Microcosme de son œuvre, le cinéma de ce pionnier de la création multidisciplinaire que fut Charles Gagnon permet de mieux saisir l’unité de sa démarche en un parcours de deux heures structuré, comme l’ensemble, par l’absence du sujet et...
moreMicrocosme de son œuvre, le cinéma de ce pionnier de la création multidisciplinaire que fut Charles Gagnon permet de mieux saisir l’unité de sa démarche en un parcours de deux heures structuré, comme l’ensemble, par l’absence du sujet et par sa trace en creux. Monika Gagnon parle à juste titre de « cinéma posthume » à propos de l’archivage et de la reconstitution de R-69, film inachevé dont elle découvrit, à la mort de l’artiste en 2003, le matériel amassé en 1970. Elle entreprit alors de le compléter avec l’aide de l’Institut Hexagram de l’Université Concordia, où elle enseigne comme son père, et de Mary Stephen, une des étudiantes de Gagnon longtemps monteuse des films d’Éric Rohmer. Ce matériel sera bientôt diffusé sur le site
www.archivingR69.com, qui fut lancé en même temps que le film dans le cadre du FIFA en 2010 et montré au Musée d’art contemporain pendant trois mois à la fin de la même année.
Il était d’autant plus opportun de rendre disponibles par la même occasion sur un même dvd les quatre films expérimentaux de Gagnon, que chacun d’eux procédait à sa manière d’une semblable « collaboration posthume ». Gagnon avait lui-même tenté d’achever R-69 après la mort en 2000 d’Yves Gaucher, peintre de la toile éponyme dont il filma la création en 1969, considérant que ce serait son premier film véritable, les précédents n’ayant été que des approches partant d’autres médias plus familiers. Dans le film muet Le son d’un espace (1968, n/b, 27 min), Gagnon traverse déjà le studio vide de Gaucher pour se rendre au sien filmer son matériel de peintre dans l’immeuble du Vieux-Montréal où il le côtoya longtemps avec Jean McEwen. Pierre Mercure 1927-1966 (1970) était à ses yeux le plus personnel et intéressant de ses films, marquant cette réalisation de la nature de la vie et de la mort autour des funérailles du compositeur qui l’avait mis au défi de faire son premier dans le cadre de la conception du Pavillon chrétien de l’Exposition uni-verselle de 1967. Ce serait Le Huitième Jour (1967, n/b, 14 min), mais leur collaboration prévue pour l’environnement sonore fut empêchée par le fatal accident de voiture de Mercure en France, quitte à se répercuter dans le film que Gagnon lui consacra. Si celui-ci fait écho à sa passion pour la musique, Le Huitième Jour répercute l’installation photographique qu’il conçut pour l’Expo, tant il est vrai que chacun des films de Gagnon éclaire l’une des faces du prisme intermédial que compose le cinéma expérimental, intégrant des aspects de la photo, de la musique, de la peinture, jusqu’à son horizon propre comme art total.