Ocremain
Par Eric Constant
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À propos de ce livre électronique
Elisa se concentrait à présent plus sur la forme que sur le fond. Sur la sensation électrique et grisante qu’elle ressentait dans les épaules, les bras, la poitrine, cette sensation étrange de présence maternelle, de bien-être, de clarté d’esprit... Sa tante l’appelait simplement l’Automne.
Elisa l’avait donc appelé de la même manière.
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Aperçu du livre
Ocremain - Eric Constant
Ocremain
Eric Constant
Ocremain
Les Éditions Chapitre.com
123, boulevard de Grenelle 75015 Paris
© Les Éditions Chapitre.com, 2017
ISBN : 979-10-290-0714-9
Le temps. À cette chaîne qui l’assemble, la machine du monde est pendue tout entière.
Chapitre 1
Marc Caron et Adeline Draquis vivaient ensemble depuis de nombreuses années déjà. Contrairement à l’usage en ce temps-là, ils n’avaient jamais envisagé de se marier, bien qu’ils eurent deux filles. Á bien des égards, la famille passait pour originale aux yeux de son entourage. Ils vivaient tous les quatre en région parisienne, à Saint-Germain-en-Laye.
Avant leur départ pour la Normandie leurs filles, Magali et Catherine, avaient respectivement 17 et 14 ans. Adeline, leur mère était coiffeuse et travaillait en ville dans un salon relativement chic et spacieux qui comptait une douzaine d’employés. Leur père, lui, était gérant pour une chocolaterie dont l’enseigne possédait une chaîne de boutiques à travers la France. À l’époque, le nombre de magasins possédés par l’entreprise était encore assez faible malgré une implantation réussie dans plusieurs grandes villes.
Cet après-midi-là, Marc eu une intuition. Il sentait que, contrairement à sa réticence initiale, la proposition qui lui avait été faite par le directeur dans la matinée méritait d’être envisagée.
Un éventuel déménagement… Pourquoi pas après tout ? Saint-Germain-en-Laye était agréable à vivre. Pas de problème à ce niveau… Malgré cela, le changement pouvait être également une bonne chose n’est-ce pas ?
Marc était assis, là, sur le canapé du salon de leur appartement, essayant de peser le pour et le contre. Un agréable appartement d’ailleurs. Trois chambres, assez spacieuses pour que l’on s’y sente à l’aise, une salle à manger dont la moquette venait d’être posée, un petit balcon avec vue sur les premiers arbres de la forêt. La sensation de confort y était bien réelle.
Cela valait-il la peine de partir en Normandie, de tout abandonner ici ? La nouvelle chocolaterie du groupe ouvrirait mi-juillet à Lisieux. Se pouvait-être l’occasion pour lui de se prouver qu’il était encore à la hauteur, capable de diriger une nouvelle équipe dans un nouveau lieu, de fidéliser une nouvelle clientèle… La bonne marche de l’établissement dépendrait en grande partie de lui. Il s’en s’entait capable. Mais il s’avait qu’il devait avant tout tenir compte de l’avis des trois femmes avec lesquelles il vivait. Il était 16 h 30. Sa femme Adeline n’allait pas tarder. Plus tard, viendraient Catherine puis Magali. Il lui restait donc encore un peu de temps pour rêver. Se serait ensuite l’épreuve du feu. Si l’une des trois n’était pas d’accord, personne ne déménagerait, il le savait.
Comme prévu, Adeline arriva la première. Elle était grande, mince, avait des cheveux châtains lui arrivant jusqu’au bas du dos, le visage ovale et des yeux pétillants. Elle le regarda curieusement mais ne dit rien. Marc souriait. Elle enleva ses chaussures, les laissa dans l’entrée et s’approcha de lui. Il appréciait la complicité simple qu’ils avaient su garder au fil des ans.
– Ce visage-là ne me rassure pas, lui dit-elle, j’espère que tu n’as tué personne.
Il sourit à nouveau.
– Non, mais toi en revanche, vas peut être vouloir m’étrangler…
– Avoue tout, je t’écoute, dit-elle l’air amusé.
Elle l’écouta sans l’interrompre. Elle voulut, par principe, faire une grimace, mais se retint. Une petite ville, perdue en Normandie… Pas si petite, pas si perdue, mais quand même. Une drôle d’idée qu’avait eu la société d’ouvrir à cet endroit, alors que d’autres villes, plus grandes et dynamiques, auraient sûrement représenté un meilleur investissement. Mais qu’en savait-elle au fond ? Elle devinait simplement qu’ils continueraient d’être heureux du moment qu’ils restaient l’un près de l’autre. À la naissance de Magali, le potentiel financier du couple était assez restreint mais aucun des deux amoureux ne s’en était jamais plaint. Leur bonne entente naturelle n’en avait pas souffert. Un instant passa. Adeline sembla sérieusement hésiter puis accepta. Après tout, elle pourrait toujours changer d’avis d’ici peu, ce n’était pas exclu. Mais ce n’était pas là, à priori, son intention.
Son mari avait souvent fait beaucoup d’effort et de concessions pour lui être agréable. Elle avait toujours trouvé son bonheur dans les choix mutuels qu’ils faisaient, dans les gros comme dans ceux de tous les jours. Alors oui, elle se sentait prête à se mettre à la recherche d’un nouveau travail, peut-être moins bien payé, dans une nouvelle ville.
Marc lui en fut reconnaissant. Cependant, ils savaient l’un et l’autre que tout n’était pas joué. Il restait encore les deux filles à convaincre. Même si elles étaient assez solitaires, elles n’avaient pas l’âge où l’on désirait généralement s’installer à la campagne, principalement après avoir passé toute une vie en ville. Autant que leurs parents, elles étaient imprévisibles et possédaient une âme un peu aventurière. Il restait donc une chance. Concernant le choix de Magali, Marc était plutôt confiant. Celle-ci avait généralement tendance à être de son côté, à l’encourager. Il faudrait bien si prendre, mais il ne s’inquiétait pas outre mesure. Pour Catherine, il était bien plus perplexe. Catherine ne changeait jamais d’avis. Il n’aurait pas fini de parler, que mentalement, elle aurait probablement déjà pris sa décision. Et si c’était un non, tout serait terminé.
Finalement, Magali arriva avant sa sœur. La jeune fille semblait fatiguée, elle qui d’habitude était plutôt vive. Ses cheveux, noirs comme ceux de son père, lui arrivaient jusqu’aux épaules. Elle écoutait, un peu distraite, son père lui parler tandis que sa mère, dans la cuisine, préparait le diner. Madame Draquis n’avait rien d’un cordon bleu. En général ce qu’elle préparait n’était guère original et les mêmes plats revenaient continuellement. Malgré tout, personne ne lui faisait aucune remarque. Les membres de sa famille savaient que c’était quand même bien mieux que s’ils devaient préparer eux-mêmes leur propre repas. Disons que c’était plus simple, plus convivial, et plus familial.
– J’hésite, dit Magali.
Son père, la fixant les yeux grands ouverts, semblait interrogateur mais relativement confiant.
– Si Catherine est d’accord, je suis d’accord, finit-elle par lâcher.
– Seigneur… soupira-t-il, levant les yeux en l’air.
Magali était contente d’elle, elle votait blanc. Au moins cela la dispensait de réfléchir. Partir ou rester ? En réalité elle n’aurait su quoi répondre sans prendre, réellement, le temps de réfléchir. Et puis elle n’aurait pas voulu briser le projet de son père, même si celui-ci ne lui en aurait pas tenu rigueur.
L’attente de Catherine, qui rentrait plus tard que d’habitude, semblait amuser Adeline et sa fille.
– Au pire, dit Adeline, même si on reste ici, ce n’est pas un drame, non ?
– Tu as raison, répondit Marc évasif. Après tout…
Catherine arriva enfin, ouvrant et refermant la porte de l’entrée sans faire de bruit. Leur mère avait fait des pâtes aux œufs. Catherine, après un moment, entra dans la cuisine et s’approcha de la casserole.
– Je ne suis plus très sûre d’avoir faim, dit-elle l’air narquois, en fixant le repas.
Magali avait mis le couvert et, s’étant assise à table, regardait sa sœur. Elle l’adorait. Catherine n’était pas très bavarde mais réussissais souvent à la faire rire. Même des banalités paraissaient intéressantes lorsque c’était sa sœur qui les racontait.
– Je parie que si, répondit sa mère, et va te laver les mains, on mange.
– Il faut bien vivre… soupira Catherine en ouvrant le robinet.
Marc se leva, alla chercher une bouteille d’eau sous l’évier et, l’air songeur, se rassit.
– Tu es sûre que les œufs étaient frais ? demanda Catherine tout en respirant profondément la vapeur qui émanait de son assiette.
Les deux filles eurent un fou rire. Leur mère, amusée, se bornait à répondre :
– La même comédie tous les soirs… De vraies gamines.
Marc regardait son assiette et hésitait… Sa dernière fille avait l’air de bonne humeur ce soir, c’était peut-être le bon moment…
Il tenta sa chance et lui parla de son projet. Catherine semblait dubitative. Finalement elle semblait apprécier le repas.
Marc se sentait plus léger d’avoir parlé. Même si sa fille disait non, la soirée n’en serait pas gâchée pour autant. Finalement, Catherine répondit d’un air faussement décontracté :
– Du moment que je puisse lire en paix, je m’en fous.
Ses parents toléraient ses écarts de langage. Tant qu’ils n’étaient pas systématiques et qu’ils restaient entre eux, ils étaient acceptés. Bizarrement, Magali avait bien moins de liberté à ce niveau. Catherine parlait généralement assez peu et passait le plus clair son temps libre dans ses romans. Peut-être ses parents ne voulaient-ils pas refréner une expression orale déjà si rare. Magali regarda sa sœur et devina que celle-ci ne s’en moquait pas autant qu’elle le prétendait. Évidemment. Ses parents le savaient aussi. D’ailleurs, aucun d’entre eux n’avait réellement pris le temps de réfléchir. L’idée, seule, avait pris son élan et personne ne s’y était opposé. Elle devenait, ce soir-là, simplement légitime.
Chapitre 2
La vie dans le Calvados se révélait être plaisante. Aucun des membres de la famille ne s’était douté à quel point une vie plus proche de la nature pouvait être agréable. Et être agréable, la campagne du pays d’Auge s’avait l’être. De nombreuses fermes agricoles, des pommiers, des poiriers, d’anciens manoirs, des coins perdus, des sentiers de marches, de charmantes vaches, de superbes paysages… Naturellement, un lieu aussi charmant attirait l’été de nombreux touristes et il était facile de les comprendre. Les produits du terroir renommés tel que le cidre, le calvados ou le fromage participaient également à la mise en valeur de la région.
Cette année-là, depuis son arrivée en juillet jusqu’à la période de noël, la famille était restée, à Lisieux. Marc y avait trouvé un appartement qui ressemblait étrangement, dans sa disposition, à celui de Saint-Germain-en-Laye. Son travail était presque exactement le même qu’en région parisienne, mais le fait que la chocolaterie venait d’ouvrir le stimulait davantage.
Son directeur l’avait tout de suite félicité pour son choix. Il pouvait ainsi simplement se contenter de recruter un nouveau gérant à Saint-Germain-en-Laye, d’où il lui serait plus facile de discerner un bon candidat pour ensuite le surveiller dans ses débuts. Il valait mieux envoyer en Normandie, pour l’ouverture du nouveau commerce, quelqu’un ayant fait déjà ses preuves et en qui il avait toute confiance.
Adeline, elle, cherchait toujours du travail. Elle aimait la coiffure, coiffait depuis l’âge de 24 ans et son emploi lui manquait. Apparemment, pour l’instant, aucun coiffeur aux alentours n’avait vraiment besoin d’elle. Il faut avouer qu’elle fit assez vite le tour des employeurs potentiels de la région. Heureusement, l’argent n’était pas un réel souci. La famille arrivait à vivre correctement avec le seul salaire de Marc. Le plus dur était de trouver de quoi s’occuper tout au long de la journée. Adeline s’adapta plus ou moins à ce nouveau rythme, sympathisant avec le voisinage et cherchant une éventuelle nouvelle activité professionnelle.
Le lycée et le collège des filles n’étaient pas trop loin de leur lieu de résidence et, d’une façon générale, Lisieux était plaisante. Le changement de cadre de vie avait été moins terrible qu’elles ne se l’étaient imaginées au départ.
Au début du mois d’octobre, la vente par son propriétaire d’une charmante maison de campagne, avait fait ressentir à Marc les prémices d’un nouveau déménagement. C’est un soir, en sortant du travail, qu’il avait vu l’annonce mise en valeur par l’agence immobilière. Une si belle maison à un tel prix… Mieux valait se décider rapidement. Au vu de son large apport personnel au crédit, sa banque le suivrait. Adeline et lui mirent malgré tout une bonne semaine à contacter l’agence afin de prendre rendez-vous pour une visite. Malgré sa petite quarantaine, Marc sentit l’idée de la retraite pointer le bout de son nez. Sa femme vivrait un scénario similaire. Ou peut-être était-ce l’achat de la maison, symbole de sédentarité, qui lui évoqua la retraite. À l’évidence, la région leur plaisait à tous. Pourquoi ne pas s’y installer définitivement ? Au pire, n’auraient-ils probablement pas trop de mal à la revendre.
Les parents la visitèrent la première fois sans avoir parlé de leur projet aux filles. Elle leur plut. Elle était située dans la commune des Monceaux, à une dizaine de kilomètres de Lisieux. Ainsi, tout en ayant l’impression d’être isolé, on restait malgré tout assez proche de la ville. Au départ de Lisieux, il suffisait de prendre la première départementale, à l’ouest, où justement, un panneau indiquait « Les Monceaux ». Un peu plus loin, encore à gauche, un large et court chemin de gravier, un léger virage et on y était. Le paysage aux alentours de la commune possédait un contour agréable à l’œil. Des collines, des terrains boisés, des pommeraies. De la maison, entourée