Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

RRHA 2011 Art I.iancovescu

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 10

3

Rsum : Lidentit des zgraphes David et


Raduslav qui, en 1542-1543, ont ralis la
peinture de la bolnitsa du monastre de
Cozia, est controverse : force darguments
stylistiques, les chercheurs ont mis plusieurs
hypothses sur leur possible formation sud-
slave ou crtoise. Mais plusieurs dtails
iconographiques, savoir les mlodes qui
accompagnent la Dormition de la Vierge, ou
les saints militaires en habits longs rappellent
les modles byzantins. Les similitudes dj
enrgistres avec plusieurs monuments
balkaniques seraient donc plutt lhritage
dune tradition commune, que des emprunts
de la peinture contemporaine.
Les peintures de lglise-bolnitsa du
monastre de Cozia furent ralises,
conformment linscription votive du
narthex, en 1542-1543, par le zgraphe
David, aid par son fils Raduslav. Les
sources roumaines ne soufflent pas mot sur
lorigine de ces deux peintres, laissant aux
chercheurs la tche de lidentifier. Dj
Maria-Ana Musicescu affirmait lorigine
serbe des peintres et dnichait, dans leur
art, une longue tradition balkanique
1
.
Lorthographie du nom de Raduslav a
dtermin Carmen Laura Dumitrescu
attribuer les sources du style de ce peintre
une ambiance sud-slave
2
. son avis,
certains traits des fresques de Cozia
rappellent autant les anciens ensembles
muraux de Serbie et de Macdoine du XIV
e

sicle, que les peintures peu prs
contemporaines du catholicon des Mtores
3
.
Pourtant, elle attire lattention sur
lexcellente formation artistique du
zgraphe David, formation impossible
acqurir dans les milieux provinciaux de la
Macdoine contemporaine, du commence-
ment du XVI
e
sicle.


Pourtant, lorthographie du nom nest
pas ncessairement un indice sur lorigine
slave de Raduslav : dans sa signature, les
philologues
4
sont enclins voir la forme
roumaine dun nom slave. Seule, une
analyse iconographique et stylistique







DE NOUVEAU SUR LES PEINTURES
DE LGLISE-BOLNITSA
DU MONASTRE DE COZIA*
Ioana Iancovescu
minutieuse de ces peintures saurait,
finalement, esquisser lhorizon artistique
des deux matres de Cozia.
Certes, maints dtails iconographiques
pourraient inviter des analogies avec la
peinture serbe, savoir lAmnos ador par
des anges (Fig. 1), dans une formule
apparente la rdaction de Graanica.
Rcemment on a dmontr, pourtant, que
lorigine de cette image de lglise-bolnitsa
est due un emprunt de la peinture
originaire du XIV
e
sicle du catholicon du
monastre Cozia
5
, peinture qui hrite
directement de liconographie serbe.
La grande icne de la Dormition de la
Vierge, place sur le mur Ouest de la nef,
est accompagne par deux mlodes, st. Jean
Damascne et st. Thophane. Apparemment,
ils nont aucun rapport avec la Dormition,
car tourns vers lEst et non pas vers la
scne, et spars delle par deux scnes de
gurison intercales (Fig. 2, a-b). Mais les
textes en slave, prsents sur leurs
phylactres, sont des extraits de loffice de
la Dormition de la Vierge, savoir : chez
st. Jean Damascne : tant le sanctuaire
de la vie, tu es parvenue celle de
lternit; cest par ta mort que tu es passe
vers la vie (...) , cest dire la dernire
strophe de la sixime ode du deuxime

*
Version enrichie de la communication prsente lors de la VII
e
Session scientifique de lInstitut dHistoire de
lArt G. Oprescu de lAcadmie Roumaine, Bucarest, dcembre 2010.

REV. ROUM. HIST. ART, Srie BEAUX-ARTS, TOME XLVIII, P. 312, BUCAREST, 2011

4





Fig. 1 Amnos ador par des anges, sanctuaire.





Fig. 2 a. St. Jean Damascne, Gurison de lhomme la main sche, mur Sud-Ouest de la nef;
b. St. Thophane, Gurison de la hmorosse, mur Nord-Ouest de la nef.





5
canon dont il est lauteur des matines du
15 aot, et chez st. Thophane : Si dans
son immensit, le Fruit qui fit delle un ciel,
au spulcre a bien voulu descendre en
mortel (...)
6
, respectivement la dernire
strophe de la quatrime ode du mme
canon. Un procd byzantin, dont lexemple
le plus ancien est celui de Bakovo (XII
e

sicle)
7
, associe la scne de la Dormition de
la Vierge avec les deux auteurs des deux
canons des matines du 15 aot, st. Jean
Damascne et st. Cme. Bakovo, st.
Jean et st. Cme sont placs latralement,
sous des arcades qui les sparent de la
composition, et cette formule sera reprise
par la suite dans certains monuments
bulgares, comme Berende (XIV-XV
e
sicle)
ou Kalotino (XV
e
sicle)
8
. Lassociation de la
Dormition avec les hymnographes revient
souvent dans la peinture palologue et post-
byzantine, mais en Valachie le premier
exemple connu est justement celui de
lglise-bolnitsa. La formule reste dans les
pays roumains plutt rare : malgr la
surface gnreuse qui lui est attribue, ni
Curtea de Arge, ni Neam la composition
de la Dormition ne prsente les deux
mlodes. La composition volue graduelle-
ment, incluant les deux hymnographes dans
la scne : dans lglise moldave de Popui
(1496) ils sont placs aux extrmits du
tympan qui abrite la scne de la Dormition,
tandis qu Probota (1532) on a adopt la
formule largement utilise dans la peinture
grecque : les mlodes assistent
lassemble, figurs dans les balcons des
maisons de larrire-plan. La formule de
Cozia tmoigne donc dun archasme que la
scne correspondante du catholicon ne
saurait motiver, vu quelle soit disparue
sous les repeints du XVIII
e
sicle.
Un possible modle pour la
reprsentation de Cozia est le schma dune
icne conserve dans la collection
Kanellopoulos, de la fin du XIV
e
sicle
9

(Fig. 3), qui prsente la Dormition au
centre, quatre pisodes de la vie de la
Vierge dans les coins et quatre mlodes (St.
Jean Damascne et Cme, Joseph et
Thophane) disposs en croix tout autour et
portant de longues phylactres avec des
extraits de loffice de la Dormition. Ce
schma est reconnatre dans liconographie
des pendentifs dune coupole de la chapelle
de Kariy-Djami, car introduisant une
iconographie ddie la Vierge
10
, et
ultrieurement, dans les pendentifs des
narthika o la coupole est rserve la
Vierge, comme dans les glises moldaves
(Vorone, Humor, Moldovia etc.), ou celles
valaques des XVII-XVIIIe sicles. La
ressemblance entre les deux portraits de st.
Jean Damascne celui de licne et celui
de Cozia (Fig. 4, a-b) est extrmement
frappante, mais elle se retrouve, avec plus
ou moins de fidlit, dans nombre des
glises du monde grec contemporain,
domin par le courant crtois (Lavra du
Mont Athos, Koutloumous, Dionysiou,
Barlaam, Fig. 5, a-c). la diffrence de ces
monuments, Cozia on ne rencontre pas st.
Cme auteur du premier canon des
matines mais st. Thophane, dont la
ressemblance avec le portrait de licne de
Kanellopoulos est aussi remarquable,
surtout en ce qui concerne la figure et la
position des mains (Fig. 6, a-b). Seuls les
textes (en slave) des deux mlodes de Cozia
sont inverss, par rapport ceux (en grec)
de licne. La prsence de st. Thophane,
ainsi que larchasme de la composition
(avec les mlodes spars de la scne)
prouve que le modle de la Dormition de
Cozia nest pas la peinture grecque
contemporaine, mais un modle (probable-
ment mural
11
) byzantin, dont licne de
Kanellopoulos est un tmoin fidle.
Les saints militaires toujours prsents
dans la nef, sont accompagns, dans la
petite glise-bolnitsa de Cozia, de quatre
autres saints soldats, peints dans le
sanctuaire. Des dix-sept figures des
militaires, treize sont prsents en habits
longs, portant la croix dans une main et
lpe dans lautre ; parmi eux, sept sont
aussi couronns de petites diadmes

6

Fig. 3 Dormition de la Vierge, collection Kanellopoulos, icne de la fin du XIV
e
sicle.


Fig. 4 St. Jean Damascne : a. icne de Kanellopoulos ; b. bolnitsa de Cozia.

7


Fig. 5 St. Jean Damascne : a. Dionysiou, 1547 ; b. Lavra, 1535 ; c. Barlaam, 1548.



Fig. 6 St. Thophane : a. icne de Kanellopoulos ; b. bolnitsa de Cozia.


8
(Fig. 7, a-b). Cest le seul exemple connu, en
Valachie avant la priode brancovane, o les
saints militaires ne portent pas larmure, mais
de riches vtements de cour
12
. Cette mode
nous est connue travers des monuments
macdoines du XV
e
sicle, de Dorohoi ou
Hrlu en Moldavie, ainsi que des glises
pirotes du XVI
e
sicle celles-ci plus
tardives que la bolnitsa de Cozia
13
, mais la
source en est byzantine, car ds 1365, dans la
chapelle Sud de lglise Pribleptos Ohrid,
les saints Georges, Dmtre et les deux
Thodores portaient les longs habits perls
des gens de cour et tenaient les croix des
martyrs
14
(Fig. 8). Il faut remarquer que cette
mode neut pas de succs au Mont Athos (
part le rfectoire de Dionysiou, 1547), et que,
sauf certains exemples de Mtores
15
, elle
resta un apanage de lcole de peinture du
Nord-Ouest de la Grce.
Par contre, une certaine modernit est
voir dans la scne de la Dcollation de saint
Jean Baptiste, appartenant au cycle
hagiographique du Prcurseur, narr dans le

narthex. Ici Salom est agenouille, tenant un
vase pour recevoir dedans la tte de st. Jean
(Fig. 9). Ce schma fut cre au XV
e
sicle, en
Crte
16
, et utilis depuis tant dans les icnes
que dans les peintures murales : comme par
exemple Lavra, dans le catholicon, ainsi que
dans le rfectoire, ou Dionysiou
17
. Si les
autres scnes du cycle du Prcurseur de Cozia
ne se singularisent pas, celle-ci fait preuve
donc dun certain rapprochement de la
peinture grecque contemporaine.
Les deux matres de la peinture de Cozia
semblent donc puiser dans le rservoir
inpuisable de la tradition byzantine, mme si
parfois les courants contemporains de la
peinture grecque leur semblent familiers.
Leur manire, pourtant, laisse entrevoir des
personnalits diffrentes : lun plus graphi-
que, construisant le drapage laide de lignes
fermes et de couleurs contrastantes, avec des
figures proplasme fonce qui jette un ombre
profond sur le visage (Fig. 10, a-b) et lautre,
construisant les volumes surtout avec les
couleurs, hritant de par ce procd-mme, la
grande tradition byzantine (Fig. 11, a-d).

Fig. 7 Saints militaires Cozia: a. Dmtre et Thodore Stratlate ; b. Vackho et Andr Stratlate.

9



Fig. 9 Dcollation de st. Jean Baptiste, narthex.
Fig. 8 Saints militaires dans la
chapelle Sud de Pribleptos, Ohrid, 1365.


10



Fig. 10 a. St. Jean men en prison ;
b. St. Jean Evangliste, dtail.

11




Fig. 11 a. Rsurrection, dtail ; b. Ste Trinit, dtail ; c. Crucifixion, dtail ; d. St. Jean Damascne, dtail.

Il serait peut-tre superflu de chercher les
sources et la formation de ces peintres dans
un centre unique du monde orthodoxe
contemporain : de mme que la plupart des
uvres de la peinture valaque du XVI
e
sicle
comme on la dj remarqu , lensemble
de Cozia tmoigne plutt de ce rseau de
connections entre les membres de la grande
famille de la tradition byzantine, que dun
hritage linaire
18
.


1
Dans Istoria Artelor Plastice n Romnia, tome
I, Bucarest, 1968, p. 263 et 267.
2
Carmen Laura Dumitrescu, Pictura mural din
ara Romneasc n veacul al XVI-lea, Bucureti,
1978, p. 73.
3
Ibidem, p. 74 et n. 20, p. 107.
4
Mme Ruxandra Lambru de lUniversit de
Bucarest, laquelle nous exprimons de nouveau
notre gratitude.
5
RRHA-BA XLVI (2009), pp. 3-5.
6
Traductions de la Diaconie Apostolique de
France, Mne du mois daot, 1981.
7
Andr Grabar, Les images des potes et des
illustrations dans leurs uvres dans la peinture byzantine
tardive , dans Zograf, 10 (1979), p. 13 ; Elka Bakalova
et all., The Ossuary of the Bakovo Monastery, Plovdiv,
2003, p. 69 et p. 95, fig. 12.
8
Andr Grabar, La peinture religieuse en
Bulgarie, Paris, 1928, pl. XL et L.
9
Art byzantin, art europen, Athnes, 1964, no.
197, p. 253 (A. Xyngopoulos).
10
Grabar, Les images , p. 14; Paul A.
Underwood, The Kariye Djami, New York, 1966,
t. III, nos. 224-227.
Notes

12
11
Cest toujours st. Thophane (et non pas st.
Cme) qui est voir auprs de la scne de la Dormition
Popui.
12
La peinture perdue de la nef du catholicon de
Cozia, des dernires dcennies du XIV
e
sicle (1390-
1391), non plus, navait opt pour cette formule : il est
bien probable que les saints militaires y taient
reprsents en armures, comme on les voit aujourdhui,
dans la peinture refaite au commencement du XVIII
e

sicle.
13
Angeliki Stavropoulou-Makri, Les penintures
murales de lglise de la Transfiguration Veltsista
(1568) en Epire et latelier des peintres Kondaris,
Ioannina, 1989, p. 127.
14
Cvetan Grozdanov, La peinture murale
dOhrid au XIV
e
sicle, Ohrid, 1980, fig. 107.
15
Miltiados Garidis, La peinture murale dans le
monde orthodoxe aprs la chute de Constantinople
(1450-1600) et dans les pays sous domination
trangre, Athnes, 1989, figs. 19, 80.
16
Manolis Chatzidakis, The Cretan Painter
Theophanis. The final Phase of his Art in the Wall-
Paintings of the Holy Monastery of Stavronikita,
monastre de Stavronikita, 1986, pp. 76-77.
17
Gabriel Millet, Monuments de l Athos. I. Les
peintures, Paris, 1927, pl. 130/3, 143/2, 205/1.
18
Constana Costea, Unpublished Works to
complete the Catalogue of Wallachian Painting in the
sixteenth Century , in RRHA XXVII (1990), n. 46,
p. 32.







1
Dans Istoria Artelor Plastice n Romnia, tome I, Bucarest, 1968, p. 263 et 267.
2
Carmen Laura Dumitrescu, Pictura mural din ara Romneasc n veacul al XVI-lea, Bucureti,
1978, p. 73.
3
Ibidem, p. 74 et n. 20, p. 107.
4
Mme Ruxandra Lambru de lUniversit de Bucarest, laquelle nous exprimons de nouveau notre
gratitude.
5
RRHA-BA XLVI (2009), pp. 3-5.
6
Traductions de la Diaconie Apostolique de France, Mne du mois daot, 1981.
7
Andr Grabar, Les images des potes et des illustrations dans leurs uvres dans la peinture
byzantine tardive , dans Zograf, 10 (1979), p. 13 ; Elka Bakalova et all., The Ossuary of the
Bakovo Monastery, Plovdiv, 2003, p. 69 et p. 95, fig. 12.
8
Andr Grabar, La peinture religieuse en Bulgarie, Paris, 1928, pl. XL et L.
9
Art byzantin, art europen, Athnes, 1964, no. 197, p. 253 (A. Xyngopoulos).
10
A. Grabar, Les images , p. 14; Paul A. Underwood, The Kariye Djami, New York, 1966, t. III,
nos. 224-227.
11
Cest toujours st. Thophane (et non pas st. Cme) qui est voir auprs de la scne de la Dormition
Popui.
12
La peinture perdue de la nef du catholicon de Cozia, des dernires dcennies du XIV
e
sicle (1390-
1391), non plus, navait opt pour cette formule : il est bien probable que les saints militaires y taient
reprsents en armures, comme on les voit aujourdhui, dans la peinture refaite au commencement du
XVIII
e
sicle.
13

14
Cvetan Grozdanov, La peinture murale dOhrid au XIV
e
sicle, Ohrid, 1980, fig. 107.
15
Miltiados Garidis, La peinture murale dans le monde orthodoxe aprs la chute de Constantinople
(1450-1600) et dans les pays sous domination trangre, Athnes, 1989, figs. 19, 80.
16
Manolis Chatzidakis, The Cretan Painter Theophanis. The final Phase of his Art in the Wall-
Paintings of the Holy Monastery of Stavronikita, monastre de Stavronikita, 1986, pp. 76-77.
17
Gabriel Millet, Monuments de l Athos. I. Les peintures, Paris, 1927, pl. 130/3, 143/2, 205/1.
18
Constana Costea, Unpublished Works to complete the Catalogue of Wallachian Painting in the
sixteenth Century , in RRHA XXVII (1990), n. 46, p. 32.

Vous aimerez peut-être aussi