Chronique politique de la Mauritanie
Sous la direction de Mariella Villasante Cervello
Les Programmes du CJB, n° 12
Les Programmes du Centre Jacques Berque
N° 12 – Février 2014
(Rabat – Maroc)
www.cjb.ma
Présentation de la Chronique politique de la Mauritanie
Sous la direction de Mariella Villasante Cervello
La Chronique politique de la République islamique de Mauritanie présente une synthèse
des principaux événements de l’ordre politique, social, économique et culturel à partir de
sources publiées sur Internet, d’entretiens réguliers avec des chercheurs mauritaniens, et de
séjours annuels sur le terrain.
Elle paraîtra deux fois par an, en juillet et en décembre, et sera accompagnée, selon les
livraisons :
d’articles courts portant sur l’actualité relative à toutes les sphères de la vie sociale,
politique, économique et culturelle ;
d’un suivi de l’actualité de la recherche en sciences humaines et sociales,
avec la collaboration d’universitaires souhaitant présenter leurs travaux en cours
et/ou leurs publications ;
d’articles et d’études inédits ou déjà publiés ;
de comptes rendus de livres ou de travaux portant sur la Mauritanie.
Appel à contributions
Les chercheurs mauritanistes souhaitant proposer des textes pour la Chronique sont
invités à envoyer leurs propositions d’articles (une page), en précisant dans quelle partie ils
se situent :
pour l’actualité (5-10 pages),
pour l’actualité de la recherche (5-10 pages),
pour les articles et études (20 pages ou plus),
et pour les comptes rendus (2-5 pages),
à l’adresse suivante : mariellavillasantecervello@gmail.com
Le CJB n’entend apporter aucune approbation, ni improbation quant au contenu du texte qui
relève de la seule responsabilité des auteurs.
Sommaire
Chronique politique de la Mauritanie
(Juillet-décembre 2013)
Des élections législatives et municipales dans un contexte politique
mouvementé. Tribalismes, communautarismes et tensions sociales
Mariella Villasante Cervello………………………………………………………………….. 9
Articles et études
Des « réfugiés-migrants ». Les parcours d’exil des réfugiés Mauritaniens au
Sénégal……………………………………………………………………………………………… 35
Marion Fresia
Articles et études
Archéologie préhistorique en Mauritanie : bilan 2010-2013……….……. 49
Robert Vernet
Des élections législatives et municipales
dans un contexte politique mouvementé.
Tribalismes, communautarismes et tensions sociales
Sommaire
Cadre économique, cadre international et politique interne .............................. 10
La politique interne : la rencontre avec le peuple à Néma ...................................13
Recensement douteux et élections contestées par l’opposition ......................14
Résultats des élections législatives et municipales du 23 novembre et du 21
décembre .............................................................................................................. 22
La question de l’esclavage et l’interdiction du parti RAG ..................................... 23
Les violations des droits humains et la situation des réfugiés du Mali .............. 27
La situation du terrorisme au Nord du Mali : AQMI se replie ? ........................... 30
Les programmes du CJB, n° 12
Chronique politique de la Mauritanie
(Juillet-décembre 2013)
Des élections législatives et municipales
dans un contexte politique mouvementé.
Tribalismes, communautarismes et tensions sociales
Mariella Villasante Cervello
Anthropologue (EHESS, Paris)
Chercheuse associée au Centre Jacques Berque, Rabat
et à l’Institut français d’études andines, Lima
mariellavillasantecervello@gmail.com
La Mauritanie préparait, depuis le mois
de juillet, les élections législatives et
municipales pour le 23 novembre ; elles
auraient dû avoir lieu en octobre 2011 et ont
été constamment reportées en raison de la
restructuration de l’état civil et de l’absence
de consensus entre le parti au pouvoir
(Union pour la République, UPR) et les partis
de l’opposition. L’exigence de la tenue des
élections faisait partie des demandes des
partis de l’opposition groupés au sein de la
Coordination de l’opposition démocratique
(COD) depuis l’Accord de Dakar, en juin
2009. En effet, par cet accord, le président
Sidi ould Cheikh Abdellahi, élu au suffrage
universel en mars 2007, acceptait de
démissionner, et d’entériner le coup d’État
du général Mohamed ould Abdel Aziz du 6
août 2008. Cet arrangement avec les
principes de la démocratie était censé
permettre la tenue d’élections l’année
suivante. Ce qui fut fait. Le général Aziz
démissionna des forces armées et se
présenta comme candidat à sa propre
succession. Il fut élu le 18 juillet 2009 avec
52,58 % des voix. Les deux principaux chefs
de l’opposition, Messaoud ould Boulkheyr,
président de l’Assemblée nationale, et
Ahmed ould Daddah, avaient obtenu
16,29 % et 13,66 % des voix respectivement.
Avec d’autres dirigeants de l’opposition, ils
ont dénoncé les élections qui, d’après eux,
ont été entachées de fraude ; cependant, le
Haut conseil constitutionnel les valida.
Depuis lors, les partis de la COD
(notamment le Rassemblement des forces
démocratiques (RFD) dirigé par Ahmed ould
Daddah, et l’Union des forces démocratiques
(UFD) dirigé par Mohamed ould Mouloud),
n’ont pas cessé de dénoncer les agissements
autoritaires,
arbitraires
et
antidémocratiques du régime de l’ancien général
Aziz. Sur un total d’onze partis, dix ont
décidé de boycotter les prochaines élections,
à l’exception du parti islamiste Tawassul
(Liaison, Rassemblement pour la réforme et
le développement), dirigé par Jemil ould
Mansour. Le parti Alliance populaire
progressiste (APP), issu de l’alliance entre
nasséristes et militants du mouvement antiesclavagiste El Hor, dirigé par le
charismatique Messaoud ould Boulkheyr,
avait abandonné les rangs du COD
précédemment.
D’autres partis, de moindre importance,
briguaient des postes au Parlement et aux
mairies. Certains étaient proches de Taya et
le sont du président actuel. Citons ici, le
parti Sursaut de la jeunesse, dirigé par
Abderrahmane ould Mourrakchi ; le parti,
l’Union pour la démocratie et le progrès
(UDP) fondé par Hamdi ould Mouknass et
dirigé par sa fille Naha mint Mouknass ; et
enfin El Wiam (Entente), dirigé par Boïdiel
ould Houmeid. Deux partis de défense des
droits des Noirs ne sont pas d’accord sur
leur participation aux élections ; d’une part,
le parti de l’Alliance pour la justice et la
démocratie (AJD), dirigé par Sarr Ibrahima,
ancien dirigeant des Forces de libération des
Africains de Mauritanie (FLAM), s’est
présenté aux élections ; alors que le Parti
pour la liberté, l’égalité et la justice (PLEJ),
dirigé par Ba Mamadou Alasane, a décidé de
les boycotter. Un parti qui centre son activité
sur la défense des droits des groupes serviles
de la société arabophone (bidân), le Parti
radical pour une action globale (RAG), n’a
9
Les programmes du CJB, n° 12
pas pu participer aux élections car il n’a pas
obtenu son inscription dans le registre
officiel des partis. Les résultats des élections
confirment la prépondérance du parti au
pouvoir et, en l’absence de la coalition des
partis de l’opposition, le parti islamiste
Tawassul est devenu la seconde force
politique en Mauritanie.
A vrai dire, les préparatifs des élections
de cette année ont confirmé, une fois de
plus, la prépondérance des traits de
structure qui marquent l’émergence de la
modernité en politique depuis 1990-1992. Je
fais référence aux alliances et aux luttes
factionnelles qui se développent dans le
cadre
segmentaire,
dit
couramment
« tribal » et ethnique, et qui se mêlent
étroitement aux luttes de classement entre
partis politiques. Les élections constituent
ainsi un moment de recomposition et de
renégociation
générale
des
alliances
existantes et sont également influencées par
les clientélismes et les relations personnelles
dans lesquels la parenté, un référent
politique structurel, coexiste avec la
modernité de l’argent et des privilèges
attendus de la « loyauté » envers les proches
qui s’exprime par le vote1.
Cela étant, les grandes nouveautés
actuelles sont, d’une part, l’apparition et le
renforcement
de
groupements
communautaires qui défendent les droits des
groupes serviles, dits hrâtîn, dont l’Initiative
pour la résurgence et l’abolition (IRA), et le
parti Radical pour une action globale ( RAG) ;
et, d’autre part, les mouvements de défense
des droits des Noirs mauritaniens. Le
mouvement Touche pas à ma nationalité
(TPMN) né en 2011, et le groupe créé en 1986,
les Forces de libération des Africains de
Mauritanie (FLAM), dont le président
historique, Samba Thiam, est revenu au pays
pour
relancer
le
mouvement.
Le
gouvernement a refusé la légalisation de
l’IRA et du RAG, mais cela ne les empêche pas
de poursuivre leurs activités politiques. Il
faut reconnaître en effet que l’activisme de
ces mouvements communautaristes est
facilité par l’ouverture de la liberté
1
J’ai consacré ma thèse à cette question à partir de
l’exemple de la confédération des Ahl Sidi Mahmoud
de l’Assaba (Villasante, EHESS, 1995). Voir Parenté et
politique en Mauritanie, Paris, 1998. Voir aussi mes
articles ultérieurs :
https://pucp.academia.edu/MariellaVillasante
10
d’expression qui a suivi la chute du régime
de Taya en 2005. Ces mouvements, distincts
des partis politiques, sont probablement les
seuls à demander une réforme structurelle
des institutions étatiques et de la société
mauritanienne toute entière.
Dans cette chronique, on commencera
par une brève présentation de la situation du
pays, qui a connu un hivernage exceptionnel
et de graves inondations, notamment à
Nouakchott, pour analyser ensuite l’actualité
politique marquée par les élections, la
question de l’esclavage et l’interdiction du
RAG, les violations des droits humains, et,
enfin, la situation de tensions militaires au
Mali où les affrontements se poursuivent.
Deux articles accompagnent cette livraison,
le premier, écrit par Marion Fresia
(Université de Neuchâtel), concerne les
réfugiés au Sénégal avant 2007, et le second
est un bilan des travaux en préhistoire
mauritanienne et saharienne écrit par
Robert Vernet (CNRS). Qu’ils soient ici
remerciés de leur collaboration.
Photo 1 : Inondations à Nouakchott,
septembre 2013 (enhaut.org, archives Le
Calame)
Cadre économique, cadre
international et politique
interne
La Mauritanie connaît une période
paradoxale, marquée par une bonne
situation macro-économique qui assure une
croissance de 5 % annuel, mais qui
s’accompagne de fortes tensions sociales et
par la permanence d’une pauvreté et d’une
extrême pauvreté qui touche 67 % de la
population.
Les programmes du CJB, n° 12
Le secteur des mines connaît une crise
actuellement2,
et
l’on
prévoit
des
licenciements massifs ; cela, alors même que
l’on vient d’annoncer qu’au cours de 2013, 13
millions de tonnes de minerais de fer ont été
vendus par la Société nationale industrielle
et minière (SNIM). En outre, celle-ci a
découvert un nouveau gisement de 800
millions de tonnes de fer au Nord de la
Mauritanie, et elle prévoit d’atteindre les 40
millions de tonnes à l’exportation à l’horizon
2025 (CRIDEM du 4 janvier 2014).
Le secteur de la pêche reste cependant un
poste important des revenus nationaux.
Ainsi, la Mauritanie vient de signer un
protocole avec l’Union européenne, à une
majorité écrasante de 464 députés
favorables à l’accord contre 120. Les clauses
stipulent l’obligation de débarquement de
toutes les espèces capturées dans les eaux
mauritaniennes dans les ports du pays.
L’accord stipule aussi que 60 % des
équipages des navires européens opérant en
Mauritanie soient mauritaniens. En outre,
l’accord interdit la pêche du poulpe dont les
captures sont réservées aux Mauritaniens.
L’accord qui s’étend sur une période de deux
ans à partir de la fin juillet 2012, stipule le
versement de compensations financières de
111 millions d’euros par an, contre des
quantités fixées que les navires européens
sont autorisés à capturer. Il renouvelle par
ailleurs les zones de capture qui diffèrent
dans les eaux mauritaniennes entre le Nord
et Sud. Cet accord devra avoir des retombées
importantes sur le potentiel halieutique ainsi
que sur la préservation des droits des
pêcheurs mauritaniens en plus de revenus
appréciables pour le Trésor public (Le
Calame du 8 octobre).
Pourtant, les tensions sociales sont
particulièrement fortes, non seulement
parce
que
la
bonne
situation
macroéconomique n’a aucune retombée
positive sur la majorité de la population,
mais surtout parce que le régime d’Aziz reste
sourd aux demandes sociales des plus
démunis.
En
effet,
ces
demandes
proviennent de manière massive des groupes
marginalisés
depuis
l’émergence
du
pays (groupes serviles et communautés
noires,
halpular’en,
soninké,
wolof,
bambara). Cependant, la grande différence
2
http://www.cridem.org/C_Info.php?article=649085
d’avant la chute du dictateur Maaouya Ould
Sid Ahmed Taya (2005), je le notais dans la
chronique de juillet, est que ces groupes
sociaux sont organisés en associations et en
groupes de pression qui ont réveillé les
consciences de la société civile, notamment
dans les villes.
Sur le plan international, le président
Aziz affronte des tensions politiques
exceptionnelles avec le Maroc et le Mali. Au
mois d’octobre, on apprenait que le
Royaume
marocain
accordait
l’asile
politique à l’ancien président Ould Sid
Ahmed Taya, ce qui aurait fortement déplu
au président Aziz, qui aurait préféré le savoir
toujours dans son refuge saoudien. Pour
marquer le fait, les autorités mauritaniennes
n’assistèrent pas à la remise de médailles
qu’organisa l’ambassade marocaine à
Nouakchott
pour
distinguer
les
ambassadeurs Ould Tolba et Ould Maaouiya
(CRIDEM du 3 octobre 2013).
La tension avec le Mali est révélée par
l’absence du président mauritanien de la
cérémonie d’investiture du président élu
Ibrahima Boubacar Keita, le 19 septembre
dernier. On n’a donné aucune raison
officielle à cette absence pour le moins
surprenante mais, de toute évidence, elle
date des dissensions entre le président Aziz
et le président Touré. En effet, en juillet,
Touré avait refusé le déploiement des
troupes mauritaniennes à la frontière entre
les deux pays, dans le cadre de la lutte
conduite par la MINUSMA contre les groupes
terroristes installés dans le Nord du Mali. Le
premier ministre mauritanien et le chef de
l’état-major des armées avaient voyagé à
Bamako pour s’entretenir avec le président
de transition. Celui-ci expliqua qu’un tel
déploiement serait une violation de la
souveraineté du Mali, mais également une
manière de se rapprocher des Touareg et des
Arabes maliens pour mieux les soutenir. Le
Mali considère en effet que la Mauritanie
apporte son soutien à ces communautés
« blanches ». Or, le président Aziz justifie sa
demande pour sécuriser ses frontières et
assurer le ravitaillement de ses troupes ; et
pour montrer sa colère il effectua une visite
à Dakar avec neuf ministres, et, lors du
dernier remaniement ministériel, il nomma
un ministre des Affaires étrangères favorable
au rapprochement avec les États-Unis, au
détriment de la France, alliée du Mali. Enfin,
11
Les programmes du CJB, n° 12
les autorités maliennes se sont indignées de
la tenue d’une conférence de dirigeants
touareg de l’Azawad (MNLA, HCUA et MAA3), à
l’hôtel Mauricenter de Nouakchott, où ils ont
signé un accord d’unité et de non-agression
(Alakhbar du 23 septembre et CRIDEM du 3
octobre 2013). L’absence du président Aziz
est d’autant plus problématique, selon un
diplomate mauritanien, que la Mauritanie
abrite des milliers de réfugiés maliens et que
dans cette période de tensions militaires au
Nord du Mali, les deux pays se doivent de
collaborer activement (Le Calame du 21
septembre 2013).
Photo 2 : Le Président ould Abdel Aziz (au
centre) à Nouakchott, août 2013 (AMI)
Le président Aziz s’est rendu à Dakar le
10 septembre pour une visite de travail avec
le président Macky Sall. Ils ont ratifié les
accords bilatéraux autour de l’Organisation
pour la mise en valeur du fleuve Sénégal
(OMVS) réunissant la Guinée, le Sénégal et la
Mauritanie, notamment le projet de relance
de la navigation, les projets de construction
de routes et d’un nouveau quai à SaintLouis. Ce projet est très important pour
diminuer les coûts de transport agricole et
minier, mais aussi pour donner au Mali une
sortie à la mer. Selon le Haut-commissaire
de l’OMVS, Kabiné Komara, les crédits
nécessaires pour ce projet, estimés à 450
millions de dollars, seront publics et privés.
Toutes les études préliminaires sont
terminées. Dans ce contexte, les présidents
mauritanien et sénégalais ont évoqué la
construction du pont de Rosso, à la frontière
fluviale entre les deux pays, retardé depuis
3
Respectivement Mouvement national de libération de
l'Azawad, Haut conseil pour l'unité de l'Azawad,
Mouvement arabe de l'Azawad.
12
plusieurs années (CRIDEM, le 11 et le 19
novembre). Le blocage est apparemment
causé par la Mauritanie qui, selon un cadre
du ministère de l’Equipement, considère
qu’un pont serait une menace pour la
Mauritanie qui serait submergée par
l’immigration massive des Sénégalais. Une
considération qui n’a aucun fondement. En
fait, la construction de ce pont favoriserait
les populations agricoles des deux rives, et
concrétiserait la route transsaharienne
Tanger-Nouakchott-Dakar, comme l’ont
souligné les ministres marocain et sénégalais
des Affaires étrangères, N’Diaye et SaadEddine El Othmnani, au mois de juillet
(CRIDEM du 12 août).
Dans ce cadre, le Maroc, le Sénégal et la
Mauritanie ont signé à Rabat, le 4 novembre,
une convention destinée à ouvrir une liaison
terrestre régulière pour les personnes et
pour les marchandises. Les signataires
étaient les compagnies CTM et Supratours
pour le Maroc, la société Tayba pour la
Mauritanie et la société Transport Afrique
logistiques pour le Sénégal (Biladi, CRIDEM
du 15 novembre).
En outre, la coopération militaire entre la
Chine et la Mauritanie s’est renforcée lors de
la visite du ministre chinois de la Défense
nationale, Chang Wanquan, qui a rencontré
le 15 novembre le chef d’état-major de
l’armée nationale de Mauritanie, Mohamed
Ould Mohamed Ahmed (CRIDEM du 16
novembre).
Enfin, le ministre de l’Intérieur français,
Manuel Valls, a effectué une visite régionale
au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Mali et en
Mauritanie, où il est arrivé le 17 novembre. A
propos de celle-ci, il a déclaré :
« Cette tournée est l’occasion pour moi de
conforter nos relations avec les pays que j’ai
visités. Mais surtout de donner une nouvelle
impulsion à la coopération en matière de
sécurité, plus particulièrement dans la lutte
contre le crime organisé, le trafic des
stupéfiants et bien sûr la lutte contre le
terrorisme. »
Valls a salué l’engagement des autorités
mauritaniennes dans la lutte contre le
terrorisme. Après avoir été reçu par le
président Ould Abdel Aziz et le Premier
ministre mauritanien, le ministre de
l’Intérieur français a signé avec son
homologue mauritanien, Mohamed Ould
Les programmes du CJB, n° 12
Ahmed Salem Ould Mohamed Rara, un
protocole de partenariat visant à renforcer la
coopération en matière de sécurité et de
gouvernance. Il a promis également des
armes, des formations pour la police et des
équipements4 (RFI et CRIDEM du 18
novembre 2013).
Photo 3 : Manuel Valls et Mohamed Ould
Ahmed Salem Ould Mohamed Rara,
Nouakchott, novembre 2013 (archives
CRIDEM).
La politique interne : la
rencontre avec le peuple à
Néma
Le mardi 3 août, le président Aziz a tenu
sa quatrième « rencontre avec le peuple »
(liq’aa chaab), dans la ville de Néma, cheflieu du Hodh el-Chargui. Rien de nouveau
cette année, on se serait cru, comme le note
le journaliste Ahmed ould Cheikh, au milieu
des années fastes de Maaouya ould Sid
Ahmed Taya, lorsque toute la République se
déplaçait avec son chef. Le président Aziz a
parlé pendant plus d’une heure sur les
différents volets de l’économie du pays.
Beaucoup de chiffres et beaucoup de
monotonie. D’après le président, la
Mauritanie va pour le mieux grâce à ses
décisions de réduire les dépenses de l’État,
de lutter contre la corruption et la pauvreté,
et de construire des routes et des centrales
électriques. Un journaliste lui a fait
remarquer que 23 % de Mauritaniens vivent
dans l’extrême pauvreté, contre 2 % au
Maroc et 1 % en Tunisie, à cela le président a
répondu « ce ne sont que des chiffres ».
4
http://www.cridem.org/C_Info.php?article=649824
Cependant, il a reconnu pour la première
fois avoir participé dans deux coups d’État,
alors que le second, du 6 août 2008, était
appelé jusque-là « rectification » ; le premier
étant celui contre Taya, le 3 août 2005. Il a
révélé également avoir subi quatre
opérations après l’incident du 13 octobre
2012, lorsqu’il fut blessé par balle à
l’abdomen [voir la Chronique de juillet].
Cependant, il a rassuré la population en
affirmant qu’il se porte à merveille. Il a
déclaré également que les élections
annoncées le 4 août pour le mois de
novembre, ne pourraient être retardées que
de deux ou trois semaines. Enfin, le
président a insisté sur le fait qu’aucun
membre de son entourage ne s’est enrichi
depuis qu’il a pris le commandement du
pays. Comme le note Ahmed ould Cheikh,
directeur du Calame, le président a peut-être
oublié qu’il s’adressait à des Mauritaniens
dont la grande majorité connaît très bien les
origines des richesses de leurs compatriotes
(Le Calame du 20 août).
En septembre, le président a procédé à un
remaniement ministériel assez important,
douze postes ont changé en vue des élections
prochaines, il s’agit de technocrates plutôt
que de politiciens, et l’on trouve seulement
une femme et deux fonctionnaires noirs.
Ould Laghdaf reste le Premier ministre. Le
ministre de l’Intérieur Mohamed ould Boilil,
qui se prépare à une lutte contre son ennemi
politique Boydiel, chef du parti El Wiam, a
été remplacé par Mohamed ould Mohamed
Rara, ancien wali du Trarza. Le ministre des
Affaires étrangères, Hamadi ould Hamady,
laisse son poste pour assumer le ministère
de la Pêche, et il est remplacé par
l’ambassadeur à New York, Ahmed ould
Tegueddi. Enfin, le nouveau ministre de
l’Hydraulique est Mohamed Salem ould El
Bechir, qui était directeur de l’entreprise
d’électricité (SOMELEC) ; alors qu’il a n’a pas
une bonne réputation de gestionnaire, et que
la ville de Nouakchott affrontait des
inondations impressionnantes, notamment
dans le quartier de Sebkha. Parmi les autres
changements, citons le ministre de la
Justice, Sidi ould Zeine, ancien conseiller du
Premier ministre ; le ministre du Pétrole et
de l’Energie, Mohamed ould Khouna, ancien
ministre délégué chargé des Énergies
nouvelles ; le ministre de l’Enseignement
supérieur et de la Recherche scientifique,
13
Les programmes du CJB, n° 12
Isselkou ould Izidbih, ancien directeur du
cabinet du Premier ministre. Également, la
ministre de l’Emploi, Fatima Habib ; le
ministre de l’Environnement, Amedy
Camara ; et enfin le ministre de
l’Enseignement fondamental, Ba Ousmane
(Noorinfo du 18 septembre 2013).
Photo 4 : Le président ould Abdel Aziz à
Néma, août 2013 (archives CRIDEM)
Enfin, au cours de la séance d’ouverture
du troisième Sommet arabo-africain, qui
s’est tenu à Koweit le 19 novembre,
Mohamed ould Abdel Aziz a réaffirmé : « La
Mauritanie veillera à continuer à jouer
pleinement son rôle dans le maintien de la
sécurité dans le Sahel et le Sahara ». Il a
ajouté que la Mauritanie a encouragé
l’investissement étranger en général, arabe
et africain en particulier, à travers la
création d’une zone franche à Nouadhibou,
capitale économique, et l’adoption d’un code
d’investissement incitatif (AMI, CRIDEM du
20 novembre).
Recensement douteux et
élections contestées par
l’opposition
Le pouvoir exécutif a annoncé, au début
du mois d’août, la tenue des élections
législatives et municipales, attendues depuis
2011, dans une période comprise entre le 15
septembre et le 15 octobre. Finalement, le 4
août, probablement grâce à l’insistance du
président du Parlement, le président Aziz a
accepté d’organiser les élections le 23
novembre pour le premier tour, et le 7
décembre pour le second tour. De son côté,
la
Commission
électorale
nationale
14
indépendante (CENI) a annoncé l’ouverture
du recensement à vocation électorale
(RAVEL) pour attribuer les cartes d’électeurs
aux Mauritaniens âgés de plus de 18 ans,
détenteurs de la carte d’identité biométrique
délivrée par l’Agence nationale du registre
des populations et des titres sécurisés
(ANRPTS). Le RAVEL fut ouvert entre le 25
juillet et le 7 septembre, puis élargi jusqu’au
17 septembre.
Autant de mesures improvisées qui
montrent le peu de sérieux de ces élections,
sans consultation ni concertation avec les
principales forces politiques d’opposition,
qui critiquent le recensement biométrique,
le RAVEL, et plus généralement le manque de
transparence du CENI et du gouvernement
lui-même. Pour ces raisons, les partis du COD
ont décidé de ne pas participer aux élections.
Pourtant, cette décision implique leur autoexclusion de la vie politique publique au
Parlement et dans les mairies, et elle a
bénéficié au parti islamiste Tawassul, qui est
devenu la seconde force politique au pays.
Examinons le processus de plus près.
Le recensement biométrique : une
boîte de Pandore
Le recensement biométrique commencé
en 2011 a suscité des tensions fortes au sein
de la communauté noire du pays, qui
considère que le régime tente de les exclure
de la nationalité mauritanienne. En effet, les
pièces administratives demandées par les
agents étatiques sont difficiles à apporter
dans un pays majoritairement rural
jusqu’aux années 1980, sans rien dire des
« contrôles de connaissances » sur l’islam et
la langue arabe pour les non-arabophones
[voir la Chronique de juillet].
Parallèlement, le recensement a suscité
des problèmes aux Noirs mauritaniens
vivant à l’étranger, notamment en France. Le
4 septembre, l’Organisation des travailleurs
mauritaniens de France (OTMF), et des
Mauritaniens installés en France, ont occupé
le local de l’ambassade de Mauritanie à Paris
pour exiger de l’ambassadeur la suppression
de l’exigence de présentation des cartes de
séjour français comme condition à leur
recensement et à leur inscription dans le
registre électoral. L’ambassadeur a déclaré
que si cela dépendait de lui, il annulerait
Les programmes du CJB, n° 12
cette condition, mais qu’il devait suivre les
ordres de Nouakchott. Il avait fait une
déclaration
semblable
le
22
mai.
L’occupation de l’ambassade a servi à
diffuser les demandes des Mauritaniens de
France, mais aussi à attirer l’attention sur les
bizarreries du recensement décidé par le
gouvernement de Mohamed ould Abdel Aziz
(Taqadoumy, Noorinfo du 6 septembre
2013).
Pour
mémoire,
cette
situation
problématique pour les Noirs mauritaniens a
donné lieu à l’émergence d’un mouvement
civil qui a pris le nom de Touche pas à ma
nationalité (TPMN), en 2011, et qui, de
manière plus large, a cristallisé, avec
d’autres
groupes,
l’opposition
aux
discriminations de cette communauté
mauritanienne. En juillet dernier, les
tensions ethniques ont resurgi dans la ville
de Kaédi, située dans la vallée du fleuve
Sénégal, et chef-lieu de la région du Gorgol.
Les émeutes ethniques du 7 juillet
2013 à Kaédi
Le collectif TPMN a dénoncé ces
affrontements ethniques à Kaédi qui seraient
dus
aux
réactions
« racistes
et
irresponsables des autorités régionales ». Le
point de départ fut l’altercation entre un
jeune commerçant bidânî [arabophone] et
une vieille dame peule qu’il agressa
verbalement, puis physiquement, en lui
donnant une gifle. Mis au courant de
l’affaire, un groupe de jeunes Noirs chercha
le commerçant à la boutique de son
employeur qui le protégea et ne donna
aucune importance à l’affaire. Finalement, la
police arriva dans les lieux et emmena le
jeune au commissariat. Une foule de jeunes
attendait dehors le dénouement des faits. La
dame fut envoyée à l’hôpital et elle ne porta
pas plainte contre son agresseur. Le
lendemain, le commerçant ouvrit son
établissement comme d’habitude, et ce geste
mis les feux aux poudres ; plusieurs dizaines
de jeunes se concertèrent pour attaquer les
commerçants bidân du marché. Ces derniers
cherchèrent refuge dans le bureau du wali
(gouverneur), l’émeute continua faisant
plusieurs blessés parmi les forces de l’ordre
et les Bidân. Le wali, Ahmedou ould
Abdallah, instaura l’état d’urgence dans la
ville et fit appel à des gendarmes venus du
Brakna et de Nouakchott pour restaurer
l’ordre dans la ville, et éviter que les Bidân
attaquent les Noirs à leur tour. Il déclara que
les émeutes n’étaient pas spontanées mais
manipulées par le mouvement TPMN. Celuici avait demandé l’autorisation de faire une
manifestation mais le wali refusa ; ce
dernier considéra alors que l’émeute avait
été déclenchée en signe de protestation.
Cependant le représentant de TPMN à
Kaédi, Kaourou Diagana, refuse cette
interprétation des faits et considère que la
« politique
ségrégationniste
de
l’administration est à l’origine du fossé qui
se creuse entre des communautés qui ont
pourtant vécu en symbiose dans cet espace
depuis la nuit des temps. » Les émeutes
ethniques de juillet furent apaisées par
l’intervention des notables de la ville,
appelés au secours par l’administration pour
régler les tensions. Le groupe de notables
était présidé par Sow Oumar Abdoul, et
comptait 17 personnalités, dont Abou Cissé,
Abdoulaye Tandia et Amadou Baila Ndiaye.
Ils ont demandé la levée de l’état d’urgence
et la libération des 27 jeunes et du notable
Gando Dia. Le 17 juillet, une dizaine de
jeunes et Gando Dia furent relâchés.
Il est évident que l’agression dont fut
victime la dame peule de la part d’un jeune
bidânî aurait dû être prise au sérieux par la
police, habituée à constater que les tensions
ethniques reviennent régulièrement à Kaédi,
et qu’elles étaient latentes depuis l’ouverture
du recensement biométrique de 2011, et plus
encore, depuis l’ouverture du processus
électoral. La libération immédiate du jeune
en question provoqua la colère des jeunes
Noirs de la ville. En outre, les agressions
subies
par
les
agents
de l’ordre
augmentèrent les réactions exagérées du
préfet qui instaura l’état d’urgence. Cela
étant, il faut reconnaître que les jeunes en
colère ont surpassé leurs droits de
protestation pacifique, sans que ce fait ait
été évoqué et reconnu par les mouvements
de défense des Noirs mauritaniens.
15
Les programmes du CJB, n° 12
Photo 5 : Émeutes de Kaédi, juillet 2013
(archives du CRIDEM)
En effet, les évènements de Kaédi ont
suscité des réactions fortes des partis et des
associations de défense des droits humains,
qui ont tenu une conférence de presse le 15
juillet à Nouakchott. Citons ici TPMN, AMDH,
AJD5,
SOS
esclaves, M25 et Afrique
renaissance. Le coordinateur de TPMN,
Abdoul Birane Wane, a déclaré que la
tension restait très vive à Kaédi, annonçant
que les commerçants bidân étaient tous
armés, et qu’ils auraient même demandé aux
autorités
locales
de
leur
donner
l’autorisation de se servir de leurs armes6.
Les délégués réunis au siège du Forum des
organisations régionales des droits de
l’homme (FONADH) étaient d’accord pour
responsabiliser les autorités locales sur les
« évènements de Kaédi », les mettant en
garde contre tout acte de torture à l’encontre
des détenus, et exigeant leur libération.
Interprétant les détentions comme des actes
de
discrimination de
la
part
de
l’administration, ils ont discuté également
de la question du recensement en cours
depuis 2011, qui discrimine, comme on vient
de le voir, les ressortissants noirs du pays
[voir la Chronique de juillet]. Ousmane
Diagana (AJD), a remis sur le tapis l’exigence
absurde, pour les Mauritaniens installés en
France, de disposer de cartes de séjour pour
leur inscription dans le registre électoral,
alors qu’une telle condition n’est demandée
nulle part ailleurs (Daouda Abdoul et Dia
Abdoulaye,
CRIDEM
du
21
juillet).
Finalement, les jeunes ont été libérés le 3
Association mauritanienne des droits de l'homme
(AMDH), Alliance pour la justice et la démocratie
(AJD).
6 http://www.cridem.org/C_Info.php?article=645443
5
16
novembre grâce à l’intervention du ministre
de l’Habitat, Ba Yahya, qui a offert le
paiement de la plupart des amendes
imposées
aux
familles
(5
millions
d’ouguiyas), fait qui a été salué mais aussi
dénoncé comme une manœuvre électorale
par le collectif TPMN (Noorinfo du 4
novembre).
Les émeutes de Kaédi et les protestations
de citoyens mauritaniens de France reflètent
les tensions sociales à caractère « racial »,
car pensées et vécues comme telles en
Mauritanie,
régulièrement
exacerbées
durant les périodes électorales. La
nouveauté est que la société civile noire est
mieux organisée que par le passé, et qu’elle a
décidé de faire entendre sa voix malgré les
réponses exagérées et illégales des autorités
qui se permettent de capturer et de garder
en prison des personnes sans qu’elles aient
été jugées et défendues par des avocats.
La CENI : une instance associée au
régime du président Mohamed
ould Abdel Aziz
Contrairement à sa dénomination, la CENI
ne serait pas une instance nationale
indépendante, loin de là, et c’est l’un des
principaux hommes politiques qui a
participé à sa création, Messaoud ould
Boulkheyr, qui l’a affirmé dans un entretien
à la télévision en octobre dernier. En effet,
Messaoud a déclaré qu’en choisissant des
personnalités proches du pouvoir, des
parents de surcroit, la CENI est devenue
« une
chambre
d’enregistrement
du
président ould Abdel Aziz ». Il a également
condamné la décision du président
d’imposer le calendrier électoral sans tenir
compte de l’avis des partis de l’opposition.
Cependant, comme note Baba Kane, les
critiques de Messaoud ne l’ont pas empêché
de présenter le parti qu’il dirige, l’Alliance
populaire progressiste (APP), aux élections
du 23 novembre. L’ancien fondateur du
mouvement de défense des groupes serviles,
El Hor, aurait donc un double langage, il
condamne et critique le régime et en même
temps participe à sa légitimité politique
(CRIDEM du 10 novembre 2013).
De son côté, le président de la
Coordination de l’opposition démocratique
(COD), Ahmed ould Daddah, qui dirige le
Les programmes du CJB, n° 12
parti
Rassemblement
des
forces
démocratiques (RFD), a déclaré dans une
conférence de presse, le 18 octobre, que « la
CENI est incapable d’organiser une élection
fiable. Elle manque de crédibilité parce que
non consensuelle, non représentative de la
classe politique et conduite par un
encadrement affilié au ministère de
l’Intérieur duquel elle devient du coup
dépendante ». Il faut préciser que le
dialogue entre la COD et le pouvoir exécutif a
été rompu après deux jours de conversation,
le 2 octobre. Enfin, lors d’un entretien avec
la journaliste Florence Morice, de RFI, ould
Daddah affirmait que les conditions
n’étaient pas réunies pour procéder à des
élections démocratiques7.
Cela étant, des dissensions sont apparues
rapidement au sein de la COD ; d’abord, en
novembre 2011, quatre partis (APP, Al Wiam,
Sawab et Haman) se sont séparés de la
coalition pour en créer une autre, l’Alliance
pour une alternance pacifique (CAP), et ils
ont décidé d’établir un « dialogue » avec le
pouvoir. Au cours de la première semaine
d’octobre, deux partis, l’Union des forces du
progrès (UFP), dirigé par Mohamed ould
Maouloud, et le parti islamiste Tawassul,
dirigé par Mohamed Jemil Mansour, ont fait
défection et ont annoncé qu’ils se
présenteraient aux élections (CRIDEM du 7
octobre 2013). Finalement, seul Tawassul a
maintenu sa décision, alors que l’UFP a
réintégré la coalition de l’opposition.
Mohamed Jemil Mansour a déclaré que leur
décision doit être comprise dans le cadre
d’un rapprochement des populations afin de
leur proposer une alternative politique
réelle, tout comme il s’agit également
d’occuper des postes au sein du parlement et
des mairies. Selon Mansour, cela ne signifie
pas que Tawassul se soit rapproché du
gouvernement, il reste dans le camp de la
contestation en actualisant ses moyens de
lutte politique.
Le paysage politique reste dominé par le
parti-État, l’Union pour la République (UPR),
dont la grande majorité des notables faisait
partie du Parti républicain démocratique et
social (PRDS) fondé par Maaouya ould Sid
Ahmed Taya. L’UPR est donc un groupe de
pouvoir composé de notables "groupes de
parenté" (« tribus »), de communautés
noires, d’anciens cadres de l’administration,
d’anciens politiciens (nasséristes, baathistes,
islamistes,
progressistes
de
l’ancien
mouvement Kadihine), et bien évidemment,
on y trouve aussi des jeunes cadres qui
veulent faire carrière dans le giron du
pouvoir en place. Comme note Justine
Spiegel de Jeune Afrique, il y a deux ailes
dans le parti, une vieille garde constituée des
héritiers de Taya, et une branche
progressiste représentée par Mohamed
Yahya ould Horma, qui tente de renouveler
la scène politique, et qui a accepté de
dialoguer avec l’opposition en novembre
2012. Un dialogue rompu par la coalition
COD avant d’arriver à un accord8.
De fait, les enjeux des élections sont,
depuis 1992, les prébendes attendues de
l’État sous forme de postes dans
l’administration, marchés en tout genre et
privilèges en général. Le petit peuple adhère
massivement au pouvoir en place ; un
pouvoir étatique autoritaire, tenu par les
militaires depuis 1978, et « modernisé » par
le colonel Taya entre 1990 et 1992, avec
l’autorisation de formation des partis et des
élections. Mais le visage officiellement
démocratique du pays reste ce qu’il a
toujours été, une façade qui cache mal
l’actualisation d’un pouvoir politique
autoritaire sur le plan national, et d’un
pouvoir régional et local contrôlé par les
notables "groupes de parenté" et les
communautés
noires,
majoritairement
« loyales » aux présidents en place. Cela
étant, des dissensions sont aussi apparues au
sein de l’UPR, et trois partis, le Pacte national
pour la démocratie et le développement
(ADIL),
le
Mouvement
pour
le
rassemblement (MPR, Kane Hamidou Baba)
et le Renouveau démocratique (RD,
Moustapha ould Abderrahmane), s’en sont
séparés
pour
fonder
la
coalition
Convergence patriotique.
8
7
http://www.cridem.org/C_Info.php?article=648234
http://www.jeuneafrique.com/Articleimp_JA2716p0
80.xml0
17
Les programmes du CJB, n° 12
Photo 6 : Dirigeants de la COD, Mokhtar ould
Daddah (3e de gauche), Jemil ould Mansour
(4e de gauche), (archives CRIDEM)
De l’autre côté de l’échiquier, se trouvent
les groupes contestataires d’opposition, nés
avec l’ouverture du pays à la « démocratie ».
Ahmed ould Daddah, frère du premier
président mauritanien, Mokhtar ould
Daddah, est, encore de nos jours, le chef de
file de cette opposition radicale qui a connu
diverses étiquettes ; le Front démocratique
uni pour le changement (FDUC) au début des
années 90, puis l’Union des forces
démocratiques (UFD), ensuite l’Action pour
le changement (AC), puis enfin, suite à une
division interne entre deux ailes, l’UFD dirigé
par ould Daddah et l’UFD dirigé par ould
Mouloud. Les islamistes abandonnèrent
l’UFD de ould Daddah et fondèrent
Tawassul. Finalement, en 2001, ould
Daddah adopta le nom de Rassemblement
des forces démocratiques (RFD), et ould
Mouloud fonda l’Union des forces du
progrès (UFP). Le troisième dirigeant
d’opposition d’envergure est Messaoud ould
Boulkheyr, ancien chef d’Action pour le
changement, devenu président du parti
nassériste APP, connu pour son ambiguïté
vis-à-vis du pouvoir, comme je le notais
précédemment.
Le RFD s’est affaibli après le départ de
ould Boulkheyr, puis après celui d’un chef
reconnu du mouvement El Hor, Brahim ould
Bilal, qui a rejoint le mouvement antiesclavagiste IRA, dont il est le vice-président.
Et enfin avec le départ du député Kane
Hamidou Baba, qui représente un groupe
important de la communauté noire, et a
fondé son propre parti, le Mouvement pour
la refondation (MPR).
Cependant, si ould Daddah est resté le
chef du Rassemblement des forces
18
démocratiques, il n’a pas réussi à unifier les
rangs
des
groupes,
peut-être
trop
hétérogènes, qui se disent progressistes, et
qui proposent une alternative de justice
sociale républicaine dans un pays régi par
l’autoritarisme militaire depuis 45 ans. Il
faut dire que ould Daddah, comme les autres
chefs politiques, s’appuie sur son groupe de
parenté du Trarza pour gérer son action
politique ; ce qui n’est pas apprécié par les
autres chefs politiques qui ont leurs propres
réseaux de parenté élargie. L’appartenance
« tribale » et régionale reste un référent
central dans la vie sociale et politique de la
Mauritanie ; mais elle empêche, ou rend
difficiles, les rassemblements politiques
modernes, construits autour d’idées et de
programmes
alternatifs.
De
manière
parallèle, la concurrence entre chefs
politiques est évidente, et rend, elle aussi,
difficile la reconnaissance d’une direction
politique élargie.
On peut dire ainsi que les partis
politiques mauritaniens n’ont pas de
programmes de gouvernement réels, et sont
plutôt des groupes d’intérêt dont l’objectif
est d’être proches du pouvoir en place, ou de
l’attaquer. Les partis de l’opposition ont de
bonnes
idées
sur
la
gouvernance
républicaine, et défendent les droits civiques
et les droits humains indispensables à
l’établissement d’un système démocratique.
Cependant,
leurs
querelles
internes,
opposant aussi les chefs des communautés
ethniques et statutaires sont un frein
important à leur développement.
Le second parti important de l’opposition
est l’Union des forces démocratiques (UFD),
dirigé par Mohamed ould Maouloud, qui
compte des personnalités reconnues, telles
Ba Bocar Moussa, Mustapha ould Bedrine et
Lô Gourmo, ce qui lui donne une assise
populaire assez large. L’UFD a failli
abandonner la coalition d’opposition, mais
est revenu dans ses rangs.
Le boycott de la coalition progressiste
COD
aux élections a peut-être des
fondements raisonnables : le manque de
transparence du régime du président Aziz,
l’utilisation des deniers de l’État pour la
campagne de l’UPR, les irrégularités de la
CENI
qu’il contrôle et la mauvaise
organisation de l’enregistrement des
Les programmes du CJB, n° 12
électeurs (RAVEL)9. Pourtant, l’abandon de la
lutte politique légale, même imparfaite,
implique l’abandon d’une alternative de
changement
pour
les
populations
mauritaniennes. En effet, si l’on tient
compte de l’interdiction du parti antiesclavagiste RAG, on constate que les
possibilités de participation dans les
élections de cette année sont très réduites,
voire nulles, pour les partisans du
changement et d’une alternance politique.
Cet émiettement des groupes politiques
ressemble
fortement
aux
scissions
segmentaires ordinaires au sein des groupes
de parenté élargis, les « tribus », que je
préfère appeler qabâ’il (sing. qabîla), avec
une distinction importante : elles ont lieu
dans des laps de temps assez longs,
contrairement aux groupes politiques postmodernes qui se fissionnent en quelques
années, voire en quelques mois.
utilisation de tee-shirts et de casquettes aux
noms des partis, défilés de voitures en ville,
et parades de dromadaires dans les villes de
l’intérieur du pays, notamment à l’Est
(sharg). Enfin, une grande fête populaire
menée à grand renfort de défilés de notables,
de jeunes dynamiques et de femmes
politiciennes ; c’est sans doute le côté le plus
positif de cette période non ordinaire, très
bruyante, et très appréciée comme symbole
de la « démocratie » par le peuple
mauritanien.
La campagne électorale : une fête
populaire déjà vue et vécue depuis
1992
Depuis le « début de la démocratie » en
Mauritanie, concept assez obscur pendant
les années 90 pour la majorité de la
population,
les
élections
se
sont
caractérisées par le côté festif des campagnes
aussi bien en ville que dans les campagnes
désertiques. Compte tenu de l’importance de
ce que j’ai appelé la « tribalitude10 », c’est-àdire le sentiment d’appartenance moderne
aux groupes de parenté, les élections sont
perçues comme une occasion de montrer la
force et l’honneur des groupes restreints
(qabâ’il, communautés ethniques et plus
récemment communautés serviles). La
campagne électorale rime alors avec
réceptions,
concerts
de
musique
traditionnelle et post moderne (comme le
rap mauritanien), joutes de poètes,
Voir http://www.lecalame.info/actualites/item/983coordination-de-l’opposition-démocratiquepourquoi-la-cod-boycotte-les-élections-convoquéespar-le-pouvoir-en-place-?
10 Villasante, « Négritude, tribalitude et nationalisme
en Mauritanie. Des héritages coloniaux en matière
d’idéologie et de commandement », in Villasante
(dir.), Colonisations et héritages actuels au Sahara
et au Sahel, vol. II, 2007, p. 445-498. Voir mes
publications in :
https://pucp.academia.edu/MariellaVillasante
9
Photo 7 : Campagne électorale, Nouakchott,
novembre 2013 (archives du CRIDEM)
La campagne électorale a été ouverte
officiellement le 1er novembre et s’est
terminée le 21 novembre ; la CENI estimait
qu’environ 1,2 million d’électeurs seraient
appelés aux urnes. Pour les législatives, 64
partis politiques ont présenté 438 listes de
candidatures pour élire 147 députés à
l’Assemblée nationale. Pour les élections
municipales, qui doivent renouveler 218
conseils municipaux du pays, 1 096 listes ont
été présentées par 47 partis politiques
(Jeune Afrique du 8 novembre 201311).
La loi organique n° 2012-027 du 12 avril
2012 instituant la CENI, stipule dans ses
articles 3 et 4 que la CENI « assure le contrôle
de la campagne électorale et veille au respect
du principe de l’égal accès de tous les
candidats en compétition aux organes
officiels de la presse écrite et audiovisuelle. »
En vertu des récentes modifications
11
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB2
0131108144035/mauritanie-nouakchott-jemil-ouldmansour-ceni-mauritanie-debut-de-la-campagnepour-les-elections-legislatives-et-municipales-enmauritanie.html
19
Les programmes du CJB, n° 12
constitutionnelles, la proportionnalité est
introduite et le nombre de députés est
augmenté de 95 à 150, avec 18 sièges pour
Nouakchott ; en outre, 20 sièges sont
réservés aux femmes. Les bulletins de vote
ont été commandés à une entreprise
britannique, celle-là même qui en a fourni
en 2009 et qui a été accusée d’irrégularités
par Ahmed ould Daddah.
Le 15 novembre, la CENI a publié les
données concernant le nombre de militaires
participant aux élections, ce qui a causé une
surprise désagréable au sein des forces
armées qui craignaient que ces informations
mettent en danger la sécurité nationale.
Selon la CENI, 18 000 soldats et policiers
composent les corps militaires, dont 8 114
(46 %) se trouvent dans les casernes de la
capitale, 4 367 au Ksar, 1 457 à Tevragh
Zeina, 1 118 à Arafat et 572 à Tayaritt. Dans
la région de Trarza, voisine de Nouakchott,
se trouvent stationnés 1 575 soldats. Cette
concentration de militaires dans la capitale
montre, selon un ancien officier, que le
président Aziz craint un coup d’État ou une
insurrection armée. A Nouadhibou, dans la
région frontalière avec le Maroc, stationnent
1 559 soldats ; et 1 155 en Adrar. Alors que
dans la région du Hodh Chargui, à la
frontière avec le Mali, il n’y a que 1 020
soldats (CRIDEM du 15 novembre 2013).
Photo 8 : Les militaires participent aux
élections en Mauritanie, Nouakchott,
novembre 2013 (archives CRIDEM)
Les irrégularités de la préparation
des élections
Comme je le notais précédemment,
plusieurs irrégularités ont été dénoncées
dans les préparatifs de la campagne
20
électorale. La plus grave concerne
l’enregistrement des électeurs dont plusieurs
milliers ne disposaient pas de documents
leur permettant de s’inscrire au RAVEL et, de
ce fait, n’ont pu voter. Selon la COD, sur une
population totale de 3,9 millions d’habitants,
seulement 2,7 millions ont été recensés
(moins de 70 %) ; l’agence ARSTP a produit
1,9 million de cartes nationales d’identité
(49 %), dont 1,2 million ont été distribuées
(31 %). Quel pourcentage du corps électoral
représentent ces 1,2 million d’inscrits au
RAVEL ? Officiellement, le pouvoir avance la
proportion de 70 %. Autre anomalie relevée
par la COD, bien qu’ayant retiré leur carte
d’identité, 350 000 personnes n’ont pas pu
s’inscrire au RAVEL en raison d’erreurs sur
leurs documents12.
De son côté, Cheikh Sid Ahmed Babamine
a dénoncé en octobre une directive douteuse
de la CENI, selon laquelle les agents chargés
de la délivrance de cartes d’électeurs
peuvent enregistrer n’importe quel citoyen
détenteur de la nouvelle carte d’identité
biométrique. Cette directive illégale a
conduit des candidats en déficit de
popularité à recruter et transporter des
personnes dans des petites communes où
elles devront voter pour eux, en échange
d’argent. Le cas de la commune de Tichitt
(Tagant) est exemplaire car des centaines de
personnes y ont débarqué pour être
enregistrées comme ressortissantes des lieux
(CRIDEM du 29 octobre 2013).
Une autre irrégularité d’importance
concerne les bulletins de vote. En effet, à la
fin octobre, l’entreprise Smith & Ouzman,
qui a imprimé les bulletins pour les élections
mauritaniennes de mars 2007, a été mise en
examen par le Serious Fraud Office
britannique. Quatre citoyens britanniques
ont été accusés de corruption pour avoir
obtenu des marchés d’impression de votes
en Mauritanie, en Somalie, au Kenya et au
Ghana. Or, la CENI a commandé à nouveau
dix millions de bulletins pour les élections
du 24 novembre et du 7 décembre de l’année
en cours. La réserve émise par la
Commission de contrôle des marchés publics
a été balayée rapidement par la CENI (RFI,
CRIDEM du 4 et du 21 octobre13). La COD a
http://www.lecalame.info/actualites/item/1441-lacod-a-t-elle-déjà-entamé-son-boycott-actif-?
13 http://www.cridem.org/C_Info.php?article=649045
12
Les programmes du CJB, n° 12
dénoncé cette irrégularité et exige une
enquête officielle en mettant également en
question le rôle de cette entreprise dans la
fraude électorale dénoncée lors des élections
de 200714. D’autres irrégularités ont été
dénoncées lors du second tour ; cependant,
elles ne semblent pas associées à une volonté
de fausser les élections, mais plutôt à des
incompétences réelles du CENI.
Photo 9 : Abdellahi Ould Soueid Ahmed,
directeur du CENI, Nouakchott, novembre
2013 (archives du CRIDEM).
Les observateurs internationaux
La présidente de la Commission de
l’Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma,
a proposé à l’ancien Premier ministre
algérien, Ahmed Ouyahia, de conduire la
mission africaine de supervision des
élections législatives en Mauritanie. D’autre
part, un groupe de 32 observateurs de
l’Union africaine est arrivé à Nouakchott le
17 novembre. L’Union européenne n’a pas
envoyé d’observateurs, officiellement à cause
du retard des élections et du manque de
préparation (CRIDEM du 17 et du 18
novembre).
Les observateurs de l’UA, conduits par
Ahmed Ouyahya, ont considéré que les
élections se sont déroulées de manière
satisfaisante et ont « félicité la CENI pour le
travail remarquable qu’elle a accompli dans
le cadre de sa responsabilité exclusive sur le
processus électoral. » Dans la déclaration
préliminaire des observateurs de l’UA, il est
écrit : « en dépit de quelques insuffisances
relevées et partant des constats de ses
équipes
d’observateurs,
la
mission
d’observation électorale de l’UA conclut que
les conditions réunies pour la tenue de ces
élections
législatives
et
municipales
marquent des progrès notables réalisés par
les autorités mauritaniennes et une partie de
la classe politique sur la voie du
renforcement de la transparence du système
électoral en Mauritanie. » (CRIDEM du 26
novembre).
Après le second tour du 21 décembre, le
représentant de l’Union européenne en
Mauritanie a déclaré qu’il aurait été
souhaitable que les élections aient été plus
inclusives, avec la participation de tous les
partis politiques ; il a constaté également des
défaillances
techniques
et
organisationnelles, mais a souligné qu’elles
se sont tenues dans le calme. L’Union
africaine juge le scrutin globalement
satisfaisant (CRIDEM du 24 et du 26
décembre).
De son côté, l’ambassadeur de France en
Mauritanie,
Hervé
Besancenot,
s’est
impliqué directement dans la campagne
électorale, recevant les dirigeants des
principaux partis en lice, ainsi que le
président du mouvement IRA, Biram ould
Abeid. Dans un entretien au journal
Alakhbar, l’ambassadeur a affirmé que l’UE
sera représentée par deux experts, une
Française et un Belge, spécialistes des
élections, qui feront un rapport interne à
l’issue du processus (CRIDEM du 6
novembre15). En Mauritanie, on considère
que les activités politiques de l’ambassadeur
français relèvent d’une intermédiation entre
les partis politiques d’opposition et le
pouvoir. Ainsi, Ahmed ould Cheikh,
directeur du journal indépendant Le Calame
du 5 novembre16 affirme ne pas bien
comprendre le sens des entretiens accordés
par Monsieur Besancenot aux dirigeants,
tels Jemil Mansour, Mohamed ould
Mouloud et Ahmed ould Daddah ; et il écrit :
« L’ambassadeur
cherche-t-il
à
rapprocher les points de vue, obtenir un
consensus pour des élections apaisées, un
nouvel agenda ? On n’en sait pas grandchose, pour le moment, sinon qu’en ces
contrées lointaines, l’ambassadeur de France
15
14
Voir l’article de RFI
http://www.cridem.org/C_Info.php?article=649422
16
http://www.cridem.org/C_Info.php?article=649618
http://lecalame.info/editorial/item/1497-franceéternelle
21
Les programmes du CJB, n° 12
ne court jamais pour rien. Saura-t-il
persuader les parties, au point d’amener le
pouvoir, à tout remettre en cause, et
l’opposition, à participer à un processus d’où
elle était à mille lieues ? Dans l’affirmative,
le prestige de la France en sera,
incontestablement, rehaussé. Dans le cas
contraire, elle aura, au moins, donné
l’impression de ne pas être restée les bras
croisés, face à la crise politique. Une
impression, rien de plus, comme une
politesse de façade : tout le monde sait très
bien que le pouvoir mauritanien plierait vite,
si l’ex-puissance coloniale faisait réellement
pression sur lui. Même après plus de
cinquante ans de décolonisation officielle, la
France reste la France, en Mauritanie
comme en bien d’autres pays d’Afrique… »
(Le Calame du 5 novembre).
Précisons que le 4 novembre, le président
ould Abdel Aziz a reçu l’ambassadeur de
France, mais la teneur de l’entretien n’a pas
été évoquée à la presse (CRIDEM du 4
novembre).
Photo 10 : Le Président ould Abdel Aziz et
l’ambassadeur Besancenot, Nouakchott, le 4
novembre (AMI, archives du CRIDEM)
Résultats des élections
législatives et municipales du
23 novembre et du 21
décembre
Le premier tour des élections législatives
s’est tenu le 23 novembre et le second tour
devait se tenir le 7 décembre, mais il fut
finalement reporté au 21 décembre pour des
problèmes d’organisation. Comme on
pouvait s’y attendre l’UPR a remporté la plus
22
grande partie des sièges à l’Assemblée
nationale et dans les mairies du pays, et le
parti islamiste Tawassul est devenu la
seconde force politique en Mauritanie. Les
résultats du premier tour ont donné 37,1 %
pour le parti au pouvoir, 22 % à Tawassul,
7,96 % à l’Alliance populaire progressiste,
6,35 % au Sursaut de la jeunesse, et 6 % à El
Wiam. Cette tendance générale s’est
confirmée lors du second tour du 21
décembre. L’UPR a remporté 50,34 % des
voix, suivi par Tawassul (10,88 %), El Wiam
(6,12 %) et APP (4,08 %) (CRIDEM du 23
décembre).
L’UPR a ainsi obtenu 74 sièges de députés
sur un total de 144 sièges ; cependant, si l’on
ajoute les partis de la coalition au pouvoir on
arrive à 108 sièges pour cette mouvance
conservatrice. D’autres petits partis ont
obtenu 37 sièges, dont 16 pour Tawassul. En
effet, le parti Tawassul a obtenu 12 députés
au premier tour et quatre autres au second
tour. Le Parti pour l’entente démocratique et
sociale, El Wiam, de Bodiel ould Houmeid a
obtenu 10 sièges, dont plusieurs dignitaires
du régime de Ould Sid’Ahmed Taya. La
formation dirigée par Messaoud ould
Boulkheyr, l’Alliance populaire progressiste
(APP) est la grande perdante de ces élections,
avec seulement 7 députés élus. Le parti
Alliance pour la justice et la démocratie
(AJD), de Sarr Ibrahima, a obtenu 4 députés
et devient, de ce fait, le représentant de la
mouvance des Noirs mauritaniens au
parlement (CRIDEM du 30 décembre).
Les résultats des élections municipales
suivent cette tendance. L’UPR a gagné 154
communes sur les 218 communes du pays.
Tawassul a obtenu 18 communes. Plusieurs
villes sont passées dans le camp de cette
nouvelle opposition (Rosso,
Guérou,
Kankjossa, Tintane, Kobenni et Néma), alors
que Nouakchott a basculé dans le camp de
l’UPR. Des résultats qui font penser, comme
le note Ahmed ould Cheikh, à un certain
affranchissement des grands électeurs de
l’Est du pays (sharg), chefs tribaux et autres
notables, de leur loyauté permanente vis-àvis du pouvoir en place (Le Calame du 24
décembre).
Selon la CENI, le taux de participation a
été de 75 % pour le premier tour et de 72 %
pour le second tour ; moins d’un million
d’électeurs étaient appelés à voter au second
tour, contre 1,2 million au premier tour. Il
Les programmes du CJB, n° 12
est également avancé que 25 % des élus sont
des femmes, suivant une ordonnance datant
de 2006 et qui exige la présence de 20 % de
femmes dans les élections.
De graves irrégularités ont été cependant
dénoncées dans le second tour des élections
par Jemil ould Mansour, dirigeant du parti
Tawassul. Il a déclaré également que « ces
élections n’apporteront aucune solution à la
crise politique en Mauritanie », et il a lancé
un appel à « un dialogue urgent pour
résoudre cette crise qui dure depuis le coup
d’État de 2008. » (CRIDEM du 23 décembre).
En outre, ould Mansour a critiqué le boycott
du COD, estimant que la population ne
comprend pas ce mot d’ordre et qu’elle a
plutôt besoin d’une alternative au parti au
pouvoir. Loin de prôner une position
radicale, il se veut réformiste, se dit attaché à
la justice sociale et dénonce « la dictature
dissimulée
derrière
une
vitrine
démocratique » du président Aziz. Il faut
préciser que Jemil ould Mansour a été
incarcéré plusieurs fois sous le régime de
Taya, qui l’a même contraint à s’exiler en
Belgique une année, et ce n’est qu’en 2007
que son parti fut reconnu officiellement.
Enfin,
malgré
les
accusations
de
financements occultes en provenance du
Golfe, et malgré ses liens avec les partis
islamistes de Tunis et d’Égypte, ould
Mansour
revendique
une
stricte
indépendance (Jeune Afrique, NoorInfo du
31 décembre).
Ahmed ould Daddah, président de la
coalition d’opposition COD, a exprimé,
encore une fois, son rejet des élections qui
auraient été, d’après lui, « une vaste
mascarade qui enfonce le pays dans la crise
politique ». Cependant, cette position —
proche du déni de réalité — ne pèsera
certainement pas dans la réorganisation
actuelle de l’échiquier politique en vue des
préparatifs des élections présidentielles
prévues en juin 2014.
Le processus d’investiture des maires
élus a commencé au début de janvier 2014 et
devrait se terminer la semaine prochaine.
L’ancienne ministre du Travail, Maty mint
Hamadi (du parti au pouvoir, UPR), a été
investie maire du Ksar de Nouakchott le 23
janvier. En tant que candidate de l’UPR, elle
devra être bientôt élue présidente de la
Commune urbaine de Nouakchott, en
remplacement du très populaire Ahmed ould
Hamza (de l’opposition, COD), qui a occupé
ce poste entre 2006 et 2013. La capitale de la
Mauritanie a basculé en effet dans le camp
du parti au pouvoir, comme d’autres grandes
villes du pays.
La question de l’esclavage et
l’interdiction du parti RAG
La question de la permanence des
relations serviles, impliquant divers niveaux
de dépendance personnelle, englobée sous le
terme d’esclavage, reste à l’ordre du jour en
Mauritanie. Cela d’autant plus qu’un rapport
récent de la fondation australienne Walk
Free a classé la Mauritanie au premier rang
des pays où persistent des formes modernes
d’esclavage17. Le mouvement Initiative pour
la résurgence du mouvement abolitionniste
(IRA), qui déploie un grand activisme sur la
scène internationale, a publié un document,
analysant ce rapport international, qui
considère un total de 162 pays pratiquant
l’esclavage moderne, les mariages de
mineurs et le trafic de personnes. Après la
Mauritanie sont cités : Haïti, le Pakistan,
l’Inde, le Népal, la Moldavie, le Bénin, la
Côte d’Ivoire et le Gabon. L’agence
australienne recommande au gouvernement
mauritanien une étude détaillée et chiffrée
sur la prévalence des formes d’esclavage
dans le but de les éradiquer ; et demande
également de faciliter l’accès à la justice des
victimes de l’esclavage, permettant aux ONG
de les assister.
Ce n’est pas la première fois qu’une
institution internationale constate la
persistance des formes extrêmes de
dépendance en Mauritanie. Loin de là,
celles-ci sont dénoncées depuis les années
1980 par Amnesty international et par la
Commission des droits humains de l’ONU,
mais aussi par des mouvements nationaux,
dont El Hor, fondé à la fin des années 1970,
et SOS-Esclaves. Cependant, l’émergence du
mouvement IRA, en 2008, a changé la donne
car son président, Biram ould Dah Abeid, a
relancé avec force, et de manière
17
http://www.noorinfo.com/Esclavage-moderne-30millions-d-esclaves-au-monde-et-la-Mauritaniechampionne-toutes-categories_a10972.html. Voir le
Rapport de Walk Free :
http://www.globalslaveryindex.org.
23
Les programmes du CJB, n° 12
provocatrice, l’exigence de l’éradication des
pratiques serviles dans le pays, déjà interdite
par la loi anti esclavagiste de 1981, et
confirmée
par
la
loi
criminalisant
l’esclavage, promulguée en 2007 (loi
n° 2007-048). La conjoncture politique de
l’après Taya, relativement ouverte à la
contestation, a compté pour beaucoup dans
l’essor de ce nouveau mouvement de défense
des groupes serviles. Le discours de Biram
ould Dah, bien plus provocateur et agressif
que celui des dirigeants précédents, est
également pour beaucoup dans l’adhésion
des jeunes citadins aux revendications
d’égalité sociale. Biram a également la
particularité de déployer un activisme
important à l’international, ce qui lui a valu
des reconnaissances importantes, dont le
prix des droits de l’homme de l’ONU, reçu le
10 décembre 2013 (RFI du 27 décembre).
Le mouvement de l’IRA fut fondé en 2008,
mais il ne dispose toujours pas d’une
reconnaissance officielle. En effet, le dossier
de demande officielle a été déposé au
ministère de l’Intérieur le 15 juin 2010, et au
Direction des affaires politiques et libertés
publiques le 17 juin 2010 ; mais depuis lors,
la procédure a été paralysée (RFI, le 27
décembre 2013). Sur cette question délicate,
l’État mauritanien maintien une position
paradoxale et ambivalente ; en effet, d’une
part, il reconnaît l’esclavage et légifère pour
sa disparition et, d’autre part, il bloque les
demandes d’application de la loi 048 du 3
septembre 2007, et poursuit le mouvement
IRA — dont plusieurs membres ont été
détenus aux mois de mai et d’août selon un
rapport d’Amnesty International, qui
dénonce également les tortures subies par
une soixantaine de détenus, dont onze
enfants18.
La reconnaissance officielle de l’esclavage
est par ailleurs remise en question par les
discours du président ould Abdel Aziz, qui
déclarait en août 2012, dans la Rencontre
avec le peuple tenue à Atar, qu’il n’existe
plus d’esclavage mais seulement des
séquelles que sont la pauvreté et l’ignorance.
Reprenant même une idée courante des
Bidân du pays : « n’est esclave que celui qui
veut l’être ». Cependant, comme je le notais
dans la Chronique politique de juillet, le
gouvernement a créé, en avril 2013, une
18
http://www.amnesty.org/fr/region/mauritania
24
instance nationale chargée de s’occuper de la
question de l’esclavage, l’Agence nationale
pour la lutte contre les séquelles de
l’esclavage, l’insertion et la lutte contre la
pauvreté. Une instance dénoncée par les
dirigeants anti-esclavagistes car elle a été
créée sans concertation avec les associations
de défense des droits des hrâtîn, et elle est
présidée par Hamdi ould Mhjoub, un bidânî,
ancien ministre de la Communication. Cela
étant, le gouvernement favorise la diffusion
de la loi criminalisant l’esclavage de 2007 ;
ainsi, les 21-22 septembre l’ONG, Association
de coopération et de recherches pour le
développement, en partenariat avec le Fonds
des nations unies pour la démocratie, a
organisé deux tables rondes sur la loi
d’abolition de l’esclavage à Aïoun, chef-lieu
du Hodh el-Gharbi19. Participaient à ces
réunions, des représentants de la société
civile, de la presse, des dirigeants de la
communauté hrâtîn, ainsi que des autorités
locales et religieuses. Le coordonateur
régional de SOS-esclaves, Lemrabott ould Ali
Bourou, a déclaré que la teneur de la loi était
correcte, mais qu’il manquait l’application
des textes et la mise en examen des
personnes dénoncées pour leurs pratiques
esclavagistes. L’ouléma Sid’Ahmed ould
Hamadi a souligné que l’esclavage est
prohibé par l’islam et a invité également les
citoyens
à
dénoncer
les
pratiques
esclavagistes (Le Calame du 25 septembre
2013). Signalons enfin qu’un tribunal spécial
pour juger les crimes d’esclavage a été créé le
31 décembre par décision du Conseil
supérieur de la magistrature, présidé par le
président Aziz.
Aussi, on peut dire que dans les faits, le
régime n’est pas complètement sourd aux
demandes
sociales
d’éradication
des
pratiques de servilité extrême, mais qu’il
entend
contrôler
le
processus
de
changement social. C’est probablement pour
cette raison qu’il a décidé d’interdire le parti
politique créé à partir du mouvement antiesclavagiste, IRA.
En effet, l’interdiction du parti RAG,
présidé par Ahmed Labeïd, est intervenue le
4 août ; la direction générale des élections et
des libertés publiques a considéré que « les
19
http://www.cridem.org/C_Info.php?article=647980
voir aussi
http://www.cridem.org/C_Info.php?article=646917
Les programmes du CJB, n° 12
documents contenus dans [le] dossier de
demande de reconnaissance d’un parti
politique ne répondent pas aux dispositions
de l’article 06 de l’ordonnance 91-024 du 25
juillet 1994 relative aux partis politiques
modifiée par la loi 91.014 du 12 juillet
1994. » Le dit article dispose : « aucun parti
ou groupement politique ne peut s’identifier
à une race, à une ethnie, à une région, à une
tribu, à un sexe ou a une confrérie. » En
Mauritanie, comme ailleurs dans les pays
qui disposent d’une constitution moderne,
les partis politiques ne peuvent pas
s’identifier à un groupe restreint de la
société. Pourtant, dans la pratique, on peut
constater que des partis religieux et de
défense de la cause des Noirs existent bel et
bien dans le pays ; citons ici le parti islamiste
Tawassul ; et les partis qui défendent la
cause des Noirs, l’Alliance pour la justice et
la démocratie (AJD, présidé par Ibrahima
Moctar Sarr, et le Parti pour la liberté,
l’égalité et la démocratie (PLEJ), dont le
premier participe aux élections et le second
les boycotte.
Dans ce cadre, l’interdiction du parti RAG,
qui met la défense des « esclaves » — qu’il
faudrait plutôt appeler groupes serviles —
au cœur de son programme politique,
revendiquant en même temps la défense des
« Négro-africains de Mauritanie », semble
correspondre à la crainte du régime de voir
se concrétiser un mouvement social
d’envergure,
réunissant
les
« Noirs
mauritaniens », dont les actions politiques
seraient légales. Cette polarisation de l’ordre
politique, en fonction de ce qui est conçu
comme l’appartenance de « race », n’est pas
nouvelle au pays. Le mouvement des Forces
de libération des Africains de Mauritanie
(FLAM), a posé la question de la lutte
« raciale » entre Noirs et « Beidan »/Blancs
depuis 1986. Le régime de Taya a réprimé de
manière barbare ce mouvement et, comme
on le rappelait dans la Chronique de juillet,
des centaines de Noirs ont été tués, et des
milliers, parmi eux, ont été expulsés au
Sénégal et au Mali entre 1989 et 1992 [Voir
l’article de Marion Fresia, dans cette
Chronique]. Cela étant, le mouvement
IRA/RAG est distinct, car il canalise les
revendications égalitaires des groupes
serviles, englobés dans le terme « hrâtîn »,
et, de ce point de vue, il concerne au premier
chef les demandes d’égalité statutaire de ces
derniers.
Certes, les groupes serviles de la société
bidân (arabophone) ont des origines
africaines, mais ce qui est en jeu, c’est avant
tout leur statut social de servilité qui, dans
les sociétés sahélo-sahariennes, s’oppose au
statut de liberté (Villasante, Groupes
serviles au Sahara, 2000). On peut ainsi
considérer que les groupes serviles sont
discriminés en fonction de leur statut
servile, et secondairement en relation avec
leur « couleur de peau » noire. Deux
remarques sur ce point.
(1) La couleur de la peau n’est pas un
indicateur d’ethnicité ni de statut en
Mauritanie. La communauté culturelle
arabophone est le résultat d’un large
métissage de populations locales africaines
et berbères avec des populations arabes —
même si la majorité des Bidân rejette l’idée
de métissage et préfère revendiquer une
origine arabe. Le rejet idéologique du
métissage entre Bidân et Noirs s’observe
actuellement dans le fait que les enfants
issus de ce métissage ne sont intégrés que
rarement à la famille du père ou de la mère,
alors que leur nombre devient de plus en
plus important du point de vue
démographique.
Aichetou
Camara,
présidente de l’association SOS-Exclus,
dénonce la discrimination dont les métis
sont l’objet et qui va jusqu’au blocage des
promotions de travail et leur exclusion de la
fonction publique (Le Calame du 9 octobre).
Cette réalité sociale contemporaine, qui ira
certainement en s’accentuant, nécessite des
études approfondies pas encore entamées.
En dehors des mariages inter ethniques,
les mariages entre hommes libres et femmes
issues des groupes serviles, assez courants,
impliquent que les enfants ont le teint foncé
mais un statut de liberté hérité du père. Ils
sont ainsi mieux intégrés dans les familles
paternelles et souffrent moins de leurs
origines maternelles serviles. Ainsi, les
arabophones Bidân sont distingués non pas
en fonction de leur « couleur », mais en
fonction de leur statut qui, par ailleurs, peut
se transformer dans le temps par le biais des
facteurs modernes d’éducation et de
richesse. Cela veut dire que des personnes
ayant le « teint foncé » peuvent avoir un
statut libre et noble, et que des personnes
issues des groupes serviles peuvent rompre
25
Les programmes du CJB, n° 12
les liens de dépendance vis-à-vis de leurs
maîtres/patrons et devenir complètement
autonomes. Il existe donc des paliers de
dépendance et non pas une appartenance
monolithique et inchangée au statut servile.
C’est pourquoi l’emploi des termes
« esclave/s » et « esclavagiste/s », utilisés
par le mouvement IRA/RAG, prêtent à
confusion. Ainsi, les relations de dépendance
sont fort complexes et ne se réduisent pas à
une
opposition
simpliste
entre
« bidân/esclavagistes » et « esclaves » ;
vision
réductrice
et
potentiellement
dangereuse en politique. Les groupes
serviles et les groupes de métier,
marginalisés aussi, existent également dans
les communautés noires du pays, et chez eux
la « couleur » ne joue aucun rôle dans la
distinction statutaire. Bref, la complexité
statutaire et ethnique de la société
mauritanienne rend difficile toute tentative
de simplification opposant des « Blancs »
(bidân) aux Noirs (groupes serviles hrâtîn
inclus)20.
(2) La création d’un État indépendant en
1960, au sein duquel les colonisateurs ont
privilégié les arabophones au détriment des
communautés
africaines
halpular’en,
soninké et wolof, a favorisé l’émergence
d’une lutte de classement ethnique entre les
Bidân/arabophones et les Noirs. Ces luttes
ethniques ont renforcé le racisme ordinaire
20
Cette réalité est souvent difficile à comprendre pour
les étrangers. Ainsi par exemple, Mireille Fanon, fille
de Frantz Fanon, et présidente de la Fondation
Fanon, déclarait au Calame du 20 novembre que,
lors de sa visite à Nouakchott, elle avait constaté que
l’esclavage n’était pas une préoccupation essentielle
des gens, et que le racisme n’était pas un problème
majeur. Pour fonder ces affirmations, elle s’appuyait
sur ses « observations » relevées dans les rues, où
elle ne voyait pas de différences entre les « ethnies ».
Madame Fanon était en effet incapable de « voir »
que les distances hiérarchiques et ethniques
n’étaient pas aussi visibles en Mauritanie que ce à
quoi elle s’attendait en suivant le « sens commun »
européen. Mais le pire est sa vision pour le moins
légère sur les problèmes d’une société qu’elle
méconnaît. En Mauritanie, les problèmes raciaux ne
sont pas des « épiphénomènes » comme elle le
pense, il y a racisme ordinaire, racisme d’État, et
prépondérance des relations hiérarchiques et
serviles. Voir l’entretien :
http://www.lecalame.info/interviews/item/1585mireille-fanon-mendes-france-‘’je-me-représentaisla-mauritanie-comme-un-pays-où-sévit-l’esclavagemoderne-et-j’avoue-qu’après-avoir-posé-desquestions-à-droite-et-à-gauche-j’ai-constaté-que-cen’est-pas-la-préoccupation-essentielle-des-gens.
26
entre les deux communautés ; "racisme"
construit d’ailleurs en termes pseudoscientifiques (racialistes comme le dit
Todorov21), par les colonisateurs qui
classaient les sujets colonisés en Afrique
selon
leurs
« races »,
elles-mêmes
hiérarchisées. Or, le racisme est un
comportement
ancien et
d’extension
probablement universelle, fait de haine ou
de mépris vis-à-vis de personnes qui ont des
caractéristiques définies différentes des
nôtres. Alors que le racialisme est une
idéologie née en Europe occidentale qui
considère l’existence, parmi les humains, de
« races » distinctes qui doivent rester
séparées, et qui postule aussi une continuité
entre les attributs physiques et les valeurs
morales des « races ». Les différences
physiques
détermineraient
ainsi
les
différences culturelles. Or, les biologistes ont
montré l’unicité de l’espèce humaine et
l’inexistence des races, ce qui n’a pas fait
disparaître ni le racisme ni le racialisme
(Todorov, 1989, p. 134 et sqq.).
En Mauritanie, on observe l’existence
d’un racisme ordinaire qui oppose les
arabophones aux Noirs, et qui a été constaté
dans les pays arabes en général22 et au
Maroc voisin en particulier23, en relation
étroite avec l’ancien statut de servilité des
Africains. Ce racisme statutaire, qui
concerne autant les Bidân [au sens statutaire
de personne libre] que les Hrâtîn, coexiste
avec une discrimination ordinaire des
personnes libres vis-à-vis des groupes
serviles et des groupes de métier (artisans,
pêcheurs, musiciens), c’est-à-dire les
groupes dominés ou subalternes. Accepter et
étudier de manière distanciée ce fait
impliquerait un pas en avant pour
l’éradication de ces pratiques d’ancien
régime dans un pays qui veut se moderniser
socialement et politiquement.
La composition interne de l’État
mauritanien post colonial a favorisé
également l’émergence d’un racisme d’État à
l’encontre des communautés noires du pays
Tzvetan Todorov, Nous et les autres, Paris, 1989.
Voir Bernard Lewis, Race et couleur en pays d’islam
(1971) 1982 ; Race et esclavage au Proche-Orient,
(1990) 1993.
23 Voir Mohammed Ennaji, Soldats, domestiques et
concubines. L’esclavage au Maroc au XIXe siècle,
1997. Voir aussi Le sujet et le mamelouk. Esclavage,
pouvoir et religion dans le monde arabe, 2007.
21
22
Les programmes du CJB, n° 12
et qui s’est déployé de manière hautement
répressive au cours du régime de Maaouya
ould Sid’Ahmed Taya. Or, le gouvernement
actuel est en train de rééditer ces
comportements honteux pour un pays qui se
dit démocratique. C’est pourquoi les
mouvements de défense des droits des
groupes serviles et de défense de l’égalité
ethnique sont devenus des acteurs
importants de la scène politique. Les liens
entre les deux mouvements sont encore
mouvants, mais si auparavant ils étaient
séparés, on observe qu’après 2005 ceux qui
revendiquent les droits des « hrâtîn » et
ceux qui défendent les droits des Noirs se
sont rapprochés en évoquant une situation
commune de domination (incluant les
groupes de métier, forgerons, pêcheurs et
musiciens),
plus
qu’une
commune
appartenance à la « race noire ». Cela étant,
les relations entre ces mouvements peuvent
être aussi mauvaises. Ainsi, par exemple,
l’IRA
et
le
TPMN
se
soutiennent
mutuellement, alors que l’IRA et les FLAM ont
pris leur distance publiquement.
Photo 11 : Samba Thiam, président des FLAM,
Nouakchott, 2013 (archives Le Calame)
Le retour des FLAM sur la scène politique
date de juillet 2013, lorsque le vice-président
Ibrahima Mifo Sow est rentré à Nouakchott
pour préparer la venue du président Samba
Thiam, en septembre, après 23 ans d’exil. La
tâche est lourde car il s’agit de reconstruire
l’image politique d’un mouvement qui avait
été classé et perçu comme extrémiste, voire
terroriste, en raison de ses discours violents
contre le « régime raciste beïdane » exposés
dans son « Manifeste du négro-mauritanien
opprimé », diffusé en 198624. Nombreux
sont ceux qui en Mauritanie les rendent
responsables de la répression aveugle du
régime de Taya contre les Noirs. Le nouveau
discours des FLAM, avec lequel les militants
espèrent fonder un parti politique,
revendique l’unité des Mauritaniens,
l’égalité, la démocratie et la justice sociale.
Samba Thiam a reçu le soutien des partis
PLEJ et Arc en ciel, il a proposé la création
des régions autonomes dans le sud de la
Mauritanie, et il a dénoncé l’interdiction du
parti RAG. Malgré cela, Biram ould Abeid,
président de l’IRA, a accusé les FLAM et ses
dirigeants d’être proches du gouvernement
du président Aziz et de son système
esclavagiste. Samba Thiam a déclaré ne pas
comprendre cette « sortie haineuse » et il a
accusé à son tour Biram d’avoir été membre
du parti de Taya, le PRDS (Le Calame du 24
juillet, CRIDEM du 26 juillet).
Les violations des droits
humains et la situation des
réfugiés du Mali
En octobre dernier, les Nations unies se
sont déclarées préoccupées par la situation
des droits civiques et politiques en
Mauritanie. En effet, les 21 et 22 octobre a
eu lieu à Genève l’examen du premier
rapport de la Mauritanie sur l’application du
Pacte international relatif aux droits civiques
et politiques, signé en 2006. En partenariat
avec le Centre pour les droits civils et
politiques, plusieurs associations civiles
(AMANE, COVIRE, MRG, AFCF) ont évoqué les
questions de discrimination raciale et la
persistance de l’esclavage malgré les
législations existantes. Ont été également
évoqués les violences contre les femmes, les
viols et les mariages précoces. Dans le cadre
étatique, le rapport dénonce le maintien de
l’impunité des actes de torture dans les
prisons. Aminétou Ely (AFCF) a jugé
indispensable d’engager le pays sur la voie
de la justice transitionnelle pour renforcer la
cohésion nationale et consolider l’État de
24
Voir Villasante, « La Négritude : une forme de
racisme héritée de la colonisation française ?
Réflexions sur l’idéologie négro-africaine en
Mauritanie », in Marc Ferro (dir.), Le Livre Noir des
colonisations, 2003, p.726-761.
27
Les programmes du CJB, n° 12
droit. Le rapport final, qui fut discuté avec
les autorités nationales, fut présenté le 31
octobre25 (Le Calame du 30 octobre 2023).
Photo 12 : Lemine Mangane (archives
Alakhbar, CRIDEM)
5- La mort de Cheikh ould Rajel ould Maali,
par asphyxie due à des gaz lacrymogène,
lors d’une manifestation de l’Ira à
Nouakchott.
6- La mort de Mohamed ould Mechdoufi, un
ouvrier de la mcm, mort le 15 juillet 2012
sous la torture infligée par des gendarmes
qui réprimaient une grève de travailleurs.
Le journal Alakhbar avance que les
accidents des avions sont de la seule
responsabilité des pilotes. Les familles des
morts de ould Bezeid, de ould Rajel et de
ould Mechdoufi ont subi des pressions
tribales pour ne pas porter plainte
(Alakhbar du 29 mai, et Noorinfo du 5 juin
et du 26 septembre 2013).
Le journal Alakhbar a dénoncé ce qu’il
appelle les « crimes insolubles de l’ère
d’Aziz ». Il est ainsi question des faits
suivants :
1- La mort de 9 personnes au cours des
crashs de 5 avions militaires (sur un total
de 12) entre 2010 et 2013. Les pertes
seraient dues au mauvais état des
appareils usagés payés à des prix forts
dans le cadre de marchés corrompus.
2- L’immolation par le feu d’un homme
devant la présidence de la République
pour des impayés que le gouvernement
refusait d’honorer, le 17 janvier 2011.
3- La mort du jeune Lemine Mangane, élève
de Maghama, tué par balle par un
gendarme au cours d’une manifestation
contre le recensement organisé par le
mouvement Touche pas à ma nationalité,
le 27 septembre 2011. Aucune enquête n’a
été menée et le crime reste impuni.
4- La mort du jeune Abderrahmane ould
Bezeid, instituteur suspendu de ses
fonctions, et qui se serait immolé devant
la présidence de la République selon la
version officielle, en protestation de son
renvoi ; alors que sa famille avance qu’il a
été abattu par un gendarme. Aucune
enquête n’a été menée et le crime reste
impuni.
25
http://www.lecalame.info/actualites/item/1470-lesnations-unies-préoccupées-par-la-situation-desdroits-civils-et-politiques-en-mauritanie
28
Photo 13 : Manifestation de l’IRA à Boutilimit,
septembre 2013 (archives du CRIDEM)
Le
dernier
rapport
d’Amnesty
international fait état de détentions
arbitraires de militants de l’IRA détenus en
mai et en août ; ainsi que des tortures
infligées à une soixantaine de détenus, dont
11 enfants ; du reste, 14 personnes restent
disparues, depuis mai 2011, des prisons de
Nouakchott. Les tortures sont en effet
ordinaires dans le pays26. Ainsi, par exemple,
en octobre de l’année dernière, on a appris
que Hacen ould Hadih, détenu à la prison de
Dar Naim, a été tué par son bourreau, le
sous-lieutenant Daha ould Hadhrami. Celuici a déclaré à Radio Nouakchott qu’il avait
reçu l’ordre du commandant Chamekh de
torturer plusieurs prisonniers « car ils ne
peuvent pas être maîtrisés autrement. » Il
26
http://www.amnesty.org/fr/for-media/pressreleases/men-women-and-children-torturedconfess-crimes-mauritania-2013-06-26
Les programmes du CJB, n° 12
affirma ne pas savoir les motifs de la torture
infligée à ould Hadih, et demanda pardon à
sa famille et au peuple mauritanien ;
précisant que la torture est monnaie
courante à Dar Naim, et qu’il avait refusé de
signer son procès-verbal car on avait effacé
la partie où il affirmait avoir reçu des ordres
directs pour torturer les prisonniers (ANI,
CRIDEM du 5 octobre 2012).
Le cas d’une jeune femme de 18 ans,
soumise à des formes extrêmes de
dépendance, Nourah mint Hemeid, a été
dénoncé par l’IRA au mois de septembre.
Suite à une manifestation de militants de
l’IRA à Boutilimit, six, parmi eux, ont été
capturés et mis en prison (CRIDEM du 30
septembre).
Le 28 novembre, jour de la fête nationale,
est aussi la date de l’exécution de 28
militaires Noirs par le régime de Taya en
1990. Le Collectif des victimes civiles et
militaires (COVICIM) commémorent cette
année le 23e anniversaire de cette tragédie, et
demandent, encore une fois, qu’une enquête
soit menée pour que les bourreaux soient
jugés. Le collectif exige également, avec le
soutien du parti AJD/MR d’Ibrahima Moctar
Sall, l’abrogation de la loi d’amnistie de
1993 ; en février, Sall avait conduit une
délégation avec une requête officielle remise
au député Kane Hamidou Baba, président du
MPR, qui devait la présenter au parlement.
Le 6 novembre, les membres du collectif
COVICIM, notamment les orphelins et les
veuves des militaires exécutés ont transmis
leurs doléances au président, dont la mise en
œuvre de la décision du ministère des
Affaires islamiques, du 12 juin 2011, de
cartographier les sépultures des morts
pendant les évènements sanglants de 1989199027. Cette année, le Collectif des victimes
de la répression (COVIRE) a décidé de ne pas
effectuer le pèlerinage à Inal et de le
remplacer par un meeting à El Mina. Dans la
conférence de presse donnée le 27
novembre, Kane Mohamed El Hussein,
président du COVIRE, a annoncé qu’ils vont
replacer la commémoration dans le cadre de
la question non réglée du passif humanitaire
et de la discrimination raciale, en
demandant au gouvernement de tenir leurs
27
http://www.lecalame.info/actualites/item/1249pendaisons-des-militaires-négro-mauritaniens-du28-novembre-90-les-orphelins-préparent-le-23èmeanniversaire
engagements vis-à-vis des devoirs de vérité,
de justice, de réparation et de mémoire
(Babacar Baye, CRIDEM du 28 novembre).
Les violations des droits humains
anciennes et actuelles ne sont pas du tout
évoquées par la Commission nationale des
droits de l’homme de Mauritanie qui
maintient un discours éloigné de la réalité.
Lors du dernier congrès de l’Association
francophone des commissions nationales
des droits de l’homme qui s’est tenu à Paris
du 7 au 9 novembre 2013, Mme Irabiha
Abdel Wedoud, présidente de la Commission
nationale des droits de l’Homme a manié la
langue de bois habituelle. Elle a ainsi
déclaré : « la Mauritanie, trait d’union entre
l’Afrique noire et le Maghreb, terre
d’hospitalité et de partage, s’est distinguée
par une volonté politique forte de
promouvoir et de protéger les libertés
fondamentales et la primauté de l’Etat de
droit par une série de mesures efficientes
dont le renforcement des capacités de la
CNDH, le respect des fondamentaux des
droits de l’homme, la lutte contre les
discriminations et les séquelles de
l’esclavage, la promotion de la femme. »
(CRIDEM du 11 novembre28).
La situation des réfugiés du camp
de M’Bera
La situation des réfugiés dans le camp de
M’Bera est dramatique depuis le mois de
septembre. En effet, suite à des pillages de
15,5 tonnes de vivres et à des heurts avec le
personnel du Haut-commissariat des
réfugiés (HCR), celui-ci avait décidé de partir
et de laisser le camp à deux ONG, Médecins
sans frontières et Solidarité internationale.
Le HCR a suspendu le statut de réfugiés aux
candidats et a supprimé la distribution de
l’aide alimentaire et toutes les activités dont
il s’occupait (programme d’assainissement,
activités génératrices de revenus). La
situation humanitaire a été très difficile
pendant la période d’hivernage, et reste
préoccupante jusqu’à présent. Le président
de la commission technique du camp des
refugiés, Mohamed Ag Malha, considère que
s’il est vrai qu’environ 500 personnes sont
rentrées au Mali après les élections
28
http://www.cridem.org/C_Info.php?article=649565
29
Les programmes du CJB, n° 12
présidentielles, en réalité les conditions
sécuritaire ne sont pas encore réunies pour
leur retour définitif. D’autre part, il a déclaré
que le personnel du HCR envoyé à M’Bera
n’était pas compétent car il n’arrivait pas à
trouver un terrain d’entente avec les
réfugiés, et ne savait pas adapter les
protocoles du HCR à la situation particulière
de M’Bera. Il demandait donc qu’on envoie
une autre équipe dans les meilleurs délais
car la situation empirait chaque jour (Info
Sud, pour Noorinfo du 20 septembre29).
Photo 14 : Camp de réfugiés de M’bera, Hodh
Chargui (archives du CRIDEM)
Le 25 septembre, le HCR et le Programme
alimentaire mondiale (PAM) sont revenus à
M’bera après avoir obtenu des autorités un
renforcement de la sécurité du camp. Les
agents ont décidé de renforcer la
communication avec les communautés hôtes
et les réfugiés afin d’éviter des tensions
futures. Selon la représentante du HCR en
Mauritanie, Ann Maymann, l’essentiel des
activités humanitaires a continué pendant
les trois semaines qu’a duré leur
éloignement et elle comptait reprendre
toutes
ses
activités
progressivement
30
(CRIDEM du 27 septembre ).
L’organisation des sociétés civiles de
l’Azawad (OSCA), présidée par Abdoullahi Ag
Mohamed El Mouloud, a publié un
communiqué le 24 novembre31. Le collectif
soutient la réconciliation nationale au Mali,
dénonce le terrorisme et les activités de
29
http://www.cridem.org/C_Info.php?article=649944
Voir aussi
http://www.cridem.org/C_Info.php?article=634654
30 http://www.cridem.org/C_Info.php?article=64798
2
31 http://www.cridem.org/C_Info.php?article=650054
30
trafic dans le nord du pays, et demande la
participation des chefs coutumiers dans le
processus de paix en cours.
En ce qui concerne les réfugiés déportés
au Sénégal, il faut préciser que 7 445
personnes vivent toujours dans sept camps
de la localité sénégalaise de Thiabakh
(Richard Toll, Dagana). A la fin du mois
d’octobre, a eu lieu une assemblée générale
des refugiés pour discuter de leurs
problèmes. Abdoul Birane Wane, membre
du mouvement TPMN, a participé à cette
réunion et a constaté la situation de grande
pauvreté qui touche ces personnes (Noorinfo
du 31 octobre). Le 9 octobre, le
gouvernement du Sénégal et le HCR a
distribué environ 15 000 cartes d’identité
pour réfugiés dans l’axe Saint Louis-Matam,
dont 2 146 à des réfugiés mauritaniens. Les
responsables de cette opération ont déclaré
qu’elle va continuer jusqu’à la fin de l’année
pour soutenir les efforts de réinsertion des
réfugiés (CRIDEM du 9 octobre32). [Voir
l’article de Fresia sur les réfugiés installés au
Sénégal avant 2007].
La situation du terrorisme au
Nord du Mali : AQMI se replie ?
Au mois d’août, deux groupes terroristes,
les
Moulatahamounes
de
Mokhtar
Belmokhtar, alias Bellawar, et le MUJAO
(Mouvement pour l’unicité et le jihâd en
Afrique de l’Ouest) ont décidé de s’unir sous
la même bannière jihâdiste dénommée
Mourabitunes [les Almoravides, murabitin,
du XIe siècle]. Selon l’Agence Nouakchott
information (ANI), une source bien informée
considère que le chef serait un vétéran
jihâdiste qui aurait combattu les Russes et
les Américains en Afghanistan, mais il ne
serait pas Algérien. La nouvelle organisation
a menacé de s’en prendre aux intérêts de la
France dans le monde. Le communiqué a
salué également les déclarations des
oulémas mauritaniens contre l’offensive
française au Mali (Ely ould Moustapha, ANI
du 22 août).
Notons que l’ANI et Sahara Média sont
critiqués parce qu’ils reçoivent en premier
32
http://www.cridem.org/C_Info.php?article=63502
8
Les programmes du CJB, n° 12
les communiqués d’AQMI, devenant la seule
source des médias internationaux et se
prêtant, en même temps, au jeu des
jihâdistes. Selon Jeune Afrique, l’ANI a été
créée en 2007 par la société MAPECI, dont le
propriétaire, Cheikhna ould Nenni, soutenait
ould Taya. Après la chute de ce dernier, il a
subi des pressions, mais cela n’est plus le cas
car sa nièce est l’épouse du chef d’état-major
de l’armée, Mohamed ould Ghazouani, et
occupe le poste de conseillère auprès de
l’ambassade de Mauritanie à Washington. Le
directeur de MAPECI, Mohamed Mahmoud
ould Aboulmaali, a commencé à enquêter
après le 11 septembre 2001 sur les jihâdistes
mauritaniens qui partaient vers le Nord du
Mali et l’Algérie rejoindre le Groupe salafiste
pour la prédication et le combat, et les a vu
grandir. Il a reçu le premier communiqué
d’AQMI en 2007 et en 2011 il a obtenu un
entretien exclusif avec Mokhtar Belmokhtar
à Gao. Le directeur de Sahara Média, s’est
intéressé, lui aussi, très tôt aux jihâdistes et
dispose d’un bon équipement dans ses
bureaux de Dakar et de Casablanca, et un
studio de télévision à Nouakchott. L’auteur
d’une étude sur AQMI, Hacen ould Lebatt
considère que ce groupe s’intéresse aux
médias mauritaniens également parce que
les écoles coraniques sont réputées
d’excellent niveau, et les Mauritaniens
recrutés par AQMI se voient confier des rôles
de spécialistes en religion et experts en
communication, ce sont eux qui rédigent les
communiqués et contactent la presse
mauritanienne (Jeune Afrique du 22 avril
2013).
En septembre, l’agence ANI a diffusé la
nouvelle qu’après la mort des deux chefs des
bataillons « Tarek » et « al-Vourghan », tués
au cours de l’opération Serval ; l’algérien
Said Abou Moughatil et le mauritanien
Abderrahmane alias Talha ont été désignés
pour les remplacer. Ce dernier est l’un des
premiers Mauritaniens à avoir rejoint AQMI
en 2006, et il faisait partie du groupe qui
avait pour mission le contrôle la ville de
Tomboctou entre avril 2012 et janvier 2013
(Noorinfo du 23 septembre).
Photo 15 : Membres du MNLA dans la région
de Kidal (archives CRIDEM)
A la fin du mois de septembre, des
combats ont repris entre les Touareg et
l’armée malienne dans la région de Kidal.
Or, les autorités mauritaniennes sont
soupçonnées d’avoir poussé les groupes de
l’Azawad à abandonner les négociations avec
le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keita.
Le président ould Abdel Aziz aurait agi de la
sorte pour répondre au refus du président
malien
de
déployer
les
troupes
mauritaniennes à la frontière entre les deux
pays (Alakhbar, Noorinfo du 29 septembre).
A la fin octobre, des opérations militaires
conjointes, maliennes et françaises, ont été
déployées au Mali pour éviter la résurgence
terroriste (Le Monde du 25 octobre). Dans ce
contexte, les trois mouvements touareg (le
Mouvement national de libération de
l’Azawad, le Mouvement arabe de l’Azawad
et le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad),
se sont réunis à Ouagadougou pour unifier
leurs rangs. Pour Alghabass Ag Intalla
(HCUA), Bilal Ag Acherif (MNLA), et Sidi
Brahim ould Sidatt (MAA), il s’agit d’unifier
leurs forces autour de revendications
cohérentes, du même projet de société et
d’une même vision politique. Pour rendre
effective cette fusion et éviter des
dissensions, les trois mouvements se sont
donnés quarante-cinq jours pour sensibiliser
leurs bases sur la nécessité de ce processus
qui doit se concrétiser dans le cadre d’un
congrès général et l’adoption d’un nouveau
nom collectif. Le thème central de la
discussion est celui du statut juridique de
l’Azawad. Trois notables des Ifoghas, en
déplacement au sud du Kidal pour préparer
les réunions, ont été agressés par des soldats
maliens ; les soldats de la MINUSMA qui les
accompagnaient ne seraient pas intervenus
mais auraient averti la gendarmerie. Les
soldats maliens, appartenant à une brigade
31
Les programmes du CJB, n° 12
formée récemment par l’Union européenne,
ont été rappelés à Bamako (RFI, Noorinfo du
5 novembre).
Le 2 novembre a eu lieu l’enlèvement,
puis l’assassinat des deux journalistes de
Radio France International, Ghislaine
Dupont et Claude Verlon. Dans une
déclaration à Sahara Médias, AQMI a
revendiqué ces crimes « en réponse aux
crimes quotidiens commis par la France
contre les Maliens et à l’œuvre des forces
africaines et internationales contre les
musulmans de l’Azawad. » (AFP, Noorinfo
du 8 novembre).
Selon RFI, le procureur général français,
François Mollens, s’est exprimé devant la
presse, le 13 novembre, pour donner des
détails sur les circonstances de l’enlèvement
et de la mort des journalistes tués à Kidal.
Mais l’enquête est loin d’être finie et des
zones d’ombre demeurent sur l’identification
et la recherche des principaux suspects. Baye
ag Bakabo, un Touareg de Kidal, est devenu
officiellement le suspect no 1. Selon le
procureur français, il s’agit d’un trafiquant
de drogue, proche d’AQMI, un guide des
islamistes connu des autorités maliennes. Il
est
désormais
recherché
activement.
Contrairement aux informations rendues
publiques par la justice française, les
interpellations dans les milieux nomades se
poursuivent
ainsi
que
les
écoutes
téléphoniques. Aucun des quatre membres
du commando n’a été retrouvé à ce jour (RFI,
CRIDEM du 16 novembre33).
Le 7 novembre, AQMI a diffusé une vidéo
via internet dans laquelle le mauritanien
Khalid El-Mouritani affirmait que « la
guerre contre la France et ses alliés se
poursuit et AQMI va sortir victorieuse ».
Suivaient plusieurs autres déclarations de
jeunes nord-africains issus de Tunisie,
d’Algérie, du Maroc, mais aussi des arabes
du Nord du Mali, des jeunes du Soudan et de
l’Égypte. Cependant, selon le journaliste
Frederic Powelton (Sahel intelligence), cette
vidéo d’une heure et sept minutes avait pour
but de recruter des jeunes pour la cause
d’AQMI. Or, après décryptage, la vidéo serait
ancienne car l’un des intervenants,
Mohamed Alami Slimani, aurait été abattu
en Syrie en août dernier. Selon les islamistes
contactés par le Nouvel Observateur, le film
33
http://www.cridem.org/C_Info.php?article=649754
32
a été tourné avant la libération des quatre
otages d’Arlit, le 29 octobre, dans la région
de Gao. En outre, la vidéo ne montre aucune
des
opérations
terroristes
menées
récemment
à
Tombouctou,
ni
les
affrontements au Nord du Mali. Selon les
analystes, la vidéo aurait été dédiée aux
auteurs d’une ancienne opération terroriste
en Libye. Les chefs d’AQMI qui y
apparaissent (Mohamed Alami Slimani,
mais aussi Abubakar al-Mali et Abou
Mohammed al-Jazairi), menacent les
intérêts français au Maghreb, notamment en
Mauritanie. Pourtant, ces menaces en
Mauritanie semblent peu crédibles si l’on
tient compte des progrès accomplis en
matière de sécurité, notamment aux
frontières. Or, le danger pourrait venir de
l’intérieur, des cellules dormantes qui
pourraient être activées (CRIDEM du 13
novembre).
Le
Nouvel
observateur
remarque que parmi les islamistes il n’y a
que deux algériens et considère qu’AQMI est
en train de perdre son influence dans la
région, et qu’en Algérie elle est réduite à la
portion
congrue,
l’émir
Abdelmalek
Droudkel, se terre dans ses montagnes de
Kabylie, avec une poignée d’hommes (Le
Nouvel Observateur, CRIDEM du 21
novembre).
Enfin, la cour d’appel de Nouakchott, a
condamné dimanche 10 novembre 2013, le
Canadien Aaron Yoon à dix-huit mois de
prison pour ses activités terroristes au sein
d’AQMI. Il avait été inculpé en 2012 par les
forces de sécurité et condamné à deux ans de
prison, une peine qui a été réduite. Yoon
rejette tout lien avec AQMI, et affirme être
venu en Mauritanie pour apprendre l’arabe
et étudier le Coran. Or, selon les autorités
mauritaniennes, il se serait rendu dans la
région avec deux autres Canadiens qui ont
été plus tard impliqués dans un attentat
terroriste contre une usine de gaz naturel
dans le sud-est de l’Algérie (In Amenas)
(CRIDEM du 12 novembre).
Sur le front du Mali, les militaires
français ont commencé leur repli de la ville
de Kidal dès le 20 décembre ; en effet, le
contingent de l’opération Serval devait
passer de 250 hommes à environ 70
hommes qui devront soutenir les Forces
armées maliennes (FAMA) et les Casques
bleus de la MINUSMA. En février 2014, les
soldats français déployés au Mali devraient
Les programmes du CJB, n° 12
passer à un millier. L’armée malienne et la
MINUSMA comptent environ 1 200 hommes,
soit le double enregistré au mois d’octobre.
Pourtant, la situation de tension entre le
MNLA des Touareg et l’armée malienne, qui
se sont encore affrontés en novembre à
Kidal, reste un sujet à régler.
Il y a quelques mois, on pouvait penser
que la guerre au Mali allait avoir des
retombées très négatives en Mauritanie, où
des milliers de personnes avaient cherché
refuge, et où des subversifs s’étaient
également habitués à se réfugier. Fort
heureusement, l’intervention française et les
armées locales ont fait baisser, en un temps
record, le danger terroriste dans cette région
saharo-sahélienne. Enfin, nous entrons,
depuis quelques semaines dans une nouvelle
phase de normalisation avec le repli des
soldats français.
Compte tenu de l’éloignement physique et
symbolique de cette guerre, les Mauritaniens
ont été plutôt préoccupés par les préparatifs
des élections de fin d’année, cela en dehors
de leurs problèmes habituels de survie
collective dans un pays très mal administré.
Comme d’habitude, les élections ont donné
lieu à une réactivation puissante des
solidarités collectives, tant sur le plan local
que régional et national. Les fiertés
d’appartenir à un groupe de parenté, par
filiation ou par alliance, élargi ou restreint,
se sont exprimées une nouvelle fois de façon
positive et énergique. En 2013, les
représentants
des
qabâ’il
et
des
communautés ethniques noires se sont
montrés au grand jour, bien plus que par le
passé,
publiant
des
communiqués
d’acceptation ou de mécontentement vis-àvis des choix des notables des partis en lice.
Dans certaines villes, comme Kiffa, les
groupes de parenté ont ouvert des bureaux
pour préparer les candidatures. Moins qu’un
« atavisme du passé », comme l’avancent
souvent les journalistes mauritaniens, ces
manières de faire et de voir, doivent être
comprises comme l’expression du politique
en Mauritanie contemporaine. C’est-à-dire,
un pays sous-développé, avec des grandes
inégalités, en cours de lente modernisation,
sans aucune expérience démocratique,
gouverné de manière autoritaire, qui se sert
toujours de ses référents ordinaires de
parenté (par filiation et par alliance
matrimoniale) pour agir dans un monde en
cours de changement rapide. Il serait vain
d’interdire
ou
de
sanctionner
ces
associations
collectives,
comme
le
journaliste Mohamed Fall Oumier le
suggère, sans comprendre qu’en l’absence
d’un système démocratique, l’ordre politique
reste fondé sur les références de cohésion
sociale ordinaires, passés et actuels
(Noorinfo du 24 octobre 2013). Il faut
encore du temps pour que d’autres modèles,
plus idéologiques, voient le jour au pays, en
se mélangeant aux références des solidarités
collectives actuelles.
En ce début d’année 2014, la Mauritanie
commence donc une nouvelle période de
renégociations politiques après que les
élections législatives et municipales aient
confirmé la prééminence du parti-État
Union pour la République, et la nouvelle
force politique représentée par le parti
islamiste Tawassul. La montée en puissance
de ce parti, jadis marginalisé, sur la scène
politique mauritanienne est la plus grande
nouveauté de cette période de l’après-Taya.
On ne sait pas encore ce que feront les
dirigeants et les militants de cette victoire
obtenue grâce au boycott des élections des
partis d’opposition « traditionnels ». On ne
sait pas non plus quelle sera la position
adoptée par le parti au pouvoir. Cependant,
il est évident que le gouvernement du
président Mohamed ould Abdel Aziz devra
tenir compte de cette évolution pour
administrer le pays. Il en va de même des
partis politiques de l’opposition qui se sont
auto exclus des consultations électorales de
cette année, et qui devront revoir leurs
stratégies
en
vue
des
élections
présidentielles de 2014 s’ils veulent exister
politiquement. Enfin, les partis et les
mouvements sociaux qui n’ont pas participé
aux élections de cette année (dont l’IRA-RAG,
les FLAM, et le collectif TPMN), devront tenir
compte de l’importance politique des
islamistes
dans
la
scène
politique
mauritanienne et établir, probablement, des
alliances avec eux s’ils veulent avancer dans
leurs luttes revendicatives.
33
Les programmes du CJB, n° 12
Articles et études
Des « réfugiés-migrants ».
Les parcours d’exil des réfugiés Mauritaniens au Sénégal
Marion Fresia
Assistante professeure
Institut d’ethnologie de Neuchâtel, Suisse
Article paru dans Cambrézy L., Laacher S., Lassailly-Jacob V., Legoux L., L'asile au Sud,
Paris, La dispute, 2009, p. 111-138.
Ce texte est publié avec l’aimable autorisation de Marion Fresia et de Véronique Lassailly-Jacob.
Qu’ils soient ouverts ou fermés,
étroitement contrôlés ou non par les
autorités du pays d’accueil, les sites de
réfugiés ne sont jamais des espaces isolés. Le
déplacement forcé et le regroupement dans
des camps suscitent de nouvelles formes de
mobilité, activement recherchées par les
individus pour reconstruire leur vie sans
dépendre de la seule assistance humanitaire.
Peu visibles, ces mobilités « recherchées » se
construisent sur plusieurs territorialités et
catégories identitaires à la fois et
empruntent souvent les voies de l’informel et
de la clandestinité. S’appuyant sur une
analyse des stratégies de survie des
Haalpulaaren [ceux qui parlent le pulaar,
Peul et Tukolor] mauritaniens réfugiés au
Sénégal, cet article met en évidence leur
caractère transnational et s’interroge sur la
fluidité des frontières entre migration forcée
et migration volontaire. Il s’agit de montrer
comment, par des va-et-vient incessants
entre leur pays d’accueil, leur pays d’origine
et des pays tiers, les Haalpulaaren se sont
appuyés sur des filières migratoires et des
réseaux de solidarité qui dépassent
largement l’espace du camp et le cadre rigide
des États-nations qui définit le statut de
réfugié. Si ces stratégies de survie
s’inscrivent dans des formes de mobilités
anciennes, caractéristiques des sociétés
sahéliennes, elles ont aussi pris une
dimension inédite dans le contexte de
l’applicabilité du droit international des
réfugiés.
Introduction
L’image la plus répandue du camp de
réfugiés est celle d’un espace fermé et isolé
dans lequel des milliers de personnes
survivent grâce à l’assistance humanitaire.
Cette image ne reflète pourtant pas la
diversité des situations rencontrées sur le
terrain. Quelle que soit leur forme, ouverts
ou fermés, étroitement contrôlés par les
autorités du pays d’accueil ou non, les sites
de réfugiés ne sont en réalité jamais
complètement clos. Le déplacement forcé et
le regroupement dans des camps suscitent
sans cesse de nouvelles formes de mobilité,
qui sont activement recherchées par les
individus pour reconstruire un capital
économique, social et politique. Lorsque la
liberté de circulation des réfugiés est
restreinte par les pays d’asile, ces mobilités
ne disparaissent pas pour autant. Elles
deviennent simplement clandestines et donc
invisibles aux yeux de l’observateur non
averti. Même des camps tels que Dadaab au
Kenya ou Kigoma en Tanzanie, réputés pour
leur isolement, se trouvent en réalité au
cœur de chaînes migratoires et de transferts
financiers considérables (Turner, 2002;
Horst, 2002).
Mettre en évidence l’existence de ces
mobilités « recherchées » ne va pas toujours
de soi, car elles se construisent sur plusieurs
territorialités et catégories identitaires à la
fois et empruntent souvent les voies de
l’informel et de la clandestinité. À partir de
l’exemple des Haalpulaaren mauritaniens
réfugiés au Sénégal, cet article se propose
d’illustrer comment, en adoptant une
méthode de recherche empirique et une
perspective historique, il est possible
d’apporter un éclairage sur cette frontière
floue entre migration forcée et migration
volontaire. En nous situant tour à tour de
35
Les programmes du CJB, n° 12
l’intérieur puis de l’extérieur d’un site de
réfugié, et en travaillant à l’échelle des
cercles élargis de parenté, nous avons
identifié au moins trois filières migratoires
qui se sont constituées à partir des sites de
réfugiés. Elles ont permis aux Mauritaniens
de se reconstruire sans dépendre de la seule
assistance humanitaire, en contournant les
contraintes liées à l’ambivalence de leur
statut de réfugié. Après avoir brièvement
rappelé le contexte de leur arrivée au
Sénégal et présenté la méthode de recherche
utilisée, nous expliquerons comment ces
filières se sont progressivement structurées
suivant une logique de recherche de sécurité.
Nous montrerons, en particulier, comment
elles se sont inscrites dans des formes de
mobilité plus anciennes caractéristiques des
sociétés sahéliennes, tout en prenant une
dimension particulière dans le contexte de
l’exil et du droit d’asile.
Photo 1 : Camp de réfugiés de Dagana, fleuve
Sénégal, juillet 2007. Marion Rivière, RFI.
Une mobilité « sous
contrainte » : la crise de 1989
En avril 1989, un incident frontalier
entraîne un déchaînement de violences
communautaires à Dakar et à Nouakchott
ainsi que la rupture des relations
diplomatiques entre le Sénégal et la
Mauritanie. Chaque pays rapatrie alors ses
ressortissants respectifs par voies terrestre
et aérienne, mais en Mauritanie, le
gouvernement expulse également des
milliers de ses propres ressortissants vers le
Sénégal et le Mali, d’authentiques
Mauritaniens qui pouvaient facilement se
confondre avec des Sénégalais ou des
Maliens du fait de la couleur de leur peau et
de leur appartenance aux mêmes groupes
ethniques (wolof, soninké, haalpulaar). Les
36
causes de ces expulsions sont complexes et
s’inscrivent dans une histoire longue qui fait
l’objet de diverses analyses (Santoir, 1990 ;
Leservoisier, 19991) : parmi les causes les
plus immédiates, nous retiendrons ici
simplement que le gouvernement Ould Taya
cherchait à écarter certains fonctionnaires,
appartenant principalement au groupe
haalpulaar, qui dénonçaient l’oppression
subie par les « Noirs » en Mauritanie au sein
d’un mouvement politique clandestin appelé
les Forces de libération des Africains de
Mauritanie (FLAM). Il cherchait également à
libérer des terres dans le Sud du pays en
expulsant les agriculteurs et éleveurs qui en
avaient le contrôle depuis plusieurs
générations, dans un contexte de forte
pression foncière suite à la sédentarisation
forcée de milliers de nomades Bidân
[arabophones] lors des sécheresses des
années 1970.
Dans cet article, nous évoquons la
situation des Mauritaniens qui furent
expulsés vers la rive gauche du fleuve
Sénégal en 1989, dans le département de
Podor après avoir été dépossédés de leurs
papiers d’identité, de leur cheptel et de leurs
terres. Majoritairement constitués par des
Haalpulaaren, ces populations n’arrivèrent
pas en terre inconnue. Agriculteurs comme
éleveurs avaient l’habitude d’aller et venir de
part et d’autre du fleuve où ils avaient des
terres, des membres de leur famille et des
amis. Leurs grands-parents ou arrièregrands-parents étaient en effet originaires de
la rive gauche du fleuve qu’ils avaient quittée
au début du XXe siècle pour s’installer sur la
rive mauritanienne. La frontière instaurée
par la France entre le Sénégal et la
Mauritanie dans le cadre de la colonisation
resta toujours artificielle aux yeux des
1
Voir aussi M. Villasante, « Conflits, violences
politiques et ethnicités en République islamique de
Mauritanie. Réflexions sur le rôle des propagandes à
caractère raciste dans le déclenchement des
violences collectives de 1989, Studia Africana, n° 12,
p. 69-94. « Négritude, tribalitude et nationalisme en
Mauritanie. Des héritages coloniaux en matière
d’idéologie et de commandement », in Villasante
(dir.), Colonisations et héritages actuels au Sahara
et au Sahel, vol. II, 2007, p. 445-498. Voir
également la thèse de Sidi N’Diaye, Le passé violent
et la politique du repentir en Mauritanie : 1989 à
2012, Nanterre, Université Paris-Ouest, 2012 (sous
presse) ; ainsi que son compte-rendu dans la
Chronique politique de Mauritanie de juillet 2013,
p. 49-53.
Les programmes du CJB, n° 12
Haalpulaaren dont les anciens empires
s’étendaient de part et d’autre du fleuve
Sénégal. Pendant toute la période coloniale
et
post-coloniale,
les
Haalpularen
mauritaniens continuèrent ainsi à cultiver
des terres sur la rive opposée à celle de leur
lieu de résidence, à se marier avec leurs
parents sénégalais et à faire transhumer leur
bétail suivant des axes perpendiculaires au
fleuve.
Aussi, en 1989, de nombreux réfugiés
furent hébergés et secourus par leurs
parents ou amis sénégalais tandis que
d’autres furent pris en charge par la CroixRouge et regroupés dans plus de 250 petits
sites le long de la frontière sénégalomauritanienne.
Reconnus
par
le
gouvernement
sénégalais
comme
« réfugiés » de prima facie, c’est-à-dire de
manière collective et a priori, tous
bénéficièrent d’une aide humanitaire et de la
protection du HCR. Toutefois, ils ne
reçurent jamais de véritables papiers
d’identité du gouvernement sénégalais
attestant de leur statut et de leurs droits.
Celui-ci ne leur octroya que de simples
« récépissés de demande au statut de
réfugié » valables pour une durée de trois
mois renouvelable. Si ce flou juridique sur la
reconnaissance de leur statut ne posa pas de
problèmes les premières années, nous
verrons qu’il donnera par la suite l’occasion
aux autorités sénégalaises de revenir sur leur
décision de reconnaître les Mauritaniens
comme des réfugiés.
Cet article s’appuie sur des enquêtes
menées entre janvier 2001 et décembre
2004 dans les sites de réfugiés de Ndioum et
d’Ari Founda Beylane2. Ndioum est le village
de réfugiés le plus grand du département de
Podor (plus de 2000 habitants en 1989),
situé à 1 km de la commune sénégalaise de
Ndioum. Hétérogène, ce site est constitué
d’une majorité d’éleveurs peuls ou FulBe qui
habitaient le Sud de la Mauritanie, et d’une
minorité
d’anciens
fonctionnaires,
enseignants, infirmiers et militaires, qui
étaient en poste dans les grandes villes
2
Basé sur des enquêtes antérieures à 2005, cet article
ne tient pas compte des changements politiques
survenus en Mauritanie depuis la chute du régime
Ould Taya, et, en particulier, de l’organisation du
rapatriement officiel des réfugiés mauritaniens
installés au Sénégal sous l’égide du HCR à partir de
2007 (décembre 2013).
mauritaniennes. Dépossédés de leur cheptel,
les éleveurs arrivèrent particulièrement
démunis d’autant plus qu’ils n’avaient pas de
parents proches dans la zone de Ndioum. Ils
n’eurent pas d’autres choix que d’être pris en
charge par la Croix-Rouge et le HCR, et
acheminés vers le camp le plus proche de
leur point d’arrivée. Certains fonctionnaires
avaient, par contre, des membres de leurs
familles parmi les Ndioumois, mais ils
préférèrent rejoindre le camp afin d’être plus
visibles aux yeux de la communauté
internationale et dénoncer l’ampleur du
préjudice subi. Ari Founda Beylane est, au
contraire, un petit site de 500 réfugiés
localisé dans les zones de décrue (le waalo)
du département de Podor, près du village
sénégalais de Ngane. Ses habitants, des
agriculteurs appartenant au groupe des
TorooBe [statut religieux], sont tous
originaires d’un même village, Beylane, et
avaient des terres ainsi que des parents très
proches dans leur zone d’accueil. Aussi se
sont-ils spontanément installés à proximité
de ces derniers afin d’avoir accès aux terres
de leur lignage.
Photo 2 : Des réfugiés mauritaniens à Ndioum
écoutent le comité de concertation
mauritanien en juillet 2007. Marion Rivière,
RFI.
Les Mauritaniens des sites de Ndioum
et Ari Founda Beylane reçurent une
assistance en vivres jusqu’en 1995 et un
appui dans les secteurs de la santé et de
l’éducation jusqu’en 1998. Notre enquête de
terrain s’est déroulée entre 2001 et 2004,
dans un contexte de désengagement
progressif du HCR et de faible médiatisation
des réfugiés mauritaniens. Après plus de dix
37
Les programmes du CJB, n° 12
années d’exil, ces derniers sont en effet
devenus de moins en moins visibles d’autant
plus qu’avec la fin de l’assistance
humanitaire, les hommes commencèrent à
quitter les sites pour chercher du travail. De
plus, depuis le rétablissement de ses
relations diplomatiques avec la Mauritanie
en 1992, le gouvernement sénégalais fait en
sorte de ne pas provoquer son homologue
mauritanien par un soutien trop évident aux
réfugiés mauritaniens. Ce contexte d’étude
nous a donc permis d’observer les réfugiés
en
dehors
des
institutions
qui
les nomment (le HCR et les gouvernements)
et d’adopter très vite un regard distancié sur
notre objet d’étude. Ayant la possibilité de
séjourner au sein même des sites et
d’observer quotidiennement les activités et
les pratiques des réfugiés au-delà de leurs
discours, nous nous sommes aperçus que les
« choses ne sont pas toujours ce que l’on
croit qu’elles sont » et que « les acteurs ne
jouent pas toujours le rôle que leur assigne
leur statut » (Becker, 1986).
Très vite, en effet, nous avons constaté
que la vie des réfugiés ne se limitait pas à la
vie dans les camps, mais se déroulait
également sur d’autres scènes situées à
l’extérieur des sites, dans des lieux plus ou
moins éloignés. Pour reconstruire les
parcours d’exil des réfugiés et les restituer
dans une histoire plus longue, il nous est
alors apparu évident qu’il fallait replacer les
réfugiés habitant les sites – généralement
des femmes, vieillards et enfants - dans leur
cercle d’appartenance plus large, afin de
retrouver la « trace » de leurs frères, leurs
fils ou leurs cousins dont ils dépendaient
financièrement. Nous avons alors observé
que la plupart de ces derniers étaient
dispersés entre les zones pastorales du Ferlo
sénégalais, les grands centres économiques
d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale et
les pays occidentaux.
jusqu’en Afrique Centrale, et des filières de
migration politique qui ont pour destination
l’Europe et les USA.
Les filières migratoires peules
du bassin sénégalo-mauritanien
En 1989, les éleveurs peuls arrivèrent à
Ndioum démunis et leur expulsion eut pour
conséquence
désastreuse
leur
sédentarisation forcée. Leur priorité était
d’obtenir des liquidités pour reconstituer au
plus vite un petit cheptel, symbole de leur
statut social comme économique. Dès les
premières années, alors qu’ils recevaient
encore des vivres, les plus âgés se
contentaient de revendre une partie des
dons, tandis que les plus jeunes décidèrent
de pratiquer le commerce de contrebande
entre la Mauritanie et le Sénégal. Cette
activité leur permettait de faire du bénéfice
rapidement grâce au taux de change sans
engager un capital initial important.
Toutefois, elle était dangereuse : non
seulement les militaires et les douaniers
surveillaient à l’époque étroitement la
frontière, mais surtout, les Mauritaniens
n’étaient pas censés pouvoir rentrer dans
leur pays d’origine au regard de leur statut
de réfugiés. Au regard du droit international,
tout retour volontaire d’un réfugié dans son
pays d’origine peut en effet être interprété
comme un acte démontrant qu’il ne craint
plus d’y être persécuté et peut ainsi entraîner
la cessation de son statut (nous y
reviendrons).
Des migrations « recherchées » :
l’exemple de trois filières
migratoires
Trois types de filières migratoires se
sont constituées à partir du site de Ndioum :
des filières locales de migration économique,
qui ne dépassent pas le bassin sénégalomauritanien, des filières de migration
économique sous-régionale, qui s’étendent
38
Photo 3 : Yahya Béchir et sa famille au camp
de réfugiés de Boynguel Thilé (Aleg, Brakna).
Irabiha Abdel Wedoud, Le Nouvel
Observateur, Rue 89 du 20 août 2008.
Les programmes du CJB, n° 12
Dans un premier temps, seuls
quelques jeunes osaient ainsi faire ces va-etvient nocturnes. Il s’agissait généralement
des cadets de la famille qui, en Mauritanie,
avaient été envoyés par leur famille travailler
ou étudier dans des grands centres urbains
où ils avaient fait un certain apprentissage
de l’art de la débrouillardise et du
contournement (Ould Ahmed Salem, 2001).
Puis, cette activité se généralisa rapidement
si bien qu’une véritable filière de produits de
contrebande se mit progressivement en
place dans la vallée du fleuve Sénégal. Du
commerce
de
simples
biens
de
consommation tels que le sucre, le thé ou le
cuir, d’autres jeunes se spécialisèrent dans
les produits vétérinaires et d’autres encore,
dans les pièces mécaniques et les produits de
haute technologie (Fresia, 2004).
Lorsque les bénéfices obtenus étaient
importants,
les
jeunes
« fraudeurs »
décidèrent d’investir leur argent dans
l’ouverture de boutiques de produits
manufacturés dans les grandes villes
sénégalaises
ou
mauritaniennes,
où
personne ne les connaissait sous leur
identité de « réfugiés». Ces villes étaient
choisies là où ils avaient des connaissances
ou des parents prêts à les aider dans leurs
démarches administratives. En effet, les
réfugiés ne pouvaient obtenir un registre de
commerce ni une cantine au marché sur
simple présentation de leur « récépissé de
demande au statut de réfugié ». Seul
document officiel qu’ils possédaient, ce
récépissé ne fut, en pratique, jamais reconnu
par
les
administrations
sénégalaises. Subissant
tracasseries
administratives et policières pour circuler et
travailler librement, ils n’avaient donc pas
d’autres choix que d’obtenir des cartes
d’identité sénégalaise par voie frauduleuse,
grâce à l’appui de parents sénégalais bien
placés, afin d’ouvrir leurs échoppes et
subvenir à leurs besoins.
Ainsi, certains s’implantèrent à SaintLouis, à Thiès ou encore dans la zone de
Lingère tandis que d’autres dont les parents
ou soutiens se trouvaient toujours en
Mauritanie, choisirent de s’installer dans des
villes mauritaniennes – ce qui supposait
dans ce cas d’obtenir de nouveaux papiers
mauritaniens. Les jeunes peuls se faisaient
ainsi passer d’un côté, pour des Sénégalais et
de l’autre, pour des Mauritaniens non
réfugiés. Dans les sites où ils laissaient leur
famille, ils affichaient toutefois leur identité
de réfugiés vis-à-vis des Ndioumois, des
autorités locales et des organisations
humanitaires.
Après quelques mois ou années
d’activité,
les
jeunes
commerçants
embauchaient généralement un « aideboutiquier », le plus souvent un neveu ou un
cousin, choisi parmi les membres de la
famille élargie qui avaient facilité leurs
démarches pour obtenir des papiers ou une
cantine au marché. Ce soutien leur
permettait de payer leur dette envers leurs
bienfaiteurs tout en se libérant de certaines
contraintes. Les revenus générés par le
commerce de contrebande et la gestion de
boutiques
de
produits
manufacturés
permirent également aux jeunes boutiquiers
d’acheter du bétail et de reconstituer
progressivement un cheptel conséquent. Le
bétail était généralement confié aux aînés de
la famille (le frère ou le père du jeune
entrepreneur) dans le Ferlo sénégalais, au
sud des sites de réfugiés. Contrairement aux
plus jeunes, ceux-ci vivaient autrefois dans
les zones pastorales et n’avaient jamais
acquis d’autres compétences que l’élevage.
Au Sénégal, ils n’ont généralement réussi
qu’à faire du petit commerce de caprins et
d’ovins dans les zones pastorales sans jamais
réussir à reconstituer un cheptel aussi
important que leurs frères cadets.
Les
boutiques
de
réfugiés
mauritaniens se sont progressivement
multipliées dans les grandes agglomérations
du
bassin
sénégalo-mauritanien.
On
remarque même que chaque cercle de
parenté ou « lignage » s’est implanté dans
une
localité
bien
particulière :
les
GamanaaBe à Thiès, les WodaaBe à SaintLouis et les UururBe à Linguère. En effet,
après quelques années d’économies, les
aides-boutiquiers, qui sont aussi les neveux,
cousins et/ou petits frères des jeunes
entrepreneurs, investirent à leur tour dans
l’ouverture d’une boutique et lorsque leur
activité était rentable, ils appelèrent
également un autre parent pour venir les
seconder dans leur travail. Par effet de
« cascade », les boutiques appartenant à un
même cercle de parenté et de connaissances
(le lignage) se sont ainsi multipliées dans
une même localité.
39
Les programmes du CJB, n° 12
Ainsi, en s’appuyant sur leurs réseaux
de parenté en Mauritanie et au Sénégal,
certains jeunes peuls réussirent-ils à
reconstruire un capital en toute discrétion,
tout en laissant leur famille dans le site de
Ndioum pour marquer leur appartenance
sociale et identitaire au groupe des
« réfugiés ». Toutefois, ces parcours de
réussite ne concernent pas tous les groupes
peuls de Ndioum ni tous les jeunes ou
« cadets » qui avaient fait en Mauritanie
l’apprentissage d’un certain art de la
débrouillardise. D’autres n’avaient pas de
relations de parenté ou d’amitié aussi
étendues au Sénégal ni des parents
sénégalais ayant suffisamment de moyens ou
de pouvoir pour les soutenir dans leurs
démarches. Eux n’avaient pas d’autres choix
que de chercher du travail en Mauritanie où
ils avaient encore des « relations ». Aussi
sont-ils devenus de simples migrants
saisonniers spécialisés dans des professions
telles qu’électriciens, plombiers et/ou
chauffeurs. Ils se rendent quelques mois à
Nouakchott pour des contrats ponctuels puis
rentrent dans le site de Ndioum où ils font
du petit commerce de caprins ou des
contrats de métayage sur les champs des
Sénégalais.
À
l’inverse
des
jeunes
boutiquiers, leur situation est précaire et ne
leur a pas permis de reconstituer un cheptel
conséquent. De plus, elle est dangereuse car
en
travaillant
clandestinement
en
Mauritanie, non seulement prennent-ils le
risque de perdre leur statut de réfugié, mais
aussi de se faire arrêter par les autorités
mauritaniennes qui assimilent tout réfugié à
un opposant politique potentiel.
patrimoine foncier de part et d’autre du
fleuve. Ils demandent ainsi à leurs fils aînés
de partir vers des pays d’Afrique
francophone aux taux de croissance élevé
(Côte d’Ivoire autrefois, Cameroun, Gabon)
pour y pratiquer le commerce et renvoyer les
liquidités obtenues à la famille. Le projet
migratoire s’articule donc à des activités
rurales, tout comme pour les Peuls qui
cherchent
des
liquidités
pour
le
renouvellement de leur cheptel. Ce type de
migration était pratiqué bien avant les
événements de 1989 mais elle concernait
surtout les Haalpulaaren sénégalais et non
les Mauritaniens. Or, réfugiés au Sénégal,
ces derniers avaient besoin d’urgence de
reconstituer leur capital. En réactivant les
liens avec leurs parents sénégalais du village
voisin de Ngane à travers des mécanismes
d’hospitalité et d’entraide, beaucoup ont
ainsi migré vers des pays de la sous-région,
grâce ou sous l’influence de parents
sénégalais déjà partis ou installés dans la
sous-région.
Les filières de migration sousrégionale des Haalpulaar
Le second groupe de réfugiés qui
s’inscrit dans cette filière migratoire est
formé par des personnes défavorisées telles
que les anciens esclaves (MaccuBe) et/ou les
plus jeunes, généralement les benjamins de
la famille. Ces départs ne sont pas décidés
par la famille mais individuellement et sont
motivés par la volonté de s’émanciper et/ou
de partir à l’aventure. La destination finale
est souvent inconnue et le migrant traverse
plusieurs pays où ils pratiquent divers
« petits boulots » tels que le commerce
ambulant ou l’exploitation des mines de
diamants, avant d’arriver à destination. Le
parcours se dessine au gré des rencontres et
des rumeurs qui circulent sur les endroits où
Il existe un deuxième type de filières
migratoires qui s’étend au-delà du bassin
sénégalo-mauritanien jusqu’en Afrique de
l’Ouest et en Afrique Centrale, et qui
concerne deux groupes à l’opposé de la
hiérarchie sociale haalpulaar. Les premiers
sont les fils de notables, qui habitent le site
d’Ari Founda Beylane. Propriétaires fonciers
aussi bien sur la rive mauritanienne que
sénégalaise, ces notables (TorooBe) sont en
constante recherche de liquidités pour
financer les intrants et la main d’œuvre
nécessaires à l’exploitation de leurs
périmètres irrigués et préserver leur
40
Photo 4 : Enfants haalpulaar (Pulaku Project
2011)
Les programmes du CJB, n° 12
l’on peut faire fortune facilement. Dans ce
cas, l’argent n’est pas renvoyé à la famille et
ne sert pas à financer une activité rurale,
agricole ou pastorale. Tout au long de son
parcours, le migrant s’expose à de nombreux
risques (rafles policières, réseaux de
passeurs, etc.). Arrivé à sa destination, il
peut se retrouver livré à lui-même. Les
structures communautaires d’accueil des
migrants haalpulaar (suudu), implantées
depuis des décennies dans les pays de
destination, tendent en effet de plus en plus
à se démanteler (Bredeloup, 1995) et il arrive
désormais que le migrant ne trouve pas
d’hôte pour l’accueillir, le loger et le
protéger. Son insertion dans le pays devient
dès lors très difficile et il n’est pas rare que
certains disparaissent et ne reviennent plus
dans les sites de réfugiés.
Dans le cadre de cette filière de
migration, il existe donc des trajectoires très
inégales suivant le statut social avant le
départ (célibataire ou père de famille), le
type de projet migratoire (soutenu par la
famille ou non) et l’existence d’une structure
d’accueil dans le pays de destination. De
plus, ces filières ont sans cesse contourné le
droit : pour les réfugiés, la recherche de
sécurité et de protection s’est faite non pas
en s’en remettant au HCR et au
gouvernement sénégalais en vertu du droit
d’asile mais plutôt par l’activation de
différents réseaux de parenté et d’entraide
qui dépassent le cadre des États-nations et
se construisent à cheval sur plusieurs
territoires et identités à la fois.
Les filières de migration
occidentale via le statut de
réfugiés
Il existe une troisième filière de
migration qui relie les sites de réfugiés aux
pays occidentaux (USA et pays européens).
Elle se distingue des précédentes en ce
qu’elle a une dimension avant tout politique,
et se construit officiellement via le statut de
réfugié
et
la
procédure
dite
de
« réinstallation ». Cette procédure est l’une
des trois « solutions durables » prévues par
le droit international pour permettre aux
réfugiés de retrouver la protection de son
pays d’origine ou à défaut, d’un autre pays.
Lorsque
le
rapatriement
n’est
pas
envisageable, et que l’intégration dans le
premier pays d’asile ne peut s’effectuer pour
des raisons économiques ou sécuritaires
(menaces sur sa sécurité physique), la
réinstallation vers un deuxième pays d’asile,
généralement un pays occidental, devient
alors la seule option restante du point de vue
du droit.
À Ndioum, comme à Ari Founda
Beylane et ailleurs dans la vallée, les anciens
fonctionnaires
de
l’administration
mauritanienne dirigeaient le site et y
implantèrent une représentation politique
des FLAM. Éxilés au Sénégal, leurs leaders
gagnèrent en pouvoir et en visibilité en
recrutant dans leurs rangs la plupart des
éleveurs peuls et des agriculteurs avec qui ils
cohabitaient dans les sites. Très vite, ils
devinrent également les porte-paroles des
réfugiés et occupèrent une place privilégiée
d’intermédiaires entre les réfugiés et les
organisations intéressées par leur situation
(ONG, médias, HCR, etc). De par leur
position d’interface, mais aussi grâce à leurs
compétences, ils réussirent à prendre le
contrôle de la gestion de l’assistance
humanitaire, à savoir des vivres, des écoles
et des dispensaires construits dans les sites
par le HCR. À ce titre, enseignants et
infirmiers reçurent mensuellement des
« primes de motivation » du HCR qui leur
permirent de vivre de la seule assistance
humanitaire et de rester dans les camps.
Très
actifs
politiquement,
ces
fonctionnaires avaient aussi créé des cellules
politiques dans chaque site de la vallée du
fleuve et étaient, dans un premier temps,
soutenus par le gouvernement sénégalais,
qui avait lui-même rompu ses relations
diplomatiques avec la Mauritanie. Toutefois,
à partir de 1992, lorsque les relations entre
les deux pays furent rétablies, le Sénégal se
désolidarisa progressivement de la cause des
réfugiés. Subissant la pression de son
homologue mauritanien qui menaçait de
procéder à de nouvelles expulsions de
Sénégalais, le gouvernement devint de
moins en moins tolérant vis-à-vis des
activités politiques que les réfugiés menaient
sur son territoire. À partir de 1997, les
dirigeants
des
FLAM
furent
ainsi
étroitement surveillés par la brigade spéciale
sénégalaise, et sommés de dissoudre leurs
associations avant de recevoir des menaces
d’expulsion. De plus, au même moment, les
primes de motivation qu’ils recevaient au
41
Les programmes du CJB, n° 12
titre de leurs fonctions d’enseignants,
d’infirmiers ou de dirigeants des sites furent
suspendues tandis que leur incorporation
dans l’administration sénégalaise était
impossible du fait de leur nationalité.
Menacés
par
le
gouvernement
sénégalais d’une part, et sans ressources
économiques de l’autre, les fonctionnaires se
retrouvèrent donc dans une situation
pouvant légitimer une demande de
réinstallation dans un pays tiers. Aussi, ils
entreprirent des démarches dans ce sens en
mobilisant les relations qu’ils avaient
établies au fil du temps avec le HCR et son
ONG partenaire.
En novembre 2001, plus de 240
personnes furent finalement réinstallées aux
États-Unis et un nombre moins important
dans des pays européens. Ces personnes
étaient presque toutes des militants actifs
des FLAM et des « camarades politiques »
des dirigeants, qui étaient aussi dans
certains cas leurs « promotionnaires ». Aux
Etats-Unis, les familles réinstallées reçurent
une assistance à l’intégration pendant six
mois sous forme d’aide au logement et à
l’apprentissage de l’anglais. La plupart des
fonctionnaires ont ensuite été contraints
d’accepter des métiers subalternes, tels que
le gardiennage, la restauration ou le travail à
la chaîne, ce qui est relativement
dévalorisant.
Toutefois,
ils
ont
su
rapidement utiliser les libertés d’expression
et les moyens de communication que
l’Amérique leur offrait en constituant des
associations à caractère social sous couvert
desquelles ils continuent jusqu’à présent à
mener des activités politiques. Basés à New
York et Washington, ils organisent
désormais régulièrement des marches,
contactent les médias et font du lobbying
auprès du Parlement pour sensibiliser
l’opinion américaine sur la situation des
« Noirs » en Mauritanie. Ils tentent
également de maintenir un certain contrôle
sur les sites de réfugiés dont l’existence
même légitime leur combat politique, en
renvoyant régulièrement de l’argent à leurs
clientèles politiques locales et en participant
au financement de certains projets de
développement des villages de réfugiés.
Cette filière de migration vers les pays
occidentaux s’est donc constituée via la
procédure de réinstallation et l’adhésion à
un parti politique d’opposition au
42
gouvernement mauritanien. Dans ce cas de
figure, ce ne sont pas les relations de parenté
qui ont permis de migrer, mais le degré de
militantisme et d’activisme politique au sein
des FLAM, la position d’intermédiaires et
des relations de camaraderie politique. Une
fois installés dans les pays occidentaux, les
réfugiés ont par contre pu faire venir des
membres de leurs familles via le
« regroupement familial », autre procédure
prévue par le droit d’asile, et ainsi faire jouer
les relations de parenté.
Mais cette filière de migration se
différencie des autres avant tout parce
qu’elle est légale. Elle s’opère grâce au statut
de réfugié et non pas par la voie clandestine
ni l’obtention frauduleuse de papiers
d’identité sénégalais ou mauritaniens.
Aujourd’hui, tous les réfugiés de la vallée du
fleuve Sénégal ont introduit des demandes
de réinstallation, espérant suivre la voie
empruntée par les « flamistes ». Découragés
d’attendre
une
réponse,
certains
commencent
à
penser
migrer
clandestinement vers l’Europe, mais ils sont
encore rares à tenter cette aventure-là.
Les inégalités sont donc grandes entre
ceux qui migrent légalement vers les pays
occidentaux, et ceux qui empruntent la voie
de l’illégalité parce qu’ils n’ont pas d’autres
choix pour survivre économiquement et
parce qu’ils ne disposent pas d’autres pièces
d’identité que de « simple récépissés de
demande du statut de réfugié ». De plus, les
revenus des migrants et le montant des
fonds transférés dans les sites varient
fortement et entraînent une redéfinition des
rapports de pouvoir. Ainsi, d’un point de vue
inter-générationnel, l’exil a surtout bénéficié
aux jeunes cadets initiés à l’art de la
débrouillardise avant les événements et/ou
ayant acquis un poste de fonctionnaire dans
l’administration
civile
ou
militaire
mauritanienne. Par contre, les aînés ont
perdu de leur légitimité et de leur pouvoir au
sein des familles tandis que les plus jeunes
(ou benjamins) sont dans une situation de
forte dépendance vis-à-vis de leurs cadets. À
l’échelle de la société, l’exil a surtout profité
aux familles qui comptent parmi eux des
migrants réinstallés aux Etats-Unis par
rapport à celles qui ont des migrants
installés dans d’autres pays d’Afrique de
l’Ouest.
Les programmes du CJB, n° 12
Des logiques sociales similaires
L’existence de différentes filières
migratoires qui se structurent à partir des
sites de réfugiés met en évidence
l’hétérogénéité de la population réfugiée. Les
Mauritaniens du seul site de Ndioum
connaissent des mobilités géographiques
comme sociales très diverses suivant le
cercle de parenté, d’amitié ou de
camaraderie
politique
auquel
ils
appartiennent, mais aussi suivant leurs
origines
sociogéographiques
(urbaines/rurales),
leur
âge
(cadet/benjamin/aîné) et leurs compétences
(administratives,
commerciales
ou
techniques). Au-delà de cette diversité, on
remarque néanmoins que la structuration de
ces filières migratoires a répondu à des
logiques sociales similaires qui s’appuient à
la fois sur des dynamiques migratoires
anciennes et sur un nouveau cadre d’action
lié au statut de réfugié et à l’exil forcé.
L’enchâssement dans l’histoire
longue : la multilocalité
Les logiques migratoires des réfugiés
se fondent d’abord et avant tout sur la
volonté de reconstruire un capital
économique et/ou politique. Elles répondent
à un souci de survie et une recherche de
sécurité. Pour atteindre leurs objectifs, les
Mauritaniens ont utilisé des stratégies ou
encore des tactiques dont ils avaient déjà fait
l’apprentissage avant les évènements de
1989, notamment pour faire face aux aléas
climatiques, politiques et économiques des
années 1970 et 1980.
Comme autrefois, ils ont tout d’abord
privilégié la multilocalité et la diversification
des activités économiques en alliant une
activité rurale (l’agriculture ou l’élevage)
dans la vallée du fleuve Sénégal à une
activité urbaine (le commerce) dans des
grands centres urbains de la sous-région.
Avant les événements, les familles
Haalpulaaren avaient déjà commencé à se
disperser entre les zones rurales et urbaines
afin d’associer des activités primaires à des
activités commerciales ou salariées. Dans
une étude menée sur les Peuls de la vallée du
fleuve Sénégal, Christian Santoir (1994)
montre par exemple que dès les années
1970, la diminution chronique du cheptel –
liée plus à des facteurs externes que
climatiques – obligea les éleveurs peuls à
pratiquer des activités commerciales dans
les villes mauritaniennes pour trouver les
moyens financiers de renouveler leurs
troupeaux. Il note que, dès les années 1980,
le bétail commence à être commercialisé et
que la vente au détail de produits animaliers
(lait, huile animale) mais aussi de cueillette,
de charbon ou encore de services magicoreligieux, se répand. Il explique cela
notamment par l’introduction de la culture
irriguée qui contribue à réduire les espaces
de pâtures dans les zones inondables et ne
permet plus aux éleveurs de vivre comme
autrefois de leurs seules activités agropastorales. Contraints de se convertir
progressivement
à
des
activités
commerciales et de réduire leurs parcours de
transhumance,
les
familles
peules
commencèrent ainsi à se disperser entre
zones pastorales et milieu urbain, tout
comme elles avaient été contraintes de le
faire dans le contexte de l’exil.
De même, les agriculteurs torooBe
avaient commencé à quitter les campagnes
bien avant les événements de 1989. La
migration haalpulaar des torooBe remonte
en effet aux années 30 avec la colonisation
française, qui contribua à susciter
d’importants transferts de population via le
travail forcé et l’administration coloniale de
l’Afrique occidentale française (AOF)
(Bredeloup, 1995). Depuis cette époque, les
Haalpulaaren commencèrent à faire venir
leurs parents restés dans la vallée du fleuve
pour y pratiquer le commerce ou d’autres
petits métiers. Avec l’introduction de la
culture irriguée et le besoin croissant de
liquidités pour financer les intrants, les
départs se sont intensifiés. Cette filière était
alors très structurée : le migrant, soutenu
par la famille dans son projet, était accueilli
par les ressortissants de son village déjà
installés sur place. Il existait des structures
d’accueil (suudu) bien établies qui
permettaient aussi au village d’origine
d’exercer un certain contrôle sur le migrant.
Comme mentionné précédemment, si les
réfugiés se sont insérés dans ces filières de
migration anciennes, certains sont partis
seuls et ne bénéficient pas de ce soutien
communautaire.
Pour
reconstituer
un
capital
économique et social, les réfugiés ont
43
Les programmes du CJB, n° 12
également mis en œuvre deux autres
stratégies qui présentent, comme la
première,
une
certaine
historicité :
l’activation des cercles de parenté et d’amitié
élargis et le couple « patron-apprenti ». Pour
contourner les contraintes liées à leur statut
de réfugiés, les Mauritaniens se sont en effet
appuyés sur leurs réseaux d’appartenance
familiale, ethnique mais aussi politique et
amicale. L’expansion rapide du commerce
des réfugiés peuls fut en effet possible grâce
à la capacité des jeunes peuls à conserver
leurs liens avec leurs parents et amis restés
en Mauritanie tout en réactivant leurs
relations avec leurs parents ou amis
sénégalais avec qui ils avaient, avant les
événements, des contacts plus ou moins
sporadiques. C’est aussi suivant ces cercles
d’appartenance
que
les
activités
professionnelles se sont dessinées et que des
spécialisations par zone géographique se
sont progressivement constituées.
Or, ce phénomène est caractéristique
des populations migrantes. Christian Santoir
(1975) comme Pierre Bonte (1999) ont par
exemple montré que l'expansion du
commerce des Bidân [arabophones de
Mauritanie] au Sénégal s'est faite à partir de
l'utilisation de logiques tribales et familiales,
et surtout par la possibilité pour chacun de
devenir aide-boutiquier ou « apprenti » chez
un parent de même tribu. C’est ainsi que les
Bidân se sont progressivement installés au
cours du XXe siècle dans les principales
villes sénégalaises jusqu’à détenir tout le
commerce de vente au détail et en gros.
Pendant les événements de 1989, beaucoup
se sont fait chassés du Sénégal ou ont été
rapatriés en Mauritanie à la suite d’actes de
violence menés à l’encontre de leurs
commerces. Par une certaine ironie de
l’histoire et un mouvement de chassé-croisé,
les réfugiés peuls les ont progressivement
remplacés en utilisant les mêmes logiques
lignagères et familiales dans l’expansion de
leur commerce. Toutefois, très peu ont
réussi à devenir grossistes comme les
Maures autrefois. La plupart sont de simples
commerçants au détail qui subissent de plein
fouet les fluctuations du marché. De même,
Sylvie Bredeloup a montré comment, en
Côte d’Ivoire, les immigrés Haalpulaaren et
wolof sénégalais se sont progressivement
implantés
suivant
un
système
de
remplacement des aînés par les cadets (au
44
sens large) au sein du foyer du migrant et de
la boutique.
En contact à la fois avec les Bidân dans
les grandes villes mauritaniennes et les
Haalpulaaren sénégalais de la vallée du
fleuve, les réfugiés mauritaniens ont donc
utilisé
des
modèles
d’organisation
économique et sociale caractéristiques des
sociétés
sahéliennes
auxquelles
ils
appartiennent. Les trajectoires des réfugiés
s’inscrivent donc dans des tendances socioéconomiques lourdes de la vallée du fleuve
Sénégal. Toutefois les événements de 1989 et
l’intervention
humanitaire
ont
aussi
contribué à infléchir ces dynamiques d’une
nouvelle manière.
Un nouveau cadre de l’action : le
statut de réfugié
Inscrites dans des logiques de
multilocalité et de recherche de sécurité, les
trajectoires
migratoires
des
réfugiés
prennent place dans un nouveau cadre de
l’action lié à l’exil forcé et à l’introduction du
droit international. Pour les réfugiés, ce
cadre est porteur de nouvelles contraintes
mais aussi de nouvelles opportunités.
De nouvelles contraintes
L’introduction du droit international
des réfugiés, et l’attribution du « statut de
réfugié » aux Haalpulaaren mauritaniens
ont eu, dans un premier temps, pour
conséquence de rigidifier leur appartenance
nationale à la Mauritanie et de restreindre
leurs libertés de mouvement et de travail.
Rappelons que le droit des réfugiés est
construit sur une vision nationale et
souveraine du monde (Malkki, 1995) et à ce
titre, il ne peut pas concevoir un individu en
dehors de son appartenance à un Étatnation censé le protéger et lui garantir ses
droits fondamentaux. Ayant fui par crainte
de persécution, le réfugié se définit donc
avant tout comme un être ayant perdu la
protection de son État et devant au plus vite
retrouver cette protection ou celle d’un autre
État qui accepterait d’en faire son citoyen.
En attendant que cette possibilité soit
concrétisée, le droit prévoit que les réfugiés
puissent bénéficier provisoirement de la
protection d’un autre État à travers la
procédure d’asile ainsi que d’une protection
Les programmes du CJB, n° 12
internationale. La Convention de 1951 sur le
statut de réfugié garantit aux réfugiés le
respect
de
leurs
droits
humains
fondamentaux pendant cette période
provisoire : droit à des papiers d’identité,
liberté de mouvement – y compris à
l’étranger à travers l’obtention de « titres de
voyage » ; liberté de choisir son lieu de
résidence ; liberté de travailler dans le pays
d’asile ; liberté d’avoir accès aux services
publics, etc. Or, en pratique, ces droits sont
rarement appliqués par les gouvernements
des pays d’asile, essentiellement pour des
raisons politiques ou géostratégiques. En
Afrique en particulier, l’application du droit
d’asile est en effet politisée dans le sens où
l’attribution du statut de réfugiés à des
populations venues d’un pays voisin et la
sauvegarde de leurs droits sont souvent
perçues comme une offense diplomatique
par le pays d’origine. Si le pays hôte ne
souhaite pas envenimer ses relations avec
son pays voisin, comme c’est le cas du
Sénégal vis-à-vis de la Mauritanie, tout est
donc fait pour rendre les réfugiés moins
visibles et restreindre leurs droits. Ainsi, la
plupart des réfugiés mauritaniens n’ont
jamais reçu de papiers d’identité (des cartes
de réfugiés) les autorisant officiellement à
séjourner, travailler et circuler librement au
Sénégal ou leur permettant d’obtenir des
« titres de voyage » pour se rendre à
l’étranger.
Cette situation, liée à la nonapplication et à la politisation du droit
d’asile, explique pourquoi les réfugiés
mauritaniens sont contraints d’avoir recours
à des pratiques frauduleuses pour obtenir
des papiers d’identité sénégalais et/ou
mauritaniens selon leur lieu de destination.
Cela constitue pour eux la seule manière
d’avoir accès au marché de l’emploi et aux
services publics (école, centres de santé, où
des
papiers
d’identité
sont
systématiquement exigés) sans subir des
tracasseries administratives telles que le
racket. Les plus défavorisés, n’ayant pas de
parents « bien placés » dans l’administration
pour obtenir des papiers ni assez d’argent
pour en acheter, travaillent et voyagent de
manière
complètement
clandestine,
s’exposant ainsi à des risques importants sur
leur sécurité. Ainsi, leurs logiques
migratoires qui correspondent, du point de
vue de l’histoire locale, à une recherche de
sécurité et d’opportunités économiques en
fonction de leurs réseaux d’appartenance,
sont considérées, au regard de la législation
contemporaine, comme illégales. Elles sont
aujourd’hui
aussi
qualifiées
de
« mouvements secondaires » dans le jargon
institutionnel du HCR.
À la non-application du droit s’ajoute
un second facteur qui vient complexifier
davantage encore leur cadre d’action :
l’interprétation abusive et politisée des
clauses de cessation du statut de réfugié par
le HCR et les États. D’après la Convention de
1951, le statut de réfugié cesse dès lors que la
crainte d’être persécuté dans son pays
d’origine n’existe plus ou que le réfugié a
retrouvé la possibilité de se réclamer de la
protection de son État, ou à défaut d’un État
tierce (article 1C). En pratique, les clauses de
cessation sont-elles aussi utilisées à des fins
politiciennes (Brotman, 2001). Ainsi,
lorsque le HCR souhaite se désengager –
généralement sous pression des États – le
retour d’un réfugié dans son pays d’origine,
et/ou l’acquisition d’un nouveau passeport
national, est souvent interprété comme la
preuve qu’il n’existe plus de crainte d’être
persécuté. Le contexte socio-économique et
la non-application du droit des réfugiés, qui
obligent souvent ces derniers à travailler
clandestinement dans leur propre pays, ne
sont donc pas pris en compte dans
l’interprétation du droit. De même,
lorsqu’un réfugié obtient une carte d’identité
de son pays d’accueil pour y exercer une
profession, il est considéré comme de facto
« intégré » et sous la protection nationale
d’un nouvel État. Là encore, le droit est
appliqué de manière politicienne : est
occulté le fait qu’il n’y a généralement pas eu
de naturalisation par voie légale, mais
uniquement achat ou obtention de cartes
d’identité par voie frauduleuse dans l’unique
but de pouvoir travailler et circuler
librement.
Dans ces deux cas de figures — retour
dans le pays d’origine ou intégration dans le
pays hôte — il arrive donc très souvent que
les États ou le HCR considèrent que le réfugié
a atteint l’une des trois solutions durables,
justifiant ainsi le retrait et la cessation du
statut de réfugié. Celui-ci devient dès lors
perçu comme un « faux réfugié » laissant ses
femmes et ses enfants dans les sites
uniquement pour profiter de l’assistance
45
Les programmes du CJB, n° 12
humanitaire
qui
leur
est
offerte.
L’interprétation est donc abusive dans le
sens où l’on occulte le contexte structurel lié
à l’exil forcé et à la non application du droit
des réfugiés par les pays hôtes. Si les réfugiés
rentrent régulièrement dans leur pays
d’origine ou obtiennent des papiers
d’identité de leur pays d’accueil, cela ne veut
pas dire qu’ils ne craignent plus d’être
persécutés dans leur pays d’origine, et
encore moins qu’ils ont retrouvé la
protection juridique d’un État, mais
seulement qu’ils sont obligés de prendre plus
de risques et d’avoir recours à des faux
papiers pour assurer leur existence et
reconstruire un capital économique et social.
En pratique, cette interprétation
abusive du droit contraint les réfugiés
mauritaniens à jouer sans cesse sur des
logiques d’invisibilité, ou au contraire,
d’hyper visibilité de leur statut de réfugié.
Pour travailler, ils sont contraints de
s’éloigner de leur zone d’accueil pour aller là
où personne ne les connaît en tant que
« réfugié » et là où ils peuvent ouvrir des
registres de commerce et avoir accès à la
propriété
sous
une
autre
identité
(sénégalaise/mauritanienne,
etc.)
Autrement dit, ils n’ont pas d’autres choix
que de recourir à des stratégies de
dissimulation et de clandestinité pour être
autosuffisants. Inversement, dans les sites
de réfugiés, il leur faut au contraire mettre
en scène leur « vulnérabilité » et leur
impossibilité de s’intégrer dans leur milieu
d’accueil afin de correspondre à l’image
d’une « victime déracinée »,
qui
a
progressivement supplanté celle du réfugié
politique dans le discours du HCR (Pupavac,
2006; Fresia, 2005). Or, pour les
Mauritaniens, la volonté de défendre leur
statut de réfugié est bien, de leur point de
vue, un positionnement politique et non pas
l’expression d’un statut économique.
Seuls les anciens fonctionnaires n’ont
pas eu besoin d’avoir recours à une autre
identité ni à des logiques d’invisibilité. Eux
ont, au contraire, joué uniquement sur
l’« hyper-visibilité » de leur statut de réfugié
afin d’obtenir et de légitimer leur rôle
d’intermédiaires entre le HCR et les exilés, et
être rémunérés dans le cadre de l’exercice de
leur fonction d’enseignants ou d’infirmiers
au sein des sites. Les primes de motivation
qu’ils recevaient à ce titre, en plus des vivres
46
et des projets générateurs de revenus qu’ils
captaient le plus souvent pour leur propre
bénéfice, leur ont permis de vivre sans avoir
besoin de mener d’autres activités
économiques, dans des lieux éloignés des
sites.
De nouvelles opportunités
Si ces logiques d’invisibilité et ce jeu
sur les identités sont liés à un cadre
structurel contraignant (l’absence de
reconnaissance de droits et la recherche de
sécurité), elles ont néanmoins, et aussi,
constitué pour certains une source de
nouvelles opportunités et un moyen de
reconstruire un capital économique à l’abri
des regards indiscrets. L’éloignement et le
passage d’une catégorie identitaire à l’autre
constituent aussi une façon d’échapper aux
pressions sociales exercées par les membres
de sa propre famille, et/ou de multiplier les
sources d’enrichissement en différents lieux
et sous différents visages. C’est également un
moyen de se protéger contre les critiques des
autres exilés, notamment les dirigeants,
pour qui il est important que les niveaux de
vie au sein des camps restent en apparence
« homogènes » et que les réfugiés ne
montrent aucun signe d’intégration dans le
milieu local afin de défendre leur statut.
Ainsi, dans les sites, personne ne doit savoir
qui est riche ou qui est pauvre, et chacun se
cache du regard de l’autre. Pour certains, la
dissimulation apparaît donc aussi comme
une stratégie pouvant permettre de
maintenir officiellement une frontière entre
les camps et le milieu autochtone, tout en
s’intégrant officieusement dans le milieu
local. Dans ce jeu sur les frontières et les
identités, ce sont d’ailleurs souvent les plus
riches et les plus intégrés dans les réseaux
économiques locaux ou internationaux qui
revendiquent avec le plus de virulence leur
statut de réfugié ou de pauvre victime –
comme c’est le cas, par exemple, de certains
fonctionnaires « flamistes » mais aussi des
commerçants
devenus
aujourd’hui
grossistes. Le contexte humanitaire favorise
ainsi des décalages croissants entre discours
et pratiques.
Le déplacement forcé et l’intervention
humanitaire ont également permis aux
réfugiés de multiplier leurs cercles
d’appartenance d’une manière telle que leur
situation se singularise par rapport à
Les programmes du CJB, n° 12
d’autres migrants. Installés dans une zone
frontalière proche de leur pays d’origine et
sur le territoire de leurs ancêtres, ils avaient
en effet la possibilité de s’insérer ou de
compter à la fois sur leurs réseaux
d’appartenance côté mauritanien et côté
sénégalais. En Mauritanie, la plupart des
réfugiés avaient encore des amis, des
parents, des promotionnaires ou d’autres
connaissances qui pouvaient les soutenir
financièrement, les aider à obtenir des
papiers d’identité ou constituer des
fournisseurs
pour
le
commerce
transfrontalier. Au Sénégal, des réseaux
existaient déjà mais l’exil forcé a contribué à
les réactiver et à les élargir. Cela s’est fait le
plus souvent par la création de liens
économiques avec la branche maternelle de
la descendance, qui n’implique pas de
relations de concurrence entre ses membres
– contrairement à la branche paternelle – ou
encore par des alliances matrimoniales entre
réfugiés et Sénégalais.
En plus de ces réseaux économiques et
de parenté, à cheval entre les deux rives du
fleuve, l’introduction du droit des réfugiés a
également entraîné la création d’un
troisième
réseau
d’appartenance et
d’identification, celui des « réfugiés » stricto
sensu. Grâce à leur statut et via la création
d’associations de réfugiés, les exilés ont aussi
eu un accès direct aux organisations
internationales, non gouvernementales et
aux gouvernements des pays occidentaux, ce
qui n’est pas non plus le cas des autres
migrants. Outre l’assistance en vivres, ils ont
pu bénéficier pendant presque dix ans d’un
accès gratuit à des services tels que l’eau,
l’éducation et la santé. Pour les anciens
fonctionnaires en particulier, cette position
d’interface leur a donné l’opportunité de
mettre
en
œuvre
des
stratégies
d’intermédiation et de courtage et de nouer
progressivement des liens étroits avec le HCR
et son ONG partenaire qui leur ont été
fortement utiles pour négocier leur
réinstallation aux USA.
A
la
fois
Mauritaniens,
Haalpulaaren et réfugiés, les exilés ont ainsi
démultiplié leur appartenance à des réseaux
d’entraide et de solidarité qui se situent à
des échelles différentes : nationale, locale et
internationale. Cela est particulièrement
visible à travers leur affiliation associative et
politique qui est le plus souvent double ou
triple : membres d’associations de réfugiés,
ils appartiennent aussi à des associations et
à des formations politiques mauritaniennes
tout en adhérant par ailleurs à des
groupements et à des partis sénégalais –
généralement ceux de leurs parents ou
bienfaiteurs dont ils sont devenus les clients.
L’appartenance à ces multiples réseaux
sociaux a joué un rôle clé dans leurs
trajectoires d’exil, en particulier pour avoir
accès
aux
diasporas
Haalpulaaren
implantées dans les grandes villes du bassin
sénégalo-mauritanien ainsi que dans les
pays de la sous-région, mais aussi pour avoir
accès aux organisations internationales. Elle
est aussi révélatrice d’un phénomène de
cumul de repères identitaires qui n’est pas
neutre sur la construction du rapport à soi et
aux autres. Loin d’être dépossédés de « soi »,
les parcours d’exil des réfugiés mauritaniens
se caractérisent ici plutôt par une
démultiplication de soi, qui peut aussi bien
être source d’enrichissement que de malaise
identitaire et de difficultés à se « retrouver ». On peut ainsi se demander que
signifie pour un Mauritanien d’être
catégorisé par le droit comme « réfugié » sur
le territoire de ses grands-parents,
« clandestin » dans son propre pays
(lorsqu’il retourne chez lui sans papier) et
« migrant sénégalais » dans un pays tierce ?
Conclusion
L’étude des trajectoires des réfugiés
mauritaniens a souligné comment un
déplacement forcé peut engendrer de
nouvelles formes de migrations, qui sont à la
fois « recherchées » et « contraintes » par
un nouveau cadre de l’action lié au statut de
réfugié.
Trois éléments clés retiendront
finalement notre attention. Tout d’abord, ces
nouvelles filières migratoires qui se
structurent sur des réseaux relationnels
préexistants, sont génératrices de fortes
inégalités entre les réfugiés, suivant la
destination choisie par le migrant, son statut
social et la voie migratoire empruntée –
formelle ou informelle. Elles contribuent
aussi à modifier les rapports de pouvoir au
sein des familles, entre les générations, en
favorisant les cadets sur les aînés.
Ensuite, fondées sur un jeu entre
visibilité et invisibilité, et sur le passage
47
Les programmes du CJB, n° 12
fréquent d’une catégorie identitaire à une
autre, ces mobilités recherchées ne
contestent pas les contraintes spécifiques
liées au statut juridique des réfugiés et au
non-respect des droits qui lui sont attachés.
Elles n’ont pas de portée réformatrice ou
contestataire
pouvant
permettre
de
questionner des normes nationales et
internationales inadaptées ou bien non
appliquées, qui créent une situation où les
réfugiés — à l’exception des fonctionnaires —
sont obligés de rentrer dans l’illégalité ou
l’informel pour reconstruire un capital social
et économique.
Enfin, ces filières migratoires qui se
construisent sur plusieurs identités et statuts
à la fois — réfugiés, migrants économiques,
clandestins
mais
aussi
Sénégalais,
Mauritaniens, réfugiés ou Haalpulaar — ne
sont pas sans influencer la construction du
rapport à soi et aux autres, et bien plus que
de « perte de soi », l’exil semble ici donner
lieu à des « feuilletés d’être successifs » dont
les identités et les statuts rentrent sans cesse
en contradiction les uns avec les autres.
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Les programmes du CJB, n° 12
Articles et études
Archéologie préhistorique en Mauritanie : bilan 2010-2013
Robert Vernet
Directeur de recherches au CNRS
Depuis une décennie, l’instabilité
géopolitique du Sahara et du Sahel ne
favorise pas la recherche de terrain en
sciences humaines. La préhistoire ne fait pas
exception, même si la Mauritanie (au sens
large : les frontières actuelles n’ont guère de
sens en archéologie !) échappe, au moins
dans certaines zones, aux risques les plus
graves. Cependant aucune mission de terrain
d’envergure n’a été montée depuis la fin des
années 2000, à l’exception d’une seule
région, comme on le verra dans ce texte.
Par ailleurs, la recherche en sciences
humaines,
et
particulièrement
en
archéologie, n’est pas vraiment une priorité
en Mauritanie, pas plus que le respect des
règles de prévention des risques encourus
par le patrimoine, obligeant les entreprises
liées aux mines, aux routes et au BTP à faire
expertiser les zones où elles s’implantent
avant de les impacter. L’Institut mauritanien
de recherches scientifiques (IMRS) s’efforce
de maintenir le flambeau, avec sa revue
annuelle al Wasit, mais il ne peut guère faire
plus avec ce que lui permettent ses maigres
moyens.
On s’efforcera donc de cibler les
principaux résultats liés aux dernières
recherches
archéologiques
et
paléoclimatiques, puis les éléments de
synthèse récemment parus ; enfin, les
quelques
résultats
dans
les
zones
frontalières voisines, avec en particulier les
nombreuses publications concernant la
partie orientale du Sahara occidental.
Publications en archéologie
préhistorique en Mauritanie
depuis 2010
Pendant la décennie 2000, trois
régions
ont
connu
des
projets
archéologiques : le Golfe d’Arguin (PNBA) ;
l’Adrar (concession pétrolière de Total au
nord-est, et Richat) ; le sud-est du pays
(entre Oualata et Nema et au-delà de la
frontière malienne). Des publications sont
parues depuis 2010, dont certaines ont de
l’importance
— Bordes, Gonzalez et Vernet (2010), un
ouvrage collectif de 368 pages traitant de
tous les aspects d’une longue prospection
pendant la campagne de sismique pétrolière
de la société Total sur plus de 100 000 km2
au nord-est de l’Adrar1.
— Giresse (2012) et Sao (2010)
concernant le paléolithique ancien et moyen
de l’Adrar, et les éléments paléoclimatiques
qui leur sont associés. Des traces d’éléphants
dans la diatomite ont été étudiées par
Ethman ould Dadi (2011).
— Person et al. (2012) et Vallette (2010)
sur le dhar Walata-Nema, auxquels on peut
ajouter MacDonald (2011) pour un faciès de
la culture de Tichitt au-delà de la frontière
malienne.
— Barusseau et al. (2009, 2010) et
Vernet (sur les barrages à poissons - à
paraître en 2013) autour du golfe d’Arguin.
1
Un prolongement en 2012 a donné lieu à une
nouvelle campagne de prospection, tout aussi riche.
Dans l’ouvrage collectif, de nombreux aspects de la
préhistoire régionale ont été étudiés : Vernet
(paléoclimats) ; Bordes, Mourre, Vernet (industrie
lithique paléolithique, puis néolithique) ; Gallin
(céramique) ; Tauveron (monuments, art rupestre) ;
Tauveron et Vallette (la zone de Boujertala) ; Vernet et
Tauveron (essai de différenciation culturelle et
chronologique du Néolithique régional).
49
Les programmes du CJB, n° 12
Eléments de synthèse
Plusieurs thèmes ont fait l’objet de
synthèses :
— Chars et tifinagh : Gauthier Y. et Ch.,
(2011), qui se sont aussi intéressés, dans
plusieurs de leurs publications, aux
monuments, en particulier en croissant.
— Villages du dhar Tichitt-WalataNema : Amblard-Pison (2011).
— L’ensemble préhistorique
mauritanien : Vernet (2010 et 2011a).
— L’économie du littoral atlantique au
néolithique : Vernet (2011b) et Vernet et al.
(2011).
— Le chalcolithique : Vernet (2012).
— La préhistoire du Tiris-Zemmour :
Vernet, à paraître in al Wasit (2013).
— La monographie d’un site de pêcheurs
en eau douce, puis d’éleveurs, dans la région
de Nouakchott, Nouadhfat (Vernet et al., à
paraître).
Enfin, Thibault Vallette poursuit
l’édification de sa thèse, intitulée, Le monde
minéral des habitants du Dhar Nema
(Mauritanie sud-orientale) durant la
seconde moitié de l'Holocène. Approche
typo-technologique, Université de Paris I.
Les paléoclimats
Outre une synthèse concernant
l’ensemble d’une zone allant de l’Atlantique
au lac Tchad depuis 2500 ans (Maley et
Vernet, 2013), de nombreux articles
concernant l’évolution climatique terrestre
et marine (cette dernière fournissant des
informations essentielles sur le climat
continental) sont récemment parus :
— Giresse (2012) et Sao (2010), déjà
signalés pour les paléoclimats de l’Adrar au
Pléistocène ; de même, Barusseau et al.
(2009, 2010) pour le rivage du golfe
d’Arguin ; Vernet (2010, in Bordes et al.,
2010).
— Le littoral atlantique tropical entre le
sud du Maroc et le Sénégal a toujours
intéressé les spécialistes, qui ont déjà publié
près de 200 références depuis les années
1970, dont encore une quinzaine depuis
2010.
Ils
apportent
d’irremplaçables
connaissances sur les climats pléistocène
comme holocène de l’ouest du Sahara,
région
évidemment
peu
parcourue
50
aujourd'hui
par
les
géologues,
les
sédimentologues
et
autres
paléoclimatologues. On se contentera de
quelques références récentes où l’on pourra
consulter la bibliographie. Les principales
zones concernées sont situées au sud du
Maroc (Malaizé et al., 2012) ; en face du
littoral mauritanien (Collins, 2013a et b ;
Eisele, 2011 ; Hanebuth et Heinrich, 2009 ;
Matsuzaki et al., 2011 ; Meyer, 2011 et 2013)
et de l’embouchure du fleuve Sénégal
(Bouimetarhan et al., 2009 et 2013 ;
Castaneda et al., 2009 ; Mulitza et al.,
2010 ; Niedermeyer et al., 2010 ; Nizou et
al., 2011). On peut y ajouter Müller (2013)
sur les apports de l’étude des otolithes de
poissons pour la compréhension des
paléoclimats régionaux.
Les pays voisins : Sénégal, Mali,
Algérie, Sahara occidental
Le Sénégal apporte quelques précieux
éléments nouveaux sur la préhistoire du
moyen fleuve Sénégal avec Hatté et al.
(2010), Sall (2010) et S.K. McIntosh &
Scheinfeldt, pour un projet faisant appel à la
génétique (2011). Mais aussi, un peu plus
loin, avec Huysecom et al. (2012a et b) pour
les résultats des campagnes de recherche
2011 et 2012 sur la Falémé.
Au Mali, outre l’article déjà signalé de
Mac Donald (2011) dans le Mema, il faut se
contenter de la thèse de Gallin sur la
céramique de Kobadi (2011).
Sur la frontière algérienne, seul le
court article d’Amara et Yass (2010), pour la
région de Tindouf, est à mentionner.
Par contre, le Sahara occidental a
fourni une énorme quantité de données
nouvelles, exclusivement d’ailleurs dans sa
partie orientale : la Haute Seguiet el Hamra,
le Tiris et le Zemmour à l’ouest de la
frontière
mauritanienne
apparaissent
privilégiés pour l’archéologie préhistorique,
grâce à une certaine stabilité politique, qui a
permis le déroulement de plusieurs projets.
Ceux-ci étaient centrés, d’une part, sur
l’inventaire régional et, d’autre part, sur
l’étude approfondie de la préhistoire du
secteur de Tifariti, ville située à une
vingtaine de km de la frontière
mauritanienne.
Les programmes du CJB, n° 12
Plus d’une soixantaine de publications
sont recensées depuis 2000. Les plus
récentes, pour la Haute Seguiet el Hamra
sont, entre autres : Brooks et al., 2009,
2010 ; Milburn, 2010 ; Soler Masferrer et
al., 1999 ; Soler Subils, 2007, 2013 ; Soler
Subils et al., 2006. Ces régions n’étaient
guère connues auparavant que par quelques
mentions de sites rupestres et de
monuments funéraires. En quelques années,
l’explosion des connaissances (plus centrée
sur
l’archéologie
que
sur
les
paléoenvironnements) a conduit à faire de la
Haute Seguiet el Hamra et du sud-ouest du
Zemmour (Saenz de Burruaga, 2008, 2012)
une des zones les mieux connues de la
région.
— Le Paléolithique a été largement
prospecté : des centaines de sites sont
désormais répertoriés, pour l’Acheuléen
(Saenz et al., 2010-2011) et pour l’Atérien
(Ortega Perena & Delage Gonzalez, 2012).
des synthèses des deux régions concernées :
Clarke et al. et Saenz de Buruaga.
De cet effort scientifique exceptionnel
il ressort une occupation très dense, à toutes
les époques, tout à fait représentative de la
préhistoire
ouest-saharienne.
Il
fait
également ressortir la nécessité de travaux
dans la partie mauritanienne du TirisZemmour et au Sahara atlantique, qui font
figure de parents pauvres.
Pour terminer, il est nécessaire de
rappeler que cette région, comme bien
d’autres dans le Sahara, continue à être
soumise à un pillage systématique de son
patrimoine archéologique par tous ceux qui
ont l’occasion de récolter des pointes de
flèche ou toute autre type d’outil
préhistorique. Ce pillage et l’impossibilité
actuelle de travailler sur le terrain font qu’il
est bien difficile, en 2013, d’être optimiste
pour l’avenir de la recherche archéologique
dans l’ouest du Sahara.
— Le Néolithique a vu se multiplier les
sites, dont certains sont en cours de
publication, surtout dans la région de
Tifariti.
— L’art rupestre, étudié en particulier par
l’équipe de l’université de Gérone, est
désormais connu avec une grande précision
et un vrai luxe iconographique, spécialement
sur la Haute Seguiet el Hamra, très riche en
rupestres (nombreuses références, parmi
lesquelles : Escola Pujol, 2003 ; Gutierrez et
Sid Emhamed, 2013 ; Searight, 2011 ; Soler
Masferrer & Serra, 2006 ; Soler Subils,
2007, 2013). L’art peint, en particulier, en
fait une province très originale du Sahara.
— Les monuments funéraires ont été
systématiquement répertoriés, tant sur le
terrain que grâce à Google Earth, pour les
plus grands du moins (Brooks et al., 2006 ;
Ehrenreich et Fuchs, 2012 ; Milburn, 2012 ;
Saenz de Burruaga, 2013).
— La chronologie radiocarbone est en
cours d’élaboration (Ehrenreich, 2012 ;
Saenz de Burruaga et al., 2012).
— Un certain nombre d’ouvrages, plus
généraux, sont récemment parus et
apportent des éclairages essentiels (Bonte,
2012 ; Rodrigue, 2011 ; Al Khatib et al.,
2008, pour l’art rupestre). D’autres
devraient paraître sous peu, pour présenter
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