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La discrimination à l’accent en France : idéologies, discours et pratiques Médéric Gasquet-Cyrus Université de Provence, LPL. Résumé Ce texte aborde les discriminations ou les stigmatisations suscitées par un accent « régional » en France. L’analyse porte sur des commentaires épilinguistiques recueillis lors d’observations de terrain et d’entretiens semi-directifs dans le Sud de la France. La réflexion met en évidence la prégnance de l’idéologie française en matière de variation et propose, à travers l’étude de nombreux cas concrets, de distinguer ambivalence et ambigüité, discrimination et stigmatisation. 0. Introduction : de l’anecdotique au sociolinguistique En 1947, un inspecteur recommandait à un instituteur d’origine gasconne, alors âgé de 18 ans, de corriger son « accent basque de Carcassonne » (sic). En 1977, pour l’enregistrement de son premier album à Paris, Francis Cabrel (natif d’Astaffort dans le Gers) se voyait contraint par ses producteurs de fermer son ‘o’ lorsqu’il prononçait notamment « rose », dans la chanson « Petite Marie ». Au début des années 1980, au commencement de sa carrière, le Perpignanais Gérard Jacquet, aujourd’hui animateur et chroniqueur sur France Bleu Roussillon, s’est entendu dire par un professionnel des médias : « Monsieur, avec votre accent vous ne ferez jamais de la radio ». Dans les années 1990, Jacques Bonnadier, journaliste et écrivain marseillais, auteur d’un documentaire sur Marseille dont il lisait lui-même les textes, a été « doublé » par le comédien André Dussollier (dont l’accent a été jugé plus « neutre ») pour une diffusion télévisée nationale. En 2005, un collégien de la région aixoise n’obtient que 19/20 à sa récitation d’un poème de Victor Hugo car, dixit son enseignante, « il a un accent ». Ces notes – volontairement éclectiques – ne sont que quelques exemples, parmi des milliers d’autres, de discriminations ordinaires. Elles apparaissent sous la forme d’anecdotes (racontées en général par les « victimes »), semblent relativement anodines pour la plupart d’entre elles, et n’ont aucune valeur représentative ou quantitative. Elles Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x pourraient pourtant nous en dire long sur la discrimination à l’accent en France, de nos jours. On pourrait multiplier à l’envi ces récits, et l’on devrait même en effectuer la recension pour analyser les processus à l’œuvre dans ces cas de discrimination ordinaire. C’est en partie l’ambition de la recherche présentée ici. Le colloque pour lequel ce texte a été rédigé invitait à l’étude de l’idéologie linguistique et de ses conséquences en termes de discrimination dans les situations sociolinguistiques ordinaires. La discrimination par la langue ou par l’accent est un thème fondamental en sociolinguistique : identifier un locuteur comme appartenant à tel groupe social, régional ou ethnique à sa façon de parler est un point de départ vers des évaluations ou des attitudes qui peuvent éventuellement devenir discriminantes. Je propose dans ce texte de faire le point sur la question, que je formulerai ainsi : dans quelle mesure un accent « régional » est-il susceptible d’être stigmatisé en France ? Je tenterai de fournir au moins un début de réponse grâce non seulement la fréquentation du terrain provençal depuis plusieurs années, mais aussi grâce à un corpus de productions collectées dans le cadre d’une enquête sur les accents du sud de la France. Il s’agira d’analyser dans quelle mesure ces « accents régionaux » s’articulent avec l’existence d’une norme bien ancrée dans l’idéologie nationale et d’expliquer la diversité des attitudes et réactions possibles. Dans un premier temps, l’analyse du titre de ce texte permettra de fournir un cadre conceptuel à la problématique. Puis, après avoir montré comment les représentations des accents peuvent être ambigües, j’examinerai des cas concrets de discrimination et de stigmatisation. 1. Jalons conceptuels J’expliciterai dans cette section les différentes notions mobilisées dans le titre de l’article. 1.1. Qu’entend-on par « accent » ? Accent sera entendu ici dans une acception large telle que peut l’appréhender la sociolinguistique. En effet, la conception ordinaire de l’accent ne coïncide pas forcément avec les définitions des spécialistes, variables selon les disciplines. En phonétique / phonologie / prosodie, l’accent est considéré de façon générale comme un phénomène de mise en relief ou de proéminence. En dialectologie, l’accent regroupe tout ce qui est de l’ordre de la prononciation. En sociolinguistique, la prise en Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x compte des processus de perception et de catégorisation élargit le spectre des phénomènes couverts par le terme accent. « L’accent n’est pas une donnée absolue : il n’existe que par confrontation avec des pratiques linguistiques autres. […] l’accent ne repose pas uniquement sur des faits phonétiques et prosodiques, mais également sur le savoir dont dispose le locuteur quant à ses propres pratiques et à la diversité des habitudes articulatoires. » (Petitjean, 2008 : 35) L’accent peut ainsi renvoyer à des « façons de parler », mêlant indifféremment, selon les locuteurs, prosodie, traits segmentaux, voire (dans certains discours) des expressions ou du lexique (Gasquet-Cyrus, à par. et 2010). Ce qui intéresse la sociolinguistique, c’est donc l’accent dans ce qu’il cristallise d’enjeux identitaires et sociaux. Le point de vue adopté n’est donc pas celui de la description de particularités linguistiques, mais celui d’une analyse des rapports que les individus entretiennent avec leur accent et avec des groupes potentiellement identifiables par des accents. Cette étude est centrée sur les accents « régionaux », avec tout ce que cet adjectif a de complexe ou de réducteur ; évidemment, « diatopique, diastratique et diaphasique interagissent en permanence » et « les locuteurs emploient d’autant plus de formes régionales que leur statut socioculturel est plus bas et que la situation est plus familière » (Gadet, 2003 : 15). Il s’agit donc ici d’observer les discriminations associées à des accents « régionaux ». 1.2. Discrimination La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE) définit la discrimination comme « une inégalité de traitement fondée sur un critère prohibé par la loi, comme l’origine, le sexe, le handicap etc., dans un domaine visé par la loi, comme l’emploi, le logement, l’éducation, etc. » (www.halde.fr). Le thème de la discrimination est omniprésent dans la société française contemporaine, qu’il s’agisse de la question politique de la discrimination positive, des débats plus généraux autour de l’« intégration » des migrants et de leurs descendants, des débats plus précis autour d’un « français des cités » fantasmé, etc. La HALDE a développé, depuis quelques années, des cadres pour mieux « penser » et cerner la discrimination. Cependant, d’après mes recherches, aucune Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x discrimination liée directement aux « façons de parler » n’a été relevée à ce jour dans les interventions de la HALDE. J’effectuerai ici une distinction entre discrimination et stigmatisation. Discriminer, c’est séparer, mettre à part (en vue d’un traitement futur) alors que stigmatiser, c’est littéralement imposer des stigmates à quelqu’un, le « marquer » afin d’exhiber sa différence et de lui imposer un traitement négatif. L’intérêt de cette distinction repose sur le fait que, sans qu’il n’y ait de stigmatisation avérée (qui peut prendre des formes aussi variées que : remarques, moqueries, refus d’embauche, etc.), on rencontre souvent des cas de discrimination indirecte, qui n’en sont pas moins graves pour les locuteurs qui en sont les victimes. Je me concentrerai ici sur des stigmatisations ou des discriminations dont les locuteurs disent être/avoir été victimes. L’angle choisi est celui des discours des principaux intéressés, à savoir les locuteurs (qui disent avoir été) victimes de stigmatisations. 1.3. En France… Il ne s’agit pas de dresser ici un inventaire exhaustif des phénomènes des discriminations linguistiques liées aux accents régionaux. Plus modestement, ma réflexion s’appuie sur l’étude d’un corpus d’entretiens semi-directifs de plus d’une centaine de locuteurs enregistrés dans le sud de la France (pays basque, aire occitane, aire catalane, Corse). Les enregistrements, qui peuvent durer d’une minute (quelques amorces d’interviews sur des marchés, par exemple) à plus d’une heure, ont été réalisés sur les terrains suivants : Provence et Marseille ; Var ; Corse ; Sète ; Perpignan ; Toulouse ; Astaffort, où des locuteurs d’autres régions (Drôme, Ardèche, Aveyron, Montpellier, Avignon, Nice…1) ont été croisés. 1.4. « Idéologies, discours et pratiques » 1.4.1. Idéologies langagières J’utiliserai ici la notion d’idéologie comme référant à un ensemble de représentations partagées sur le langage et les langages, dépassant la 1 Les entretiens au pays basque et en Dordogne ont été effectués, à ma demande, par Christelle Véron et Jacques Laval, animateurs à Radio France, dans le cadre de la série d’émissions Les accents du Sud produite par Daniel Allary et l’Atelier de Création Radiophonique Provence-Alpes-Méditerranée, 2008. Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x matérialité linguistique et associées à des questions identitaires, esthétiques, morales, politiques et sociales (Woolard 1998). L’idéologie n’existe pas dans l’absolu : toute idéologie est inscrite dans une historicité, et sa construction, processuelle et complexe, peut courir sur plusieurs siècles. Il sera ici principalement question de l’idéologie française concernant le français et ses variations. Cette nébuleuse de discours, de représentations et de faits concerne le processus historique de construction socio-politique du français et son ancrage dans les mentalités (Lodge 1997 ; Moïse 2009). En France, l’idéologie d’une norme unique, stable et homogène est encore très prégnante. Il est par exemple significatif de constater à quel point l’Académie française constitue, aux yeux de beaucoup, une référence puissante en matière de prescription, alors que l’on sait combien son rôle est éminemment symbolique. La notion de standard est encore confondue avec un hypothétique français central qui serait l’étalon de la variation : « attitudes have emerged that define regional and social differences as marginal to the centrality of the standard » (Kuiper, 2005 : 28). Cette représentation schématique centre/marges se retrouve même chez des linguistes, qui en cours ou dans leurs manuels évoquent par exemple la variation en termes d’« écarts » voire de « déviance » par rapport à une norme2. Cette idéologie française trouve une traduction et a des répercussions sur les représentations croisées Nord-Sud. D’un point de vue historique, on dispose d’un grand corpus de discours dépréciatifs sur les pratiques langagières du sud de la France, qualifiées selon les époques de patois, jargons, baragouins, déformations, gasconismes, provençalismes, etc. La francisation de l’aire occitane a vu s’opérer un transfert : l’accent a aujourd’hui pris la place des langues visées depuis des siècles par ces dépréciations. Ces représentations – sous forme de glossonymes, de clichés métalinguistiques ou de discours littéraires ou politiques – s’accompagnent plus généralement d’un stéréotype ridicule du Méridional (Lafont, 2004). Or, cette représentation d’un Méridional doté d’une parlure dépréciée semble largement intériorisée, comme l’ont montré, entre autres, les nombreux travaux de R. Lafont ou d’H. Boyer. 2 Voir par exemple P. Guelpa (2007) : « Il faut maintenant attirer l’attention sur les prononciations déviantes du Nord et du Midi par rapport à la prononciation d’Ile-deFrance et de Tours, en précisant que ces dernières font toujours foi en matière de bonne langue française (en cas de doute, vérifiez dans les dictionnaires) ». Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x « Nous sommes aujourd’hui, semble-t-il, fort éloignés de ces outrances, elles subsistent cependant sous des formes plus sournoises. Nous faisons le constat quotidien que la stigmatisation du méridional gueulard et vulgaire est le fait des méridionaux euxmêmes, qui ont intégré cet ostracisme. » (Weck 2008 : 12) 1.4.2. Discours et pratiques Dans la catégorie « discours », je range toutes les formes sous lesquelles apparaissent, à travers des formulations épilinguistiques, des traces de stigmatisation/discrimination mises en mots en récits ou anecdotes, de première ou de seconde main (par exemple : « on dit qu’au concours l’accent est susceptible de… » etc.). Les « pratiques » renvoient ici à des actes concrets qui attestent de phénomènes de stigmatisation, comme des moqueries, des imitations plus ou moins parodiques et stéréotypées, du sous-titrage, ou un refus d’embauche motivé par l’accent régional d’une personne. 2. Représentations : de l’ambivalence à l’ambigüité La réflexion contemporaine sur les représentations suscite de nombreux débats en sociolinguistique. L’une des difficultés réside dans l’hypothétique accès du chercheur à d’éventuelles représentations. Or, pas plus qu’un autre, le linguiste n’a directement accès à ces « représentations », qui ne sont d’ailleurs pas des objets stables. Tout au plus peut-on repérer des marques de celles-ci, des traces discursives contextualisées dans le cadre d’une activité épilinguistique (Canut, 2000) inhérente à l’acte de locution mais parfois plus explicite, notamment dans les processus de catégorisation en discours. Les traces épilinguistiques « émergent pour la plupart en interaction, en tout cas elles ne sont pas des produits stables, définitifs, issus de soi-disant “représentations globales” de l’individu » précise C. Canut (2000 : 75). Pour C. Petitjean (2008 : 36), la véracité des représentations « n’est valable que dans un temps et un lieu précis, dans une situation interactionnelle momentanée ». Il en ira de même dans les analyses que je donnerai des « représentations » émergeant dans les discours étudiés. Sans réifier les représentations, on pourra cependant distinguer, au sein d’un large continuum, des polarités permettant de classer ces discours en évaluations, positives ou négatives. Or, par un subtil et sournois glissement, l’ambivalence des perceptions ou des discours sur « l’accent » peut parfois se changer en véritable ambigüité. En d’autres Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x termes, si l’ambivalence des discours suppose qu’un accent puisse être perçu soit positivement, soit négativement (accent « beau » vs « laid », par exemple), l’ambiguïté peut laisser transparaître une perception négative sous un discours a priori positif : un accent « chantant » – perception a priori positive – pourrait aussi bien être perçu, de manière ambiguë, comme un accent « léger », « pas sérieux »… 2.1. Représentations positives de l’accent marseillais Différentes études récentes rapportent, au détour de commentaires épilinguistiques, une représentation relativement positive de l’accent marseillais, qui repose essentiellement sur des qualificatifs ou des attributs stéréotypés (« chantant », « jovial », « ensoleillé »…) rarement malveillants (en apparence). Dans l’enquête de D. de Robillard (2003), le français méridional jouit de représentations très positives et trône au sommet d’une hiérarchie de « français enchantés » qui s’opposent à une perception « sans saveur » de la norme. Par une enquête sur les perceptions des variétés régionales du français auprès de sujets parisiens et provençaux, L. Kuiper (2005) montre que la variété de français parlée en Provence est classée, quels que soient les sujets, comme « la plus agréable à l’oreille » (un contre-exemple serait l’accent alsacien, fortement dévalorisé). De plus, on assiste depuis les années 1990 en Provence à une revendication identitaire très forte qui prend notamment la forme de nombreux discours très positifs sur l’accent marseillais ou le français de Marseille à travers différents supports : littérature, chanson, cinéma, spectacles, lexiques et glossaires, sites Internet, etc. (GasquetCyrus, 2004). 2.2. Représentations globalement positives des accents du Sud Certains extraits de mon corpus confortent cette tendance : des témoignages assez nombreux insistent sur les images positives associées aux accents du Sud. Ainsi, Yohann (aveyronnais de 38 ans) dit ne pas cacher son accent, qui suscite d’ailleurs des remarques agréables : « on a un accent qui fait plaisir à entendre » ; « on s’est jamais caché de notre accent »… Et de raconter que « le plus beau compliment » qu’on lui ait fait, dans sa jeunesse, émanait d’une jeune belge qui lui aurait dit : « quand je t’entends parler, je vois le soleil et la mer… » ; conclusion de Yohann : « ça fait plaisir… ». Gabi, Basque de 61 ans et retraité du Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x secteur bancaire, décrit avec emphase son accent comme « chantant, enthousiaste, dynamique, tourné vers l’avenir ». Certains locuteurs mettent en avant un vécu très positif de leur accent, dans des discours identitaires parfois revendicatifs. En première approche, l’idée selon laquelle un accent méridional serait forcément un handicap ne tient donc pas. Cependant, une présence constante sur le terrain amène à interroger cette euphorie de façade, comme le suggère F. Weck (2008 : 14), qui voit « dans cette sympathique revendication beaucoup d’ostentation, ce qui laisse penser que la sérénité n’est pas atteinte et le droit à l’indifférence encore moins… ». Quelle que soit leur fréquence, il convient d’insister sur l’existence, dans des cas particuliers mais nombreux, de réelles stigmatisations, souvent indirectes ou sournoises, rarement affichées comme telles. 2.3. De l’ambivalence à l’ambiguïtété En tant que représentations sociales partagées par des groupes, les représentations linguistiques relatives aux accents du Sud ont un noyau dur (Abric 1994) qui demeure relativement stable. Cependant, ce noyau dur (représentations) a la particularité d’être évalué (attitudes) différemment, tantôt de façon positive, tantôt de façon négative dès lors que l’on se plonge au cœur des discours produits par les sujets. Il s’agit là d’une ambivalence au sens propre du terme, puisque la même représentation peut être dotée de deux valeurs contraires. Un même locuteur peut donc percevoir l’accent de manière complètement opposée selon son groupe (perception endo- ou exogène), mais aussi selon la situation d’énonciation ou le contexte dans lesquels il produit son discours. Cette hétérogénéité est somme toute normale : ainsi, J.-F. De Pietro (1995) explique que les Suisses romands n’ont pas d’attitudes uniformes envers leurs pratiques langagières et parle même d’ « ambiguïté » à ce sujet. Analysons cette ambiguïté des discours à travers le cliché « accent chantant ». Un premier niveau induit des connotations positives : « musicalité, soleil, bonne humeur, vacances, farniente, cadre de vie agréable » … Cependant, un niveau sous-jacent peut aussi être actualisé : ce qui est jovial peut très vite devenir « pas sérieux », les vacances renvoient à un manque de professionnalisme, le farniente comme art de vivre peut aussi être perçu comme une fainéantise atavique… Le même qualificatif « chantant » peut donc être chargé de deux valeurs contradictoires en même temps, puisque l’on oscille d’un accent comique (attitude positive) à un accent « pas sérieux », qui finit Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x par devenir ridicule (attitude négative)3. On est donc bien dans une représentation ambiguë de l’accent chantant. « On perçoit fort bien cependant sous cet accueil bienveillant la stigmatisation rampante d’une évidente légèreté qui se formule plus brutalement : “On ne peut pas le prendre au sérieux”, “Ça fait penser à Pagnol” ou encore, “Ça fait sourire” » (Weck 2008 : 33) De nombreux locuteurs ont pleinement conscience de cette ambiguïté, et expliquent à quel point elle peut être discriminatoire : « professionnellement on te prend pas au sérieux » ; « il te faut en faire trente kilos de plus pour être fiable » ; « ça fait pas très sérieux » ; « on a envie d’être crédible dans ce qu’on dit » ; « ça fait rire donc les gens pensent à cet accent et oublient ce qu’on dit »… 3. De la simple discrimination à la stigmatisation Si les représentations ne sont ni stables, ni simples, et toujours contextualisées, on peut essayer de répertorier différentes formes de discriminations, qui peuvent aller de propos anodins ou simplement moqueurs à des actes concrets d’exclusion sociale. 3.1. Conscience de l’altérité Dire à quelqu’un qu’il a « un accent », c’est non seulement le renvoyer à une altérité, mais également à un rapport normatif et hiérarchique implicite, puisque s’il a « un accent », c’est par rapport à quelqu’un (l’interlocuteur) qui n’en aurait pas… C’est ce qui s’est passé lors d’un colloque en hommage à Alain Rey, à Rouen en juin 2009 ; l’animateur Stéphane Paoli, présentant un intervenant québécois, lui a tendu le micro avec ces mots : « on ne voudrait rien perdre de votre bel accent ». L’intention était louable, puisqu’il s’agissait de complimenter quelqu’un pour son accent, mais le principal intéressé a bien senti la discrimination induite par ce propos, puisqu’il a rétorqué : « pour avoir un accent, il faut être deux ». Il y a cependant des cas de discrimination directe, ou en tout cas explicitement présentés comme tels par les locuteurs. 3.2. Imitation 3 Pour une analyse approfondie de l’ambivalence/ambiguïté de l’accent et la distinction comique/ridicule en sociolinguistique, voir Gasquet-Cyrus (2004). Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x La discrimination peut prendre la forme d’une imitation, pas toujours bien vécue par ceux qui en sont les « victimes ». De nombreux locuteurs du Sud font part de leur irritation de voir et d’entendre leurs accents mal imités au cinéma, à la télévision ou dans les publicités : ils prennent cela pour de réelles moqueries. Le chanteur toulousain Ange B. (Fabulous Trobadors) explique que lorsqu’il se produit dans le nord de la France, « y’en a tout le temps un qui va prendre mon accent » ; or, pour lui, « c’est du racisme inconscient, ordinaire ». Le journaliste marseillais André de Rocca raconte que lors d’une Coupe du Monde de football, il rencontrait tous les matins à l’hôtel un collègue parisien qui ne manquait pas d’imiter son accent, ce qu’il met en scène avec l’énoncé suivant : « oh Marseille déjà réveillé c’est pas l’heure de la sieste con ! ». Le dernier mot, con ! en interjection, correspond à un marqueur stéréotypé du parler méridional. André de Rocca explique comment il a fini par « moucher » ce collègue qui l’irritait à imiter ainsi son accent. 3.3. Sous-titrage Le sous-titrage peut également être vécu comme une forme d’humiliation. Au cours de l’été 2008, un jeune sétois avec un accent local bien marqué participait à l’émission télévisée Koh-Lanta. Or, ses propos étaient constamment « sous-titrés », ce qui a suscité de vifs débats dans la presse régionale ou nationale, mais aussi des réactions outrées de deux de mes interlocuteurs : « ça me fait honte ! » s’est exclamé l’écrivain aveyronnais Lilian Bathelot, tandis que pour l’animateur radio sétois Michel Gay : « c’est insupportable » ; « on sous-titre une tribu zoulou : je trouve ça très violent ». Enfin, une journaliste de France 3 Roussillon Céline, s’indigne elle aussi du procédé du sous-titrage (« ça fait rire », « c’est vexant »), et raconte l’anecdote d’un collègue journaliste de France 3 passé au zapping de Canal + « rien qu’à cause de l’accent », ce qui l’a choquée. 3.4. Moqueries et vexations ordinaires Pour certains, il n’y a vraiment pas de quoi rire, et la discrimination par l’accent, si innocente soit-elle en apparence, est vécue comme un véritable traumatisme. Un couple d’enseignants du Tarn raconte les multiples souffrances causées par l’accent. Marie a cherché à perdre son accent « dans le but d’aider les enfants » ; elle évoque les rires qui ne manquaient pas de fuser dès qu’elle prenait la parole. Pour Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x son mari, Robert, les rires occasionnés par son accent faisaient perdre le contenu de ses propos : « y’a deux ou trois énonciations qui sont perdues ». Le cas de Claire (52 ans, coiffeuse, née à Carcassonne) est éloquent. Elle raconte avec force détails combien elle a parfois eu honte de parler face à des « Parisiens » « dès que j’ouvrais la bouche les gens se mettaient autour de moi […] ou ça me bloquait, ou si on me mettait à l’aise je parlais […] j’ai rencontré des imbéciles parisiens / ça m’arrive souvent quand c’est des gonzesses / qui n’aiment pas de la façon que je parle […] elles vont me diminuer par rapport à ma façon dont je parle » « le Parisien, avec son accent, même qu’il parle pas bien, qu’il a pas des mots riches et tout, on l’écoute, tandis que moi, avec mon accent, je peux dire quelque chose de sérieux, on ne me croit pas, on croit que je dis des bêtises ». On est loin ici de remarques anodines ou taquines. Beaucoup d’interlocuteurs ont qualifié ces vexations ordinaires de « racisme ». 3.5. Discrimination à l’emploi Comme toute autre forme de discrimination, la discrimination à l’emploi est punie par la loi. On assiste pourtant dans les entreprises à des pratiques relevant de la véritable stigmatisation, comme s’en fait écho un article de K. Tomasini (2007) : « Certains employeurs, notamment dans le milieu bancaire, ne sont pas friands d'accents régionaux. Notamment pour des postes en agence, au contact direct des clients. » Une étude TNS-Sofres réalisée pour ADIA-Intérim (Amadieu 2003) montre que « lorsqu’une entreprise chercher à embaucher quelqu’un et qu’elle a le choix entre deux candidats de compétence et de qualité égale », « la façon de parler, l’accent » (44 %) interviennent comme 3e critère déterminant le choix, après le « look » (82 %) et l’apparence physique générale (64 %). Ainsi, j’ai pu documenter une discrimination « en creux » en milieu professionnel. En effet, Virginie, originaire de Rambouillet, restée plus de quatre ans à Marseille, déclare avoir été embauchée pour réaliser des missions et des annonces par téléphone pour la raison suivante : « parce que je n’avais pas l’accent marseillais ». On en infère Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x donc que ses employeurs, qui lui ont fait comprendre pourquoi elle avait été choisie, ont clairement opéré une discrimination par l’accent, en refusant des hôtesses ayant l’accent local. Le cas de Pierre Echinard est plus explicite. Professeur, historien, essayiste, membre de l’Académie de Marseille, ce natif de Marseille avait, dans les années 1970, postulé à l’émission La tête et les jambes pour remplacer l’animateur Pierre Bellemare. Il n’a cependant pas eu besoin de « monter à Paris » puisque par téléphone, on lui a précisé que l’émission ayant une dimension culturelle, son accent n’était pas approprié. C’est un peu ce qu’a vécu Jean-François Guégano, directeur du Festival International de Folklore de Martigues, alors qu’il présentait une candidature pour intégrer la chaine Arte. Réponse d’une interlocutrice au téléphone : « vous comptez travailler sur une chaine culturelle avec cet accent ? » 3.5.1. Journalistes Le métier de journaliste est très sensible à cette question, comme j’ai pu m’en rendre compte auprès de mes entretiens avec 13 représentants de la profession. Un étudiant de l’Ecole de Journalisme de Marseille raconte qu’il était complexé lors des exercices de présentation radiophonique. Ses formateurs ont d’ailleurs été clairs avec lui : « on m’a dit que c’était un handicap d’avoir un accent » ; ils ont ajouté qu’il aurait « des difficultés pour entrer sur le réseau France Bleu ». Sébastien explique aussi que pour perdre leur accent, de nombreux apprentis journalistes prennent des cours de diction auprès de comédiens ou… d’orthophonistes. 3.5.2. Artistes, chanteurs, comédiens Est-il bien raisonnable d’ambitionner jouer du Racine avec un accent méridional ? Dans les professions artistiques, où la prise de parole publique est essentielle, l’accent peut constituer un véritable handicap. Là encore, mes entretiens avec 23 artistes ont pu le confirmer. Gilles Ascaride explique les obstacles que peut dresser l’accent dans une carrière artistique : « si on voulait faire ce métier, se présenter avec un accent marseillais c’était se condamner à mort à moins de jouer La femme du boulanger toute sa vie » ; selon lui, « il faut apprendre à parler sans accent sinon on vous dévalorise ». En revanche, le comédien Gérard Meylan avoue qu’on lui a plusieurs fois demandé de gommer son accent : « C’est souvent par mépris que certains réalisateurs demandent d’effacer l’accent ; d’ailleurs j’ai refusé ». Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x 3.5.3. Ecole et concours « Plusieurs informateurs français nous ont fait part du poids de l’accent dans les concours comme l’agrégation, aujourd’hui encore » affirment S. Fries et C. Deprez (2003 : 99). J’ai moi-même collecté de nombreux témoignages allant dans ce sens : « à l’école on m’a beaucoup reprise » ; « en 6e le prof nous reprenait » ; à l’oral du CAPES : « on nous disait bien de faire attention », de ne « pas trop marquer l’accent » ; « lorsqu’on passait les concours on nous disait : “comment pouvez-vous réussir les concours avec l’accent du Midi ?” » ; ce n’est « pas un accent qui aide si on veut décrocher des concours comme le CAPES ou l’agrégation »… Ces cas mériteraient cependant d’être traités de façon plus fine et détaillée. Peut-être est-on encore dans le mythe : seule une observation de l’intérieur et l’examen d’éventuelles traces de discrimination dans les rapports de jury pourraient confirmer cette forme de stigmatisation. 4. Conclusion La discrimination à l’accent en France est un fait avéré. Avoir un accent régional, dans un pays marqué par une idéologie centralisatrice et monolingue, c’est être enfermé (par ceux qui dénient avoir un accent) dans une altérité sinon dégradante, du moins folklorique, risible et peu sérieuse. Dans de nombreux cas, la discrimination va jusqu’à la stigmatisation, y compris en milieu professionnel. Cette discrimination peut prendre des formes graduées, du commentaire épilinguistique a priori anodin (« vous avez un accent » ) à un acte concret d’exclusion sociale (refus d’embauche), en passant par des formes intermédiaires, comme la remarque prescriptive, l’imitation, le sous-titrage, la moquerie, les rires intempestifs… autant de pratiques qui se changent pour certains locuteurs en une véritable vexation quotidienne, plus ou moins mal vécue. Le sujet est d’autant plus délicat qu’il est difficile de marquer les frontières entre des représentations positives et d’autres plus négatives, étant donné l’ambiguïté de certaines attitudes. Cependant, on ne saurait tomber dans un victimisme paranoïaque et considérer qu’un accent « méridional » serait forcément un handicap. Une autre forme de discrimination serait d’ailleurs à étudier, et non des moindres : la discrimination-stigmatisation de l’accent « parisien », dans les régions de France et notamment dans le Sud. De plus, avoir un accent Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x peut, dans certains cas, générer un capital sympathie non négligeable selon les interactions et les pratiques sociales. L’accent est régulièrement exploité à des fins commerciales, ce qui prouve qu’il a aussi un potentiel d’attractivité. Les produits estampillés « régionaux » mettent en scène des personnages dotés des accents censés correspondre au « terroir ». Certes, dans la plupart des cas, les autochtones se plaignent de la mauvaise imitation de leur accent par des comédiens ; mais au-delà des protestations des locaux, l’utilisation de ces accents, fussent-ils artificiels, n’est-elle pas une marque de leur efficacité publicitaire et commerciale ? Selon Gérard, Albigeois de 63 ans, cadre et directeur de fondation, « dans les relations professionnelles » son accent serait « au contraire […] un plus dans la négociation ». Par ailleurs, j’ai pu me rendre dans une société d’informatique d’Agen dans laquelle deux hôtesses à l’accent local bien marqué semblent ravir les clients, mais aussi leurs patrons qui, loin de se plaindre, trouvent que l’accent de leurs employées est un véritable atout. Le sujet est donc plus complexe qu’il n’y parait, et des approches plus fines mériteraient d’être proposées. De plus, seule la dimension « régionale » de l’accent a été abordée ici, alors que le fait d’avoir un accent « étranger » pourrait s’avérer être autrement plus stigmatisant. C’est ce que suggère l’un des rares articles sur le sujet, celui de J. Meyer (2010), qui a étudié les discriminations par l’accent en milieu professionnel à Rennes. S. Fries et C. Deprez invitent d’ailleurs à multiplier ces travaux. « Les études portant sur le traitement social de la variation que constitue l’accent étranger en France ne sont que balbutiantes, alors que chacun connaît l’importance que revêt cette question dans la vie de tous les jours pour les étrangers et pour ceux qui entrent en communication avec eux. De même il y a tout lieu de croire que la France est en train de connaître le développement d’un “accent étranger de l’intérieur” comparable à l’accent des Hispaniques aux Etats-Unis, de par sa fonction de marqueur d’identité mais aussi de par sa stigmatisation dans les représentations de la population générale. Il y a là une étonnante zone d’ombre à explorer. » (Fries et Deprez, 2003 : 103) Il est urgent de mener des travaux plus approfondis sur la question de la discrimination à l’accent en France. Aussi anodines qu’elles puissent paraitre, les discriminations, peuvent être très mal vécues et peuvent déboucher sur de véritables stigmatisations ou ségrégations Carnets d’Atelier de Sociolinguistique année n°x sociales, qu’il s’agisse, avec l’accent régional, d’une forme de « racisme intérieur » comme le présentait Lafont, ou de racisme tout court, dans une France et une Europe en proie aux idéologies xénophobes. Le sociolinguiste a d’ailleurs un rôle à jouer dans ces problématiques sociales aiguëss. Sa mission de chercheur doit le mener à poursuivre des travaux – théoriques et empiriques – dans le domaine de la discrimination. Mais son implication pourrait aller jusqu’à travailler avec des institutions ou des associations, participer à des testings, lutter contre les idées reçues en donnant un large écho de ses travaux auprès du grand public et, dans la mesure du possible, jouer un rôle d’« expert » auprès des organismes concernés, et de la justice le cas échéant. L’enjeu est de taille pour une sociolinguistique impliquée qui pourrait éprouver sur cette question la finesse de ses outils conceptuels et l’efficacité de son action sur la société. Bibliographie Abric J.-C., 1994, « Les représentations sociales : aspects théoriques », dans J.-C. Abric (éd.), Pratiques sociales et représentations, Paris, PUF, 11-35. 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