face de part et d’autre de cette infrastructure. Le réseau bâti se modifie, tout comme le réseau parcellaire. Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble, IUG, 2009-2010. 115 Sur la commune d’Echirolles, la maille est relativement fine, claire et logique. Mais pour le sud de la commune de Grenoble, elle devient bien plus large, presque difforme. Et c’est avec une mutation discrète, du sud vers le nord, que la maille change dans sa taille et dans sa forme. La couverture partielle permet de reprendre les liens entre ces deux tissus et de parfaire le sud de l’agglomération. Figure 30 : Nanterre, références pour la couverture partielle de la Rocade Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble, IUG, 2009-2010. 4.3- Rocade dessus – dessous Parmi les projets des étudiants de l’Atelier de Projet Urbain, nous avons retenu le projet dit « Rocade dessusdessous » qui répond le plus à la volonté, de transformer le caractère routier de la Rocade Sud par la densification des rives de cette infrastructure et de mailler le territoire par de larges couvertures permettant de traverser et de reconstruire le territoire. En conséquence, les orientations principales d’aménagement se structurent par la densification du tissu urbain autour des principes de l’habiter dessus et l’habiter dessous. 116 La densification répond à la volonté d’atténuer les différences entre les deux tissus urbains repérés en tenant compte des tissus préexistants. De manière assez logique, le projet crée un langage urbain capable de faire le lien entre tissu pavillonnaire et tissu des grands ensembles. Dès lors, en s’inspirant d’un comic-strip qui développe une histoire en quatre vignettes, le projet propose deux types de tissus urbains pour combler le vide. Le premier présente un maillage fin à l’image du centre-ville de la commune d’Echirolles. Le bâti s’organise à l’image de l’îlot ouvert de Christian de Portzamparc, le projet propose un découpage de chaque parcelle où chaque bâtiment est indépendant et n’est pas soumis à des règles d’alignement ou de mitoyenneté. Cette implantation permet une plus grande porosité des parcelles. Le second est de type «hybride», il est construit sur les mêmes bases morphologiques que le premier, cependant la maille parcellaire est beaucoup plus lâche. Sur la commune d’Echirolles, cette densification s’appuie, au moins en partie, sur le recouvrement de la rocade qui permet de mettre du foncier nouveau à disposition des municipalités. Le recouvrement de la rocade permet la création de traversées urbaines et de pôles multimodaux qui sont redéveloppés à partir de la halte ferroviaire de la commune d’Echirolles et de la gare de la commune de Gières. Chaque pôle est situé à proximité d’un échangeur de la rocade, d’un arrêt de tramway et il dispose tous deux d’un parking relais, néanmoins, ces sites n’apparaissent pas comme de véritables pôles multimodaux. Le projet propose de développer ces pôles et de les intégrer au tissu urbain. Les parking sont requalifiés et repositionné dans l’offre de stationnement des deux communes. Figures 31 : Restructuration du maillage et comics trip Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble, IUG, 2009-2010. géographique actuelle et en créant deux percées. Ces percées sous forme de voies de circulation routière et piétonne permettent de relier chaque côté de la rocade. L’espace de transition entre le centre commercial Ikéa et les zones d’habitation est constitué d’une galerie de commerces de proximité et d’un vaste espace public qui deviendrait une zone de transition majeure sur ce territoire. Dans cette proposition, c’est l’appropriation des dessous d’une infrastructure dans le quartier de Mitte à Berlin qui est retenue comme référence dans le projet d’habiter dessous. Des commerces et des espaces publics ont été réalisés sous la voie ferrée pour revitaliser le quartier du Mitte. De nombreuses percées ont été réalisées et l’originalité du projet tient dans la conservation de l’infrastructure en tant que voie de communication. L’implantation d’activités dans ces zones crée un espace d’échanges dans des lieux en manque de dynamisme. Figures 32 : New York, références pour le traitement dessus dessous de la Rocade L’appropriation sociale d’un élément de recouvrement peut se repérer dans les réalisations parisiennes et newyorkaises de réutilisation d’anciennes voies ferroviaires aériennes. La High Line à New York qui s’appuie sur la conservation des installations existantes pour offrir un espace public attractif, constitue la référence de l’habiter dessus de ce projet. Sur la commune de Saint Martin d’Hères, la liaison entre les deux rives de la rocade se fait par dessous. Le projet consiste à investir le dessous de la rocade, en profitant de son élévation Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble, IUG, 2009-2010. 117 4.4- Espace d’appropriation sociale, parkway et maillage végétal Comme dans les scénarios précédents, les enjeux sociologiques liés à la transformation de la rocade concernent les habitants et les territoriants, mais les scénarios d’évolution de la rocade diffèrent. Dans cette seconde série de projets, les propositions ont toutes pour objectif de créer une succession d’espaces de promenade, de déambulation, de loisirs : la création de corridors et de trames vertes et bleues est une opportunité pour constituer ces espaces de proximité. Par ailleurs, l’enjeu est aussi de permettre aux usagers d’accéder aux espaces naturels proches de l’agglomération grenobloise. Les sentiers partant du centre-ville et traversant la rocade sont une opportunité pour les habitants de pouvoir accéder à des parcs périphériques, des espaces naturels et agricoles. Les espaces de loisirs sont rendus plus accessibles, disponibles plus facilement grâce à ce réseau d’espaces verts et de sentiers urbains et ruraux. Figure 33 : Rocade Sud et Parkway 118 Cette réponse à une demande de nature sensible proche, en lien avec la ville, est un enjeu majeur auquel tous les scénarios ambitionnent de répondre. Plus globalement, l’enjeu habitant est l’amélioration du cadre de vie : l’espace urbain est paysagé, le cadre de vie se trouve mis en valeur, les espaces verts sont proches, accessibles, disponibles. L’appropriation de la rocade est donc l’occasion de répondre à un enjeu social et à une demande de nature proche, interpénétrée avec le tissu urbain. Les scénarios de maillage végétal retiennent comme référent historique le modèle de la parkway. Dans les travaux des étudiants, une parkway est une avenue promenade permettant de relier la ville à ses différents parcs périphériques. C’est une voie de communication relativement large et agréable, à la fois un lieu de circulation rapide et efficace et large espace de promenade destiné aux piétons. En 1868, le terme de parkway est utilisé pour la première fois, sous la forme parkway, aux Etats-Unis, dans le rapport de Frederick Law Olmsted pour Brooklyn. En 1906, l’expression sera traduite par Jean-Claude-Nicolas Forestier par le terme d’« avenue-promenade ». D’autres définitions sont proposées : « un espace public linéaire utilisé à la fois pour le transport et les loisirs » pour Glenn Orlin, ou « une parkway est une voie limitée aux véhicules privés, et rendue extrêmement plaisante comme voie pour les trajets d’agrément avec toutes sortes de moyens, mais en particulier avec le sentiment d’ouverture que donne une généreuse largeur d’emprise et par un ample encadrement d’arbres, de buissons et autres plantations sur les trottoirs parallèles » pour Frederick Law Olmsted en 1824. Les objectifs de ces voies se croisent : elles répondent à une ambition sociale en favorisant l’accès de toutes les catégories de population aux parcs grâce à une promenade égalitaire. C’est aussi une voie de communication moderne, où peuvent coexister tous les modes de transports et qui raccourcit les distances entre nature et ville. La parkway se définit aussi par une forte présence végétale pour mettre en place un maillage végétal du territoire. Le souci esthétique est prépondérant dans la création des parkways et le type de végétation, diversifiée et hétérogène ou régulière et rectiligne, est toujours massive et linéaire, tout le long de la voie urbaine. La parkway se veut en rupture par rapport à la ville minérale. C’est une promenade fortement végétalisée et paysagée qui sublime l’espace dans lequel elle s’insère. C’est donc un projet qui s’inscrit dans une vision d’ensemble du territoire. Par ailleurs, la parkway est un outil de reconquête de l’espace urbain. Elle joue un rôle organisationnel, dans le sens où elle va contribuer à l’aménagement du sud de l’agglomération, et à plus grande échelle à modifier toute l’agglomération grenobloise. Cette faculté d’organiser l’espace fait de la parkway, l’élément structurant des scénarios d’évolution de la Rocade Sud. Dans tous les projets, la parkway doit pallier au manque réel de connectivité entre les parcs et autres espaces végétalisés du territoire. En effet, l’agglomération grenobloise présente une diversité paysagère qui se caractérise par la proximité des montagnes, des Parcs Naturels Régionaux du Vercors et de la Chartreuse, ainsi que d’espaces agricoles et de nombreux parcs urbains. Les projets se calent sur le Schéma Directeur de la Région Urbaine de Grenoble qui suggère de développer des liaisons, à travers des trames vertes, des corridors écologiques pour relier la ville à la montagne, et sauvegarder la biodiversité. L’idée cadre étant de matérialiser des continuums verts et bleus pour encercler la ville et reconnecter les massifs montagneux entre eux. Figures 34 : Paris, références parkway Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble, IUG, 2009-2010. 119 4.5- Rocade apaisée et traversante Parmi les projets des étudiants de l’Atelier de Projet Urbain, nous avons retenu le projet dit « Rocade apaisée et traversante » qui répond le plus à la volonté de transformer le caractère routier de la Rocade Sud par la création d’un linéaire vert et de mailler le territoire par des traversées constituant un maillage vert efficace du territoire. En conséquence, les orientations principales d’aménagement se structurent autour des principes de l’autoroute apaisée, la couture urbaine, l’habiter d’exception et la logique globale paysagère. Figure 35 : Rocade Sud et animation paysagère structurante Figure 36 : Rocade Sud et image paysagère structurante La démarche de chronoaménagement en cours dans la région urbaine grenobloise et son outil symbolique, l’autoroute apaisée, sont au cœur du projet. Cette démarche réinterroge, à partir de leur contribution aux objectifs d’aménagement du territoire, les fonctions, et, par conséquent, la conception voire l’opportunité des grandes infrastructures de déplacement. Ainsi, l’autoroute apaisée est un label qui impose plusieurs caractéristiques à la voie qui participent à la définition de ce nouvel objet urbain. : « Une autoroute apaisée doit être structurante à la façon d’une autoroute, avec un débit important et des échangeurs à niveau. Incitatrice, elle est située entre le réseau de voies urbaines et les routes intermédiaires à vitesse modérée, ainsi elle garantit sécurité et confort, ce qui en fait une voie à haut niveau de service. Ouverte au réseau de transports en communs pour le rendre plus compétitif avec la voiture, elle satisfait aux exigences de multimodalité. L’autoroute apaisée s’insère au mieux dans son environnement proche et lointain, elle est contextuelle. De plus, elle devient urbaine par sa mise en scène du paysage. La couture urbaine répond Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble, IUG, 2009-2010. 120 ainsi à la volonté de créer pour la rocade un lien avec son environnement, c’està-dire de former progressivement une « couture urbaine » et pour cela le projet travaille sur la thématique des traversées de la rocade alliée aux principes de l’autoroute apaisée. Le vide structurant que constitue la rocade aujourd’hui deviendra une présence urbaine, sans pour autant être bâti, puisque l’intervention sur la voie doit rester végétale dans le cadre d’une autoroute apaisée qui revisite la fonction du décor et de l’approche environnementale. Figure 37 : Rocade Sud et image paysagère structurante Figure 38 : Projet Green by pass, référence pour la couverture végétale de la Rocade Les interventions majeures se feront donc au niveau des abords et du tracé de la rocade, ainsi que sur les passerelles et échangeurs qui constituent de véritables points de liaison. En effet, habiter un lieu d’exception impose de parvenir à relier les deux rives de la rocade. Il s’agit tout d’abord d’apprivoiser la rocade afin de lui donner un caractère urbain et d’en faire un lieu d’exception à l’échelle de l’agglomération. Ceci passe par la constitution de sites particuliers au niveau des passerelles. L’apaisement de la rocade et de son environnement proche sera enfin l’occasion d’unifier l’ensemble des interventions sur l’infrastructure dans une même dynamique. La logique globale paysagère s’appuie sur les forts contrastes repérés en rives de rocade, entre des secteurs très denses et d’autres beaucoup plus aérés. Le projet propose de travailler sur ces contrastes afin de les restructurer et d’introduire un véritable rythme dans le parcours de la rocade. Le recours au végétal est un moyen efficace de modeler une logique paysagère sur la rocade. Source : Atelier de Projet Urbain, Grenoble, IUG, 2009-2010. 121 Le végétal aura pour rôle d’irriguer et de faire respirer le tissu urbain grâce à des liaisons vertes. Il se développera notamment sous la forme de bras verts en suivant une maille végétale, comme on peut le voir dans le parc Hellenikon à Athènes. Du point de vue social, cet aménagement est voué à devenir un lieu de promenade, de détente, de jardinage. Le contraste entre bâti et végétal est fort sur le secteur sud/ouest de la rocade où le bâti est déjà dense. Dans cette séquence, le paysage végétal est traité de façon à ce qu’il évoque une nature brute : une forêt urbaine à la hauteur de la commune d’Echirolles. Puis il s’atténuera progressivement, pour déboucher sur une homogénéité entre un bâti et un végétal moins denses. Après la forêt urbaine située de part et d’autre de la rocade, le projet propose une prairie urbaine aménagée sur la couverture partielle de la rocade. La prairie est un jardin en mouvement inspiré des travaux de Gilles Clément, alliant points d’eau avec une végétation basse de prairie. L’aménagement vise un public familial et de promeneurs, c’est pourquoi, à l’extrémité nord de la couverture, les équipements prendront la forme de jeux pour enfants en prolongement de ceux qui existent en rives de rocade. Dans le secteur nord/est, le projet propose d’évoluer progressivement vers une nature maîtrisée et cultivée au niveau de la commune de Saint Martin d’Hères. Cet espace paysager se présente en deux parties reliées par une longue passerelle piétonne aérienne et filaire qui se fait discrète dans le paysage montagnard perçu depuis la rocade. On trouve au nord ouest un ensemble de jardins collectifs de ville entourés d’une prairie qui se poursuit de l’autre côté de la rocade sur une vaste surface plane au pied du massif de Belledonne. 122 Pour une meilleure continuité de cet espace paysager, les herbes folles et les graminées seront présentes également sur le terre-plein central de la rocade. Au milieu de cette grande prairie émerge un bâtiment qui sort de terre par un effet de prolongement du sol. Il peut être occupé par un équipement nautique qui laisse à disposition des usagers le toit végétal qui le recouvre. Cet équipement « bâtimentcolline » est un pôle d’attractivité proche des quartiers, il dialogue avec les massifs proches et il a pour vocation d’être un intermédiaire entre ville et montagne. Le parc qui l’entoure joue le rôle de vide structurant et liant. Il est à disposition des deux établissements scolaires proches, Henri Wallon et Pablo Neruda ainsi que de quatre zones résidentielles différentes qui peuvent en profiter quotidiennement. Conclusion Dans l’Atelier de Projet Urbain, les projets cherchent tous à donner une nouvelle fonction urbaine à la Rocade Sud. Ils tendent à limiter voire à supprimer la prédisposition originelle de cet axe comme limite à l’urbanisation et comme espace de séparation entre la villecentre et ses banlieues. Ces scénarios ne présentent pas tous la même qualité de transformation du territoire. Nous observons que les premiers, qui développent les principes des TOD’s, de la densification et de la couverture partielle de la rocade sont dans une logique de négation de la figure de la ville linéaire. Ces projets ne se confrontent pas avec l’infrastructure, ils s’attachent à gommer son existence et ils se construisent en niant la force de la linéarité du dessin originel. A contrario, les seconds, qui développent les principes de la parkway et du maillage végétal, offrent une capacité de transformation plus probante et présentent plus de garantie d’appropriation sociale. La figure linéaire, même recouverte de végétation, est conservée, elle poursuit son inscription dans le territoire et elle conserve son rôle d’élément structurant pour la constitution d’un nouveau tissu urbain au sud de l’agglomération. Les scénarios de fabrication de nouveaux tissus permettent d’alimenter la réflexion pour un projet urbain fédérateur. La Rocade Sud projetée ne constitue plus une coupure pas plus qu’elle ne joue un rôle de voie de transit pour éviter la ville. Elle offre désormais aux territoriants grenoblois, la possibilité de disposer d’un nouvel espace de distribution et de mise en contact entre ville-centre et banlieues dans la perspective d’une agglomération grenobloise reconstruite. Conclusion générale Si dans le cas de la Villeneuve d’une part, du Centre-Ville d’Echirolles et du quartier de Vigny-Musset, les figures de la mégastructure et de la grille ont été explicitement mobilisées par les acteurs (plus par les urbanistes et les professionnels que par les décideurs politiques) qui ont la responsabilité des projets, le lien qui peut être établi entre les tissus urbains situés de part et d’autre de la rocade et la ville linéaire sont plus ténus. La rocade et la voie ferrée qui la jouxte ont été dans un premier temps pensées comme de simples infrastructures de mobilité qui devaient être implantées à l’extérieur de l’urbanisation. C’est seulement dans un deuxième temps que la rocade est perçue comme une voie qui « innerve » un ruban est/ouest de zones industrielles, commerciales et technologiques. L’infrastructure routière apparaît dès lors comme une « rue centrale » (pour reprendre l’expression de A. Soria Y Matta) qui sert d’élément générateur au plan d’une partie de la ville. Le lien entre le tissu ainsi créé et la rocade s’arrête pourtant là : les échangeurs, en petit nombre, ne peuvent en aucune manière être assimilés à des croisements et les relations de riveraineté sont absentes entre la rocade et le tissu urbain. L’ensemble des études et projets pris en compte dans cette recherche, qu’ils émanent de professionnels (architectes, paysagistes et urbanistes) ou d’étudiants (en architecture, en ingénierie et en urbanisme), s’ils insistent sur l’importance de l’infrastructure routière (et plus encore aujourd’hui de la voie ferrée), n’envisagent pas d’en faire l’élément générateur d’une mise en cohérence des différents fragments qui constituent « la ville Sud ». Les éléments qui permettent le franchissement de l’infrastructure, en dessous ou en dessus, sont privilégiés et, lorsqu’ils intègrent une couverture partielle de la rocade, doivent favoriser une continuité des tissus urbains (en permettant une extension vers le nord de la maille d’urbanisation retenue pour le Centre-Ville d’Echirolles par exemple). L’aspect le plus novateur d’une partie au moins de ces projets consiste dans la volonté de faire des couloirs de mobilité des corridors écologiques en végétalisant les abords et les délaissés. Dans cette perspective, la rocade et la voie ferrée, qui contournent l’agglomération, peuvent devenir un vecteur privilégié de mise en relations d’une série de corridors écologiques ou d’infiltrations vertes. Cette introduction de la végétation est souvent accompagnée de l’implantation de nouveaux parcours pour les piétons et les cycles. 123 Bibliographie AGENCE NICOLAS MICHELIN &ASSOCIES, Grenoble Agglomération Sud. Etude Intercommunale de prospective urbaine. Diagnostic stratégique et reformulation des enjeux, Communauté d’agglomération Grenoble Alpes Métropole, 2004. AGENCE NICOLAS MICHELIN &ASSOCIES, Grenoble Agglomération Sud. Etude Intercommunale de prospective urbaine. Premières propositions, Communauté d’agglomération Grenoble Alpes Métropole, 2005. ATELIER FRANCK HUILLARD, Etudes Intercommunales de prospectives urbaines. Secteur sud de l’agglomération grenobloise. Diagnostic Enjeux, Communauté d’agglomération Grenoble Alpes Métropole, 2004. ATELIER FRANCK HUILLARD, Etudes Intercommunales de prospectives urbaines. Secteur sud de l’agglomération grenobloise. Schéma d’organisation urbaine générale, Communauté d’agglomération Grenoble Alpes Métropole, 2005. ATELER LION ARCHITECTES URBANISTES, Etude Intercommunale de prospective urbaine. Secteur sud de l’agglomération grenobloise, Communauté d’agglomération Grenoble Alpes Métropole, 2004, 2005. CALTHORPE P., FULTON W., Planning the end of the sprawl. The regional city, Washington, Island Press, 2001. DUPUY G., L’urbanisme des réseaux. Théories et méthodes, Armand Colin, 1991. FOMBONNE D. (sous la direction de), Maîtriser la périurbanisation par un nouvel outil : le chronoaménagement, Ateliers du Grenelle 20092010, SCoT de la Région Urbaine de Grenoble, 2010. MELISSINOS A., Récit d’une rupture : Ville/ urbanisation, Académie d’architecture, Paris, 2007. 124 MILIOUTINE, N., Sotsgorod la construction des villes soviétiques, de l’Imprimeur, Paris, 2002. (édition et traduction en français du texte originel de 1930). NOVARINA G., « Cerdà Ildefonso, La théorie générale de l’urbanisation », Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine, N°22-23, 2008. SAUVAGE Y. (coordination), Les territoires Sud de l’agglomération grenobloise. Potentialités et questionnements, NOVASUD21, Panel INTAEchirolles, Ville d’Echirolles, 2009. SAUVAGE Y. (coordination), Grands principes de composition urbaine, NOVASUD21, Panel INTAEchirolles, Ville d’Echirolles, 2009. SMTC, Plan de déplacements urbains, Grenoble, 2000. SORIA Y MATTA A., La cité linéaire. Conception pour l’aménagement des villes, Paris, Centre d’Etudes et de Recherches Architecturales, 1979. (réédition et traduction en français du texte originel de 1913). SYNDICAT MIXTE DU SCHEMA DIRECTEUR, AGENCE D’URBANISME DE LA REGION GRENOBLOISE, Chronoaménagement et autoroute autrement. La proximité au secours du territoire, Editions du CERTU, 2009. ROSSI A., L’architecture de la Ville, Collection Archigraphy, In folio, Golion, 2001 THEYS J., Mobilité et mode de vie dans le périurbain, actes du colloque : recherche et décision urbaine, PUCA, Paris, 2004. VERCELLONI V., Atlante storico dell’idea europea della città ideale, Jaca Book, Milan, 1994. WACHTER S., La forme et le flux, figures urbaines et architecturales de la mobilité, notes du Centre de prospective et de veille scientifique n°18, Paris, 2003. 125 126 Conclusion L’objectif de cette recherche est d’évaluer de quelle manière des « concepteurs », architectes, ingénieurs ou urbanistes, se sont appuyés sur les figures urbanistiques que sont respectivement la mégastructure, la grille et la ville linéaire dans leur proposition d’organisation sinon de la totalité du moins de fragment de la « ville Sud » pour reprendre l’expression utilisée par les responsables du projet NOVASUD21. Une première remarque doit être formulée : rare sont les personnes interrogées au cours de cette recherche qui font immédiatement référence à une quelconque référence urbanistique ou architecturale qui aurait pu inspirer leur travail. Les architectes de la Villeneuve, fidèle au credo des avantgardes modernistes, se considèrent comme des inventeurs qui partent de rien (pour eux ni le territoire ni l’histoire ne peuvent servir de référence à leur projet). Les ingénieurs qui ont eu la responsabilité du tracé de la rocade sud argumentent les solutions retenues sur la base d’arguments strictement techniques, liés à la fluidité de l’écoulement de la circulation. Les seuls qui acceptent l’idée de référence sont en fin de compte une partie des architectesurbanistes qui a été partie prenante du débat sur le projet urbain (Panerai, Mangin, 1999). Les architectes conseils de la Ville d’Echirolles, les urbanistes responsables des études préalables à la Zone d’aménagement concerté de Vigny-Musset revisitent les expériences de l’urbanisme haussmannien et de l’urbanisme réformiste des années 19201930 pour proposer d’organiser la ville, à partir non pas de la figure de la « grille » mais de celle du « maillage » de l’espace, en insistant sur l’importance du tracé des espaces publics et du découpage des îlots (qu’ils préfèrent ouverts). La maille, selon les propos d’Yves Sauvage, apparaît comme une figure opportuniste, un « concept opératoire » qui permet de produire un ordre lisible dans un territoire de banlieue qui se caractérise par la fragmentation à Echirolles (juxtaposition de lotissements, d’ensembles collectifs, d’usines et de zones commerciales) ou est saturé de projets introvertis à Grenoble (Arlequin, Village Olympique). Les trois figures n’ont pas le même statut. Le maillage (pour reprendre le terme préféré par les concepteurs) qui constitue une référence explicite, et la mégastructure, à laquelle les architectes de la Villeneuve font implicitement référence en citant le quartier du Mirail à Toulouse, peuvent être considérées comme des figures posées a priori, alors que celle de la ville linéaire se constitue progressivement lorsque le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (approuvé en 1973) décide d’implanter tout au long de la Rocade Sud un chapelet de zones industrielles ou commerciales. La référence au deux premières figures témoigne d’un dessein organisationnel qui propose de structurer l’espace sur la base d’un dessin fixé a priori et traduit une volonté de voir la structure proposée convaincre, croître et proliférer pour contribuer à structurer (cas de la mégastructure) ou restructurer (cas de la maille) le territoire. La rocade n’est pas le produit d’une telle pensée de composition de l’espace mais le fruit d’un projet de flux, porté par des ingénieurs qui pensent une voie de transit à la 127 périphérie sans escompter qu’elle deviendra bientôt une voie de desserte pour ses rives industrielles. Elle a par contre pris, a posteriori, la figure de la ville linéaire. S’il n’y avait pas au départ le dessein de coloniser la périphérie (mais plutôt de marquer la limite entre ville centre et villes de banlieue), le mode d’organisation de l’espace, le dessin et la capacité à proliférer et se reproduire relèvent bel et bien de la figure de la ville linéaire. Aujourd’hui, les projets en cours pour cette rocade la pensent d’ailleurs comme telle, qu’il s’agisse de la transformer en « autoroute apaisée » ou parkway, figure moderne ou réinventée de la croissance linéaire. La mise en perspective des trois études de cas de cette recherche permet de faire ressortir quelques caractéristiques communes quant à la manière dont a été conçue au cours des années 1970-1980 la « ville Sud » et de nous interroger sur la manière dont les fragments urbains (constitués en référence explicite ou implicite à des figures) peuvent être revisités pour être pris en compte dans une stratégie de recomposition de l’ensemble du sud de l’agglomération grenobloise. Des projets construits en réaction à… Dès le moment où ils se sont proposés de mettre sur pieds une « science de la ville », les urbanistes ont adopté une attitude thérapeutique en proposant de remédier aux maux entraînés par une industrialisation et une urbanisation qui a disloqué les communautés sociales sur lesquelles étaient fondées jusque-là les villes et les villages. Cette attitude « en réaction à » est portée à son paroxysme par les modernes qui imaginent à travers leurs œuvres remédier aux mots non seulement de la ville mais aussi de la société. Tous les projets étudiés (la 128 Villeneuve de Grenoble, la Rocade Sud, Vigny-Musset et Échirolles) se fondent sur une réaction à une situation urbaine : ils diagnostiquent des problèmes, ils passent en revue les politiques municipales et étatiques qui ont donné naissance à des quartiers qu’ils jugent désormais éloignés des besoins des territoires et des populations, ils proposent des solutions alternatives. Les architectes de l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture, qui, il faut le rappeler, ont été choisis en accord avec la direction nationale de la SCET, se positionnent, conformément à une certaine mythologie grenobloise, en rupture avec l’urbanisme technocratique de l’État et avec les grands ensembles. La Rocade Sud est présentée comme une infrastructure qui doit marquer la limite entre la ville et sa périphérie et témoigne ainsi d’une volonté d’aller à l’encontre d’un laisser-faire. Les urbanistes en charge du Centre-Ville d’Echirolles et de Vigny-Musset ont mesuré les limites de l’urbanisme modernes, affirment que la ville ne peut se fabriquer à coup d’innovations et préconisent le recours aux notions simples et éprouvées de rue, place, jardin public et îlot… (Novarina, 1993). La création de la Villeneuve intervient dans un contexte de remise en cause (partielle) du Plan directeur d’urbanisme. Vingt ans avant la décentralisation, l’équipe municipale conduite par Hubert Dubedout entend peser sur les choix urbanistiques. « Le conflit sur le Plan Directeur d’Urbanisme d’Henry Bernard en 1965 conduit à sa mise à l’écart, et à une rupture entre l’État et les communes concernées. Chacune d’elles (Grenoble et Échirolles) obtient de pouvoir choisir les architectes en chef de sa ZUP » (Belli-Riz, « Grenoble (38). Villeneuve, quartier I, l’Arlequin. Côté parc/côté parking », p. 147). Une telle décision est à l’origine d’une façon d’écrire l’histoire locale, qui insiste sur l’importance de la rupture avec les politiques de l’Etat. Lors du séminaire organisé à l’occasion de cette recherche, une large partie des participant insiste sur le fait que la Villeneuve aurait été projetée en réaction à l’urbanisme technocratique de l’État dont le grand ensemble est la concrétisation. La Villeneuve ne serait pas un grand ensemble, parce qu’elle cherche à intégrer différents statuts d’occupation des logements, qu’elle mêle résidences et activités et qu’elle voit dans les équipements intégrés le support d’une intensification de la vie de quartier. Une telle prise de position doit être relativisée car elle oublie que la mixité sociale faisait partie du projet initial du grand ensemble (Chombart de Lauwe, 1959) et que la Grille Dupont fixait des normes d’équipements à respecter lors des opérations de Zone à urbaniser en priorité (Parfait, 1959). D’autres formulations de Jean Tribel ne doivent pas laisser à penser qu’il n’était pas ou courant que son collègue de l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture, Michel Steinbach, à l’époque même du lancement de la Villeneuve, redessinait le plan d’Henry Bernard et proposait une organisation en mailles, convergeant vers un point central, correspondant aujourd’hui à Grand Place. Le quartier de l’Arlequin, comme toutes les mégastructures, avait la volonté de se connecter par des passages piétons surélevés avec la Maison de la Culture au nord, avec le Village Olympique à l’ouest, avec Grand Place, considéré à l’époque comme le nouveau centre secondaire de l’agglomération. La mégastructure doit être pensée moins comme une tentative de dépasser le grand ensemble que comme une volonté de porter à son paroxysme un modèle avec lequel elle partage le principe du rejet de la circulation à l’extérieur des unités de voisinage, le caractère introverti des quartiers proposés, la volonté de promouvoir la mixité sociale et la primauté accordée au logement collectif. Ironiquement, les urbanistes en charge du Centre-Ville d’Echirolles et de VignyMusset cherchent vingt-cinq ans plus tard à tirer les leçons des échecs de cette expérience de rupture pour construire leurs projets.. A Echirolles, Michel Combaz et Yves Sauvage proposent de construire un nouveau processus de fabrication de la ville en s’appuyant sur les principes du projet urbain formulés à la même époque par Christian Devillers et Philipe Panerai. Ces propositions sont perçues par les élus et l’administration de la Ville d’Echirolles comme le résultat d’une évolution sans heurt qui veut qu’à différentes époques historiques l’urbanisme change de forme. A Grenoble, Marcel Bajard et Daniel Hamelin, alors responsables d’un atelier municipal d’architecture et d’urbanisme, proposent une analyse extrêmement fouillée des dysfonctionnements des quartiers sud et c’est sur cette base qu’ils préconisent un retour à des solutions simples qui ont fait leurs preuves (Berrien, 1992). Le maire gaulliste de l’époque, Alain Carignon, en bon tacticien, saute sur l’occasion pour développer avec ses amis politiques une critique en règle de la Villeneuve qu’il présente comme la réalisation majeure des années Dubedout. VignyMusset doit être un anti-Arlequin d’où le choix de ne surtout pas se lancer dans l’expérimentation Lors de l’organisation du concours pour désigner l’architecte en chef de la future Zone d’aménagement concerté, la visite de l’Arlequin figure au programme des équipes répondant à la sollicitation de la Ville et joue un rôle de déclencheur du projet. Comme le rappelle L. Savva, un des deux architectes en chef de la ZAC (Parcours commenté, Vigny-Musset, 17 juin 2010), à la Villeneuve, les appartements sont « formidables » alors que l’espace 129 public est sans intérêt, sans lisibilité : «quand tout est public, rien n’est public». Dès lors, le projet essaie de localiser clairement les espaces privés et publics, crée des rues en partant des axes et des réseaux existants pour définir des îlots. Il est à noter que la prise de position du maire Alain Carignon à propos de VignyMusset est particulièrement flexible et que, devant les critiques des Unions de Quartiers (dont plusieurs responsables sont d’ailleurs d’anciens architectes ou urbanistes qui sont intervenus à la Villeneuve), il retient l’équipe arrivée en deuxième position lors du concours, car elle plus respectueuse de l’urbanisation existante. Le projet de Rocade Sud ne fait pas l’objet de débats doctrinaux et politiques. Le tracé est établi par les ingénieurs des Ponts-et-Chaussées à l’occasion de la préparation des Jeux Olympiques de 1968 et sa localisation répond à une pensée technique qui veut qu’une infrastructure dédiée théoriquement au transit doit être implantée à l’extérieur de l’urbanisation. L’étroitesse de la cuvette grenobloise rend difficile l’application d’un tel principe et la rocade est très rapidement rattrapée par l’urbanisation. Le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme, dont les premières études ont été confiée à l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture, fait explicitement le choix de construire à proximité de la rocade une bande de zones industrielles et commerciales qui devait faire écran entre les quartiers d’habitations et l’infrastructure. De ce choix naît l’idée d’un ruban d’urbanisation qui entretient des relations – il est vrai distendues – avec la ville linéaire. 130 Une échelle d’intervention intermédiaire entre l’urbanisme et l’architecture L’échelle d’intervention qui prévaut dans les années 1970-1980 est une échelle intermédiaire entre celle de l’architecture de l’immeuble et celle du plan de ville. Pendant toute la période dite des Trente Glorieuses, les ingénieurs des services de l’Etat définissent a priori l’organisation en grande mailles du réseau viaire destiné à accueillir la circulation de transit. C’est à l’intérieur de chacune de ces mailles que les architectes sont invités à organiser l’urbanisation. Jean Tribel forge pour l’occasion le terme d’« urbatecture » pour désigner l’Arlequin et l’importance que prend la dimension sociale dans le projet. De cette situation particulière naît la contradiction entre la volonté de faire référence à la figure proliférante de la mégastructure et une intervention qui s’inscrit à l’intérieur d’un périmètre fixé à l’avance. Et la difficulté est encore renforcée par le fait que les « urbanistes de l’époque » sont dans leur très grande majorité des architectes, mal à l’aise dans l’organisation de la voirie et le traitement des espaces publics. La Rocade Sud apparaît elle aussi comme l’axe structurant d’un fragment de ville dédié à la seule activité économique. Là encore, le raisonnement sur lequel s’appuie le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme fait l’impasse sur la compréhension de la mobilité dans sa complexité (en postulant par exemple une possible séparation entre circulation interne et circulation de transit). L’infrastructure est pensée comme un moyen privilégié de relier des zones d’activité et la relation avec les nombreux quartiers d’habitation du sud de l’agglomération n’est guère envisagée. La réflexion porte là encore sur une bande d’urbanisation. Il faut attendre le début des années 1980 pour qu’une série de professionnels revendique la nécessité de concilier une intervention se construisant à la fois à l’échelle du quartier et à celle de la ville. L’expérience d’Echirolles est significative à ce propos, qui revendique la construction en parallèle d’un projet de centre et d’un projet de ville. Le maillage du territoire par les espaces publics sert à la fois à construire un schéma directeur (un plan guide) servant à construire une cohérence entre les différents programmes qui font le futur centre-ville et sert de principe d’organisation du système de mobilité considéré comme un des éléments permettant de guider la stratégie de renouvellement urbain adopté dans le Plan local d’urbanisme adopté en 2007 par la Ville d’Echirolles. A Vigny-Musset, l’intention était la même, mais la décision de déléguer la maîtrise d’ouvrage à une société d’économie et le recours à la procédure de Zone d’aménagement concerté expliquent un certain repli à l’intérieur du périmètre opérationnel dont témoigne par exemple le traitement différencié des deux rives de l’avenue Marie Reynoard, qui constitue la limite est de la ZAC. Les projeteurs insistent par ailleurs sur le rôle de l’urbaniste qui s’intéresse non pas au logement mais à l’intégration optimale des logements dans un projet d’urbanisme. Pierre Granveaud est convaincu que le travail était d’abord un travail d’urbaniste connaissant la question du logement. Le rapport du logement à l’espace public et aux cœurs d’îlot passe alors par un cahier des charges maîtrisé à l’échelle urbaine mais assez libre à l’échelle bâtie. Des solutions programmatiques qui naissent du terrain ? En France, la tradition de l’Ecole des Beaux, qui n’a jamais cessé de structurer l’enseignement de l’architecture et dans une moindre mesure de l’urbanisme, donne la priorité au savoir-faire et à l’expérimentation projectuelle (dans le cadre hier de l’atelier, aujourd’hui du studio) sur l’acquisition de connaissances théoriques. Cette spécificité du système français de formation explique que la plupart des concepteurs ne soient pas en mesure de citer des références lorsqu’ils présentent leurs projets. Avec modestie et honnêteté, Jean Tribel nous rappelle que le projet s’est donc construit comme une hypothèse de recherche, une expérience grandeur nature : « L’Arlequin a été une expérience, on était dans un moment où il fallait innover, la société était en train de changer et, du coup, il fallait du courage pour mener des expériences. Alors qui dit expériences, veut dire faire des hypothèses et, ensuite, les mettre en œuvre ; et un certain temps plus tard, les évaluer. Jusqu’à quel point les idées étaient valides et pertinentes ? Cela a été d’une brutalité pour nous, la prise en charge de cette opération qui nous dépassait un peu, parce qu’on avait jamais été confronté à ça » (séminaire 10 février 2010). Les références explicites au Team X sont ainsi minorées par les concepteurs de la Villeneuve. Si référence théorique il y a, elle est négative et c’est celle des grands ensembles issus du Mouvement moderne. La seule exception étant celle du Mirail, « une des seules références qu’on a prise, c’était le Mirail mais pas les villes nouvelles... c’était différent » affirme J. Tribel. 131 L’équipe de conception explique qu’elle a fonctionné par des voyages d’étude selon les thèmes : la Scandinavie, la Hollande, l’Allemagne pour les logements, Vélizy pour les centres commerciaux ou l’Angleterre pour les écoles. A VignyMusset, L. Savva rejette lors du parcours toute importance au débat théorique : « Ce n’est pas notre tasse de thé. C’est le contexte qui a guidé », ce que confirme P. Granveaud : « Je pense que pour nous, cela a été fait d’une façon beaucoup moins intellectuelle [...]. Ce qui nous a décidés, c’est la visite de la Villeneuve. Ce concours était fort bien préparé ; nous avons rencontré plein de gens. Les appartements de la Villeneuve sont formidables mais dès que l’on met le pied dehors, il y a une non prise en charge de l’espace public par les habitants, un non intérêt. Pour nous, il fallait absolument localiser ce qui est privé et public. Ce que ne fait pas l’urbanisme des années 60, 70 et 80. Il a fallu définir la rue, puis l’îlot et ensuite la grille. C’est l’inverse. On est parti d’une question d’usage. On est parti d’une vision « sociologique » (séminaire Grille, 28 juin 2010). Yves Sauvage, dont il faut rappeler qu’il est aussi maîtreassistant à l’Ecole National Supérieure d’Architecture de Grenoble, ne dément pas s’être appuyé sur des références théoriques - « Pour les références, on n’est pas totalement vierge. Bien sûr que l’on connaît l’histoire de la grille. On les a étudiées, dans leur fonctionnement rectangulaire, ou plus carré. On les a évaluées. » - mais insiste sur le fait qu’il était à la recherche d’un « concept opératoire » (séminaire Grille, 28 juin 2010). Le pragmatisme des projeteurs se traduit par le principe du test qui est partout utilisé. Il faut d’abord convaincre sur une première phase avant de reproduire le 132 travail sur tout le périmètre de projet. Le test peut se faire à l’échelle d’un quartier ou d’un îlot. A la Villeneuve, l’Arlequin est appelé « quartier 1 » et il doit servir de test à la création des deux autres qui doivent suivre. La leçon du test fait qu’on ne renouvelle pas en totalité les principes retenus pour le quartier 1 dans l’opération suivante des Baladins. A Vigny-Musset le succès économique de l’opération repose sur la commercialisation de logements à des prix trois fois supérieurs à ceux des quartiers alentours... et qui servent de repoussoir dans toute la ville. Comme en plus, le programme intègre des cœurs d’îlot ouverts et végétalisés, ce qui est une nouveauté à Grenoble - la tradition locale étant plutôt au parking sur dalle il faut rassurer des promoteurs qui sont pour le moins « frileux ». Un îlot témoin ou test est d’abord réalisé pour montrer les principes fondateurs du projet : des cœurs d’îlot végétalisés et cogérés par une association syndicale, des halls d’entrée ouverts sur l’espace public, deux sous-sols sans rampe extérieure d’accès, etc. La SEM doit rassurer les acquéreurs en offrant les mètres carrées des halls d’immeubles et en payant les cœurs d’îlot tout en garantissant que les usages de ceux-ci seront limités. A Échirolles, où le problème et le programme ne sont guère différents, la Ville passe par un îlot test, dans une ZAC ad hoc et sur lequel elle lance un concours d’îlot. Les difficultés rencontrées lors de la première ZAC servent de leçon : Echirolles cesse par exemple de demander des cœurs d’îlot ouvert à tout vent... Cette volonté de mise en œuvre pragmatique que mettent en avant tous les intervenants interrogés ne doit pas néanmoins conduire à passer sous silence le fait qu’à des moments de l’histoire des villes au cours des XIXème et XXème siècles, ont prévalu des doctrines urbanistiques bien précises. Il est vrai qu’il existe par exemple, en France plus que dans d’autres pays comme l’Espagne ou l’Italie, une coupure entre les théoriciens de la modernité et ceux que Carine Bonnot appelle les architectes de la « modernité ordinaire », qui ont mis en œuvre, sans en être totalement conscients, la plupart des principes formulés par les Congrès Internationaux de l’Architecture Moderne. Aujourd’hui, avec l’entrée dans un mode postmoderne, qui admet une diversité possible des références architecturales et urbanistiques, revisiter les expériences passées est un choix assumé par une partie ou moins des concepteurs qui ont en charge les projets urbains. Quelle intégration de ces fragments de ville dans les projet contemporain ? Les quatre projets étudiés dans cette recherche ont été construits de manière implicite ou explicite en référence aux figures identifiés lors de la formulation de la réponse à l’appel d’offres. Mais la plupart de ces projets ont pour l’instant au moins échoué dans leur volonté de structurer l’ensemble de la « ville Sud» sur la base des principes de chacune des figures de référence. Au mieux, ils ont permis la structuration d’une partie, d’un morceau, d’un fragment de territoire, qui correspond le plus souvent au périmètre opérationnel initialement fixé. La mégastructure n’a pas proliféré car ses promoteurs n’ont jamais réussi à dépasser le niveau des photomontages pour proposer un fonctionnement global de villes fonctionnant sur deux niveaux topographiques. La rocade n’a pas réussi à générer une « véritable ville linéaire » car, pour des raisons liés à l’écoulement de la circulation, les ingénieurs ont souhaité limité le nombre d’échangeurs et se sont refusés à poser la question de la riveraineté. La maille est sans doute la figure qui a permis de traiter l’insertion d’un projet dans son contexte territorial et le projet en cours de NOVASUD21 envisage par exemple un prolongement du maillage proposé pour le Centre-Ville en direction du nord de manière à servir de guide à l’urbanisation de deux rives de la rocade. Les expériences sont nombreuses en France, comme dans les autres pays européens, qui montrent la possibilité d’utiliser une stratégie fondée sur les tracés viaires (continuité et hiérarchisation du réseau) et le découpage des îlots (régularité, taille réduite, ouverture) pour restructurer les terrains de banlieue, résidentialiser certains grands ensembles ou transformer d’anciennes zones industrielles. Grenoble a connu quelques expériences réussies en la matière, dont la plus connue est sans aucun doute le projet de résidentialisation proposé par Philippe Panerai pour le quartier Teisseire. La difficulté devient plus grande quand il s’agit de traiter d’objets plus « durs » comme une infrastructure de déplacements ou un grand ensemble. Ces objets ont été effet pensés, dans un perspective fonctionnelle (se déplacer, se loger) sans prendre en compte de possibles relations avec l’environnement immédiat ou plus lointain. La cas de la Villeneuve, plus particulier des quartiers de l’Arlequin et des Baladins est éclairant à ce propos. Nombreuses ont été les équipes professionnelles qui ont été mobilisées depuis le début des années 1990 pour proposer des pistes pour sa requalification. Parce qu’il constitue un objet unique – telle est la définition de la mégastructure en tant que bâtiment-ville – l’Arlequin ne peut être facilement pris en compte par des stratégies qui visent à réintroduire une séparation des espaces 133 publics et privés d’une part, à proposer un découpage parcellaire de l’autre. Les démarches de résidentialisation ou de projet urbain – significative à ce propos est la proposition du projet NOVASUD 21 qui remonte vers le nord jusqu’à la limite sud de la Villeneuve d’Echirolles – semblent aujourd’hui butter contre les cathédrales que sont les plus récents des grands ensembles. Pour mettre en œuvre de telles stratégies, il faudrait démolir à grand frais des montées complètes et simplifier une propriété du sol particulièrement complexe (avec des droit de surface et un mélange copropriétéslogements sociaux unique en son genre). Il ne reste alors véritablement que deux solutions possibles : l’achèvement de la mégastructure en lui conservant ses principes fondateurs et son extraterritorialité ou son démantèlement et son remplacement par des formes urbaines, qui ont, pour reprendre les propos des architectes-urbanistes de Vigny-Musset, fait leur preuve. La Rocade Sud pose des problèmes similaires. Ni les projets opérationnels conduits à l’échelle intercommunale ou communale, ni les propositions des étudiants de l’Institut d’Urbanisme de Grenoble ne réussissent à proposer la transformation de l’autoroute apaisée en un véritable boulevard urbain. Ils se contentent d’appeler de leurs vœux une amélioration des franchissements, une urbanisation des délaissés et une immersion dans la végétation. Pour novatrices qu’elles soient, les solutions préconisées sont contraintes de faire avec des objets difficilement intégrables. La requalification des espaces intermédiaires, des interstices, constituent peut-être, à cause de son ambition modeste, une voie à suivre riche de perspectives nouvelles. 134 Bibliographie BERRIEN V., «Grenoble : dérapage contrôlé», Dossier consultations urbaines, Diagonal, décembre, n°98, 1992. CHOMBARD DE LAUWE P., « Sociologie de l’habitation. Méthodes et perspectives de recherches », Urbanisme, n°65, 1959. NOVARINA G., De l’urbain à la ville. Les transformations des politiques d’urbanisme dans les grandes agglomérations. L’exemple de Grenoble (1960-1990). Paris, Commissariat Général au Plan, Plan Urbain ; Grenoble, CIVIL, 1993. PARFAIT F., « Conception, organisation, réalisation des ensembles d’habitation », Urbanisme, n°55, 1959. PANERAI P., MANGIN D., Projet urbain, Editions Parenthèses, 1999. Équipe Remerciements Responsables scientifiques Pour leur participation aux parcours et séminaire sur la mégastructure : les concepteurs du projet d’origine de la Villeneuve (Franz Charmettant, Claude Fourmy, Charles Fourrey, Pierre Mignotte et Jean Tribel) et les concepteurs actuels (Ateliers Lion : Claire Piguet ; LacatonVassal Architectes : Anne Lacaton, JeanPhilippe Vassal et Sandrine Puech ; INterland : Franck Huillard et Laure Favier ; la Ville de Grenoble et ACTIS) ainsi que Nicolas Tixier du BRAUP. Jean-Michel Roux et Gilles Novarina Enquêtes et rédaction des monographies La mégastructure : Jean-Michel Roux et Charles Ambrosino (resp.) avec la collaboration de Marie-Christine Couic, Steven Melemis, Carine Bonnot, Charles Capelli, Diane de Chilly, Laure Brayer, Julien Mc Oisans et Zoom Architecture pour l’organisation des parcours et du séminaire. La grille : Paulette Duarte et Carine Bonnot (resp.) avec la collaboration de Jean-Michel Roux et Dorian Martin pour l’organisation des parcours et du séminaire. La ville linéaire : Natacha Seigneuret et Gilles Novarina. Graphisme et mise en page : Natacha Seigneuret. Pour leur participation aux parcours et séminaire sur la grille : les concepteurs du projet d’origine de Vigny-Musset (Pierre Granveaud, Loizo Savva et Paul Durand) ; les concepteurs du projet d’origine d’Echirolles (Yves Sauvage et Philippe Vic) ainsi que Catherine Maumi. Pour l’organisation des ateliers d’étudiants : Naïm Aït-Sidhoum, Charles Ambrosino, Pierre Belli-Riz, MarieChristine Couic, Paulette Duarte, Gabriel Sibille, Gilles Novarina, Jean-Michel Roux et Natacha Seigneuret. Pour le suivi administratif du contrat : le Braup (Edith Faucheux, Nicolas Tixier et Panos Mantziaras), le Puca (Pierre Bernard) mais aussi et surtout Françoise Petitjean et Madeleine Picon (IUG). 135