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Salim Drici Réflexions sur les maisons romano-africaines et sur quelques éléments décoratifs de l’Algérie antique L’architecture romaine, et en particulier celle de l’habitat, a connu pendant les douze siècles de l’histoire romaine un développement très considérable. Cet essor dépend de brassage multi-civilisationnel qui a origine dés la colonisation romaine dans tous le bassin méditerranéen. La transition de l’habitat archaïque, connu avec le nom d’italique, en passant par l’habitat hellénique, jusqu’à le domus romain, s’est concrétisée grâce aux apports esthétiques des uns et des apports pratiques des autres. L’Afrique du Nord représentait un espace vierge pour l’entité romaine concernant le modèle d’urbanisme adopté sur un sol qui donnait plus liberté d’actions pour les architectes romains. Il faut dire que beaucoup de villes, de colonies et de municipes, sont de créations récentes sauf pour celles qui avaient un substrat autochtone où l’aspect culturel était apparent. Par opposition à la ville de Rome où l’habitat à toujours posé quelques problèmes pour la densité de personnes à loger: cette densité poussa les autorités romaines par manque d’espace à bâtir en hauteur 1. L’Afrique du Nord, au contraire, offrait plus d’opportunités dans le domaine urbanistique. Les villes africaines se sont en effet développées en horizontal: quelques maisons étaient constituées d’un ou deux étages, ce relevait de la richesse de la classe bourgeoise. La maison romaine se composait généralement d’un vestibule d’entrée avec ses portes, d’un atrium dans lequel la maison puisait sa source de lumière et favorisait l’aération, d’un péristyle dans le cas où ce dernier était entouré sur quatre cotés d’une colonnade; Salim Drici, Institut d’Archéologie, Université d’Alger. 1. L. HOMO, Rome impériale et l’urbanisme dans l’antiquité, Paris 1971, p. 477. L’Africa romana XVII, Siviglia 2006, Roma 2008, pp. 675-684. 676 Salim Drici en tous cas, cette cour était agrémentée d’un bassin d’eau et d’un jardin. Le tablinum était un office de bureau ou une salle de réception pour le maître des lieux, les chambres à coucher ou cubiculum étaient de petites dimensions, le triclinum était la salle à manger, et puis non loin de là se trouvait la cuisine, culina. Cependant, dans les villes africaines, les maisons des nobles, comme à Thamugadi, Cuicul, Caesarea, avaient autres dépendances qui se résumaient à l’oecus dont la fonction principale était la salle pour les fêtes; des bains privés étaient les uns de modestes mesures, les autres plus complexes à l’image des thermes de la maison Pompeanus à Oued El Athmania dans la région de Constantine. Nous pouvons également rencontrer des structures de bibliothèques ou galeries de peintures, comme la villa des fresques à Tipasa en Maurétanie Césarienne, avec un solarium d’inspiration grecque ouvert sur la mer. Toutefois les maisons de tout le pourtour méditerranéen se ressemblent du point de vue typologique: toutes les chambres regardent sur une cour centrale. Cette cour est le centre de toutes les activités, car la vie de la maison est orientée vers l’intérieur, à cet égard les chambres du palier inférieur sont démunies de fenêtres. Cette tradition nous la rencontrons dans la maison punique, qui se perpétue dans la maison romaine, puis dans l’habitat kabyle ou dans la Casbah Wast el-Dar, jusqu’à dans la péninsule ibérique où la cour prend le nom de patio. Dès la colonisation de l’Afrique du Nord, les romains ont adopté le plan de la maison avec le péristyle, selon leurs besoins. La maison romaine d’Afrique est en faite une adaptation de la maison hellénique dans un climat berbère 2. C’est très important de voir comment le plan de la maison répondait à des considérations climatiques, car l’architecte devait d’une part atténuer l’effet de la chaleur torride et de l’autre part intégrer les éléments, eau et aération pour rafraîchir l’atmosphère 3. La «domus africain» est née grâce à ces paramètres. Dans tout le monde romain la maison romano-africaine avait une particularité unique: un aménagement en sous-sol et un autre sur le même niveau de route, comme on peut le constater, aujourd’hui dans la ville des fresques à Tipasa. Le but essentiel de 2. M. BLANCHARD LEMEE, Maisons à mosaïques du quartier centrale de Djemila, Aix-en-Provence 1975, p. 205. 3. CH. PICARD, La civilisation de l’Afrique romaine, Paris 1959, p. 214. Réflexions sur les maisons romano-africaines 677 l’élaboration d’un tel plan est l’atténuation de la chaleur 4, et la recherche de la fraîcheur durant les saisons chaudes. Parler des maisons romaines en Afrique du Nord implique incontestablement le facteur humain qui peuple les villes nordafricaines. Ce peuple est un brassage de plusieurs groupes issus des divers horizons, dans un espace commun, connu et reconnu, sous l’autorité d’un empire qui imposa ses lois dans tous les domaines, et surtout dans la conception des villes et de ses monuments. Le colon recevait sa parcelle de terrain à l’intérieur de l’espace religieux délimité de la ville, et pouvait concevoir sa maison comme il le voulait. Si elle a l’âme romaine, par ses éléments architectoniques, par la répartition de l’espace interne et par ses décors, néanmoins il y va de soi qu’il mettra sa touche personnelle apparente ou subtile dans son bien exclusif, de sa propre identité. Les inscriptions latines de l’Algérie antique attestent que ce peuple constitué de Romains, d’Africains, d’Orientaux ou d’Européens (Gaulois, Germains, Ibère), a des antécédents de civilisation dont il ne pouvait pas faire abstraction dans sa vie quotidienne, sa philosophie et ses arts. Beaucoup de villes ont gardé des traces des structures d’habitats, cependant il en est quelques unes à l’image de Thamugadi ou Cuicul qui vu la diversité des maisons offrent plus de renseignement sur le «domus romano-africain». L. Leschi décrit Timgad comme «un lieu de rencontre et de contact entre les montagnards et les gens du plat pays d’une part, entre Rome et les berbères, d’autre part, de ce double rôle, elle tire sa physionomie» 5. Donc la configuration des maisons dans cette ville au début du IIe siècle jusqu’à l’époque chrétienne, répondait aux inspirations, tantôt romaine, tantôt berbère. Quelques éléments architectoniques et décoratifs trouvés dans ce lieu, témoignent de cette hybridité de la population de Thamugadi ou d’une autre ville telle que Theveste (FIG. 1). La ville offrait une grande diversité de maisons: les unes avec l’atrium, d’autres avec le péristyle, d’autres encore avec quelques bains privés. Beaucoup de maisons possédaient un puits grâce auquel on puisait l’eau pour les besoins domestiques ou pour les bassins bâtis dans le péristyle. 4. R. CAGNAT, V. CHAPOT, Manuel d’archéologie romaine, t. 1, Paris 1916, p. 278. 5. L. LESCHI, Algérie Antique, Paris 1952, p. 108-9. 678 Salim Drici Fig. 1: Theveste, décor berbère sculpté sur un élément architectonique. La maison avait comme décor une mosaïque, qui répondait aux besoins esthétiques, décoratifs et pratiques. Le revêtement a été étudié pour empêcher la montée de l’humidité du sol pendant l’hiver et pour offrir une certaine fraîcheur pendant la saison chaude. Nous pouvons également témoigner d’autres formes de décors, à l’exemple de “Bifrons” trouvés à Timgad, par A. Ballu, dans la maison située à l’angle Nord-Est du Forum. Il s’agit de têtes doubles de masques tragiques: elles couronnaient les quatre montants de pierre qui maintenaient les dalles sur les deux côtés de l’atrium 6. Les belles mosaïques des maisons de Cuicul, même si elles sont datées du IIIe et IV e siècle, cela n’enlève à rien à leurs fastes, les 6. A. BALLU, Les ruines de Timgad, Paris 1897, p. 224. Réflexions sur les maisons romano-africaines 679 exemples ne manquent pas quant aux aménagements spatiaux internes. La ville primitive du début du IIe siècle av. J.-C. recelait de très belles demeures à l’image de la maison d’Amphitrite, qui avait le mérite d’être une maison avec toutes les dépendances énoncées théoriquement et les aménagements utilitaires comme une salle pour l’huilerie et une autre contenant une meule. Les Romains ont été grands constructeurs et grands décorateurs. La maison au stuc située dans le quartier de la ville primitive est la seule à posséder un exemple d’atrium tétrastyle à Djemila 7; elle a révélé également beaucoup de décor fait à base de stuc, avec des formes humaines, animales et végétales. Les formes humaines peuvent représenter des têtes d’enfants, des têtes d’hommes et de femmes. Le style d’exécution de ces formes suggère un réalisme car ces têtes par les traits du visage ont des expressions diverses telles que la joie ou la colère. Des torses sans têtes faisaient partie également du décor. Les formes animales se résument aux spécimens d’une tête de sanglier tandis que les formes végétales sont représentées par des roses aux formes aplaties. Ces décors en stuc sont une partie intégrante qui participaient à enjoliver les salles de la maison, fixés par des tenons sur les murs: ils nous rappellent les masques que les acteurs portaient au théâtre. La sculpture est d’un style réaliste, réalisée d’une manière précise, ces formes de décor ont connu un essor durant la fin du deuxième siècle et le début du troisième siècle de notre ère. Cette tradition décorative s’est répandue essentiellement dans les grandes villes telles que à Timgad et à Zama où on peut remarquer une certaine esthétique dans l’exécution des œuvres 8. Dans les maisons romaines des villes de l’Algérie antique, nous pouvons discerner deux types de décors: utilitaires et décoratifs. Parmi les statuettes en bronze découvertes dans plusieurs sites, et qui incarnaient des divinités romaines, nous avons à titre d’exemple, la statuette de la déesse Diane chasseresse trouvée à Ras elAyoun, au nord de N’gaous, et aussi la statuette de Vénus enlevant sa sandale, suggérant par sa position qu’elle allait prendre son 7. R. REBUFFAT, Maisons à péristyle d’Afrique du Nord, «MEFRA», 86, 1974, p. 451. 8. P. A. FÉVRIER, L’art de l’Algérie antique, Paris 1971, p. 57. 680 Salim Drici bain. Un autre exemple d’une statuette d’Apollon nous vient d’Hippone. Cette ville possédait de très belles maisons sur la colline de Gharf El Artam et leur plan était d’inspiration classique: vestibule, péristyle, tablinum, triclinum à droite, dans une relation orthogonale avec le tablinum. Mais ici, l’atrium était absorbé par le péristyle 9. Les musées de Constantine, de Djemila et des antiquités d’Alger recèlent d’autres formes de statuettes: une belle statue en bronze d’Hercule à Djemila, celle de Cirta était une statue de l’espérance, tandis que celles du musée des antiquités d’Alger représentent une statue de Venus en marbre qui provient de la ville de Cherchel, alors que celle d’Eros chevauchant deux colombes, elle provient d’El Ksar (Béjaia). Nous pouvons également ajouter un trépied avec centaure et néréides dont la principale fonction est de supporter une table représentant des personnages mythiques. Cet aspect de l’art religieux dans les maisons romaines attesté en Algérie antique répond en premier lieu à un sens religieux très profond. Il faut en convenir que la maison incarne un espace sacré ou le maître des lieux est un sacerdoce faisant des offrandes aux divinités domestiques, cependant il a besoin d’autres symboles forts qu’il place soit sur des piédestaux, soit sur des niches aménagées dans les parois des murs internes de la maison. Ces divinités dans l’esprit romain assurent la protection des lieux des tous les aléas, surveillant la bonne marche da la vie quotidienne et, de l’optique esthétique, elles parent l’espace d’un esprit omniprésent. Le deuxième type de décor est d’ordre utilitaire, c’est dans ce sens que nous remarquons des lampes et des candélabres utilisables dans la vie quotidienne. L’artisan en fait des formes qui sont un réel plaisir pour le regard et ils serviront également tels des bibelots places dans divers endroits de la maison. Il en est de même pour les statuettes: de chienne, de l’enfant à l’aiglon, qui embellissent l’oecus ou le tablinum et que des esclaves prennent soin de faire briller afin de relever de l’estime du maître en recevant des hôtes de hauts rangs. Par ailleurs, nous distinguons deux groupes de villes, celles ou s’appliquent un urbanisme préconçu, ex nihilo, et celles qui sont la continuité de villes ou de villages autochtones, et ou les urbanistes 9. L. HARMAND, L’Occident romain, Gaule-Espagne-Bretagne-Afrique du Nord, Paris 1970, p. 339. Réflexions sur les maisons romano-africaines 681 romains doivent tenir compte d’un antécédent urbanistique et des traditions locales 10. Le cas de Castellum Tidditanorum dans la confédération cirtéenne est assez édifiant, dans la mesure ou le castellum fût une agglomération berbère, accrochée sur les versants de la montagne, néanmoins elle a su préserver son caractère rustique tout en se développant à la mode d’une ville, mais d’une ville aux maisons à moitié creusées dans la pierre 11. Donc la tradition locale ne se perd pas mais s’adapte aux courants nouveaux tel un cours d’eau traçant sa voie aux flancs des montagnes. Si Tipasa est de substrat phénicien, les Romains ont su ériger une belle cité égalant en splendeur et en beauté bien des capitales des provinces romaines. Elle se caractérise par la dominance de l’art grec sur l’art carthaginois 12, et ceci se matérialise dans les monuments de la ville et parmi eux, la villa des fresques. Son plan est d’inspiration hellénique qui représente la première phase de la maison, un péristyle de forme rectangulaire contenant quatorze piliers avec des bases ioniques et un solarium dominant la baie. La deuxième phase de la maison représente la romanisation de la villa avec la construction des bains privés et la décoration des parois avec des fresques. Quant à la troisième phase, c’est celle qu’on qualifie de basse époque et qui débute de 250 ap. J.-C. jusqu’à la destruction de la maison. Durant cette phase, plusieurs remaniements ont été constatés avec la restauration de quelques murs et le changement de fonction de certains espaces 13. Les thèmes des fresques de la villa sont aussi riches et variés, J. Baradez en a fait quelques descriptions sur les innombrables débris trouvés lors des fouilles 14. Les fresques constituaient un décor mural qui recouvraient les murs de l’oecus, du tablinum et du péristyle. L’artiste, artisan de cet œuvre a excellé dans la maîtrise des techniques du dessin, de ce caractère réaliste ou la recherche du beau est décelable dans le choix du décor. Le goût et le sens esthétique du maître de la villa révèlent le raffinement et le haut de10. M. CLAVEL LÉVÊQUE, P. LÉVÊQUE, Villes et structures urbaines dans l’occident Romain, Paris 1984, p. 103. 11. LESCHI, Algérie Antique, cit., p. 81-2. 12. ST. GSELL, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, t. VI, Paris 1918, p. 34. 13. J. BARADEZ, La villa des fresques, «Libyca (ép.-arch.)», 9, 1961, p. 96. 14. Ibid., p. 66-7. 682 Salim Drici Fig. 2: Villa Pompeanus, répartition des mosaïques. gré de maturité artistique détectables dans beaucoup d’œuvres attestées dans les villes nord-africaine durant la période ou régnait une certaine stabilité, et une paix longtemps recherchée. Les fresques ont des antécédents étrusques, l’élément romanoafricain s’est inspiré pour créer une situation ambivalente ou le réel du vécu quotidien se mêle à l’idéalisme d’une idéologie impériale en quête d’une romanisation de tous les aspects, culturelle, religieuse, sociologique. Le caractère du décor de la villa des fresques nous renseigne sur les mœurs d’une société qui aspirait à atteindre le palier ultime de l’estime. Cette bourgeoisie locale qui grâce à ses libéralités dotait la ville de ses plus beaux monuments. Chez soi le patron aimait s’entourer se ce qui flatte le regard et l’orgueil; de cette optique la villa des fresques contenait un ensemble décoratif peint sur une surface verte, tel ce portrait d’une très belle femme dont le visage est rond avec de grands yeux, le cou est allongé, les lèvres charnues et les cheveu soyeux descendent le long du visage. L’artiste combla tout l’espace vide avec des médailles circulai- Réflexions sur les maisons romano-africaines 683 res dont le centre est peint en rouge, des rosaces et des arcades se suivent en une succession ininterrompue. D’autres fresques représentaient des arbres dont le feuillage est de couleur marron avec des bandes aux teintes variées, il est fort probable qu’elles ont orné le plafond d’une chambre telle que l’oecus ou le tablinum. Si les plus belles maisons et villas étaient localisées dans les villes, il n’en demeure pas moins qu’il existait un autre type de villa qu’on retrouvait à travers le vaste territoire de la campagne. La villa suburbana réunissait le coté rustique de la vie rurale et le coté exubérant ou se mêle le faste et le confort des grandes villes citadines. La Villa Pompeanus à Oued el Athmania dans la région de Constantine répondait à ces exigences (FIG. 2): son plan ne diffère pas beaucoup du plan des villes sauf que l’architecte jouit d’une grande liberté quant à la répartition interne de l’espace du fait qu’il dispose d’une grande surface. La villa disposait de tous les aménagements d’une maison urbaine tels que: l’oecus, le tablinum... et d’un ensemble thermal de grande envergure. Tous les sols de la villa étaient pavementés en mosaïques, les motifs géométriques sont les thèmes principaux donnent une touche personnelle et unique dans l’histoire des mosaïques attestées en Afrique du Nord car dans la majorité des villas suburbaines les sujets principaux demeurent les scènes de chasse, les travaux de champ.