Rwanda
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEURE
Ancienne journaliste au Soir, auteure de nombreux ouvrages sur l’Afrique des Grands Lacs, Colette Braeckman sillonne le Congo et le Rwanda depuis des décennies.
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Aperçu du livre
Rwanda - Colette Braeckman
La revanche des mille collines
Les insomnies d’Imana
Depuis des années, je passais devant le musée de Butare sans m’arrêter. À la longue, j’avais l’impression d’avoir déjà vu et revu les clichés de l’époque coloniale, les guerriers, les danseurs aux coiffes de paille. Dans l’ancienne Astrida, la première ville fondée par le colonisateur, proche du Burundi, je n’avais plus envie de revoir les paniers tressés, pareils à ceux de la boutique de souvenirs, en face de l’hôtel Ibis. En ce dimanche après-midi de fin de saison sèche, alors que les passants semblaient encore revenir de la messe ou de visites familiales, je suis cependant retournée au musée.
Nicole, que je connaissais via des amis communs, m’y avait donné rendez-vous. Vêtue d’une longue robe aux couleurs vives, elle était accroupie sur un petit tabouret de bois et consultait son téléphone portable, comme la plupart des jeunes Rwandais que j’avais croisés depuis la frontière du Burundi, tous accrochés à leur tablette ou scotchés à leur écran. Lorsque Nicole se déplia de toute sa taille et entreprit de me guider à travers le musée, tout ce que je croyais savoir prit soudain un coup de vieux.
Alors que mes compatriotes, lorsqu’ils abordaient l’histoire du Rwanda, s’étaient toujours perdus dans de longues digressions, où se mêlaient féodalités, migrations et luttes intestines, la jeune femme, d’une voix claire, entreprit de me raconter l’histoire d’un peuple très ancien, rassemblé autour de ses rois depuis onze siècles. J’appris que le nom du pays lui-même – Rwanda – venait du terme kuu anda, qui signifie littéralement « dispersion ». Il désignait la progression d’un peuple dont chaque citoyen appartenait à un bataillon militaire chargé de défendre le pays ou de conquérir de nouveaux territoires.
Désignant un panneau illustrant l’ordre de succession des rois successifs, ma nouvelle amie m’expliquait que le nom de chacun de ces souverains indiquait le rôle qui lui avait été assigné. Kigeri, le roi censé ouvrir les hostilités et lancer la conquête, devait avoir pour successeur Mibambwe, poursuivant la guerre et stabilisant les territoires conquis. Mutara et Cyilima étaient, eux, chargés d’assurer la prospérité. Le dernier dans l’ordre de succession, Yuhi, était le roi du feu, chargé d’établir le lien entre les rois pasteurs et les guerriers.
À l’instar des lettrés d’autrefois qui transmettaient leur savoir en récitant de longs poèmes épiques, Nicole énumérait de mémoire la liste des rois et de leurs conquêtes. Elle soulignait que des linguistes avaient retrouvé dans toute la sous-région des Grands Lacs – jusque Lubumbashi, la capitale de l’actuelle province congolaise du Katanga et jusque Kisangani, capitale de la Province orientale, à l’orée de la forêt congolaise – des traces de la langue parlée par ce peuple de guerriers. Aux yeux de ces conquérants, la grande forêt équatoriale (dont les piliers, c’est-à-dire les arbres, soutenaient le ciel) qui s’avançait autrefois jusqu’au Masisi – au cœur de la province congolaise du Nord Kivu – marquait la fin du monde habité.
Rassemblés dans le même ordre que dans les vitrines du Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren¹, les objets usuels, paniers de raphia, gobelets de bois, cloisons de paille délimitant l’enclos familial, racontent, au musée de Butare, l’histoire d’un très vieux peuple. Un peuple qui, jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, s’était suffi à lui-même et rejeta toutes les incursions étrangères, y compris celles des esclavagistes.
Les clichés jaunis, soigneusement encadrés, légués par les ethnologues et les explorateurs, permettent de comprendre la surprise éprouvée en 1894 par les premiers visiteurs allemands lorsqu’ils découvrirent des hommes de belle stature, qui les toisaient en abaissant sur eux un regard oblique. L’un des clichés le plus célèbre montre le comte von Götzen, envoyé spécial de l’empereur d’Allemagne, le premier à avoir traversé le Rwanda dans toute sa longueur, attendant d’être reçu en audience par le roi : de jeunes guerriers, s’exerçant au saut en hauteur, passent loin au-dessus de la tête du visiteur stupéfait.
« Tous les jeunes Rwandais, me précisa Nicole, appartenaient à des formations militaires et dans leurs académies, ils n’apprenaient pas seulement l’art de la guerre mais aussi l’histoire et les valeurs de leur peuple. » Il leur fallait aussi maîtriser la langue, converser avec élégance, réciter des poèmes épiques retraçant les hauts faits des rois successifs. Un héritage qui n’est pas oublié. « De nos jours encore, conclut-elle, les jeunes, à la fin du secondaire, doivent suivre durant l’été une session d’amatorero, où des anciens appelés à la rescousse leur rappellent l’histoire de leur pays et les valeurs de leur peuple, dont le courage, le sens du respect, de la dignité. »
Durant des heures, alors que la brume enveloppait cette fin de dimanche, la jeune fille m’a longuement parlé d’un Rwanda ancien, harmonieux, où celui que l’on appelait Imana, le dieu unique, fondateur et symbole de l’unité de son peuple, revenait dormir chaque nuit. Au-dessus de l’arboretum qui en 1994 abrita tant de crimes, je croyais entendre résonner les tambours royaux. Quel contraste avec ce que j’entendais avant 1994, où les guides inspirés par la lecture belge de l’histoire insistaient sur la complexité du pays, recouraient aux objets exposés pour mettre l’accent sur le fossé qui séparait les agriculteurs hutus, les éleveurs tutsis et les pygmées Twas, forgerons ou devins.
Perdue dans mes pensées, écartelée entre l’histoire racontée dans ce musée rénové et le souvenir des enseignements d’autrefois, j’ai quitté le musée en longeant la grand-route sillonnée par les minibus et les motos taxis. J’ai flâné au rythme des étudiants qui déambulaient en direction de l’Université de Butare, dépassé l’hôtel Faucon à la façade marquée d’une plaque commémorative, puis l’hôtel Ibis.
Là, le propriétaire belge Michel Campion m’a raconté que le maire de la ville, au nom de la modernité, venait de l’obliger à dresser un deuxième étage au-dessus d’une terrasse ouverte sur la rue. Depuis les années 1930, lorsque le père de Michel s’était installé dans cette ville