Le féodalisme dans la vallée du Saint-Laurent: Un problème historiographique
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À propos de ce livre électronique
L’histoire de la seigneurie laurentienne est-elle la fille du conflit politique ? C’est, entre autres, à cette question que répond Le féodalisme dans la vallée du Saint-Laurent : un problème historiographique. Dans cet ouvrage, Matteo Sanfilippo résume et analyse 250 années (1763-2008) de production historiographique au Canada français et au Canada anglais portant sur le régime seigneurial laurentien.
Sanfilippo remet dans leur contexte historique les discours et les débats sur ce régime, qui sont inextricablement liés aux dynamiques politiques canadiennes.
Le féodalisme dans la vallée du Saint-Laurent est un essai unique dans le paysage historiographique canadien. Il est ici traduit en français pour la première fois. À l’heure d’un renouveau certain de l’histoire seigneuriale laurentienne, lectrices et lecteurs pourront découvrir les enjeux complexes de son écriture en faisant la rencontre de la pensée originale de Matteo Sanfilippo.
Enfin, les historiens Olivier Guimond et Arnaud Montreuil signent une postface dans laquelle ils poursuivent les réflexions de Matteo Sanfilippo entre 2008 et aujourd’hui.
Matteo Sanfilippo
Matteo Sanfilippo est professeur titulaire d’histoire moderne au Département des sciences humaines, de la communication et du tourisme à l’Université de la Tuscia.
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Aperçu du livre
Le féodalisme dans la vallée du Saint-Laurent - Matteo Sanfilippo
The cover shows a painting of a valley. There are a few houses and fields along the bank of a river. The painting also shows a few people carrying a bucket with a stick on their shoulders and a man riding a horsecart. There are a few cattle sitting beside a house. The bottom of the cover shows the author's name followed by the text, Traduit de l'italien par Arnaud Montreuil, Édité par Olivier Guimond et Arnaud Montreuil, Les Presses de l’Université d’Ottawa.
LE FÉODALISME DANS
LA VALLÉE DU SAINT-LAURENT
COLLECTION « AMÉRIQUE FRANÇAISE »
Comité éditorial : Michel Bock (directeur), assisté de
Benoit Doyon-Gosselin, Yves Frenette,
Anne Gilbert et É.-Martin Meunier
Chad Gaffield, Aux origines de l’identité franco-ontarienne : éducation, culture, économie, 1993.
Peter W. Halford, Le français des Canadiens à la veille de la Conquête : témoignage du père Pierre Philippe Potier, s. j., 1994.
Diane Farmer, Artisans de la modernité : les centres culturels en Ontario français, 1996.
Robert Toupin, Les écrits de Pierre Potier, 1996.
Marcel Martel, Le deuil d’un pays imaginé : rêves, luttes et déroute du Canada français, 1997.
Suzelle Blais, Néologie canadienne, ou Dictionnaire des mots créés en Canada et maintenant en vogue de Jacques Viger, 1998.
Estelle Huneault, Au fil des ans : l’Union catholique des fermières de la province d’Ontario, de 1936 à 1945, 2000.
Donald Dennie, À l’ombre de l’Inco : étude de la transition d’une communauté canadienne-française de la région de Sudbury (1890-1972), 2001.
Jean-Pierre Wallot (dir.), Le débat qui n’a pas eu lieu : la Commission Pepin-Robarts, quelque vingt ans après, 2002.
Jean-Claude Dubé, The Chevalier de Montmagny (1601–1657) : First Governor of New France, traduit par Elizabeth Rapley, 2005.
Jean-Pierre Wallot (dir.), La gouvernance linguistique : le Canada en perspective, 2005.
Michel Bock (dir.), La jeunesse au Canada français : formation, mouvements et identité, 2007.
Marcel Bénéteau et Peter W. Halford, Mots choisis : trois cents ans de francophonie du Détroit du lac Érié, 2008.
Anne Gilbert, Michel Bock et Joseph Yvon Thériault (dir.), Entre lieux et mémoire : l’inscription de la francophonie canadienne dans la durée, 2009.
Pierrick Labbé, « L’Union fait la force ! » : l’Union Saint-Joseph d’Ottawa/du Canada, 1863-1920, 2012.
Joel Belliveau, Le « moment 68 » et la réinvention de l’Acadie, 2014.
É.-Martin Meunier (dir.), Le Québec et ses mutations culturelles : six enjeux pour le devenir d’une société, 2016.
François-Olivier Dorais, Un historien dans la cité : Gaétan Gervais et l’Ontario français, 2016.
Anne Gilbert, Linda Cardinal, Michel Bock, Lucie Hotte et François Charbonneau (dir.), Ottawa, lieu de vie français, 2017.
Damien-Claude Bélanger, Thomas Chapais, historien, 2018.
Gérard Fabre, Les fables canadiennes de Jules Verne : discorde et concorde dans une autre Amérique, 2018.
Philippe Volpé et Julien Massicotte, Au temps de la « révolution acadienne » : les marxistes-léninistes en Acadie, 2019.
Michel Bock et Yves Frenette (dir.), Résistance, mobilisations et contestations : l’Association canadienne-française de l’Ontario (1910-2006), 2019.
Stéphane Lévesque et Jean-Philippe Croteau, L’avenir du passé : identité, mémoire et récits de la jeunesse québécoise et franco-ontarienne, 2020.
Philippe Volpé, À la frontière des mondes : jeunesse étudiante, Action catholique et changement social en Acadie (1900-1970), 2021.
COLLECTION « AMÉRIQUE FRANÇAISE »
Publication du Centre de recherche en civilisation
canadienne-française de l’Université d’Ottawa
LE FÉODALISME DANS
LA VALLÉE DU SAINT-LAURENT
Un problème historiographique
Matteo SANFILIPPO
Traduit de l’italien par Arnaud Montreuil
Avant-propos, postface et édition d’Olivier Guimond et d’Arnaud Montreuil
Les Presses de l’Université d’Ottawa
Centre de recherche en civilisation canadienne-française
The logo of the University of Ottawa is followed by the text, Les Presses de I’Université d’Ottawa, University of Ottawa Press.Les Presses de l’Université d’Ottawa (PUO) sont fières d’être la plus ancienne maison d’édition universitaire francophone au Canada et le plus ancien éditeur universitaire bilingue en Amérique du Nord. Depuis 1936, les PUO enrichissent la vie intellectuelle et culturelle en publiant, en français ou en anglais, des livres évalués par les pairs et primés dans le domaine des arts et lettres et des sciences sociales.
www.presses.uOttawa.ca
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada
Titre : Le féodalisme dans la vallée du Saint-Laurent : un problème historiographique / Matteo Sanfilippo; traduit de l’italien par Arnaud Montreuil; avant-propos, postface et édition d’Olivier Guimond et Arnaud Montreuil.
Autres titres : Feudalesimo nella valle del San Lorenzo. Français
Noms : Sanfilippo, Matteo, auteur. | Montreuil, Arnaud, éditeur intellectuel, traducteur. | Guimond, Olivier, éditeur intellectuel.
Collections : Collection Amérique française.
Description : Mention de collection : Amérique française | Traduction de : Il feudalesimo nella valle del San Lorenzo. | Comprend des références bibliographiques et un index.
Vedettes-matière : RVM : Prisonniers de guerre—Allemagne. | RVM : Prisonniers de guerre—Canada. | RVM : Prisonniers de guerre—États-Unis. | RVM : Prisonniers de guerre—Grande-Bretagne. | RVM : Guerre mondiale, 1939-1945—Prisonniers et prisons des Canadiens. | RVM : Guerre mondiale, 1939-1945—Prisonniers et prisons des Américains. | RVM : Guerre mondiale, 1939-1945—Prisonniers et prisons des Britanniques. | RVM : Guerre mondiale, 1939-1945—Histoire diplomatique.
Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 20210302135 | Canadiana (livre numérique) 20210302410 |
ISBN 9782760335790 (couverture souple) | ISBN 9782760334335 (couverture rigide) |
ISBN 9782760334342 (PDF) | ISBN 9782760333970 (EPUB)
Vedettes-matière : RVM : Seigneuries—Saint-Laurent, Vallée du—Historiographie. | RVM : Canada—Histoire— 1763-1867 (Régime anglais)—Historiographie. | RVM : Grande-Bretagne—Colonies—Amérique— Historiographie.
Classification : LCC FC310 .S35314 2022 | CDD 971.402—dc2
Les Presses de l’Université d’Ottawa sont reconnaissantes du soutien qu’apportent, à leur programme d’édition, le gouvernement du Canada, le Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts de l’Ontario, Ontario créatif, la Fédération canadienne des sciences humaines par l’entremise du programme Prix d’auteurs pour l’édition savante et l’entremise du Conseil de recherches en sciences humaines, et surtout, l’Université d’Ottawa.
The logo of the Ontario Arts Council is followed by the text, Ontario Arts Council, Conseil Des Arts De L’Ontario, an Ontario government agency, un organisme du gouvernement de L’Ontario. The logo of the Canada Council for the Arts is followed by the text, Canada Council for the Arts, Conseil des arts du Canada. A text reads, Canada, with the flag of Canada on the top of the last letter in Canada. The logo of the University of Ottawa.À la mémoire de Fernand Ouellet (1926-2021),
maître et ami
M
atteo
S
anfilippo
Liste des sigles et des abréviations
AHRThe American Historical Review
AHRFAnnales historiques de la Révolution française
Annales ESCAnnales. Économies, Sociétés, Civilisations
ASAnthropologie et Sociétés
BHPBulletin d’histoire politique
BJCSBritish Journal of Canadian Studies
BorealiaBorealia. Early Canadian History
BQBibliothèque québécoise
BRHBulletin des recherches historiques
CADCap-aux-Diamants
CAHLes Cahiers Anne-Hébert
CAUPCambridge University Press
CCFCultures du Canada français
CDLes Cahiers des Dix
CELATCentre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions
CFCOCahiers franco-canadiens de l’Ouest
CGQCahiers de géographie du Québec
CHRCanadian Historical Review
CIEQCentre interuniversitaire d’études québécoises
CSCahiers du socialisme
CUPCarleton University Press
DBCDictionnaire biographique du Canada
DFSDalhousie French Studies
EHESSÉcole des hautes études en sciences sociales
ÉHRÉtudes d’histoire religieuse
ÉLC = SCLÉtudes en littérature canadienne = Studies in Canadian Literature
ÉUOÉditions de l’Université d’Ottawa
ÉUSÉditions de l’Université de Sherbrooke
FCHFrench Colonial History
GlobeGlobe : revue internationale d’études québécoises
H&SRHistoire & Sociétés rurales
HÉ&SHistoire, Économie & Société
HP = CHHistorical Papers = Communications historiques
HS = SHHistoire sociale = Social History
IHAFInstitut d’histoire de l’Amérique française
IQRCInstitut québécois de recherche sur la culture
JCHA = RSHCJournal of the Canadian Historical Association = Revue de la Société historique du Canada
JCSJournal of Canadian Studies
JEAHJournal of Early American History
JSÉACJournal de la Société pour l’étude de l’architecture au Canada
LSUPLouisiana State University Press
MGQUPMcGill-Queen’s University Press
MSRCMémoires de la Société royale du Canada
PUFPresses universitaires de France
PULPresses de l’Université Laval
PUMPresses de l’Université de Montréal
PUOPresses de l’Université d’Ottawa
PUQPresses de l’Université du Québec
PURPresses universitaires de Rennes
QSQuébec Studies
RAPQRapport de l’archiviste de la province de Québec
RAQRecherches amérindiennes au Québec
RHAFRevue d’histoire de l’Amérique française
RHUSRevue d’histoire de l’Université de Sherbrooke
RSRecherches sociographiques
RULRevue de l’Université Laval
SSSociologie et sociétés
SSHSocial Science History
SSQSocial Science Quarterly
UQAMUniversité du Québec à Montréal
UTPUniversity of Toronto Press
Préface
Au cours des quelque cinquante dernières années, les études canadiennes et québécoises ont connu une belle postérité en faisant d’innombrables disciples en différents points du globe. En Europe, en Asie, au Proche-Orient et dans les Amériques, le phénomène a généré un corpus impressionnant d’études visant à appréhender l’expérience historique du Canada tantôt au prisme de la comparaison internationale, tantôt en mettant en exergue sa singularité propre. Il est pour le moins ironique, pour ne pas dire paradoxal, que ces connaissances, produites dans une pléthore de langues autres que le français ou l’anglais, restent d’ordinaire inaccessibles aux principaux intéressés.
Les travaux essentiels de Matteo Sanfilippo tombent malheureusement trop souvent dans cette catégorie. L’historien italien compte pourtant depuis longtemps parmi les grands spécialistes du régime seigneurial au Canada. À cette expertise s’en ajoute une autre que sa curiosité, sans jamais désarmer, l’a conduit à développer, et qu’il conviendrait d’appeler l’histoire « romaine » du Canada. En effet, le professeur Sanfilippo a aussi consacré une part considérable de son projet intellectuel à pénétrer les arcanes du Vatican afin de mieux situer l’histoire politique et institutionnelle du catholicisme canadien-français dans son contexte ecclésiastique transatlantique plus large. Passer avec une facilité aussi déconcertante de la féodalité laurentienne aux querelles religieuses qui ont ponctué l’histoire du Canada jusqu’au
xx
e siècle, cela requiert un souffle et une érudition que seuls quelques rares chercheurs possèdent vraiment.
Le professeur Sanfilippo continue, depuis plus d’un quart de siècle, de produire une œuvre qui fait de lui un véritable passeur culturel et intellectuel. Ce faisant, il a noué des liens nombreux et durables avec plusieurs collègues d’ici, qui reconnaissent en lui un ami du Québec et du Canada français. La traduction en langue française de Il feudalesimo nella valle del San Lorenzo, ouvrage d’abord paru en 2008, tombe à point nommé, au vu du regain d’intérêt auquel nous assistons actuellement pour la « question » seigneuriale. En donnant une seconde vie à cette belle synthèse d’historiographie, qui est aussi, faut-il le mentionner, une étude d’histoire intellectuelle fort pénétrante, Arnaud Montreuil et Olivier Guimond contribuent puissamment, à leur tour, à construire de nouvelles passerelles entre les chercheurs de part et d’autre de l’Atlantique. Aussi faut-il remercier et féliciter de leur initiative ces deux jeunes chercheurs dynamiques, qui ont compris très tôt la fécondité d’une démarche qui ambitionne d’engendrer, par-delà la langue, la culture et la distance, les conditions d’un dialogue intellectuel transnational. À titre de directeur de la collection « Amérique française », je m’enorgueillis de l’inclusion de cet ouvrage dans notre catalogue.
Michel Bock
Université d’Ottawa
Avant-propos
En ouvrant ce livre, les lectrices et lecteurs découvriront l’essai le plus détaillé écrit jusqu’à présent sur l’historiographie du féodalisme dans la vallée du Saint-Laurent¹. Elles et ils iront aussi à la rencontre d’un auteur trop peu connu du lectorat francophone : Matteo Sanfilippo, aujourd’hui professeur à l’Université de la Tuscia, à Viterbe en Italie.
La publication de la traduction de l’ouvrage Le féodalisme dans la vallée du Saint-Laurent est, tout comme son sujet, le fruit d’une série de traversées de l’Atlantique. Les premières de ces traversées, les plus importantes d’entre toutes, ont été celles qu’a entreprises Matteo Sanfilippo lui-même. Elles ont d’abord été intellectuelles : Matteo Sanfilippo a commencé à s’intéresser à la question complexe de la féodalité laurentienne pour sa tesi di laurea en 1980, et il a mis à profit sa tesi di specializzazione, soutenue en 1982, pour approfondir sa connaissance du sujet. L’auteur a ensuite décidé d’entreprendre une thèse de doctorat consacrée à l’étude des fiefs du Saint-Laurent, un projet qui a entraîné une troisième traversée, bien réelle celle-là. C’est en effet à cette occasion que Matteo Sanfilippo a été accueilli à l’Université d’Ottawa pour un long séjour par Fernand Ouellet, qui travaillait alors sur le régime seigneurial dans la longue durée, par-delà la césure politique de la Conquête britannique. À Ottawa, Matteo Sanfilippo a également fait la connaissance de son collègue Serge Jaumain (aujourd’hui professeur à l’Université libre de Bruxelles), et tous deux ont entrepris, avec les encouragements de Fernand Ouellet, de faire un premier bilan des historiographies francophone et anglophone sur le régime seigneurial laurentien². Ce séjour de recherche a amorcé une période de travaux féconds, qui s’est traduite par la publication soutenue d’articles scientifiques et qui a été couronnée en 1989 par l’obtention du grade de docteur par l’auteur³.
Matteo Sanfilippo n’a pas immédiatement cherché à publier sa thèse de doctorat. Même s’il a continué à travailler à de multiples reprises avec Serge Courville et ses collaborateurs, l’auteur du Féodalisme dans la vallée du Saint-Laurent s’est plutôt tourné vers un nouvel objet de recherche, l’histoire de l’immigration italienne, qui a donné lieu à de nombreuses parutions en italien, en français et en anglais depuis les années 1990. En 2005, une invitation de Gaetano Platania à participer à un colloque sur l’Europe et ses périphéries au
xvi
e siècle⁴ a cependant offert à Sanfilippo l’occasion parfaite de revisiter sa thèse de doctorat pour en préparer la publication. L’historien et canadianiste italien a alors pris la décision de scinder sa thèse en deux volumes, qui sont deux projets éditoriaux distincts, mais complémentaires : le premier volume, intitulé Dalla Francia al Nuovo Mondo : feudi e signorie nella valle del San Lorenzo, porte sur la réalité historique du féodalisme dans la vallée du Saint-Laurent, de son implantation jusqu’à son abolition légale en 1854; le second ouvrage, dont la lectrice ou le lecteur tient la version traduite par Arnaud Montreuil entre ses mains, est un essai historiographique retraçant l’histoire des idées et des discours que tinrent sur le féodalisme les érudits du
xix
e siècle et les historiennes et historiens des
xx
e et
xxi
e siècles. Mais seul le public italien et italophone a pu pleinement profiter de cette publication double, les appels à le traduire en anglais ou en français étant restés lettre morte pendant un certain temps⁵.
Une deuxième série de traversées réelles et intellectuelles de l’Atlantique a nourri le projet de traduction de l’ouvrage Le féodalisme. C’est en effet pendant un séjour de recherche du traducteur à l’École française de Rome en juillet 2019 que s’est prise la décision de rendre accessible au lectorat francophone l’ouvrage de Matteo Sanfilippo. L’élégance de la langue italienne, la perspective de contribuer à l’historiographie de la Nouvelle-France et l’insistance encourageante d’Olivier Guimond nous ont convaincus de présenter à Matteo Sanfilippo notre projet de traduction. Il l’a accepté avec empressement et nous l’en remercions ici avec sincérité. Notre gratitude va également à Madame Kouky Fianu et à Monsieur Benoît Grenier, qui ont accepté de relire avec attention le manuscrit de la traduction, à Monsieur Michel Bock, qui a soutenu notre projet et qui a accepté de nous faire une place dans la collection qu’il dirige, ainsi qu’aux équipes des PUO et du CRCCF pour l’ensemble du processus de publication. Nous tenons aussi à remercier le Département d’histoire de l’Université d’Ottawa qui a rendu possible, par l’entremise du fonds Claire Boudreau, l’élaboration de l’index.
Les lectrices et lecteurs constateront très vite qu’en dépit de la vingtaine d’années qui sépare la défense de la thèse de doctorat de Matteo Sanfilippo et sa publication, et malgré les quelque douze ans qui se sont écoulés entre la parution italienne et sa traduction française, Le féodalisme dans la vallée du Saint-Laurent demeure d’une actualité incontestable. Il vient en effet combler un vide historiographique réel, d’autant plus que l’étude de l’histoire de la féodalité laurentienne a connu un regain d’intérêt marqué dans les dernières années, quoique les questions posées par les chercheurs aient changé. C’est pourquoi nous, les éditeurs de cet ouvrage, avons fait le choix d’ajouter une postface à la version française du livre de Sanfilippo dans laquelle nous retraçons l’évolution substantielle qu’a connue l’historiographie sur le régime seigneurial laurentien depuis le début du
xx
e siècle. Nous avons également pris l’initiative d’ajouter une bibliographie exhaustive des très nombreux travaux cités par Sanfilippo comme par nous-mêmes. Nous espérons ainsi faire du présent ouvrage un instrument de travail pour toutes les historiennes et tous les historiens de la Nouvelle-France et du régime seigneurial, peu importe leur degré de maîtrise du sujet, et même si elles et ils ne sont pas francophones.
La thèse défendue par Sanfilippo dans Le féodalisme est à la fois puissante et concise. Pour l’historien italien, les racines des principales interprétations qu’ont proposées les historiens francophones et anglophones au sujet de la seigneurie laurentienne plongent directement dans l’incertitude des lendemains de la Conquête dans la vallée du Saint-Laurent. À cette époque, les seigneurs canadiens, qui ignorent ce qu’il adviendra de leurs « propriétés » terriennes et du droit coutumier qui les régit, se voient non seulement contraints de justifier l’existence d’une tenure issue de la féodalité française dans une colonie désormais britannique, mais aussi de faire connaître cette tenure aux nouvelles autorités coloniales. C’est donc dans des traités de droits coutumiers de la fin du
xviii
e siècle, écrits par des auteurs comme le seigneur et juriste François-Joseph Cugnet⁶, que la singularité du régime seigneurial canadien est pour ainsi dire « inventée ». Pour les successeurs de Cugnet, la seigneurie est certes issue des institutions de la France médiévale, mais elle a été assouplie en contexte colonial, en plus d’avoir été d’une grande utilité et largement appréciée de la population. Cette vision, ab ovo politique, fut immédiatement reprise par les seigneurs, puis par les députés canadiens, et elle devint en fait un rempart rhétorique contre l’abolition du régime seigneurial jusqu’au milieu des années 1850. Sanfilippo explique que, dans les années précédant l’abolition juridique de la seigneurie, même les juges et les politiciens qui étaient en faveur de la loi d’abolition véhiculaient l’idée que le « système⁷ » seigneurial canadien, désormais anachronique à l’ère du capitalisme industriel, avait été d’une grande utilité dans un contexte de colonisation et, surtout, bien différent de la « barbarie » du féodalisme français. À la fois défenseurs du « progrès », débiteurs du système seigneurial et amis de ceux qui, en 1854, tenaient encore mordicus à leurs privilèges de seigneurs, les politiciens et les juristes bas-canadiens du milieu du
xix
e siècle participèrent à l’élaboration d’un projet de loi modéré et éminemment favorable aux seigneurs, dont la perte des droits onéreux fut compensée et auxquels les droits de propriété absolue sur les terres seigneuriales non concédées furent reconnus.
C’est dans le sillage de la remise en question de la seigneurie laurentienne et de son abolition progressive et modérée (fin
xviii
e siècle-1854) que furent produits les documents qui formèrent le corpus dont se saisirent les historiens francophones et anglophones jusqu’au dernier tiers du
xx
e siècle⁸. Tout se passe comme si, en reprenant un corpus fondu dans le creuset d’un débat politique opposant les partisans aux adversaires de la seigneurie, les historiens de cette période réactualisaient et prolongeaient dans leurs propres travaux les visions angéliques et diaboliques de la seigneurie caractéristiques du débat sur l’abolition, pour les embrigader dans la lutte intellectuelle nationaliste sur la place et l’avenir du Canada français, puis du Québec au sein du Canada⁹. S’il existe, depuis les années 1970-1980, un consensus scientifique renvoyant dos à dos les visions folklorisantes positives et négatives de la seigneurie laurentienne allant de Gaspé à Trudel, prolongées dans le débat sur la « modernité » du Bas-Canada, force est cependant de constater que la conception irénique de la seigneurie persiste dans l’éducation primaire et secondaire ainsi que dans la mémoire collective. L’immense mérite de l’essai de Sanfilippo est d’expliquer en détail et de façon limpide ce processus méconnu, bref, de faire sens de la vaste historiographie francophone et anglophone portant sur le régime seigneurial laurentien dans le but d’en comprendre les fondements historiques, politiques et conceptuels. À l’heure où la recherche sur l’histoire du régime seigneurial connaît un réel dynamisme dans le monde universitaire (voir la postface), il a semblé plus que jamais nécessaire de faire connaître les hypothèses de Sanfilippo au lectorat francophone.
Notre vœu est que Le féodalisme rejoigne la récente lignée de travaux fouillés et synthétiques qui renouvellent la compréhension de l’histoire seigneuriale auprès des universitaires et du grand public. Nous souhaitons qu’il soit à l’historiographie et à l’histoire intellectuelle ce qu’est à l’histoire sociale, économique et culturelle la Brève histoire du régime seigneurial, parue en 2012 sous la plume de Benoît Grenier¹⁰. Cette synthèse a comme objectif d’offrir une histoire du régime seigneurial de la vallée du Saint-Laurent qui repose sur les acquis de l’historiographie des années 1970 à 2010. Nous espérons ainsi contribuer à rompre une fois pour toutes avec les discours politiques et éthiques sur la seigneurie laurentienne, qui peuplent encore aujourd’hui à tort les manuels scolaires et certains ouvrages de vulgarisation, et mettre en évidence la nécessité de poursuivre l’étude de la féodalité dans la vallée du Saint-Laurent en conformité avec le but premier de l’histoire, qui est d’expliquer scientifiquement l’actualisation, la reproduction et la transformation des sociétés dans le temps.
Ce livre est le résultat de plusieurs excursions intellectuelles hors des sentiers battus : c’est le fruit du parcours d’un jeune chercheur italien qui part à la découverte du Canada, qui y noue des amitiés intellectuelles et qui offre aux historiens du féodalisme, de la Nouvelle-France et du Bas-Canada un essai historiographique unique, fouillé et original; c’est le fruit du parcours d’une autre génération de jeunes chercheurs qui partent à la découverte de l’historiographie canadienne écrite en italien, avec la confiance et la bénédiction de l’auteur de cet essai historiographique; enfin, c’est la confluence des travaux d’un doctorant travaillant, entre autres, sur l’aristocratie italienne du
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e siècle et d’un doctorant menant des recherches sur la question seigneuriale au Bas-Canada et au Québec au
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e siècle. En ce sens, la traduction française d’Il feodalesimo nella valle del San Lorenzo est aussi un plaidoyer pour l’écriture internationale, plurilingue et interdisciplinaire de l’histoire de la Nouvelle-France et du féodalisme laurentien.
Arnaud Montreuil
Olivier Guimond
1Dans son ouvrage, Matteo Sanfilippo a fait le choix de parler de féodalisme. Il ne définit pas précisément cette notion, mais on peut poser l’hypothèse que dans le contexte historiographique des années 1980, le concept de féodalisme désigne un mode de production dont le fonctionnement diffère du capitalisme. Nous endossons à notre tour l’usage du mot féodalisme qui, indépendamment du contexte historiographique actuel, renvoie à l’organisation historique des sociétés occidentales pendant la période médiévale et à une forme d’organisation socioéconomique spécifique portant à la fois sur la terre et les hommes. Par ailleurs, signe qu’elle est loin d’être caduque, la notion de féodalisme connaît aujourd’hui un regain certain, notamment pour questionner les nouvelles formes de propriété numérique (voir Cédric Durand, Le techno-féodalisme : critique de l’économie numérique, Paris, Éditions Zones, 2020, p. 179-226).
2Serge Jaumain et Matteo Sanfilippo, « Le régime seigneurial en Nouvelle-France : un débat historiographique », The Register, vol. 5, no 2 (1984), p. 226-247.
3Serge Jaumain et Matteo Sanfilippo, « Le régime seigneurial en Nouvelle-France vu par les manuels scolaires du Canada », CCF, no 4 (1987), p. 14-26 ; Matteo Sanfilippo, « Le régime seigneurial au Bas-Canada dans l’historiographie anglophone », The Register, vol. 6, no 1 (printemps 1985), p. 80-89 ; Matteo Sanfilippo, « Du féodalisme au capitalisme ? Essai d’interprétation des analyses marxistes de la Nouvelle-France », HS = SH, vol. XVIII, no 35 (mai 1985), p. 85-98 ; Matteo Sanfilippo, « Il marxismo e la storiografia canadese: il dibattito sulle strutture economiche della Nuova Francia », dans Luca Codignola et Raimondo Luraghi (dir.), Canada ieri e oggi, t. III : Sezione storica, Selva di Fasano, Schena Editore, 1986, p. 251-260 ; Matteo Sanfilippo, Europa e America: La colonizzazione anglo-francese, Florence, Giunti, 1990 ; Matteo Sanfilippo, « La Loi des fiefs
nella Nuova Francia », Annali Accademici Canadesi, vol. VII (1991), p. 81-91.
4Voir Gaetano Platania (dir.), L’Europa di Giovanni Sobieski: cultura, politica, mercatura e società, Viterbe, Sette Città, 2005.
5Voir, par exemple, la recension de Luca Codignola dans RHAF, vol. 62, no 2 (septembre 2008), p. 309-313.
6Sur la vie et l’œuvre de Cugnet, on consultera avec profit Ghyslain Raza, François-Joseph Cugnet et la formation de la tradition juridique québécoise, mémoire de maîtrise (droit), Montréal, Université McGill, 2020.
7N. D. É. L’utilisation du terme « système » (sistema) par Sanfilippo dans les prochains chapitres appelle d’emblée une précision. En 2018, un débat sur la nature du « système » seigneurial entre Allan Greer, Benoît Grenier et Alain Laberge (voir la postface pour plus de détails) a mis en évidence des interprétations parfois divergentes de l’origine du régime seigneurial et de son existence en tant qu’objet systématisé, ou «