Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 22 (2003) 631–634
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Cas clinique
Choc septique réfractaire aux catécholamines :
y a-t-il une place pour la terlipressine ?
Vasodilatory septic shock refractory to catecholamines:
is there a role for terlipressin?
J.L. Fellahi a,*, P. Bénard a, G. Daccache a, E. Mourgeon a, J.L. Gérard b
a
Service d’anesthésie–réanimation, centre hospitalier privé Saint-Martin, 18, rue des Roquemonts, 14050 Caen, France
b
Département d’anesthésie–réanimation, CHU Côte-de-Nacre, Caen, France
Reçu le 12 novembre 2002 ; accepté le 5 mai 2003
Résumé
Nous rapportons deux observations cliniques de choc septique réfractaire aux catécholamines, pour lesquelles une perfusion continue de
terlipressine a permis le rétablissement de la pression artérielle systémique et la survie immédiate des patients. L’augmentation de pression
artérielle, en rapport avec une augmentation des résistances vasculaires systémiques, était obtenue pour une dose de terlipressine allant de
0,01 à 0,1 mg h–1. L’effet hémodynamique observé était rapide, durable, dose-dépendant et réversible en quelques heures à l’arrêt de la
perfusion. L’augmentation des doses de terlipressine s’accompagnait d’une dégradation de la performance cardiaque globale. Parallèlement,
la perfusion de terlipressine était responsable dès les plus faibles doses d’une vasoconstriction cutanée intense, générant des plages de nécrose
dans les territoires les plus exposés. La circulation hépatosplanchnique semblait également victime d’une vasoconstriction délétère. Des
études supplémentaires sont nécessaires afin de mieux cerner la place exacte de la terlipressine dans le traitement du choc septique réfractaire
aux agents vasopresseurs habituels.
© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract
We report two patients in vasodilatory septic shock refractory to catecholamines in which a continuous infusion of terlipressin was
associated with a dramatic increase in systemic arterial blood pressure and short-term survival. Low doses of terlipressin were sufficient in both
cases (0.01–0.0 mg h–1) to restore blood pressure by increase of systemic vascular resistances. The haemodynamic response was immediate,
long-acting, dose-dependent and reversible in a few hours when the drug administration was stopped. A further increase in terlipressin dose
regimen markedly decreased cardiac performance. Terlipressin simultaneously induced vasoconstriction within the cutaneous vascular
territory, leading to local skin necrosis. The splanchnic vascular territory seemed to be constricted in the same way. Further studies are needed
to better understand and precise the role of terlipressin in the treatment of vasodilatory septic shock refractory to catecholamines.
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Mots clés : Choc septique ; Terlipressine
Keywords: Septic shock; Terlipressin
1. Introduction
L’hyporéactivité vasculaire aux agents vasopresseurs fait
partie intégrante du tableau hémodynamique observé dans
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : jean-luc.fellahi@stmartin-caen.gsante.fr (J.L. Fellahi).
© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/S0750-7658(03)00218-1
les états de choc septique [1]. La vasoplégie intense peut se
montrer rebelle aux plus hautes doses de catécholamines
vasoconstrictrices et menacer directement la survie des malades. Non citée dans les recommandations éditées en 1996 par
la Société de réanimation de langue française sur la prise en
charge thérapeutique du choc septique [2], la vasopressine a
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été préconisée depuis pour le rétablissement de la pression
artérielle systémique au cours du choc septique [3–6]. La
terlipressine, un analogue synthétique à durée d’action prolongée de la vasopressine, est prescrite dans le traitement des
hémorragies digestives par rupture de varices œsophagiennes
[7]. Son utilisation en bolus au cours du choc septique réfractaire à la noradrénaline a été récemment proposée avec succès [8]. Nous rapportons ici deux cas de choc septique où le
recours à la terlipressine à faible dose en perfusion continue a
permis de traiter une hypotension artérielle systémique réfractaire aux catécholamines, au prix cependant de complications circulatoires régionales graves.
2. Observations
2.1. Cas no 1
Une femme de 73 ans ayant des antécédents d’infarctus du
myocarde, d’hypertension artérielle équilibrée par acébutolol et ramipril, d’insuffisance rénale chronique (clairance de
la créatinine = 38 ml min–1), de syndrome restrictif pulmonaire modéré et de chirurgie néoplasique du sein était adressée pour des lésions coronaires tritronculaires sévères. L’intervention consistait en un triple pontage coronaire avec
prélèvement de l’artère mammaire interne gauche. Les suites
opératoires initiales étaient simples et la patiente extubée à la
neuvième heure. Au troisième jour postopératoire, un état de
détresse cardiorespiratoire conduisait rapidement à la réintubation. L’insuffisance circulatoire aiguë était sévère et ne
s’améliorait pas après une épreuve dynamique de remplissage vasculaire. L’échocardiographie transœsophagienne éliminait une complication chirurgicale et montrait une bonne
fonction systolique ventriculaire gauche globale postopératoire. La patiente était mise sous perfusion continue de noradrénaline 0,15 µg kg–1 min–1. Un bilan bactériologique complet était réalisé et une antibiothérapie probabiliste
combinant céfotaxime et ofloxacine mise en route sans délai.
Après une brève période de stabilisation et malgré un bilan
infectieux négatif, l’état clinique se détériorait, associant
hypotension artérielle, hypothermie, insuffisance rénale
aiguë
anurique,
insuffisance
respiratoire
aiguë
(PaO2/FiO2 < 200 mmHg) et syndrome de cholestase ictéri-
que (GGT = 299 UI l–1, PAL = 157 UI l–1, bilirubine totale = 55 µmol l–1). Un cathéter de Swan-Ganz était mis en
place et la noradrénaline augmentée jusqu’à 0,75 µg kg–1
min–1 en raison d’une hypotension artérielle sévère persistante avec vasoplégie intense (Tableau 1). La dobutamine
était ajoutée secondairement et augmentée progressivement
jusqu’à 10 µg kg–1 min–1. Le maintien de la pression artérielle moyenne restait néanmoins impossible, interdisant
toute tentative de mise en route d’une épuration extrarénale
(EER). Une perfusion continue de terlipressine à la dose de
0,1 mg h–1 était ajoutée à l’association noradrénaline–dobutamine. Elle permettait en moins d’une heure la restauration
d’une pression artérielle moyenne à 70 mmHg et la mise en
route de l’EER. Parallèlement, la performance cardiaque
globale se dégradait (Tableau 1) sans élévation du taux plasmatique de troponine I cardiaque (TnIc) (0,4 ng ml–1). Une
vasoconstriction cutanée intense avec marbrures généralisées diffusait rapidement à partir de l’hémithorax gauche. La
perfusion de terlipressine était diminuée à 0,02 mg h–1 et les
paramètres hémodynamiques systémiques jugés alors satisfaisants (Tableau 1). La vasoconstriction cutanée régressait.
Une acrocyanose au niveau des membres inférieurs ainsi que
des plages de nécrose cutanée au niveau de l’hémithorax
gauche et des cicatrices de prélèvement veineux saphène
interne persistaient néanmoins. Le bilan hépatique montrait
une aggravation du syndrome de cholestase (GGT = 441 UI
l–1, PAL = 229 UI l–1) sans cytolyse associée et sans élévation
des enzymes pancréatiques. La TnIc demeurait normale. La
perfusion de terlipressine était finalement interrompue au
bout de 48 h et la dose de noradrénaline nécessaire au maintien de la pression artérielle s’élevait rapidement jusqu’à 1 µg
kg–1 min–1. La patiente décédait au trentième jour postopératoire dans un tableau d’aréactivité vasculaire totale aux
catécholamines sans nouvelle utilisation de terlipressine.
2.2. Cas no 2
Un homme de 77 ans était adressé pour un rétrécissement
aortique calcifié serré symptomatique et des lésions coronaires significatives. Le bilan cardiovasculaire montrait une
cardiopathie dilatée et hypertrophique, une hypertension artérielle équilibrée par fosinopril et furosémide et une hypertension artérielle pulmonaire sévère. Il existait une arythmie
Tableau 1
Effets de la terlipressine sur l’hémodynamique systémique : la vasoconstriction artérielle augmente avec la dose administrée
PAM
PAPO
IC
RVSI
(mmHg)
(mmHg)
(l min –1 m –2 ) (dyn s –1 cm –5 m –2 )
Cas n o 1 : dobutamine (10 µg kg–1 min–1)–noradrénaline (0,75 µg kg –1 min–1)
Terlipressine (mg h –1 )
0
55
12
4,0
880
0,02
69
14
3,3
1491
0,1
70
15
2,5
1824
Cas no 2 : dobutamine (15 µg kg–1 min –1)–noradrénaline (1,0 µg kg–1 min–1)
Terlipressine (mg h –1 )
0
47
17
3,4
749
0,01
69
18
3,4
1254
0,02
78
11
3,8
1432
SvO2
(%)
ERO2
(%)
lactates
(mmol l –1 )
66
68
55
32
30
45
2,2
2,6
3,3
67
69
73
28
28
25
1,9
2,0
1,9
PAM, pression artérielle moyenne ; PAPO, pression artérielle pulmonaire d’occlusion ; IC, index cardiaque ; RVSI, résistances vasculaires systémiques
indexées ; SvO2, saturation veineuse mêlée en oxygène ; ERO2, coefficient d’extraction tissulaire en oxygène.
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complète par fibrillation auriculaire et la fraction d’éjection
ventriculaire gauche était mesurée à 45 %. Les antécédents
révélaient une thrombo-endartériectomie carotidienne
droite, une gastrectomie partielle, un diabète devenu
insulino-nécessitant et une insuffisance respiratoire chronique mixte sévère. L’intervention consistait en la mise en
place d’une bioprothèse aortique, une décrustation de la
valve mitrale et un double pontage coronaire avec prélèvement de l’artère mammaire interne gauche. Les suites opératoires initiales étaient simples et le patient extubé à la sixième
heure. Au troisième jour postopératoire, un état de détresse
cardiorespiratoire conduisait rapidement à la ré-intubation.
Un bilan bactériologique complet était réalisé et une antibiothérapie probabiliste combinant céfotaxime et gentamicine
mise en route sans délai. Un tableau clinique de défaillance
hémodynamique sévère s’installait cependant, associant hypotension artérielle, oligurie et marbrures cutanées intenses.
L’hypotension artérielle persistait après une épreuve dynamique de remplissage vasculaire et une sonde de Swan-Ganz
était mise en place. Une perfusion continue de noradrénaline
était initiée et la dose progressivement augmentée jusqu’à
1 µg kg–1 min–1. La dobutamine était ajoutée jusqu’à 15 µg
kg–1 min–1. Le prélèvement pulmonaire distal protégé était
positif à Haemophilus influenzae, sensible à l’antibiothérapie initiale. L’état clinique du patient évoluait néanmoins
vers un syndrome de défaillance multiviscérale associant
insuffisance circulatoire aiguë, insuffisance rénale aiguë anurique, insuffisance respiratoire aiguë et syndrome de cholestase ictérique (GGT = 242 UI l–1, PAL = 183 UI l–1, bilirubine totale = 33 µmol l–1). Il était difficile à ce stade de
maintenir la pression artérielle moyenne malgré les doses de
catécholamines utilisées (Tableau 1) et toute tentative d’EER
était vaine. Une perfusion continue de terlipressine à la dose
de 0,01 mg h–1 était débutée sans modifier l’association
noradrénaline–dobutamine. Elle permettait la restauration
rapide d’une pression artérielle correcte (Tableau 1) et la
mise en route de l’EER. La dose était secondairement augmentée à 0,02 mg h–1 sans toutefois pouvoir diminuer la
noradrénaline. Les paramètres hémodynamiques systémiques étaient néanmoins jugés satisfaisants (Tableau 1). L’état
circulatoire demeurait inchangé pendant 48 h puis apparaissait une acrocyanose modérée au niveau des membres inférieurs ainsi que des plages de nécrose cutanée localisées au
niveau de l’hémithorax gauche et des cicatrices de prélèvement veineux saphène interne. Le bilan hépatique montrait la
persistance du syndrome de cholestase (GGT = 152 UI l–1,
PAL = 311 UI l–1) auquel s’ajoutait une cytolyse modérée
(TGO = 213 UI l–1, TGP = 122 UI l–1) avec majoration de
l’ictère clinique et augmentation de la bilirubine totale
(71 µmol l–1), sans élévation des enzymes pancréatiques.
L’aspiration digestive continue devenait légèrement sanglante. La TnIc était normale. L’administration de terlipressine était interrompue et la dose de noradrénaline nécessaire
au maintien de la pression artérielle s’élevait rapidement
jusqu’à 1,5 µg kg–1 min–1. Le décès survenait au quinzième
jour postopératoire dans un tableau d’aréactivité vasculaire
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totale aux catécholamines sans nouvelle utilisation de terlipressine.
3. Discussion
Ces deux observations montrent qu’une perfusion continue de terlipressine a permis le rétablissement rapide d’une
pression artérielle systémique normale dans une situation où
la réactivité vasculaire aux agents vasopresseurs était très
diminuée. La normalisation de la pression artérielle a permis
à son tour la mise en œuvre d’une EER indispensable à la
survie immédiate des patients. L’effet hémodynamique observé était puissant, durable, dose-dépendant, réversible en
quelques heures à l’arrêt de la perfusion et en rapport avec
une augmentation des résistances vasculaires systémiques
totales. Ce dernier résultat a déjà été montré par des mesures
échocardiographiques réalisées au bloc opératoire chez des
patients non septiques [9]. Physiologiquement, la vasoconstriction induite par la vasopressine dépend des récepteurs
vasculaires V1 couplés à la phospholipase C et repose sur
l’augmentation intracellulaire de calcium [10]. Cette vasoconstriction a été obtenue dans les 2 cas présentés pour une
faible dose de terlipressine qui contraste avec les posologies
élevées proposées dans le traitement des hémorragies digestives par rupture de varices œsophagiennes [7] et des hypotensions réfractaires survenant après l’induction anesthésique au bloc opératoire [9]. Un effet vasoconstricteur puissant
de la vasopressine à faible dose est également rapporté au
cours du choc septique [5,11]. Cette efficacité dès les plus
faibles concentrations s’expliquerait par le déficit relatif en
vasopressine et par l’hypersensibilité à cette molécule qui
caractérisent le choc septique dans sa phase tardive [11].
Dans le premier cas, le retentissement sur la performance
cardiaque globale induit par la perfusion de terlipressine à la
dose de 0,1 mg h–1 est délétère alors que la tolérance semble
bonne pour les posologies allant de 0,01 à 0,02 mg h–1. On
observe même une amélioration de l’index cardiaque dans le
second cas, probablement par amélioration de la pression de
perfusion coronaire due à l’augmentation de pression artérielle. Expérimentalement, la vasopressine s’est montrée supérieure à l’adrénaline dans la réanimation de l’arrêt circulatoire pour rétablir la pression de perfusion et le débit sanguin
coronaire [12]. Néanmoins, l’utilisation d’un vasoconstricteur puissant et dépourvu d’effet inotrope positif peut toujours démasquer ou aggraver la dysfonction ventriculaire
gauche accompagnant les états septiques sévères et doit par
conséquent rester prudente [13]. La terlipressine, moyennant
le monitorage de la fonction cardiaque, pourrait donc permettre de passer un cap au cours du choc septique en rétablissant la pression artérielle systémique quand les agents vasopresseurs habituels sont devenus inefficaces [8].
Malheureusement, les effets vasopresseurs de la terlipressine
ne sont pas homogènes. Une vasoconstriction musculocutanée intense conduisant à la nécrose cutanée irréversible a été
notée dans les deux observations, localisée principalement
dans le territoire de l’artère mammaire interne gauche et des
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veines saphènes internes prélevées pour l’intervention. En
outre, en l’absence d’exploration de l’hémodynamique hépatosplanchnique, il faut accorder la plus grande attention à
l’aggravation du bilan biologique hépatique et à l’apparition
d’une aspiration digestive sanglante sous terlipressine. Expérimentalement, les effets constricteurs de la vasopressine sur
les artérioles mésentériques [14,15] et la circulation musculocutanée [16] sont bien démontrés et une augmentation
constante des enzymes hépatiques et de la bilirubinémie lors
de la perfusion de vasopressine a été observée [5]. Le bénéfice obtenu avec la terlipressine sur les paramètres hémodynamiques systémiques est donc à mettre en balance avec les
effets délétères observés au niveau des circulations régionales musculocutanée et hépatosplanchnique. Les deux patients étaient anuriques et probablement trop graves au moment de la mise en route du traitement par terlipressine pour
espérer un quelconque bénéfice sur la fonction rénale mais
plusieurs auteurs signalent une amélioration de la fonction
rénale au cours du choc septique avec la perfusion de vasopressine [3,6].
4. Conclusion
Peu d’informations sont encore disponibles dans la littérature concernant l’utilisation de la vasopressine et de la
terlipressine au cours des états de choc septique. Les données
récemment acquises demandent confirmation via de larges
études et les effets à long terme et sur la survie des patients ne
sont pas encore connus. De même, l’action de la terlipressine
au niveau des principales circulations régionales de l’organisme demande à être précisée. Pour toutes ces raisons, la
place de la vasopressine et de la terlipressine dans le traitement du choc septique chez l’homme demeure incertaine.
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