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1 Le processus de transformation productive et technologique dans le Mercosur durant les années 1990s1 Alexis SALUDJIAN CEPN-CNRS UMR 7115 et GREITD, Université Paris 13-Villetaneuse Pourquoi la “Transformación Productiva con Equidad” (TPE), impulsée par la Cepal et de nombreux économistes n'a-t-elle pas permis aux économies du Cône Sud-américain (Argentine et Brésil) de dépasser durablement les difficultés de la décennie perdue, de la crise de la dette et du poids des héritages passés? La libéralisation économique, les privatisations des entreprises publiques, l'ancrage monétaire et l'ouverture aux technologies de l'étranger devaient permettre aux pays du Cône sud de réussir leurs sorties de crise. Dans ce cadre, le Régionalisme de type ouvert était également mis en avant dans les analyses. En effet, l'intégration régionale au sein d'une union douanière, telle que le Mercosur, présentait le double avantage de constituer un “filet de sécurité régional” en cas de situation défavorable au niveau international mais également, dans le cas d'une situation relativement favorable, de permettre aux pays du Mercosur de profiter pleinement des gains dans l'échange libéralisé. La libéralisation économique, les modifications profondes du cadre institutionnel qui en ont résultées, l'apparition ou le renforcement de certains acteurs économiques, politiques ou sociaux mais également le régime de change en Argentine et au Brésil ont profondément modifié les caractéristiques productives, technologiques et industrielles des deux pays. Nous mettrons un accent particulier sur le rôle du progrès technique dans la mesure où la technologie (et la manière dont elle est mise à profit) influe sur les choix et le type de développement économique (industriel, basé sur les ressources naturelles, dans les technologies de pointe, etc.). L’analyse du cadre social et institutionnel concret historiquement situé est ainsi essentiel si l'on souhaite comprendre l'importance du facteur technologique et des choix de stratégies technologiques. Nous verrons comment le nouveau cadre économique et social de l’Argentine et du Brésil a conduit à une transformation perverse de la structure affectant particulièrement le travail. L’objet de cet article est de montrer que le filet de sécurité régional résultant de la construction du Mercosur est resté désactivé ne bénéficiant qu'à un certain type d'entreprises dans quelques secteurs spécifiques. Après avoir présenté dans un premier temps les concepts de transformation productive de régionalisme ouvert et la place centrale du choix technologique, nous verrons par la suite comment la convertibilité dans un contexte de réformes économiques et institutionnelles a influé sur les évolutions des structures productives et l'hétérogénéité structurelle en Argentine et au Brésil. Enfin, une analyse plus précise des résultats de la transformation productive dans le Mercosur nous permettra de conclure sur la nécessaire redéfinition de ce processus d’intégration régionale au terme de dix années de la signature du traité d’Asunción. I. LES NOUVELLES VOIES DE DEVELOPPEMENT: DE LA DECENNIE PERDUE A LA TPE. LE NOUVEAU PANORAMA DU CONE SUD-AMERICAIN DURANT LES ANNEES 1990 I.1. Le progrès technique dans le nouveau contexte du Cône Sud durant les années 1990. Nous présenterons dans cette première partie, le contexte théorique de l’insertion du Cône sud américain dans l'économie mondiale en nous attachant à souligner le rôle du changement technologique dans les analyses de type structuralistes développées par la CEPAL. 1 Ce travail fait partie d’une analyse plus large développée dans notre thèse de doctorat soutenu à l’Université Paris 13 en 2003 et publiée en espagnol en 2004. Voir [Saludjian, 2004]. 1 2 L'innovation et le progrès technologique ont pris place dans les explications des échanges internationaux dès les années 1950-1960 avec les travaux de [Solow, 1956], [Vernon, 1966] et [Posner, 1961]. Depuis un peu plus d'une décennie, une place essentielle dans les déterminants de la croissance est réservée à ces facteurs2. La période de “passivité technologique” et l'essoufflement de l'Industrialisation par Substitution d’Importations (ISI) au cours des années 1970 a amené certains auteurs structuralistes latino-américains à considérer qu'il était essentiel d'adopter un type de développement dans lequel la diffusion du progrès technique puisse se diffuser dans l'ensemble des secteurs de l'économie permettant ainsi une certaine homogénéisation de la structure productive3. I.1.1. Transformation productive avec Equité et “activisme technologique” A partir des années 1980s et surtout 1990s l'idée “d'activisme technologique” émerge de la Troisième Révolution Industrielle en Amérique Latine. L'investissement en recherche et développement est alors considéré comme “la force motrice de la dynamique endogène de l'innovation”, permettant le développement d'avantages de type monopolistique dans la production de ce bien pour la firme innovante. Dans cette approche, l'accent est mis autant sur les déterminants du progrès technologique et de compétitivité que sur l'équité sociale dans la distribution des fruits de ce progrès. L'activisme technologique dans les analyses de la CEPAL privilégie la compétitivité structurelle4 à travers l'incorporation du progrès technique. Pour ne pas tomber dans les travers de la période d'ISI, deux points essentiels sont soulignés dans cette approche : œuvrer afin que la structure agraire, le système industriel et la consommation soient davantage compatibles avec la structure des investissements mais aussi avec l'équité sociale ; agir sur les facteurs qui déterminent la dynamique des éléments cités précédemment, notamment les dotations en ressources naturelles de chaque pays, les tendances démographiques, le potentiel entrepreneurial, les connaissances technologiques et le développement scientifique, les investissements directs étrangers, le système financier et les types de consommation au niveau international. L'interaction entre ces deux éléments peut générer, d’après les défenseurs de l’activisme, un cercle cumulatif vertueux qui, à l'instar des pays Européens, nordiques ou du Japon, permettrait que la croissance et la compétitivité s'accompagnent d'équité sociale. L'objectif était également de dépasser le cadre étroit d'exportateur de produit primaire dans lequel la région a longtemps été cantonnée pour passer à l'exploitation des matières manufacturés à haut niveau technologique et aux services. La TPE permettrait aux pays latino-américains d'intégrer le système productif différemment et d'accéder à l'homogénéisation progressive des niveaux de productivité. De plus, l'intégration latinoaméricaine (ou la réactivation de cette intégration) était déjà considérée comme un moyen de renforcer le pouvoir de négociation des pays de la zone face à des tiers. 2 La formalisation de ces idées se retrouve dans la littérature ayant trait à la théorie de la croissance endogène [Romer, 1990 ; Romer et Rivera-Batiz, 1991 ; Grossman et Helpman, 1991]. Toutefois l'innovation comme facteur explicatif central du développement du système capitaliste était déjà très présente dans les travaux de J. A. Schumpeter dans les années 1930 sur lesquels nous serons amenés à revenir dans la seconde partie. 3 Comme le notait [Pinto, 1965] cité par [Kuri-Gaytán, 1995], « [...] les forces centripètes qui entraînent la concentration du progrès technique et de ces bénéfices devraient être supplantées par une force qui promeuve une diffusion soutenue de ce progrès technique et de ces bénéfices dans l'ensemble du système productif, une réduction substantielle des déséquilibres régionaux et entre les zones urbaines et rurales, une meilleure intégration interne, de nouveaux types de relations extérieures moins insoutenables et plus fructueuses et enfin, surtout, une meilleure distribution des revenus ». 4 A. Kuri-Gaytán cite [F. Fajnzylber, 1989] qui définit ce concept de la façon suivante: « Dans le moyen-long terme, la compétitivité structurelle est la capacité qu'a un pays de soutenir et d'accroître sa part de marché au niveau international et, dans le même temps, d'améliorer les conditions de vie de sa population. Ceci requiert une augmentation de la productivité et donc les apports résultant de l'incorporation de la technologie. Les différences dans l'engagement international sont dues dans une large mesure à des facteurs structurels qui influent aussi bien sur les modalités que les résultats des stratégies nationales mais aussi sur l'utilisation que chaque pays fait des instruments spécifiques de politique économique et industrielle. » 2 3 I.1.2. Le régionalisme et le facteur technologique Les études élaborées par la CEPAL prennent comme base le risque de replis régional des différents blocs qui se créaient à l'époque et les conséquences qu'un tel regain de protectionnisme pourrait avoir sur les économies latino-américaines5. L'intégration régionale est envisagée afin de disposer d'un mécanisme de défense contre l'éventualité d'un monde fragmenté, replié sur les différents blocs déjà constitués qui pourrait amener un plus grand protectionnisme. Le but poursuivi par le Régionalisme Ouvert est de permettre aux politiques effectives d'intégration d'être compatibles avec les politiques tendant à élever la compétitivité internationale et de les compléter. [CEPAL, 1994, p.12] La Recherche et Développement étant particulièrement sujette aux économies d'échelle6, le cadre d'extension du marché dans un contexte de régionalisation a des effets similaires même s'ils sont potentiellement plus limités que dans le cas d'une expansion non préférentielle. La productivité des ressources destinées à cette activité augmente grâce à la mise en concurrence directe des fournisseurs, aux incitations à l'innovation, à l'échange d'information et à la réduction de programmes de recherche redondants. Malgré ces considérations, il convient de souligner que l'intégration peut également entraîner des effets négatifs comme les résultats de pressions concurrentielles qui pèsent sur les bénéfices extraordinaires (qui motivent pourtant l'innovation). Afin de déterminer les effets de l'intégration sur la dynamique de l'innovation, il faut expliciter les avantages relatifs (trade-off) en matière d'efficacité qu'offre l'utilisation de ressources rares (ici les ressources humaines hautement qualifiées) soit dans le développement d'innovations soit dans la production de biens exportables. Trois points essentiels sont à souligner7 : l’effet taille, l’effet d'agglomération (pôle de croissance) et l’effet de spécialisation. L'imitation, selon l'analyse de la CEPAL, est un processus important, notamment dans le cas de l’intégration entre pays développés et en développement (référence faite à l'Alena). Elle constitue un mécanisme de diffusion internationale des résultats de la recherche qui s'ajoute aux avantages généraux issus de la diffusion technologique. Lors d’un processus d'intégration asymétrique, les pays en développement se concentrent dans l'apprentissage et l'adaptation de technologies provenant des pays développés. L'imitation peut avoir des effets positifs sur les producteurs des pays développés car elle permet une possible rétroaction positive entre le processus d'innovation et celui d'imitation. Lorsqu'un pays sous-développé imite ou copie des produits des pays développés, la durée du monopole détenu par les inventeurs des pays développés diminue. Lorsque l'innovation se traduit par une expansion des variétés de biens disponibles alors les effets positifs sont supérieurs aux éventuels effets négatifs8. Ainsi, dans les pays sous-développés, l'imitation peut permettre une augmentation de la qualité du produit, un apport en termes de cycle de vie du produit. Cependant, comme nous le verrons par la suite, cette analyse de la Cepal montre ses limites quand elle sort du cadre des relations asymétriques et théoriques d'une intégration économique entre pays de niveaux de développement différents (cas de l'ALENA) et des effets de diffusion technologique (cas des Maquiladoras au Mexique près de la frontière avec les Etats-Unis d'Amérique). Dans le cas qui nous intéresse, les spécificités de l'insertion dans l'économie mondiale des deux économies principales du Mercosur et les modifications profondes au niveau commercial, 5 Au niveau théorique, ces analyses sont à rapprocher des travaux dans le domaine de la théorie du commerce internationale à rendements croissants et notamment les modèles d'économie géographique. Cf. plusieurs articles et livre parus en 1991 de l'un des chefs de file de ce courant, P. Krugman, notamment : Increasing returns and economic geography, Journal of Political Economy, Vol. 99, n°3, 483-99, The move towards free trade zone, in Economic Integration and international trade, dans Kowalczyk (Comp.), MIT Press. ou encore Geography and trade, MIT Press. Voir [Saludjian, 2003]. 6 Comme la création de pôles de recherche et d'innovations. De plus, les coûts fixes de R&D sont mieux amortis par le nombre plus élevé d'unités vendues. 7 La CEPAL [1994] souligne ces éléments en se basant sur les études de Helpman et Grossman, [1991]. 8 Ce résultat est une des conclusions des analyses des modèles de concurrence monopolistique [Dixit et Stiglitz, 1977] 3 4 économique et institutionnel au cours des années 1990 qu'ont connu ces pays relativise ce type de conclusions. Tel est le cadre d'analyse nouveau, privilégiant l'ouverture et la libéralisation économique, le rôle moteur de la connaissance et du progrès technologique, qui devait permettre aux pays du Cône Sud de sortir de la décennie perdue. Toutefois, en Argentine comme au Brésil, les changements en terme de structure de marché, de politiques monétaires et de stratégies des firmes durant les années 1990 ont été tels qu'il est nécessaire d'en souligner les principaux éléments. I.2. Plan de Convertibilité (et Plan Real) et analyse des effets des programmes de stabilisation macro-économiques et de réformes structurelles sur les stratégies des firmes Si un élément n'a pas évolué depuis la fin des années 1980 en Argentine et au Brésil, c'est l'importance et la constance du problème de la dette. Même si la structure de celle-ci a profondément changé, le financement de l'économie du Cône Sud se fait plus que jamais par l'intermédiaire du capital étranger en témoignent les déficits des comptes de capital de ces différents pays et également un recours à l'endettement9. Pour comprendre la situation actuelle, il faut avoir à l’esprit que les programmes d'ajustement structurel durant le Consensus de Washington contraignaient les Etats à se tourner vers les bailleurs de fonds internationaux pour financer leurs dépenses publiques. Cependant, une caractéristique fondamentalement différente depuis 1980 est celle du niveau d'inflation et de son caractère incontrôlable et durable (hyperinflation rampante) en Argentine et au Brésil. C'est dans le même objectif de faire cesser l'inflation que l'Argentine d'abord (en 1991) puis le Brésil (en 1994) ont adopté des régimes de change ancrés au dollar nordaméricain. Le Plan de Convertibilité argentin de 1991 et le Plan real au Brésil en 1994 sont pour beaucoup dans la stabilisation de l'inflation, l'attrait des investisseurs étrangers mais plus généralement dans la configuration du modèle de développement économique de ces pays. Une présentation rapide du régime de convertibilité (aujourd'hui caduc) se révèle essentielle à l'analyse des modifications des économies principalement argentine et aussi brésilienne mais, au-delà, aux conséquences sur la structure des prix relatifs sur le marché, la structure productive et technologique ainsi que sur les stratégies des entrepreneurs. I. 2.1. La Convertibilité L'objectif principal du système de Convertibilité est de redonner de la crédibilité au système de change en changeant radicalement les anticipations des différents agents économiques, en fixant, par des règles monétaires rigides, le taux de change au cours d'une devise qui jouit au niveau international d'une large crédibilité, la monnaie nord-américaine. Dans ce cas, toute monnaie nationale nouvellement créée doit être garantie sur les réserves internationales de la Banque Centrale. Celle-ci se voit obligée de vendre les devises à un taux de change fixe et surtout à maintenir ses actifs en monnaies étrangères à un niveau donné. Le montant de la base monétaire (composée des billets et des dépôts des banques auprès de la Banque Centrale) étant strictement conditionné par le niveau des devises, toute création monétaire par le crédit dépend de l'entrée du montant correspondant de devises dans le pays. Cette limite forte à la création monétaire et au recours à des politiques monétaires expansionnistes représente une perte de souveraineté économique pour les pays. La spécificité et la durée de l'expérience argentine par Plan Real au Brésil met plus clairement en lumière les conséquences qu'un tel régime de change peut avoir sur le cadre économique global. 9 La dette de l'Argentine et du Brésil n'ont pas cessé d'augmenter depuis la fin des années 1980 (atteignant respectivement 147 et 235 milliards de dollars en 2000). 4 5 I.2.1.1. Plan de Convertibilité en Argentine (1991-2002) En Argentine, le Plan de Convertibilité a été instauré sous forme de loi en avril 1991 ouvrant la voie, après plusieurs années de chaos économique et social, au miracle argentin. Jusqu'à très (trop?) récemment, rares étaient les économistes et politiciens qui percevaient les limites intrinsèques d'un tel régime de Convertibilité dans le moyen-long terme pour un pays comme l'Argentine. Cette période de reprise forte de la croissance ne va guère durer puisque dès la crise Mexicaine de décembre 1994, l'Argentine est sévèrement touchée à tel point que la Convertibilité est questionnée. La parité du Peso Argentin à 1 peso pour 1 dollar ("Uno a Uno") ne doit sa survie principalement qu’à des circonstances de politique intérieure dues à l'élection présidentielle et aux pressions des groupes économiques qui en découlaient. Les conséquences de l'effet Tequila et le caractère insoutenable de la situation macro-économique auraient dû porter le coup fatal à la Convertibilité dont la longue agonie a amené la crise argentine au degré de gravité que l'on connaît. A. Calcagno montre à travers l'analyse du système bancaire argentin (profondément affecté par la crise mexicaine et la forte défiance des investisseurs internationaux), comment le système de change fixe “1 pour 1” a pu se poursuivre, aggravant ainsi l'ampleur de la crise et en rendant plus difficile sa sortie10. Les problèmes de capitalisation des banques en l'absence d'entrée de devises deviennent encore plus difficiles à supporter en cas de sortie massive de capitaux comme en Argentine durant la crise mexicaine [Salama, 2002]. Entre novembre 1994 et avril 1995, le système financier argentin a perdu 15,2% de ses dépôts totaux en pesos et en dollars, soit près de 7000 millions de dollars en six mois. Ceci est d'autant plus grave que, début janvier 1995, en pleine crise de l'effet Tequila, le concept même de base monétaire est modifié par la Banque centrale, indépendante depuis 1992. Alors qu'initialement les réserves internationales comptabilisées pour garantir la base monétaire comprenait les réserves en or et en devises, comme dans le cas le plus commun de la caisse de conversion (Hong-Kong), le cas argentin incluait des bons publics libellés en dollar faisant de ce système plutôt une quasi-caisse de conversion. A la même période, la Banque Centrale décide de dollariser les réserves obligatoires libellées en peso des institutions financières. Son intention était ainsi de « couper court aux anticipations des marchés sur une possible dévaluation, car à partir de ce moment le montant dans les caisses de la Banque Centrale était gelé et donc à l'abri de tout risque de dévaluations futures qui nuiraient à l'ensemble des institutions financières ». En réduisant la base monétaire au seul montant de la monnaie en circulation sous forme de billets, un des éléments centraux de la convertibilité, c'est-à-dire la relation proportionnelle entre les réserves internationales et la base monétaire, était supprimé, laissant ce système de quasi-caisse de conversion gravement altéré. Enfin, s'il fallait évoquer les acteurs qui ont conduit, à partir du Plan de Convertibilité, à la situation actuelle il faudrait alors mentionner la Banque Centrale censée être hiérarchiquement supérieure bien qu'elle ait été déchue de son rôle de prêteur en dernier ressort, les banques privées, surtout étrangères, qui ont été les gagnantes de cette crise (les banques privées nationales ayant quasiment disparues dans les restructurations et les fusions-acquisitions), une partie de la classe moyenne et riche en dollarisant silencieusement la monnaie nationale, et enfin des comportements spéculatifs qui, depuis les réformes instaurées par la dictature militaire en 1977, caractérisent ce que certains économistes appellent le régime d'accumulation à dominante financière. Les interactions et rétroactions de ces différents éléments sont autant de paramètres qui peuvent expliquer l'extraordinaire difficulté souvent mêlée de réticences que la sortie de la Convertibilité entraîne. 10 Nous renvoyons aux études très pertinentes de [Calcagno, 1997] et [Calcagno et Manuelito, 2001]. Ces auteurs concluent en évoquant le paradoxe ou le problème intrinsèque de mener conjointement un système de convertibilité (reposant sur l'entrée des capitaux et des devises) et une politique d’ouverture économique (qui a entraîné une augmentation du déficit commercial, une hausse des importations et donc une sortie de capitaux). Ceci est d’autant plus vrai que le processus d’ouverture économique et de libéralisation a pris, en Argentine depuis la fin des années 1970 (dictature militaire) des formes très rapide et profonde. 5 6 I.2.1.2. Plan Real (1994-1999) La politique monétaire et le nouveau régime qui ont eu lieu au Brésil à partir de l'application du Plan Real avaient également comme objectif la réduction de l'inflation mais la méthodologie et le statut du régime de change n'ont pas été les mêmes [Calcagno et Sainz, 1999]. En effet, après une première étape de ce plan qui consistait à équilibrer les comptes publics (Programme d'action immédiate, courant 1993) afin d'éliminer la principale cause de l'inflation, les autorités brésiliennes ont crée, dans une deuxième étape, une unité de valeur (URV) dont la valeur en cruzeiros réels était fixée par la Banque Centrale quotidiennement. Alors que les salaires, les contrats et les prix étaient progressivement fixés en URV, cette unité de valeur devint le 1er juillet 1994 le Real. Même si le montant de monnaie en circulation était garanti par des réserves en devises internationales et qu'il était pratiquement interdit d'indexer les contrats et les prix à l'inflation passée, le taux de change de "1 real pour 1 dollar" n'était pas fixé par une loi comme en Argentine. Au contraire, afin d'éviter de compromettre la souveraineté nationale dans l'exercice de la politique de change, le Ministère des Finances avait la possibilité d'agir sur l'évolution future du cours de la monnaie brésilienne. Les autorités monétaires et économiques locales ont conservé un certain degré de souveraineté sur les décisions ayant rapport avec leur politique de change, contrastant ainsi fondamentalement avec l'expérience argentine. Les conséquences dans les domaines financier, fiscal, du commerce extérieur et de la transformation productive ont été sensibles. La restructuration du système bancaire a eu lieu au début du processus de réforme et non pas, comme dans le cas argentin, suite à une crise de la balance des paiements consécutive de la crise mexicaine. Après une période de croissance, d'amélioration des conditions de vie, d'assainissement des comptes fiscaux et d'augmentation des réserves, les difficultés structurelles et les interrogations sur le maintien du taux de change et la stabilité des prix en même temps que des déficits de la balance des paiements et du secteur public soulevèrent un vaste débat autour de la politique économique à suivre. La question de la transformation productive était également soulevée. Les crises financières en Asie, puis en Russie ont poussé le Brésil en janvier 1999, au terme d'intenses débats, à quitter son ancrage monétaire en laissant flotter sa monnaie face au dollar. Si l'inflation a augmenté, elle est restée contrôlable et le taux de change du Real s'est stabilisé à un peu plus de 2,3 Reales pour un dollar. En moins de cinq ans, l'expérience brésilienne a modifié profondément l'économie et son cadre institutionnel résultant de l'ouverture commerciale et des privatisations. I.2.2. Conclusion et différences des expériences d'ancrage monétaire en Argentine et au Brésil Déjà en janvier 1999, de nombreuses études argentines ont tenté de rejeter la responsabilité des problèmes argentins sur la décision du Brésil de dévaluer et la période comprise entre la dévaluation brésilienne et Argentine (trois années) a été l’occasion de nombreuses querelles entre les deux partenaires fragilisant d’autant la poursuite de la construction du Mercosur. Cependant, remarquons qu'au delà de la dévaluation brésilienne de 1999, la situation économique de l'Argentine était déjà extrêmement fragile en raison de sa fragilité financière externe et des difficultés qu'elle rencontrait depuis déjà près de 4 ans (baisse de la production industrielle, disparition de pan entier de son appareil productif, dépendance financière et assujettissement au baromètre du risque-pays qui rythme la vie des Argentins). Ainsi, selon A. O'Connell [2001, p. 6], « la dévaluation du Real n'a pas l'importance qui lui a été donnée par la suite et les défis qui se posent à la consolidation et au progrès du Mercosur ont pour origine d'autres facteurs qui existaient bien longtemps avant janvier 1999 ». Comme nous le verrons plus en détails ultérieurement, ce sont plutôt, selon ce même auteur, des facteurs comme la faiblesse de longue date de productivité11, le manque de coordination de politiques 11 Ces propos seront nuancés comme nous le verrons dans la section II.2.2. En effet, le niveau et l'accroissement de la productivité a été très importante en Argentine (plus qu'au Brésil) mais ce niveau reste néanmoins très loin derrière les niveaux rencontrés aux Etats-Unis. De plus, le problème argentin réside principalement dans l'évolution du coût unitaire du travail. Cf. [Salama, 2001b] 6 7 sectorielles macro-économiques autant que micro-économiques, la dépendance financière et le type d'intégration commerciale pas toujours compatible avec l'ouverture commerciale, ou encore la fragilité de cadre institutionnel qui pourraient expliquer la situation de l'économie argentine et les interrogations vis-à-vis du futur du Mercosur. Ainsi, le système de la Convertibilité a conduit à une modification essentielle du cadre institutionnel (privatisation, dérégulation...), macro-économique (ouverture, financiarisation, taux d'intérêts élevés et différencié selon FMN et PME) à partir duquel les entrepreneurs ont du réagir stratégiquement. De plus, la surévaluation de la monnaie nord-américaine et l'appréciation par rapport à celle-ci du peso et du real (à laquelle elles sont liées), a affaibli compétitivité de la production locale face aux produits importés modifiant profondément la structure des prix relatifs. La rigidité qu’engendrait le système de convertibilité au niveau monétaire a entraîné la recherche de marge de manœuvre à travers une importante flexibilisation du travail afin de ne pas disparaître totalement du marché. I.3. Eléments d'analyse théorique des effets des réformes structurelles sur la structure productive en Amérique Latine Les théories modernes de la croissance endogène présentent une vision hautement stylisée et agrégée des facteurs explicatifs de la croissance mais n'accordent que peu ou pas d'importance à l'influence de variables institutionnelles et technologiques. Elles privilégient les variables économiques ainsi que le rôle de l'ouverture commerciale, de la concurrence étrangère, de la dérégulation des marchés et de la privatisations des activités économiques. Néanmoins, ce type d'approche est réductionniste car s'il analyse au niveau micro-économique le cas d'une entreprise représentative, l'agrégation de celles-ci dans des modèles macro-économiques ayant vocation à servir de base théorique à la prise de décision politique économique, technologique et commerciale s'avère être beaucoup plus problématique et insatisfaisante dans le cas précis qui nous occupe. Au-delà d'une analyse au niveau macro-économique de l'incidence de ce nouveau modèle de développement libéralisé, ouvert et ancré au dollar sur la structure productive et technologique, une étude des changements du point de vue meso et microéconomiques se révèle dans le cas de l'Argentine et du Brésil tout à fait pertinente. L'étude de la transformation productive sous l'optique développée par certains auteurs de la Division Production et productivité de la CEPAL, et notamment son directeur J. Katz12, offre l'avantage d'examiner l'impact des réformes structurelles sur la croissance de la productivité du travail, le retard technologique au niveau international, les différences dans les comportements technologiques parmi les différents types d'entreprises, la création et destruction d'emplois, ou encore la balance commerciale en biens manufacturés des pays latino-américains. La différentiation entre filiales de firmes multinationales, de grands oligopoles locaux et d'entreprises de Petites et Moyennes entreprises familiales (PME) permet de désagréger au niveau sectoriel à un niveau meso ou micro, et ainsi de déterminer quels secteurs industriels ont été les gagnants de ce processus de transformation structurelle et comment chaque entreprise a évolué durant l'adaptation forcée aux nouvelles règles du jeu. I.3.1. Les programmes de stabilisation macro-économiques et de réformes structurelles : une analyse évolutionniste Afin de bien mettre en lumière comment le nouveau cadre économique avec la convertibilité et surtout les réformes structurelles ont influé sur la structure productive, trois phases peuvent être considérées. La Phase I se caractérise par une intense incertitude macro-économique et des déséquilibres très marqués notamment dans le domaine public (sous-financement et recours à la Banque Centrale, marchés locaux de capitaux ou à l'étranger). En concédant des taux d'intérêt très 12 L'optique de cet auteur s'apparente à bien des égards à une vison institutionnaliste, évolutionniste et néoschumpeterienne. Voir ANNEXE 1 et [Katz, 2001, p. 31] 7 8 élevés afin d'attirer les capitaux à s'investir dans un cadre d’incertitude forte, la récession et l'inflation apparaissent, affectant les divers secteurs et types d'entreprises de manière différentiée. En général, les secteurs bénéficiant d'avantages comparatifs absolus réussissent le mieux à résister au changement. Dans ce cadre économique très défavorable, les entreprises réagissent défensivement en réduisant leurs coûts de production, en gagnant de la flexibilité et de la liquidité et en évitant tout engagement sur le moyen-long terme. Les exemples Chilien (1974-1982) et Argentin (fin des années 1970) montrent que ce sont les P.M.E. impliquées dans les secteurs de l'habillement ou des biens durables et les firmes de la métallurgie qui ont été le plus touchées et qui ont dû souvent fermer (7000 au Chili et 15000 en Argentine). La seconde Phase se définit par une certaine stabilisation mais toujours dans des conditions macro-économiques très dégradées. Cependant, le déficit commercial se réduit, la perte de réserve est contrôlée, l'inflation diminue, les taux d'intérêt s'abaissent annonçant la reprise. Dans ce contexte, des opportunités, encore limitées, s'offrent aux entrepreneurs. Sans que de nouveaux investissements soient décidés, les capacités de production déjà existantes sont mieux utilisées. Le passage à la troisième Phase dépend de facteurs institutionnels qui agissent sur le retournement des anticipations défensives des entrepreneurs. Au cours de cette Phase 3, l'économie montre des signes de stabilité dans le moyen-long terme, entraînant la baisse du risque-pays et augmentant l'épargne, l'investissement mais aussi les flux de capitaux étrangers non-spéculatifs. La communauté des affaires participe à des programmes de nouveaux investissements afin d'accroître la capacité de production existante, emploie de nouveaux salariés, fait des efforts à long-terme en matière d'innovation et investit dans la production de nouveaux produits et de nouvelles installations. Deux enseignements sont à tirer de cette analyse des trois phases des programmes de stabilisation macro-économique. D’une part, la stabilisation macro-économique et les réformes structurelles obligent les entreprises (si elles ne veulent pas disparaître) à faire face à la contraction du marché interne en même temps qu'elles doivent affronter l'arrivée massive de biens importés en raison de la baisse des droits de douane. D'autre part, les considérations d'ordre sectoriel et micro-économique jouent un rôle essentiel quand il s'agit d'expliquer pourquoi certaines entreprises parviennent à s'accommoder de ces évolutions et d'autres pas. La notion « d'Institutions sectorielles » ou de « régimes technologiques sectoriels » [Katz, 2000, p. 43-44]. souligne l'importance des interactions entre certains acteurs ou institutions localisés dans un secteur donné comme par exemple les entreprises, les banques, les écoles techniques, la recherche publique et les instituts de développement, les chambres de commerce. Ces institutions forment, ensemble, « des disciplines technologiques, des formations des ressources humaines, des types de communication et d'interaction qui permettent au capital social considéré de supporter le fonctionnement d'un secteur spécifique de l'activité économique » [Katz, 2001, p. 36]. • I.3.2. Une analyse sectorielle Il est pertinent de prendre en compte différents secteurs productifs se caractérisant par une intensité des facteurs de leurs fonctions de production respectives ainsi que de l'environnement institutionnel en vigueur dans leur secteur. Ces trois secteurs sont : un secteur faisant un usage intensif des ressources premières ; un secteur faisant un usage intensif de la main-d'œuvre non-qualifiée ; un secteur faisant un usage intensif des services d'ingénierie et de la connaissance technologique. Suivant le secteur dans lequel se trouve chaque entreprise, les changements macroéconomiques, institutionnels, technologiques l'ont influencé de manière différente. Un modèle simple permet de décrire le processus d'ajustement d'un secteur industriel dans lequel la demande interne se réduit en même temps que des importations inondent le marché en raison des réductions douanières13. 13 Ce modèle reflète particulièrement bien les évolutions dans les secteurs tels que l'habillement, le textile, les chaussures ou la machinerie. Cf. [Katz, 2001]. 8 9 Soit une industrie dans laquelle une entreprise leader coexiste avec un grand nombre d'entreprises de petites tailles produisant des substituts imparfaits des produits de la grande entreprise. Dans la situation initiale, les droits de douanes aux importations rendent les prix des produits importés très élevés. Soit maintenant un processus de stabilisation macro-économique et de réformes structurelles qui ont pour effets une baisse de la courbe de demande, une hausse des courbes de coûts moyen et marginal des différents producteurs locaux et une réduction des prix des produits importés en raison de la réduction des droits de douane. En même temps que la récession s'installe, le prix des produits importés baisse et les taux d'intérêts explosent, la demande s'effondre obligeant les entreprises locales à réduire leurs coûts pour conserver leurs parts de marché. Cependant, la demande se contractant, ces firmes locales voient leurs coûts de production augmenter. La solution qui consiste à réduire ses coûts en rationalisant le processus de production ou en renvoyant des salariés n'est pas accessible à tous les types d'entreprises. C'est notamment l'entreprise leader qui aura la possibilité, à partir de ses capacités technologiques accumulées, d'introduire dans les usines des changements organisationnels économisant le travail et de réduire les coûts de production. Les petites et moyennes firmes du secteur devront quitter le marché, laissant ainsi seules ou presque la firme oligopolistique et les entreprises étrangères dont les produits sont importés. Cette évolution, qui correspond à la Phase 1, a eu lieu pour ces entreprises en ayant recours à des changements techniques mais sans investissements nouveaux. La Phase 2 du processus de réformes macro-économiques voit certains signes de stabilisation mais le nouveau cadre structurel du secteur est profondément modifié puisque désormais les importations représentent une part significative du marché et peu de firmes ont survécu au processus de transition. La troisième Phase de ce processus est caractérisée par une reprise économique déplaçant la courbe de demande vers le haut, entraînant un comportement d'investissement actifs (installation de nouvelles capacités de production, modernisation des usines, lancements de nouveaux produits). L'attrait du marché local agit comme un moteur de croissance sur les quelques entreprises locales ce qui entraîne une modernisation technologique. Dans ce contexte, conclut J. Katz, « la taille moyenne de l'entreprise et le degré de concentration augmente mais aussi que l'industrie du secteur devient plus compétitive et technologiquement plus avancée que lors de la situation initiale ». On retrouve ici la notion de destruction créatrice introduite par J. A. Schumpeter et l'approche de G. Salter de la transformation dynamique d'une industrie ou d'un secteur de l'industrie par rapport à l'entrée de nouvelles entreprises qui intègrent de nouvelles technologies (à travers les nouveaux produits et les nouveaux processus de production). Néanmoins, dans les deux cas, ces approches ne prennent pas en compte toute la complexité et les turbulences institutionnelles, politiques, économiques et historiques de la région que nous étudions (par exemple le rôle des droits de douanes et des coûts de transport, marchés de facteurs de production imparfaits, asymétrie d'information entre firmes, etc.). La phase créatrice de l'analyse Schumpeterienne semble ne profiter qu'aux entreprises oligopolistiques, le processus restant en effet bloqué pour la majorité des P.M.E. du secteur. Une représentation stylisée [Katz et Stumpo, 2001, p. 32-34] (Voir Graphique 1) permet de mettre en lumière quels effets le processus de réformes structurelles et d'ouverture de l'économie ont sur la taille moyenne des entreprises dans l'industrie mais aussi sur la productivité du travail et l'indice de concentration économique. L'axe vertical mesure la productivité moyenne dans la branche et l'axe horizontal mesure la taille moyenne de l'entreprise de la même branche. La première distribution (suivant une loi normale, en trait discontinu dans le graphique) décrit la situation avant ouverture et réformes alors que la seconde distribution (en trait plein) caractérise le secteur après le processus de réformes. Deux observations méritent ainsi d'être soulignées. D'une part, l'amélioration de la productivité résulte autant de la disparition (ou sortie du marché) d'entreprises de petites tailles et non9 10 efficientes du secteur (zone hachurée du graphique 1) que de l'entrée de nouvelles entreprises de plus grandes tailles que la moyenne et amenant avec elles des technologies productives et organisationnelles poches du niveau international. D'autre part, le processus de restructuration sectoriel entraîne une augmentation du degré de concentration (dispersion moins important de la courbe en trait plein). Quelles sont les raisons qui peuvent expliquer la capacité de certaines entreprises de survivre à la Phase 1 et de supporter cette nouvelle compétitivité internationale lors de la Phase 2 ? 1. Le rôle des capacités technologiques accumulées qui permet à ces entreprises de s'adapter aux nouvelles conditions du marché en réduisant les coûts, simplifiant les gammes de produits et en incorporant des mesures dont le but est de faire des économies de spécialisation. 2. Le caractère imparfait du marché qui conduit à l'exclusion et la sélection adverse : toutes les entreprises n'ont pas accès au même niveau de financement et technologie pour restructurer leurs usines et moderniser le design de leurs produits14. 3. Les caractéristiques spécifiques des marchés internes : petite taille ou géographiquement isolé (les coûts de transport élevés découragent les importateurs d'entrer sur le marché). 4. Enfin, dans les cas argentin et brésilien mais plus largement en Amérique latine, la survie des entreprises a fortement relevé de comportements opportunistes et de la spéculation financière de la part des firmes individuelles dans le contexte d'incertitude et de turbulence macro-économique15. L'analyse des effets des réformes structurelles sur la structure productive et les entreprises présente certains points communs entre les pays mais également des différences qui sont propres aux expériences particulières de chaque pays. En effet, les pays diffèrent dans leurs capacités technologiques accumulées, dans le degré de maturité technologique antérieur à ces réformes mais aussi dans leurs réponses à ce nouveau cadre. De plus, les dates d'application de ces processus de libéralisation et de déréglementation ne sont pas toujours exactement les mêmes et le contexte international dans lesquels ces réformes ont lieu peut varier considérablement. Enfin, l'ampleur et la cohérence des programmes de stabilisation macroéconomique et des politiques de réformes structurelles dans chaque pays jouent un rôle non négligeable. C'est pourquoi il convient d'étudier, même succinctement les cas argentin et brésilien avant de considérer le Mercosur en tant que bloc. 14 Cf. le concept de d'Institutions sectorielles évoqué plus haut. Selon Katz « les chances de survie des entreprises étaient clairement influencées par des profits exceptionnels obtenus grâce à des activités spéculatives dans un cadre économique peu transparent et hautement volatile ». 15 10 11 II. ARGENTINE, BRESIL ET MERCOSUR DANS LES ANNEES 1990. DE LA TPE A L'HETEROGENEITE STRUCTURELLE ET A LA VULNERABILITE SOCIALE II.1. L'Argentine et le Brésil dans le Mercosur La signature en 1991 du Traité d'Asunción a marqué le début du processus formel d'intégration des quatre nations fondatrices. Cependant, il serait abusif de lire les résultats et les évolutions des deux pays comme résultant uniquement de ce processus. En effet, une grande partie des politiques d'ajustement structurel, de stabilisation économique et de réformes ont été réalisées avant cette date. De plus, le projet même du Mercosur a connu au cours des années 1980 des modifications à la hauteur des bouleversements économiques, sociaux et économiques de cette décennie16. II.1.1. L'Argentine des années 1990 L'ampleur et la durée de la crise en Argentine durant les années 1980 mais aussi la rapidité et la profondeur des politiques d'ajustement de libéralisation qui ont suivi ont marqué le nouveau cadre institutionnel, la structure du marché et les anticipations des agents économiques. La restructuration de l'économie et le nouveau modèle de développement ont vu l'avènement d'une forte concentration de la structure productive au bénéfice des grands groupes locaux (Aliments, métallurgie, chimie, services) mais aussi des firmes multinationales, amenant à parler de “l'étrangérisation” ou de la “transnationalisation” de l'économie argentine dans différents secteurs (automobile et pièces détachées, boisson, matériel électrique et de communication17). La première phase de ce processus de réformes structurelles a été particulièrement difficile à supporter pour un grand nombre d'entreprises qui ont dû fermer. Dans la phase suivante, à partir des effets stabilisateurs du Plan de Convertibilité, les entreprises de petite et moyenne taille n'avaient la possibilité de recourir à l'emprunt pour financer un investissement (ou une avance de caisse) qu'à des niveau d'intérêts deux fois et demi à trois fois supérieurs à celui concédé aux grandes firmes [Basualdo 2000, pp. 224-226]. Les privatisations des entreprises publiques en Argentine depuis l'arrivée au pouvoir de C. Menem en 1989 ont atteint un niveau très élevé. Des concessions, des droits à renégocier les contrats, une indexation à l'inflation aux Etats-Unis d'Amérique des tarifs libellés en US$ et le versement de commissions occultes très élevées ont conduit à une situation inédite en terme de concentration et de “transnationalisation” du capital dans l'économie argentine. Le Plan de Convertibilité n'a fait qu'accroître et accentuer l'ampleur des déséquilibres jouant le rôle de paradoxal de catalyseur. En effet, des études [Rapoport, 2000 ; Basualdo, 2000] montrent comment la fixité de la monnaie nationale avec le dollar et l'ouverture et la déréglementation de l'économie, notamment en matière de mouvement des capitaux, ont permis à des sommes colossales de sortir du pays sous forme d'évasion fiscale, de rapatriements de bénéfices des filiales des entreprises multinationales vers leurs maisons-mères ou encore de paiements de royalties de produits ou procédés importés (Voir graphique 2). La mise en relation de la fuite des capitaux avec les intérêts et le service de la dette est évidemment très intéressante surtout si l'on observe que les taux de croissance augmentent nettement après 1991, date de l'entrée en vigueur du Plan de Convertibilité. Cet élément permet d’apprécier les intérêts gigantesques 16 Sur les différences entre le projet d’intégration Argentine-Brésil des présidents Alfonsin et Sarney dans le milieu des années 1980 et celui des présidents Menem-Collor de Melo fin des années 1980, Cf. [Ferrer et Jaguaribe, 2001, p. 42-44]. 17 Si on se base sur le nombre de fusions et acquisitions entre 1990-1998 Cf. ANNEXE 2, [Basualdo E, 2000]. et [Chudnovsky A. et López A., 2001]. Ces derniers auteurs soulignent que suite au boom des IDE dans les années 1990, la présence des entreprises étrangères dans l'ensemble des entreprises a considérablement augmenté, passant de 34% des ventes des 1000 plus grandes entreprises en 1990 à 59% en 1999. 11 12 qui étaient en jeu lors des débats sur la fin de la convertibilité en Argentine en 2001. D'importants groupes d'économistes, des lobbies nationaux mais aussi étrangers ont su gagner un pouvoir considérable au cours des 25 dernières années [Rapoport, 2000 ; Basualdo, 2000]. Graphique 2 Source : E. Basualdo et M. Kulfas, 2000 Si on s'intéresse maintenant à la structure des exportations de l'Argentine entre 1985 et 1990 (Tableau 1), soit avant le Plan de convertibilité et la signature du Traité d'Asunción, on remarquera que les modifications les plus marquantes de sa structure des exportations ont eu lieu à ce moment (Phase 1). En étudiant pour l'instant les deux premières colonnes de la structure des exportations de l'Argentine, on constate que si les ressources naturelles, malgré une baisse, continuent de représenter près de 50% des exportations du pays (45,8% contre 56,7% en 1985), la part des biens manufacturés non basés sur des ressources naturelles passent durant la même période de 17,7% à 26,4%18. La ventilation par niveau de technologie montre clairement que ce sont les biens manufacturés ayant recours à la technologie moyenne qui progressent (de 6,2% à 12,2% soit un doublement de sa part). Les biens manufacturés utilisant une technologie de pointe (réduction) ou basse (légère hausse) restent quasiment au même niveau. Cette structure restera pratiquement la même dans les périodes ultérieures preuve que ce qui s'est déroulé avant la création du Mercosur a fortement conditionné ce que le Mercosur allait devenir. Tableau 1: Structure des exportations Amérique Latine, Argentine et Brésil (1985-1998) Structure des exportations Amérique du Sud en % 1985 1990 1995 1998 Ressources naturelles 49,2 44,3 43,6 44,0 Biens manufacturés basés 29,2 28,3 27,6 25,7 sur des ressources naturelles Biens manufacturés non 19,7 26,0 27,1 28,5 basés sur des ressources naturelles Dont Technologie basse 8,2 10,6 10,1 9,0 Technologie moyenne 9,9 13,5 15,1 16,7 Technologie de pointe 1,6 1,9 2,0 2,8 Autres 1,9 1,4 1,7 1,8 Total 100 100 100 100 Source : [Katz et Stumpo, 2001] Brésil Argentine 1985 1990 1995 1998 1985 1990 1995 1998 38,8 32,1 28,9 30,2 56,7 45,8 48,0 47,0 24,4 23,2 26,6 23,4 24,8 26,9 24,0 21,6 35,9 43,6 42,9 44,8 17,7 26,4 26,8 30,4 13,6 15,0 14,2 12,0 19,4 24,9 25,4 27,5 2,9 3,7 3,3 5,3 0,9 1,1 1,6 1,6 100 100 100 100 9,0 6,2 2,5 0,8 100 11,9 10,6 8,7 12,2 14,4 19,6 2,3 1,9 2,2 0,9 1,2 1,0 100 100 100 La tendance à la baisse de la part des biens manufacturés utilisant de la technologie de pointe (de 2,2% en 1985 à 2,2% en 1998 et avec un minimum de 1,9% atteint en 1995) nous amène à mentionner quelques points concernant la situation technologique de l’Argentine. Certaines 18 Selon la distinction sectorielle de la section I.3.2. et conformément à [Katz, 2001], ce secteur qui fait un usage intensif des ressources premières a consolidé sa place prépondérante dans la structure productive argentine. 12 13 études [Paladino et alii, 1999], montrent la très nette dégradation de la recherche et développement et du système de science et technologie en Argentine notamment depuis les années 1990. Ainsi en 1996, l’Argentine n’arrivait plus qu’à la 40ème place mondiale en ce qui concerne les capacités de R&D, la 43ème place en recherche scientifique, la 35ème place pour les brevets, et la 34ème place en management de technologie, bien loin des niveaux auxquels elle était habituée dans le passé. Il est vrai que le fait de n’accorder que moins de 0,3% de son PIB en R&D (soit 760 millions de dollars au début des années 1990) est loin d’être suffisant au regard des autres pays de même niveau de développement de la région et encore plus vis-à-vis des pays développés qui consacrent près de 2,5% de leur PIB à la R&D (et même souvent plus). De plus, le retrait de l’Etat, principal contributeur de la R&D et le relatif abandon de l’enseignement supérieur et de la recherche universitaire, ont accentué cette tendance à la baisse. Telle est la configuration générale (mais pas exhaustive) de l'économie argentine dans les années 1990. II.1.2. Le Brésil des années 1990 La vision du processus de la globalisation du Brésil est bien différente de celle de l'Argentine. Les différences dans l'insertion internationale, les structures culturelles et politiques, le poids relatif des forces sociales, les dotations en ressources humaines ont contribué à marquer des différences profondes dans les orientations stratégiques de long terme [Ferrer 1997, p. 78]. Le Brésil est traditionnellement plus industrialiste que l'Argentine mais aussi plus protectionniste se servant plus volontiers d'instruments comme la politique de change comme instrument pour son développement industriel. L'abandon de la convertibilité mais aussi la nature du lien qui existait entre le Real et le dollar jusqu'à 1999, montre clairement les priorités du Brésil. Les privatisations, l'ouverture et la déréglementation ont eu un caractère moins brutal et profond qu'en Argentine sans soute en raison de la place que le Brésil attribue à l'Etat et au secteur public. Même si le cas de l'économie brésilienne a connu une modification dans la structure de ses exportations (voir Tableau 1) il n’en reste pas moins que la part des Biens manufacturés non basés sur des ressources naturelles et utilisant de la technologie moyenne est passée de 19,4% à 27,5%. Pour ce qui est de ces activités ayant recours à des technologies de pointes, la part passe dans la même période de 2,9% à 5,3%. Cette augmentation reflète les succès dans certains types d'ingénierie et développement19. En terme de dépenses pour la R&D, le Brésil consacre environ 1% de son PIB à ces dépenses se plaçant en tète dans la région (même si ce montant est loin d’approcher celui des pays du sudest asiatique, soit 1,5% du PIB). Sans remettre durablement et totalement en question un retard et une dépendance technologique, ni résoudre les graves problèmes sociaux, le Brésil a su, plus que l'Argentine, conserver et promouvoir son système industriel et sa base scientifique et technologique. Après avoir indiqué le modèle de spécialisation en produits intensifs en ressources naturelles des années 1990 et les caractéristiques essentielles des deux pays qui représentent près de 95% du Mercosur (en termes de PIB, de capacité de production de population, de territoire, etc.), nous allons maintenant étudier le Mercosur en tant que bloc. II.2. Le Mercosur depuis 1991 II.2.1. Le commerce Cette Union douanière incomplète a été présentée quasiment depuis la signature du Traité lui donnant naissance en 1991, comme un grand succès d'intégration, la quatrième zone commerciale du monde et symbolisait le miracle latino-américain au sortir de la décennie perdue. En effet, la décennie des années 1990 contraste fortement avec celle des années 1980 19 C'est-à-dire le secteur faisant un usage intensif des services d'ingénierie et de la connaissance technologique comme par exemple la compagnie brésilienne EMBRAER (aéronautique), Nokia mais aussi le secteur électronico-informatique ou les grandes centrales hydroélectriques 13 14 de par l'afflux très élevé des capitaux étrangers. A la fin de la décennie 1990, l'Amérique Latine dépassait même l'Asie comme destination privilégiée des capitaux étrangers alors qu'entre 1984 et 1989, les flux d'IDE vers les futurs pays membres du Mercosur s'élevèrent à seulement 1594 millions de US$ (selon la CNUCED). Entre 1997 et 1999, l'IDE dans les pays du Mercosur représentait 6% du total mondial des IDE contre 1,4% entre 1984-1989 [CEI, 2001]. En 1999, les flux de capitaux entrant dans le Mercosur comme IDE ont atteint 50861 millions de US$ [CEPAL, 2000] ce qui représente plus de 66% de l'ensemble des IDE dans toute l'Amérique Latine (77047 millions de US$ au cours de l'année 1999). Cependant dès les années 1999-2000 les montants de ces IDE marquent une baisse sensible en raison de la crise brésilienne et de la situation argentine. Par ailleurs, il est important de noter que durant les dernières années, la part des Fusions et Acquisitions est devenue la forme la plus répandue des IDE comme un certain nombre d'études le montrent. Les résultats en termes de commerce et surtout de la part du commerce intra-Mercosur a souvent servi pour présenter une zone économique dynamique et intégrée (Voir Tableau 2). De 12,9% en 1991, le volume du commerce intra-Mercosur est passé à 20,4% en 2000 (après avoir atteint 23,1% en 1998). Remarquons néanmoins que si la croissance de ce taux est élevée, le niveau de commerce intra-zone est bien loin de celui que l'on retrouve dans l'Union Européenne (55% en 1997) ou dans l'Alena (49%). De plus, la croissance des exportations (intra ou extra-zone) est élevée mais largement compensée, jusqu'en 1997, par le rythme des importations principalement extra-zone. En effet, si les importations intra-zone représentaient déjà 15,3% du total des importations, ce taux n'a augmenté que de 5% pour atteindre 20,4% en 2000; signe que les importations provenant de l'extérieur du Mercosur représentaient et continuent de représenter une part importante. Tableau 2 : Commerce Intra and Extra-Mercosur (1991-2000) 1991 Exportations Total US$106 45891 IntraUS$106 5103 Mercosur % 11.1 ExtraUS$106 40788 Mercosur Importations Total US$106 34264 IntraUS$106 5247 Mercosur % 15.3 ExtraUS$106 29017 Mercosur Volume Total US$106 80155 Intra% 12.9 Mercosur Solde Balance commerciale ExtraUS$106 11627 Mercosur 1993 1995 1996 1997 1998 1999 2000 Variation (annuelle en %) 1997 1999/ /2000 2000 54122 10026 70402 14384 74998 17038 82342 20053 81323 20351 74320 15163 86461 17709 1.6 -4.1 16.3 16.8 18.5 44095 20.4 56019 22.7 57960 24.4 62289 25.0 60972 20.4 59158 20.5 68752 3.3 16.2 48079 9429 75311 14093 83217 17092 98392 20546 95395 20437 79801 15418 86323 17603 -4.3 -5.0 8.2 14.2 19.6 38650 18.7 61218 20.5 66124 20.9 77846 21.4 74958 19.3 64383 20.4 68720 -4.1 6.7 102201 19.0 145713 19.5 158215 21.6 180734 22.5 176718 23.1 154121 19.8 172784 20.4 -1.5 12.1 6043 -4909 -8219 -16050 -14072 -5481 138 Source: INTAL, 2001. Le retournement de tendance amorcé en 1997-1998 en ce qui concerne le volume des exportations et des importations doit cependant être souligné. En effet, ce changement correspond au début de la baisse de l'entrée des capitaux étrangers, bien plus méfiants et adverses au risque depuis la crise asiatique. En réalité, comme le note A. Ferrer, « l'expansion notable du commerce réciproque à partir de 1985 a reflété l'influence de facteurs favorables à cette période de grâce [...] L'abondance du financement international a fortement contribué à l'augmentation des importations et aux échanges bilatéraux [Argentine-Brésil]. Une fois que la vulnérabilité externe s'est de nouveau accentuée, ces économies sont entrées en récession et le commerce Argentine-Brésil s'est contracté.» [Ferrer et Jaguaribe, 2001, p. 58]. Cette 14 15 analyse nous incite à considérer différemment les résultats du commerce intra-Mercosur jusqu'en 1997. En effet, il apparaît bien que le Mercosur en tant que processus d'intégration n'ait pas joué de manière contra-cyclique lors de l'instabilité de l'économie mondiale. Le filet de sécurité régional n'a pas permis au Mercosur de constituer un mécanisme de défense face aux fluctuations de l'économie mondiale. Tout au contraire, l'attrait des capitaux étrangers grâce aux plans de convertibilité et aux programmes de stabilisation macro-économique, semble bien être l'un des facteurs explicatifs essentiels de la hausse du commerce dans et hors du Mercosur. Comme nous allons l'examiner dans la partie suivante, une analyse du commerce intra-industriel et intra-firme permet d'affiner cette analyse. II.2.2. Commerce INTRA-Industriel et forme d'intégration Le commerce intra-industriel est un bon indicateur de la structure des échanges entre pays car il se base sur la spécialisation générée par les gains de productivité dérivés d'économies d'échelle et de la différentiation des produits dans le cadre d'une industrie spécifique. Un commerce intra-branche intense caractérisera un modèle d'économies complémentaires et intégrées dans un même processus de régionalisation industriellement et technologiquement abouti. De plus, le commerce intra-industriel entraîne des coûts d'ajustement moins élevés pour les économies et augmente la diversité des produits en bénéficiant aux consommateurs et en leur offrant plus d'opportunités de participation au commerce international. Enfin, l'intégration aura pour résultat une distribution relativement équitable des gains de productivité et de croissance, si les stratégies d'industrialisation et de changement technique convergent et que le commerce intra-industriel entre les pays constitue la base d'une nouvelle division du travail. Ce type d'organisation du travail et de stratégies intra-régionales concertées permet d'éviter qu'une relation du type Centre-Périphérie ne s'instaure entre membres du bloc, condamnant ainsi les possibilités de développement profitable pour tous. L'indice de Grubel-Lloyd permet d'évaluer l'intensité du commerce intra-industriel en mesurant la part de ce type de commerce dans le total des flux bilatéraux désagrégés secteur par secteur. L'indice varie entre 0 et 1. Il prend la valeur unitaire quand la totalité du commerce est de type intra-industriel et 0 lorsque la totalité du commerce est du type interindustriel (i.e. lorsque les échanges ont lieu entre secteurs d'activités différents). Un indice supérieur à 0,5 indique déjà la présence d'un commerce intra-industriel. Le tableau 3 indique de façon sectorielle (sections 5 à 8 du STIC correspondant aux principaux produits manufacturés), l'évolution ce type de commerce entre l'Argentine et le Brésil de 1990 à 2000. Tableau 3: Evolution du commerce intra-industriel Argentine-Brésil (1990-2000) STIC* Volume en 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 millions de US$ 5 0<GL<0,5** 30 30 30 31 30 32 31 31 GL>0,5 17 20 18 16 15 19 29 19 Volume 294 369 457 546 718 1021 1164 1323 6 0<GL<0,5 46 47 43 46 45 47 50 49 GL>0,5 15 15 5 5 9 18 19 22 Volume 286 613 949 1047 1201 1409 1683 1725 7 0<GL<0,5 49 47 47 45 48 50 49 47 GL>0,5 24 27 15 14 14 24 21 23 Volume 347 792 1782 2253 2672 3018 4135 6164 8 0<GL<0,5 25 27 28 28 29 30 30 30 GL>0,5 8 14 6 2 5 16 14 12 Volume 43 92 183 235 276 365 435 523 total 0<GL<0,5 15 151 148 152 152 159 160 157 GL>0,5 64 79 44 37 43 77 83 76 Volume 970 1866 3371 4081 4867 5813 7417 9811 Source : [INTAL, 2001] *Standard International Trade Classification **Commerce mais GL<0,5 1998 1999 2000 30 33 32 19 25 28 1389 1294 1488 50 49 49 19 15 15 1774 1486 1625 48 48 47 25 25 25 6376 3916 4398 31 30 29 14 9 9 552 497 614 159 160 157 77 74 77 10091 7193 8125 Intra-industriel existant 15 16 Notes : Section 5: Produits chimiques ; Section 6 : Produits manufacturés selon le type de matériel ; Section 7 : Machines et matériel de transport ; Section 8 : Articules manufacturés divers. Plusieurs points méritent d'être soulignés. Tout d'abord, le nombre de postes comprenant une part de commerce intra-industriel est passé de 150 à 160 au cours de la période, indiquant certes une augmentation mais surtout un niveau déjà relativement élevé avant le processus d'intégration régionale. De plus, comme nous l'avons déjà noté, le volume de commerce a connu une expansion rapide jusqu'en 1998 (10091 millions de US$) avant de baisser. Les tendances du commerce intra-industriel de ces secteurs d'activités ont donc connu la même évolution. Enfin, dès 1991-1992, le nombre de postes dans lesquelles l'indice de Grubel-Lloyd est supérieur à 0,5 compte 64 en 1990 et 77 postes en 2000 soit un niveau déjà très important et qui n'a évolué que marginalement sur la période. En termes de volume, le commerce intraindustriel de l'Argentine et du Brésil dans ces secteurs, la tendance générale de ce ratio est semblable au reste de l'évolution du commerce avec une progression jusqu'à 1998 suivie d'une baisse. La décomposition de la structure du commerce intra-industrie entre l'Argentine et le Brésil permet d'aller plus loin dans l'analyse (Voir Tableau 4). Ce tableau indique clairement quels secteurs et industries présentent une structure productive complémentaire entre l'Argentine et le Brésil à travers l'indice de Grubel-Lloyd. Il distingue par ailleurs le caractère plus ou moins récent de cette complémentarité. Tableau 4: Structure du commerce intra-indusrie: Argentine-Brésil Secteurs (et code STIC) Produits chimiques assimilés (5) et Produits manufactués selon type de matériel (6) Machines et matériel de transport (7) Structure complémentaire/intégrée Elevée (1) Normale (2) Médicaments Hydrocarbures Plaques de plastiques Polymères de styrène Eléments plastiques nontransformés Fils et textiles spéciaux Fils textiles Textiles artificiels Pneumatiques Moteur à combustion Automobiles Véhicules de charge Parties et pièces détachées de véhicules Articles de photographie Articles plastiques Articles manufacturés divers (8) Source: [INTAL, 2001] Notes : (1) Indice de Grubel-Lloyd > 0,75 en 1997-1998-1999-2000 (2) Indice de Grubel-Lloyd > 0,50 en 1997-1998-1999-2000 (3) Indice de Grubel-Lloyd > 0,50 en 1999-2000. Structure complémentaire/ intégrée récente (3) Polystyrènes Alcools et phénols Barres de fer et d'acier Plaques de fer et d'acier Appareils et machines électriques Aérosols Instruments de contrôle Instruments de mesure Parmi les industries qui présentent un indice de Grubel-Lloyd élevé depuis 1997, on remarque la présence quasi exclusive de secteurs et industries dans lesquelles les firmes multinationales sont très représentées depuis les phases 1 et 2 des réformes structurelles. Le secteur automobile qui est l'un des plus dynamiques (du moins avant la crise actuelle) et qui bénéficie d'accords spéciaux entre les pays partenaires, est structuré de manière complémentaire mais répond principalement à la logique imprimée par les grands groupes multinationaux qui le composent (en terme de technologie, de stratégie de développement, etc.). Mis à part le secteur automobile, les secteurs chimique, pétrochimique et pharmaceutique montrent également un commerce intra-industrie élevé entre l'Argentine et le Brésil. Dans ces quatre secteurs, la présence de firmes multinationales est très forte depuis la concentration et la transnationalisation de ces secteurs dans les années 1980 et les années 1990 et le commerce intra-firme est extrêmement élevé. De plus, dans tous ces secteurs les niveaux de ce type de commerce sont très élevés atteignant près de 90% du volume total du commerce [Chudnovsky et Lopez, 2001, p. 103]. Dans le cas de l'Argentine, l'étude des entreprises multinationales installées localement montre que celles-ci pratiquent un commerce intra-firme dual. En effet, ces entreprises exportent majoritairement vers le Mercosur mais importent depuis leurs maisons-mères ou depuis d'autres pays développés. Selon D. Chudnovsky et A. Lopez, ce type de commerce intra-firme multinationale atteint en Argentine 16 17 près de 25% du commerce extérieur. Comme le soulignent ces auteurs, un tel poids dans l'économie nationale pèse grandement sur les orientations des politiques publiques productives. Si le cas du Brésil n'atteint pas ces niveaux, il n'en reste pas moins que ce type de régionalisation ouvert (dans un environnement économique et institutionnel marqué par la libéralisation/déréglementation/ancrage au dollar) montre ainsi ses limites. Le commerce intra-industriel s'est surtout développé au sein des firmes multinationales (dont les stratégies et technologies sont définies dans les pays du Centre). Les grands groupes économiques locaux se spécialisent quant à eux les secteurs bénéficiant d'avantages absolus (ressources naturelles, biens manufacturés intensif en travail moyennement ou peu qualifié). En localisant leurs activités dans le pays qui bénéficie d'avantage comparatifs mais sans coordination organisationnelle ou productive, en cherchant un marché de grande taille et les avantages fiscaux, ils créent ainsi une relation Centre-Périphérie qui tend à être déstabilisante pour l'ensemble du Mercosur. A l'examen de ces résultats du Mercosur en 2002, on est en droit de se demander si ce processus de régionalisme ouvert a réellement constitué un mécanisme de sécurité garantissant la stabilité et la complémentarité productive entre pays membres afin de mieux répondre aux défis de l'économie mondiale. En outre, la transformation productive dans le contexte nouveau des années 1990, n'a pas permis à la dispersion en terme de productivité de se réduire permettant ainsi une plus grande homogénéité productive. Le Tableau 5 indique les valeurs des indices de productivité des branches de plus faible et de plus forte productivité par rapport au niveau moyen de l'économie durant le processus de réformes. Tableau 5: Indices de productivité et coefficient de variation en Argentine et au Brésil Pays Argentine Brésil Années 1993 1997 1991 1997 Valeur des indices de productivité Minimums Maximums 0,2 5,3 0,2 6,4 0,5 2,9 0,5 4,6 coefficients 0,69 1,35 1,26 1,41 Source : Pizarro, 2001 Une augmentation des indices signifie un accroissement de la brèche productive dans les deux années considérées. Comme le note R. Pizarro, «une augmentation des brèches [de productivité] montre l'augmentation importante de la productivité moyenne annuelle des branches modernes et la stagnation des branches traditionnelles». Tableau 6: Croissance production industrielle, emploi et productivité du travail dans l'industrie manufacturière en Argentine et au Brésil (en %) 1970-1996 Production industrielle 1970-1996 1990-1996 Argentine 1,18 4,87 Brésil 2,81 2,26 Source : [Katz, 2001, p. 60] Pays Emploi 1970-1996 1990-1996 -2,62 -3,15 0,95 -6,41 Productivité du travail 1970-1996 1990-1996 3,80 8,02 1,86 8,67 Si l'on complète le point précédent par le tableau 6, on remarque que l'augmentation de la productivité (très importante en Argentine comme au Brésil mais toujours relativement loin du niveau des Etats-Unis par exemple) et de la production industrielle (voir tableau 6) s'est souvent faite au dépens du travail et en modernisant les industries et les régions à travers l'importation des savoir-faire et des technologies [Katz, 2001, p. 53-54]. II.3. La vulnérabilité sociale Au-delà des conditions historiques concernant la pauvreté et la concentration des revenus, l'ouverture économique et le replis relatif de l'Etat dans les domaines de la production et du social ont entraîné une recrudescence de la vulnérabilité et de l'insécurité économique qui touche une grande partie de groupes sociaux et familles (et plus uniquement les foyers 17 18 pauvres). C'est un phénomène qui s'étend à la classe moyenne, auparavant grande bénéficiaire du régime d'accumulation des années 1960-70. « La vulnérabilité sociale se définit comme un phénomène social multidimensionnel qui rend compte des sentiments de risque, d'insécurité et d'absence de défense ainsi que de ressources matérielles minimums, provoqué par l'implantation d'un nouveau mode de développement qui introduit de changements de grande envergure affectant la majorité de la population » [CEPAL, 2001b, p.52]. La vulnérabilité est directement associée au montant des ressources et actifs détenus par les individus et à la capacité qu'ils ont de les dépenser dans le cadre du nouveau modèle de développement économique. Le travail représente sans nul doute la source essentielle des revenus des groupes de classe moyenne ou de bas salaires dans les régions urbaines. Le travail a été déstabilisé et attaqué par une forme de production basée sur certains pôles modernes qui nécessite peu de main d'œuvre. Ce type d'emploi dans les secteurs à haute productivité et technologie n'a pas été générateur d'emploi en grand nombre et ce sont plutôt les secteur à faible productivité qui ont employé la majorité de la population de ces classes sociales moyenne et pauvre. La précarisation du travail au sens large, l'absence d'assurance chômage qui ont suivi la flexibilisation du marché de l'emploi sont autant de cause de la vulnérabilité dans le travail. L'ouverture extérieure, les hautes exigences de compétitivité ont été accentuées par ce contexte de flexibilisation du marché du travail et ont été très négatives pour une grande partie des salariés et des travailleurs indépendants. Il n'est donc pas surprenant que l'on observe une tendance si nette à la hausse du chômage structurel, de la précarisation de l'emploi et l'augmentation de l'informalité20 (voir Tableau 7). Tableau 7: Evolution des quelques indicateurs socio-économiques, 1990-1999 Pays Période PIB (% annuel moyen ) Chômage urbain Moyenne simple de la période (%) Rémunération réelle Salaire minimum moyenne urbain Taux de variation annuel moyen Argentine 1990-1997 1998-1999 3,6 -0,9 11,5 13,6 0,4 -0,1 1,0 -0,7 1990-1997 1998-1999 0,6 -0,8 5,1 7,6 0,1 -1,7 -1,1 3,3 1990-1997 1998-1999 0,0 -2,7 5,9 8,0 1,0 -1,0 -1,3 1,7 2,3 0,2 9,8 10,7 0,0 1,7 -7,8 0,7 1,4 -0,5 6,0 8,4 ... ... ... ... Brésil Paraguay Uruguay 1990-1997 1998-1999 Amérique Latine 1990-1997 1998-1999 Source : [CEPAL, 2001b] Ce tableau montre la progression durant les dernières années de la décennie 1990 (1998-1999) des indices indiquant une augmentation du chômage, une régression de la rémunération réelle moyenne ainsi que du niveau de salaire minimum. La première période, si elle n'a pas été 20 Ainsi comme le note [Salama, 2001a], « les effets de la vulnérabilité macro-économique sur la pauvreté sont majeurs, non seulement parce que l'inflation ayant disparu, la seule manière de réduire la masse salariale serait de diminuer l'emploi plutôt que les salaires réels mais parce qu'avec la crise, se développent des activités de survie. L'informel, plus important, tend à s'informaliser davantage en même temps qu'augmente le travail à temps partiel, dont les revenus sont en deçà de ceux correspondant à la ligne de pauvreté, et une très forte précarité tend à s'instituer ». Comme le souligne par ailleurs la CEPAL [2001b, p.51], « C'est ainsi que la vulnérabilité sociale qui est due à la qualité de l'emploi, du capital humain, des relations sociales et de la rareté mais aussi de la perte de capital dans les micro et petites entreprises, est devenue le trait essentiel de la société latino-américaine de ce début de siècle. » 18 19 marquée comme la décennie 1980 par une chute dans tous les indicateurs socio-économiques , n'en a pas moins été caractérisée par une croissance modérée (et instable comme nous l'avons vu), un chômage tout de même élevé et des progressions des salaires (moyens et minimums) très faibles compte tenu des taux de croissance. L'Argentine fait figure de pays où les indicateurs sociaux sont les moins encourageants21. Le Brésil a tout de même vu ses salaires minimum augmenter de 3,3% durant la période 1998-1999 (même si dans la période précédente le salaire minimum a diminué de 1,1%). L'encadré suivant détaille les autres domaines qui influent sur le niveau de ressources et des actifs des foyers. Encadré 1: Autres facteurs qui déterminent la variation du revenu 1. Le capital humain. Ce facteur a connu une dégradation durant les années 1980-1990 en raison de l'ouverture et de la déréglementation et de phénomène de déstructuration de l'appareil productif qui en a résulté. En ce qui concerne l'éducation et le système de santé (qui font parties intégrantes du concept de capital humain), on observe que seul le secteur privé a bénéficié d'une amélioration, laissant l'enseignement et le système de santé public fortement se détériorer. La CEPAL [2001a, p. 53] souligne que « les nouvelles institutions et les politiques propres aux modalités du modèle de développement actuel, ont favorisé la prolifération de l'éducation privée et, dans les faits, l'enseignement public s'est dégradé provoquant une augmentation de la vulnérabilité des élèves des classes moyenne ou pauvre de la société qui intégreront dans le futur le marché du travail. » 2. Les ressources productives. L'ouverture externe et le nouveau modèle de développement ont entraîné une dégradation importante des secteurs de faible productivité. En effet, les travailleurs indépendants, les artisans, les petites entreprises familiales ou micro entreprises se voient affaiblis par un modèle de développement qui privilégie les grandes unités de production, limite les politiques publiques de protections et de subventions et, dans le même temps, introduit des produits et des services qui remplacent ceux qui étaient produits par ces micro, petites ou moyennes entreprises22. 3. Les relations sociales. Le modèle de développement actuel modifie les formes traditionnelles d'organisation, de participation sociale et de représentation politique. Les groupes sociaux ont partiellement été désintégrés par l'ouverture, la privatisation de la vie économique, la transformation et réduction du rôle de l'Etat comme instance de protection de la vie sociale et l'affaiblissement des organisations syndicales23. 4. Les relations familiales. Dans les familles et groupes sociaux pauvres, les relations familiales qui permettent de compléter les faibles revenus individuels, servent aussi à une stratégie de survie. La vulnérabilité actuelle et la réalité sociale poussent ces familles pauvres à augmenter la proportion de personnes générant un revenu (notamment les enfants). Elle entraîne une instabilité des unions et alimente la violence domestique, contribuant ainsi à dégrader les relations familiales en général. Source : Elaboration de l'auteur à partir de [CEPAL, 2001] CONCLUSION Au terme de plus de dix années d'ouverture économique, de libéralisation et privatisations, et d'un régime de change ancré au dollar, force est de constater que le nouveau modèle de développement économique pour le Cône sud-américain de type exportateur est un échec. La transformation productive avec équité associée au régionalisme ouvert n'a pas permis à l'Argentine et au Brésil de sortir de la spirale de la crise économique et sociale. Si une transformation productive a bien eu lieu, elle a, au Brésil et surtout en Argentine, revêtu un caractère déséquilibré et inégal entre pays. Dans ce contexte, le capital -local et surtout étranger- a trouvé de nouvelles opportunités de reproduction grâce à la libéralisation et l'ancrage monétaire au dollar, il l'a fait au prix d'une augmentation importante de l'instabilité macro-économique, d'une exploitation accrue des travailleurs, et d'une destruction de pans entiers du secteur productif. L'imitation et l'apport de nouvelles technologies issues de transfert depuis les pays du centre se sont faits dans un contexte de concentration, de 21 Les derniers chiffres de l'INDEC en Avril 2002, montrent des niveaux de pauvreté et d'indigence très inquiétants puisque 38,7% des argentins seraient en dessous de la Ligne de pauvreté et 13,6% en dessous de la ligne d'indigence. [INDEC, 2002] 22 Nous avons évoquer ce point lorsque nous avons traité des désavantages en terme de capacité de financement des P.M.E. par rapport aux grandes firmes (souvent multinationales). 23 Selon la CEPAL, « le «marché» ne peut, c'est une des leçon essentielle, assurer à lui seul toutes ces tâches ». 19 20 privatisation et de transnationalisation des entreprises qui a bloqué la diffusion de ces technologies et plutôt conduit à une hétérogénéité structurelle accrue. A l'heure où l'Argentine est au centre d'une crise qui dépasse de loin la simple crise financière ou bancaire, il peut sembler quelque peu abscons de discuter de la nécessité d'un changement et d'un renouveau du Mercosur. Les conséquences à l’échelle nationale des événements économiques, sociaux et politiques en décembre 2001, qui perdurent encore aujourd'hui et peut être pour un long moment, ont également eu des retentissements internationaux notamment chez les autres membres du Mercosur. Alors que toutes les conséquences de cette crise en Argentine ne sont pas encore advenues, il semble nécessaire d'évaluer des voies de sorties de crise en réfléchissant sur les possibilités d'interactions positives et de complémentarités avec d'autres pays de la région comme le Brésil, en redéfinissant le processus d'intégration du Mercosur. Il importe, en reprenant l'expression d'A. Ferrer, de dépasser les quatre péchés capitaux (i.e. la vulnérabilité externe ou dépendance, la pauvreté et les inégalités, les asymétries dans les stratégies nationales de développement et la crise idéologique face à la globalisation) auxquels l'Argentine et le Brésil sont confrontés depuis le début du processus d'intégration régional dans les années 1985-1986. C'est uniquement par la résolution de cette crise idéologique, la reconnaissance de la compréhension réciproque entre pays membres, l'harmonisation des cadres institutionnels et un accent particulier mis sur les accords sectoriels et les politiques communautaires dans des secteurs stratégiques que le Mercosur pourra constituer un pôle de croissance stable et équitable. Nous avons vu que l'activisme en matière technologique ne pouvait se contenter de l'apport des firmes multinationales implantées localement et de l'imitation des techniques pour fournir des technologies appropriées à un développement durable qui respecte une certaine homogénéité structurelle. Au niveau régional, les résultats en terme de science ,de technologie, d'innovation et de recherches peuvent être considérables si seulement une politique conséquente s'exprime clairement. Dans les domaines du nucléaire, de la biotechnologie, ou de l'informatique, des programmes d'association entre l'Argentine et le Brésil sont nécessaires afin d'acquérir une compétitivité structurelle au sens de F. Fajnzylber. Ces politiques horizontales, sectorielles et régionales d'innovation pourraient être articulées, comme le propose J. Katz, avec les politiques de compétitivité grâce à une nouvelle Institution, l'Agence de Compétitivité et d'Innovation. Rompant avec la logique du marché dans ce domaine; cette Institution aurait pour vocation de faciliter une plus grande implication locale dans la création et la diffusion de nouvelles connaissances et de revitaliser des chaînes productives durement touchées par l'ouverture commerciale. Selon J. Katz [2000, p. 74] « une nouvelle répartition entre public et privé des actions technologiques et institutionnelles est aujourd'hui nécessaire si nous voulons nous assurer que la transition vers des économies plus ouvertes au monde et plus déréglementées soit compatible avec un meilleur rythme de création et de diffusion de nouvelles connaissances technologiques, des gains en productivité plus importants, et une plus grande équité et démocratisation de nos sociétés. » La relance du projet de convergence entre l'Argentine et le Brésil dans le cadre du Mercosur doit s'appuyer sur les enseignements des années 1990 et une réelle volonté politique. C'est pourquoi l'analyse de ce nouveau cadre théorique et des effets théoriques attendus mais surtout des raisons pour lesquelles ces prévisions ne se sont pas réalisées permettra d'évoquer les réformes et le changement profond des idées concernant le développement soutenable et équitable. La rupture de la fin des années 1980 en termes de conception de la globalisation et des voies de développements a été à la hauteur des conséquences de la décennie perdue. En 2002, la gravité et l'ampleur de la crise en Argentine, mais au-delà encore en Amérique Latine, interpellent de nouveau les économistes, politiques, historiens et sociologues pour élaborer, ensemble, de nouvelles issues économiquement, socialement et politiquement soutenables. BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE 20 21 BASUALDO E., 2000, Concentración y centralización del capital en Argentina durante la década del noventa, FLACSO-Universidad de Quilmes, Buenos-Aires. BASUALDO E., KULFAS, 2000, Fuga de capitales y endeudamiento, Realidad economica n°173, Buenos-Aires. CALCAGNO A. F., 1997, Convertibility and the banking system in Argentina, Cepal Review, n°61, Avril, Santiago de Chile. CALCAGNO A. F., MANUELITO S., 2001, La convertibilidad argentina : un antecedente relevante para la dolarización de Ecuador ? 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ANNEXES Annexe 1: Les Déterminants du changement technologique FACTEURS MICROECONOMIQUES Comportements différentiés: Entreprises transnationales PME Conglomérats FACTEURS MACROECONOMIQUES • Taux de change • Prix des facteurs • Droits de douanes • Climat général d'incertitude Entreprises Publiques DIFFERENCES DANS LES PERFORMANCES TECHNOLOGIQUES SECTORIELLES DECOULANT DE: • Nouveaux produits, processus et formes d'organisations • Nouvel investissement • Recherche publique et privée et efforts de développement • Activités d'ingénierie dans l'entreprise • Fournisseurs d'équipement CHANGEMENTS EXOGENES DE LA FRONTIERE TECHNOLOGIQUE INTERNATIONALE • De l'électromécanique à l'électronique • Organisation de production en temps réel FACTEURS MESOECONOMIQUES • Répartition des facteurs de production • Structure de marché • Cadre réglementaire sectoriel • Institutions technologiques sectorielles Source : [Katz, 2001, p. 32] Annexe 2:Nombre de Fusions et Acquisitions en Argentine, et au Brésil (1990-1998) Pays Secteur Aliments Automobile et pièces détachées Boisson Communication Argentine Brésil Argentine Brésil Argentine Brésil Argentine Nombre 31 32 11 29 20 6 31 Nationale % 20 9 2 13 4 3 25 65 28 18 45 20 50 81 Firme Acquéreur Filiale de % FMN (crossFMN border) 5 16 6 15 47 8 1 9 8 11 38 5 3 15 13 3 6 19 - % 19 25 73 17 65 50 - 22 23 Financier Matériel électrique et de communication Métallurgie Chimie Services TOTAL Brésil Argentine Brésil Argentine Brésil Argentine Brésil Argentine Brésil Argentine Brésil Argentine Brésil Argentine+Brésil 4 23 60 2 24 7 27 26 42 22 31 173 255 428 4 10 43 11 3 19 14 25 16 18 94 145 239 100 43 72 46 43 70 54 60 73 58 54 56 55 6 11 1 13 6 5 14 1 11 31 81 109 26 18 50 54 22 19 33 4 35 17 31 26 7 6 1 4 2 7 3 5 2 51 29 80 31 10 50 57 8 27 7 23 7 29 11 19 Source: [INTAL, 1999] 23