La réalité virtuelle, “ machine créatrice d’empathie ” ?
Limites et enjeux autour d’une interface immersive
Camille Hummel
To cite this version:
Camille Hummel. La réalité virtuelle, “ machine créatrice d’empathie ” ? Limites et enjeux autour
d’une interface immersive. Science politique. 2016. �dumas-01430349�
HAL Id: dumas-01430349
https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01430349
Submitted on 9 Jan 2017
HAL is a multi-disciplinary open access
archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from
teaching and research institutions in France or
abroad, or from public or private research centers.
L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est
destinée au dépôt et à la diffusion de documents
scientifiques de niveau recherche, publiés ou non,
émanant des établissements d’enseignement et de
recherche français ou étrangers, des laboratoires
publics ou privés.
Vous allez consulter un mémoire réalisé par un étudiant dans le cadre de sa scolarité à
Sciences Po Grenoble. L’établissement ne pourra être tenu pour responsable des propos
contenus dans ce travail.
Afin de respecter la législation sur le droit d’auteur, ce mémoire est diffusé sur Internet en
version protégée sans les annexes. La version intégrale est uniquement disponible en intranet.
SCIENCES PO GRENOBLE
1030 avenue Centrale – 38040 GRENOBLE
http://www.sciencespo-grenoble.fr
UNIVERSITE GRENOBLE $/3(6
Sciences Po Grenoble
Camille HUMMEL
La réalité virtuelle, “machine créatrice d’empathie” ?
Limites et enjeux autour d’une interface immersive
« Gender Swap » par The machine to be another lab, installation à Mu Art Space
(Eindhoven, Pays-Bas.)
2016 TRANSMEDIA Sous la direction de Pascal Clouaire
2
UNIVERSITE GRENOBLE$/3(6
Sciences Po Grenoble
Camille HUMMEL
La réalité virtuelle, “machine créatrice d’empathie” ?
Limites et enjeux autour d’une interface immersive
2016 TRANSMEDIA Sous la direction de Pascal Clouaire
3
Sommaire
Remerciements.................................................................................................................................5
Introduction....................................................................................................................................6
I) État des lieux et projections sur les médias : les attentes qui entourent la sortie des
casques..........................................................................................................................................10
A) L’empreinte des interfaces : Genèse des relations entre médias hommes et la société............11
B) De l’immersion à l’empathie : Construction d’une prophétie autour de la Réalité Virtuelle. .20
II) La Réalité Virtuelle, un média réellement immersif ? Étude de la qualité immersive de
la VR à travers l'exemple du Photographe Inconnu.................................................................30
A) Méthodologie d’analyse pour l’étude de cas du Photographe Inconnu...................................31
B) Analyse du dispositif et des discours des concepteurs..............................................................39
III) La réalité virtuelle, vers “le meilleur des mondes” ? Limites et enjeux d’un nouveau
média.............................................................................................................................................56
A) Les émotions comme finalité : limites du pouvoir de l'immersion et des médias sur les
hommes et la société......................................................................................................................57
B) La réalité virtuelle au travers le prisme d'enjeux pluriels et d'intérêts divergents : Nouvelle
approche sur la réalité des casques...............................................................................................63
Conclusion....................................................................................................................................72
Bibliographie..................................................................................................................................74
Annexes..........................................................................................................................................77
Table des matières........................................................................................................................92
4
Remerciements
Merci à Pascal Clouaire et Daniel Bouillot pour leur encadrement tout au long de notre
scolarité et durant l'écriture du mémoire. Merci aussi à Sophie Ollier qui a été présente et d'un
grand soutien pour notre classe Trasnmédia durant les deux ans de master !
Un grand merci à Turbulent qui m'a offert un cadre idéal pour étudier mon sujet de mémoire dans
les meilleures conditions et m'a laissé une grande liberté et autonomie pour effectuer mon cas
pratique. Merci aux associés et principalement à Claire Buffet de m'avoir accueillie au sein du
département Création et Contenus de l'entreprise. Merci aussi à tout l'équipe de LPI pour leurs
disponibilités, et particulièrement à Loïc pour ses précieux conseils de lecture. Merci à Laure,
Osman et Alexandre pour nos discussions sur la VR qui ont enrichi ma réflexion.
Merci évidemment à ma mère, qui relit avec la même assiduité tous mes travaux scolaires, ce
depuis que j'ai appris à écrire. Promis Maman, je ne ferai pas de thèse ! Merci aussi à mes deux
parents qui ont toujours supporté mes choix et m'ont aidé à partir au Canada.
Merci enfin à mon coach, Paul, qui a su faire preuve de qualités tyranniques pour me contraindre
à étudier quand le beau temps déviait mon attention du doux chemin de l'apprentissage. Son
écoute, son aide et sa patience n'ont jamais fait défaut ; Ils ont été des piliers sur lesquels mes
nerfs ont pu s'appuyer sans relâche pendant ces 6 derniers mois.
5
Introduction
« The machine to be another»1 est un collectif international qui utilise le médium de la
réalité virtuelle pour des installations artistiques. Celles-ci connectent deux utilisateurs qui
portent chacun un casque de réalité virtuelle muni d'une caméra. Ce dispositif permet d'inverser
les « enveloppes corporelles » pour quelques minutes afin de se sentir dans le corps de l'autre,
avoir les sensations d'autrui et découvrir la réalité de son point de vue. La communauté virtuelle
permise par les nouveaux médias rapproche et rend accessible en quelques clics chaque
individu ; Ici, cette installation offre une expérience unique qui au-delà de nous rapprocher,
révolutionne ce concept de proximité en nous téléportant dans le corps de l'autre. Synonyme
d'immédiateté, l'omniprésence des nouveaux médias a en effet bouleversé la transmission et
réception d'informations dans nos modes de communication, amenant analystes de tous champs
disciplinaires (sociologie, philosophie, histoire....) à présenter notre époque comme celle d'une
"Révolution numérique". Derrière ce terme rassembleur, les points de vue et théories divergent et
finissent même par s'opposer. Entre utopisme et radical criticisme, divers sujets sont l'objet
d'étude de nombreux chercheurs.
Parmi les penseurs critiques, on trouve le sociologue Dominique Boullier, dont le travail
traite principalement du "marché de l'attention". En effet, l'attention des individus est un objet
d'étude intéressant, elle reflète plusieurs phénomènes : indicateur des mœurs d'une société et de
la manière dont s'y tissent les liens sociaux, c'est aussi l'objet des luttes publicitaires, marketing
et par conséquences, économiques. Son étude permet ainsi de dévoiler les enjeux tissés entre
individus, société et médias. L'attention se fait de plus en plus rare, sa captation est devenue un
bien précieux2. Partant de ce constat,
1
D. Boullier retrace l'histoire de cette faculté pour
Site web accessible sur <http://www.themachinetobeanother.org/>
2
"Il faudrait ajouter aujourd’hui que la disponibilité n’est pas seulement celle du temps libre, certes encore rare,
mais aussi celle de l’esprit, de l’attention, tant elle est sollicitée par des informations et des attractions de tous
types[...]. " BOULLIER Dominique, « Composition médiatique d’un monde commun à partir du pluralisme des
régimes d’attention »
6
appréhender les grandes mutations que cette dernière a connue. 3 A chaque type d'organisation
sociétale, un mode d'attention en particulier est produit par les industries 4. Les lois économiques
s'entremêlent aux lois sociales, les industries reprennent ces mécanismes et y insèrent leurs
logiques marketing. Par exemple, la convergence de différents facteurs du XXIème siècle a fait
évoluer les sociétés traditionnelles : leur fonctionnement social basé sur la fidélité et l'attention
des individus caractérisé par son intensité ont ainsi muté. Les flux tendus d'informations permis
par les nouveaux moyens de communication ont provoqué un nouveau régime d'attention
suscitant une constante sollicitation. A ce rythme intense et prolifique, les industries ont répondu
avec un nouveau régime d'attention, fondé sur "un modèle de l'alerte."5 Actuellement, les
industries développent des stratégies d'attention hybrides qui se concentrent principalement sur
l'immersion. A l'image des jeux vidéos6, ces solutions émergentes marient le système de l'alerte
par une tension constante qui maintient l'attention éveillée à un système de récompenses et
découvertes qui permettent la durée de l'intensité propre à la fidélisation. Boullier appelle à tenir
une position vigilante face à « modes de production d'attention ». Liées à des processus longs et
discrets, ces stratégies modifient durablement notre perception cognitive et
nos relations
sociales.
Parallèlement à ces analyses critiques, des discours très optimistes et empreints d'utopisme, se
font aussi entendre dans l'espace public.
Construisant sa pensée sur une conception nouvelle de la nature humaine 7, l'économiste
Jeremy Rifkin considère pour sa part la révolution numérique comme une nouvelle étape de
l'humanité pour atteindre ce qu'il appelle, la "Civilisation de l'empathie".8 Ce dernier se félicite
3
“ [...] un modèle centré sur la durée, celui de la fidélisation, jusqu’au modèle centré sur l’intensité, celui de l’alerte
que nous venons d’évoquer sous la figure du zapping." BOULLIER Dominique, « Les industries de l'attention :
fidélisation, alerte ou immersion », Réseaux 2009/2 (n° 154),, p 233
4
Voir aussi annexe 1, la boussole de l'attention de Dominique Boullier
5
"En submergeant les acteurs d’informations qu’ils n’ont pas nécessairement demandées et qu’ils ne parviennent
plus à trier, à évaluer ni à interpréter, c’est précisément l’attention que l’on a rendue rare." ibid, p. 231.
6
"le jeu vidéo constitue l’archétype de la nouvelle industrie de l’attention" ibid p240
7
“ [...]Les récentes découvertes des spécialistes du cerveau et du développement de l’enfant nous forcent à
rééxaminer la vieille idée d’un être humain qui est naturellement agressif, matérialiste, utilitariste et égoïste”. “
RIFKIN Jeremy, Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Civilisation de l'empathie,Ed. Les liens qui
libèrent, 2011, p 11
8
“Tout au long de l’histoire, de nouveaux régimes énergétiques ont convergé avec des révolutions des
communications pour créer des sociétés de plus en plus complexes. Ces civilisations technologiquement plus
avancées ont alors rassemblé des populations diversifiés, intensifié la sensibilité empathique et élargi la conscience
humaine.” ibid,p13
7
d' une évolution des relations interpersonnelles et des considérations sociales qui oriente celles-ci
de plus en plus vers l'autre. Ses propos reposent sur des constats qui à première vue sont
anecdotiques et restent discutables. Comme preuve de cette évolution sociétale, il cite
notamment un sondage effectué auprès des électeurs américains 9. Ce sondage avait en effet
révélé que ces derniers portaient une majeure importance à ce qu'un candidat pour les
présidentielles fassent preuve d' empathie. De même, les réseaux sociaux, représentent selon lui
un "multiplicateur empathique". Ce concept s'inscrit dans l'idée qu'un tissu social unit chaque
individu de la planète à des degrés directs ou indirects.10 Autrefois « égoïste », l'homme du XXI
ième siècle ne serait donc plus qu'à “six degrés de séparation de l’empathie mondiale". 11 Les
propos de J. Rifkin ne sont pas très convaincants et gardent un caractère assez irréaliste a priori.
De plus, ils s'ancrent dans une vision assez fermée de l'humanité 12 et font de nos modèles, une
généralité. Cependant, il reste important de considérer ces propos : ils représentent une vision
partagée par plusieurs acteurs et dont la parole est fortement mise en avant sur la scène
médiatique.
Dans ce contexte riche et complexe, un nouveau média émerge : la Réalité Virtuelle. En
développement depuis les années quatre vingt dix, ce média a atteint l'âge de la maturité cette
année.
Grâce au « »tracking de position » de l'utilisateur, à un champ de profondeur
stéréoscopique et un champs de perception sur 360 degrés, cette nouvelle technologie est la
promesse d'une innovation de rupture avec les médias traditionnels. Supposé offrir une
immersion complète et totale, ce média est sujet à divers attentes. La transversalité entre « sens,
sensations et sentiments » qu'il permet amènent certains à le considérer comme une « machine
9
“La question de l’empathie dans le sondage sur le profil du président reflète l’immense changement qui a touché
les valeurs humaines au cours des dernières années. “ ibid, p 419
10
" Les réseaux de communication mondiaux nous permettent d’imaginer un “multiplicateur empathique” par lequel
chaque nouvelle percée compatissante hors des frontières traditionnelles qui séparaient les humains entre eux et les
humains des espèces animales feraient tâches d’huile, influençant d’innombrables autres êtres, jusqu’à englober
rapidement l’ensemble du genre humain.” ibid p 445
11
"Comment comprendre une telle empathie ? [...] Nous sommes sortis de l'ère égoïste de la fin du XX e siècle, nous
nous découvrons tous reliés, interdépendants, comme nous sommes tous associés et menacés par les nuages de
particules radioactives qui se dispersent au-dessus du Japon." JOIGNOT Frederic, "Jeremy Rifkin, une empathie
nouvelle gagne l'humanité", Le Monde, 15/04/2011, disponible sur http://www.lemonde.fr/weekend/article/2011/04/15/jeremy-rifkin-une-empathie-nouvelle-gagne-lhumanite_1507194_1477893.html#eucfvv56DSyWH63B.99 consulté le 01/05/2026
12
“La nouvelle conscience empathique émerge dans les sociétés technologiquement les plus avancées,qui sont
toujours plus interconnectées au sein d’un complexe mondial d’associations et de réseaux culturels, économiques et
sociaux.” ibid, p44
8
créatrice d'empathie ». Par sa nature, ce média semble donc cristalliser les constats que nous
avons évoqués – immersion et empathie -. Les caractéristiques qu'il présente font des casques de
réalité virtuelle un objet d'étude idéal pour appréhender les points de vue portés par Boullier et
Rifkin selon un nouvel angle.
Aussi en centrant notre axe sur les expériences de réalité virtuelle, notre étude pourra
alimenter la réflexion générale qui entoure la relation entre hommes, interfaces et société à
l'heure de la révolution numérique. Avec une approche transdisciplinaire, nous analyserons
l'impact de la réalité virtuelle à trois échelles : cognitive, physique et sociale pour essayer de
répondre à l'interrogation : dans quelle mesure et avec quelle intensité la réalité virtuelle change
notre rapport au monde et aux autres? Pour cela, nous allons tout d'abord présenter la vison des
médias dans laquelle notre étude va s'inscrire. Une fois expliquée, l'angle assumé pour étudier les
médias nous permettra de se concentrer sur notre objet : la réalité virtuelle. Nous analyserons la
celle-ci en choisissant les discours les plus portés sur la scène médiatique à ce jour.
En
particulier, nous zoomerons sur les hypothèses émises dans ces discours qui traitent des
« pouvoirs de la réalité virtuelle ». Une fois explicitées, nous testerons ces hypothèses
empiriquement et théoriquement. Précisément, nous confronterons celles-ci à la réalité au travers
l'étude de cas de l'expérience de réalité virtuelle Le Photographe Inconnu. Enfin, nous
comparerons ces hypothèses à des points de vue tirés de différentes disciplines.
9
I) État des lieux et projections sur les médias : les attentes qui entourent la
sortie des casques
“It connects humans to other humans in a profound way that I've never seen before in any other
form of media. And it can change people's perception of each other. And that's how I think
virtual reality has the potential to actually change the world.”
Chris Milk, artiste numérique
“What if I could present you a story that you would remember with your entire body and not just
with your mind? [...]Now, when you're in the middle of that scene and you hear those sounds,
and you see the injured around you, it's an incredibly scary and real feeling.”
Nonny de la Penna, journaliste
10
Dans cette première partie, nous allons chercher à présenter le contexte global, à la fois
théorique et médiatique qui entoure les médias de la réalité virtuelle. En partant des théories de
deux auteurs des sciences de l’information et de la communication, nous étudierons les enjeux
autour des médias et de l’être humain en général (I.A.1) puis dans un second temps, ceux autour
du cas plus particulier de l’interface de l’écran. (I.A.2). En nous référant aux théories qu'ils ont
défendues, nous orienterons définitivement notre regard sur les casques de RV. Après un tour
d’horizon sur le contexte qui entoure la commercialisation de ce média (I.B.1), nous focaliserons
notre attention sur les assertions de certains créatifs et réalisateurs de contenus pour ce média.
(I.B.2) En étudiant comment leurs points de vue sont en concordance avec nos théoriciens, nous
poserons alors notre hypothèse de travail ( I.B.3)
A) L’empreinte des interfaces : Genèse des relations entre médias
hommes et la société.
En nous référant aux deux ouvrages majeurs de l’œuvre de Mac Luhan, nous allons, dans une
première partie, se saisir des éléments principaux de sa réflexion autour des médias et de leurs
impacts sur l’Homme et la société. Nous tenterons ici de revenir sur les concepts fondateurs de
ses théories tout en essayant d’en approfondir les aspects plus méconnus pour en comprendre
toute leur signification (I.A.1). Nous verrons ensuite comment ces concepts ont évolué dans le
champ disciplinaire et comment notamment Lev Manovich se les est appropriés dans ses
théories. L’interface de l’écran étant au centre du travail de ce théoricien, cette étude nous offrira
une transition vers la réalité virtuelle, notre objet d’étude spécifique. ( I.A.2)
1 ) Mac Luhan : Premier coup de projecteur sur les médias
La primauté des médias et la classification macluhanienne
En 1968, Mac Luhan publie son ouvrage “Pour comprendre les médias”. Les postulats
avancés dans cet essai ouvrent de nouvelles voies dans les sciences de la communication pour
comprendre les phénomènes médiatiques de l’époque. Cette dernière correspond en effet à l' âge
11
de la démocratisation de la télévision, du cinéma et de l’industrialisation des médias traditionnels
(radios, magazines…). Aussi, ses théories trouvent un important écho dans la société nord
américaine des années soixante aux prises avec l’adoption de ces nouveaux médias. Suite à sa
réflexion entamée dans “Pour comprendre les médias”, il publie en 1970 “Guerre et Paix dans
le village planétaire”, ouvrage qui répond à un certain nombre de critiques reçues.
Les théories de Mac Luhan révolutionnent le champs disciplinaire de l’analyse des médias,
donnant à ces derniers une place prépondérante et une définition très large.
Le premier changement de paradigme apporté par l’auteur dans ce champ scientifique est la
définition même de média. Ce dernier est en fait n’importe quel “prolongement technologique
de l’homme”. L’électricité, la roue, ou encore le chemin de fer sont donc regroupés sous la même
catégorie que la télévision, le livre et la radio. Ce qui fait d’un objet un média c’est sa capacité à
transporter quelque chose, que ce soit un message, de la matière, de l’énergie. Ce transport
forcément va augmenter ou réduire les espaces spatio-temporels entres les hommes. Les médias
effectuent des changement d’échelles dans nos échanges, cette action a donc un impact sur
l’homme, et l’organisation de la société.13 Dans son premier chapitre, Mac Luhan traite
longuement de l’électricité pour expliciter sa conception du média. En effet, l’électricité est un
média, elle ne véhicule pas de message mais transporte une information pure, et l'on voit bien
l’impact énorme qu’elle a sur nos modes de vie et notre organisation sociale.
14
Elle a modifié la
vitesse avec laquelle l'on peut se communiquer des informations via le téléphone. Surtout, en
permettant la lumière artificielle,elle a libéré notre rythme de celui du soleil et a par conséquent,
modifier en profondeur notre rapport à l’environnement.
Mac Luhan insiste énormément sur l’importance de différencier le “contenu” et le “contenant”.
Cette confusion entre les deux est périlleuse : il compare d’ailleurs le contenu à un genre d’appât
qui détourne l’attention.15 Parce qu’il détient un message, le contenu est un voile qui cache ce qui
13
"En effet, le "message" d'un médium ou d'une technologie, c'est le changement d'échelle, de rythme ou de
modèles qu'il provoque dans les affaires humaines. [...]C'est le medium qui façonne le mode et détermine l'échelle
de l'activité et des relations humaines.", MAC LUHAN Marshall, “Pour comprendre les médias”, Édition le Seuil,
1964, p39
14
“ La vitesse de l’électricité mélange les cultures de la préhistoire, et les détritus des boutiquiers de l’ère
industrielle, les analphabètes avec les demi-alphabétisés et les postalphabétisés. L’effondrement mental est le
résultat le plus courant de ce déracinement et de cette submersion dans un flot mouvant de modèle d’information”
ibid. p 50
15
“Le contenu d’un médium peut être comparé au savoureux morceau de bifteck que le cambrioleur offre au chien
de garde de l’esprit pour endormir son attention. L’effet d’un médium est puissant et intense parce qu’on lui donne
12
a un effet profond et durable : le média. Aussi notre manque de vigilance permet au média de
nous modifier de manière douce et profondément.
16
L’électricité par exemple impose une vitesse
et un flot d’informations créateur d’acculturation pour des sociétés qui ne partagent pas les
mêmes moyens de diffusion d’informations. 17
A partir de ce nouveau paradigme, Mac Luhan propose une nouvelle classification des médias. Il
répertorie ces derniers selon leur “définition”, c’est à dire leur qualité de transmission (on
pourrait aussi utiliser la notion de “bruit” comme dans les premiers schémas cybernétiques 18).
Précisément, il pose ce postulat : plus la définition d’un média est importante, plus il aura la
capacité d’absorber l’attention de son récepteur et de supprimer par la même occasion
l’environnement qui l’entoure. Ainsi, pour Mac Luhan, il existe des médias chauds, c’est à dire à
forte définition, et des médias froids, à basse définition. 19 Ces derniers, par leur nature, laissent
plus de possibilités aux récepteurs de participer et d'interagir avec le contenu. Au contraire, les
médias chauds sont très absorbants et rendent par conséquent leurs sujets “passifs”.20
Le village global et ses risques sur la société
Selon Mac Luhan, les médias ont un impact plus profond sur notre structure neurologique
que leur contenu même21. Au delà de nous servir d’outils, les médias sont compris par notre
corps et notre cerveau comme des “extensions sensorielles”22. Pour cette raison, les
un autre médium comme
“contenu” ». ibis. p 52
16
«tous les médias ont ce pouvoir d'imposer à quiconque n'est pas sur ses gardes les postulats sur
lesquels ils reposent.» ibid. p. 48
17
“ La vitesse de l’électricité mélange les cultures de la préhistoire, et les détritus des boutiquiers de l’ère
industrielle, les analphabètes avec les demi-alphabétisés et les postalphabétisés. L’effondrement mental est le
résultat le plus courant de ce déracinement et de cette submersion dans un flot mouvant de modèle d’information” p
50
18
Voir annexe 6
19
À noter que dans la théories Mac Luhanienne, un média chaud ou un média froid n’a pas le même effet si il
s’adresse à un membre d’une société à une culture chaude ou une culture froide.
20
« Les médias chaud ne laissent à leur public que peu de blancs à remplir ou à compléter. Les médias chaud, par
conséquent, découragent la participation ou l'achèvement alors que les médias froids, au contraire, les favorisent. "
ibid. p 60
21
“Beaucoup de gens croient que ce n'était pas la machine elle même, mais bien l'usage qu'on en faisait, qui était
signifiant, qui était le message.", ibid. p 37
22
"Toutes les inventions ou technologies sont des prolongements ou auto - amputations de nos corps; et des
prolongements comme ceux là nécessitent l'établissement de nouveaux rapports ou de d'un nouvel équilibre des
13
prolongements qu’ils représentent viennent déséquilibrer la répartition de notre perception entre
nos sens. On retrouve ici l’idée du “sensorium”, un concept cher à Mac Luhan et à de nombreux
autres théoriciens des médias. Cette idée postule que la perception c’est à dire le moyen
d’expérimenter et d’interpréter un milieu repose sur la cohésion des sensations transmises aux
sens. Ainsi, une sensation ne sollicite jamais un seul sens : s’il y a un récepteur majeur, les autres
sens restent impactés. Cet impact est “positif” si les sens secondaires restent actifs dans la
réception, ou “négatif “ si les sens sont “remplacés” par le média.
Par exemple, Mac Luhan met en lumière une expansion de la vue dans le sensorium des
membres des sociétés européennes. Ce phénomène prend racine dans la tradition européenne qui
mettait jusque là les sens de l’ouïe et du tactile en avant. Cet équilibre est peu à peu modifié avec
l’apparition de la télévision.23 Puisque la vue est plus sollicitée qu’auparavant mais qu’elle reste
reliée aux autres sens par le sensorium, la télévision a des répercussions sur tous les sens.
24
La
pensée de l’auteur va encore plus loin : au delà d’affecter nos sens, certains médias modifient
même notre système nerveux.25 Comme on l’a vu, lors des transports d’informations, les médias
effectuent inévitablement une traduction de l’information dans leurs langage ; De manière
imperceptible, le média nous « force » alors à adopter ses codes et ses grammaires.26
Lors de ces transports, le média modifie aussi les échelles temporelles et spatiales entre un point
A et un point B. Il y a donc un changement de note perception de l’environnement qui nous
entoure et de nos relations lors de l’usage d’un média. Historiquement, les changements opérés
par les médias tendent tous vers une réduction des échelles. L'exemple de la communication
orale illustre ce phénomène. Téléphone fixe, téléphone mobile, applications de discussions en
ligne comme Whats app … Chaque nouvelle technologie représente une nouvelle étape vers un
temps réduit pour entrer en communication avec son destinataire. Selon Mac Luhan, ce
autres organes et des autres prolongements du corps". ibid. p 90
23
"Dans l'Europe auditive - tactile, la télévision a renforcé l'importance de la vue et favorisé une évolution vers les
goûts américains en matière de vêtements et d'emballage. En Amérique, dans une culture intensément visuelle, la
télévision a ouvert les portes de la perception auditive - tactile sur le monde non visuel des langages parlés, de la
nourriture et des arts plastiques. " ibid. p 90
24
"En tant que prolongements et accélérateurs de la vie sensorielle, les médias, quels qu'ils soient, affectent sur-lechamp la totalité du champ sensoriel [...]" ibid. p 91
25
"En mettant nos être physiques , par les médias électriques, à l'intérieur de nos systèmes nerveux prolongés, nous
créons une dynamique dans laquelle toutes les technologies antérieures qui sont de simples prolongements des
mains, des pied, des dents et des régulateurs thermiques du corps , seront traduites en système d'information." ibid.
p 108-109
26
" Voir , percevoir ou utiliser un prolongement de soi-même sous une forme technologique, c'est nécessairement s'y
soumettre." ibid. p 92
14
phénomène crée une implosion de la société. Il utilise la métaphore du village global pour
illustrer l’effet de rapprochement des individus par les nouveaux médias. Si le terme de “village”
semble rassurant voire idyllique, Mac Luhan ne l'idéalisme pas pour autant. Au contraire, comme
il l’affirme dans son ouvrage “Guerre et Paix dans le village planétaire” , le village est aussi un
lieu de repliement sur soi même , un espace de commérage qui manque d’ouverture sur l’autre.
Loin des images d' un peuple unifié harmonieux et solidaire, Mac Luhan rejette en bloc l’idée
que le “rétrécissement” du monde à l’échelle d’un village aboutisse de fait, à un monde meilleur.
Dans l’intégralité de son oeuvre, Mac Luhan a tenté de montrer dans quelle mesure les médias
affectent nos vies et notre psychisme. Chacun de ses ouvrages est une mise en garde envers
certains médias, notamment la télévision qui réduit notre puissance d’agir, notre espace et par
conséquent notre sentiment de liberté.
Les propos de Mac Luhan ont été fortement critiqués à l’époque et le sont encore aujourd’hui.
On lui reproche notamment la place prépondérante qui est donnée aux technologies et par
conséquent le manque de considération des usagers. Comme toute théorie pure, celle de Mac
Luhan est à appréhender avec nuance et recul. Dans tous les cas, sa vision nous permet
d’apprécier la partialité d’un média, son impact sur ses récepteurs et sur le message même qu’il
porte. C'est en considérant tous ces éléments que nous adopterons donc l'angle proposé par Mac
Luhan pour poursuivre notre étude.
Aussi, si l’oeuvre de Mac Luhan n’aborde pas le sujet de Réalité Virtuelle (RV) en soit, il n’en
demeure pas moins que la pensée de cet auteur nous éclaire sur le rôle des médias et forcement
celui de la RV. En croisant ces propositions avec celle Lev Manovich, un auteur contemporain à
Mac Luhan, nous réunirons ainsi une base théorique pour appréhender les perspectives qui
accompagnent la réalité virtuelle.
15
2) Impacts de l’interface de l’écran chez Manovich
Lev Manovich est un théoricien des médias du XXI ème siècle, actuellement professeur
en Computer Sciences à l’université de New York. En 2001, il a publié l’ouvrage “Le langage
des nouveaux médias” considéré par les critiques comme une des études des médias les plus
approfondies depuis les théories de Mac Luhan. Dans son livre, Lev Manovich s’applique à une
analyse systémique des nouveaux médias. Au travers de leur histoire et de leur contexte sociohistorique, l’auteur tente de donner une lecture profonde “des logiques qui commandent le
développement du langage des nouveaux médias.” 27
Dans la lignée de Mac Luhan, Manovich souligne dans son ouvrage les conséquences “mentales”
que provoquent les interactions avec un média. Il critique ouvertement le terme de média
interactif, appellation “tautologique”28 selon lui puisque tout média par définition constitue une
interface homme/machine induisant une interactivité entre ces deux. Néanmoins, il approfondit
la réflexion sur cette “interactivité” et comme Mac Luhan, il précise et met en lumière que
certains médias ne créent pas une simple interaction physique mais provoquent aussi une
interaction psychologique.29 Cette interaction psychologique peut avoir des répercussions sur le
psychisme de l’individu : le cerveau doit apprendre à lire et s’adapter à la grammaire du média
émetteur. Il établit une mise en garde envers les discours utopiques qui accompagnent ces
nouveaux médias. Il considère ces discours d’autant plus dangereux que la présence des
interfaces dans nos sociétés connaît une croissance exponentielle. 30
27
MANOVICH Lev, Le langage des nouveaux médias, Editions les presse du réel, 2010 p 30
" Considéré par rapport aux médias informatisés, le concept d'interactivité est tautologique. Une interface hommemachine moderne est interactive par définition. [...]", MANOVICH Lev, Le langage des nouveaux médias, Editions
les presse du réel, 2010 p142
29
"L'interface façonne la manière dont l'utilisateur conçoit l'ordinateur lui même. Elle détermine aussi la façon dont
il se représente tout autre objet médiatique auquel l'ordinateur lui donne accès. Dépouillant les divers médias de
leurs traits distinctifs originels, l'interface leur impose sa propre logique. Enfin ,par sa façon particulière d'organiser
les données informatiques, elle offre des modèles du monde bien distincts. " ibid. p158
30
"L'interface finit par jouer un rôle crucial dans cette société de l'information d'une autre manière encore. Dans
cette société, non seulement le travail et les loisirs impliquent de plus en plus l'usage de l'ordinateur, mais les deux
convergent vers les mêmes interfaces. A cet égard, la société de l'information est assez différente de la société
industrielle caractérisée par une séparation nette entre le domaine du travail et celui des loisirs. " ibid. p 159
28
16
L’interface de l’écran est un dénominateur commun à de nombreux nouveaux médias.
Considérée comme une interface “agressive”31, c’est une technologie sur laquelle s’arrête
longuement Manovich dans son ouvrage. Au travers de deux angles d’analyse : la temporalité et
l’espace, il propose alors une généalogie de l’écran.
Spatialité et temporalité de l’écran : la double identité du spectateur
En analysant l’écran sous le premier angle de la temporalité, il distingue trois temps dans
l’histoire de ce dernier : celui de l’écran classique (un livre ou une peinture par exemple) qui
donne à voir une “image statique”, celui de l’écran dynamique (la TV par exemple) qui donne à
voir une “image du passé en mouvement” et enfin l’écran temps réel (l’ordinateur ou le
téléphone) qui donne à voir “une image en mouvement du présent”. Ces trois types d’écrans ne
sont pas à comprendre dans un ordre chronologique, ils cohabitent simultanément dans nos
sociétés. Cette caractéristique sert plutôt à rendre explicite les différences entre les médias. Si ces
machines (TV,ordinateur ou encore téléphone) utilisent la même interface , celle de l’écran, pour
transmettre un message à un humain, leurs natures et leurs possibilités sont différent.
Manovich utilise l’angle de la spatialité pour mettre ensuite en lumière les conséquences
sur le spectateur produites par l’espace présent entre l’écran et le corps de ce dernier. Aussi,
deux phénomènes se dévoilent : celui de double identité et celui d’assouvissement du public.
Dans sa relation avec l’écran, le spectateur a généralement conscience d’exister dans deux
espaces : le réel où il est physiquement, et le virtuel que l’écran lui présente. L’écran crée une
sorte de “double identité” ou “double présence” 32 au spectateur. Il y a une certaine distanciation
entre l’homme et la machine car il est clair que l’écran re-présente quelque chose. Par exemple,
les échelles des environnements physiques et virtuels ne sont pas les mêmes, elles sont plus
grandes au cinéma et plus petites à la télévision. L’écran est bien une fenêtre sur un autre monde,
la présentation d’un nouvel univers où le spectateur accepte de se faire duper et de s’y immerger.
31
" Plutôt que d'être un médium neutre de la présentation de l'information, l'écran est agressif. Sa fonction est de
filtrer, de faire écran, de dominer, de rendre inexistant tout ce qui se trouve hors du cadre" ibid. p 206
32
“[...]Ce fait de réduire la réalité à un signe et à un néant dédouble en même temps le sujet regardant qui existe
maintenant dans deux espaces : l'espace physique familier de son corps réel et l'espace virtuel d'une image à
l'intérieur d'un écran. Ce clivage devient aptent avec la réalité virtuelle, mais il existait déjà dans la peinture et les
autres arts diptriques". ibid p 216
17
L’auteur aborde aussi le sujet de la réalité virtuelle, il vise ce media pour expliquer qu’en son
sein, cette relation mute. En effet, le casque de réalité virtuelle offre une continuité entre l’espace
réel et l’espace virtuel, rompant ainsi le procédé de représentation proposé par l’écran et soumet
plutôt le spectateur à une simulation.33 Ce processus d’illusion n’est pas nouveau : on le croise
aussi dans certains types de peinture comme les fresques murales ou les mosaïques.
En effet, dans la tradition de la simulation, on constatait un prolongement de l’espace physique.
Les fresques murales s’appuient sur la présence du mur pour exister. Quand le spectateur les
regarde il y a toujours un espace entre lui et la fresque. Avec la réalité virtuelle, une nouveauté
apparaît : Il se crée en effet, soit un prolongement parfait de l’espace physique soit la constitution
complète d’un nouvel univers englobant l’entièreté du champ visuel du spectateur. La réalité
virtuelle “abandonne” alors la réalité physique dans la mesure où l’écran ne représente plus une
fenêtre entre les deux, mais devient un téléporteur. 34
Cette mutation de l’écran existe déjà avec d’autres machines. Les ordinateurs, par exemple,
offrent la possibilité d’ “éclater” l’interface de l’écran. Ce dernier n’est plus une fenêtre mais une
multitudes de fenêtres. La superposition de “micro-univers” (une page web, un dossier d’ouvert,
un logiciel de traitement de texte ouverts en simultané) fait alors perdre à l’écran son statut de
« fenêtre », et il disparaît dans le flot d’informations qu’il se retrouve à divulguer.
Mobilité VS immobilité : la liberté du spectateur
La mobilité donnée au spectateur est un deuxième phénomène lié à la spatialité de
l’interface. Par sa place, sa taille, sa distance, l’écran donne plus ou moins d’espace physique et
mental au spectateur et lui laisse alors plus ou moins la capacité de s’approprier le média et le
message. Selon ses caractéristiques propres, l’écran “met en espace” le spectateur, lui offrant un
certain degré de liberté de mouvance. En effet, Malovich pointe du doigt le régime spectatoriel
contemporain35 qui impose, selon lui, un assouvissement du corps. Pour rendre son propos
33
“Dans la tradition de la simulation, le spectateur existe dans un espace cohérent unique, à savoir l'espace physique
prolongé par l'espace virtuel , dans la tradition de la représentation , le spectateur a une identité double. Il existe
simultanément dans un espace physique et dans l'espace de la représentation.” ibid. p 226
34
"En réalité virtuelle , soit rien ne relie les deux espaces soit à l'inverse ils coïncident parfaitement. Dans les deux
cas, la réalité physique proprement dite est tenue pour nulle et non avenue, congédiée, abandonnée. " ibid. p227
35
“Au cours de la phase dite primitive , l'espace de la salle de cinéma et celui de l'écran étaient nettemment séparés,
un peu comme au théatre ou au vaudeville. Les spectateurs était libre de réagir , d'aller et venir et de se tenir
psychologiquement à distance du monde virtuel du récit cinématographique. Au contraire, le cinéma classique
18
explicite, il compare deux arts : le cinéma actuel avec le théâtre populaire du XIXème siècle.
Quand l'un prend place dans une salle sombre, silencieuse où les spectateurs sont assis, l'autre
laisse son spectateur libre dans une foule bruyante et distante avec le spectacle. La grammaire
cinématographique contemporaine pose la caméra à la place du spectateur, obligeant ce dernier à
rester immobile physiquement lors du visionnement alors que le théâtre type vaudeville se
passait de « normalisation des corps » et laissaient les spectateurs adopter des positions lâches et
décontractées. Selon la mise en situation “physique” choisie, le spectateur se retrouve absorbé
mentalement d'une manière spécifique par les images qui lui sont présentées.
L'auteur se concentre d'ailleurs un temps sur la relation spatiale qu'offre la réalité virtuelle. Selon
lui, la réalité virtuelle s’écrit avec une grammaire qui va à l’encontre de celle du cinéma. Elle
libère le spectateur : c’est lui qui doit se mouvoir dans l’espace où il est présent physiquement
afin que l’espace virtuel se dévoile à lui36. Cependant, cette situation est très paradoxale : Si le
spectateur semble libre de ses mouvements, “la réalité virtuelle l’emprisonne comme jamais
auparavant”37. En effet, le casque relie directement le spectateur à la machine. Il fait de son
corps une sorte de “souris ou de joystick”;38 en fait il intègre le corps de l’humain au sein même
de l’interface machine. Finalement, selon Malovich, la réalité virtuelle ne fait que prolonger la
tradition d’immobilisation du spectateur voir même la renforcer.
Malovich rappelle enfin que l’ordinateur et la réalité virtuelle sont des cas particuliers : ce sont
des systèmes où la nature de l’écran mute pour devenir transparente, invisible. Néanmoins, ces
phénomènes restent limités aux cas particuliers de ces machines et de manière générale, notre
société s’ancre dans une ère de l’écran39. Depuis cette ouvrage d'anthologie datant de 15ans, les
s'adressait à chaque spectateur comme à un individu à part et le plaçait à l'intérieur du récit du monde virtuel du
film.” ibid. p220
36
"A la différence du cinéma, où la caméra mobile se déplace indépendamment du spectateur immobile, celui ci doit
maintenant se mouvoir dans l'espace physique pour faire expérience du mouvement dans l'espace virtuel.”
37
ibid. p222
38
“Le corps était attaché à l'ordinateur comme l'est aujourd'hui la souris. En fait, le corps n'est ni plus ni moins
qu'une souris géante, ou plus précisément un joystick géant; au lieu de déplacer une souris, l'utilisateur devait mettre
tout son corps en mouvement.” ibid. p222
39
" Qu'il soit dynamique, en temps réel ou interactif, un écran reste un écran. Interactivité , simulation et
téléprésence : comme dans les siècles passés , nous regardons toujours une surface plane, rectangulaire, existant
dans l'espace occupé par notre propre corps et servant de fenêtre ouvrant sur un autre espace. Nous sommes encore à
l'ère de l'écran.” ibid. p 229
19
NTIC ont continué à se développer à une vitesse fulgurante. Sans renier les propos qu’il mène
dans “le langage des nouveaux médias”, Malovich met dorénavant les médias de côté et oriente
ses réflexions de plus en plus vers les logiciels et la récolte de données.
Mac Luhan et Manovich sont des professeurs en sciences de la communication et de
l’information. Si leurs théories sont antérieures à l’arrivée du média des casques actuels de RV,
elles présentent une solide base critique qui constitue une valeur atemporelle pour analyser les
médias. Pour résumer, Mac Luhan a mis en valeur la nécessité d’étudier quel sens est étendu par
un média ou au contraire quel sens il “cannibalise”. (I.A.1) Manovich, lui, a mis en valeur des
angles d’analyse , la spatialité et de temporalité, qui permettent de dévoiler et mesurer l’effet
d’un média
(sentiment de présence/double identité, de représentation/immersion, de
liberté/immobilité) (I.A.2)
La RV met en exergue le fondement de ces théories car elle passe par des sensations corporelles
et non plus par des émotions spirituelles. D’ores et déjà, on peut percevoir que les casques de
réalité virtuelle sont des médias qui relient plus que jamais le corps et les sens aux technologies,
donnant plus que jamais matière à ces théories. Cette lien entre ces deux est d'ailleurs confirmé
par la présence du sujet de la RV dans l'ouvrage de Manovich (I.A.2). Pour ces différentes
raisons, tout au long de notre étude, nous allons inscrire notre réflexion dans la pensée critique de
ces auteurs.
B) De l’immersion à l’empathie : Construction d’une prophétie autour
de la Réalité Virtuelle
Aussi, nous allons poursuivre notre analyse de la réalité virtuelle, en la resituant dans son
contexte actuel ( I.B.1) et en étudiant les propos des principaux acteurs qui l’accompagnent. Sans
chercher à comparer ou confronter leurs points de vue aux démarches scientifiques des deux
auteurs étudiés, nous allons voir notamment comment les démarches scientifiques des uns
s’actualisent avec les discours des autres, comment ils se font écho mais aussi comment ils
rentrent en dissonance. (I.B.2)
20
1) Contexte social et commercialisation des casques de réalité virtuelle (RV)
Imaginaires et représentation sociales autour d’un nouveau média.
La réalité virtuelle est un sujet qui fait beaucoup fantasmer notamment grâce aux
potentiels qu’elle offre pour nous tromper complètement, afin de créer une immersion parfaite
dans une autre réalité que celle tangible. Déjà dans les années 80/90, des projets de réalité
virtuelle étaient sur les bancs d’essais. À cette époque, ce sujet était très relié dans l’imaginaire
au concept de cyberespace, élément constitutif d’une certaine idéologie considérant le corps et le
langage comme
“des chaînes” dont il fallait se libérer. Nombreuses oeuvres littéraires et
cinématographiques mettent en scène cet imaginaire (Matrix, Tron, John Menovnic40…).
Cependant à l’époque, la technique et les technologies n’étaient pas au rendez vous ; le sujet et
les recherches ont été mis de côté face à d’autres progrès. On semble assister ces dernières
années à la consécration de la réalité virtuelle. Les nouveaux médias et nouvelles interfaces
annoncés sont enfin capables de nous offrir une véritable expérimentation de la réalité virtuelle.
Dans l’opinion public, l’arrivée de ce média ne passe pas inaperçue. Elle provoque de fortes
réactions qui s’étendent du scepticisme à l’excitation, en passant par différentes stades de peurs
et d’attentes. Le buzz sur les réseaux sociaux créé par la photographie de la conférence à
Barcelone de Mark Zuckerberg témoigne le mieux de l’engouement du public pour ce média. 41
Elle démontre aussi l’influence des personnalités du secteur sur l’imaginaire du public. En effet,
depuis les années 80, les pionniers et prophètes de la réalité virtuelle comme Jaron Lanier et
Howard Reihngold ont été remplacés par des cinéastes comme Chris Milk et des entrepreneurs
tel Mark Zuckerberg. Dans leurs discours et représentations médiatiques, les propos ont eux aussi
pris une nouvelle voie : toujours aussi puissante, la réalité virtuelle se comprend et s’impose
aujourd’hui comme un média qui va révolutionner les relations entre les Hommes.
40
41
MILON Alan, La réalité virtuelle, avec ou sans le corps? , Autrement, 2005
voir annexe 2
21
La commercialisation et démocratisation des casques de RV
Depuis le début de l’année 2016, la réalité virtuelle fait régulièrement la une médiatique
et les premiers casques se commercialisent. En à peine quatre ans, un exponentiel rattrapage
technologique a permis de développer et de démocratiser ce nouveau médium. En effet, c’est en
2012 que la “course” à la réalité virtuelle a débuté dans le secteur du jeu vidéo. En parlant de son
invention, un casque qui permet une immersion complète dans un univers vituel, Palmer Lucket
attise très vite l'intérêt des “hards gamers” sur les forums internet. Peu de temps après, il crée
alors son entreprise Occulus Rift
et débute une campagne de socio-financement pour
commercialiser son casque. La réussite fulgurante de sa campagne fait rentrer Sony, Samsung et
HTC dans cette concurrence. L’année 2014 est alors rythmée par les annonces de chacun à
propos de leurs casques respectifs (Morpheus, le Gear et le HTC Vive). La même année, un
nouvel acteur apparaît sur la scène et renverse l'organisation du marché économique qui se
dessine : le 25 mars, Facebook annonce le rachat d’Oculus rift.
Médium surtout pressenti pour le secteur de l’industrie vidéoludique, le projet de réalité
virtuelle “Ascended the Wall”42 lié à la populaire série de HBO “ Games of Thrones” est présenté
au festival SXSW en 2014. Il ouvre les portes de la réalité virtuelle à de nouveaux champs
d’application (cinéma, télévision …). Ces collaborations se confirment au festival de Sundance
en 2015, avec la présentation de 16 projets de réalité virtuelle dans le secteur “New frontiers”. En
mars de la même année, l’application NYTVR du quotidien américain The New York Times
ouvre la voie au champ journalistique. En même temps, Youtube annonce unr nouvelle
possibilité d’héberger des vidéos 360 degrés sur son site. On voit donc pléthore d’éléments et de
collaborations d’acteurs divers qui encouragent et facilitent la création et la diffusion de
contenus.
2016 est donc l'année de la commercialisation pour ce secteur médiatique : en mars les
premiers casques oculus précommandés deux ans auparavant ont été livrés. Avec un prix qui
s’élève à 700 euros, l’oculus reste cependant un bien coûteux qui vise une cible particulière : un
public de joueurs technophiles. Néanmoins, commercialisation va de pair avec démocratisation
42
HUDSON Laura, How it felt to experience games of throne through virtual reality, Wired, 03/08/2014, consulté
le 01/04/2016, “http://www.wired.com/2014/03/game-of-thrones-oculus-rift/”
22
rapidement plusieurs propositions aux gammes de prix différentes viennent segmenter le marché
en offrant des expériences de plus ou moins bonne qualité. Aussi, chaque public selon son
pouvoir d'achat peut expérimenter la réalité virtuelle. A titre d’exemple, le cardboard proposé en
2015 par Google qui offre accès à la VR avec de simples smartphones existe en plusieurs
versions améliorées et personnalisées par différentes entreprises (Freefly, Homido, Gear..). Enfin,
différentes actions sont menées pour accompagner l’arrivée de ces nouveaux médias dans les
foyers. C’est le cas de la campagne “Google Expedition Pioneer Program” qui met en place un
kit pédagogique pour les professeurs qui veulent animer des séances d’histoire ou de géographie
en classe avec des google cardboard.43
A la fois source d’attentions vigilantes ou au contraire, de fantasmes démesurés, il semble bien
que l’année 2016 marque le début de l’ère de la réalité virtuelle et son entrée dans les foyers.
Cette commercialisation est loin d’être discrète, elle s’accompagne de publicité mais aussi de
discours allégoriques portés sur le devant international par des acteurs de différents champs
allant du journaliste à l'artiste multimédia.
2) La réalité virtuelle, une machine qui révolutionnera nos relations humaines ?
Des discours médiatiques prophétiques sur la “machine à créer de l’empathie”
La réalité virtuelle n’est qu’aux prémices de son existence mais déjà peut-on apercevoir
la diversité des champs d’application qu'elle offre. La RV semble être un outil de qualité pour
transmettre un message, une expérience, une sensation ou encore une émotion. Ce médium
provoque un important enthousiasme dans le monde artistique, créatif et médiatique. Deux
discours prononcés par Chris Milk et Nonny de la Penna, lors de conférences TED dévoilent les
idées de nombreux artistes issus d’horizons différents mais qui s’intéressent à ce “transmetteur”.
Les interventions de ces pionniers du secteur de la VR rejoignent un même thème : celui des
perspectives offertes par la VR pour les relations humaines.
43
MOYNIHAN Tom, Google is bringing its VR fields trip to even more school, Wired, 01/20/2016, consulté le
08/042016 , http://www.wired.com/2016/01/google-brings-its-vr-field-trips-to-more-schools/
23
Chris Milk est un artiste multimédia américain. Il a aussi fondé l’entreprise VRSE qui est
aujourd’hui une des références dans la production en réalité virtuelle. En 2014, il a réalisé le
documentaire en réalité virtuelle “Cloud Over Syria”. Avec un univers à 360 degrés, ce film
immerge les spectateurs dans le quotidien d’une petite fille qui vit dans un camps de réfugiés
syriens. Dans sa conférence TED, il revient sur son expérience en tant que réalisateur avec ce
nouveau médium. Il présente la réalité virtuelle comme ayant le pouvoir de faire avancer le
monde. Pour ce réalisateur, la RV offre une sensation d’immersion unique qui est le facteur clé
pour créer “de l’empathie” chez le spectateur. Avec le casque, l’utilisateur a une sensation de
présence dans l’univers qui lui est montré. Par la pleine sensation de présence dans cet autre
univers, le spectateur ne voit plus par une fenêtre comme avec les médias traditionels, mais il est
“à la place de”. Dans l’approche portée par Chris Milk, les interfaces hommes/machines ne
créent plus une interaction entre les humains et les machines mais vont au delà, en renforçant les
relations d’humains à humains. Aussi, pour C. Milk, les potentiels de la réalité virtuelle
permerttraient de modifier nos relations dans l’espoir de les améliorer, de nous faire prendre soin
des autres ou de nous encourager à agir pour les causes qui nous semblent justes.
Nonny de la Penna est une journaliste pionnière dans le domaine de la réalité virtuelle.
Dernièrement, elle a produit “Projet Syria”, un film de réalité virtuelle qui plonge le spectateur
dans la ville d’Aleppo en Syrie, lors de l’explosion d’une bombe dans la rue. En 2015, elle a
présenté à la conférence de TEDWomen ses projets et ses projections sur l’avenir du journalisme.
Similairement à Chris Milk, on trouve dans ses propos un rigoureux enthousiasme envers ce
nouveau média. Dans son discours, elle décrit avec emphase les sensations quasi physiologiques
que provoque la réalité virtuelle. Ce caractère unique de l’expérience donne un véritable écho au
message transmis ainsi qu'une durée de vie dans la mémoire du récepteur.
Analyse du discours et déconstruction de la prophétie
Comme on peut le constater les discours de C. Milk et N. De la Penna se basent sur deux
postulats : un technique et un communicationnelle. Le premier postulat se fonde sur la
capacité technologique des casques à montrer des univers virtuels qui immergent totalement
24
l’utilisateur et créent une illusion parfaite. Le deuxième postulat suppose que les médias ne sont
pas de simples transmetteurs mais qu'ils jouent un rôle dans nos sociétés. Le postulat qui soustend leurs discours prétend que les médias impactent l’homme, sa perception, et par conséquent,
qu'ils impactent la société dans sa globalité. Ce dernier postulat fait écho aux théories que nous
avons évoquées précédemment. Préçisement, si l'on analyse textuellement ces discours, on peut
identifier trois concepts de nos théoriciens : ceux d’identité et d’immersion du spectateur de
Manovich et celui de sensorium propre à Mac Luhan. En effet, Chris Milk utilise un vocabulaire
similaire à Manovich pour décrire la VR. Ses propos évoquent l'idée de faire disparaître l’écran
comme “fenêtre”, ce qui s'accorde avec la mutation de l'écran décrite par Manovich.
“But then I started thinking about frames, and what do they represent? And a frame is just a
window. I mean, all the media that we watch -- television, cinema -- they're these windows into
these other worlds. And I thought, well, great. I got you in a frame. But I don't want you in the
frame, I don't want you in the window, I want you through the window, I want you on the other
side, in the world, inhabiting the world.”
Chris Milk, TED
Toujours en se référant aux théories de Manovich, le concept d’identité du spectateur est présent
chez les deux conférenciers. Si Nonny de la Penna considère que l’utilisateur garde une double
identité alors que Chris Milk sous-entend qu’il y a une pleine sensation de présence durant
l’expérience, les deux conférenciers s’accordent sur la finalité : quand un utilisateur est face à un
média, il est présent dans deux espaces : le réel et le virtuel. Une interface provoque un
dédoublemement de sa personne, ce dédoublement peut se superposer ou se confondre selon que
l’utilisateur est immergé complètement ou non.
“Now, don't get me wrong -- I'm not saying that when you're in a piece you forget that you're
here. But it turns out we can feel like we're in two places at once. We can have what I call this
duality of presence, and I think that's what allows me to tap into these feelings of empathy.
Right?”
Nonny de la Penna, TED
25
“you're not watching it through a television screen, you're not watching it through a window,
you're sitting there with her. When you look down, you're sitting on the same ground that she's
sitting on. And because of that, you feel her humanity in a deeper way. You empathize with her in
a deeper way.”
Chris Milk, TED
Enfin, proche de l’idée du sensorium de Mac Luhan, Nonny de la Penna met en avant dans son
discours le rôle des sens et comment tous sont sollicités et impactés par les casques de réalité
virtuelle. Elle insiste beaucoup sur l’impact que porte la VR sur le corps : affecté physiquement
lors d’une expérience en réalité virtuelle, l’expérience est alors plus prompte à ancrer une
marque, un souvenir dans notre mémoire.
“[...] By putting on these goggles that track wherever you look, you get this whole-body
sensation, like you're actually, like, there. [...] Families in America are going hungry, food banks
are overwhelmed, and they're often running out of food. Now, I knew I couldn't make people feel
hungry, but maybe I could figure out a way to get them to feel something physical.”
Nonny de la Penna, TED
A partir de ces postulats, les conférenciers fondent l’hypothèse que la réalité virtuelle
nous immerge et est capable de nous mettre “à la place de”. Parce que l’humain est sensible à ce
qu’il voit, vit et ressent au travers d’interfaces et d’intermédiaires médiatiques, un sentiment
apathique pourra l’habiter lors d’une expérience virtuelle où son cerveau serait complètement
trompé et se prendrait à la place d’un autre. En effet, si on se limite à une définition simple
d'empathie comme « Faculté intuitive de se mettre à la place d'autrui, de percevoir ce qu'il
ressent. »
44
, la réalité virtuelle semble être effectivement le candidat idéal dans le rang des
médias pour offrir les conditions adéquates au développement de cette faculté. Avec la réalité
virtuelle, l’utilisateur est de fait immergé dans un univers nouveau et se trouve mis à la place
d’un autre. Il ressentira alors plus facilement et plus directement ce que cet autre a vécu.
44
Le grand Larousse édition, 2014
26
Une fois cette hypothèse émise, nos figures médiatiques ne s’arrêtent pas là, et extrapolent leur
concept. En partant de cette notion d'empathie, elles prolongent leurs hypothèse et formulent
une promesse : Parce que la VR immerge, elle nous met “à la place de”. Si les expériences que
nous vivons en virtuel nous font ressentir de l’empathie, en contre partie de ces sentiments
ressentis dans le virtuel, nous développons une envie et une volonté d’agir dans le réel pour
changer nos relations humaines et améliorer nos sociétés.
45
A ce niveau, on peut donc noter
que les propos tenus durant les TEDs prennent une tournure qui s’éloigne de la théorie
rigoureuse de Mac Luhan et Manovich. Les conférenciers vont au delà des attentes communes, et
s’embarquent dans des perspectives utopiques, prenant dans une certaine mesure un ton
prophétique.
3) Formulation de l’hypothèse
Dans cette première partie, nous avons constitué une base théorique sur laquelle nous
allons nous appuyer tout au long de notre étude. Cette base nous permet d’affirmer que les
médias sous leur forme pure (c’est à dire sans même considérer leurs contenus), ont une forte
empreinte sur les humains. Nous avons vu que les médias jouent sur nos sens, créant des
déséquilibres qui modifient notre perception et par conséquent, impactent la façon dont nous
comprenons et appréhendons notre univers ( I.A.1). Précisément, on a mesuré l’impact de l’écran
comme interface homme-machine. On a pu réaliser que l’écran crée des dispositions qui touchent
spécifiquement le spectateur ou l’utilisateur. La transmission au travers d’un média laissent une
marque sur le message et le contenu qui impacte le récepteur et sa perception. (I.A.2) Ainsi, peut
on dire que ces théories laissent pressentir que la réalité virtuelle possède un important potentiel
sur l’homme, sa perception et sa relation avec les autres (I.A.2).
45
So, it's a machine, but through this machine we become more compassionate, we become more empathetic, and
we become more connected. And ultimately, we become more human.” MILK Chris , How virutal reality can create
the ultimate empathy machine ? , consulté le 15/03/2016
https://www.ted.com/talks/chris_milk_how_virtual_reality_can_create_the_ultimate_empathy_machine
“. We're creating mobile pieces like the Trayvon Martin piece. And these things have had impact. I've had
Americans tell me that they've donated, direct deductions from their bank account, money to go to Syrian children
refugees. And "Hunger in LA," well, it's helped start a new form of doing journalism that I think is going to join all
the other normal platforms in the future.” ibid.
27
Par la suite, nous avons appréhendé le contexte et le discours médiatique autour de la réalité
virtuelle. (I.B) A l’aube de sa commercialisation et à l’horizon de sa démocratisation, nous avons
mesuré les attentes du public autour de ce média. Nous avons ainsi souligné l’important
imaginaire et les nombreux fantasmes qui entourent ce média. (I.B.1) Du côté des créateurs, nous
avons aussi apprécié les attentes et désirs que suscite ce média. Nous avons réalisé que les
acteurs du champs créatif misent énormément sur lui : certains clament que ce média pourrait
améliorer nos sociétés. Aussi, nous avons essayé d’identifier sur quels arguments ces paris se
basent (I.B.2). On a vu alors que ces idéaux se construisent sur une conception des médias que
nous avons validée avec deux auteurs précédemment. De plus, ces idéaux reposent sur un autre
postulat plus technique : la supériorité technologique des casques de réalité virtuelle comparée
aux autres médias pour créer l’immersion. Néanmoins à ce stade, rien, si ce n’est le discours de
nos conférenciers, ne vient valider ce postulat technique.
En partant de ces postulats, ils posent l’hypothèse que la réalité virtuelle “est une machine
créatrice d’empathie”. Encore une fois, ces propos restent hypothétiques dans la mesure où leur
véracité ne repose que, à ce niveau de notre réflexion, sur la conviction des deux locuteurs. En
partant de cette hypothèse, les deux conférenciers extrapolent alors leurs propos et promettent
une société meilleure grâce à la réalité virtuelle. Aussi, cette promesse n’exprime en rien une
certitude ; seule une analyse auprès des utilisateurs et sur le long terme pourrait confirmer de tels
propos.
Dans cette première partie nous avons pu appréhender quatre discours d’acteurs issus de
champs différents et poursuivant des buts propres à chacun. En effet, Chris Milk et Nonny de la
Penna endossent un rôle différent de celui des théoriciens, Mac Luhan et Manovich. Participant
au succès de la réalité virtuelle pour leurs intérêts financiers et professionnels, ils cherchent
évidemment à convaincre le public du potentiel de ce nouveau média. Ce dernier suscite
beaucoup d’émotions et nécessite un accompagnement spécifique lors de sa sortie pour
“rassurer” le public. Sans réfuter en bloc les possibilités offertes par la réalité virtuelle, il faut
donc garder en tête que l’usage de la formule “machine créatrice d’empathie” n’est pas neutre.
Le concept d’empathie est un sujet à “la mode” : il est de plus en plus mis en avant dans les
champs scientifiques (découverte des neurones miroirs) et économiques (solution alternative à
notre modèle socio-économique proposé par Jeremy Rifkin). Cette expression traduit une utopie
28
sociale globale de plus en plus présent, et vient inscrire la réalité virtuelle en adéquation avec les
espoirs sociétaux. Pour ces raisons, nous pouvons émettre un doute sur la probabilité que leurs
hypothèse s'avère vérifiable.
Aussi, nous allons dans un second temps questionner et tester l’hypothèse de ces deux
artistes et réalisateurs d’expérience en réalité virtuelle. En testant la validité des postulats et
de l’hypothèse émis par ces auteurs, nous allons émettre une contre hypothèse considérant
que si une part de vérité traverse ce discours, celui ci reste très réducteur.
Aussi, dans un premier temps, notre travail consistera à valider le plus d’éléments possibles de
l’hypothèse émise lors des TEDs. On a déjà pu voir que notre étude et leurs propos partagent la
même conception des médias. Les deux ont pour socle commun la reconnaissance de l’impact
des médias sur trois niveaux : psychologique, physiologique et social. (I.A) Cet angle d’analyse
choisi en première partie nous permet ainsi de ne pas revenir sur l’émission de ce premier
postulat, que nous considérons comme validé. A travers le cas pratique de l’expérience en réalité
virtuelle Le Photographe Inconnu, nous allons chercher dans une deuxième partie à vérifier le
second postulat de l’hypothèse de C. Milk et N. De la Penna qui traite des capacités techniques
des casques. (II.A) Nous évaluerons la qualité de l’immersion dans cette expérience en réalité
virtuelle et nous mesurerons à quel degré cette immersion est lié au produit de ce média et non
pas au contenu. (II.B) Dû à la nature du contenu du Photographe Inconnu (LPI) l’étude de ce
dernier ne nous permettra pas de vérifier l’hypothèse que la réalité virtuelle est “une machine
créatrice d’empathie”. Néanmoins avec un certain recul, nous essayerons d’évaluer ce potentiel
selon la capacité du média dans le cas de cette expérience à susciter les émotions propres à celleci. (II) Enfin, nous reviendrons sur la promesse énoncée par C.Milk et N. De la Penna dans une
troisième et dernière partie. Il est vain d'essayer de prouver ou réfuter une promesse : Par
définition celle ci se révélera être vraie ou non par son existence dans le futur. Cependant, nous
questionnerons les limites et les enjeux cachés derrière celle-ci grâce aux informations récoltées,
les sujets abordés dans notre étude de cas (II) ainsi qu'en puisant dans des ressources externes.
(III)
29
II) La Réalité Virtuelle, un média réellement immersif ? Étude de la qualité
immersive de la VR à travers l'exemple du Photographe Inconnu
“Ben déjà j’pense que si tu mets un casque tu l’as l’immersion. Si j’peux parler de la première
journée où on a essayé le casque , t’as tout le landscape autour, et même si t’as juste un cube, un
personnage en 3D , t’es, t’es t’es en immersion totale.”
Claudine Matte, directrice artistique de LPI
“Ce qui crée l’immersion dans le casque c’est que, tourner la tête à une action de tourner la tête
dans le monde virtuel,[...] Dès que t’as un espace ou une suggestion d’espace, là t’as une
immersion. Ça c’est le rudimentaire.”
Loïc Suty, rédacteur concepteur de LPI
“[...] Le casque il crée déjà l’immersion par lui même, gratuitement, quelque soit le contenu que
tu montres à la personne, elle est déjà immergée.”
Osman Zeki, directeur technique de LPI
30
Dans un premier temps, nous allons définir notre cadre et la méthode d’analyse de notre
étude de cas pour confirmer les postulats et l’ hypothèse vus précédemment. Pour cela, nous
préciserons les délimitations de notre étude ( I.A.1) et nous établirons des outils d’analyse, en
nommant des critères précis que nous pourrons apprécier selon des indicateurs identifiables et
mesurables. ( I.A.2). Dans un second temps, nous utiliserons ces outils pour décrire et analyser
l’expérience de LPI selon le contenu et le média (II.B.1). Cet premier angle technique sera
conforté ensuite par une analyse, laquelle s’appuiera sur un entretien avec l’équipe créative et de
production (II.B.2).
A) Méthodologie d’analyse pour l’étude de cas du Photographe Inconnu
Après avoir présenté le champ de notre étude et avoir saisi les différents éléments
théoriques et pratiques qui le délimitent (II.A.1) nous mettrons en place, dans un deuxième
temps, une méthodologie de travail en identifiant des critères et des indicateurs qui permettront
de mener notre étude de manière rigoureuse et fondée. (II.A.2)
1.Cadre de la recherche
Présentation du cadre :
En 2015, Turbulent une entreprise de production digitale montréalaise, a réalisé et produit le
dispositif de réalité virtuelle “ Le Photographe Inconnu” (LPI) en collaboration avec l’ Office
Nationale du Film Canadien (ONF).
LPI prend racine dans un projet en développement chez Turbulent : une expérience sous forme
d’application tablette autour de photographies de guerre retrouvées dans une ferme abandonnée
au Québec. Le projet n’arrivant pas à prendre une forme concrète et intéressante, l’équipe a fait
31
le choix de réorienter complètement leurs concepts pour s’essayer à une production en réalité
virtuelle. Ce format semblait mieux approprié aux contenus et a permis de développer un projet
viable et de qualité. En effet, depuis sa création, le projet a fait le tour des différents festivals de
cinéma ou de documentaire comme Sundance aux Etats-Unis, International Documentary
Filmfestival Amsterdam (IDFA) en Hollande ou encore les Rendez-vous Internationaux du
Documentaire de Montréal (RIDM) au Canada. Dans chaque festival le dispositif a été remarqué
et apprécié par les professionnels pour sa qualité artistique et son innovation. Différentes
récompenses lui ont été adressées dont notamment the Emotional Games Awards et un Webby
Awards début 2016.
La problématique à résoudre qui sous-tend nos questionnements est de savoir si l’immersion en
réalité virtuelle peut prétendre être un moyen efficace pour améliorer les relations entre les
individus. L’expérience de LPI va nous servir plus précisément à mesurer la validité de
l’hypothèse de Chris Milk et Nonny de la Penna. Confronter leurs propos à la réalité permettra
de valider le postulat technique d’une part, et saisir la véracité de leur hypothèse d’autre part. En
partant de ces éléments, l’étude de cas permettra aussi une première approche de notre contrehypothèse : si la réalité virtuelle est un média fort avec un potentiel important, cela n’en fait pas,
de fait, un média avec un impact positif, créateur d’empathie et amplificateur des relations
humaines. Au contraire, notre contre-hypothèse considère ce discours réducteur et considère
qu'une réalité plus complexe subsiste en arrière scène du discours médiatique.
Les limites du cadre :
Notre analyse sera cadrée à la fois par les termes que nous allons définir et le matériel qui sera à
notre disposition.
Nous comprenons ici la réalité virtuelle dans son sens restreint, c’est à dire un univers représenté
et qui se donne à voir grâce au dispositif technologique qui offre une simulation 3D en temps
réel. Nous ne prendrons en considération que les projets de réalité virtuelle impliquant l’usage
d’un casque commercialisé ou en voie de l’être. Ceci exclut de fait tout autre réalisation
nécessitant des interfaces comme les combinaisons ou gants haptiques. Si ces derniers sont très
intéressants, ils restent des éléments qui ne sont pas encore au stade de la commercialisation et
32
ne rentrent donc pas dans notre cadre d’étude. Si différentes plateformes de contenus et marques
de casques existent (Gear, Oculus, Morpheus, Cardboard), les différences entre eux sont trop
minces et le contenu n'est pas encore assez diversifié pour que nous puissions nous concentrer
sur un seul type de casque. Nous comprendrons dans notre étude tout type de matériel, y compris
les expériences de VR accessibles avec smartphone et cardboard, Néanmoins, nous exclurons les
simples vidéos 360 qui se visionnent par un lecteur habituel proposé par youtube ou facebook et
accessible sur ordinateur.
Quant aux traits prêtés à l’humain et au corps, nous limiterons le champ de notre étude de la
perception à la vue, l’ouïe, et le toucher. Nous exclurons le sens du goût et de l’odorat dans notre
analyse : ces deux derniers ne sont pas pertinents avec les possibilités offertes par les
technologies actuelles. Les avis divergent sur l'existence de sixième, septième sens… Pour notre
analyse, nous conviendrons que l'étude des sens de la proprioception et de l’équilibre est
nécessaire. Nous ferons l'impasse sur d'autres sens qui font polémiques (le sens du temps, la
thermosensibilité…)
Notre analyse portera sur deux éléments disponibles : le dispositif en lui même et l’équipe
créative de Turbulent. Nous analyserons d’une part le dispositif en partant des documents de
création et de réalisation accessibles dans les archives de l'entreprise ; Nous effectuerons d’autre
part un entretien en groupe avec les différents collaborateurs pour analyser la volonté et la
perception de leur travail. En conjuguant ces analyses, nous étudierons la qualité du dispositif en
terme d’immersions corporelles, sensorielles, et psychologiques. Avec ces analyses, nous
appréhenderons aussi la dimension émotionnelle existant en réalité virtuelle. Nous essayerons
d’extrapoler ces informations pour former une première conclusion sur les pouvoirs d’empathie
propres à ce média et sa capacité à modifier les hommes et leurs relations.
Les éléments à notre disposition excluent un certain nombre de champs de recherche. En effet,
l’étude ne pourra porter que sur l’offre et non pas sur la demande des utilisateurs. Plus
précisément, l’étude ne pourra porter que sur la création des softwares (à comprendre comme le
logiciel et le contenu). Nous nous attarderons sur les effets du matériel (le hardware) dans la
mesure où le contenu y est lié, mais nous ne rechercherons pas les intentions des créateurs de
matériel dans notre analyse. Enfin, si l’étude prendra en considération les dimensions artistiques
et technologiques propres à l’œuvre, elle ne pourra en faire des critères spécifiques à
33
l’évaluation. Plusieurs de ces éléments que nous avons volontairement exclu auraient été très
pertinents et intéressants pour notre recherche globale. Cependant s'ils ne peuvent faire l’objet
d'une étude de cas précise et détaillée, ils restent néanmoins des sujets avec lesquels nous
pourrons élargir notre réflexion dans une dernière partie.
2. Méthodologie suivie: critères et indicateurs
Présentation et justification des critères choisis
Notre objectif est donc de savoir si la réalité virtuelle est une machine créatrice
d’empathie, grâce à l’étude du dispositif proposé par Le Photographe Inconnu. Nous cherchons
donc à connaître le degré de sensation de présence pour l’utilisateur lorsqu’il utilise un dispositif
virtuel. Pour cela, deux critères seront retenus : la qualité de l’immersion psychologique et la
celle de l’immersion physique proposées dans l'expérience. Le critère d'immersion physique
nous permet de confronter les promesses des casques (une immersion totale à 360 degrés,
«jamais vu auparavant») avec la réalité des capacités de ceux-ci. L’immersion physique est le
résultat des propriétés intrinsèques au média de la réalité virtuelle. Aussi, ce critère fera appel
aux différents éléments théoriques des auteurs cités en première partie. L’immersion physique
permet notamment d’évaluer la relation entre l’univers réel et celui virtuel, l’existence d’un
continuum entre les deux ou au contraire, l’existence de deux univers parallèles. Enfin, elle
permet de mesurer le nombre de sens impactés dans l’expérience et d’évaluer la définition de ces
sollicitations ; ces éléments nous permettront de déterminer où se classe la réalité virtuelle dans
l'échelle de Mac Luhan.
L’immersion psychologique, quant à elle, permet d’étudier dans quelle mesure l’attention
mentale du spectateur se concentre sur l’expérience. Cela nous permet de déterminer, comme
Manovich le soulève, s’il y a une re-présentation qui laisse au spectateur une double identité ou
si ce dernier se trouve face à un dispositif de simulation qui l' “aspire”. La relation “spatiale”
entre le spectateur et le média pourra aussi permettre d’évaluer la liberté laissée à l’utilisateur.
Ici, on pourra aller chercher des concepts vus avec Manovich avec des notions de mobilité et
d’assouvissement. Ce critère nous amènera ainsi à définir le degré d’engagement dans
34
l’expérience. Nous pourrons alors voir comment les émotions peuvent engager l’utilisateur.
Aussi, ces critères font écho à notre travail et leur convergence permet d’approcher au mieux le
concept d’empathie, donnant alors tout son sens à notre analyse. Afin d’évaluer la qualité de ces
immersions, nous observerons enfin, différents indicateurs .
Présentation et justification des indicateurs choisis
L'immersion physique
La qualité de l’immersion physique, ou encore la sensation de présence, pourront se révéler au
travers d’indicateurs propres à chaque sens.
Un sens est «un ensemble de perceptions du milieu extérieur, de notre environnement.» Cela
implique à la fois des organes comme les yeux ou le nez qui sont dotés de mécanismes capables
de recevoir des stimuli extérieurs. Ces stimuli sont physiques (son, chaleur, lumière…) ou
chimiques (odeur, saveurs) . Une fois reçu par les « capteurs », le stimulus est transformé en
signal électrique par le système nerveux pour atteindre le cerveau où il sera reçu, traduit et
donnera lieu à une « réponse » sous forme d'action (enlever sa main car source de chaleur trop
importante par exemple…)
D’abord il est nécessaire de questionner si chaque sens “existe” dans l’expérience, s'il est
considéré ou s'il est renié. Pour ceux qui sont traités, il faudra indiquer ensuite, si le cerveau est
“dupe”, si les effets créés donnent lieu à une illusion crédible. Aussi nous chercherons à évaluer
la capacité du dispositif à tromper le cerveau en regardant les efforts mis dans le traitement des
sens.
La vue
Chez l'homo sapiens, l'organe doté du plus de capteurs sensitifs est l'oeil (135 millions de
récepteurs visuels versus 5 millions de capteurs de l'odorat, 700 000 pour le toucher et 30 000
pour l'ouïe). La vue est donc un des sens dominants, elle permet de traiter beaucoup
d'informations nécessaires à la survie. Néanmoins, comme nous l'avons déjà mentionné avec
Mac Luhan, le développement et la domination de ce sens ne relèvent pas d'un processus
purement biologique mais s'entrelacent plutôt dans des logiques culturelles et historiques. Aussi,
35
on retient souvent le passage de l'oral à l'écrit comme acte de naissance de l'ère du visuel dans
nos cultures. Depuis cette époque qui date de Platon, l'écriture, l'imprimerie, et aujourd'hui les
nouveaux médias n'ont fait que renforcer cette importante croissance de la vue dans nos
fonctionnements mentaux et sociétaux.46
Parmi les différents éléments que ces capteurs reçoivent et que le cerveau traite, on peut citer : la
luminosité, les couleurs, les contrastes, les dimensions, la distance, le champs de profondeur.
Aussi, nous regarderons comment le dispositif traite la vue en observant les jeux d'ombres et de
lumière, la qualité des images, la qualité du stitching, la profondeur de champs, l'usage des
couleurs et leurs contrastes. Nous évaluerons ainsi comment les capteurs visuels sont stimulés
dans l'expérience.
L'ouïe
L'ouïe est un sens avec un rôle et des caractéristiques uniques et spécifiques. C'est le sens qui se
développe en premier : déjà dans le ventre de la mère, le cerveau est sollicité par les sons que
capte l'oreille. C'est aussi le sens « social » car c'est ce sens qui permet la communication entre
les hommes. L'ouïe est en effet intrinsèquement lié à la parole et à notre capacité à nous exprimer
par des mots. Au delà même de permettre de communiquer et de vivre en société, l'ouïe donne
une perception de soi : Elle donne à entendre sa propre voix. C'est ainsi à la fois le sens de la
sociabilité et de la subjectivité.
47
A la différence de la vue, l'ouïe est un sens plus difficile à
orienter, à focaliser. Principalement l'ouïe humaine permet de capter les sonorités comme le
bruit, les sons, les timbres et le volumes sonore de ces éléments.
Dans LPI, nous chercherons des éléments prouvant que la perception sonore est immergée dans
l'univers virtuel, notamment en cherchant la qualité du son, la complexité des éléments sonores
(y a t il du bruit, une ambiance sonore ? Est-ce que tous les éléments ont leur propre identité
sonore ? ) et la spatialisation du son.
La proprioception
46
« La hiérarchie des sens et l'hypertrophie de la vue sont un résultat du processus de civilisation ». MARZANO
Michela (directeur) Dictionnaire du corps, edition PUF, 2007, p 680,
47
« Comme le sens de l'ouïe est rétroactif, le locuteur s'entend lui même . Son ouïe suit sa parole. Cela lui permet de
se suivre comme locuteur, d'être don re-fléchi. » ibid. p 679
36
La proprioception est rarement citée car elle ne possède pas à proprement dit d'organes capteurs
ou récepteurs de stimuli extérieurs. En effet ce sens existe par un lien direct entre les muscles, les
organes internes et le cerveau. La proprioception, c'est « la sensibilité du système nerveux aux
informations sur les postures et les mouvements venant des muscles et des articulations. »
La proprioception est capitale car elle relie beaucoup d'aptitudes physiques humaines avec les
autres sens (l'orientation, l'équilibre…) Le sens proprioceptif est un des défis les plus importants
pour la réalité virtuelle. Le cerveau a beaucoup de difficultés à traiter sa déstabilisation, ce qui
arrive moins régulièrement que pour les autres sens. Souvent, la réaction du cerveau est primitive
: Ce dernier va envoyer des messages pour alerter le corps d'un dysfonctionnement par la
création de sensations désagréables comme des nausées, ou des maux de tête.
Aussi, nous regarderons quels efforts ont été mis dans le dispositif pour réduire au maximum
cette déstabilisation durant l'expérience. Pour cela, nous verrons si la proprioception est respectée
en évaluant la concordance entre la position du corps de l’avatar et celle du corps de l’utilisateur
ainsi que celle des mouvements avec le tracking de position.
L'équilibrioception
Le sens de l'équilibre est physiologique, il permet à un humain de maintenir son corps dans une
position, lui évitant ainsi des chutes.
Ce sens a besoin de plusieurs capteurs sensitifs différents : la perception visuelle, la perception
spatiale avec l'oreille interne et la proprioception.
Nous regarderons les éléments qui permettent de stabiliser l’équilibre et l'orientation dans
l'univers virtuel, notamment en étudiant les éléments de caméra comme leurs positions et leurs
mouvements, la vitesse de ces mouvements et la fluidité des images. Enfin des éléments de
l'architecture virtuelle comme la présence d'un horizon, la présence d'un sol, pourront aussi être
de bons indicateurs d'équilibre.
Le toucher
Le toucher est aussi un des premiers sens : comme l'ouïe, il se développe très tôt in utero chez
l'humain. C'est le premier moyen de communication, pourtant il est dévalorisé pour incarner
alors un sens « tribal », « primitif » alors qu’il permet de comprendre les contours, textures,
volume, poids, et températures des objets. Il est donc nécessaire à la survie de l'homme.
37
Le sens tactile est reçu par la peau, ; sa particularité est de couvrir toute la surface du corps
quand les autres sens, eux, sont localisés à des endroits particuliers. Cependant, dans le toucher,
on peut distinguer la main parmi les organes récepteurs. Si la peau permet une sensibilité tactile
partout, elle reste un organe passif. Au contraire, la main permet de saisir et de se servir d'un
objet. « La main émancipe le toucher du reste de la peau » elle est dotée d’une capacité d'action
grâce aux muscles et aux articulations qui l'entourent. La main est notre outil premier, notre
interface qui permet de œuvrer et de créer, raison pour laquelle souvent, on la considère comme
liée à la naissance de l'humanité. Aussi, l'intérêt de ce sens est singulier pour notre étude : bien
que nous excluons les combinaisons haptiques qui procurent des sensations tactiles, nous
gardons ce sens comme élément d'étude pertinent pour le dispositif de LPI. En effet, si nous ne
pouvons pas étudier les capteurs sensitifs de la peau, nous pouvons malgré tout étudier dans le
dispositif comment est traité le toucher par la main. Nous chercherons si « la main » est présente
comme outil et comment elle est traitée comme un élément ou un outil dans le dispositif et par
quel intermédiaire.
L'immersion psychologique
Pour l’immersion psychologique, nous regarderons d’abord si un rituel d’installation a été pensé
pour permettre un passage gradué entre le monde réel et l’univers virtuel. Nous chercherons
ensuite les qualités immersives de l’expérience au travers de 3 axes : Le parcours utilisateur, la
personnalisation, et le degré d’engagement.
Parcours utilisateur
Pour étudier le parcours utilisateur dans l’expérience, nous regarderons principalement
l’architecture narrative de celle-ci. Précisément, nous essayerons de définir s’il y a une histoire,
si elle est construite autour d’un schéma narratif, si des moments scénaristiques sont établis et
quel rythme est choisi.
Incarnation et personnalisation
Ensuite, nous évaluerons dans quelle mesure l’utilisateur est intégré au récit, c’est à dire dans
quelle mesure il y prend parti. Nous chercherons d'abord s'il y a une identification aux
38
personnages voir une certaine appropriation, notamment en l'incarnant sous la forme d’un avatar.
Aussi, nous regarderons la place donnée au personnage auquel peut s’accrocher l’utilisateur pour
savoir quel rôle lui est accordé dans l’ histoire. S’agit-il du protagoniste de l’histoire (Est ce que
des éléments objets ou textes s’adressent à lui directement?) ou d’un simple personnage
secondaire? Enfin, s’il y a une présence d’avatar , nous évaluerons la qualité et le réalisme de ses
proportions, de son aspect et de sa texture, pour mesurer son degré de crédibilité. Nous prêterons
attention pour finir, à la présence d’éléments perturbateurs qui brisent “ l'illusion d’incarnation”
(éléments qui traversent le corps de l’avatar par exemple)
Interactivité et engagement
Enfin, nous chercherons à faire ressortir le degré d’engagement de l’utilisateur via des
indicateurs d’interactivité : L’utilisateur peut-il interagir avec l’environnement au global ? avec
des objets précis ? Les éléments avec lesquels il peut interagir sont-ils riches d’interactions et
complexes ?
Dans les critères et indicateurs que nous avons retenus, nous ne retrouvons pas certaines
des notions citées en première partie. Notamment, nous nous sommes arrêtés longuement sur les
critères de spatialité et de temporalité chez Manovich. Si certains de nos indicateurs recoupent
les indicateurs de spatialité, rien ne relève ici de la temporalité. En effet, si ce critère est très
intéressant dans l’œuvre de Manovich, il ne rentre pas suffisamment en concordance avec notre
sujet d’étude, lequel recentre la problématique sur le corps.
B) Analyse du dispositif et des discours des concepteurs
Maintenant que notre cadre est délimité (II.A.1) et que notre recherche peut s'appuyer sur
des éléments concrets comme nos indicateurs ( II.A.2) , nous allons pouvoir étudier le dispositif
du Photographe Inconnu, d’abord sous l’angle technique du dispositif et du média (II.B.1),
ensuite dans le discours et les opinions de l’équipe qui a travaillé sur le projet (II.B.2).
39
1) Description du dispositif
“Le Photographe Inconnu” (LPI) est une expérience interactive en réalité virtuelle qui offre à
l’utilisateur une plongée surréaliste dans les souvenirs fragmentés d’un photographe de la
Première Guerre mondiale. Pour le moment, le dispositif est disponible avec la technologie
d’Oculus Rift uniquement. Il nécessite un matériel particulier : un ordinateur, une interface avec
le casque de réalité virtuelle d’oculus et une télécommande type manette de jeu, ou joystick.
Le projet s’articule autour de photographies issues d’un album découvert dans une grange
abandonnée des Laurentides, au nord de Montréal (Canada). Ces photographies ont fait l’objet
d’une étude par le documentariste Bertrand Carrière que l’on retrouve dans le moyen métrage
Sur la piste de Fletcher Wade Moses. Après qu’on lui ait confié cet album photos retrouvé dans
le Nord Québec, ce réalisateur a décidé d’investir le passé du photographe à travers les lieux
présents sur ces images pour essayer de retracer sa biographie. Si cette quête lui a permis de
visiter et faire vivre la mémoire de lieux marqués par la guerre, elle n’a pas permis de retracer
clairement le rôle tenu par Fletcher Wade Moses durant la guerre. Ce projet documentaire de
Bertrand Carrière est la genèse du projet LPI. En effet, LPI est un docu-fiction en réalité virtuelle
qui mélange des photographies réelles et une narration fictive qui s’apparente à la voix intérieure
du photographe. Au travers de cinq « séquences », l’expérience souhaite inviter à la réflexion sur
le pouvoir des images et les ravages de la guerre, celles du passé, du présent, et du futur.
Immersion physique
La vue
La vue est extrêmement sollicitée dans le dispositif de LPI. On peut déjà noter la qualité de
l’image et du stitching qui assure une immersion de l’utilisateur. LPI comporte principalement
des éléments visuels en animation images 3D d’une très grande qualité. Parmi cet univers visuel,
on retrouve les véritables photographies du soldat qui ont été scannées en haute résolution et
placées à différents endroits dans le dispositif. La juxtaposition de ces deux univers visuels et le
40
contraste entre eux (vieilles images du début du siècle dernier/ performances artistiques 3D)
permettent une mise en lumière mutuelle des deux styles d’éléments visuels.
Les variations d’univers selon les chapitres, s’accompagnent de couleurs, de luminosité et de
contrastes propres à chacun, venant encore une fois solliciter l’immersion et l’attention visuelle
du spectateur. Enfin, le champs de profondeur est travaillé et mis en valeur par le placement des
objets dans les espaces ; cette caractéristique génère ainsi une impression d’un univers complet et
complexe, et lui assure la sensation d’évoluer dans un environnement en quatre dimensions.
L’ouïe
La place du son et l’importance de l’ambiance sonore sont un des atouts primordiaux de
l’expérience. Une attention bien particulière leur a été donnée dans le travail de création, tant
dans leurs qualités que dans leurs significations. En effet, LPI utilise la technologie de son
spatialisé. Cette technologie permet de “placer” les sons et les bruits dans l’espace, offrant des
sons avec une qualité en haute définition pouvant provenir de devant, derrière, des côtés. Cette
technologie renforce le réalisme de la scène pour l’utilisateur.
Dans ces stimuli sonores, on remarque principalement des voix narratives. Chacune des voix a
son timbre, son volume et sa sonorité particulière. Ces voix sont situées à différents endroits et
desservent ainsi le fond de l’histoire : dans cet entrelacement des voix, on peut comprendre la
complexité de la personnalité du personnage: entre perte identitaire et schizophrénie.
Le toucher
Il n’y a pas de toucher virtuel dans l’expérience. Néanmoins, le spectateur est en contact
physique avec le joystick durant l’expérience. Cette interface ne lui sert pas d’outil pour saisir
des
objets
dans
l’espace
virtuel
mais
permet
de
gérer
son
déplacement.
La proprioception
La proprioception est un élément assez négligée dans l’expérience. Il n’y a pas de concordance
entre l’avatar et l’utilisateur puisque l’avatar peut se déplacer alors que l’expérience demande à
l’utilisateur d’être en position assise.48 De plus, les mouvements de l’avatar se rapprochent de la
sensation du vol, le mouvement est très fluide et assez rapide. On est donc éloigné d’une
48
Voir annexe 5
41
sensation de la marche. Ces éléments créent une perturbation importante qui génère souvent des
sensations de nausées et maux de tête lors de l’expérience. De plus, la durée de celle ci (20
minutes) ne favorise en rien la tolérance du cerveau à une telle dissonance, entre le perçu et le
réel .
L'équilibrioception
Pour renforcer le côté fou et fantasmagorique de l’expérience, l’architecture de l’univers est
déformée : certaines scènes se présentent sans horizon, sans sol, et avec des disproportions de
l’espace. Si ces choix favorisent l’aspect artistique et créatif du projet, ils restent des éléments
qui déséquilibrent l'utilisateur au niveau physique car ils déstabilisent l’oreille interne et peuvent
provoquer une forte désorientation.
Immersion psychologique
L’expérience de LPI débute avec une petite introduction dans un espace virtuel simple, qui
donne ainsi le temps à l’utilisateur de s’acclimater à ce nouveau lieu. On a pu apprécier un genre
de rituel à l’intérieur du dispositif pour rentrer peu à peu dans l’expérience.
Parcours utilisateur
Comme nous l’avons vu , LPI est un genre de docu fiction qui, dans un univers à la fois effrayant
et fantastique met en lumière les souvenirs parsemés et la folie qui s'emparent du protagoniste
42
apparemment ancien soldat ou photographe de guerre. L’expérience retrace donc l’histoire de cet
homme et traite d’un genre d’introspection où celui-ci, perdu dans sa mémoire, cherche à donner
un sens à ses souvenirs épars.
LPI se découpe en cinq chapitres qui sont distincts pour l’utilisateur grâce au fait qu’il sont
situés dans différents espaces virtuels. C’est le déplacement de l’utilisateur dans les univers
virtuels qui permet le passage d’un chapitre à l’autre.
Le rythme proposé dans le déroulement de l’histoire est donc laissé au libre arbitre de
l’utilisateur. Ce choix offre une liberté agréable à l’usage et n’influence pas pour autant la
compréhension ou le déroulement de l’histoire. LPI a une durée assez importante (une vingtaine
de minutes). Cette caractéristique peut jouer défavorablement sur l’immersion mentale et
physique. Aussi, pour rendre le plus agréable possible cette immersion assez longue,
l’architecture narrative chapitrée et les changements d’univers qui les accompagnent offrent un
rythme qui casse la longueur de l’expérience, renforce l’attention et améliore alors l’immersion.
Personnalisation et avatar
La personnalisation de l’expérience est assez riche pour une des premières oeuvres de réalité
virtuelle. Dès le départ, l’utilisateur est mis dans la peau du protagoniste. Il subsiste un flou
volontaire entre le fait que soit l’utilisateur incarne le personnage ou le guide, soit l’utilise
comme un tiers personnage. Ce manque d’identification précis du personnage principal
s’explique par le fait que lui-même ne sait pas qui il est ou qui il a été. La position ambivalente
de l’utilisateur dessert en fait la volonté artistique et prend tout son sens à la lumière de l’histoire
racontée. L’incarnation du personnage se fait à travers deux manières : l’utilisateur est maître des
déplacements de l’avatar par l’intermédiaire de la manette de jeu, et les voix que l’on entend tout
au long de la visite s’expriment à la première personne.
Dans le domaine du jeu vidéo on parle d’Uncaney Valley (l’étrange vallée) pour nommer les
situations où un avatar virtuel crée un sentiment d’étrangeté par sa ressemblance et ses défauts
avec un réel humain. Paradoxalement, plus un avatar a une apparence proche de l’humain, moins
le spectateur est près à accepter la présence d’un défaut de ressemblance : Si ce cas de figure se
présente, la dissonance entre réel et virtuel brise immédiatement l’illusion et créer un malaise,
une gêne psychologique chez le spectateur. Aussi, dans LPI, il faut noter que si l’avatar
protagoniste ne présente aucun signe physique visible, on croise à plusieurs reprises des
43
personnages dans les différents chapitres. Ces personnages n’ont rien d’humain : Soit les
proportions sont déformés comme sur la photo ci-jointe, soit ils ne possèdent pas de traits
humains, d’aspects ou de textures qui s’apparenteraient à un corps humain. Puisqu’il n’y pas de
tentative de représenter fidèlement l’humain, l’illusion de réalisme ne peut pas être brisée, et le
risque de voir apparaître une “uncaney valley” est écarté.
Degré d’engagement
Dans un sens, il y a un certain degré d’interaction entre le personnage et l’utilisateur : Comme on
l’a dit, c’est ce dernier qui par exemple permet à l’avatar de déclencher les nouveaux chapitres
en se déplaçant vers les différents espaces. C’est aussi l’utilisateur qui décide où poser son
regard, le casque lui permettant d’interagir passivement avec les objets qui l’entourent.
L’univers interagit avec l’utilisateur dans le sens où ces données de position sont traitées et
permettent la création d’éléments visuels (petits flash de lumière) pour orienter l’utilisateur
quand il se perd, ainsi que la création d’éléments sonores qui s’enclenchent quand son regard ou
sa position s’approchent de certains éléments.
Néanmoins, cette interactivité reste limitée : il n’ y a pas d’échange rétroactif avec des éléments
du décor ou d’autres avatars présents dans le dispositif .
Enfin la narration faite de la voix intérieure et des pensées à voix haute de l’avatar amplifie
l’impression d’incarner un corps “étranger”. On peut aussi déplorer le manque d’éléments
44
complexes qui permettraient beaucoup d’interactions. LPI offre donc un personnage et un
environnement qui engagent le spectateur et l’invitent à participer (son spatialisé, éléments
visuels et sonores qui se déclenchent grâce au tracking de position) mais ne permet pas
d’interactions plus nombreuses avec des éléments ou des objets, laissant alors l’utilisateur
relativement passif durant l’expérience.
Les différentes éléments vus précédemment nous permettent de mesurer la “définition”
du média de la réalité virtuelle dans le cas de l’expérience de LPI. Précédemment, on a exploré
la classification des médias selon Mac Luhan dont l’échelle d’évaluation est basée sur la capacité
d’absorption des sens : plus un média captive, plus il sollicite de sens, plus il est chaud.
La réalité virtuelle dans LPI se base au moins sur quatre sens : la vue, l’ouïe, l’équilibroception
et la proprioception. La sollicitation de ces sens est intense : ces derniers sont complètement
immergés et trompés par les éléments du média. Les procédés mis en place avec le dispositif
suppriment complètement l’environnement qui entoure le spectateur ; aussi la réalité virtuelle se
classe définitivement dans la catégorie des médias chauds.
En abordant la question de la réalité virtuelle, Manovich ouvrait deux voies de réflexion sur la
spatialité avec ce média : Soit ce dernier offre à voir une réalité virtuelle complètement dans la
continuité de la réalité tangible, soit il renie cette dernière pour construire un monde à part. Dans
le cas de LPI, il est clair que c’est cette dernière supposition qui a été exploitée. Aussi dans cette
expérience créant un univers entier et nouveau, le spectateur n’a pas de double identité : Il n’a
plus conscience du monde extérieur et sa présence dans l’expérience est intègre.
Cette ubiquité de l’utilisateur permet alors d’aborder l’immersion psychologique de celui-ci.
Comme il est mis en avant par Manovich, l’utilisateur est assouvi par le dispositif technique qui,
comme on l’a vu, est assez important (ordinateur, casque audio, casque de RV et joystick).
Néanmoins, sa liberté de mobilité subsiste voire s'améliore par ce dispositif qui offre la
possibilité de déplacer son avatar dans la réalité virtuelle. Enfin, la liberté d’interprétation et
d’appropriation du contenu est à discuter. A première vue, on peut dire que la sollicitation des
nombreux sens ne favorise pas la liberté d’interprétation par l’utilisateur. La réalité virtuelle crée
un nombre importants “d'extensions sensorielles” qui contingentent le travail de l'imagination et
limitent les extrapolations et appropriations du contenu par le spectateur. Cependant, on a pu voir
45
que la personnalisation de l’avatar est délibérément chaotique et floue. Cette absence de
définition redonne donc une marge d’interprétation aux utilisateurs.
2) Analyse des entretiens et comparaison avec l'analyse du dispositif
Il a été possible de rencontrer trois membres de l’équipe de création de LPI lors d’un
entretien groupé le 04 Mai 2016. Le réalisateur-concepteur et spécialiste son (Loïc Suty) , le
directeur technique et lead développeur (Osman) et la directrice artistique (Claudine Matte)
étaient présents pour discuter du projet LPI sur lequel ils ont travaillé ensemble.
L’entretien groupé est un choix qui semblait le plus pertinent par sa contiguïté avec la manière
dont le projet a été à la fois conçu et produit. En effet, pour une oeuvre de réalité virtuelle, et plus
particulièrement dans le cas de LPI, une méthode de travail dite en “itération” a été choisie. Cette
méthode centralise l’attention sur l’imp1ortance du prototypage. Celui-ci doit être régulier : A
chaque nouvelle idée, un prototypage doit être effectué pour vérifier la faisabilité du concept
avant la phase de production. Cette gestion de projet est préconisée par les méthodes de travail
Agiles49 qui favorisent la collaboration comme fonctionnement d’équipe plutôt qu’une division
trop importante des tâches de travail, comme cela se pratique avec les méthodes traditionnelles
dites en “cascade”.
Reconstituer l’univers de la méthode qui fut la leur permet ainsi de mieux rendre compte des
entrelacements des rôles et des enjeux de chacun durant le projet.
Beaucoup d’informations ont pu être déduites de cette conversation tant sur les processus et
moyens de création que sur la relation entre l’artiste, le média et le récepteur. Nous allons essayer
de regrouper ces informations sous différents axes transversaux qui serviront à la fois l’analyse
du dispositif que nous avons déjà entamée précédemment et à l’élargissement de la réflexion.
Les enjeux créatifs et techniques liés à l’absence de maturité du marché
49
Voir annexe 3
46
La précocité du projet au vu du développement de l’écosystème de la réalité virtuelle est
une caractéristique qui a le plus marqué l’expérience tant dans la façon dont elle a été pensée que
conçue. En effet, créer et produire un produit pour un marché inexistant et un média peu exploité
au moment de sa conception est à la fois une source de grande liberté et la cause de nombreuses
difficultés. Aussi, les propos de l’équipe révèlent un déficit important de références, de
grammaires et de codes sur lesquels s’appuyer durant les étapes du projet.
En conception par exemple, le rédacteur et développeur technique ont souligné la pauvreté de
l’offre de contenus en réalité virtuelle qui se serait rapprochée de la forme “déambulatoire”
comme souhaité pour l’expérience de Turbulent. Si à l’époque aucune oeuvre ne permettait
réellement le déplacement dans l’espace, les phases d'idéations se sont donc principalement
inspirés d’œuvres issues du milieu du jeu vidéo (The Restore, The Vanishing of Ethan Carter …)
“Nous on s’est dit, nous notre idée c’est de faire un truc très déambulatoire, très muséal right ?.
On s’est rendu compte que y a personne qui faisait ça, le monde ce qu’il faisait c’est qu’il te
mettait sur un point dans la scène, tu peux pas bouger, puis tu peux juste tourner autour de toi .”
Osman Zeki
Néanmoins, cette absence de modèle est à considérer dans une moindre mesure comme un frein à
la création. Généralement, la qualité artistique d’un projet émane en partie de son caractère
novateur, son créateur ayant pour ambition d’inventer quelque chose. Le manque de cadre de
référence n’a donc pas été une réelle contrainte : Au contraire, elle a permis une ouverture
d’esprit qui aurait pu être biaisée par la connaissance d’une œuvre similaire. De même, Claudine,
la directrice artistique souligne que leurs méconnaissances et leurs absences de réelles
compétences dans le domaine de la réalité virtuelle et dans l’animation 3D (exception faite de
Osman qui avait déjà travaillé sur des jeux vidéos) ont été un avantage. La volonté d’appliquer
une méthode de travail qui n’est pas appropriée aurait été, au final, une source de ralentissement
et de problèmes plus importants. La création couplée à un apprentissage a été permise avec la
mise en place d’outil et de méthode de travail “agiles”.
47
“Ce que je veux dire c’est qu’on avait pas de recette, les gens qui travaillent dans les jeux vidéos
ils ont une méthode, une recette, [...] Nous on est arrivé puis c’était ben , on a pas de manière de
faire , puis y a pas de règles, puis ça tombe bien parce qu’on les connaît pas de toute façon.”
Claudine Matte
Par ailleurs, l’accord unanime du reste de l’équipe confirme l’idée que, si a priori le manque de
compétences freine la productivité, l’état actuel encore précoce de la RV peut constituer un
élément stimulant la créativité et ouvrir le champs des possibles à des équipes non qualifiées.
Des qualités comme la créativité, la rigueur et une méthode en itération sont néanmoins
indispensables pour permettre à ce désavantage de se transformer en atout.
Toutefois, si l’incompétence des ressources humaines a pu facilement être surmontée,
l’inexistence d’outils de création 3D réellement adaptées à la réalité virtuelle et l'instabilité des
outils subsidiaires ont quant à eux, présenté le principal défi pour le projet.
Le principal outil de création utilisé pour le projet de LPI est le logiciel et moteur de jeu
UNITY. En effet, il est possible avec de simples logiciels de jeux vidéos de créer des expériences
3D qui peuvent se visionner avec les casques de réalité virtuelle. Tous les membres de l’équipe
se sont accordés sur la nécessité que chacun se familiarise un minimum avec le logiciel afin de
faciliter le dialogue de travail. Cependant, les personnes les plus impliquées dans l’utilisation du
logiciel (directeur technique et direction sonore) ont souligné diverses difficultés rencontrées
avec cet outil.
Accessible uniquement sur des interfaces 2D, il était nécessaire pour les réalisateurs de jongler
avec les deux interfaces ordinateur/casque VR. Ce rythme tâtonnant entre production, correction
des bugs via l’interface de l’ordinateur et visionnement, puis test QA avec l’interface finale du
casque, a été une importante source de ralentissement dans la production.
Surtout, l’instabilité du logiciel de Unity dont les mises à jours rendent inutilisables les
productions antérieures à celle-ci, fut un élément très chronophage pour le directeur technique.
Par ailleurs les capacités du casque ne permettaient pas une interface pour se déplacer à sa guise
dans le temps de l’expérience (pas de possibilité d’avancer, accélérer, reculer). Couplée aux
48
problèmes mentionnés ci dessus, la correction des erreurs et des bugs techniques a donc été une
source de pénibilité et une perte de productibilité importante durant la réalisation de l’expérience.
Pour finir, un dernier sujet à aborder lié au stade de maturité du marché découle des conditions
d’expérimentation. En effet, les expériences de réalité virtuelle sont principalement disponibles
dans des espaces publics, notamment lors de festivals. L’équipe déplore ainsi les mauvaises
conditions dans lesquelles le public est installé pour essayer l’expérience. Bien trop souvent, la
présence des casque de réalité virtuelle est un outil de promotion pour les festivals et ils sont mis
à disponibilité là où ils seront les plus visibles. Ces emplacement nuisent fortement à
l’expérience : Souvent, les utilisateurs se trouvent dans des passages bruyants, des lieux publics
mouvementés, le tout formant des “bruits” extérieurs qui brisent l’immersion.
L’immersion, un élément constitutif du média
De manière très unanime, l’équipe a décrit le travail pour créer une immersion totale comme une
tâche assez facile. Malgré le manque d’efficacité du matériel et l’absence de réelles compétences
dans les ressources humaines, les propos de l’équipe assoient l’idée que le média de réalité
virtuelle est en soi et par nature une garantie d’immersion.
Paradoxalement, la création ne s’est pas focalisée sur des techniques et des éléments qui créaient
l‘immersion mais a plutôt prêté une forte attention à ce qu’aucun élément ne vienne casser
l’immersion. La meilleure manière de créer l’immersion semble donc de laisser la magie du
casque opérer. Garantir la qualité de l’immersion revient alors à la protéger du monde réel plutôt
qu’à la créer de toutes pièces. Supprimer les obstacles physiques dans la pièce, supprimer les
nuisances sonores, éviter les contacts tactiles… Un ensemble de règles de base simples à
appliquer suffisent à offrir une immersion totale et garantir le sentiment de présence dans
l’univers virtuel. Comme l’expliquait Manovich, l’espace entre le corps du spectateur et l’écran
provoque selon les dispositions, une sensation de re-presentation, ou de simulation. Manovich
démontrait ainsi que la réalité virtuelle créait une continuité entre l’espace réel et l’espace
virtuel, condition sine qua none pour créer un effet d’immersion. Les propos d’Osman et de Loïc
renforcent la proposition de Manovich et la précise avec des termes techniques. En effet, les
49
images stéréoscopiques et le tracking de position et d’orientation sont constitutifs de la sensation
de présence.
Un des défauts de l’expérience mentionnée dans notre première analyse était le non respect de la
proprioception qui est à la fois une interruption de l’immersion et une source de mal-être
physique pour l’utilisateur. Cet élément a permis d’évoquer avec l’équipe les limites de la réalité
virtuelle. En effet, reconnu comme une des faiblesses de l’expérience, le choix de ne pas
respecter la proprioception reste un compromis assumé par l’équipe afin de servir les objectifs
artistiques qui cherchaient avant tout à créer une “déambulation”. Comme expliqué par le
directeur technique, le choix d'asseoir l’utilisateur ne respecte pas la proprioception mais reste la
solution la plus agréable au niveau du ressenti : La position debout a rendu plusieurs personnes
malades
50
et l'espace de déambulation virtuel est trop grand pour être reproduit dans un univers
réel 51.
Ce compromis concerne aussi le choix de l’interface (le joystick). Ce choix représente, selon
l’équipe, la meilleure solution. Le joystick permet à la fois de statisfaire à des publics qui
connaissent mal les interfaces de jeu et à un public au profil “hard gamers” qui au contraire, est
habitué aux manettes et a instinctivement des réflexes liés à l’interface mais ne correspondant
pas aux buts de l’expérience52.
Enfin, on peut aussi noter un consentement de l’équipe sur la facilité de créer de la réalité
virtuelle. Outrepassés les problèmes techniques et les compromis établis, la création des objets
présents dans l’univers et la spatialisation sont simples à effectuer car elles revêtent un caractère
très universel, qui sollicite les ressentis humains et non des compétences professionnelles.
“ mais tu sais c’est assez facile, si je place le cube au dessus de moi , c’est quoi me sens tu petit?
me sens tu oppressé? C’est facile de savoir les feelings que tu vas chercher.[...] Tout le monde
va être assez d’accord sur le sentiment que ça peut apporter”
Claudine
50
“Non mais t’sais ça reste que si t’avais des gros blocks avec les photos puis que tu marchais , j’suis pas sur que ça
aurait été agréable de faire LPI debout, même si on avait eu l’espace même si on avait eu le temps ….”, voir annexe
4
51
“c’est un compromis . enfait c’est que notre univers était trop gros pour le contenir dans un espace” voir annexe 4
52
“C’est comme si la personne elle était déçu de pas pouvoir courir, de pas pouvoir sauter, t’es là mais oui mais c’est
pas le but.” voir annexe 4
50
Ainsi, l’immersion des sens n’est pas le fruit d’un travail laborieux avec des phases d’idéation et
de conception puisque ce n’est pas le contenu mais bien le média qui crée l’immersion. Si on
a vu que le dispositif en lui même répondait à la catégorie de média chaud chez Mac Luhan, on
percoit aussi les limites de cette classification. L’immersion offerte par les casques, aussi intense
soit-elle dans son concept technologique, reste très fragile et peut être brisée facilement lors de
son exploitation. Comme on l’a vu, ce problème a été soulevé lors de festivals où l’expérience
était mise à disposition du public.
Une immersion mentale qui repose sur un “contrat” et se construit sur une mise en espace
ingénieuse du contenu
LPI est un docu-fiction qui, on l’a vu, permet d’incarner une personne ayant vécu la guerre et qui
ne se souvient plus de son identité. Cette quête identitaire se déroule dans un monde onirique,
fantastique par ses couleurs, contrastes, formes, et par les personnages qui y habitent (enfant cerf,
géants…) Ce monde ne représente donc en rien la réalité dans laquelle nous vivons. Néanmoins,
comme le mentionne l’équipe, l’important pour une immersion de qualité ne réside pas dans le
réalisme mais dans la sensation de présence. La réalité virtuelle fonctionne de manière similaire
aux autres univers fictionnels: L'immersion psychologique se fonde sur peu de choses à
condition que l’utilisateur accepte les règles artistiques choisies.
“Pour en revenir à la question de l’immersion , ce qui est important c’est pas tout le côté je suis
immergé grâce à l’outillage, mais c’est pas rendre les choses réalistes, parce que visuellement
c‘est pas réaliste, et en fait, y a un contrat de lecture d’emblée avec l’artiste [...]”
Loïc Suty
Aussi, dès le début de l’expérience, l’utilisateur passe un contrat implicite avec le
créateur et accepte de fait, les codes et l’univers artistique que ce dernier a choisis. Comme dans
un jeu, le destinataire doit faire preuve d’une certaine capacité d’abstraction pour accepter ces
règles. Cependant, si celui-ci accepte la réalité inventée par le créateur, celui-ci doit en
contrepartie, respecter les codes et logiques qu’il a instaurés dans son monde. Si par exemple,
l’utilisateur peut se déplacer mais ne peut pas traverser les murs, à aucun moment il ne faut que
51
cette impossibilité disparaisse. Une fois ces conditions posées, le travail demandé pour la
crédibilité de l’expérience et la qualité du sentiment de présence reposent dans les mains du
directeur technique, dont nous avons précédemment vu les principaux problèmes et limites
rencontrés.
Dans l’analyse du dispositif, nous avions évalué l’immersion psychologique au travers des
indicateurs choisis soit : le parcours utilisateur, la personnalisation de l’expérience et le degrés
d’engagement. L’entretien a permis de préciser certains de ces indicateurs. Notamment, on avait
conclu dans un premier temps que le chapitrage de l’expérience était un élément de scénarisation
favorable au parcours utilisateur. L’entretien a révélé que ce découpage en 5 parties est en fait
une astuce technique pour faciliter la lecture et le chargement de datas dans l’expérience pour les
casques et les ordinateurs. D’ailleurs, le concepteur et réalisateur ont pointé du doigt l’absence de
trame narrative dans l’expérience. Si le spectateur a l’impression qu’une histoire se déroule, cela
est davantage dû au dynamisme et à la cadence des moments de l’expérience qu’à la présence
d’éléments scénaristiques. Comme l’équipe la caractérise, l’expérience du Photographe Inconnu
est bien une déambulation “muséale” et non pas une pure fiction narrative.
Pour l’équipe, c’est l’usage de la forme (la réalité virtuelle) pour illustrer et mettre en scène le
fond (un humain ayant vécu la guerre) qui est perçu comme le véritable défi créatif. Ce défi
représente un enjeu important pour faire se rencontrer l’immersion physique avec l’immersion
mentale dans l’univers souhaité par les artistes. Comme surenchérit Claudine, l’équipe ne
souhaitait pas provoquer des émotions élémentaires comme la joie, la peur, la colère, la tristesse
ou encore l’amour ; Au contraire, la volonté était de susciter des “entre-émotions”, des
sentiments complexes, situés dans des “interstices mentaux”.
Il a donc fallu trouver des moyens ingénieux pour que les objectifs
artistiques et ceux
expérimentaux se rejoignent et fassent sens, ensemble. Ainsi, par exemple, un des sentiments sur
lequel le concepteur réalisateur insiste, est celui de “monumentalité”.
“Tu as un sentiment de monumentalité, ça c’est un mot qui est apparu très vite dès le début, que
t’as pas autrement , pas forcement sur un écran , parce que ton écran il est petit comme ça .”
Loïc Suty
52
La monumentalité est commune à la guerre et à la réalité virtuelle. C’est à la fois un élément
propre à l’animation 3D qui donne à voir des rendus plus impressionnants que des éléments plats
en 2D . Dans un sens complètement différent, la monumentalité est aussi une des caractéristiques
de la première guerre mondiale qui est synonyme de guerre totale, de brutalité intense avec la
destruction massive de la nature et la cause de millions de morts.
Aussi, représenter la monumentalité est facile en réalité virtuelle : Elle s’obtient simplement en
inversant les proportions de l’univers virtuel et en modifiant certaines échelles de grandeur. Ces
éléments permettent alors de recréer des caractéristiques de la guerre sous des formes
métaphoriques. Ce changement physique a en plus, des implications fortes et diverses sur
l’immersion et le ressenti émotionnel dans l’expérience : Sentiment de petitesse qui provoque par
exemple à la fois la peur de se faire écraser et celui de voyeurisme (trop petit pour être remarqué
par les géants). On a donc des sentiments qui s’entremêlent et qui créent une expérience
émotionnellement complexe pour l’utilisateur.
Ainsi, on peut conclure de ces éléments que Le Photographe Inconnu réussit ce que toute oeuvre
cherche : une intelligente et créative convergence de la forme et du fond. D’ailleurs, l’équipe
relate bien que le format de réalité virtuelle a sauvé le projet : Au départ développé pour être une
expérience tactile sur Ipad, ce projet était dans une impasse créative ou aucun concept ne créait
l’unanimité et suscitait de l’enthousiasme dans l’équipe. Finalement, le format en réalité virtuelle
a donné à l’œuvre un cadre permettant l’expression de tout son potentiel. Comme on l’a vu, tant
la représentation de la guerre dans sa folie et son immensité (déformation des univers pour créer
un univers grandiose, coloration sombre pour provoquer gêne et peur…) que la complexité du
personnage principal (expérience subjective à la première personne, spatialisation du son pour
rendre les différents aspects de personnalité) sont rendus possibles par des manières fines et
subtiles dans cette expérience de réalité virtuelle.
53
L’étude du Photographe Inconnu nous servait de moyen pour confirmer l’hypothèse de
Chris Milk et Nonny de la Penna étudiée en première partie (I.B). En proposant des critères et
des indicateurs (II.A), nous avons cherché à confronter cette hypothèse avec la réalité.
L’étude de LPI est un bon objet pour une étude de cas car la disposition et le matériel demandés
par cette expérience sont assez simples. Ils se rapprochent donc le mieux du type d’expériences
qui seront accessible aux foyers dans un futur proche. Nous pouvons sans risque généraliser un
certains nombres d'informations tirés de cette étude de cas.
Aussi, de cette étude du Photographe Inconnu nous pouvons déjà tirer un certain nombre
de conclusions pour confirmer dans une certaine mesure leur hypothèse.
L’étude du dispositif et les échanges avec l’équipe, on peut affirmer que l’immersion dans ce
projet tient principalement à une immersion physique obtenue, de fait, par le média et une
immersion psychologique créée par le contenu. Ces éléments confirment l’ampleur de la capacité
immersive du média que nous avons présagé dans la partie précédente. Enfin, l’étude de LPI est
d’autant plus intéressante que cette expérience est très qualitative dans son aspect contenu : On le
voit dans le dispositif et dans le discours de l’équipe, d’importants efforts artistiques et créatifs
ont été mis dans ce projet. Avec l’exemple de monumentalité dans LPI, on a ainsi pu prendre
conscience que le flot émotif suscité chez l’utilisateur est le produit à la fois de la rencontre avec
le contenu et celle avec le média. Aussi, cela permet de confirmer dans une certaine mesure
nos hypothèses : La réalité virtuelle est porteuse d’expériences émotionnellement très
fortes, néanmoins la force des émotions suscitées reste intrinsèquement liée à la qualité de
la rencontre entre le contenu et le média.
D’une part, on a donc constaté que la réalité virtuelle est un média très puissant, qui crée
une immersion psychologique très forte et une immersion physique importante. Ces conclusions
sont unanimes dans les discours de différents réalisateurs et concepteur d’expérience VR (I.B,
II.B) et sont visibles dans le dispositif du projet de Turbulent (II.B). Malgré tout, l’entretien avec
l’équipe nous force à relativiser la force immersive de la réalité virtuelle. Une première limite à
l’immersion a été mise en valeur dans notre étude : Si les casques de VR sont par nature
immersifs, celle-ci reste très fragile et menacée par de nombreux éléments qui sont exogènes au
média. Le déficit d’outils de création et de production limitent la qualité des dispositifs; aussi et
54
surtout, les lieux d’exploitation et d’expérimentation sont principalement dans des espaces
publics ouverts, qui n’offrent pas un cadre propice à une immersion qualitative (II.B.2).
D’autre part, on a pu mesurer l’ampleur du pouvoir de la réalité virtuelle comme média
vecteur d’émotions. Décrits et vantés par les conférenciers du TED (I.B), beaucoup de
sentiments sont en effet suscités dans l’expérience de LPI. (II.B) Ces sentiments sont le résultat
d’une ingénieuse mise en scène du contenu, valorisé et exploité avec finesse
par les
caractéristiques du média. Les sentiments provoqués dans l’expérience LPI ne relèvent pas de
l’empathie. Cette expérience n’a pas donc pas permis de démontrer que la réalité virtuelle était
“machine créatrice d’empathie”. Pour autant les propos récueillis et l’analyse permettent de
mettre en avant le potentiel des affects dans les expériences en réalité virtuelle. Aussi en
extrapolant, on peut en effet penser que l’immersion créée par ce média associée à un contenu
émotionnel cherchant l’empathie doit en effet renforcer la faculté de se mettre à la place d’autrui
pour ressentir des émotions. Cependant, cette validation ne permet pas de conclure à la
possibilité de faire réagir, mais bien seulement de « ressentir ». Tout amalgame entre émotion et
raison doit être écarté; aussi, si nous pouvons conclure que la réalité virtuelle fait ressentir de
manière plus forte les émotions aux utilisateurs, aucune conclusion ne peut être tirée sur sa
capacité à nous faire réagir voire même agir a posteriori.
Dans un dernier temps, nous allons chercher à confirmer notre contre-hypothèse qui
défend une position plus critique et radicale envers ce nouveau média. Sans nier sa capacité
émotionnelle, nous souhaitons opposer à l’idée utopique portée dans les TEDs, une vision plus
complexe de la réalité qui entoure la VR, qui nous semble être le théâtre d’enjeux pluriels.
55
III) La réalité virtuelle, vers “le meilleur des mondes” ? Limites et enjeux
d’un nouveau média
“Les plus grands triomphes, en matière de propagande, ont été accomplis, non pas en faisant
quelque chose, mais en s'abstenant de faire. Grande est la vérité, mais plus grand encore, du
point de vue pratique, est le silence au sujet de la vérité .”
Aldous Huxley, Le meilleure des Mondes
56
En résumé, notre étude nous permet de constater le stade encore très expérimental dans
lequel se place la réalité virtuelle. Champs artistique, médiatique, ludique... la définition de la
place et du rôle de ce nouvel espace de création est en train de s’écrire. De plus, nos recherches
théoriques et pratiques ont permis de vérifier l’existence d’une unanimité sur le fort potentiel que
l’on peut attribuer à ce média en terme d’immersion . Au delà de cette conclusion, aucun élément
ne nous a permis d’extrapoler sur la durabilité et “la mise action” des émotions suscitées dans un
univers de réalité virtuelle. Rien ne sous-entend dans les études mises en avant que la promesse
de C. Milk ou Nonny de la Penna, puisse se réaliser. Au contraire, une première limite à
l’immersion -sa fragilité-, a été mise en valeur par notre étude de cas sur le Photographe
Inconnu. Pour conclure, les deux postulats sur lesquels se bâtit l’idée que la réalité virtuelle est
une “machine créatrice d’empathie” sont vérifiables techniquement mais cependant, un contour
se dessine autour de cette hypothèse, limitant ainsi la promesse qui l’accompagne.
Dans un dernier temps, nous allons continuer à explorer ces limites en élargissant la
réflexion à des aspects plus philosophiques, portant sur les oeuvres techniques elles-mêmes
(III.A.1) et sur les liens entre émotions et réflexion (III.A.2). Une fois ce travail achevé, nous
ouvrirons notre pensée pour étudier les enjeux qui entourent la réalité virtuelle. Précisément,
nous appréhenderons les enjeux de santé qui apparaissent (III.B.1). Pour conclure, nous
étudierons les enjeux économiques d'une part, politiques d'autres part, qui sous tendent le
développement de ce marché. (III.B.2 et 3)
A) Les émotions comme finalité : limites du pouvoir de l'immersion et
des médias sur les hommes et la société
Décentrer notre regard des sciences de l’information et de la communication pour le tourner vers
des champs disciplinaires nouveaux enrichira notre réflexion sur la RV. Des regards plus
critiques sur les médias et les technologies permettent notamment de dévoiler des aspects plus
57
sombres de celle-ci qui demeuraient jusque là invisibles dans nos recherches. Afin de mieux
délimiter les potentiels de la RV, nous allons, en conservant les notions développées par Mac
Luhan et Manovich, explorer avec une approche transversale celle de Walter Benjamin sur l’art
(III.A.1) ainsi que celle de Bernard Stiegler sur les médias (III.A.2).
1) Les interfaces, barrières à l’authenticité de la réalité ?
- L'unicité de l’œuvre
“l’authenticité d’une chose réside dans tout ce qu’elle peut transmettre d’elle depuis son
origine, de sa durée matérielle à son pouvoir d’évocation historique.”
Walter Benjamin
Dans son ouvrage L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, le
philosophe allemand W. Benjamin dénonce l’art qui peut être reproduit en série. Ces œuvres ne
prennent plus leur sens dans un içi et dans un maintenant53, et se trouvent ainsi dépourvues de
leurs “aura”.54 Sans cette aura, une œuvre d’art est privée de sa puissance et ne peut faire
ressentir ce qu’elle dégage dans les mêmes mesures qu'avant. On peut comprendre et déduire de
cette idée que lorsqu’un contenu est dépossédé de son contexte, qu’il est extrait de la réalité
tangible dans laquelle il s’inscrit, il perd une partie de sa signification, de “sa puissance d’agir et
d’être”. Pour Walter Benjamin, la reproductibilité de l’art permise grâce à l’industrialisation des
moyens de production et de diffusion a donc changé la nature même de l’art et de sa fonction
dans la société. Le manque d’authenticité, la dégradation de la présence et la perte de l’unicité
d’une oeuvre suppriment son “aura” et lui font perdre son caractère cultuel.
53
“encore manque-t-il à la reproduction la plus parfaite une chose : le hic et nunc [l’ici et le maintenant] de l’oeuvre
d’art - l’unicité de son existence au lieu où elle se trouve”. BENJAMIN Walter, L’oeuvre d’art à l’époque de sa
reproductibilité technique édition Allias, 1955, p 18
54
“ Ce qui s’étiole de l’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité c’est son aura.” ibid. p 22
58
- L'aura à l'heure numérique
Stéphan Vial actualise les propos du philosophe allemand dans son ouvrage L’être et l’écran :
comment le numérique change la perception. En écho avec la théorie de Walter Benjamin et celle
de Mac Luhan, cet ouvrage vient questionner l’idée de “révolution numérique”. Selon l’auteur,
la révolution numérique doit plutôt se comprendre comme une révélation. La multiplication des
interfaces d’écrans dans nos société nous a fait découvrir “le sens technique de l’être”55 : Ce
n’est pas que le message qui change de forme et de fond lors de l’apparition d’un nouveau
média, mais surtout notre perception et la place que nous donnons aux interfaces. Stephan Vial
ne fait pas une allégorie du monde numérique et des interfaces ; Au contraire il revient et inscrit
sa pensée dans la continuité de Walter Benjamin. A son concept d’aura, il ajoute cependant une
notion de degrés.56 Pour lui les choses - ou le contenu- , s’offrent aux récepteurs selon un degré
d’intensité lié à l’interface transmetteur. Il nuance les propos radicaux de Benjamin et considère
qu’une certaine authenticité demeure, même si un contenu est relayé par une machine.
Cependant, cette aura ressort malgré tout affaiblie par cette intermédiaire : De fait, l’auteur
affirme lui aussi que la réalité, les liens physiques et la présence restent les éléments essentiels
pour avoir une authenticité “complète”.
“L’ontophanie du face à face est donc, de loin, celle qui possède le plus haut degré d’aura
phénoménologique.”
Stephan Vial
Avec les idées de W. Benjamin et S. Vial, on peut ainsi poser cette limite ontophanique à
l’immersion et aux sensations créées dans la réalité virtuelle. Même en adoptant le point de vue
de S.Vial, nous sommes obligés de déduire que les émotions produites dans une expérience de
réalité virtuelle restent moindres vis à vis
de celles ressenties dans la réalité. Cette
circonscription “émotive” borne l’impact que pourrait avoir la RV. Principalement, cette limite
55
“C’est pourquoi la révolution numérique fonctionne comme la révélation numérique : en nous faisant découvrir le
sens technique de la question de l’être, elle nous fait enfin devenir modernes, c’est à dire humanistes et machinistes
à la fois, loin de tout transhumanisme facile ou de post humanisme extravagant.” VIAL Stephan, L’être et l’écran :
comment le numérique change la perception , Presses universitaires de France, 2013, p 281
56
“L’aura phénoménologique d’une chose-d’un objet ou un sujet - , c’est son degrés d’intensitié perceptive, de
vivacité phénoménale, d’acuité ontophanique, de puissance d’apparaitre.” ibid. p285
59
permet de contredire l’idée prophétique que la réalité virtuelle puisse jouer un rôle pour changer
nos relations interpersonnelles.
En plus d’ « absorber » l’aura d’une oeuvre, nous allons voir que l’intermédiaire du
média détruit le lien qui se tisse entre l’attention de l’utilisateur et le contenu. Pour cette raison,
l’impact de la réalité virtuelle est encore une fois à reconsidérer dans un sens plus restreint.
2) L'absorption de l’attention et la cannibalisation des sens
- Le conflit des attentions
Bernard Stiegler, figure de la pensée française actuelle, axe sa réflexion sur la technique,
les technologies et leurs relations avec les mutations sociales, politiques, économiques de nos
sociétés. Personnage complexe, il est le fondateur Ars Industrialis, un groupe de réflexion qui
étudie l’Organologie. Cette discipline se définit comme "[...] une démarche qui étudie la coévolution et la trans-évolution de 3 types d'organes: physiologiques (et psychologiques),
techniques et sociaux.".57 Le coeur des problématiques dans ce champ disciplinaire repose sur
l’adaptation de l’Homme au rythme exponentiel des progrès et sa capacité -ou non- à
s’approprier les changements issus de ces innovations. Précisément, l’objet d’étude principal de
cette discipline s’insère dans les interfaces : Jonction entre l’homme et les technologies, elles
représentent le mieux la liaison entre les deux. Aussi, Alain Giffard, un des membres du groupe
de réflexion, illustre ces relations au travers de l’exemple des “Conflit des attentions et l'exercice
de lecture numérique”.
A.Giffard s’arrête d’abord sur le concept d’attention auquel il souhaite redonner toute sa
complexité et son envergure. Il critique une définition qui, trop souvent, limite les contours de
l’attention en l’opposant au terme de distraction. Au contraire, il propose ainsi une typologie de
57
Digital Studies, Organologie des savoirs et technologies de la connaissance, FYP édition, 2014 , sous la direction
de Bernard Stiegler , chapitre 7, “le conflit des attentions et l'exercice de lecture numérique”, GIFFARD Alain et
chapitre 10 “Les interfaces digitales” par FAURE Christian
60
l’attention où il y différencie les attentions reliées à la concentration , celles liées à la prévention
et enfin à l’inverse, celles qui se centrent sur la bienveillance. Ces précisions permettent de lever
le voile sur l’ambivalence de ce terme, et offrent un rempart contre l’usage abusif de ce dernier
dans les discours dominants. Une fois cette délimitation effectuée, A . Giffard revient alors sur
l’idée diffusée d’une “carence d’attention” avec les lecture dites industrielles, c’est à dire avec
des outils numériques ou digitaux. A la place, l’auteur propose une lecture de ce phénomène sous
un angle conflictuel entre les différents types d’attentions.
Giffard revient sur le processus de lecture et explique comment celui ci fait appel à ce qu’il
appelle le triangle lectio/memoria/meditatio (lecture/mémoire/réflexion). L’articulation entre ces
trois phases ou trois étapes dans la lecture est favorisée par le médium du livre. Le livre est, selon
l’auteur, un média approprié à la concentration : il s’efface, se “fait oublier” comme média face
au contenu. Au contraire, les médias numériques ne favorisent en rien la concentration du lecteur
(la “deep attention”). D’abord, si on examine la culture de l'écran on remarque l'existence d’une
relation passive entre l’utilisateur et l’interface, issue notamment de l’expérience utilisateur créé
lors du visionnement de la télévision par exemple. Parallèlement, des relations très interactives
cohabitent avec ces modèles de passivité dans la culture de l’écran, elles sont issues par exemple
des expériences utilisateurs avec les ordinateurs ou les téléphones. Si ces deux situations sont
aux antipodes, il n’en demeure pas moins qu’aucune des deux ne nécessite une concentration
importante de la part de l’usager sur le contenu, mais plutôt sur le média en lui même. Ces
caractéristiques soulèvent l'absence d'une véritable culture numérique ainsi que, selon Giffard,
l’existence d’une lecture numérique sans savoir lire.
Le conflit d’attentions dénoncé par Giffard réside dans l’antagonisme entre une attention tournée
vers le texte, et une attention orientée vers le médium. La “fabrique” de stimuli pour orienter
l’attention vers le médium s’explique par les intérêts des acteurs dans l’industrie : leur objectif
n’est pas d’optimiser la lecture de l’usager, mais “plutôt de le détourner de sa lecture
numérique, de le divertir au profit du marketing." Ce contexte a des conséquences sur
l’implication du lecteur dans sa lecture. L’exercice de lecture est déréglé par des stimuli externes
qui interrompent son parcours de lecture, la mémorisation des éléments lus, et enfin la réflexion
qu’il mène durant sa compréhension du texte.
61
- Le cannibalisme des sens
Cette étude fait écho à celle de l’interface de l’écran dans Le langage des nouveaux médias,
interface dite par ailleurs “agressive” selon Manovich. Nombreux éléments présents ici lient les
propos de Griffard à ceux de Manovich. Dans son ouvrage, ce dernier citait les différentes
temporalités qui peuvent exister au travers des écrans : Ces derniers donnent à voir tant des
images statiques, qu'en mouvement issues du passé et même du présent. La pluralité des
“cultures de l’écran” s’explique en partie par la diversité des contenus qu’offre une même
interface.
Enfin, la difficulté de construire une réflexion qui résulte du conflit d’attentions dénoncé par
Giffard fait résonner les mises en garde de Manovich sur les modifications de notre perception
par les interfaces. Dans ce conflit d’attentions, on remarque aussi une certaine continuité avec
Mac Luhan et l’idée de cannibalisme des sens. Nous avions vu que l’auteur américain invite à
questionner, lors de chaque usage d’un média quels sens ce dernier sollicite. En effet, un média
chaud absorbe les sens auquels il fait appel et réduit alors, selon lui, la réflexion et
l’appropriation du contenu par l’utilisateur. Par ailleurs, avec l’étude de LPI, avions nous déjà
mis en valeur l’intensité de la sollicitation des sens, l'importance de son déploiement sur le
sensorium et par conséquence, sa réduction de l'espace mental du spectateur.
Ici, on constate une dernière limite se dessiner autour des idéaux sur la réalité virtuelle. Si certes
celle ci réussit avec grandeur à immerger l’utilisateur en trompant ses sens avec une richesse de
détails, paradoxalement la nature même de ce média est peut-être trop imposante. A trop donner
à voir, le média de VR empiète sur le recul nécessaire à la pensée humaine.
Cette dernière limite met en exergue la perméabilité entre limites de la réalité virtuelle
comme machine créatrice d’empathie et enjeux autour d’un nouveau média. Derrière ces limites
se cachent en effet des réalités où cohabitent différents acteurs (concepteur de casques, auteur de
contenu…) avec des intérêts divergents. Chacun se bouscule pour capter notre attention afin de
poursuivre un but lucratif ou marketing. Le rôle qu’endosse ou qu’endossera chacun est
déterminant pour l’avenir de ce média : il définira les directions dans lesquelles se développera
ce nouveau champ médiatique et/ou artistique et comment le public l’appréhendera. Ces enjeux
62
sont donc primordiaux et doivent être considérés dès maintenant, alors que les règles du “jeu”
sont encore en train de s’écrire.
B) La réalité virtuelle au travers le prisme d'enjeux pluriels et d'intérêts
divergents : Nouvelle approche sur la réalité des casques.
Dans notre première partie (II.B et III.A), trois limites - technique, ontophanique, et
attentionelle- ont été identifiées et nous permettent de circonscrire et nuancer l’impact de la
réalité virtuelle. Ces arguments viennent limiter les idéaux et attentes qui se construisent autour
de la réalité virtuelle. Elles permettent de réfuter les promesses que nous avons vues en première
partie lors de l’analyse des conférences TEDs. Autour de ces limites, des enjeux se construisent.
En effet, derrière celles-ci, ce sont aussi des véritables débats philosophiques et sociaux qui se
dévoilent. Peu mis en avant dans les discours médiatiques qui restent avant tout « vendeurs », il
est important de les considérer dans une approche plus approfondie. Joindre un œil critique à un
regard visionnaire nous permettra alors d’apprécier dans toute sa réalité et sa complexité les
pouvoirs qu’on peut attribuer à la réalité virtuelle. Dans cette dernière partie, nous allons donc
faire un tour d’horizon pour découvrir les premiers enjeux psychologiques apparus avec la RV
(III.B.1), contextualiser le développement de la réalité virtuelle selon les logiques économiques
qui l’entourent ( III.B.2) et enfin appréhender sa place et son rôle en politique (III.B.3).
1) Les modifications de la perception de la réalité virtuelle et ses implications sur la
mémoire.
- La mémorisation et les médias
Le processus de mémorisation est un phénomène biologique et moléculaire très
complexe, qui demeure une grande source de mystères pour les scientifiques et les médecins. De
manière simple et brève, on peut dire que “la mémoire” est dispersée dans notre cortex par des
63
neurones. Dans ces neurones, l’information a été emmagasinée une première fois (composants
visuels sont situés dans le cortex visuel, ceux auditifs dans le cortex auditif…) Quand le cerveau
sollicite la mémoire, il cherche à reconstituer un souvenir : tous les neurones s’activent et
envoient leurs informations vers l’hippocampe. Celle-ci rassemble et traite les différents
messages. Proche de l’hippocampe se trouve l’amygdale, un organe qui joue un rôle important
dans le traitement d’un souvenir. Cet organe a en effet la capacité de prévenir de la qualité
positive ou négative de l’événement. Cet organe peut intervenir lors de la constitution d’un
souvenir et permet en quelque sorte de lier les émotions aux souvenirs. Cette intervention
renforce et accélère la mémorisation du souvenir.
En 2009, Kathryn Y. Segovia et Jeremy Bailenson, ont mené à Standford (Californie,
USA), une recherche sur l’acquisition de faux souvenirs chez les enfants qui ont été immergés
dans des réalités virtuelles. La recherche effectuée par les chercheurs en neurosciences
américains a montré que près de la moitié des enfants qui vivent des expériences de réalité
virtuelle et qui sont interrogés sur celle ci une semaine après, se souviennent de cet événement
comme un moment de la vie réelle.58 Ce phénomène s’explique par plusieurs raisons.
Tout d’abord, leur étude s’appuie sur la relation entre la mémoire et les médias. En effet,
souvenirs et mémoire se forment à partir de différentes sources : télévision, imagination, livre,
vie réelle... Face à cette multitude de sources possibles, il est rare que notre cerveau enregistre la
provenance de nos souvenirs. Néanmoins, avec un effort de concentration, le cerveau peut réussir
à identifier la nature du souvenir, du moins s’il provient d’une expérience réelle ou non. En effet,
selon son degré de difficulté, l’effort de concentration en lui même représente un premier indice
pour distinguer le type de source à l’origine du souvenir.59 En effet, l’être humain a la capacité de
différencier un souvenir qui demande un grand effort de concentration pour s’en rappeler face à
celui qui lui demande un effort moindre.
58
“The current study provides another interesting, innovative way to elicit false memories in children. We believe
that these results are uniquely interesting because they reveal that [...]both powerful in eliciting false memories in
children.” KATHRYN Y. SEGOVIA and JEREMY N. BAILENSON, “Virtually True: Children’s Acquisition of
False Memories”, in Virtual Reality Department of Communication, Stanford University, Stanford, California,
USA,2009
59
“We can differentiate memories that required high effort from ones that required low effort, and we can use this
information to draw useful conclusions about sources” ibid.
64
Réalisant cet effort de concentration, il est alors capable de savoir si son souvenir est tiré d’une
expérience vécue au travers d’un média ou dans la réalité. En effet, les événements passés dans
le monde réel sont riches de détails et de stimuli, ils sont donc plus simples à se remémorer que
ceux construits à partir d'une source médiatique. Pour cette raison, le cerveau humain est capable
de distinguer assez facilement la nature d’un souvenir. Cependant, avec les médias digitaux, nos
expériences sont riches de détails comme dans la vie réelle. Aussi, lorsqu’on se remémore un
événement passé dans un monde virtuel, par défaut, la richesse du souvenir nous incite à penser
que la source de l’événement est liée à la réalité physique 60. Cette illusion de véracité est
renforcée avec les médias de réalité virtuelle dont la richesse de détails est sans précédent. D'un
point de vue dynamique et subjectif, d'un champs de vue plus large et de représentation
subjective par un avatar, nombreux sont les éléments qui enrichissent l’expérience et renforcent
la sensation de présence durant une expérience de RV 61. Ces différentes raisons explicitent la
confusion des souvenirs que peuvent provoquer des expériences de réalités virtuelles pour un
cerveau et qui plus est, un cerveau d’ enfant.
- L'impact de la VR sur la mémoire
Encore une fois, cette étude se rapproche du concept de sensorium de Mac Luhan. Si la
mémorisation d’un souvenir issue d’un média froid est plus complexe, c’est que ce dernier a
sollicité un sens en particulier. Le cerveau est venu combler les éléments d’informations
manquants sur le moment comme il le pouvait, avec les informations disponibles. Dans le cas de
la lecture par exemple, la vue est sollicitée par le média mais le cerveau doit extrapoler ces
informations visuelles pour se re-présenter leurs formes pour les autres sens (description d’une
voix, d’une odeur…). À la différence, un média chaud, la réalité virtuelle par exemple-, sollicite
beaucoup de sens. Elle mobilise tous les canaux de réception. Un maximum d’informations est
donné directement au cortex et peut être emmagasiné comme tel. Le cerveau ayant moins
d’efforts à fournir sur le moment pour interpréter les informations qu'il reçoit, il se trouve
60
“memories are rarely stored with tags that identify their sources. Instead, humans utilize a process that is prone to
errors to determine the sources of their memories.” ibid.
61
“These inherent characteristics of IVET provide greater media richness (e.g., dynamic, user-specific viewpoints
and a wider field of view) than the previous forms of media used as false memory stimuli. In addition, newer IVET
systems are delivering more forms of perceptual detail.” ibid.
65
capable de mémoriser de manière simplifiée. Cette recherche donne une certaine validité
scientifique l’impact des médias sur notre perception qu’on a pu découvrir avec Mac Luhan et
Manovich.
Loin des idéaux de Milk et Nonny de la Penna, ces analyses nous font prendre conscience du
actions néfastes de ce média et nous mettent ainsi en garde contre de potentiels abus que celui-ci
pourrait permettre. Sans chercher à généraliser ou dramatiser ces mises en garde, ces études
scientifiques sont primordiales pour réaliser les enjeux de pouvoir qui peuvent se créer autour de
cette nouvelle interface. D'ailleurs, nous allons voir pour finir que les acteurs économiques et
politiques ont déjà pris conscience de ce potentiel.
2) “L’ Ère de la sociabilité” : Oculus/Facebook, les enjeux économiques autour du média
de la réalité virtuelle
- Le discours bienfaiteur de Mark Zuckerberg
Le ton prophétique des discours de C. Milk et N. de la Penna s’ancre dans une vision de
la RV qui les dépasse : cette vision est portée notamment par Mark Zuckerberg. En effet, depuis
le 25/03/2015, date où Facebook a annoncé le rachat de l’entreprise Occulus Rift. 62, les propos
du CEO de Facebook décrivant le futur de la RV comme une utopie, se mêlent aux intérêts
financiers de ce géant.
L’enthousiasme est l’élément central de la majorité des discours de Zuckerberg 63 sur la
réalité virtuelle. Dans son annonce lors du rachat d’Oculus, il commence son texte en reprenant
62
“ Post facebook, disponible sur <https://www.facebook.com/zuck/posts/10101319050523971>”
consulté le 20/03/2016
63
“Immersive gaming will be the first, and Oculus already has big plans here that won't be changing and we hope to
accelerate. [...] Oculus will continue operating independently within Facebook to achieve this.[...]This is really a
new communication platform. By feeling truly present, you can share unbounded spaces and experiences with the
people in your life. Imagine sharing not just moments with your friends online, but entire experiences and
adventures.” ZUCKERBERG, Mark, 25/03/2014
66
le credo de Facebook qui a pour mission de “rendre le monde plus ouvert et plus connecté ” 64.
Tout son discours maintient un ton allégorique sur ce nouveau média qui sera “la plateforme
sociale de demain”.
“This is really a new communication platform. By feeling truly present, you can share
unbounded spaces and experiences with the people in your life. Imagine sharing not just
moments with your friends online, but entire experiences and adventures.”
Depuis cette annonce, il a continué à renchérir ses propos par des discours et posts facebook 65 à
l'égard de la “Social Virtual Reality”. Parallèlement, plusieurs occasions, comme sa partie de
“Ping-pong Zéro Gravité“ avec le président indonésien66, lui ont permis de se mettre en scène
pour créer des buzz sur les réseaux sociaux. Cet enthousiasme enveloppant la sortie de la RV est
aussi présent dans les discours du PDG d’Oculus. Palmer Luckey, dans une interview au journal
le Figaro, exprime ainsi son point de vue :
“L'Oculus Rift va permettre des interactions en ligne plus humaines. Quand l'on reçoit un SMS,
on ne perçoit qu'une infime partie de la véritable relation qui nous lie à la personne qui nous a
envoyé ce message. L'Oculus peut reproduire cette richesse humaine. Il y a plein d'autres
avantages: par exemple, si deux personnes qui vivent sur deux continents différents peuvent
utiliser l'Oculus Rift pour discuter plutôt que de prendre avion, cela a un impact écologique
positif!”67.
64
“Our mission is to make the world more open and connected.[...] at this point we feel we're in a position where we
can start focusing on what platforms will come next to enable even more useful, entertaining and personal
experiences.” ZUCKERBERG, Mark, 25/03/2014
65
“We’ve created a Social VR team at Facebook focused entirely on exploring the future of social interaction in VR.
This team will explore how people can connect and share using today’s VR technology, as well as long-term
possibilites as VR evolves into an increasingly important computing platform.” facebook newsroom, 20/03/2016,
disponible sur http://newsroom.fb.com/news/2016/02/new-steps-toward-the-future-of-virtual-reality/ consulté le
01/04/2016
66
ZUCKERBERG, Mark, post facebook du 25/03/2014 disponible ici
https://www.facebook.com/zuck/posts/10102658257287881 consulté le 01/01/2016
67
RONFAUT Lucie, Palmer Luckey, : “La réalité virtuelle rendrales relations en ligne plus humaines” disponible
sur http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/11/04/32001-20151104ARTFIG00232-palmer-luckey-oculus-riftla-realite-virtuelle-rendra-les-relations-en-ligne-plus-humaines.php consulté le 01/04/2016
67
- La position monopolistique de Facebook sur le marché de la VR
Les récentes réalisations d’Oculus comme Social Alpha et les jeux virtuels Toybox
assoient bien la direction prise par leur collaboration avec Facebook pour le développement
d’une réalité virtuelle sociale. Cependant, la position dominante de Facebook sur le marché des
moyens de communications pose un doute sur cette allègre naïveté présente dans chaque
discours. On peut facilement supposer que des enjeux socio-économiques plus complexes
entourent la sortie et le développement de ce média. Une volonté de conquérir de nouveaux
territoires et de créer un nouveau monde est sous-entendu dans les discours de Zuckerberg. Le
rachat d’Oculus n’est qu’un premier pas vers une toute nouvelle ère virtuelle ; Aussi, la
collaboration avec Samsung pour le développement du casque Gear permet de dévoiler la
volonté et la stratégie de Facebook : Leurs intérêts ne résident pas simplement dans l’oculus mais
bien plus dans le monopole d’un nouveau média qui s’apprête à pénétrer les foyers. Ces
dernières années, les différentes acquisitions de ce géant des GAFA ont laissé entrevoir une
imposante stratégie dont le but est le monopole des réseaux de communications (rachat
d’Instagram, What’s Up, et Messenger). Ce monopole prendra pleinement forme quand il
détiendra à la fois des plateformes (softwares) et des moyeux tech de diffusion de celles-ci
(hardware). Facebook repose sur un modèle économique particulier : la vente d’espaces
publicitaires et la récolte de datas sur ses usagers. Apprendre à développer le marketing pour
vendre les meilleurs espaces de publicités sur les nouveaux médias est donc indispensable à
l’entreprise. Enfin, cette position monopolistique sur les réseaux sociaux permet l’acquisition de
toutes les données que déposent leurs utilisateurs, représentant un important marché lucratif.
Cette répartition des parts du marché économique est problématique dans la mesure où
facebook peu à peu concentre les pouvoirs de décisions sur ce média. Cette position dominante
laisse cette entreprise seule pour écrire les grammaires et les codes qui vont circonscrire ce
nouveau média. Ces grammaires impactent évidemment le champs artistique et la liberté
créatrice dans le domaine. Les médias structurent le message qu’ils contiennent et obligent le
récepteur à s’adapter à leur langages. Une fois encore, cela permet aussi de souligner l'enjeu
autour de la perception de l’utilisateur que désignent MacLuhan et Manovich.
68
3) De l’esthétisation politique à la dépolitisation des débats par l’émotion
- Le rôle de l’œuvre dans la polis
“ Mais dès l’instant où le critère de l’authenticité échoue à évaluer la production artistique,
c’est toute la fonction sociale de l’art qui s’en trouve bouleversée. Au lieu de se fonder sur le
rituel, elle prend appui sur un autre praxis : la politique.”
Walter Benjamin
Dans l’ouvrage, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Walter
Benjamin va au delà de sa critique de l’art reproductible pour inviter les lecteurs à repenser le
rôle et la fonction de l’art. Avec une brève histoire de l’art, il souligne, on l’a vu, le caractère
cultuel intrinsèque à l’œuvre d’art, qui est à l’origine de son “aura”68. Des moments de rituels
elle tient son authenticité : l’œuvre d’art ne prend sens en effet que par sa présence unique à un
moment et un lieu donnés 69. Paradoxalement, ce sont donc des éléments extérieurs à l’œuvre
qui donnent à celle-ci son unicité. L’aura n’est pas intrinsèque à l’œuvre mais est plutôt le
produit des pouvoirs exogènes qui s’exercent sur elle. En quelque sorte, le déclin de ses pouvoirs
est à l’origine de celui de l’aura. Ce dernier a, parallèlement, permis de révéler l’œuvre d’art
comme telle. On pourrait formuler cette idée en utilisant l’exemple des statues ou vitraux dans
une église. Considérées comme des ornements ou des totems permettant la liaison avec l’au-delà
à l’époque de leur construction, ce n’est qu’une fois que la “magie” religieuse s’est estompée que
ces objets ont pu faire partie du patrimoine culturel et ont été reconnus sur un plan artistique.
Aussi, l’œuvre d’art est intrinsèquement liée aux pouvoirs qui souhaitent user de l’esthétique.
Avec le déclin de la religion, une cause similaire s’est emparée de l’art : la politique. En
pénétrant le champs de l’art, le politique peut assujettir le monde en douceur. C’est une idée que
développe Serge Milan, un chercheur contemporain de Walter Benjamin. Sa réflexion sur les
68
“Les oeuvre d’arts les plus anciennes sont nés nous le savons, pour servir un rituel, d’abord magique puis
religieux.” BENJAMIN Walter, L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique édition Allias, 1955
p 27
69
“ La valeur singulière de l’oeuvre d’art “authentique” trouve son fondement dans le rituel, au sein duquel elle
puisant sa valeur d’usage originelle et première”.BENJAMIN Walter, L’oeuvre d’art à l’époque de sa
reproductibilité technique édition Allias, 1955
p 28
69
rapports entre art et politique met en valeur comment l’art, et notamment le mouvement futuriste,
est venu embellir par des représentations et des images utopiques les valeurs politiques et
éthiques du fascisme dans les années de l’avant-garde.
- La stratégie des émotions
Dans cette lignée, on voit se dessiner comment la réalité virtuelle peut servir des idéaux
et des causes politiques. On a bien compris que la réalité virtuelle se différencie des autres
médias pour le potentiel émotionnel qu’elle permet de faire passer. Si chaque média et chaque art
ont toujours offert plus de réalisme, cette tendance atteint son apogée avec la réalité virtuelle qui
vient littéralement mettre « à la place de », les individus. Sans s’étendre sur des sujets que nous
avons déjà longuement débattues, il n’est pas sans rappeler le rôle de protagoniste dans “la
stratégie des émotions”70 que pourra jouer la réalité virtuelle. Cette approche des débats
politiques est fortement critiquable : en souhaitant prendre les individus par les sentiments, la
réalité virtuelle brise la distance entre le sujet et l’objet. Ce manque de recul, couplé à une
attention sur-sollicitée empêche l'interprétation et l’appropriation du contenu par l’utilisateur. Un
média qui donne déjà tout à voir inhibe l’esprit critique et la réflexion sur un sujet, il
dépolitise alors le débat. Ici on atteint donc le cœur du point faible des idéaux et utopies de
Chris Milk ou Nonny de la Penna. Si certes la réalité virtuelle réussit à être “machine créatrice
d’empathie”, cette nature crée son propre dysfonctionnement, comme une machine qui se dévore
elle même. En re-créant les situations, elle nous fait « sentir » à la place de, mais écrase de son
poids et de sa présence médiatique le temps et le travail nécessaires à notre perception et à notre
cerveau pour emmagasiner les informations. C. Milk et N. de La Penna ont tous deux réalisé des
dispositifs afin d’éveiller l’attention sur les conditions de vie des Syriens. Démarche et volonté
nobles, leurs approches de ce sujet d'actualité restent purement de l’ordre émotif ; Rien ne prouve
que ce type d’expérience peut remplacer un réel travail de conscientisation sur le long terme sur
les conflits au Moyen-Orient et les conditions de vie des réfugiés. Certes, on peut espérer des
individus une contre-partie post à un choc “apathique”, mais celle-ci restera sur le court terme,
sous une forme de donation monétaire par exemple. Encore une fois, cette vision irréaliste de la
70
ROBERT Anne Cécile, “la stratégie des émotions” Le monde diplomatique, février 2016, disponible sur
https://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/ROBERT/54709 , consulté le 04/05/2016
70
réalité virtuelle s’enracine dans un amalgame commun dans l’univers médiatique, entre faire
ressentir et connaître, comprendre et savoir. Comme nous en prévient Anne-Cécile Robert dans
un article du monde diplomatique “ L’émotion pose un redoutable défi à la démocratie, car il
s’agit, par nature, d’un phénomène qui place le citoyen en position passive. Il réagit au lieu
d’agir. Il s’en remet à son ressenti plus qu’à sa raison. Ce sont les événements qui le motivent,
pas sa pensée.”71
Pour finir, comme fait remarquer Walter Benjamin, un schéma spécifique s’est répété pour la
photographie et le cinéma. Trop occupé à débattre si ces nouvelles techniques étaient des arts ou
non, les penseurs des époques respectives du 6ème et 7ème art n’ont pas réalisé comment ces
derniers étaient déjà en train de changer la nature même de l’Art, de sa place et de son rôle dans
nos sociétés. Aussi éloignée des généralités utopistes, la philosophie de Walter Benjamin doit
être comprise comme une invitation pour questionner comment la réalité virtuelle va
révolutionner ou révéler la place et le rôle de l’Art contemporain dans nos sociétés.
Dans cette partie concluante, nous avons pu établir un certain nombre de limites à la
réalité virtuelle pour circonscrire définitivement les pouvoirs que l’on pourrait octroyer à ce
média (III.A). A mesure que des limites se sont révélées, un certain nombre d’enjeux sont venus
s’entremêler à cette réflexion. Nous avons donc étudier ces derniers pour réaliser l’ampleur de la
réflexion à porter sur la naissance de cette nouvelle interface. (III.B)
Les différents points abordés dans cette partie ne nous autorisent pas à tirer des conclusions
alarmistes, il est d’ailleurs trop tôt pour juger du futur de la réalité virtuelle. Cependant, la
considération des questions philosophiques, de santé et politico-économiques autour de la réalité
virtuelle nous amène à garder une attitude vigilante face au développement de ce média. Enfin,
elles nous a conduit à valider une contre-hypothèse critique et argumentée à la proposition
utopique que nous avons étudiée tout au long de notre sujet.
71
ROBERT Anne Cécile, “la stratégie des émotions” Le monde diplomatique, février 2016, disponible sur
https://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/ROBERT/54709 , consulté le 04/05/2016
71
Conclusion
“Lorsque, toutes voies étant barrées, la conscience se précipite dans le monde magique de
l’émotion, elle s’y précipite tout entière en se dégradant (…). La conscience qui s’émeut
ressemble assez à la conscience qui s’endort.”72
Jean Paul Sartre
La réalité virtuelle se démarque des autres médias car elle englobe le corps et le trompe.
Elle n’offre plus de représentation mais simule! Aussi elle permet de se mouvoir et non plus
d’être immobile face à l’œuvre, elle semble alors nous libérer des codes qui conduisent le
spectateur à être passif. Un potentiel riche et excitant semble présent dans ce média et nombreux
artistes souhaitent s’essayer à l’exploiter. Parmi eux, on trouve des utopistes, qui considèrent
possible de changer le monde au travers de ce média. Nous avons voulu tout au long de cette
étude comprendre les tenants et aboutissants d’une telle assertion. En nous plaçant dans un
champs de réflexion qui englobe les relations entres hommes, médias, et société, nous avons
cherché à répondre au problème : Est-ce-que la réalité virtuelle pourrait réellement modifier nos
relations humains pour tendre vers un monde meilleur ?
Pour y répondre, nous nous sommes alors appliqués à tester une hypothèse émise par C.Milk et
N. de la Penna qui posait que la réalité virtuelle allait devenir une “machine créatrice
d’empathie”. Cette hypothèse, on l’a vu, a été formulée par des réalisateurs et journalistes
reconnus par leurs pairs et qui ont pu, grâce à leur notoriété, accéder à la scène des TEDs pour
exprimer leurs opinions sur la réalité virtuelle. Ces conférences ont une portée internationale et
portent la marque d’excellence et d’innovations : Elles permettent de mettre en valeur des idées
nouvelles et de mettre en avant des hommes qui font le monde d’aujourd’hui et de demain.
Néanmoins au delà de cette notoriété, il faut garder en mémoire que ces discours n’ont pas de
réelle valeur théorique, ils sont des simples discours qui peut-être seront remplacés demain.
Cependant, même si ces discours n’accèdent pas à la postérité, leur valeur n’en est pas moindre :
72
SARTRE, Jean Paul, Esquisse d’une théorie de l’émotion. Psychologie, phénoménologie et psychologie
phénoménologique de l’émotion, Hermann, Paris, 1938
72
Ils sont les témoins d’une époque. Les formules comme “machine créatrice d’empathie” donnent
la température du climat social actuel et révèlent quel type de vision sur les médias est partagé
par les membres de notre société. En décortiquant cette formule, on a ainsi pu révéler les réalités
derrière les utopies d'une civilisation de l’empathie. On a pu ainsi voir le décor social dans lequel
ce média est en train de prendre racine. En analysant et extrapolant les informations autour de
ces discours, on a aussi pu examiner comment s’articulent et se répondent les différents enjeux
politiques et économiques autour de cette nouvelle interface. On a alors pu constater l'arrière
scène politique et économique « cachée » par les propos médiatiques et marketing. Un passage
par Le photographe inconnu nous a conduit à recentrer le débat et à le ramener à une réalité
tangible. La réalité virtuelle est un terreau fertile pour se prêter aux extrapolations. Cette étude
d’un cas pratique a donc permis de reconsidérer les dimensions fantasmagoriques de ce sujet en
les confrontant à des problèmes plus terre à terre. Aussi ces différents éléments nous ont amené
à opposer une nouvelle hypothèse à celle de C.Milk et N. de la Penna. Les champs que nous
avons explorés ont d’abord permis de désacraliser les émotions : ressentir n’est pas agir, et
jamais les émotions n’ont fait preuve de qualités suffisantes pour devenir des moteurs de
changements dans nos sociétés. Encore moins celles ressenties au travers un intermédiaire.
Ainsi, nous avons constaté qu' un véritable étau politique et économique entoure le
développement de la RV. Cette dernière est un outil idéal pour servir les stratégies d'émotions de
plus en plus utilisées par les médias et les politiques. Cette conception restreint énormément le
champs des possibles créatifs : Elle enferme la réalité virtuelle dans des logiques simplistes et
naïves qui, en réalité, desservent la construction d'un débat politique. Elle représente alors un
risque de modifier la perception des utilisateur et nous semblent être un danger sur le long terme
pour la richesse des idées de la pensée raisonnée. Aussi, à l’heure où frémissent encore les
expérimentations artistiques, il est de tout importance d'empêcher les intérêts d'acteurs politiques
et économiques d' étouffer ce nouveau champ créatif, en encourageant les initiatives nouvelles et
en valorisant une pluralité des formats, des fonds et des grammaires.
73
Bibliographie
Articles Universitaires
•
BOUCHARDON Serge « Du récit hypertextuel au récit interactif », Revue de la BNF
2012/3 (n° 42), p. 13-20.
•
BOULLIER Dominique « Les industries de l'attention : fidélisation, alerte ou
immersion», Réseaux 2009/2 (n° 154), p. 231-246.
•
BOULLIER Dominique, « Composition médiatique d’un monde commun à partir du
pluralisme des régimes d’attention »
•
HAROCHE Claudine, « Généalogie des processus hypermodernes (de la condition de
l'homme moderne à la condition de sujet visible) », Connexions 2012/1 (n° 97), p. 27-40.
DOI 10.3917/cnx.097.0027
•
HOOG Emmanuel « Tout garder ? Les dilemmes de la mémoire à l'âge médiatique », Le
Débat 2003/3 (n° 125), p. 168-189., DOI 10.3917/deba.125.0168
•
MESTRE Claire «Mémoire du corps», L'Autre 2000/1 (Volume 1), p. 109-119, DOI
10.3917/lautr.001.0109
•
MILAN, Serge « Le Futurisme et la question des valeurs », Noesis, 11 | 2007, 13-30.
•
PROULX S. Proulx et LATZKO- TOTH G. (2000) “La virtualité comme catégorie pour
penser le social : l’usage de la notion de communauté virtuelle Sociologie et sociétés”,
vol. XXXII (2), Presses de l’Université de Montréal, Montréal, p. 99-122.
•
ROY Patrick “Le médium est le messqge dans le village global : le vrai message de
Marshall Mc Luhan” Aspects sociologiques, vol. 7, no 1, juillet 2000, pp. 38-48.
•
STIEGLER Bernard, « Chapitre 6. L'attention, entre économie restreinte et individuation
collective », L'économie de l'attention, Paris, La Découverte , «Sciences humaines»,
2014, 328 pages
74
Articles journalistiques
•
JOIGNOT Frederic,"Jeremy Rifkin, une empathie nouvelle gagne l'humanité", Le Monde,
15/04/2011, disponible sur <http://www.lemonde.fr/week-end/article/2011/04/15/jeremyrifkin-une-empathie-nouvelle-gagne-lhumanite_1507194_1477893.html#eucfvv56DSyWH63B.99>
•
•
•
•
•
HUDSON Laura, How it felt to experience games of throne through virtual reality, Wired,
03/08/2014
MOYNIHAN Tom, Google is bringing its VR fields trip to even more school, Wired,
01/20/2016
ROBERT Anne Cécile, “la stratégie des émotions” Le monde diplomatique, février 2016
SUTHERLAND Ainsley, “The Limits of Virtual Reality: Debugging the Empathy
Machine Case Study of The Machine to be Another”, MIT docbase, disponible sur
<http://docubase.mit.edu/lab/case-studies/the-limits-of-virtual-reality-debugging-theempathy-machine/>, consulté le 20/03/2016
Ouvrages
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
BOLTER, Jay David, GRUSIN, Richard, “Remediation : Understanding New
Media,”Cambridge, MIT Press, 1999
BENJAMIN Walter, L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique édition
Allias, 1955
CARPENTER Edmund , MACLUHAN Marshall , Explorations in communication : an
anthology , Beacon Press, 1968
FLICHY, Patrice, L’Imaginaire d’Internet, Paris, La Découverte, 2001
GUDIN Claude, Une histoire naturelle des sens, edition Seuil,2010
MILON Alan, La réalité virtuelle, avec ou sans le corps? , Autrement, 2005
MANOVICH Lev, Le langage des nouveaux médias, Editions les presse du réel, 2010
MAC LUHAN Marshall, “Pour comprendre les médias”, Édition le Seuil, 1964
RHEINGOLD Howard, La Réalité Virtuelle,
RIFKIN Jeremy, Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Civilisation de
l'empathie,Ed. Les liens qui libèrent, 2011
SARTRE, Jean Paul, Esquisse d’une théorie de l’émotion. Psychologie, phénoménologie
et psychologie phénoménologique de l’émotion, Hermann, Paris, 1938
SUSSAN Remi, Demain, les mondes virtuels,, Edition FYP, 2009
VIAL Stephan, L’être et l’écran : comment le numérique change la perception , Presses
universitaires de France, 2013
75
Ouvrages communs
•
•
•
KATHRYN Y. SEGOVIA and JEREMY N. BAILENSON, “Virtually True: Children’s
Acquisition of False Memories”, in Virtual Reality Department of Communication,
Stanford University, Stanford, California, USA,2009
MARZANO Michela (directeur) Dictionnaire du corps, edition PUF, 2007
STIEGLIER Bernard, Digital Studies, Organologie des savoirs et technologies de la
connaissance, FYP édition, 2014 chapitre 7, “le conflit des attentions et l'exercice de
lecture numérique”, GIFFARD Alain et chapitre 10 “Les interfaces digitales” par
FAURE Christian
Thèse
•
LELIÈVRE EDWIGE, “Des jeux de rôle en ligne tridimensionnels aux jeux à réalité
alternée : expérience esthétique, création et expérimentation”,Esthétique, Science et
Technologie des Arts ,Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, 2012 , 361p
○
Vidéos
•
•
Nonny de La Pena , “The future of the news?” , TedWomen, Mai2015,
https://www.ted.com/talks/nonny_de_la_pena_the_future_of_news_virtual_reality ,
consulté le 20/02/2016
MILK Chris , “How virutal reality can create the ultimate empathy machine ?” , consulté
le 15/03/2016
https://www.ted.com/talks/chris_milk_how_virtual_reality_can_create_the_ultimate_emp
athy_machine
Oeuvres et dispositifs de Réalité virtuelle pertinentes:
•
•
•
•
•
•
•
•
Note on blindness , Okio Studio, 2015
Le photographe Inconnu, Turbulent, 2016
Project Syria , Emblematic group, 2014
LOVR , Immersive , 2015
Viens!, Michel Reilhac , 2015
Ianimals
Snowtherapy
The Machine to be another
76
Table des matières
Table des matières
Remerciements.................................................................................................................................5
Introduction......................................................................................................................................6
I) État des lieux et projections sur les médias : les attentes qui entourent la sortie des
casques..........................................................................................................................................10
A) L’empreinte des interfaces : Genèse des relations entre médias hommes et la société............11
1 ) Mac Luhan : Premier coup de projecteur sur les médias..........................................................11
La primauté des médias et la classification macluhanienne.........................................................11
Le village global et ses risques sur la société...............................................................................13
2) Impacts de l’interface de l’écran chez Manovich......................................................................16
Spatialité et temporalité de l’écran : la double identité du spectateur.........................................17
Mobilité VS immobilité : la liberté du spectateur........................................................................18
B) De l’immersion à l’empathie : Construction d’une prophétie autour de la Réalité Virtuelle...20
1) Contexte social et commercialisation des casques de réalité virtuelle (RV).............................21
Imaginaires et représentation sociales autour d’un nouveau média.............................................21
La commercialisation et démocratisation des casques de RV.......................................................22
2) La réalité virtuelle, une machine qui révolutionnera nos relations humaines ?........................23
Des discours médiatiques prophétiques sur la “machine à créer de l’empathie”........................23
Analyse du discours et déconstruction de la prophétie.................................................................24
3) Formulation de l’hypothèse.......................................................................................................27
II) La Réalité Virtuelle, un média réellement immersif ? Étude de la qualit immersive de la
VR à travers l'exemple du Photographe Inconnu.....................................................................30
A) Méthodologie d’analyse pour l’étude de cas du Photographe Inconnu................................... 31
1.Cadre de la recherche..................................................................................................................31
Présentation du cadre :.................................................................................................................31
Les limites du cadre :.....................................................................................................................32
92
2. Méthodologie suivie: critères et indicateurs..............................................................................34
Présentation et justification des critères choisis...........................................................................34
Présentation et justification des indicateurs choisis.....................................................................35
L'immersion physique....................................................................................................................35
L'immersion psychologique...........................................................................................................38
B) Analyse du dispositif et des discours des concepteurs..............................................................39
1) Description du dispositif............................................................................................................40
Immersion physique.......................................................................................................................40
Immersion psychologique..............................................................................................................42
2) Analyse des entretiens et comparaison avec l'analyse du dispositif..........................................46
Les enjeux créatifs et techniques liés à l’absence de maturité du marché....................................46
L’immersion, un élément constitutif du média..............................................................................49
Une immersion mentale qui repose sur un “contrat” et se construit sur une mise en espace
ingénieuse du contenu...................................................................................................................51
III) La réalité virtuelle, vers “le meilleur des mondes” ? Limites et enjeux d’un nouveau
média.............................................................................................................................................56
A) Les émotions comme finalité : limites du pouvoir de l'immersion et des médias sur les
hommes et la société...................................................................................................................... 57
1) Les interfaces, barrières à l’authenticité de la réalité ?..............................................................58
- L'unicité de l’œuvre.....................................................................................................................58
- L'aura à l'heure numérique.........................................................................................................59
2) L'absorption de l’attention et la cannibalisation des sens..........................................................60
- Le conflit des attentions..............................................................................................................60
- Le cannibalisme des sens............................................................................................................62
B) La réalité virtuelle au travers le prisme d'enjeux pluriels et d'intérêts divergents : Nouvelle
approche sur la réalité des casques................................................................................................ 63
1) Les modifications de la perception de la réalité virtuelle et ses implications sur la mémoire.. 63
- La mémorisation et les médias....................................................................................................63
- L'impact de la VR sur la mémoire...............................................................................................65
2) “L’ Ère de la sociabilité” : Oculus/Facebook, les enjeux économiques autour du média de la
réalité virtuelle...............................................................................................................................66
93
- Le discours bienfaiteur de Mark Zuckerberg..............................................................................66
- La position monopolistique de Facebook sur le marché de la VR..............................................68
3) De l’esthétisation politique à la dépolitisation des débats par l’émotion..................................69
- Le rôle de l’œuvre dans la polis..................................................................................................69
- La stratégie des émotions............................................................................................................70
Conclusion....................................................................................................................................72
Bibliographie..................................................................................................................................74
Annexes.........................................................................................................................................77
Annexe 1 - Boussole de Dominique Boullier................................................................................77
Annexe 2 - Photographie de Mark Zuckerberg à Barcelone..........................................................78
Annexe 3 - Schéma méthode agiles...............................................................................................79
Annexe 4 - Retransmission de l’entretien avec l’équipe de LPI....................................................80
Annexe 5 : Images extraites de l'expérience du Photographe Inconnu..........................................90
Annexe 6 : schéma de la cybernétique...........................................................................................91
Table des matières........................................................................................................................92
94