Lorsque Mathilde tardait à être payée, les difficultés commençaient. Louise avait beau faire des prouesses, il fallait quand même de l’argent pour régler la farine et le lait, la base de notre alimentation. Ma mère refusait de laisser la moindre ardoise chez les commerçants, usage pourtant répandu dans les autres familles, mais Mathilde affirmait que chez nous « on ne faisait pas de dette ! »
Je soupçonnais Louise d’utiliser ses petites économies personnelles lors des fins de mois particulièrement difficiles. Je voyais parfois ses yeux briller de malice en servant une bonne soupe aux pois ou un gratin de légumes recouvert de fromage onctueux. Elle affirmait alors qu’elle avait eu un prix sur les ingrédients ou qu’elle avait retrouvé un reste de légumes au fond de la souillarde !
Il suffisait d’un imprévu pour que ma mère ne trouve pas le sommeil. Si Blanche devait voir le médecin, cette consultation entraînait des dépenses chez le pharmacien. Un trou dans mes semelles justifiait une intervention du cordonnier. Lorsque la municipalité traînait à faire livrer le bois, il y avait aussi l’achat du pétrole et des bougies, on avait beau faire attention, l’hiver, il fallait bien s’éclairer !
Cependant, les bons moments ne manquaient pas : les soirées avec les Cottin, ma mère se mettant au piano, le gâteau du dimanche que Louise réalisait dans le four de la précieuse cuisinière. Que de fois je m’étais léché les doigts en vidant la terrine où elle avait préparé la pâte ! J’aimais aussi nos veillées intimes devant la cheminée, maman nous parlait alors de notre père, Blanche blottie sur ses genoux et moi, à ses pieds, assis sur un gros coussin devant le feu.
Il y avait nos longues promenades dans la campagne, la cueillette des champignons, le ramassage des châtaignes, ou des mûres selon la saison, les