Bioénergétique
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Bioénergétique
Bioénergétique
X. Leverve, E. Fontaine, F. Péronnet
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L’essentiel de la question
• L’énergie est une propriété de la matière lui permettant de se transformer en générant un travail, ou à
l’inverse de se transformer comme résultat d’un travail.
• La réalisation des processus biosynthétiques repose sur le couplage énergétique : ce qu’un système perd, un
autre le gagne, la somme algébrique de l’ensemble étant toujours négative.
• Les réactions d’oxydoréduction, sources d’énergie prédominantes dans notre système biologique, sont des
échanges d’électrons : une oxydation est une perte d’électron(s), une réduction, un gain d’électron(s), et ce
transfert d’électrons s’accompagne d’une variation d’énergie libre.
• Le métabolisme anaérobie impose d’éliminer dans le milieu extérieur les équivalents réduits produits (sous
forme de lactate ou d’éthanol par exemple).
• Dans les organismes aérobies, le lactate produit au cours de réactions anaérobies locales est recyclé et oxydé
dans le cycle de Krebs.
• Les cycles futiles représentent une dépense énergétique très difficile à évaluer. Au-delà du problème des varia-
tions de rendement, ils représentent des nœuds de régulation extrêmement importants permettant de
moduler la rapidité ou l’efficacité des voies métaboliques.
• Le métabolisme de repos est de l’ordre de 40 kcal.m–2.h–1 chez l’adulte.
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Chapitre 2 : Bioénergétique
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■ Traité de nutrition artificielle de l’adulte
apparaissait sur Terre, conséquence de la dégradation de part et d’autre de la membrane un gradient de concen-
l’eau en hydrogène et oxygène sous l’effet de la lumière. tration en protons (fig. 2). De même que l’eau contenue
L’agression intense qu’a représenté l’apparition de l’oxy- dans un barrage constitue une forme d’énergie pouvant
gène sur Terre, du fait de son pouvoir oxydant considé- être transformée en électricité, ce gradient de concentra-
rable, a été responsable de la disparition d’un grand tion représente un potentiel important qui est utilisé
nombre de formes vivantes, la présence d’organelles pour la synthèse d’ATP grâce à un autre complexe enzy-
douées de la capacité de réduire l’oxygène (mitochon- matique, l’ATP synthétase.
dries, peroxysomes) ayant vraisemblablement repré-
senté un élément important de protection (3). Un La mitochondrie est le lieu
complexe multi-enzymatique spécifique, la chaîne respi- de déclenchement de la mort cellulaire
ratoire, catalyse la réaction : Parmi de très nombreuses propriétés, en rapport avec
l’oxydation phosphorylante, la mitochondrie est liée de
NADH + H+ + 1/2 O2 → H2O + NAD+ + énergie,
manière intime aux processus qui régulent le déclenche-
la plus grande partie de cette énergie étant utilisée pour ment de la mort cellulaire par apoptose. Ces processus
la synthèse d’ATP : c’est l’oxydation phosphorylante. sont en rapport avec le déclenchement d’un phénomène
L’énergie libérée lors de la combustion de l’hydrogène particulier : la perméabilité transitionnelle de la mem-
est utilisée par la chaîne respiratoire pour expulser des brane mitochondriale interne sous l’effet du calcium, du
protons de la matrice vers le cytosol, ce qui génère de stress oxydant et de différents autres phénomènes.
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Chapitre 2 : Bioénergétique
La libération de l’espace intermembranaire vers le cyto- relatives (syndrome de basse T3 au cours du jeûne pro-
plasme de différentes protéines proapoptotiques, longé par exemple).
comme le cytochrome c, déclenche une cascade d’activa- Par ailleurs, l’imperméabilité de la membrane mito-
tion de protéines particulières, les caspases, conduisant à chondriale aux protons, base du couplage entre respira-
la mise en route des phénomènes nucléaires caractéris- tion et phosphorylation, n’est pas absolue. La ré-entrée
tiques de l’apoptose. passive de protons, c’est-à-dire en dehors de l’ATP syn-
thase, ne conduit pas à la synthèse d’ATP : l’énergie est
Rendement de la synthèse aérobie d’ATP : dissipée sous forme de chaleur (fig. 2). En fonction de
le rapport ATP/O son importance, ce phénomène, appelé découplage (ou
Le rendement de l’oxydation phosphorylante peut être leak), a pour conséquence de moduler le rapport ATP/O.
assimilé au rapport entre la quantité d’ATP produite et La première démonstration physiologique de ce phéno-
la quantité d’oxygène consommée (rapport ATP/O). On mène a été liée à la découverte du rôle de la graisse brune
considère classiquement que ce rapport est de 3 pour le et de la thermogénine (Uncoupling Protein – UCP).
NADH et de 2 pour le FADH2. Ceci tient à ce que le Depuis cette découverte, d’autres protéines décou-
potentiel redox du FADH2 est inférieur à celui du plantes (UCP2 et UCP3) ont contribué à renforcer
NADH. On voit bien sur la figure 2 que les électrons encore l’intérêt porté à ce mécanisme. L’étude de ce
fournis par le FADH2 entrent au niveau du second com- domaine est en pleine expansion car, selon les tissus
plexe de la chaîne respiratoire et que, de ce fait, ils n’ont impliqués (tissu adipeux blanc, muscle, macrophages,
que deux sites de couplage au lieu de trois lorsque le foie), différentes voies métaboliques ou de grandes fonc-
donneur d’électrons est le NADH. tions physiologiques pourraient être régulées par ajuste-
ment du rendement, comme le contrôle de l’obésité ou
la production de radicaux libres de l’oxygène par
Selon que les substrats produisent une proportion exemple (6-10). On a également montré que la perméa-
plus ou moins grande de FADH2 par rapport au bilité de la membrane mitochondriale pourrait varier en
NADH (1/6 pour le glucose et 2/6 pour les acides fonction de la teneur en acides gras poly-insaturés du
gras), le rendement de la synthèse d’ATP (rapport régime (11, 12).
ATP/O) varie. Enfin, le dernier mécanisme capable de modifier le
rapport ATP/O est la variation du couplage des pompes
membranaires (chaîne respiratoire et ATP synthétase).
La membrane mitochondriale est imperméable aux Sans entrer dans le détail de mécanismes complexes (12,
équivalents réduits et le potentiel redox ne peut être 13), il faut mentionner que, in vitro, on a pu montrer
transféré de l’autre côté de celle-ci que grâce à deux sys- que certains anesthésiques (halothane, chloroforme,
tèmes échangeurs : la navette malate-aspartate ou la bupivacaïne) et médicaments (almitrine) peuvent
navette glycérol-3-phosphate/dihydroxyacétone phos- modifier le couplage des pompes membra-
phate (4). Ces deux navettes ne sont pas équivalentes : la naires (15, 16).
première régénère du NADH dans la mitochondrie,
tandis que la seconde fournit du FADH2. Puisque le
NADH fournit à la chaîne respiratoire 50 % d’énergie de Intérêt des modifications de rendement
plus que le FADH2, l’utilisation de l’une ou l’autre de ces Si, au premier abord, il est clair que toute baisse du rap-
deux navettes a pour conséquence d’influencer le port ATP/O représente une perte d’efficacité, car il faut
rapport ATP/O. Il est important de signaler que la davantage d’oxygène et de substrats réduits pour la
concentration de l’enzyme clef de la navette glycérol-3- même synthèse d’ATP, la possibilité de dissocier respira-
phosphate/dihydroxyacétone phosphate, la glycérol-3- tion (oxydation) et phosphorylation peut offrir diffé-
phosphate déshydrogénase mitochondriale, est rents avantages.
fortement influencée par les hormones thyroïdiennes Le premier est la production de chaleur, comme cela
qui jouent un rôle dans sa transcription (5). Ceci a été bien mis en évidence dans le tissu adipeux
explique, au moins en partie, l’augmentation du méta- brun (17). Initialement découvert chez les mammifères
bolisme de base dans les hyperthyroïdies, voire l’amélio- hibernants, ce tissu a pour rôle, non pas de stocker des
ration du rendement dans certaines hypothyroïdies lipides, mais de les consommer in situ pour produire de
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■ Traité de nutrition artificielle de l’adulte
la chaleur. Les adipocytes qui le composent possèdent Pour les protéines, du fait de leurs compositions très
des mitochondries spécialisées porteuses d’une protéine variables, on utilise une protéine standard
intramembranaire découplante, la thermogénine ou [Kleiber (20)] :
UCP qui est un canal à protons. Sous certaines condi- • C100 H159 O32 N26 S0,7 + 105,3 O2 → 87 CO2 + 53,5 H2O
tions, celui-ci permet de dissiper le gradient de protons, + 13 CO(NH2)2 + 0,7 SO3 + 10 619 kcal.mole–1
de sorte que toute l’énergie libérée au niveau de la chaîne
respiratoire se transforme en chaleur. En supposant que les équivalents réduits fournissent
une quantité d’ATP constante (3 ATP pour un NADH et
2 ATP pour un FADH2) et en tenant compte de la pro-
Les membranes des mitochondries des mammi- duction d’ATP par phosphorylation au niveau du sub-
fères diffèrent de celles des reptiles par leur imper- strat (glycolyse et cycle de Krebs), on peut calculer la
méabilité aux protons, moindre chez les quantité d’ATP formée lorsque chaque type de substrat
mammifères, et par leur richesse en acides gras est oxydé. Les résultats de ces calculs sont rapportés dans
poly-insaturés supérieure chez les mammi- le tableau I (21). On peut ainsi déterminer le rendement
fères (10). D’un côté, la différence de rendement, bioénergétique (quantité d’énergie libre récupérée sous
du fait de la plus grande imperméabilité est à l’a- forme d’ATP) : la combustion d’une mole de glucose
vantage des reptiles, mais la production de chaleur libère 697 kcal tandis que les 38 moles d’ATP générées
plus importante chez les mammifères peut repré- (38 × 12 kcal) correspondent à 456 kcal, soit un rende-
senter un avantage certain, par exemple dans le ment de 0,65.
maintien de l’homéostasie thermique corporelle
quelle que soit la température de l’environnement. Métabolisme énergétique anaérobie
Classiquement, on admet qu’un sujet adulte utilise et
resynthétise quotidiennement sa propre masse d’ATP.
Par ailleurs, la diminution du rapport ATP/O liée au En supposant que celui-ci ne provienne que du glucose,
découplage peut présenter des effets anti-radicalaires. En on peut calculer que l’oxydation complète de 650 g de
effet, du fait de son grand pouvoir oxydant, l’oxygène est un glucose permet la synthèse de 70 kg d’ATP. En l’absence
substrat de choix pour la synthèse aérobie d’ATP. de mitochondries, et donc d’oxydation phosphorylante,
Cependant, un tel pouvoir oxydant peut devenir un il faudrait utiliser environ 13 kg de glucose pour obtenir
inconvénient majeur en cas de réactions d’oxydation la même quantité d’ATP. On voit bien l’avantage consi-
incontrôlées (excès de production de radicaux libres, voir dérable de la production aérobie d’ATP, la présence de
chapitre 20). À côté de l’effet antioxydant de très nombreux mitochondries permettant une économie considérable
composés (vitamines E et C, sélénium, etc.) ou de systèmes de substrat. Si la production extramitochondriale
enzymatiques spécifiques (superoxydes dismutases, glutha- d’ATP est quantitativement mineure (environ 5 %), elle
tion peroxydase, catalase), le maintien d’une pression par- joue un rôle qualitatif important et de mieux en mieux
tielle d’oxygène cellulaire très basse (favorisée par le reconnu. En effet, du fait des phénomènes de comparti-
« découplage » des mitochondries) pourrait également mentation cellulaire, certaines fonctions dépendent
jouer un rôle dans cette protection anti-radicalaire (18, 19). plutôt de l’ATP glycolytique et d’autres de l’ATP mito-
chondrial (voir plus loin). La formation extramito-
Production aérobie d’ATP chondriale d’ATP est classiquement qualifiée
Sans tenir compte des variations du rapport ATP/O que d’anaérobie, et on distingue la production anaérobie
l’on vient de décrire, et dont l’amplitude physiologique lactique (glycolyse) et alactique (adénylate kinase et
n’est d’ailleurs pas bien connue, on estime habituelle- créatine kinase).
ment la production d’ATP à partir de l’oxydation com-
plète des différents nutriments à l’aide des équations
Métabolisme énergétique
d’oxydation suivantes :
anaérobie alactique
• glucose C6 H12 O6 + 6 O2 → 6 CO2 + 6 H2O
La première voie métabolique énergétique anaérobie
+ 697 kcal.mole–1
alactique est la réaction :
• acide palmitique C16 H32 O2 + 23 O2 → 16 CO2
+ 16 H2O + 2 480 kcal.mole–1 • ADP + ADP ↔ ATP + AMP
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Chapitre 2 : Bioénergétique
Tableau I - Consommation d’oxygène, production d’ATP et de déchets (et leurs équivalents énergétiques) pour chaque substrat.
La protéine utilisée est une protéine standard (16). La production d’ATP a été calculée en admettant (i) que l’oxydation de
1 NADH (qu’il soit d’origine mitochondriale ou cytosolique) fournit 3 ATP ; (ii) que l’oxydation de 1 FADH2 fournit 2 ATP ; et
que (iii) le ATP formé au niveau du cycle de Krebs est équivalent à l’ATP.
ATP synthétisé
en mol/mol 38 129 450
en kcal/mol 456 1 548 5 400
rendement 0,65 0,62 0,51
Catalysée par l’adénylate kinase (myokinase dans le couplages enzymatiques qui permettent d’augmenter
muscle), cette réaction est quantitativement mineure l’efficacité du transport de l’ADP et de l’ATP à travers la
quant à l’ATP produit, mais son intérêt est surtout de membrane mitochondriale externe et de « guider » les
diminuer la concentration d’ADP en cas de baisse d’ATP, flux d’énergie dans la cellule entre sites de production et
ce qui permet de maintenir le potentiel phosphate sites de consommation (23, 24, 25).
(ATP/ADP.Pi), au prix d’une réduction de la somme
ATP + ADP proportionnelle à la formation d’AMP. Métabolisme énergétique
Quand la demande énergétique est élevée, l’AMP ainsi anaérobie lactique
formé active certaines voies métaboliques énergétiques La glycolyse (glucose-pyruvate) est par définition
comme la glycolyse (phosphofructokinase) (22). anaérobie. Lorsqu’on parle de glycolyse aérobie, on fait
À l’exception notable du foie, la plupart des tissus allusion au devenir du pyruvate…, ce qui n’est plus la
possèdent un autre composé « riche en énergie » à côté glycolyse. La glycolyse ne libère environ que 7 % de
de l’ATP : la phosphocréatine (PCr). Il s’agit de la forme l’énergie contenue dans une molécule de glucose
phosphorylée de la créatine (Cr) selon la réaction : (47 kcal.mole–1), avec production de deux molécules
d’ATP par molécule de glucose, et ceci sans utiliser
• PCr + ADP ↔ Cr + ATP
d’oxygène. Cette source d’énergie est la seule possible
Cette réaction, catalysée par la créatine kinase, est pour les hématies qui sont dépourvues de mitochon-
très proche de l’équilibre (rendement énergétique voisin dries (fig. 3). D’un point de vue quantitatif, ce méta-
de 100 %). La PCr est, d’une part, une réserve d’énergie bolisme n’est pas négligeable à l’échelle de l’organisme
permettant d’amortir des variations importantes et bru- dans son ensemble, si l’on considère que les hématies
tales de la consommation d’ATP (par exemple au cours représentent un « organe » anaérobie de 2,5 kg
de l’initiation de l’effort). Mais, d’autre part, le couple environ. Les cellules transparentes de la cornée sont
PCr/Cr est impliqué dans différents mécanismes de également dépourvues de mitochondries et dépendent
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■ Traité de nutrition artificielle de l’adulte
de ce fait également d’un métabolisme strictement tats expérimentaux sont très en faveur d’une compar-
anaérobie. Enfin, certains tissus très peu vascularisés timentation cellulaire, l’ATP fourni par la glycolyse
comme les cellules de la médullaire rénale, transitoire- (extramitochondrial) et celui fourni par l’oxydation
ment hypoxiques ou avec un déséquilibre entre phosphorylante (mitochondrial) ne jouant pas le
demande et offre, comme le tissu musculaire à la phase même rôle. Dans le myocarde, on a pu montrer que
initiale du mouvement et au cours des exercices l’énergie nécessaire à la contraction était préférentiel-
intenses, sont également très dépendants de la produc- lement fournie par l’ATP d’origine mitochondriale,
tion anaérobie d’ATP. Mais, même dans les tissus tandis que l’énergie nécessaire à l’entretien du poten-
« oxydatifs », la production d’ATP par la voie glycoly- tiel de membrane l’était plutôt par l’ATP d’origine
tique est qualitativement importante. Différents résul- glycolytique (fig. 4) (25). Au cours de diverses situa-
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Chapitre 2 : Bioénergétique
Fig. 4 - Rôle central du pyruvate dans l’homéostasie énergétique cellulaire : complémentarité des diverses sources.
Le contrôle de la production anaérobie d’ATP est effectué en partie au niveau de la phosphofructokinase (1), enzyme dépen-
dante de nombreux paramètres et en particulier du pH (voir chapitre Équilibre acido-basique) ainsi que par le niveau énergé-
tique cellulaire. Le pyruvate formé à trois devenirs possibles : l’oxydation mitochondriale (2) qui permet de régénérer les
équivalents réduits (NADH) en NAD ; la réduction en lactate permettant d’exporter les équivalents réduits inutilisables en
dehors de l’oxydation phosphorylante (3) et la transamination en alanine.
tions pathologiques, comme l’hypoxie chronique, la Parallèlement à la synthèse d’ATP, la glycolyse libère
défaillance circulatoire, les modifications métabo- des équivalents réduits (NADH). La réduction du pyru-
liques liées à une croissance tumorale ou aux vate en lactate, bien que non directement liée à la pro-
agressions diverses (infectieuses, traumatiques, duction d’énergie, est indispensable pour que la
inflammatoires, etc.), la proportion entre production glycolyse se poursuive (fig. 4) grâce à la régénération de
glycolytique et mitochondriale d’ATP est modi- NAD+, dont le pool est limité. Lorsque le lactate ne peut
fiée (26-30). Récemment, il a été montré que l’éléva- être éliminé (ischémie), le déficit de la phosphorylation
tion de la production de lactate, au cours d’états oxydative a pour conséquence une diminution du
septiques ou d’agression, était surtout en rapport avec potentiel phosphate avec accumulation simultanée
ce mécanisme (31, 32). d’équivalents réduits.
21
■ Traité de nutrition artificielle de l’adulte
22
Chapitre 2 : Bioénergétique
La synthèse des différentes molécules utilisées par les ce cycle est actif, plus la synthèse de glucose est coûteuse en
cellules représente un coût énergétique important. On apparence. Cependant, ce coût en ATP est le prix à payer
connaît la consommation théorique d’ATP nécessitée pour la rapidité de la régulation de la gluconéogenèse :
par ces synthèses (36) : 6 ATP sont nécessaires pour syn- l’interruption brutale de ce cycle (inhibition de la pyru-
thétiser une molécule de glucose à partir de lactate, vate kinase par le glucagon par exemple) permet d’aug-
4 ATP pour une molécule d’urée à partir d’ammoniaque menter quasi instantanément la production de glucose
et d’aspartate, 4 ATP par acide aminé incorporé dans sans avoir à stimuler au préalable une machinerie méta-
une protéine, 1 ATP par élongation de deux carbones au bolique lourde (respiration, phosphorylation, transport,
cours de la lipogenèse, etc. En fait, il est beaucoup plus synthèse d’intermédiaires, etc.). De fait, le glucagon, qui
difficile de connaître le coût réel en ATP de ces synthèses inhibe la pyruvate kinase, stimule fortement la gluconéo-
in vivo. Ainsi, par exemple, la synthèse d’urée consomme genèse avec une très faible augmentation de la respiration
l’équivalent de 4 ATP, mais fournit aussi 1 NADH (régé- cellulaire (37). Cet exemple illustre le rôle essentiel joué
nération de l’aspartate) correspondant en théorie à la par les cycles futiles dans l’ajustement fin et rapide de
synthèse de 3 ATP. La synthèse d’urée ne coûterait in fine l’activité de nombreuses voies métaboliques (fig. 5).
qu’un seul ATP. Inversement, le coût réel de la synthèse
des protéines est supérieur au chiffre de 4 ATP par acide
aminé incorporé énoncé plus haut, car il faut également Les cycles futiles occasionnent une dépense éner-
tenir compte du coût énergétique de toutes les étapes en gétique considérable, bien que l’on ne sache pas
amont, telle que la synthèse et le transport des ARN. bien l’évaluer de façon précise. Selon les circons-
Enfin, la dégradation de certains constituants intracellu- tances et/ou les individus, la dépense pour une
laires est un phénomène énergétiquement coûteux. activité métabolique donnée peut varier de
L’exemple le plus connu est celui des protéines dont la manière importante.
dégradation est ATP dépendante quelle que soit la voie
(voir chapitre 6). L’ATP est consommé lors du marquage
des protéines à dégrader par l’ubiquitine, de la confec- Dans le même ordre d’idée, le cycle de Cori (forma-
tion des membranes des vacuoles (autophagie), du tion de lactate à partir du glucose dans les tissus péri-
maintien de l’acidité des lysosomes et plus généralement phériques – resynthèse de glucose à partir du lactate
des phénomènes de dégradation des constituants intra- dans le foie) est coûteux en énergie, mais présente des
vacuolaires (21). avantages métaboliques. Un glucose conduit à la forma-
Le dernier poste de dépense d’ATP est la contraction tion de deux ATP et de deux molécules de lactate, tandis
des myofibrilles. que la synthèse d’un glucose à partir de deux molécules
de lactate coûte six ATP (fig. 3). Ainsi, pour délivrer deux
ATP en périphérie, il en coûte six au niveau du foie. En
■ Une même activité biologique revanche, si on raisonne sur le plan qualitatif et non
peut avoir un coût variable en ATP quantitatif, on constate l’intérêt d’une telle voie métabo-
Nous avons vu que l’efficacité de l’oxydation phospho- lique : l’ATP produit à la périphérie est d’origine glyco-
rylante pouvait varier, ce qui modifie le coût énergétique lytique, tandis que l’énergie utilisée par le foie pour son
d’une production d’ATP donnée. De même, pour un métabolisme provient très majoritairement de l’oxyda-
poste de dépense donné, le coût en ATP peut varier. C’est tion des acides gras. Ainsi, le cycle de Cori permet de
tout le problème du coût de la régulation par les cycles fournir, in fine, de l’énergie provenant des lipides à des
dits futiles. tissus incapables de les métaboliser directement
Dans la gluconéogenèse à partir du lactate par (hématies par exemple) (38, 39).
exemple, l’équivalent de deux ATP est consommé lors de
la conversion du pyruvate en phosphoénolpyruvate ■ Dépense énergétique
(PEP), lequel peut être un substrat pour la gluconéo- Le métabolisme basal est difficile à déterminer de
genèse ou pour la pyruvate kinase conduisant à un retour manière rigoureuse, et on lui préfère le métabolisme de
au pyruvate initial. Toutefois, cette dernière réaction ne repos qui est de l’ordre de 40 kcal.m–2.h–1 chez l’adulte
régénère qu’un ATP : le cycle pyruvate-PEP-pyruvate est (surface en cm2 = 71,84 × H0,725 × M0,425, H = taille en
un cycle futile qui consomme un ATP à chaque tour. Plus cm et M = poids en kg).
23
■ Traité de nutrition artificielle de l’adulte
Fig. 5 - Représentation schématique de l’efficacité des cycles futiles dans la régulation métabolique.
Si l’on considère un cycle métabolique avec deux activités en miroir : le flux résultant net est représenté par la différence entre
les vitesses respectives [(A → B) – (B → A)]. Il est clair que ce flux net est indifférent à la vitesse réelle (110/100 versus 11/1
donnent le même résultat de 10). En revanche, si l’on inhibe ou si l’on active l’une des deux voies, le résultat sur le flux sera lar-
gement dépendant de la vitesse réelle du cycle. Ainsi, dans l’exemple ci-dessus, 10 % d’augmentation de l’activité enzymatique
est responsable d’une activation de plus de 100 % dans un cas et de 10 % dans l’autre.
Pour comparer différents individus, il faut rapporter très dénutris, la perte de masse corporelle, principa-
le métabolisme de repos à la masse totale, à la masse lement aux dépens du tissu adipeux et de la masse
maigre, à la surface corporelle, ou encore à la masse musculaire – tissus à faible dépense énergétique de
élevée à la puissance 0,75. Chacune de ces expressions repos – a pour conséquence, de surreprésenter les tissus
peut faire l’objet de critiques et ceci limite les comparai- à haute dépense énergétique. On peut ainsi faussement
sons entre individus très différents. Ainsi, chez les sujets conclure à un hypermétabolisme.
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Chapitre 2 : Bioénergétique
Comme le montre le tableau II, le foie, le cœur, les phase de croissance et 35 kcal. m–2.h–1 chez le sujet
reins et le cerveau consomment environ 60 % de l’éner- âgé), le sexe (10 % supérieur chez l’homme), la masse
gie totale, alors que leur masse n’est que de 5,5 % de tissu cellulaire actif, la température (10 % d’aug-
environ de la masse totale. mentation par °C), la prise alimentaire, l’état de
De très nombreux facteurs influencent la dépense veille, etc. (40) et, bien sûr, l’activité physique
énergétique : l’âge (55 kcal.m2.h–1 chez le nourrisson en (tableau III).
Tableau II - Contribution des principaux organes à la consommation basale d’oxygène et au poids corporel.
Ces valeurs sont approximatives, elles varient selon le sexe, l’âge et l’activité.
Foie 20 2,5
Cerveau 20 2,0
Cœur 10 0,5
Reins 10 0,5
Muscles 20 40,0
Tableau III - Dépense énergétique et puissance développée au repos et dans diverses situations physiologiques ou pathologiques.
Les chiffres indiqués sont des valeurs moyennes approximatives normalisées pour un jeune adulte masculin de 70 kg (selon le
rendement mécanique estimé entre 15 et 50 %).
Exposition au froid 370 kcal.3 h–1 moyenne : 150 W 5 °C, vent de 1 m/s,
pic : 350 W température rectale de 36,5 °C
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■ Traité de nutrition artificielle de l’adulte
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Chapitre 2 : Bioénergétique
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