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DiAna BARILLARI LES BATIMENTS DE tA COMPAGNIE DES ASSICURAZIONI GENERALI AU CAIRE w 1911 la fameusecompagnied'assurancesde Trieste,les AssicurazioniGenerali, conf,e l'étude du projet d'un immeuble de rapport à ériger au Caire à I'architecte Antonio Lasciac, originaire de Gorizia et qui est alors architecte en chef des palais khédiviaux. Le grandiose édifice construit sur la rue Qasr al-Nil, I'une des principales artèresdu centre-ville, attestedes relations anciennesentre Trieste et l'Égypte. Celles-ci doivent beaucoupen particulier au baron PasqualeRevoltella(1795-1869)r. qui fut un remarquable représentantdes Assicurazioni Generali comme des entrepreneursde la ville de Trieste, ainsi qu'un membre de tout premier plan de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, au point d'en ètre nommé vice-présidenten 1859. E S S O RD E T R I E S T E La fortune de Trieste commenceen ITt9,lorsque Marie-Thérèsed'Autriche accorde au port de la ville le privilège d'étre un port franc, ainsi qu'un ensemblede facilités et de mesures protectionnistes qui vont attirer une classe marchande cosmopolite formée d'individus appartenantà différentesminorités (les soi-disant <<nations>>): les communautés juive, grecque, arménienne, suisse, allemande et illyrienne. Au déclin économique de la République de Venise s'oppose ainsi I'essor du port de Trieste, qui acquiert bientót I'hégémonie du commerce sur la mer Adriatique, jusque là tenu par les marchands vénitiens.Un des facteurs à I'origine de l'épanouissementde Trieste est dù à la fuite de Venise, lors de la mise au ban de la République vénitienne, de nombreuses familles juives vers les terres plus accueillantesde I'Empire des Habsbourg. Diana Barillari, historiennede I'architecture,Udine. Le texte est traduit de I'italien par Maria di Prampero. L'auteur remercie Madame Stolf, du bureau Affaires étrangèresde la Proprietà Immobiliare Assicurazioni Generali de Trieste, Maria Masau Dan, directeur du Museo Revoltella de Trieste et Bianca Cuderi responsable des archives et de la bibliothèoue. r Pasquale Revoltella 1795-1869.Sogno e consapevolezza del cosmopolitismo triestino, M. Masau Dan (éd.), cat. d'exposition. Arti Grafiche Friulane. Udine. 1996. DIANA AARILLARI La ville de Trieste, héritière idéale de Venise, développe de mème un réseaucommercial avec l'Orient et le Levant, ainsi qu'en attestela constitution de la Compagnia Orientale (1719), puis de la Compagnia d'Egitto, fondée par l'arménien Saraff pour commercer avec l'Égypte et à laquelle Joseph[I accordedes nombreux privilèges en 1784. L'épanouissement international du commerce, interrompu seulementpar la crise économique de 1806 à 1813, est suivi par un accroissementdes institutions financières, caractérisé par la naissance des plus importantes compagnies d'assurances: les AssicurazioniGeneralien 18312, la Lloyd autrichienneen 18333 et, en 1838,la Riunione Adriatica di Sicurtà (RAS). Leur capital social pst entre les mains des principales maisons de commerce de la ville, de manière à ce que la cote des actions soit garantie par le mécanismedes fidéjussions.La connexion entre capital commercial et capital d'assurance explique le systèmed'allianceset de participationscroisées,que met bien en évidencela présencedes membres des principaux négocesau sein des divers conseils d'administration et assembléesde ces sociétés. Revoltella, un des fondateurs des Assicurazioni Generali, devient en 1835 membre de son conseil d'administration; I'année suivante,il est nommé censeuret fait partie, dès 1837 et jusqu'à sa mort, du comité de directiona. Comme quelques-unsdes membresles plus importants des Assicurazioni Generali (Sartorio, Morpurgo, Masino Levi), il fait également partie - exemple du phénomènedes participations croisées - de la Lloyd autrichienne,qui naît dans le but de donner <<auxmarchandset aux agentsd'assurances les informations les plus précisesau sujet du commerce et de la navigation 5 La création ". en 1836 d'un secteurconsacréà la navigation à vapeur au sein de la Lloyd est appuyée par l'un des membresfondateurs,le prussienCarl Ludwig von Bruck, afin d'établir <des communicationsrégulières et rapides entre Trieste, Constantinople,et les ports de la Grèce6 Grece au soutien du gouvernementet à la bienveillance de Metternich la société ". obtient d'importantes concessions,entre autres,le droit exclusif du service postal maritime. La présence, parmi les principaux actionnaires de la Lloyd, de la banque Salomon Rothschild de Vienne, représentéeau conseil d'administration par le banquier triestin Marco Parente, témoigne de l'intérèt avec lequel la grande finance internationale suit la vie économique et les entreprises commerciales de la ville de Trieste. Il ne faut pas oublier que Trieste et Venise sont en effet les seuls ports à la disposition de I'Empire 1 8 3 1 - 1 9 3 1 .I l C e n t e n a r i o d e l l e A s s i c u r a z i o n i G e n e r a l i , G. Stefani (éd.), La Compagnia di Trieste, Istituto Geografico De Agostini, Novara, 1931;A. Zimolo, <Dall'aquila al leone>, in Palazzo Carciotti, Assicurazioni Generali spa, Trieste, 1995, p. 177-260. Il Lloyd triestino. Contributo alla storia italiana della navigaTione marittima, G. Stefani et B. Astori (éd.), A. Mondadori, Milano, 1938; R. E. Coons, I primi anni del Lloyd austriaco. Politica di governo a Vienna ed ini ziat iv e imp re ndi to ri al i a Tri est e ( I 8 3 6 - I 84 I ), U dine, 1982; Lloyd triestino 1836-i,986. Dall'Adriatico al edizioni Lint, mondo.Mostra del centocinquanîendrio, Trieste,1986. 4 A. Zimolo, < PasqualeRevoltella e le Assicurazioni Generali>>,in PasqualeRevoltella,1795-1869.'.,op.cit., p.204-219. s Galleria Storica. Lloyd Triestino, Lloyd Triestino di Navigazionespa.,Trieste,1993,p.34. 6 lbid., p. 26. Né a Elberfeld, en Rhénanie,en 1798,von Bruck est installé depuis l82l a Trieste,et fut d'abord employépar le consul de Prusse,avant d'entrer au serautrichien. vice du gouvernement LES BÀTIMENTS DE LA COMPAGNIE DES ASSICURAZIONI GENERALI AU CATRE autrichien, aussi bien que d'autres nombreux états allemands. La classe marchande de Trieste est bien consciente de la concurrence acharnéedes autres ports de la mer Méditerranéeet de la nécessitéde concevoir un nouveau plan de développementdu port en raison des progrès de la navigation à vapeur et des transports par voie ferrée. TRIESTE ET LA QIIESTION DU CANAT DE SUEZ LA NAISSANCE DE LA SOCIÉTÉ D'ÉTUDES La politique des Habsbourg à l'époque de la restauration n'adopte pas le programme de conquétescoloniales et d'expansion internationale qui caractérisentI'Angleterre et la France. Le port de Trieste commence à jouer un ròle stratégique lorsque, à la recherche d'une jonction rapide avec les Indes (la route des Indes), est envisagéel'hypothèse de transporterles marchandisespar voie maritime à traversla Méditenanée, ce qui favoriserait clairementla route par la mer Adriatique. Le projet de percer I'isthme de Suez, qui avait été déjàenvisagépar Napoléon lors de la Campagned'Égypte, devient I'objet d'études et de projets internationaux,parmi lesquelsl'on peut mentionner celui des <<saint-simonienst> de Prosper Enfantin. La modernisation de l'Égypte au cours de la première moitié du XIXe siècle est entreprise par l'importation des modèles européensdu progrès dans les domaines administratif, scientifique et économique et par la réalisation d'cuvres d'infrastructure, tel que le barragedu Nil, les travaux d'agrandissementdes ports d'Alexandrie et de Suez et la construction du chemin de fer entre ces deux villes afin de relier la mer Rouge avec la voie des Indes. L'absence des capitaux nécessairespour réaliser ce programme favorise I'intervention des pays occidentaux, qui devient une véritable invasion et transforme formellement l'Égypte en une succursaledes banqueseuropéennes7. Dans le domaine politique, la médiation de I'Europe joue un róle prépondérant:les rapportsentre I'Empire ottoman et l'Égypte sont en effet régléspar l'Angleterre, la France,la Russie,I'Autriche; I'influence des grandespuissancesest si considérablequ'après la crise turco-égyptienne (1839-1841),celles-ci imposent au Sultan de conférer le titre de vice-roi à Muhammad 'Ali 8. Le prince de Metternich, ayant compris très vite I'importance de la question et les conséquencespositives pour l'Autriche, encouragela réalisation d'un canal entre les deux mers e en tenant compte de la suprématiede Constantinople sur Le Caire. Le projet du canal de Suez éveille aussi I'interét allemandet parmi les sympathisantsde la cause D. S. Landes, Banchieri e pascià. Finanza internazionale e imperíalismo economico, traduction italienne Bollati Boringhieri, Torino, 1990. Histoire de I'Empire Oîtoman, R. Mantran (éd.), Fayard, Paris, 1989; A. Palmer, The Decline and Fall of the Ottoman Empire, reprint John Murray Ltd., London, 1993. e À propos de la politique autrichienne sur la question de Suez, voir G. Lo Giudice,Trieste, L'Austria e iI Canale di Suez. Facoltà di Economia, Istituto di Storia Economica, Università degli Studi di Catania, 1979. DIANA BARILLARI d'Enfantin, I'on trouve le banquier Albert Feronce-Dufour, qui est non seulement propriétaire d'une maison de commerce renommée de Lypsia, mais aussi représentant des Assicurazioni Generali dans la méme ville. Feronce-Dufour, s'étant rendu compte de I'importance pour la Lloyd autrichienne de prendre part à l'affaire, se met aussitÓten contact avec von Bruck. C'est toujours le mème dynamique marchand de Lypsia qui contacte un autre sujet de l'Empire des Habsbourg,Luigi Negrelli 10,un ingénieur de Trente, qui avait déjà dressédes projets pour le canal de Suez.Negrelli est un spécialiste très apprécié qui a, par conséquent,toutes les qualités pour faire partie du groupe d'études international qu'Enfantin est en train de réunir. La Société d'études du canal de Suez, constituéeen 1846, comprend, outre l'italien Negrelli, des spécialistesanglais - Robert Stephenson- et frangais - les frères Talabot. À I'intérieur de la Société, se forme le groupe italo-allemand voulu par Dufour-Feronce et qui est constitué par la Lloyd autrichienne, la Chambre de commerce et la ville de Trieste. Bien que sespressantesrequètesà I'administration centraleafin de recevoir des subventions substantiellespour créer une ligne de navigation directe entre Trieste et Alexandrie n'aient pas donné de résultat, la Lloyd autrichienne, qui estime la liaison nécessaire, décide quand méme de la mettre en activité en 1848. Son ouverture est un investissementen vue de la future augmentation du trafic commercial avec l'Égypte qui, dans un monde encore dominé par les échangesmaritimes, se dirige dans son ensemble vers Alexandrie. La ville devient lieu de rencontre de banquiers, marchands et affairistes qui arrivent de toute l'Europe attirés par les potentialitésd'un marché en rapide expansionet par les prérogatives d'extraterritorialité en vigueur sur les territoires de I'Empire ottoman. DES BANQUIERS, DES MARCHANDS ET UN ARCHIDUC L,AFFAIRE DE SUEZ AU MITIEU DU XIXE SIÈCIE Les intéréts de Revoltella pour l'Égypte ont des motivations commerciales: il est en effet actionnaire de I'Impresa Legnami di Carintia qui fournit la matière première pour I'ouvrage du barrage du delta du Nil (1847-1852). Les navires sur lesquels voyage son bois appartiennent à une autre société de Trieste, celle d'Abram d'Abro et Giuseppe Yussuf, une famille arméniennede religion catholique provenantde Smyrne. Pietro Yussuf, le fondateur de la compagnie, est le frère d'un ministre de la maison régnante en Égypte, Boghos Yussuf, et il offre ses services financiers au vice-roi 11. I1 faut remarquer que r0 E. Bordignon, Luigi Negrelli, Le Tre Venezie, Venezia, 1941; <Luigi Negrelli e il Canale di Suez nelle carte del fondo Maria Gros Negrelli, Tomo I (1846-1858)>, F. A. Scaglione (éd.) in L'ltalia in Africa, série historique, vol. 4, Ministero degli Affarí Esteri, Comitato per la Documentazione delle Attività Italiane in Africa, soc. Abete, Roma, 1971 ; Ibídem, <<Tomo II (1859l8ó9)>, Roma, 1972. rr A. Millo, < Pasquale Revoltella. Una biografia tra Trieste e oltre>, in Pasquale Revoltella 1795-1869..., op. cit. o.42-43. LES BÀTIMENTS DE LA COMPACNIE DES ASSTCURAZIONI GENERALI AU CAIRE Pietro Yussuf prend part à la constitution des Assicurazioni Generali et fait partie de son conseil d'administration (depuis 1833), tout comme son cousin Abram d'Abro. Les Assicurazioni Generali, à partir de 1851, contractentbeaucoupde contrats d'assurance contre I'incendie dans la partie européennede la ville d'Alexandrie et on peut rapporter cela au fait qu'Abram d'Abro y exerce, à ce moment-là, son activité. C'est la grande période du développement urbain d'Alexandrie: pendant les quarante ans du règne de 'Ali, Muhammad le petit port de pécheurs qui, en 1800, comptait 8 000 habitants, se transforme en une ville de 105 000 habitants. Dans cet enchevétrementd'interèts, il ne faut pas oublier non plus l'histoire d'un entreprenant marchand de Gorizia, Carlo Marco Morpurgo. Envoyé à Alexandrie pour améliorer son expériencecommerciale, il approfondit ses rapports avec l'Égypte et fonde une banque avec son associé de Trieste, Francesco Mondolfo. La banque MorpurgoMondolfo participe au financement de l'ameublement et de la décoration du palais de Halim Pacha,père du vice-roi Said Pacha,à Choubra. Cette entreprisese termine toutefois par un procès car Halim Pacha refuse de payer les frais relatifs à la décoration 12.Les nombreux procès en dédommagementintentés par des Européens contre l'État égyptien et la maison régnante révèlent la gamme des moyens déployés par les représentantsdes pays occidentaux pour protéger les droits de leurs ressortissants; leur issue était le plus souvent au détriment des finances égyptiennes. Von Bruck, nommé ministre du Commerce en 1848, devient I'intermédiaire idéal pour les entrepreneursde Trieste. Il lutte pour obtenir des conditions de privilège qui puissent favoriser la ville, et, en 1850, I'Empire des Habsbourg concède à Trieste la prérogativede <città immediata>. Ce statut donne lieu à la création du Littoral autrichien, une région qui possède une structure politique et administrative totalement différente de celle des autresprovinces. C'est à Ferdinand de Lessepsqu'il revient d'avoir donné un nouvel essor à I'entreprise de Suez, qu'avaient ralentie les antagonismesentre les membres de la Société d'études et les conflits d'intérets des pays qui la composaient.Il encouragela création d'une commission internationale d'études et obtient du vice-roi d'Égypte le firman I'autorisant. Il ne restait plus qu'à obtenir l'approbation du gouvernementottoman, en raison de la clausedu traité de Londres (1841) conférantau sultan la souverainetésur l'Égypte. Ferdinand de Lessepsarrive à Constantinopleen 1855, lors de la guerre de Crimée. Il demande au sultan de ratifier les décisions prises par le vice-roi d'Égypte, fort des bons offices de von Bruck, devenu I'internonce autrichien. Bien que le désengagementdu gouvernementcentral représenteun obstacle difficile à franchir, ce sont encore une fois les intérèts des entrepreneursde Trieste qui vont permettre à l'entreprise de prendre corps. 12 L. Benedetti, Il civico museo Morpurgo di Trieste, Civici Musei di Storia e Arte di Trieste, Fantonigrafica, Martellago 1977, p. 13-15. Pour I'histoire de la famille Morpurgo, voir E. D. Morpurgo,La famiglia Morpurgo di Gradiscasull'lsonzo 1585-1885,PremiataSocietà CooperativaTipografica,Padova,1909. DTANA BARILLARI Un autre précieux allié du projet est en effet le frère de I'empereur Frangois-Joseph, l'archiduc Ferdinand-Maximilien,qui vit à Trieste depuis 1852. Pour les habitantsde la ville, c'est I'intermédiaireidéal: homme de lettres,il s'intéresseaux arrs et aux sciences et aime voyager. Ainsi, si la visite officielle qu'il effectue en Égypte en 1855 13 est à caractèrepolitique et commercial,elle est aussid'ordre culturel puisqu'elle est I'occasion d'acheterde nombreusespiècesarchéologiquespour la collection égyptiennequ'il est en train de réunir au chàteau de Miramar. Dans sa passion pour l'Égypte, les aspects historiques et scientifiques(la collection est,arrangéepar Léo Reinisch, un des plus illustres égyptologues d'Autriche) ont donc une grande importance, sans oublier le cóté économiqueet commercial.Officier de marine depuis 1854,1'archiducMaximilien donne mandat au consul autrichien Huber d'étudier une collaboration entre la Lloyd autrichienne et la Compagnie maritime du canal de Suez qui bénéficie de conditions fiscales et douanièresparticulières: une entreprise autrichienne aurait pu, de cette fagon, mettre fin au monopole maritime des compagnies anglaises et frangaisesla. La participation officielle de Revoltella à I'entreprise commence, quant à elle, en 1855, lorsqu'il annonceaux autoritéscommercialesde Trieste qu'il est devenu le représentant de la Compagnie. Il applique tous ses soins à placer les actions du canal de Suez (1858) et achètepersonellement40 000 actionspour un montant de 25 millions de francs. Ces actions sont en réalité la tranche qui revient à I'Autriche, qui ne veut pas participer de fagon officielle en raison de la délicate situation politique internationaleet de problèmes politiques intérieurs. L'acquisition des actions par Revoltella avait été convenue avec le ministre des Finances et avec d'autres membres du gouvernementfavorables à Suez dans I'espoir d'accélerer une intervention auprès du sultan pour le convaincrede donner son accord au début des travaux (le sultan ne signera le firman qu'en 1866). Le gouvernement ottoman, à qui revient le dernier mot sur I'entreprise de Suez, agit avec circonspectioncar il craint la réaction de I'Angleterre. En effet les Anglais s'opposent fortement à ce projet qui n'offre, sans aucun doute, des avantages qu'à la France et soutiennent au contraire la construction du chemin de fer. Dans ce contexte, I'Autriche choisit une position en retrait pour deux raisons: elle ne veut pas de conflits avec les autres puissances, mais surtout elle craint d'affaiblir I'Empire ottoman qui lui servait encorede solide rempart contre les mouvementsnationauxdans les Balkans. C'est pourquoi I'Autriche se refuse à exiger absolument que le gouvernement de Constantinople ratifie tous les actesde concessionsignéspar le vice-roi égyptien Saîd Pachapour le percement l'isthme de Suez. A Trieste l'ensemble des hommes d'affaires et des banquiersn'est pas satisfaitde l'attentismede I'Empire autrichien.Ils ont tous la plus ferme certitude que la reprise du port est une bonne affaire non seulementpour la ville, mais aussi pour I'Empire. t3 L. Crusvar, < Massimiliano e I'esotismo > in Massimiliano rilettura di un'esistenza, L. Ruaro Loseri (éd.), Edizioni della Laguna, Trieste/Monfalcone, 1992, p.146-181. 14(Gli studi sulla validità economicadel Canale e le iniziativedi Massimilianod'Asburgoin Egitto> in G. Lo Giudice,op. cít., p. 79-89. LES BATIMENTS DE LA ASSICURAZIONI CENERALI AU CAIRE Ce n'est pas par hasard que de Lessepsse trouve à Trieste le 23 février 1859, pour prendre part à I'inauguration du magnifiquepalais que vient d'y faire construireRevoltella: il veut rendre hommage à I'un des vice-présidents de la Compagnie et aussi rencontrer un autre invité, I'archiduc Maximilien. C'est à cette occasion que le statuaire Pietro Magni présentesa sculpture Le percement de l'isthme de Suezqui représentela grandiose entreprise avec des statues allégoriques de l'Europe, de la mer Rouge, de la mer Méditenanée, du commerce et de la navigation. La guerre franco-piémontaisecontre I'Autriche, ainsi que les mésaventuresjudiciaires de Revoltella n'interrompent que momentanément les relations. La mission diplomatique ne s'arréte pas méme lorsque von Bruck meurt soudainementen 1860. Entre 1861 et 1862, Revoltella se rend en Égypte ls pour examiner les travaux du canal de Suez qui avaient commencéen 1859, en dépit de l'opposition du gouvernement ottoman. Lesseps regoit à Alexandrie la délégation provenant de Trieste à laquelle appartiennentégalement I'ingénieur Giuseppe Sforzi comme représentantde la ville, et le capitaine Giovanni Nicolich de la Lloyd. Le but du voyage est de vérifier l'état des travaux et de prendre des contacts commerciaux et politiques. Revoltella rencontre les banquiers Mondolfo et Morpurgo ainsi que le consul de Belgique à Alexandrie, Zizinia, qui est très probablementun parent du triestin Stamati LtzLma',". Le caractèrecommercialet politique du voyage de 1861-1862de Relvotella se reflète dans la section égyptiennede sa bibliothèque: à cóté de titres tel que L'isthme de Suez. Journal de l'union des deux mers et des quatre tomes dt Percementde I'isthme de Suez. Documents publiés par Ferdinand de Lesseps, on y trouve la deuxième édition de la grandioseDescription de t'Égypte (Panckoucke,Paris 1820-1836)due aux savantsqui avaient suivi Napoléon en Égypte 17. À son retour, Revoltella présente son rapport de voyage au Conseil municipal de Trieste et en adresseune relation au ministre des Affaires étrangères,bientót suivie de lettres au président du Conseil des ministres et au ministre du Commerce. Il écrit, en tenant compte des intéréts économiques de la ville, au nom des hommes d'affaires de Trieste et ne cesse de répéter quelle magnifique occasion représente le canal de Suez pour les interéts internationaux. Ces notes positives ne cachent pas le point faible de I'affaire: le développementdu réseauferroviaire et des servicesmaritimes est insuff,sant. 1A l ) G. Cervani, 1/ Voyage en Égypte (1861-1862) dí Pasquale Revoltella, Trieste, 1962. Lors des massacres de Chio en 1822, Stamati Zizinia s'était réfugié en Égypte sous la protection de son ami 'Ali Muhammad avant de s'établir à Trieste où il appar a î t d a n s s e s p l u s i m p o r t a n t e s s o c i é t é s: m e m b r e fondateur de la Riunione Adriatica di Sicurtà, il siège également au comité des directeurs des Assicurazronr Generali de 1839 à 1844. 17 B. Cuderi, <Alcune annotazioni sulla biblioteca di Pasquale Revoltella> in Pasquale Revoltella..., op. cit., p. 174-187. Une section égyptienne avec de nombreux ouvrages sur I'entreprise de Suez se trouve aussi dans la bibliothèque de Maximilien à Miramar. DIAN,{ BARILLARI Ces considérationssont décrites dans son article <<Oesterreich's Betheiligung am Welthandel>>traduit en italien l'année suivantesous le titre < La partecipazionedell'Austria al commercio mondiale>>.Pour célébrer son engagement,le banquier charge en 1864 Alberto Reiger de peindre Le canal de Suez, huile qu'il place dans son bureau personnel afin d'avoir toujours sousles yeux I'cuvre qu'il a pendantsi longtempsrèvée.Le tableau représentele parcoursde Port-Saîdà Suez vu à vol d'oiseau. La mort empécheraRevoltella d'ètre présent à la cérémonied'ouverture du canal mais le premier bateau à avoir parcouru en entier le canal, avant méme I'achèvement des travaux, fut cependant le paquebot <<Primo>de la Lloyd autrichienne. Les opportunités ouvertes à la ville de Trieste par I'entreprise de Suez disparurent avec la mort de I'un de ses défenseursles plus acharnés: la vision organique et prévoyante de l'avenir du port dut céder la place aux voies de la politique et de la diplomatie, qui agissent avec plus de précautions et par conséquentplus lentement. Mème si dans les annéessuivantesle port de Triesteconsoliderasa place dans le commerceavec I'ExtrèmeOrient et que les navires de la Lloyd rejoindront les Indes, la Chine, Singapour et Hong-Kong, l'élargissement du port de Trieste, envisagé avec clairvoyance au milieu du xIXe siècle, ne serajamais achevé,et la ville continueraà étre pénaliséepar le fait que les structureset les jonctions nécessairesn'ont pas été terminées. LES BÀTIMENTS DES ASSICURAZIONI GENERALI AU CAIRE Sous I'habile direction de Marco Besso (1885-1920), les Assicurazioni Generali connaissent une période de grande prospérité, qui en fait la principale compagnie de I'Empire austro-hongroiset de I'Italie. Sa présence au niveau international devient remarquableau point qu'entre 1879 et 1882, non seulementelle consolide ses filiales en Grèce, à Tunis, en Turquie, mais elle ouvre aussi de nouvelles agences à Bombay, Colombo, Shanghai, San Francisco, Hong-Kong et Valparaiso.L'augmentation de son capital immobilier, réserve obligée pour garantir les assurancessur la vie, connaît de méme un remarquableessor.Cela conduit à une campalne d'acquisition de biens fonciers en Italie, Autriche, Hongrie et en Bohéme, ainsi qu'à la construction d'immeubles de rapport, au Caire comme à Istanbul, par exemple, qui signale I'importance que revètent les deux capitales pour la compagnie et reflète les liens anciens que celles-ci entretiennent avec Trieste et entre elles. C'est à Ermanno Gentilli, I'un de ses directeurs,qu'il revient de consolider le développementdes Assicurazioni Generali au Levant et en Égypte à partir des années1880. Le projet d'immeuble au Caire est confié à A. Lasciac, I'un des architectesles plus renommésparmi les nombreux professionnelsétrangersexergantalors en Égypte et qui sont le plus souventitaliens - si Lasciac lui-méme ne peut étre alors considéréjuridiquement comme tel puisqu'il est encore à cette date sujet de I'Empire des Habsbourg, il LES BATIMENTS DE LA COMPAGNIE DES ASSICURAZIONI GENERALI AU CAIRE n'en professepas moins des sentimentstrès italiens 18.Constructeurreconnu, Lasciac a par ailleurs à son actif plusieursréalisationsinspiréespar les traditionslocalesqui ont pu inciter les Assicurazioni Generali à le choisir. En 1898, Lasciac a en effet participé avec les frères Antonio et Francesco Battigelli de Trieste et sous la direction de l'architecte hongrois Max Herz à la construction de la villa Zogheb au Caire, qui constitue un important exemple de I'architecture moderne égyptienne, dans laquelle la reprise de la tradition fatimide et mamelouke donne forme au style national. Les architectes et les spécialistesétrangerssont les premiers à valoriser le patrimoine architectural de I'Islam, soit en en faisant renaître les formes dans une version renouvelée, soit en encourageantune campagne de sauvegardeet de restauration des monuments,ainsi qu'en témoignentla création,en 1881, du Comité de conservation des monuments de I'art arabe et la fondation du Musée national. Après I'expérience de la vtlla Zogheb, Lasciac abandonne l'indétermination de l'architecture éclectique et commence à dédier plus d'attention aux choix dictés par la rigueur de la philologie. On peut remarquer cette nouvelle orientation dans le salamlik de 'IJmar Sultan, bàti en 1907 (fig. 1), auquel fait suite sa maison de famille à Gorizia (1908-1909,frg"2 et 3) le et enfin I'immeuble des Assicurazioni Generali au Caire 20. La typologie qui satisfait au mieux les exigencesde la spéculation foncière et immobilière est celle de I'immeuble divisé en appartements.Outre la rentabilité du projet, les AssicurazioniGenerali cherchentaussià renforcerl'image de la compagnie,de sorte que l'investissement devient une opération de magnificence soulignée par le choix de I'architecte et du style. L'autre édifice dessinéultérieurement par Lasciac qui renvoit par son articulation et son style à cet immeuble est le siège central de la banque Misr au Caire (1927, fig. 6). Les archives de l'administration immobilière de la compagnie d'assurancesde Trieste indiquent que l'immeuble appartint à la compagnie dès 1908 et qu'il fut <<restauréet élevé en l9tl21>>. Lasciac est donc intervenu sur un édifice préexistantqu'il a soumis à une restauration(fig. 4 et 5), dont il est cependantdifficile d'estimer I'ampleur puisque l'état antérieur du bàtiment n'est pas connu. Les fagades présentent une ornementation néo-islamiquequi a súrement été dessinéepar Lasciac, puisque les affinitées avec sa villa de Gorizia sont évidentes. 18 Cf. M. Volait, <Un architecte face a I'Orient: Antoine Lasciac 1856-1946>, in Lafuíte en Egypte. Supplément aux voyages européens en Orient, J.-Cl. Vatin (éd.), CEDEJ, Le Caire, 1989, p. 265-2'73 et dans ce mème ouvrage la contribution de R. Agstner. re D. Barillari, <La villa egiziana di Antonio Lasciac a G o r i z i a : r e v i v a l i s l a m i c o n e l l a M i t t e l e u r o p a > > ,i n Q u a ' s r u r1 8 , j u i l . - d é c . 1 9 9 7 , p . l 9 - 3 0 . 20 Sur cet immeuble, cf. T. M. R. Sakr, Early TwenthieîhCentury Islamic Architecture in Cairo, The American University in Cairo Press, Le Caire, 1993, p. 58-59, 2l Aux archives sont conservées seulement quelques précieuses photos d'époque et la fiche avec les informations e s s e n t i e l l e s .L ' i m m e u b l e a é t é v e n d u e n 1 9 6 8 . DIANA BARILLARI L'immeuble se dresse sur une vaste parcelle en forme de trapèze de 1300 mètres carrés; il se composed'un rez-de-chaussée destiné aux magasins,de quatre étagesdestinés appartements, et aux d'un cinquième étage aménagédans les tourelles et dans les surélévations. Au croisement des rues Qasr al-Nil et Sherif (où se trouve 1'entréeprincipale), le volume massif du bàtiment présenteun pan coupé. La verticalité en est rompue par trois files superposéeset continuesde balcons étroits, soutenuspar des consolesmoulées et décorés de balustrades ajourées présentant des motifs caractéristiquesde I'art arabe, et qui courentjusqu'aux extrémitésde la tour d'artgle. Celle-ci est couronnéepar des merlons, soulignéspar des auventsen bois dentelé. La régularité de I'architecture européennese reflète dans la composition des fagades. A la monotonie des rangées continues d'ouvertures s'oppose cependantla variété de leurs encadrements:au rez-de-chaussée, ce sont des arcadesen plein cintre; les fenétres et portes-fenètresdu premier étage présentent des arcs outrepassés,brisés ou non - ces derniers avec un véritable accent < néo-byzantin>>; au deuxième et troisième étage, des linteaux se substituent aux arcs, à nouveau employés aux étages supérieurs. Les motifs de ces encadrementssont très raffinés, avec leurs moulures à boucles, ou leurs arcatures et écoingonssculptésen bas-relief. Le savant dosage des élémentsde composition des fagades,fruit d'une recherchecontinue de variation afin d'obtenir un effet pittoresque, de mème que les différentes hauteurs données à la construction, rendent ainsi le bàtiment moins lourd et massif. Lasciac, en fractionnantles fagades,rompt la sensationd'un seul et unique bloc, et crée un écran fait de différentes faEades,représentantainsi à sa manière les rues caractéristiquesdes vieux quartiers du Caire. Le thème de la mucharabiyya, cet encorbellement si caractéristique,est présent seulement le long des faEadeslatérales, et est reconnaissablepar le revètement en bois donné à la partie saillante. La modénature de la surélévation qui englobe les combles rappelle, pour sa part, la faEadedu palais des Doges de Venise,et pour compléterl'analogie, cette surélévationest agrémentéede petites fenétres en ogive. Les Assicurazioni Generali, pour marquer leur propriété,établissentleurs bureaux au rez-de-chaussée et exposentle symbole de la ville de Trieste, l'écu avec la hallebarde. La compagnie d'assurances,pour souligner I'importance de son implantation égyptienne, fera construire un autre immeuble, qui sera achevé en 1939, sur un terrain situé à I'angle des rues Imad al-Din et Abd al-Khaliq Tharwat qui avait déjà été acheté en 1932: le plan en est dressépar l'architecte Zarbz2 entre 1937 et 1938 (fig. 7). Sur ce terrain d'une superficieà peu près deux fois plus grande que celle de la parcelle occupéepar le bàtiment d0 à Lasciac, s'élève un immeuble de quatorze étagesavec une terrasseau sommet, qui présenteune dispositionplanimétriquetrès variée. 22Assicurazioni Generali Trieste Venezia 1938-XVI, T r i e s t e , 1 9 3 8 , B i b l i o t e c a A s s i c u r a z i o n iG e n e r a l i T r i e s t e . LES BATIMENTS DE LA COMPAGNIE DES ASSICURAZIONI GENERALI AU CATRE Les cages des escaliersprincipaux avec leur double ascenseursont disposéessymétriquement tout autour de la cour centrale et avec les sept escaliers de service desservent les appartements qui se trouvent sur les quatre cótés de l'édifice, comme on peut le remarquer aisément de l'extérieur en raison de la saillie des avant-corps.Le volume central de la constructiona une élévationmajeureet les appartementsqu'il contient ont une surface mineure, afin d'offrir plusieurs modèles d'appartementset assurerdonc un grand éventail de choix. C'est I'assemblagedes différents corps du bàtiment qui donne ici une variété à la composition, à laquelle fait face la simplicité et la linéarité de I'architecture rationaliste.Dans ce cas, le choix du style a été déterminémoins par une orientation largement repandue dans les milieux internationaux, que par I'influence exercée par le language architectural de Marcello Piacentini qui, au cours des année trente, a beaucoup construit pour les Assicurazioni Generali. En feuilletant une publication de la compagnie d'assurancesdatant de 1938, on retrouveen effet son nom à propos de ses immeubles de Turin, Milan, Trieste ou Zaghreb. Mais il est aussi vrai que le rationalisme est un language international puisque les immeubles de la compagnie d'assurances projetés ou en constructionen 1938, se ressemblenttous, qu'ils s'élèvent à Prague,Varsovie,Reichenberg, Bratislava, Kosice ou Rio de Janeiro. Au Caire méme, les représentantsdu style national y compris se sont soumis, après 1930, à la modernisationet à la simplificationde l'architecturedu Mouvement moderne; ainsi les formes de l'architecture arabe se sont effacéespour laisser place à I'encastrement des volumes et des formes et à la disposition ordonnée des éléments architecturaux et décoratifs.La première revue d'architecture,Al-'Imara (fondée en 1939)23,io.r" un róle fondamentaldans cette opération de modernisationen fournissant à seslecteurs les dessins et les projets des architectes égyptiens et occidentaux s'inspirant du rationalisme. Le revival arabeestjugé trop lié au passéet aussitrop traditionalistepour s'adapterà la vie contemporaine,et pour ces raisons il sera désormaisdisqualifié. Les deux vastes immeubles de la compagnie d'assurancesAssicurazioni Generali symbolisentainsi 1'évolutionde I'architectureégyptiennependant ces trente années,qui est celle d'une transition progressive vers la modernisation. Lasciac interprète cette modernisation en rendant vifs les liens avec la tradition, tandis que Zarb se conforme tout simplementau languagearchitecturalinternational.Pour la compagnied'assurances de Trieste,il s'agit dans les deux cas d'un investissementde longue durée,I'ayant rendue propriétairede biens immobiliers particulièrementprestigieuxqui lui assurèrentun profit constantdans le temps. zi Cl. M. Yolait, L'architecîure moderne en Égypte et Ia revue Al-'lmara (1939-1959), Le Caire, CEDEJ, 1988. 1907-1908.(Sociétéde du Caire, Vi.l.l.aLasciac. détail de la facade orincipale. l. A. Lasciac, Immeuble des Assicurazioni )enerali, Le Caire, 1911. Trieste, A rchives des Assicura:ioni )enerali). i. A. Lasciac, Immeuble des Assicurazioni jene rali, détail du rez-de-chaus sée, ,e Caire, l9ll. Trieste, Archives des Assicura:ioni )enerali). ''iin'i^ i:, M9, 6. A. Lasciac, Banque Misr, détaíl de I'entrée PrinciPale, Le Caire, 1927. (Société de GéograPhie du Caire' reproduction lfao). :t. tta tr" ilr. i. ,t 'lf. Ir. ilf [Ir llr ,llri' ' lfl- Generali' Le Caire' 1937-1938 ' 7. A. Zarb, Immeuble des Assicurazioni rali )' ene G ní urazio s ic As ( T riest e, Archiv es de s