L’émergence de nouvelles technologies de captation numérique des corps depuis le début des années 2000 au cinéma dans le but de créer des personnages virtuels à l’écran a suscité de nombreuses questions concernant l’incidence de ces...
moreL’émergence de nouvelles technologies de captation numérique des corps depuis le début des années 2000 au cinéma dans le but de créer des personnages virtuels à l’écran a suscité de nombreuses questions concernant l’incidence de ces procédés – motion capture, performance capture – sur le jeu d’acteur. Ces corps vêtus de combinaisons de lycra noir recouverts de marqueurs et évoluant au sein d’un espace vide (le « Volume ») incitent en effet à s’interroger sur la manière dont les comédiens adaptent leur méthode à ce dispositif en apparence très contraignant. Mais l’impact de la présence toujours réelle de leurs corps sur les choix de « mise en cadre » désormais censés s’opérer au moment de ce que l’on avait jusqu’à présent coutume d’appeler la « postproduction », n’a en revanche pas été véritablement interrogé.
En effet, si l’un des enjeux de la performance capture est de procurer une forme de « libération » des possibilités de découpage offerts au réalisateur qui peut désormais tester de nombreux axes de prise de vue ou réaliser des mouvements de caméra physiquement impossibles dans des décors irréalisables en prises de vues réelles – et tout cela a posteriori de la phase de « mise en scène » –, il n’en reste pas moins que le « tournage » doit la plupart du temps préparer le terrain aux infographistes en charge de la mise en images définitive du film. L’espace du « Volume » accueille ainsi des dispositifs variés (plateformes mouvantes, matelas, estrades, blocs empilés, tréteaux, structures métalliques, etc.) qui constituent autant de points de repère pour des acteurs adoptant leur jeu aux conditions physiques de la situation qu’ils sont censés vivre. Dès lors, la mise en scène, au sens théâtral (positionnements, mouvements, déplacements, interactions), des acteurs dans un espace finalement contraint ne détermine-t-elle pas dans une large mesure les choix de mise en cadre, c’est-à-dire de mise en scène cinématographique, pourtant réputées illimitées dans le cas de la performance capture, contredisant le principe même du dispositif ? En outre, la primauté généralement accordée au visage comme lieu de la performance actorale et donc centre de l’attention spectatorielle, qui plus est dans un contexte hollywoodien dominé par le star system, ne restreint-elle pas davantage encore ces possibilités, jusqu’à imposer une approche relativement « classique » à un médium plus enclin à des velléités attractionnelles, voire exhibitionnistes ?
Afin d’interroger cet apparent paradoxe, nous nous intéresserons particulièrement au film La Légende de Beowulf (Robert Zemeckis, 2007). Réalisé avant que les évolutions technologiques ne permettent des captations en décors naturels (voir par exemple La Planète des singes : L'Affrontement, Matt Reeves, 2014), ce long-métrage illustre en effet une histoire mythologique nécessitant l’interaction de nombreux personnages incarnés par des stars (Angelina Jolie, Anthony Hopkins, John Malkovich, Robin Wright, Brendan Gleeson, Ray Winstone, Crispin Glover, etc.) dans des environnements diversifiés (château, champ de bataille, grotte, etc.).