Revue archéologique du Centre de la France
Tome 57 | 2018
Varia
Philippe Boissinot - Qu’est qu’un fait archéologique ?
Coll. “ En temps et en lieux ”, éd. EHESS, Paris, 2015, 367 p., 20 Fig.
Alain Ferdière
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/racf/3060
ISSN : 1951-6207
Éditeur
Fédération pour l’édition de la Revue archéologique du centre de la France (FERACF)
Référence électronique
Alain Ferdière, « Philippe Boissinot - Qu’est qu’un fait archéologique ? », Revue archéologique du Centre de
la France [En ligne], Tome 57 | 2018, mis en ligne le 18 décembre 2018, consulté le 29 novembre 2019.
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Actualité de l’archéologie
ment le dernier chapitre (7) : ceci peut paraître paradoxal
dans un contexte de recherche archéologique et historique anglo-saxon qui nous a habitués, à l’inverse de la
tradition germanique, à des synthèses parfois d’ailleurs
trop rapides car justement non précédé des présentations
puis analyses nécessaires de données. Ici, d’ailleurs,
avec cette absence de mise en perspectives par rapport à
d’autres provinces du monde romain occidental (dont les
Gaules et les Germanies, les plus proches), la bibliographie apparaît très “ britanno-britannique ”, avec des titres
quasi exclusivement en anglais.
L’enquête aboutit en l’état, pour la Britannia, à deux
volumes condensés (moins de 900 pages au total), où priment les graphes quantitatifs et les cartes de répartition
thématiques, au détriment des développements conceptuels et notamment des comparaisons extérieures. C’est
un parti pris certainement délibéré des auteurs, qui permettent ainsi de donner accès à ces données de manière
assez aisée et fluide, ce dont on ne peut que se réjouir.
Et surtout, en outre, le sommaire du volume 3 restant à
paraître (fin 2018) et auquel j’ai pu avoir accès6 – Life
and Death in the Countryside of Roman Britain – montre
clairement que les possibles lacunes relevées ici seront
dès lors largement palliées.
Aussi doit-on saluer la sortie de ce second volume sur
le monde rural de la Bretagne romaine, qui constituera
certainement pour assez longtemps une référence incontournable pour qui veut comprendre le fonctionnement
de l’économie agropastorale des provinces de l’Occident
romain : il nous fait donc attendre avec impatience le
troisième et dernier volume de cette série “ New vision
of the countryside of Roman Britain ”, complétant un
ensemble tout à fait considérable et précieux.
Alain Ferdière
UMR 7324 CITERES-LAT, Tours
Philippe Boissinot - Qu’est qu’un fait archéologique ?
Coll. “ En temps et en lieux ”, éd. EHESS, Paris, 2015,
367 p., 20 Fig.
On doit se réjouir de voir paraître un tel essai de réflexion
sur la nature de l’objet de l’archéologie, dans un paysage
archéologique français qui accorde peu de place à ce
genre méthodologique7. Il suscite, comme il est normal,
un certain nombre d’observations et de commentaires de
9
ma part, globalement positifs, avec les quelques réserves
permettant d’ouvrir – je l’espère – au débat et à la discussion8…
La déclaration d’intention de l’ouvrage (p. 4 de couverture) constate que l’archéologie est devenue une “ discipline tendance ”, qui apparaît partout9, formulation où
l’on perçoit une certaine ironie. L’auteur souhaite – par
une approche épistémologique – remettre l’accent sur le
contexte où se déroule la fouille, la seule question valable
selon lui étant “ que s’est-il vraiment passé ici, à tel ou
tel moment précis du passé ? ” : un point de vue que je
partagerais volontiers.
L’essai est subdivisé en douze chapitres, classiquement encadrés par une introduction et une conclusion.
Chap. 1 - Une pratique savante sur les agrégats
Chap. 2 - L’extension du domaine de l’archéologie,
vers l’actuel et la philosophie
Chap. 3 - Mise au jour : qu’est-ce qu’il y a ici ?
Chap. 4 - Exhumer fait preuve de l’existant
Chap. 5 - Embrayer vers ce qui s’est passé
Chap. 6 - Ni simple déblaiement, ni enquête policière
Chap. 7 - À la quête d’agents rationnels
Chap. 8 - Déplacements et contradictions. Acculturations et religions
Chap. 9 - Appréhender les collectifs
Chap. 10 - Archéologie dans l’espace
Chap. 11 - Les trois sources : traces, images et textes
Chap. 12 - Préhistoire, protohistoire et histoire
Procédons maintenant à une analyse détaillée au fil du
texte. Dès l’Avant-propos, Ph. Boissinot se revendique
d’une demi-douzaine d’auteurs-chercheurs contemporains, parmi lesquels le recours à A. Schnapp ou J.-P. Demoule peut paraître contradictoire avec l’invocation faite
par ailleurs – de manière récurrente – de la primauté de
l’activité de terrain et de la fouille10.
– Dans son Introduction (p. 11), l’auteur se défend
d’avoir un discours “ dans le vent ” concernant l’archéologie, certes surtout hors d’Europe. Dont acte : on
ne lui en tiendra pas grief, tant sont rares en France les
réflexions épistémologiques et méthodologiques un peu
approfondies sur la discipline, et même on l’en remerciera. Il est certainement bénéfique de s’interroger sur la
nature de l’archéologie et de son objet, à l’heure où la
pratique prévaut largement, sans état d’âme et souvent
même sans réflexion. Mais ceci est au risque de séparer
théorie et pratique, et l’affirmation, d’emblée, de l’auteur
selon laquelle l’archéologie est le lieu d’intersection
6. Je remercie Michel Reddé de me l’avoir communiqué.
8. NB : les références bibliographiques données parfois ici étant celles
citées par l’auteur de l’ouvrage en question, je n’en fournirai pas les
références bibliographiques développées, en renvoyant à sa propre
bibliographie, in fine.
7. Comme l’observe d’ailleurs l’auteur lui-même dans sa conclusion. Il
a lui-même déjà œuvré dans ce sens, comme on le verra dans la bibliographie finale : voir notamment, avec aussi un titre en forme d’interrogation, le recueil : Ph. Boissinot (dir.) - L’archéologie comme discipline ?, Le genre humain, 50, Seuil, Paris, 2011, 332 p.
10. Quant aux “ archéologues ” cités, parmi les auteurs mentionnés en
bibliographie, on a d’ailleurs en général l’impression que ce sont ici des
gens qui dissertent sur l’archéologie plutôt qu’ils ne la pratiquent. Ce
n’est pourtant pas le cas de l’auteur.
9. C’est souvent selon moi une manière “ branchée ” de dire “ histoire ”.
10
entre historiographie, épistémologie et sociologie des
sciences, peut paraître lapidaire, voire obscure, en tout
cas à ce point du développement.
Ph. Boissinot propose d’entrée (p. 10 sqq.) le terme
d’“ agrégat ”, emprunté explicitement à la métaphysique,
en alternative à celui, plus commun, de “ site archéologique ”11 : ceci est-il vraiment nécessaire ? Peut-être pas,
puisque l’auteur s’en défait déjà p. 22 et qu’il reprendra
en conclusion ce terme de “ site ”, qu’il reconnaît comme
équivalent… Mais voyons la suite. L’opération archéologique consiste dès lors en un démontage de l’agrégat. La
comparaison, classique et d’ailleurs réfutée par la suite,
avec l’enquête policière paraît cependant ici un peu gratuite…
– Chap. 1 (p. 22), on peut considérer qu’à propos du
rapport entre archéologie et histoire, l’auteur enfonce un
peu des portes ouvertes, et l’historiographie du terme
“ archéologie ” depuis la Grèce antique, en général simplement au sens de science historique12, ne m’apparaît
pas forcément indispensable13. On passe ensuite (p. 50) à
un tableau “ à grands traits ” de l’archéologie en Europe.
– Chap. 2, la définition de la démarche archéologique
n’intervient que p. 32-33, avec un peu de jeu de mots
entre “ mise à jour ” et “ mise au jour ”14. On note au passage, p. 54, l’usage du terme “ civilisation matérielle ”
(en italique) qui, on le constate par ailleurs, revient à
la mode, notamment auprès des protohistoriens (plutôt
“ culture matérielle ”). L’essentiel du propos est défini
p. 78 sqq. : à la question “ qu’est-ce qu’il y a ici ? ” se
substitue celle “ qu’est-ce qui s’est passé ici ? ”.
– Chap. 3, incidemment, p. 90, la critique de la méthode de fouille de S.M. Wheeler15 qui pécherait notamment parce que les bermes sont non fouillées est injuste :
celui-ci dit explicitement qu’il faut les fouiller en dernier
lieu et cette erreur méthodologique, réelle, vient en fait
de l’application dans les années 1970 de cette méthode
en France, de manière simplifiée, par P. Courbin16. En
ce qui concerne les méthodes de fouille, certaines références sont bienvenues mais parfois un peu obsolètes :
c’est le cas de la mention de la “ méthode Harris ” en
11. Ou ne serait-ce pas plutôt le “ fait archéologique ” que le “ site ”, si
l’on en juge sur le titre ?
12. D’ailleurs, incidemment, l’utilisation métaphorique, complaisante
et récurrente, depuis S. Freud et M. Foucault, du terme comme équivalent d’“ histoire ” n’est qu’en fait un retour à cette définition première,
de la Grèce ancienne.
13. D’autant qu’on passe, presque sans transition, de la Grèce archaïque, classique et hellénistique à la Renaissance…
14. NB : la référence au texte de Thucydide sur la fouille des tombes
des Cariens était à ma connaissance déjà mentionnée par A. Schnapp il
y a une bonne trentaine d’années.
RACF 57, 2018
France, pour laquelle est cité Edward Harris et Bruno
Desachy mais non Martin Biddle ni Henri Galinié, et
les dites “ lois ” de Harris sont improprement qualifiées
de “ modèle ”. De même, le cas du trou de poteau n’est
sans doute pas le meilleur exemple pour tenter d’expliquer ce qu’est une US négative17, et l’explication paraît
également un peu approximative pour “ équivalence/égalité ”. Dans le même ordre d’idée, la proposition d’H.
Galinié de remplacer les termes ambigus et imprécis de
“ couche ” ou “ niveau ” par terme de “ dépôt ”, n’est
suivie que p. 92. Mais tout ceci et certes un peu du pinaillage terminologique et méthodologique. On note
cependant parfois quelque confusion conceptuelle, par
exemple, au sujet de la datation pour les échelles d’analyse, pour laquelle seule sont cités la micromorphologie,
les “ dosages chimiques des sols ” et la radiométrie des
matériaux.
Sur un autre point (p. 95), le fait que l’auteur note que
si l’on se demande ce qui manque, c’est qu’on a commencé à interpréter peut paraître contradictoire avec
ce qui est dit p. 97 (“ avant toute interprétation ”). On
pourrait aussi juger que la place donnée à la dimension
du temps, par rapport aux dimensions spatiales reste ici
congrue.
– Chap. 4, p. 105, si un dépôt lacustre ou un sondage
carotté en dépôt sédimentaire n’est pas “ archéologique ”,
comme le suggère l’auteur, alors le paysage ne l’est pas
non plus, ni objet d’archéologie. Je note en revanche
(p. 114-115) une intéressante critique de la distinction de
Djindjian (2011), pour la typologie, entre “ types réels ”
et “ types virtuels ”. Et l’on verra (p. 115 sqq.) une suggestive discussion sur “ la preuve ” en archéologie. Et
p. 144 sqq., intéressantes observations sur les fouilles
d’A. Gallay à Sion – d’après Gallay lui-même – selon
lesquelles, avec l’approche ethnoarchéologique, il n’y
a pas de “ reconstitution historique ” vraiment possible,
comme initialement proposé. Avec cet auteur, on assiste
ainsi à une importante remise en cause des “ modèles
utilisés plus ou moins consciemment dans les comptes
rendus de découverte scientifique ”, et ce sans différence
fondamentale entre l’énoncé de fictions ou de réalités :
porosité entre roman et histoire. Et p. 150 sqq., je note
encore le travail de remplissage nécessaire pour le récit
historique (selon P. Veyne) : “ rétrodiction ”, surtout de
manière consciente, pour combler les blancs…
À l’inverse, des points méritent ici discussion : par
exemple p. 125, l’auteur trouve le terme d’“ archéogéographie ” bien meilleur que celui d’“ archéologie du paysage ” : je ne suis pas d’accord ici, ne serait-ce que parce
qu’il n’est pas clair, dans sa référence à la géographie, par
rapport à son réel objet.
15. Qu’il faudrait aussi, honnêtement, resituer dans son époque, il y a
aujourd’hui plus de trois-quarts de siècles !
16. Quant à la méthode d’enregistrement, aujourd’hui largement adoptée, par US en séquence, de M. Biddle vulgarisée par E. Harris, elle
propose à mon sens, plutôt que le regroupement des US en “ structures
et en faits ”, un système logique et hiérarchisé où ensemble d’US = fait,
et ensemble de faits = structure.
17. Dans la mesure ou un creusement directement et immédiatement
destiné à être rebouchée, ce qui est le cas du trou de poteau avec le
calage et le poteau, n’a pas besoin d’être enregistré dans la succession
stratigraphique comme tel.
Actualité de l’archéologie
– Chap. 5 : p. 127, le propos concernant la prospection peut apparaître assez superficiel. Discutable bien
sûr aussi à mon avis la définition de l’archéologie selon
F. Djindjian (2011) comme “ reconstitution du passé dans
une approche globale systémique ”.
On verra encore (p. 152 sqq.) la question de l’analogie
et des comparaisons : l’archéologie, pour la reconstitution de “ quasi-mondes ” (supra), doit combler de nombreuses lacunes, car il existe peu d’analogies, qui sont
puissamment heuristiques ; cf., selon J.-C. Passeron, le
rôle de l’analogie dans les “ modèles ” (avec l’exemple
de la ville, p. 156).
– Au chap. 6, était-il vraiment nécessaire d’émettre
des banalités telles que : l’archéologie n’est “ ni simple
déblaiement, ni enquête policière ”, avec la référence
galvaudée à Agatha Christie18 ? L’archéologie “ ressemble ” en effet à une enquête policière, mais avec
de nombreuses différences, car en la matière, de
nombreuses actions ne laissent pas de traces, ou
peu, ou floues. Pourtant, l’auteur, après avoir dit
que cette comparaison était galvaudée, s’étend ici
longuement sur ce point.
Puis intervient un examen assez rapide et à mon sens
simplificateur, voire simpliste, de la New Archaeology
et de ses suites en France. Puis (p. 166) il examine le
manuel de J.-P. Demoule et al. 2002, avec la critique
adressée à ce dernier sur la nécessité d’une “ théorie ”
conscient de la démarche archéologique. Ph. Boissinot
pense – à mon avis à tort – qu’il peut exister cependant
une approche “ naïve ”. P. 168 sqq., est scrutée l’idée
d’un “ système d’information archéologique ” numérique
(dit ici “ cybernétique ”), avec trois systèmes (objets, informations intrinsèques et extrinsèques) et trois niveaux
(acquisition, structuration, modélisation), mais sous langage formel (non naturel), selon F. Djindjian. Qu’y a-t-il
ici de spécifique à l’archéologie ? Est-ce la taphonomie ?
Voir la question de l’action de l’enfouissement, selon
I. Efrenov (pour l’animal en fait, mais plus complexe
pour l’archéologie et les sociétés humaines).
– Chap. 7, concernant la quête d’agents rationnels,
l’étude des comportements reste cependant problématique : quelle “ intention ” (pourquoi pas “ fonction ” ?)
dans l’“ analyse technologique ” ? Puis est discuté le
concept de réutilisation ou non, ainsi que la question
de la “ rationalité ” et de la “ chaîne opératoire ” (cf.
Balfet 1975) et la question de gestion des ressources
(exemple de l’archéozoologie), tout ceci – selon l’auteur
– avec plus ou moins de rationalité.
Les questions d’évolution sont ensuite examinées :
métaphore, vision naturaliste selon Darwin, contre laquelle s’élève A. Testard, car dans les sociétés, les mutations sont voulues. Et pour A. Leroi-Gourhan, l’objet
de la technique est le geste en vue de produire et non
l’objet produit. Le fonctionnement (et non la fonction)
18. L’auteur revenant donc ici sur la comparaison avec l’enquête
policière.
11
est le dénominateur commun entre les réalisations et la
tendance : la fonction (visée) et l’objectif du “ fait ” selon
A. Leroi-Gourhan. Voir l’“ evolutionary archaeology ”
américaine, fondée sur la théorie de l’évolution.
En fait, malgré ce long préambule, le propos de
Ph. Boissinot revient ici, me semble-t-il, à adopter la
théorie darwinienne, avec analyses des “ agrégats ” en
termes de variation, en vue de sériation (avec analyse
statistique).
– Chap. 8, on observe donc des transports de formes
et de matières (d’un groupe social à un autre), mais sans
doute non pas des fonctions. Ainsi par exemple – vision
en fait assez “ méditerranéo-centré ” de l’auteur –, la diffusion de la construction en terre crue modifie peu à peu
localement tout l’habitat (dans ses formes). Il y a “ acculturation ” si les groupes humains sont assez différents. Et
la colonisation grecque est alors différente par exemple
de la romanisation, cette dernière plus en profondeur (et
donc vraie acculturation), avec un groupe dominant : voir
la distinction de Roger Bastide (1960) entre acculturation
spontanée, organisée ou planifiée, vers la plus intense,
et par la rencontre de divers agents culturels et non des
cultures elles-mêmes, et alors avec réinterprétation des
artefacts.
Pour parler d’acculturation, il faut que les cultures
d’origine soient assez différentes ; mais ceci ne peut
être certain que pour les périodes historiques et donc
des cultures connues par les textes : voir “ rituels et religion ”, où Ph. Boissinot manifeste son juste intérêt pour
l’étymologie des mots quant aux concepts. Ainsi, à l’origine des phénomènes culturels, les rites sont à ce titre
plus importants que l’économie : voir, pour les périodes
anciennes, les rituels funéraires, ainsi que la religion…
– Chap. 9 : cf. citation de Salomon Reinach (1911) sur
la bonne archéologie, qui n’est pas la recherche d’objets
isolés, mais d’ensembles (“ groupes ”) : ce sont quasi
les mots mêmes d’Indiana Jones en préambule de ses
premières aventures (je plaisante… !). L’auteur aborde
ensuite la question des ensembles clos – mais ceux-ci
existent-ils vraiment ? –, pour les chrono-typologies
(Montelius 1895). Quant aux manuels d’archéologie
récente, A. Lehoeff (2002), ainsi qu’A. Moberg (1976),
sont cités, avec l’exemple d’ensemble clos tel qu’une
tombe, qui n’est en réalité qu’un dépôt volontaire simultané.
Concernant la question du singulier et du pluriel, par
exemple, une société est un ensemble d’individus (tous
concrets ou abstraits). Mais ce tout n’est pas seulement
une collection d’individus, selon les “ atomistes ”, mais
aussi des ensembles, selon les structuralistes (cf. la théorie des ensembles) : ce tout disparaît si les individus sont
séparés. Ceci n’est cependant possible que dans la synchronie : voir en archéologie, avec l’informatique, l’analyse des données et les statistiques. Sont alors examinées
les questions d’identité collective – culturelle – et d’ethnicité, ainsi que de “ culture matérielle ” en archéologie,
ainsi que la question d’ethnie/ethnicité (avec l’exemple
12
RACF 57, 2018
de la céramique de Lattes) : en archéologie, on préférera
le terme de “ collectif ”.
– Au Chap. 10 est d’abord évoquée l’expérience
(négative) du camp amérindien de Millie, pour la distinction du milieu de vie. La forme de la “ maison ” est
en effet très variée : c’est une niche environnementale,
entité “ par décret ” et non “ de bonne foi ”, plus simple
si elle est clairement délimitée (contraintes extérieures),
comme une maison. Puis sont abordées les méthodes
statistiques pour, en test, voir si un ensemble d’objets
sur un sol est dû ou non au hasard, ce à quoi s’ajoute
le problème du temps (cf. lecture de plans avec trous de
poteau). Puis est examinée la qualification fonctionnelle
des aires d’habitat et question de niveau social (richesse)
et encore la question d’interprétation sociale à partir du
domaine funéraire : il est curieux que l’auteur ne cite plus
ici A. Testard ou autres.
D’un point de vue paléo-environnemental, concernant l’environnement du site, le terme de “ site ” – soit
“ places-extension par rapport au milieu ” – apparaît
ambigu à l’auteur, ce à quoi s’ajoutent des mixtes dont
s’occupe la “ géoarchéologie ”19. Quant aux relations
d’un site-agrégat à son environnement théorique, voir
Fig. 17 (p. 237), avec plusieurs schémas possibles, centripètes ou centrifuges, ces derniers tournés vers les analyses quantitatives et la modélisation, i. e. le traitement
“ scientifique ” de l’archéologie. Ceci n’est en effet pas
mentionné par les manuels d’archéologie les plus récents
(Giligny 2002 et Djindjian 2011), mais en revanche par
les géographes.
Ph. Boissinot précise que, selon J. Bonnemaison, le
territoire est un géosymbole. Et des possibilités sont ouvertes pour l’archéologie hors site et l’archéologie des
champs (avec l’exemple un peu galvaudé du vignoble
des Girardes, Fig. 18). Cette archéologie environnementale veut s’inscrire dans la réflexion sur le futur, comme
de même se pose la question de l’intersite, i. e. des “ relations entre les sites ” : archéologie et paléo-environnement – mais, ajouterais-je, les deux sont-ils du même
domaine ? –. Cette définition de l’intersite me paraît trop
restrictive, en ce qu’il devrait aussi inclure par exemple
les parcellaires. Mais un problème se pose de contemporanéité entre sites pour associer les sites entre eux, ce
qui est moins facile qu’en géographie, malgré les Bases
de Données et les logiciels (auxquels Ph. Boissinot se
dit réticent, avec F. Djindjian). S’ajoute encore le problème de fonction et de rang des sites (et cf. modèles de
Christaller). En matière d’archéologie spatiale, l’auteur
en reste en gros aux polygones de Thiessen. Pour la hiérarchisation s’ajoute la question de dépendance, prise en
compte par Archeomedes, Archaedyn et Tranmondyn, et
en particulier par L. Nuninger et L.Sanders20.
On revient ensuite (p. 245) sur intérêt des SIG : l’“ archéologie du paysage ” est opposée à l’archéogéographie
de G. Chouquer (2007 ; 2008), distincte de la géographie
et de l’archéologie. En conclusion de ce chapitre est présentée une étude de cas sur un territoire protohistorique,
celui des Élysiaques, dans le SE : il s’agit d’un peuple du
Languedoc, qu’on a tenté de de localiser par la culture
matérielle, dont les sépultures de type Maillac Grand
Bassin I, mais en fait par surinterprétation des textes pour
coller à ce “ territoire ” dit culturel. Ceci rappelle mes
propres critiques sur les faciès céramiques qui seraient
propres à des territoires de “ cités ” gallo-romaines. Ainsi,
nous dit l’auteur, on en arrive au raisonnement inverse :
le territoire est homogène du point de vue de la culture
matérielle et c’est donc celui des Élysiaques !
– Chap. 11, à propos des trois sources (“ traces,
images et textes ”), “ traces ” est à mon avis un terme maladroit et réducteur pour qualifier les données (sources21)
archéologiques et architecturales. Ainsi, Ph. Boissinot
en arrive à reconnaître que, pour l’archéologie, “ l’agrégat est la réalité même ” – le “ fait archéologique ” ? cf.
supra –. Ces trois sources concernent d’abord les textes
(présentés à mon sens de manière un peu simpliste),
avec l’exemple des écrits sur les Ségobriges, la question
étant celle de coïncidence/concordance avec les données
archéologiques. Puis viennent les images (iconographie,
selon moi), présentées aussi de façon assez simpliste,
avec une certaine confusion ici avec les images de l’enregistrement archéologique, dont les photos (exemple de
Pincevent). Enfin – Troisième “ source ”, les “ traces/
agrégats ”22 – cf. aussi “ indices ” –, avec le cas particulier des monuments. Ainsi, ceci constitue donc les trois
catégories épistémiques.
– Chap. 12, quelles sont les spécificités pour ces trois
périodes que sont la Préhistoire, la Protohistoire et l’Histoire, par rapport à ces trois sources ? Alors que pourtant, pour Boucher de Perthes (1847 : 5), en Préhistoire,
“ tout vestige devient histoire ”, le terme d’“ Histoire ”
lato sensu n’est pas évoqué par Ph. Boissinot, sens auquel on peut pourtant rattacher selon moi l’ensemble
de l’archéologie. La Protohistoire est classiquement
définie ici comme correspondant aux cultures sans écriture, contemporaines de cultures avec écriture, ou bien
– moins classiquement – incluant le Néolithique. Sont
alors présentés, sans qu’on comprenne bien pourquoi, en
tout cas ici, quelques “ figures de protohistoriens et institutions ”. Je suis en tout cas quant à moi d’accord avec
l’auteur (p. 303 sqq.) pour rejeter la définition de l’“ Histoire ” selon Seignobos (1901 : 3 : “ l’histoire n’est pas
une science, elle n’est qu‘un procédé de connaissance ”).
P. 303, je cite : “ tout historien voulant tenir compte
en toute rigueur de faits archéologiques doit d’abord se
19. Ce terme me paraît impropre ici : au moins autant que des sciences
de la terre appliquées en archéologie, il s’agit de de bioarchéologie…
21. Encore une fois, pourquoi proposer un nouveau terme pour désigner
les sources (textuelles, archéologiques, ethnographiques ou autres),
alors qu’il existe et fait l’objet d’un certain consensus ?
20. Cf. Nuninger, Sanders 2006, en ligne : https://mappemondearchive.mgm.fr/num11/articles/art06302.html
22. Les sources archéologiques lato sensu, c’est-à-dire matérielles.
Actualité de l’archéologie
découvrir en pré/protohistorien avant de se parer des
habiletés du philologue, voire du sociologue ” : ceci est
selon moi une mauvaise définition de ce qu’est l’archéologie par rapport à l’histoire (et de que sont les relations
qu’elles entretiennent entre elles), ainsi que la définition
de ce qu’est l’Histoire lato sensu. Pour reprendre le propos de l’auteur, deux agrégats ne peuvent se contredire.
Et il existe un problème de confrontation des textes et des
agrégats archéologiques : l’auteur parle notamment, pour
la fouille, de “ bonnes méthodes ”, “ en toute sincérité ”,
de manière sans doute insuffisamment explicite. Les
réalités visées par les textes et l’archéologie sont-elles
bien les mêmes ? Le cas des villages médiévaux, selon
É. Zadora-Rio, est cité. Et il en est ainsi de même pour
le terme “ villa ” ou “ vicus ”, d’où l’utilité de classer les
habitats en typologies matérielles selon la topographie et
la quantification du mobilier.
L’établissement d’un dialogue de l’archéologie avec
les textes est nécessaire pour l’identification des sites
(avec ici l’exemple de la viticulture). Mais une difficulté
se fait jour avec les absences ; et l’archéologie ne peut
établir, contrairement aux textes, des liens de causalité.
L’histoire – nous dit Ph. Boissinot – est un récit, différent
en cela de l’archéologie, et ce surtout pour les périodes
historiques, un peu moins pour la Protohistoire. Mais,
pour l’archéologie, le découpage Préhistoire/Protohistoire/Histoire reste quelque peu artificiel. Quant aux statuts de l’épigraphie et de la numismatique, peut-on parler
de “ sciences “ auxiliaires ” ? Cet ultime chapitre apparaît
en définitive assez “ bateau ”, sans rien de bien important
ni grande originalité, de mon point de vue…
– Enfin, en Conclusion, l’auteur constate qu’à l’évidence, l’épistémologie de l’archéologie intéresse peu
les archéologues, surtout en France, et sans doute pour
des raisons au moins en partie institutionnelles. Mais
l’archéologie est-elle une science ? L’agrégat s’avère in
fine être le “ site archéologique ” : pourquoi, dès lors,
l’auteur a-t-il proposé d’entrée l’adoption de ce nouveau
vocable, qui n’apporte apparemment pas de bouleversement conceptuel particulièrement marquant ? Ph. Boissinot constate par ailleurs l’autonomie universitaire de
l’archéologie, aujourd’hui : elle aurait pu selon lui rester
dans les départements d’histoire. Mais en fait elle n’y
était pas, sauf exception, mais bien très généralement
dans les départements d’histoire de l’art et archéologie.
Cette autonomie reste cependant stimulante : cf. l’investissement de l’archéologie dans le domaine identitaire.
Il y a cependant risque de surinterprétation. De vastes
perspectives et un large champ de concepts s’ouvrent dès
lors, peut-être trop mais quand même mieux que la rhétorique des experts, nous dit Ph. Boissinot…
Au fil du texte, l’auteur s’est en vérité autorisé maintes
digressions23, qu’il reconnaît lui-même, in fine, comme
hors sujet, ce qui est plutôt sympathique.
23. Certaines – la plupart – intéressantes et suggestives.
13
S’ajoute à cet essai 28 pleines pages de Bibliographie
très variée (philosophie, linguistique, sémiologie, socioanthropologie, économie et diverses sciences naturelles
(cf. p. 217). Enfin, je note un utile Index, malheureusement réduit aux noms de personnes (surtout auteurs
cités).
Quant à la forme24, la volonté – salutaire – de mener
comme ici une réflexion méthodologique, ontologique et
déontologique nécessite-t-elle vraiment d’adopter tout le
“ jargon ” de la philosophie, de la sociologie, de l’ethnologie… ? l’utilisation d’un vocabulaire rare et propre
aux différentes approches proposées, me semble personnellement assez inutile et n’ajoute rien à la pertinence du
propos25… D’autant qu’on peut noter, dans le détail, à
l’inverse, certaines imprécisions terminologiques26. Ceci,
ajouté à quelques maladresses dans l’expression, ne facilite pas en vérité le travail de lecture, déjà parfois ardu. Et
les figures ne sont pas toujours très utiles ni parlantes (ex.
Fig. 11, pour la question des échelles d’analyse).
J’ai, on l’a vu, tenté d’opérer une analyse critique de
détail du nouvel ouvrage de Philippe Boissinot. En définitive, j’ai certes émis, au fil de ce compte-rendu, des critiques de fond et de forme, parfois dans le détail. Il n’en
reste pas moins un essai stimulant, ne serait-ce que parce
qu’il prend place dans un certain désert de réflexion épistémologique et méthodologique de l’archéologie française. Une réflexion approfondie sur l’objet même de
l’archéologie – ici l’“ agrégat ”, i. e. le site ou le dépôt
archéologique – ne peut qu’être utile dans le contexte
actuel et doit être accueilli a minima comme tel. Les références constantes à d’autres disciplines, même si elles
ont pu parfois m’agacer, sont une ouverture épistémologique qui apporte de précieux éclairages à une discipline
souvent trop repliée sur elle-même.
On doit par conséquent en remercier chaleureusement
l’auteur, ne serait-ce donc que pour avoir suscité chez
certains – dont moi en l’occurrence – l’envie de débattre
avec lui de ces questions…
Alain Ferdière
UMR 7324 CITERES-LAT, Tours
24. Hormis les fautes de français ou coquilles d’orthographe, présentes,
auxquelles l’absence de correcteur aujourd’hui chez les éditeurs nous
ont malheureusement contraints et habitués.
25. Par exemple, p. 15, “ holisme ”, “ méréologie ”, voire “ ontologie ”, termes qui ont des définitions tellement différentes que celles
apparemment en œuvre ici que l’on peut s’interroger sur l’utilité de leur
introduction ici.
26. Par exemple, p. 14 : “ datation absolue ” pour parler des méthodes
de datations en laboratoire (cf. infra) ; ou encore, p. 5 et Fig. 2, le terme
de “ sédiment ” – également utilisé, p. 86 sqq. et p. 93, avec “ processus
de sédimentation complexe ”, alors que c’est un terme du domaine des
sciences de la terre, inadapté pour le dépôt archéologique ; p. 86 sqq.,
le terme de “ niveau ” archéologique m’a toujours paru assez maladroit
pour désigner ce qu’il conviendrait mieux d’appeler “ dépôt ” archéologique.