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Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect L’anthropologie 122 (2018) 336–347 www.em-consulte.com Article original Des armes en ivoire de mammouth : deux cas particuliers Hunting weapon made on mammoth ivory: Two particular cases Pierre Cattelain a,*,b,c b a Cedarc/Musée du Malgré-Tout, 28, rue de la Gare, 5670 Treignes, Belgique Université Libre de Bruxelles, CReA-Patrimoine, à l’Université de Liège, Service de Préhistoire et aux Musées royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles, Belgique c Musée d’Archéologie Nationale, 78105 Saint-Germain-en-Laye, France Disponible sur Internet le 17 janvier 2018 Résumé Le matériel du Paléolithique supérieur façonné sur ivoire de mammouth comporte de nombreuses armes de chasse, principalement des armatures de sagaies et quelques grandes lances, provenant essentiellement d’Europe Orientale notamment de Pologne, de République tchèque et de Russie. . . Deux objets se singularisent par leur statut d’unicum. Le premier, un fragment de propulseur en ivoire, le seul pris sur ce matériau, est orné d’une semi ronde-bosse figurant un jeune boviné, sans doute un bison, daté du Magdalénien moyen et provenant de l’Abri de la Madeleine, en Dordogne (France). Le second est un boomerang non retournant, à la poignée striée, datée du Gravettien ancien et provenant de la grotte d’Obłazowa, en Pologne. Il est morphologiquement et morphométriquement très proche de certains exemplaires australiens. # 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Ivoire de mammouth ; Arme ; Chasse ; Propulseur ; Boomerang ; Magdalénien moyen ; Gravettien ; Abri de La Madeleine ; Grotte d’Obłazowa Abstract The Upper Palaeolithic material made from mammoth ivory comprises many hunting weapons, mostly spear points and a few big hand spears, mainly from Eastern Europe notably Poland, the Czech Republic and Russia. . . Two objects stand out through their uniqueness. The first one is a fragment of a spearthrower, the * Correspondance. Adresse e-mail : pierre.cattelain@ulb.ac.be. https://doi.org/10.1016/j.anthro.2017.12.001 0003-5521/# 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. P. Cattelain / L’anthropologie 122 (2018) 336–347 337 only one made in ivory, decorated in semi round, in the shape of a young bovid, probably a bison. It dates to the Middle Magdalenian and comes from the La Madeleine shelter in Dordogne (France). The second one is a non-returning boomerang with a striated handle, dating to the Early Gravettian and coming from the Obłazowa cave in Poland. Its morphology and morphometry are very like some Australian examples. # 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Mammoth ivory; Weapon; Hunting; Spearthrower; Boomerang; Middle Magdalenian; Gravettian; La Madeleine shelter; Obłazowa cave Les armes façonnées en ivoire de mammouth, sans être abondantes, ne sont pas exceptionnelles dans les niveaux paléolithiques européens. Au début du Paléolithique supérieur, on connaît un certain nombre de pointes de projectile ou d’arme d’hast en ivoire, déterminé comme fossile dans certains cas. De grosses sagaies cylindriques à base conique apparaissent dans les niveaux châtelperroniens de la Grotte du Renne à Arcy-sur-Cure (Yonne, France) (Leroi-Gourhan, 1961 : 10). D’autres pointes proviennent notamment des niveaux aurignaciens de divers sites comme les grottes d’Arcy-sur-Cure, La Verpillière I (Saône-et-Loire, France), Gatzarria (Pyrénées-Atlantiques, France), Trou Al’Wesse (Liège, Belgique), El Castillo (Espagne), Hohle Fels, Geißenklösterle, Vogelherd (Jura-Souabe, Allemagne), Istállóskő (Hongrie), Mamutowa et Oblazowa (Pologne), Mladeč (République tchèque), Potočka Zijalka (Slovénie), pour ne citer que quelques exemples (Cattelain, 2010 : 116, fig. 3, no 4 ; Floss et al., 2015 : 180, Tab. 2 ; Hahn, 1995 ; Kozlowski et Kozlowski, 1996 : 62–63 ; Miller et al., 2011 : 338 ; Tartar, 2015 : 45, fig. 6 ; Tejero, 2016 : 57 ; Wolf et al., 2016 : 73–79). Les longues pointes de sagaies fusiformes sont aussi bien attestées dans le Gravettien (surtout oriental), comme dans les sites de Willendorf II/9 (Basse-Autriche), Dolni-Vestonice et Pavlov (Moravie, République tchèque), Mamutowa (Pologne) et Molodova V (Bassin du Dniestr, Russie) (Cattelain et Bellier, 2002 : 33, fig. 17, no 7 ; Otte, 1981 : 122–123, 293, 351, 366, 390 et 484, fig. 122, 177, 245, 246, 248). En revanche, en France, les pointes de projectile gravettiennes en ivoire ne constituent pas plus de 10 % de l’ensemble (Goutas, 2016 : 91, fig. 7.2). À côté de celles-ci, on ne peut passer sous silence les extraordinaires lances en ivoire massif découvertes dans la sépulture double de Sunghir (Russie), mesurant environ 2,40 m de long, et dont l’une pèse plus de 20 kg. . . (Trinkaus et al., 2014). Elles datent d’entre 30 000 et 28 000 ans. En fait, comme il s’agit d’armes faites d’un seul morceau d’ivoire, il s’agit plutôt d’épieux. Leur poids très élevé pourrait faire douter de leur fonctionnalité réelle : en effet, les armes d’hast historiques étudiées dépassent rarement les 5 kg. Cependant, la massivité des épieux de Sunghir leur confère une très grande résistance, qui pourrait convenir à une chasse au mammouth, mais ceci n’est corroboré ni par l’épieu en bois d’if de Lehringen, utilisé pour une chasse à l’éléphant antique (Thieme et Veil, 1985), ni par les témoignages de chasse à l’éléphant traditionnelle en Afrique sub-saharienne (voir par exemple Bahuchet, 1992 : 168–169). En revanche, si l’ivoire est toujours utilisé au Magdalénien, il l’est assez rarement pour les armes. Quelques pointes ou fragments de possibles pointes de projectiles en ivoire sont notamment attestées à Gönnersdorf (Allemagne), La Madeleine, Laugerie Haute-Est, Le Mas d’Azil, Marsoulas, Verberie (France). . . (Langley, 2016 ; Langley et al., 2016 : 148). La rareté de ces objets est sans doute corrélée à la raréfaction de la matière première, le mammouth ayant tendance à progressivement remonter vers le Nord-Est à cette époque, en raison du réchauffement climatique. 338 P. Cattelain / L’anthropologie 122 (2018) 336–347 Si l’on excepte quelques armatures en ivoire, nous n’avons pas eu l’opportunité d’examiner directement la plus grande partie du matériel précité, ce qui ne nous permet guère d’en dire plus. Nous nous permettrons cependant de souligner la très grande résistance des armatures de projectile en ivoire de mammouth, égale ou supérieure à celle des pointes en bois de renne, que nous avons constatée lors de quelques tirs effectués avec des exemplaires façonnés par Johan Tinnes, à l’occasion de l’expérimentation « Pointes de la Gravette » mise sur pied à Treignes en 1993 (Cattelain et Perpere, 1993). En revanche, nous avons eu l’opportunité d’étudier en détail deux armes exceptionnelles : le seul élément de propulseur paléolithique fabriqué en ivoire, sur environ 150 exemplaires répertoriés, presque tous en bois de cervidé, et le plus ancien boomerang connu. C’est à ces deux objets qu’est consacrée cette note. 1. Partie distale de propulseur pris sur la face latérale d’une défense de mammouth (Fig. 1 et 2) Abri de la Madeleine, Tursac, Dordogne, France. Fouilles Peyrony, 1911–1913. Couche inférieure A, Magdalénien moyen (IV) Ivoire de mammouth Musée d’Archéologie Nationale, Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), inv. 60362, en dépôt au Musée National de Préhistoire, Les Eyzies-de-Tayac-Sireuil (Dordogne), inv. MNP 004.11.2 Lc : 113,4 mm ; lpm : 12,4 mm ; épm : 45 mm ; L crochet : 7,7 mm Bibliographie : Capitan et Peyrony, 1928 : 50–51, fig. 26 ; Garrod, 1955 : 30 ; Zervos, 1959 : 101, fig. 301 ; Müller-Karpe, 1966 : p. 275, Pl. 104 A no 7 ; Delporte, 1969 : 46 ; Leroi-Gourhan, 1971 : 51 et 431, fig. 200 ; Cattelain, 1978 : 281–282 ; 1988 : fiche 4, p. 3, 5, 10, 11 ; Cattelain, 1995 : 190, fig. 1, no 8, Pl. 10 ; Cattelain, 2017, sous presse ; Bellier et Cattelain, 1990 : 64–65 ; Stodiek, 1993 : 247, pl. 71 no 1 ; Cattelain et Bellier, 2002 : ph. coul. 45 ; Cleyet-Merle et al., 2007 ; Geneste, 2014 : p. 108. Partie distale de propulseur de type mâle, découverte « sous l’abri, près de la base de la paroi, en fort mauvais état. La matière s’étant feuilletée et fendillée, nous n’avons pu en recueillir les nombreux fragments qu’en prenant mille précautions et en lavant toutes les terres » (Capitan et Peyrony, 1928 : 50–51). Il a été restauré dans les années 1920 par B. Champion, au Musée des Antiquités Nationales. Ce fragment de propulseur appartient au type 4 de notre classification (Cattelain, 1988, précisée en 2005), défini et complété comme suit : « propulseur de type mâle à crochet, présentant une ornementation sculptée en ronde-bosse (presque toujours aplatie), qui se développe en saillie sur le fût subcylindrique « en baguette » de l’objet ». Ce type de propulseur est représenté par une quarantaine d’exemplaires (Cattelain, 2005 : fig. 13). Il s’agit d’une ronde-bosse aplatie, connue sous le nom de « propulseur à l’hyène » (Cattelain et Bellier, 2002 : Pl. couleur no 45 ; Pétillon, 2012 : 76). Selon Capitan et Peyrony (loc. cit.), « le museau court et épais, la narine petite, le front bombé, l’œil presque rond, l’oreille et le maxillaire inférieur dénotent sans doute une tête de félin ou d’hyène ». Pour A. Leroi-Gourhan, « Rien ne permet de l’identifier comme tel [hyène] et il faut y voir un félin, d’ailleurs très proche de certaines figures pariétales » (1971 : 51 et 431). H. Delporte ne partage pas cette opinion. Selon lui, « rien ne permet d’affirmer qu’il s’agit vraiment d’une hyène. Il n’est même pas évident qu’il s’agisse d’un félin. L’extrémité de la tête ayant été amputée, il n’est pas possible de définir la forme du museau ; quant à celle des yeux et des oreilles, assez grandes et couchées sur le cou, elle pourrait indiquer aussi bien un bovidé dépourvu de cornes qu’un félin ; la bosse dorsale qui se P. Cattelain / L’anthropologie 122 (2018) 336–347 339 Fig. 1. Partie distale de propulseur pris sur la face latérale d’une défense de mammouth, orné d’une figuration de jeune bison. Magdalénien moyen. Abri de la Madeleine (Tursac, Dordogne, France). MAN 60 362, MNP 004.11.2. Photos P. Cattelain. Distal part of a spearthrower made on the lateral face of a mammoth tusk, decorated with the representation of a young bison. Middle Magdalenian. La Madeleine shelter (Tursac, Dordogne, France). MAN 60 362, MNP 004.11.2. Pictures P. Cattelain. retrouve chez l’hyène peut être considérée comme traduisant la position de l’animal prêt à bondir, mais l’argument est loin d’être convaincant ; quant à la queue et aux pattes, qui sont en très mauvais état, elles n’apportent aucun élément d’identification ; il nous semble enfin que l’arrièretrain pourrait aussi bien être celui d’un bovidé que d’un félin. En plusieurs endroits de la surface du corps ont été conservées des incisions fines et longues, ainsi que des zones de hachures courtes qui représentent le pelage » (Delporte, 1969 : 46). La morphologie générale de l’animal représenté, nouvellement restauré au MNP, par D. Faunières et M. Boucharat, suggère effectivement beaucoup plus la silhouette d’un jeune bison. Elle se caractérise notamment par un mufle camus, l’œil latéral en amande à la caroncule bien marquée, la bosse surmontant l’œil, la bouche basse et large, l’oreille arrondie tirée vers l’arrière, la dépression nucale et la bosse dorsale bien marquées, ainsi que par la saillie de l’épaule. Les indications de pelage, déjà relevées par H. Delporte, correspondent également mieux à celles d’un boviné qu’aux taches d’une hyène. J.-M. Geneste ajoute les arguments suivants : « La morphologie de l’avant du corps, avec une cage thoracique puissante s’abaissant bien au-dessous de l’articulation du coude et la disposition des yeux en arrière du crâne, indiquent qu’il s’agit bien d’un herbivore, probablement d’un bison et non d’une hyène comme on l’a prétendu » (Geneste, 2014 : 108). Cette identification correspond de plus parfaitement à ce que nous avons pu observer en 2015 sur les animaux juvéniles d’un troupeau de bisons élevés près d’Avenches (Vaud, Suisse). Le crochet, bien dégagé et de forme conique, poli à son extrémité, n’est pas intégré à la figuration animale : il se situe sous le prolongement de la queue. L’objet a été façonné sur la face latérale d’une défense de fort diamètre. Il est intéressant de constater que cet objet a été traité en 340 P. Cattelain / L’anthropologie 122 (2018) 336–347 Fig. 2. Partie distale de propulseur pris sur la face latérale d’une défense de mammouth, orné d’une figuration de jeune bison. Magdalénien moyen. Abri de la Madeleine (Tursac, Dordogne, France). MAN 60 362, MNP 004.11.2. Dessins C. Bellier. Distal part of a spearthrower made on the lateral face of a mammoth tusk, decorated with the representation of a young bison. Middle Magdalenian. La Madeleine shelter (Tursac, Dordogne, France). MAN 60 362, MNP 004.11.2. Drawings C. Bellier. ronde-bosse aplatie, comme les propulseurs en bois de renne du même type, alors que la matière première utilisée ici permettait sans doute la réalisation d’une véritable ronde-bosse, sauf si le support choisi était déjà sous forme d’éclat relativement mince, de type squame. Par ailleurs, la ronde-bosse aplatie offre sans doute une moindre résistance à l’air lors de l’utilisation de l’arme. Le fût du propulseur, très mal conservé, ne permet guère d’observations. Les objets en ivoire de mammouth sont très rares dans les niveaux archéologiques de l’Abri de La Madeleine : ils se concentrent presque tous dans la couche inférieure A, attribuée au Magdalénien moyen. Il y a bien sûr le mammouth gravé sur squame d’ivoire de mammouth découvert par Lartet en 1864 (Paillet, 2011), une pointe barbelée en ivoire, une perle en ivoire carbonisée et une lame d’ivoire portant des « signes alphabétiformes » : c’est bien peu (Capitan et Peyrony, 1928 : 32, 38 et 61). Par ailleurs, le mammouth n’est pas repris dans les décomptes de faune (Capitan et Peyrony, 1928 : 62). P. Cattelain / L’anthropologie 122 (2018) 336–347 341 2. Boomerang non retournant pris sur la face latérale d’une défense de mammouth (Fig. 3) Grotte d’Oblazowa, Nowa Biaa (Carpathes du sud), Pologne. Fig. 3. Boomerang pris sur défense de mammouth. Gravettien ancien. Grotte d’Obłazowa (Pologne). Musée de Cracovie. Photo P. Cattelain. Dessins d’après Valde-Nowak, 2000, Fig. 5, modifié. Boomerang made on a mammoth tusk. Early Gravettian. Obłazowa cave (Poland). Museum of Kraków. Picture P. Cattelain. Drawings after Valde-Nowak, 2000, Fig. 5, modified. 342 P. Cattelain / L’anthropologie 122 (2018) 336–347 Fig. 4. Localisation de la découverte du boomerang en ivoire. Gravettien ancien. Grotte d’Obłazowa (Pologne). Plan d’après Valde-Nowak, 2000, Fig. 2. Location of the discovery of the ivory boomerang. Early Gravettian. Obłazowa cave (Poland). Map after Valde-Nowak, 2000, Fig. 2. Fouilles P. Valde-Nowak, 1985. Niveau VIII, au centre d’un cercle irrégulier de blocs de grès et de quartzite disposé près d’une paroi. Gravettien ancien (Pavlovien). Date 14C AMS Oxford 31 000  550 BP. Ivoire de mammouth Musée de Cracovie, Pologne. Moulage au Musée du Malgré-Tout, Treignes. Corde : 720 mm ; l : 60 mm ; épm : 15 mm Bibliographie : Valde-Nowak et al., 1987 : 436–438 ; Bellier et Cattelain, 1990 : 64–65 ; Valde-Nowak, 2000 : 88–94 ; Valde-Nowak, 2003 : 7–10 ; Cattelain et Bellier, 2002 : 63–65 ; Valde-Nowak, 2009 : 201. P. Cattelain / L’anthropologie 122 (2018) 336–347 343 Fig. 5. Boomerang en bois d’eucalyptus. XIXe siècle. Queensland (Australie). Musée du Malgré-Tout, Treignes. Photo P. Cattelain. Boomerang made on eucalyptus wood. XIXth century. Queensland (Australia). Malgré-Tout Museum, Treignes. Picture P. Cattelain. Cet objet, appointé aux deux extrémités, a été découvert en place, en 1985, en plusieurs fragments plus ou moins jointifs, avec six petites lacunes, dans un assez bon état de conservation. Une des deux pointes a été retrouvée en 1990, soit cinq ans plus tard. Il est de section plan-convexe et régulièrement incurvé, de manière symétrique. L’objet a été découpé selon l’axe longitudinal de la défense. La face convexe correspond à la surface externe, apparemment non régularisée. Elle porte des éraillures probablement dues à l’activité de l’animal 344 P. Cattelain / L’anthropologie 122 (2018) 336–347 Fig. 6. Détail de la poignée du boomerang pris sur défense de mammouth. À gauche, face plane ; à droite, face convexe. Gravettien ancien. Grotte d’Obłazowa (Pologne). Musée de Cracovie. Photos P. Cattelain. Focus on the handle of the boomerang made on mammoth tusk. Left: plane face; Right: convex face. Early Gravettian. Obłazowa cave (Poland). Museum of Kraków. Pictures P. Cattelain. au cours de sa vie. L’autre face, très plane, a été régularisée par abrasion et montre des stries longitudinales. L’objet montre des traces de colorant rouge. Il s’agit d’un élément mobilier faisant partie d’une plate-forme cérémonielle « pavlovienne », donc gravettienne, datée de plus ou moins 30 000 ans BP, d’abord interprétée comme vestige d’un campement de chasse, peut-être saisonnier. Il est associé à deux fragments de phalanges humaines (Valde-Nowak, 2003 : 9) (Fig. 4). Le niveau VIII ne contenait aucun déchet de fabrication, aucun autre objet en ivoire, mais bien deux « pics » en bois de cervidé, des poinçons en os, des pendeloques en dents de renard arctique et deux coquillages de type Conus (ValdeNowak, 2009 : 201–203). La morphologie et la morphométrie de cet objet sont très proches de celles de boomerangs australiens, particulièrement de certains exemplaires du Queensland (Jones, 2000 : 42, fig. 4 ; Cattelain et Bellier, 2002 : 64, fig. 42) (Fig. 5). L’extrémité intacte montre d’ailleurs des stries transversales (Fig. 6), sur la face plane, qui correspondent à la zone de prise en main, pour lui éviter de glisser, comme cela se remarque sur des exemplaires ethnographiques (Fig. 7). Notons P. Cattelain / L’anthropologie 122 (2018) 336–347 345 Fig. 7. Détail de la poignée du boomerang en bois d’eucalyptus. À gauche, face plane ; à droite, face convexe. XIXe siècle. Queensland (Australie). Musée du Malgré-Tout, Treignes. Photos P. Cattelain. Focus on the handle of the boomerang made on eucalyptus wood. Left: plane face; Right: convex face; XIXth century. Queensland (Australia). Malgré-Tout Museum, Treignes. Pictures P. Cattelain. que sur la face convexe de l’exemplaire d’Oblazowa, ces stries sont rendues inutiles par la structure même de l’ivoire de mammouth, qui crée des reliefs longitudinaux. Son poids, assez élevé, suggère qu’il s’agit d’un boomerang non retournant (Peter, 1986 ; Thomas, 2000 : 145), parfois erronément appelés killing-stick (Thomas, 1991, 2000 : 143 ; ValdeNowak, 2000 : 93). Il s’agit d’une arme très efficace servant à la chasse et à la guerre dont la portée peut atteindre 150 à 200 m, qui tournoie rapidement sur elle-même dans une trajectoire tendue, en emmagasinant une énergie considérable (Valde-Nowak, 2000 : 147 ; Jones, 2000 : 22–25). Pour le combat, il peut aussi être utilisé en corps à corps, sans être lancé (Jones, 2000 : 22–25). L’objet d’Oblazowa, grand, lourd, aux bords acérés et aux extrémités pointues, correspond bien à cet ensemble de données. Constituant un unicum pour le Paléolithique supérieur, le boomerang en ivoire d’Oblazowa trouve des parallèles morphologiques dans le Paléolitique australien (Wyrie Swamp – 10 200 BP), à la fin du Mésolithique danois, à Roanes Skov et Brabant, vers 6000 BP et pendant 346 P. Cattelain / L’anthropologie 122 (2018) 336–347 l’âge du Fer à Elbschottern (Allemagne - 800–400 av. J.-C.) et Velsen (Pays-Bas – 300 av. J.-C.). Tous ces instruments sont en bois (Bordes, 2014 : 8–9). Les seuls autres boomerangs en ivoire proviennent, à ma connaissance, de la tombe de Toutankhamon, en Égypte (Thomas, 1991). Références Bahuchet, S., 1992. Dans la forêt d’Afrique centrale : les pygmées Aka et Baka. Peeters-Selaf, Paris (425 p.). Bellier, C., Cattelain, P., 1990. La chasse dans la Préhistoire (Guides archéologiques du Malgré-Tout). Cedarc, Treignes (72 p.). Bordes, L., 2014. Les bâtons de jet préhistoriques et leurs représentations : développement d’outils et de méthodes pour la mesure de leurs caractéristiques et l’évaluation de leurs fonctions. Mémoire de Master 2, Préhistoire, Paléoenvironnement et Archéométrie. Capitan, L., Peyrony, D., 1928. La Madeleine, son gisement, ses industries, ses œuvres d’art. E. Nourry, Paris (125 p., 70 fig., 19 pl.). Cattelain, P., 1978. 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