Laissez-moi vous raconter...: 53 ans dans le monde du livre - récit autobiographique
Par Marcel Broquet
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À propos de ce livre électronique
Dans la première partie, l’auteur retrace les péripéties de son enfance. Il nous entraîne dans les affres de la France en guerre, raconte son retour en Helvétie et son départ en terre d’Amérique. À cette époque, il voulait suivre les traces d’Alain Gerbault, de Pierre Loti, de Gauguin, Blaise Cendrars et autres rêveurs ou grands voyageurs et son long et interminable cheminement dans les domaines du livre au Québec.
Il se permet des échappées dans l’histoire, résultat de ses nombreuses lectures et observations. Parfois intimiste, il évoque dans la seconde partie, une vie pleine de rebondissements, d’échecs, de surprises et parfois de succès. Ce livre n’est pas un catalogue, encore moins l’apologie d’une carrière qui n’en finit plus. Il se permet par contre de jeter un oeil critique sur les rouages de la diffusion du livre et de la lecture et sur les conséquences des profonds changements que le milieu traverse actuellement. Marcel Broquet nous raconte pourquoi il continue d’oeuvrer dans le domaine de l’édition en tant que rêveur, fou du livre et se targue de faire passer son amour du livre avant les affaires.
Marcel Broquet
Marcel Broquet a quitté sa Suisse natale pour partir à l’aventure. Débarqué au Québec qui ne devait être qu’une escale vers d’autres horizons tels que l’Australie, il s’établit à Verdun. Lui qui a appris à lire et à écrire à l’âge de douze ans est un amoureux du livre qu’il a découvert grâce à une vieille librairie compatissante. À Verdun, il ouvre la première librairie de ce quartier défavorisé à l’époque. Il devient également distributeur et au terme de vingt ans en librairie, il prend le virage de l’édition. Il se fait connaître pour les best-sellers « Les oiseaux du Québec », « Le jardinier paresseux », les « Cherche-étoiles » et la collection « Signatures » qui recense plus de 60 titres d’artistes du Canada et du Québec. En 2000, il vend sa maison d’édition à son fils Antoine et continue de développer des projets et faire de la révision de textes. En 2004, il reçoit le prix Fleury-Mesplet décerné à une personnalité s’étant distinguée dans le monde de l’édition. En 2007, il démarre une nouvelle maison d’édition Marcel Broquet- La nouvelle édition avec Rosette Pipar et se consacre à la littérature, aux guides et aux beaux-livres d’art.
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Aperçu du livre
Laissez-moi vous raconter... - Marcel Broquet
Le village de Soyhières vers 1750 et où je suis né.
Amomis.comAmomis.comAmomis.comAmomis.comDonnées de catalogage disponibles sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Pour l’aide à la réalisation de son programme éditorial, l’éditeur remercie la Société de Développement des Entreprises Culturelles (SODEC), le Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres - gestion SODEC ainsi que le Conseil des Arts du Canada.
Amomis.comMarcel Broquet Éditeur
60, chemin du Mont-Maribou, Saint-Sauveur (Québec) Canada J0R 1R7
Téléphone : 450 744-1236
marcel@marcelbroquet.com • www.marcelbroquet.com
Conception graphique et mise en page : Olivier Lasser
Les photos contenues dans ce livre proviennent des archives personnelles de l’auteur.
Distribution : Messageries ADP*
2315, rue de la Province Longueuil, Québec J4G 1G4
Tél. : 450 640-1237 • Téléc. : 450 674-6237 • www.messageries-adp.com
* filiale du Groupe Sogides Inc.
Filiale du Groupe Livre Québecor Média inc.
Distribution pour l’Europe francophone :
DNM Distribution du Nouveau Monde
30, rue Gay-Lussac, 75005, Paris
Tél. : 01 42 54 50 24 • Fax : 01 43 54 39 15
Librairie du Québec
30, rue Gay-Lussac, 75005, Paris
Tél. : 01 43 54 49 02
www.librairieduquebec.fr
Distribution pour le Benelux :
SDL La Caravelle S.A.
Rue du Pré-aux-Oies, 303
B-1130 Bruxelles
Tél. : +32 (0) 2 240 93 00
info@sdlcaravelle.com
www.sdlcaravelle.com
Diffusion – Promotion :
r.pipar@phoenix3alliance.com
Dépôt légal : 4e trimestre 2011
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives nationales Canada
Bibliothèque nationale de France
© Marcel Broquet Éditeur, 2011
Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction interdits sans l’accord de l’auteur.
ISBN 978-2-923860-66-4
Version ePub réalisée par:
www.Amomis.com
Amomis.comAu Jura, où tout a commencé.
PRÉFACE
Je lis toujours avec une joie non dissimulée les écrits de mes confrères. Je me fais même un point d’honneur de les acheter le premier, dès qu’ils arrivent en librairie.
Pour une fois, grâce à Marcel Broquet (mon frère d’encre d’imprimerie), je viens de battre mon propre record. J’aurai lu son ouvrage avant sa sortie ! Et, sans débourser un sou pour l’acquérir ! C’est Byzance !
Merci Marcel, pour le privilège. D’autant que ce livre, que j’ai adoré, est empreint d’une belle élégance et d’une grande puissance. Les couleurs de ses images, et surtout la beauté de la langue de l’auteur-éditeur, qui joue au funambule entre le récit historique (fascinant) et la prose, m’ont littéralement ravi. Ces pages représentent un délicieux hommage à sa Suisse natale, à sa mère, à son père (mort assassiné) et à ses ancêtres. Voilà un remarquable matériau autobiographique fait de rencontres, d’impressions et de beaux sentiments que le temps ne semble pas avoir altérés. Le tout a été assemblé ici avec tant de naturel que le geste est celui d’un virtuose.
On se demande toujours pourquoi et comment une personne a choisi de gagner sa vie dans le milieu du livre. Quel en a été l’élément déclencheur ? Sur ce point précis, l’ouvrage de Marcel est éclairant. Il semble que la faute, ou... le mérite, en revienne à une brave libraire. Quant au premier livre qu’il a lu, il a pour titre Robinson Crusoé. C’est fort significatif. Par la suite, Marcel a croisé d’autres personnages inspirants, comme par exemple cet antiquaire qui se distinguait en Suisse, comme Henri Tranquille à Montréal, en refusant de vendre ses livres au premier venu...
Après son passage par la vente d’ouvrages de luxe, Marcel Broquet œuvra au sein d’un club du livre (dont, quel hasard, je fus un fidèle client !) : La Guilde du livre.
Après toutes ces expériences, il a fini par comprendre que le livre allait devenir pour lui plus qu’un compagnon. Qu’il allait devenir son moyen d’existence. « Une source de grandes joies, comme il le dit, mais aussi de peines et de nombreuses difficultés. »
Il faut en savoir gré à l’auteur (un grand éditeur qui a fait sa marque au Québec) de nous offrir en prime, à la fin de son ouvrage, une visite guidée du monde obscur de l’édition, où les profanes trouveront une mine de renseignements rarement présentés avec autant de clarté.
Ceux qui se demandent « Comment pouvez-vous vendre un livre à 20 $ alors qu’il vous en coûte 2,50 $ pour l’imprimer ? » ... trouveront enfin réponse à leur question.
Alain Stanké
AVANT-PROPOS
Ainsi que le souligne malicieusement Jean d’Ormesson dans C’était bien (sauf erreur), aujourd’hui, tout le monde écrit : les coiffeurs, les avocats, les gens d’affaires, les gourous, les bricoleurs, les politiciens, et j’en passe. Enfin c’est à peu près cela qu’il dit.
Et pourquoi pas moi ? En réalité, l’idée est venue de ma mère qui, pratiquement à chacune de mes visites en Suisse, me demandait ce que je faisais. Un libraire vend des livres, mais que fait un éditeur ? Pourquoi, puisque tu es éditeur n’écrirais-tu pas un jour notre histoire et, du même coup, celle de ton métier ? Elle pensait qu’écrire et éditer allait de pair. C’est loin d’être évident. D’autres éditeurs s’y sont essayé, certains avec succès, d’autres moins. Ainsi les Albin Michel, Robert Laffont, Pierre Bordas. Plus près de nous, Denis Vaugeois, écrivain et éditeur, Jacques Fortin, Alain Stanké aux multiples talents. D’autres encore, ayant connu la gloire, ont eu l’honneur d’avoir leur biographe. Ainsi les Gaston Gallimard et Bernard Grasset, Fleury Mesplet, imprimeur et éditeur, pour n’en nommer que quelques-uns.
Petites mises au point qu’il m’apparaît utile de souligner : j’adore l’histoire, la petite et la grande. Celle d’ici et d’ailleurs. J’ai beaucoup lu sur ce thème. C’est pourquoi je n’ai pas résisté à la tentation de m’écarter quelque peu de mon idée originale, qui était de ne parler que de livres. C’était de toute façon presque impossible. Je ne voulais pas m’étendre trop longuement sur des sujets que la plupart des gens du livre connaissent, mais décrire ce qui m’a amené dans ce domaine, dans quelles circonstances et pourquoi j’y suis encore. Certes, lorsque je parle de livres, tous les gens de ce milieu, du créateur d’une œuvre au lecteur, pourront sans doute y trouver un intérêt. Quant aux professionnels, pourrais-je dire les purs, ils pourront se rendre compte que mes idées ne sont pas nécessairement les leurs. En rédigeant cet ouvrage, je n’avais pas d’idée fixe, sauf celle de me raconter avant tout pour mon plaisir et ma mémoire. Un peu plus tard, je me suis dit que le profane pourrait, lui aussi, y trouver quelques informations sur ces métiers que le grand public connaît si peu. À commencer par cet auteur venu me voir et qui me demanda : où sont vos presses ?
Il y a dans ce livre plusieurs parties distinctes : l’enfance, l’adolescence et les circonstances de mes premières incursions dans le monde du livre. Pour cette première partie, il m’aura fallu plusieurs années pour la rédiger. Le temps, le travail, les soucis, la famille, tout cela faisait en sorte que je n’y attachais pas grande importance et, pendant longtemps, je n’ai pas songé à le publier. Puis, dans la dernière partie, fort différente, au contact des nombreux auteurs de la nouvelle maison d’édition, j’ai pensé que ce que j’avais à dire sur les métiers du livre pouvait apporter une lumière différente qui refléterait bien mon cheminement, les particularités de ce domaine et peut-être, sans prétention, intéresser, voire surprendre d’autres personnes. J’ajoute que lorsque j’ai fait connaître mon projet, j’ai été « poussé dans le dos » par quelques amis mais aussi et surtout par ma collègue et bourreau de travail qui n’accepte pas que l’on repousse les échéances et encore moins que l’on démissionne. Tout comme dans l’armée, on ne discute pas un ordre ! J’ai donc rédigé cette seconde partie en peu de temps, malgré le travail que nous apportent les activités de La nouvelle édition.
Autre précision : je n’affirme pas que tout ce que j’écris est parole d’évangile. Si je vous parle de Jacques Broquet qui a été gros voèble (mot disparu) et qui a épousé la belle Élisabeth, j’ai joué un peu avec mon imagination. Par contre, ledit gros voèble a bel et bien existé dans les années précisées et portait bien ce nom et ce prénom et était l’un de mes ancêtres. Qu’il ait épousé la belle Élisabeth, ça, je ne vous le garantis pas. Qu’importe ! Je suis sûr par contre qu’elle devait être belle ! Mais pour le reste, tout est vrai et j’ai volontairement laissé de côté quelques aspects dramatiques, tout comme je n’ai pas voulu être trop intimiste.
J’ai aussi tenté de ne pas trop m’étendre sur les avatars des métiers du livre. J’en parle. Et mes propos n’ont rien d’offensant pour personne. Certains se reconnaîtront et si nous n’avons pas la même vision « du livre », je respecte leur point de vue. Du reste, je me suis abstenu d’être négatif. Je tente de décrire certaines pratiques qui m’apparaissent aberrantes, voire intolérables. Et des périodes inévitablement difficiles,
Résultat de mes audaces et des risques parfois mal calculés, mais desquels je suis sorti fort honorablement. D’autre part, personne n’est obligé d’être d’accord avec tous mes propos. Tout comme pour l’histoire. Si, pour mes amis suisses, j’écris que Divico s’est fait arrêter par Jules César près de Genève alors que c’était plus près de Bellegarde, ils ne m’en voudront pas, je ne suis pas historien.
Quant à l’avenir du livre, ni les prophètes, ni les spécialistes, ni ceux qui, études après études prédisent la disparition du livre, je les renvoie à d’autres voyants qui prédisent exactement le contraire. Que le livre se modifie, se transforme, se trouve des petits frères, sans aucun doute. Mais d’autres beaux jours restent à venir à ceux qui ont foi dans ce merveilleux moyen de communication et de plaisir et qui sauront s’adapter non seulement aux nouvelles technologies ainsi qu’aux nouvelles méthodes de distribution et de promotion, mais aussi aux goûts de toutes les catégories de lecteurs.
mb
Je sais que la littérature ne nourrit pas son homme.
Par bonheur, je n’ai pas très faim.
Jules Renard
CHAPITRE UN
Aux temps lointains
Movelier
«P our être plus belle encore, il te suffit, aux aurores, de passer ton visage dans la rosée des prés de luzerne. »
C’est ce qu’affirmait le vieux Grégoire, qui passait pour être le sage du lieu, à la fille de Monsieur le Maire. Il faut croire que le conseil avait porté fruit, puisque Élisabeth était – personne ne le contestait – le plus joli brin de fille du village.
Interpellée par sa mère, la jeune fille jeta un dernier regard à son miroir complice. Coquette, l’œil mutin, débordante de vitalité, la jeune fille, avait, ce jour-là, mis sa robe des grandes occasions et ses plus fines dentelles. Elle était prête pour le grand événement auquel son père et les autres notables se préparaient depuis des semaines.
Amomis.comJoseph-Guillaume Rinck de Baldenstein était un grand seigneur. Soixante-quatorzième prince-évêque de Bâle, il avait la réputation d’être un homme juste et bon, excellent administrateur, dont les ambitions étaient de moderniser son pays et de régner avec justice et sagesse. « C’était un esprit orné et brillant qui ne dédaignait point d’être également un esprit pratique et c’est par son zèle pour le bien public que ce prince sut se gagner l’affection de tous¹. »
Il conservait toujours son titre, même si l’un de ses prédécesseurs avait perdu, depuis les temps déjà très lointains de la Réforme, sa place forte qu’était la ville de Bâle. Les bourgeois de cette ville, respectueux envers leur prince, mais républicains de cœur et de surcroît largement acquis aux idées réformatrices et rigoureuses de Luther, l’avaient remercié de ses bons services ; la cité, adoptée par le grand humaniste Érasme, par les peintres Holbein le Jeune et Dürer et par tant d’autres grands esprits et artistes de l’époque, s’était alors ralliée à la toute-puissante république de la Confédération helvétique, en 1501. Les princes-évêques de Bâle conservant leur titre siégeaient depuis des lustres au château de Porrentruy, petite ville catholique et francophone. Ce château, bien qu’imposant, logeait dans ses murs une cour relativement modeste, ainsi que toute l’administration du pays. Mais le prince n’avait nul besoin de courtisans. Aujourd’hui encore, on visite toujours ce complexe seigneurial parfaitement rénové et très bien entretenu. Son immense donjon est impressionnant tout comme la vue sur la ville moyenâgeuse et la campagne bucolique environnante.
Ma passion pour l’histoire de ce petit pays qu’est le Jura ou de ce pays qui n’existe plus, l’ancien évêché de Bâle, remonte à l’adolescence. C’est alors que je découvrais, en plus des premiers bonheurs que procure la lecture, l’amour des vieilles pierres, des remparts parfois cachés sous les ronces, de nos fermes et châteaux de ces âges perdus ainsi que des anciens chemins qui, aujourd’hui encore donnent parfois la curieuse impression de ne vous amener nulle part, ce que j’ai d’ailleurs toujours trouvé quelque peu mystérieux, irrésistiblement attirant et parfois même inquiétant.
Je trouve un grand plaisir ici à parler de certains lieux particulièrement évocateurs de la terre de mes ancêtres et de ces ancêtres eux-mêmes. Des endroits où en vérité j’ai peu vécu, mais où je me suis attardé au fil des ans et au cours de mes nombreux retours, ou qui, tout simplement, m’ont fasciné à travers les livres trouvés chez les quelques rares bouquinistes ou libraires de la région, reçus par des amis et des cousins, ou encore dénichés à la Société jurassienne d’Émulation. Des endroits qui, aujourd’hui encore, continuent de bercer mes rêves. C’est plus fort que moi et j’ai toujours en tête un projet que je n’ai pas réussi à réaliser lors de ma précédente visite. Que ce soit un coin à revoir, un nouveau à découvrir, un sentier à parcourir, une montagne à gravir ou visiter une chapelle isolée que j’imagine au temps des belles processions de la Fête-Dieu. L’histoire de ce pays quelque peu oublié, en dehors des grandes routes, loin des circuits touristiques, est si riche que je tente depuis de nombreuses années non seulement de toujours en savoir plus, mais aussi de connaître sa grande et sa petite histoire, à travers les écrits de ses historiens et de ses amoureux de cœur et d’esprit des vieux sites jurassiens.
Puis, un jour, me vint l’idée de prendre quelques notes, de gribouiller quelques pages sur un petit carnet que je traînais dans ma poche, pour mon seul plaisir et comme tant de gens le font en voyage, pour ne pas oublier, guidé que j’étais par la nostalgie et cette soif d’en connaître plus, sachant cependant très bien que ma vie se terminerait un jour en terre d’Amérique et non pas sur celle de mes ancêtres.
Mais, comme chacun le sait, pour se permettre d’écrire, aller plus loin que le carnet, et cela même sans aucune prétention, ne serait-ce que pour son propre plaisir, il faut avant tout avoir beaucoup lu. C’est, en effet, par la lecture que l’on arrive quelquefois à l’écriture. C’est un passage long, permanent, pénible et indispensable. Et cela, en sachant très bien que, si la lecture permet parfois de devenir à son tour auteur, elle ne fait pas nécessairement de nous un écrivain.
Ce vieux pays, une grande partie de l’ancienne Rauracie, était autrefois terre de passage pour de nombreux envahisseurs et comprenait entre autres, les territoires du canton du Jura suisse actuel, ainsi que celui du Jura bernois. Il était habité par les Rauraques, peuplade gauloise alliée des Helvètes, lesquels occupaient alors une partie de la Suisse actuelle. En 58 avant J.-C, tout comme les Helvètes, ils brûlèrent leurs villages et, sous la conduite de leur chef Divico, tentèrent de traverser le Rhône vers Genève afin de s’établir dans les terres fertiles et plus clémentes du sud de la Gaule et plus particulièrement de l’Aquitaine actuelle. Ils en furent empêchés par Jules César qui, magnanime après la bataille, les força à retourner chez eux et à reconstruire leurs villages. Notons au passage, comme vous le soulignerait chaque Jurassien de cœur, que politiquement il existe aujourd’hui deux « Jura », lesquels ne devraient en toute logique n’en faire qu’un seul. Mais cela, c’est une autre histoire et ce n’est pas le but de ce livre².
L’évêché de Bâle était donc une principauté dont le seigneur en était le prince-évêque. Tout comme de nombreux autres petits pays, duchés, comtés, royaumes, villes libres ou provinces, l’évêché faisait partie du Saint-Empire romain germanique. Il jouissait d’une grande indépendance, ne relevant que de l’autorité suprême de l’empereur. L’autorité de Monseigneur Joseph-Guillaume s’étendait alors de La Neuveville au Laufonnais, ce dernier district alémanique jouxtant les terres de Bâle, dont il fait d’ailleurs maintenant partie (ayant été arraché par plébiscite au Jura, lors de la création de celui-ci en canton en 1979). Le pouvoir de l’évêque s’étendait aussi sur l’Erguël, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Vallon de Saint-Imier ; sur Delémont, autrefois résidence d’été des princes-évêques et, de nos jours, capitale du dernier-né des cantons suisses, et sa vallée que certains dénomment le Pays Vadais ; sur le Val-Terbi et ses brumes envoûtantes les soirs d’été ; sur le Pays de l’Ajoie, topographiquement déjà la France ; sur la Montagne des Bois (on comprend l’origine de ce nom lorsque l’on sait qu’il y a quelques siècles, elle était recouverte de forêts), que chacun connaît de nos jours sous le nom de Franches-Montagnes, réminiscence des anciennes franchises. La petite ville de La Neuveville (loin d’être « neuve » d’ailleurs et surplombant l’île Saint-Pierre qui aujourd’hui n’en est plus tout à fait une puisqu’on y a construit une jetée permettant d’y accéder à pied à partir de Cerlier (ou Erlach en allemand), autre attachante petite ville médiévale avec son magnifique château de pur style bernois. L’île que l’on nommait encore dans ma jeunesse, l’île Jean-Jacques Rousseau. Cette « Neuveville » avec ses 700 ans, barrière aux limites du pays du prince, entre le lac et la première chaîne du Jura, se miroitant avec ses vignobles dans le lac de Bienne.
Ma mère y repose dans le petit cimetière, juste au-dessus de la « Blanche Église », laquelle fut édifiée, curieusement, bien avant la ville.
Notre bon prince régnait aussi sur cette ville de Bienne, souvent rebelle à son seigneur et avec laquelle il aura, à maintes reprises, de nombreux démêlés attisés par les visées accordées par la puissante ville de Berne et les intrigues des puissants comtes de Neuchâtel. Il était aussi le seigneur des cantons actuels de Bâle évidemment et de celui de Soleure³.
La création de l’État connu sous le nom d’Ancien Évêché de Bâle date de l’an mil. Neuf cent nonante-neuf plus précisément, comme disent les Belges pour nous imiter. Il serait ainsi, paraît-il, le plus vieux duché de France, même si son appartenance à ce pays n’a duré que quelques brèves et malheureuses années, ayant laissé pendant longtemps, des traces d’une évidente impression anti-française palpable encore de nos jours, surtout en Ajoie. Du reste, ne dites jamais à un Ajoulot⁴, qu’il est un peu français. Tout comme on ne dit pas à un Tessinois qu’il est Italien. Le Jura, (le Jura suisse s’entend, à ne pas confondre avec les « autres » Jura : vaudois, neuchâtelois, français, souabe et franconien), pays de collines, de vieilles et douces montagnes, aux multiples visages et vertes vallées, abrite aujourd’hui encore certains lieux quasi mythiques pour les amateurs de la petite et de la grande histoire : Saint-Ursanne, ancienne et merveilleuse petite cité médiévale que le Doubs vient caresser lors de son bref détour en terre jurassienne, avec sa magnifique basilique romane, ayant reçu le nom d’un moine irlandais du nom de Urcinus ou Ursinicus. J’ai visité la grotte dans laquelle, paraît-il, il vivait avec l’ours qu’il avait apprivoisé. C’est dans cette antique cité que j’ai rencontré à l’automne 2005, André Lachat, un curieux bouquiniste qui refusait de vendre certains de ses livres, du moins pas au premier venu, disait-il. Le couvent de Moutier-Grandval, dont j’ai tenté, trop rapidement sans aucun doute, de trouver l’emplacement, mais, paraît-il qu’il n’en reste aucune pierre et célèbre pour sa remarquable Bible conservée à la British Library⁵. Cette célèbre et magnifique Bible traîne derrière elle une histoire longue et mouvementée. Réalisée à Tours vers 835, vendue à plusieurs reprises par des colporteurs, des paysans ou des faux collectionneurs, son dernier « marchand » habitait les locaux occupés aujourd’hui par le Musée jurassien à Delémont. Or, il y a quelques années, en 1980 plus précisément, le Musée jurassien a obtenu l’autorisation de la British Library d’exposer ce chef-d’œuvre. Pourquoi les Britanniques ne l’ont-ils pas tout simplement offerte au musée ? Sans doute parce que la bible de Moutier-Grandval appartient à l’humanité. Elle le serait tout autant à Delémont.
L’Abbaye de Bellelay, et sa belle légende, fondée, elle aussi, en l’an mil, que je connais si bien, car j’y ai vécu deux ans rencontrant un premier amour qui ne dura qu’un été avec quelques rares grands moments de bonheur. Ce qui, pendant quelques années, me fit croire que le premier amour est toujours le dernier. Le château de Soyhières, au pied duquel je suis né et que je vais saluer comme un ami, avec respect et nostalgie à chacune de mes visites en terre jurassienne, château que je tente d’apprivoiser depuis de longues années avec cette impression de ne jamais réussir. Le château de Soyhières ! Je ne pourrai pas ne pas vous en reparler ! J’y reviendrai.
La Pierre-Pertuis, creusée dans la roche par les Romains, passage obligé entre l’Aventicum (Avenches) et la Basilia (Bâle) des Romains. Cette Pierre Percée, située à quelques minutes à peine de l’avant-dernier habitat de ma mère dans la petite et triste ville de Tavannes. L’Abbaye de Lucelle à cheval sur la frontière franco-suisse et à quelques lieues de Movelier, détruite par les révolutionnaires français, et toutes ces vertes vallées qui rappellent les couleurs de l’Irlande. Et que dire du Vorbourg, antique lieu de prière et de brigandage, à l’histoire tragique et tumultueuse, sinon qu’il est encore aujourd’hui et sans aucun doute l’un des sites les plus mystiques du canton où les pèlerins marchent si l’on peut s’exprimer ainsi, sur les pages de l’histoire. Mes parents y célébrèrent leur mariage dans la plus grande simplicité le vingt-huitième jour d’août 1931, tout comme mon frère Michel, quelque vingt-cinq ans plus tard. Quant à moi, j’y fus baptisé il y a assez longtemps pour que je n’aie plus, aujourd’hui, à compter que les décennies. Un brin d’imagination et l’on pourrait presque apercevoir les mânes de nos ancêtres à travers l’épaisseur de la forêt si dense à cet endroit de chaque côté de la cluse. Enfin, ces gorges profondes, sombres, attirantes et inquiétantes, que l’on voudrait encore aujourd’hui croire inexplorées, où j’allais dans des temps qui parfois me semblent