Oeuvres de Spinoza - Traduites (... ) Spinoza Baruch TOME I
Oeuvres de Spinoza - Traduites (... ) Spinoza Baruch TOME I
Oeuvres de Spinoza - Traduites (... ) Spinoza Baruch TOME I
OEUVRES
DE SPINOZA
Prnc.
OUVRAGES DU MME AUTEUR
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De varia sancti
ln-8.
lift (Cit de Dieu, de saint Augustin, avec une introduction et des notes.
Traduction couronne par l'Acadmie franaise. 4 vol. in-is. Prix, 14fr.
l^u 1er. Lettres a une princesse d'Allemagne, prcedees de l'loge d'Euler par
Condorcet; dition accompagnee de 215planches graves sur bois et intercatees dans le texte, avec une introduction et notes de M. Emile Saisset. 2 vol.
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Entretiens mtaphysiques,
les Mditationslele Trait de l'Amour de Dieu, V Entretien d'un Philosophe
chrtien et d'un Philosophe chinois, la Recherche de la Vrit, avec une introduction de M. J. Simon. 2 vol.
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4i:uvrcN de Leibniz; comprenant: Nouveaux Essais sur l'Entendement,
Opuscules divers, Essais de Thodice Monadologie, Correspondance avec
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m rem de Duron traduites en franais dition comprenant De la Dignit
et de V Accroissement des Sciences, Nouvel Organum, Essais de Morale et de
Politique, de la Sagesse des Anciens; dition de 61 Francis Riaui. 2 vol.
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Wiitroa plilloHnphiquea de Fnelon; dition comprenant: Tratt de
l'Existence de Dieu, Lettres svr la Mtaphysique, Rfutation du Systme de
Matebranche, et precedees d'une introduction par M. Amedce Jacques. 1 vol.
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c.
les
Pnx.
Pris
Pnx.
Tans. [min imerie de P.-A. RtnitniEn ot
OEUVRES
DE SPINOZA
TRADUITES
NOUVELLE EDITION
ItEYIIK ET AUGMBNTKK
TOMEI
PARIS
CHARPENTIER, LIBHAIR E-KDITEUH
28,
QUAI DE
l'cole
18611
AVANT-PROPOS.
je publiai, il y a seize ans, la premire traduction franaise des uvres de Spinoza, j'y ajoutai
une Introduction de quelque tendue pour servir de
guide au lecteur. Mon but n'tait pas de rfuter Spinoza,
mais seulement de l'claircir, et comme cette tche me
semblait dj assez difficile, je remettais un autre
jour le soin et le pril d'une rfutation.
Pourquoi ai-je tard si longtemps tenir ma promesse ? assurment ce n'est point faute d'y avoir pens.
Car depuis les commencements de ma carrire je puis
dire que Spinoza et le panthisme ont t ma plus constante proccupation. Partout o j'ai eu porter la parole,
j'en appelle mes auditeurs de l'cole normale, du Collge de France et de la Sorbonne, dans tous mes essais
d'crivain, mmoires l'Institut, articles pour la Revue
des Deux Mondes et pour le Dictionnaire des sciences
philosophiques, toujours et en toute occasion j'ai signal
les progrs du panthisme et proclam l'urgente ncessit de combattre l'ennemi. C'est au point qu'on m'a
accus en souriant de m'inquiter de Spinoza plus que
de raison, et d'tre sujet cette erreur d'optique qui
grossit les objets qu'on regarde trop. Je voudrais de
tout mon cur qu'il en fut ainsi et que le panthisme
Qu.ind
i.
ma traduction que la Grammaire hbraque, ouvrage de peu d'inlret, mPino pour Irs philologues, et le
Renati Descartes Principia, qui n'est vraiment \ut un crit original de
Sjiinoia, mais un rsum de la philosophie de Descartes destins un
jeune colier.
AVANT-PROPOS.
)!l
INTRODUCTION
CRITIQUE
C'est une chose trange que la destine de la philosophie de Spinoza. Rprouve par les plus grands esprits
8.
nes, o catholiques et protestants, luthriens et calvinistes, gomaristes et arminiens, les communions les plus
opposes, les adversaires les plus implacables, tout
s'unit, tout se met d'accord pour accabler l'ennemi commun. Partout retentissent les noms d'imposteur, d'athe,
d'impie, de rengat. Pour GrceviusSpinoza est une
peste, son livre un don sinistre de l'enfer. Le docteur
Musaeus dclare que Spinoza est un esprit infernal, ambassadeur soudoj
SatanChristian Kortholt badine
et
trouve dans le
sur les mots,
nom mme de l'pineux
incrdule une source inconnue d'injures'. Aprs s'tre
acharn aux lettres de son nom, il ne restait plus qu'
dfigurer les traits de son visage. On n'y manqua pas.
Des portraits de Spinoza se rpandirent, o on l'avait
reprsent, sinistre et farouche, tenant, comme Nmsis,
des serpents dans la main. On crivait au-dessous de
ces portraits des pigraphes comme celles-ci
de
ou mieux encore
Benoit de Spinoza, prince des athes,
portant jusque sur son visage les signes de la rprobation*.
et
page 7.
et
peu
lettre 145.
i.
Jacobi met le public dans la confidence d'une conversation qu'il a eue avec Lessing et dont le systme de
Spinoza a fait tous les frais. J'tais all, dit-il, chez
Lessing dans l'esprance qu'il me viendrait en aide
contre Spinoza.Mais quoi! Jacobi trouve dans l'illustre
poete un spinoziste dclar Lv xal nv, s'crie Lessing,
voil la philosophie.
Mendeissohn voit dans ce rcit un outrage la mmoire
de Lessing, et il prend la plume pour la dfendre. De l
une controverse vive, passionne, violente, qui meut
toute l'Allemagne, et laquelle Claudius, Herder, Heydenreich, Schelling, prennent la part la plus active.
Il ne s'agit bientt plus du spinozisme de Lessing, mais
du spinozisme lui-mme. On commence le voir partout. Lessing l'avait trouv dans Leibnitz, Jacobi le
trouve dans Lessing. La doctrine de Fichte n'est qu'un
spinozisme retourn; celle de Schelling, un spinozisme
dguis. On traduit Spinoza on recueille ses uvres, le
clbre docteur Paulus en donne une dition complte.
Quelques notes marginales, de la main de Spinoza, ne
s'y rencontraient pas; le savant de Murr les publie. On
trouve quelques variantes trs-insignifiantes de ces notes;
le docteur Dorow ne veut pas que le public en soit priv.
L'enthousiasme gagne les poetes, et bientt il ne connait plus de bornes.'Ne pourrait-on pas, disait Herder,
persuader Gthe de lire un autre livre que Y Ethique' ?
L'ardent Novalis s'enflamme pour le Dieu-nature de Spinoza, qui s'agite sourdement dans les eaux et les vents,
sommeille dans la plante, s'veille dans l'animal, pense
dans l'homme, et remplit tout de son activit inpui1.
VEthiqw de Spinoza.
part:Je
geoisie.
t.
Spinoza
d'en
ce
l'loge. Il allait mme quelquefois l'entendre prcher,
et faisait tat surtout de la manire savante dont il expliquait l'criture et des applications solides qu'il en
faisait. Il avertissait en mme temps son hte et ceux de
la maison de ne manquer jamais aucune prdication
d'un si habile homme. Il arriva que son htesse lui
demanda un jour si c'tait son sentiment qu'elle pt tre
sauve dans la religion dont elle faisait profession;
quoi il rpondit Votre religion est bonne; vous n'en
devez pas chercher d'autre ni douter que vous n'y fassiez
votre salut, pourvu qu'en vous attachant la pit, vous
meniez en mme temps une vie paisible et
tranqualle.
dcouvertes.
Voil l'homme que vinrent chercher, au milieu de sa
t.
ont
160.
humain.
Spinoza veut que la science prenne son point d'appui
dans l'objet le plus lev de la pense, et que, descendant ensuite par degrs des hauteurs de l'tre en soi et
par soi, elle suive la chane des tres et reproduise dans
le mouvement et l'ordre de ses conceptions l'ordre vrai
et le rel mouvement des choses. Si cette mthode est la
vritable, il importe fort peu que Spinoza ait employ
ou non la forme gomtrique. En connat-on d'ailleurs
quelqu'une qui soit mieux approprie une mthode
essentiellement dductive, et qui paraisse plus capable
d'en assurer la marche, d'en temprer la hardiesse, d'en
corriger les excs ?2
Si, au contraire, cette mthode n'est pas la vritable,
il faut condamner alors, je l'avoue, la forme gomtrique,
mais avec elle et avant tout la mthode ambitieuse et
tmraire qu'elle recouvre. Laissons donc de ct la
forme gomtrique des penses de Spinoza, et rendonsnous compte de sa mthode.
Gnie essentiellement rflchi, lev l'cole svre
de Descartes, Spinoza n'ignorait pas qu'il n'y a point en
philosophie de problme antrieur celui de la mthode.
La nature et la porte de l'entendement humain, l'ordre
lgitime de ses oprations, la loi fondamentale qui les
doit rgler, tous ces grands objets avaient occup ses
I. Jacobi's Werke, l,c.
c.
forts
t.
sion tout intellectuelle aura ce.privilge qu'elle se laissera partager sans s'affaiblir.
Le problme fondamental de la vie humaine est donc
celui-ci: par quels moyens l'me peut-elle atteindre l'tre
infini et ternel dont la connaissance doit combler tous
ses dsirs? Spinoza porte ici un regard attentif sur la
nature de l'entendement humain, et il esquisse une
thorie des degrs de la connaissance, un peu embarrasse au premier aspect, mais trs-simple en ralit.
On peut ramener toutes nos perceptions quatre
espces fondamentales' la premire est fonde sur un
simple oui-dire, et en gnral sur un signe. La seconde
est acquise par une exprience vague, c'est--dire passive,
et qui n'est pas dtermine par l'entendement. La troisime consiste concevoir une chose par son rapport
une autre chose, mais non pas d'une manire complte
et adquate. La quatrime atteint une chose dans son
essence ou dans sa cause immdiate.
Ainsi, au plus bas degr de la connaissance, Spinoza
place ces croyances aveugles, ces tumultueuses impressions, ces images confuses dont se repat le vulgaire.
C'est le monde de l'imagination et des sens, la rgion de
l'opinion et des prjugs. Spinoza y trace une dhision,
mais laquelle il n'attribue que peu d'importance, puisqu'il runit dans Y thique, sous le nom de connaissance
qu'il a distingu dans la Rforme
du premier genre
de l'entendement en perception par simple oui-dire et
perception par voie d'exprience vague. Je sais par
simple oui-dire quel est le jour de ma naissance, quels
furent
mes parents, et autres choses semblables. C'est
ce
1.
la
chose, mais capitale. La raison discursive, le raisonnement, tout infaillible qu'il soit, est un procd aveugle.
Il explique le fait par sa loi, mais il n'explique pas cette
loi. Il tablit la consquence par les principes mais les
principes eux-mmes, il les accepte sans les tablir. Il
fait de nos penses une chane d'une rgularit parfaite,
mais il n'en peut fixer le premier anneau.
Il y a donc au-dessus du raisonnement une facult
suprieure, c'est la raison, dont l'objet propre est l'tre
en soi et par soi.
Spinoza claircit ces quatre modes de perception par
un ingnieux exemple Trois nombres, dit-il', sont
donns; on en cherche un quatrime qui soit au troisime comme le second est au premier. Nos marchands disent qu'ils savent fort bien ce qu'il y a faire
pour trouver ce quatrime nombre; ils n'ont pas, en
effet, encore oubli l'opration qu'ils ont apprise de
leurs matres, laquelle est, bien entendu, tout empirique
et sans dmonstration. D'autres tirent de quelques cas
particuliers emprunts l'exprience un axiome gnral.
Ils prennent un exemple comme celui-ci: 2 4
3
6;
ils trouvent par l'exprience que, le second de ces nombres tant multipli par le troisime, le produit divis
par le premier donne 6 pour quotient et ils concluent
de l qu'une opration semblable est bonne pour trouver
tout quatrime nombre proportionnel. Quant aux mathmaticiens, ils savent, par la dmonstration de la XIXe
Proposition du livre vn d'Euclide, quels nombres sont
proportionnels entre eux ils savent, par la nature mme
et par les proprits de la proportion, que le produit du
1. De la Reforme de l'Entendement, tome III, page 282.
Il
II
De
la Rfome
pur:
1. De
2.
IM.,
page 338.
m,
page 314.
page
312 sqq.
dire
C'est
le
de
fou.
sophiste
del,
est
cas
ou
un
un
au
faut point chercher des raisons
avec Spinoza
Il ne
pour les sceptiques mais des remdes, des remdes
,contre la maladie de l'opinitret1. Spinoza n'est
donc
pas branl, mais plutt confirm dans sa mthode par les arguments du scepticisme, et il conclut en
la rappelant d'un seul trait
Notre esprit, pour reproduire une image fidle de la
ides2.
II.
IDE FONDAMENTALE DE LA PHILOSOPHIE DE SPINOZA.
De
la Substance,
de l'Attribut,
du Mode.
2. Ibid
page
31.
3. Ibid., pages328.
tous
elle se confondrait
dtermination est une limite et toute limite une ngation' mais elle est profondment et ncessairement
dtermine, en ce sens qu'elle est relle et parfaite, et
possde ce titre des attributs ncessaires, tellement
unis son essence qu'ils n'en peuvent tre spars et
n'en sont pas mme distingus en ralit; car tez les
attributs, vous tez l'essence de la Substance, vous tez
la Substance elle-mme.
La Substance, l'tre infini, a donc ncessairement des
attributs, et chacun de ces attributs exprime sa manire l'essence de la Substance. Or, cette essence est infinie, et il n'y a que des attributs infinis qui puissent
exprimer une essence infinie. Chaque attribut de la Substance est donc ncessairement infini. Mais de quelle
infinit? d'une infinit relative et non absolue. Si en effet
un attribut de la Substance tait absolument infini, il
serait donc l'Infini, il serait la Substance elle-mme. Or
il n'est pas la Substance, mais une manifestation de la
Substance, distincte de toute autre manifestation, particulire et dtermine par consquent, parfaite et infinie
en elle-mme, mais dans un genre particulier et dtermin d'infinit et de perfection.
Ainsi, la Pense est un attribut de la Substance; car
t. Ethique,
rrambule.
Propos. 40.
2. Ethique, part, 2, Scliol. i
3.
Lettres, tome m, pages S16, 417, 413.
de
mais qui est l'Infini mme, l'Infini absolu, l'Infini infiniment infini.
La Substance a donc ncessairement des attributs,
une infinit d'attributs, et chacun de ces attributs est
infini dans son genre. Or un attribut infini a ncessairement des modes. Que serait-ce en effet que la Pense
sans les ides qui en expriment et en dveloppent l'essence ? que serait-ce que l'tendue sans les figures qui
la dterminent, sans les mouvements qui la diversifient?
La Pense et l'tendue ne sont point des universaux, des
abstraits, des ides vagues et confuses ce sont des manifestations relles de l'tre; et l'tre n'est point quelque
chose de strile et de mort, c'est l'activit, c'est la vie.
De mme donc qu'il faut des attributs pour exprimer
l'essence de la Substance, il faut des modes pour exprimer l'essence des attributs; tez les modes de l'attribut,
et l'attribut n'est plus, tout comme l'tre cesserait
d'tre, si les attributs qui expriment son tre taient
supposs vanouis.
Les modes sont ncessairement finis car ils sont multiples. Or si chacun d'eux tait infini, l'attribut dont ils
expriment l'essence n'aurait plus un genre unique et
dtermin d'infinit; il serait l'Infini en soi, et non tel ou
tel infini; il ne serait plus l'attribut de la Substance,
mais la Substance elle-mme. Le mode ne peut donc exprimer que d'une manire finie l'infinit relative de
l'attribut, comme l'attribut ne peut exprimer que d'une
manire relative, quoique infinie, l'absolue infinit de la
Substance.
Mais l'attribut est nanmoins infini en lui-mme, et
l'infinit de son essence doit se faire reconnaitre dans
ses manifestations. Or, supposez qu'un attribut de la
pas mis un bandeau devant les yeux pour n'y point regarder, aurait-il construit le systme entier des tres
avec ces trois seuls lments la Substance, l'Attribut
et le Mode?
Certes, s'il est une ralit immdiatement observable
pour l'homme, une ralit dont il ait le sentiment nerla Rforme da l'Entendement,
Do
l,
et
appartient
son
essence.
thique, part,
Dfimtnon 4
3. Dfinition 5.
4. Dfiaitioli 6.
t, Definitica 3.
entier:
est de la nature de la Substance de se dvelopper ncessairement par une infinit d'attributs infinis infiniment modi fis.
Tennemann reproche Spinoza de n'avoir pas suffisamment tabli cette proposition, et il a bien raison.
Mais ce n'est pas l seulement, comme cet habile homme
parat le croire, une proposition trs-importante; c'est
l'ide mme du systme, et pour emprunter Spinoza
son langage, c'est le postulat de sa philosophie.
III
DE DIEU.
et
i.
De Dieu, Propos. 1.
. De Dieu, Propos. 2 et 3.
3. Ethique, pat. 1, Propos. 4 et 5.
4. Ethique, Propos. 4.
Il
1. Coroll.
dela Propos. 6.
De
premirement, qu'il y a une Substance; secondement, qu'il ne peut y en avoir qu'une seule.
Rien au monde ne pouvait moins embarrasser Spinoza
que la dmonstration de l'existence de la Substance,
c'est--dire de l'existence de Dieu. On l'a accus d'athisme et d'impit; mais rpter avec passion une
accusation injuste, sans prendre la peine de la vrifier
ni mme de la comprendre, est-ce en changer le cachoses
ractre ?i
Voici la dmonstration de Spinoza
Dieu, c'est-dire une substance constitue parune infinit d'attributs dont
chacun exprime une essence ternelle et infinie, existe ncesDmonstr. Si vous niez Dieu, concevez, s'il
sairement.
est possible, que Dieu n'existe pas. Son essence' n'envelopperait donc pas l'existence. Mais cela est absurde.
Donc Dieu existe ncessairement. C. Q. F.
D.
qui
t.
le
f telligences obscurcies il faut la lumire des dmonstratiens. Les mes philosophiques n'en ont pas besoin tout
mode est pour elles la manifestation d'un attribut infini,
qui manifeste lui-mme une Substance infinie, de faon
que si cette Substance n'existait pas, il n'y aurait rien.
Aller du mode l'attribut et de l'attribut la Substance,
revenir de la Substance ses attributs et de ses attributs aux modes qui les manifestent, monter et redescendre sans cesse cette chelle sans se sparer un instant
de ce qui en soutient tous les degrs, voil le mouvement naturel d'une me philosophique. Dieu est donc
la condition immdiate de toute existence relle, de
toute pense distincte. Quiconque pense, pense Dieu
quiconque affirme, affirme Dieu.
L'athisme n'existe pas; celui qui dclare qu'il doute
de l'existence de Dieu n'en a dans la bouche que le
nom On peut vivre dans l'oubli de Dieu, mais on ne
peut penser Dieu et la fois nier Dieu; ce serait
penser hors des conditions de la pense. Prouver l'existence de Dieu, c'est ramener une me elle-mme,
De la ~if/orme f~
l'Entendement, tome
HT,
Comp.
En un autre
En
J~ed~a~OtM.
~/t~u~
2.
lection?
Il est clair que toute la puissance dductive de Spinoza est incapable d'aller jusque-l. Je reviens donc
toujours cette conclusion Spinoza ne dmontre pas
sa doctrine, il la dveloppe.
IV
DE LA NATURE DE DIEU.
De
l' j,'tendue
divine.
De
De la Pense divine.
la Libert divine.
3.f6t~Democ6tr.d<aPropos.8.
8.
4.
1. thique,
De
de Dieu,
PropM.9.
9.
Dieu, Propos. t9,
3. ~<A~tfe, part.
), Etpiieatum de la
Dfinition 8.
De
et
Ce
i. Sur le rapport de i'eiermt la dure, voyez une fort belle lettre de SpmoM
Con'.p. Ftotm, Ennades, Itl,
Louis Meyer, tome Ill, page 38~ et sutv.
hreYH.
2. De Dieu, Coroll.2 de Propos. M.
3. ~thtottf, part. t, Propos 3't.
4. Par la Propos tt,part. t.
j Dfin.
Substance.
la
pense de la
Si l'essence de Dieu, prise en soi, s'exprime, se dve-
incorporel.
Or, si Dieu pris en soi ne souffre aucune limite cor-
porelle,il
t! et!3.
OMft-
1~.
Del'tendue de Dieu.
EiAt~Mf, part.
Propos, i et
5.
De DttU, Propos H.
De
4. DefhfM~ Demonstr. de
et 2.
!a Propos. <3.
De Dieu, Schol. de
h Propos,
t9.
ej:
trine. Quand on donne en effet l'espace une ralit distincte et absolue, que rpondre Spinoza qui vient vous
dire L'espace existe, et il est infini. Ce qui est infini est
parfait dans son genre; ce qui est parfait ne peut tre
que Dieu lui-mme ou une manifestation immdiate
de sa perfection.
Mais il est juste et ncessaire de signaler ici, entre
l'opinion des newtoniens et celle de Spinoza, une diffrence capitale. Pour Newton l'espace pur, l'immensit,
est distincte des corps, non pas d'une distinction tout
idale, mais d'une effective et relle distinction. Les
corps se meuvent dans l'espace mais tez les corps et
leurs mouvements, l'espace demeure. Pour Spinoza, les
corps sont les modes de l'tendue infinie, de l'espace
pur, de l'immensit divine, peu importe le nom. Ils sont
donc distincts de l'tendue, mais ils n'en sont pas spars ni sparables. Cette union est si forte que Spinoza
dit quelque part Qu'un seul corps vienne tre
ananti, l'tendue infinie prit avec lui
Chose singulire1 l'Espace et le Temps, qui ont toujours, dans les coles philosophiques, subi la mme fortune, rduits par Aristote, par Leibnitz, de simples
rapports des tres, par Kant des formes de la sensibilit, levs par les newtoniens et les cossais au rang
de ralits absolues, mais qui toujours, reconnus ou
nis, diminus ou agrandis dans le degr et le caractre
de leur tre, ont partag un sort commun, l'Espace et
le Temps, dis-je, jouent un rle infiniment diffrent
dans la philosophie de Spinoza.
L'Espace est infini, rc) il est la substance des corps,
1. Z.<f<mftMen6xr9,
tomen!,pa~. 3ot.
A son
surde.
Spinoza rpond en niant positivement que l'tendue
puisse se concevoir comme divise, autrement que par
un acte de l'imagination; mais par la raison, cela est
impossible. L'tendue est essentiellement une; elle ne
se compose point de parties, pas plus qu'une ligne gomtrique ne se compose d'un certain nombre de points
concevoir l'tendue divise, c'est donp en dtruire l'esi.
Voyez toute la
Lettre
XV Louis Meyer.
dire que l'tendue, tout infinie qu'elle est, est infiniment moins infinie que la Substance, et qu'une sphre
d'tendue, infinie en un sens par l'infinit de ses parties,
est infiniment moins grande que l'tendue, qui l'est infiniment moins que la Substance. Pourquoi donc ne
serait-il pas permis de dire qu'une moiti de l'tendue
infinie est infinie en un sens, et cependant deux fois plus
petite que l'tendue tout entire?
Spinoza conclut que Dieu est la fois tendu et incorporel, et, son avis, c'est justement parce qu'il est
parfaitement tendu qu'il est parfaitement indivisible.
a.
~e la Pense de ~'eM.
Dieu est la Pense absolue, comme il est l'tendue
absolue. La Pense en effet est ncessairement conue
comme infinie, puisque nous concevons fort bien qu'un
i.
De
1.
t, SdMt. de la Propos. M.
Comp. Lettre
page 378etsutv.
Lettres, tome U[.
3. De~ftM, Schohe de la Propos. 48.
ment, c'est la faire tomber dans la succession et le mouvement, c'est la charger de toutes les misres de notre
nature. L'entendement est de soi dtermin et successif il consiste passer d'une ide
une autre ide dans
un effort toujours renouvel et tujours inutile pour
puiser la nature de la Pense. L'entendement est une
perfection sans doute, car il y a de l'tre dans une suite
d'ides; mais c'est la perfection d'une nature essentiellement imparfaite qui tend sans cesse une perfection
plus grande, sans pouvoir jamais toucher le terme de la
perfection vritable. Supposez l'entendement infini, ce
ne sera jamais qu'une suite infinie de modes de la Pense,
et non la Pense elle-mme la Pense absolue, qui ne se
confond pas avec ses modes relatifs, quoiqu'elle les produise, la Pense infinie, qui sans cesse enfante et jamais
ne s'puise, la Pense immanente qui, tout en remplissant de ses manifestations passagres le cours infini du
temps, reste immobile dans l'ternit.
Plein du sentiment de cette opposition, Spinoza l'exagre encore, et va jusqu' soutenir qu'il n'y a absolument rien de commun entre la pense divine et notre
intelligence, de sorte que, si on donne un entendement
Dieu, il faut dire, dans son rude et nergique langage,
qu'il ne ressemble pas plus au ntre que le Chien, signe
cleste, ne ressemble au chien, animal aboyant.
La dmonstration dont se sert Spinoza pour tablir
cette norme prtention est aussi singulire que peu
concluante. Pour prouver que la pense divine n'a absolument rien de commun avec la pense humaine, sait-on
sur quel principe il va s'appuyer? sur ce que la pense
divine est la cause de la pense humaine. Ce raisonneur
si exact oublie sans doute que la troisime Prooosition
de
l'F~ est
celle-ci Si deux choses n'ont rien de commun, elles ne peuvent tre cause l'une de l'autre. Un ami
pntrant le lui rappelleramais il sera trop tard pour
revenir sur ses pas.
Spinoza argumente ainsi 'La chose cause diffre
de sa cause prcisment en ce qu'elle en reoit par
trer
t40.
De
3.
la Libert
de
Dieu.
Exister, agir, tre libre, pour Dieu, c'est tout un; car
tout cela, c'est son essence. Deux choses, en effet, rsultent de l'essence de Dieu premirement qu'il existe,
secondement qu'il se dveloppe par une infinit d'attributs inunis infiniment modifis. Or tout dveloppement
est une action. tre tendu, pour Dieu, c'est produire
l'tendue. tre pensant, c'est produire la pense. De
mme que la Substance se dveloppe par la Pense et
l'tendue, l'tendue se dveloppe par les figures et les
mouvements, et la Pense par les ides. tre tendu,
pour Dieu, c'est donc produire les corps; penser, c'est
produire les mes. A tous les degrs de l'tre, on retrouve unies l'existence et l'action dans le rapport du
mode l'attribut, de l'attribut a la Substance, dans l'essence de la Substance elle-mme, elles se pntrent et
se confondent.
Dieu agit donc, puisqu'il existe; il es.t l'activit absolue, source de toute activit, comme il est l'existence
absolue, source de toute existence; et cette action parfaite comme cette parfaite existence rsultent immd'.atement de son essence. Dieu est donc la libert absolue,
au mme titre qu'il est l'activit absolue et l'existence
absolue. La vritable libert, en effet, consiste dans une
activit qui n'est dtermine par aucune cause trangre, qui se dtermine soi-mme et ne se dveloppe que
par la ncessit de sa nature
Le vulgaire se fait une autre ide de la libert. Il
s'imagine qu'elle consiste dans le choix des motifs, dans
le pouvoir de ne pas faire ce qu'on fait. Ce n'est point
l le type de la libert; ce n'est mme qu'une illusion.
Nous agissons et nous avons conscience d'agir; mais
nous n'avons pas conscience des causes qui nous dterminent agir d'une manire donne. De l la chimre
du libre arbitrer de l le prjug que l'indtermination
de la volont fait l'essence de la libert. Mais ce prjug
est le renversement de la raison. Nous ne sommes vraiment libres que quand nous affirmons une chose claire
et distincte, comme celle-ci deux et deux font quatre~;
car alors l'action de la pense n'est point dtermine
par une cause trangre, mais par la nature rm'me de la
pense. Voil pour Spinoza l'idal de la libert; et il est
si pntr de la solidit de sa doctrine, il s'inquite si
peu du reproche qu'on lui pourrait faire de joindre dans
la notion de libert deux ides contradictoires, qu'il
semble se jouer de cette opposition prtendue et jeter
un dfi au sens commun dans cette formule hardie. A
mes yeux, crit-il Guillaume de Blyenberg, la libert
t. thique, part.
1, Defin.
7.
ncessit'
perfection mme de l'tendue divine en fonde l'indivisibilit, que la perfeclion do la pense divine la dgage
des limitations de l'entendement, enfin, que la perfection de la libert divine rejette loin d'elle les misres
de la volont. Et il termine le premier livre de r.B'<M
par cette hautaine parole, qu'il prononce avec un calme
parfait J'ai expliqu la nature de Dieu.
v
DU
DVELOPPEMEKT DE DIEU.
f.
l'ide dualiste, qui suppose deux principes coternels, Dieu et la matire, et l'ide panthiste qui fait
du monde une manation, un dveloppement de la substance de Dieu.
.1] y a bien encore deux systmes qui touchent cette
question suprme
systme latique, qui ne voit
dans l'univers qu'une illusion, absorbe toute existence
relle au sein d'une immobile unit, incapable de sortir
d'elle-mme; et le systme Atomistique, le matrialisme
absolu, qui n'admet pour relles que les choses finies,
et disperse en quelque sorte l'existence en une varit
ternellement mobile. Mais ce n'est point ta rsoudre le
problme du rapport du fini l'infini, c'est le dtruire.
La difficult consiste pour l'esprit humain comprendre
la coexistence de l'infini et du fini. L'latisme en
niant le fini, le matrialisme en niant l'infini, tent-ils
la difficult?non sans doute ils ne la voient pas; c'est
l'enfance de la pense.
L'esprit humain n'a donc vritablement produit que
deux systmes sur le rapport du fini et de l'infini. Dans
le premier, le systme dualiste, Dieu n'est point vritablement la cause du monde car l'tre des choses est
distinct et spar du sien; il dbrouille le chaos de
l'univers, il n'en fait pas les lments. Dieu est donc
l'intelligence ordonnatrice, l'immobile moteur, l'me du
monde, l'architecte de l'univers; mais dans aucun cas,
pour Anaxagoro comme pour Aristote, comme pour
Znon, et peut-tre pour Platon lui-mme, Dieu n'est
point la source unique de l'tre, le premier et le dernier
principe des choses.
Les terribles difncutts o jette le dualisme devaient
conduire les esprits concevoir d'une manire tout
plus
le
paru, et c'est l'honneur du christianisme et de la philosophie moderne que l'unit parfaite du premier principe ait dsormais pris dans le monde le rang d'une
vrit inconteste. La question s'agite donc aujourd'hui
entre la doctrine panthiste et celle de la cration.
Bacon, Loche, l'cole cossaise, celle de Kant, les
uns par prudence, les autres par timidit, presque tous
par un commun sentiment de la faiblesse humaine, n'ont
point touch ce problme. Descartes, Malebranche,
Leibnitz, ces esprits vigoureux et hardis, ne l'ont abord
qu'avec une extrme dfiance; tous trois cependant,
chacun avec Je caractre particulier de sa doctrine, ont
adopt hautement la solution chrtienne. Spinoza seul
de
hardiesse,
a soutenu le systme contraire avec tant
de suite et de gnie qu'il l'a marqu jamais de son
empreinte et lui a laiss son nom.
Si donc la question du rapport du fini et de l'infini,
aprs avoir travers tant d'preuves, n'a pas t rsolue, elle s'est du moins beaucoup simplifie et claircie.
On ne peut plus tre reu dire aujourd'hui que le fini
ou l'infini n'existent pas, ni mme qu'il y a deux principes coternels des choses. L'latisme pur, le pur
matrialisme, le dualisme enfin, ont t relgus dans
l'histoire, ou bien ils sont tombs dans une rgion si
infrieure que la philosophie n'a rieny dmler. Entre
la thorie panthiste et la thorie de la cration, l'unit
parfaite du premier principe, la contingence et la dpendance du monde sont devenus des points communs. 'Le
problme, c'est de savoir si le monde est rellement distinct de Dieu, et ce titre, s'il est l'ouvrage de sa volont ou bien si le fini et l'Infini ne sont point au fond
deux existences, mais une seule, le fini n'tant qu'un
i.
con~Jtf.C~r~.
2. CttcdeD[eu,hvreXH,chap xv.
(~'
n.tot-se
repatre l'imagination des enfants et des esprits faibles Dieu, dites-vous, a fait tout ce qui est, mais il au-
Je l'avouerai toutefois, ajoute Spinoza', cette opinion, qui soumet toutes choses une certaine volont
indiffrente et les fait dpendre du bon plaisir de Dieu,
s'loigne moins du vrai, mon avis, que celle qui fait
agir Dieu en toutes choses par la raison du bien. Les
philosophes qui pensent de la sorte semblent en effet
poser hors de Dieu quelque chose qui ne dpend pas de
Dieu, espce de modle que Dieu contemple dans ses
oprations, ou de terme auquel il s'efforce pniblement
d'aboutir. Or, ce n'est l rien autre chose que soumettre
Dieu la fatalit, doctrine absurde s'il en fut jamais,
puisque nous avons montr que Dieu est la cause premire, la cause libre et unique, non-seulement de l'existence, mais mme de l'essence de toutes choses.
On voit que Spinoza partage le mpris de l'cole cartsienne ~t de tout son siec)e pour les causes finales. Il
dirait vo'i~ntiers avec Bacon La recherche des causes
i.
2.
Dieu, Appendice.
finales est une recherche strile, e/ comme une vierge consacre Dieu, elle M~p~M< donner aucun fruit. H
Suiv ant Spinoza, c'est un des prjugs les plus funeste et les plus enracins dans le cur des hommes,
que la nature et Dieu mme agissent pour une fin. L'origine de cette erreur grossire est dans l'ignorance de
intermdiaires. Or, si les choses que Dieu produit immdiatement taient faites pour atteindre la fin que Dieu se
propose, il s'ensuivrait que celles que Dieu produit les
dernires seraient les plus parfaites de toutes, les autres
ayant t faites en vue de celles-ci.
De plus, la doctrine des causes finales dtruit la perfection de Dieu. Car si Dieu agit ncessairementpour une fin,
il dsire ncessairement une chose dont il est priv. En
vain les thologiens distinguent entre une fin poursuivie
par indigence et une fin d'assimilation; ils sont toujours
forcs de convenir que tous les objets que Dieu s'est proposs, en disposant certains moyens pour y atteindre,
Dieu en a t quelque temps priv et a dsir les possder.
Spinoza ne se demande pas si une fin ternellementt
atteinte ne change pas de caractre, si un dsir ternellement combl ne cesse pas d'tre un besoin. Il n'a pas
l'air de songer que lui-mme, arriv la rgion la plus
haute de la morale, reconnatra en Dieu une sorte
d'amour et une flicit parfaite, fruit ternel d'un dsir
de perfection ternellement rassasi Il suffit que la
thorie des causes finales soit favorable la cration
pour qu'il lui dclare une guerre acharne et s'puisea
la renverser, au dtriment mme d'un de ses principes.
Spinoza ne pouvait admettre, en effet, la cration sans
abandonner, je ne dis pas telle ou telle partie de sa philosophie, mais sa philosophie elle-mme. Car elle est
fonde sur l'Ide d'une activit ncessaire, infinie, qui
se dveloppe ncessairement et infiniment, et traverse
sans les puiser jamais tous les degrs possibles de
t.
De ta
5..
VI
DES MODES TERKELS ET tKFIMS DE DIEU.
On croit gnralement que, dans la doctrine de Spinoza, entre Dieu pris en soi et les tres finis et mobiles
qui composent l'univers, il n'y a d'autre intermdiaire
manent
les modes, et qui
que les attributs infinis d'o
t.EtM~M~ part.
t.3.
1, Propos.
),
23, 30 et 3t.
t.1.
par la ncessit de son systme, tablir des intermdiaires entre les attributs de Dieu et les choses. Considrez, par exemple, l'ordre des choses dans le dveloppement de la. Pense la pense absolue, la pense de
Dieu, a Dieu seul pour objet; c'est le degr le plus
lev, la fonction la plus haute de la Pense. Allez maintenant au\ degrs les plus infrieurs, vous y trouvez les
mes. Or, les mes, ce sont les ides. Mais toute ide
particulire a un objet particulier. Pour Spinoza, l'objet
propre de chaque me, c'est le corps auquel elle estunie.
Il y a sans doute un nombre infini d'mes, comme il y a
un nombre infini de corps; mais ni les dterminations
particulires de la Pense ni la pense absolue n'puisent l'tre de la Pense. Ainsi la Pense implique l'ide
de Dieu; l'ide de Dieu implique l'ide de chacun des
attributs de Dieu. Or, toutes ces ides diffrent essentiellement et de la pense en soi et des dterminations
limites de la Pense. L'ide de Dieu, en effet, n'est point
la pense en soi, mais la premire de ses manifestations.
l'ide
La pense en soi est absolument indtermine
de Dieu est dj dtermine en quelque faon. D'un
autre ct, l'ide de Dieu est ternelle et infinie infinie,
car elle comprend toutes les autres ides; ternelle,
parce qu'elle est une manation parfaitement simple et
ncessaire de la pense divine elle ne peut donc tre
confondue avec ces ides changeantes et finies qui com-
E<fu9e, Propos.
!f.
De
VII
De l'univers des corps.
De l'univers des mes.
De l'union des mes et des corps.
)
l'tre.
Spinoza dfinit un corps en gnral un mode qui exprime d'une certaine faon dtermine l'essence de Dieu, en
tant que l'on considre Dieu comme chose tendue'.t,
Il y a deux parties dans cette dfinition l'une qui est
commune Descartes, Malebranche, Fnelon, Spinoza, en un mot toute l'cole cartsienne; l'autre qui
appartient en propre l'auteur de l'thique, et qui fait
le caractre original de sa thorie de la nature. Tout
corps, dit Spinoza est un mode de l'tendue; jusque-l
il reste fidle Descartes. Mais il ajoute un mode de
l'tendue divine. Ici le disciple se spare du matre,
ou s'il lui reste fidle encore, c'est d'une tout autre
faon.
l'tendue.
t.
2.
De
la
situation, et par consquent de changer la figure de l'individu en question. Et c'est pourquoi j'appellerai les
corps durs, quand leurs parties s'appuient l'une sur
l'autre par de grandes surfaces, mous, quand ces surfaces sont petites, fluides, quand leurs parties se meuvent
librement les unes par rapport aux autres.
On voit que la solidit d'un corps, pour Spinoza, dpend uniquement de la figure de ses parties composantes la figure est donc, dans cette thorie, le vritable
principe de l'individualit des corps. Et cela devait tre
dans ce monde tout gomtrique car si un corps n'est
autre chose qu'une dtermination de l'tendue, comme
c'est la figure qui dtermine l'tendue, la figure seule
pouvait servir distinguer les corps les uns des autres.
Mais la figure n'est rien de positif; c'est une limite. Elle
ne peut communiquer l'tendue ce que l'tendue ne
contient pas. Or, l'tendue pure ne contient que soi,
c'est--dire l'extension infinie en longueur, largeur et
profondeur. Spinoza se tourmente donc en vain pour
trouver la solidit qui lui chappe. Il a beau dire lui
aussi, et Leibnitz le lui prouvera, compose les corps rels
avec des abstraits, et fait avec des zros des units et
des nombres.
(
Aprs avoir dtermin les lments de son univers,
Spinoza recherche les transformations dont ils sont susceptibles. A l'en croire, il n'en est pas une seule qui ne
soit explicable par les lois mathmatiques du mouvement. Il n'y a pas de naissance relle ni de mort effective
dans la nature; il n'y a pas de dveloppement interne
des choses; tout se rduit des additions ou dessoustractions de parties. Les modes simples de l'tendue se
main
[thique; part
t, Appendice.)
vers des mes, tout s'y doit expliquer par des ides'.
On demandera quel est donc le premier mouvement?
Spinoza rpond il n'y a pas de premier mouvement,
j pas plus qu'il n'y en a de dernier. La dure, dans son
coulement infini du sein de l'ternit, forme une srie
o chaque instant suppose celui qui prcde et est suppos par celui qui suit, sans commencement ni fin. De
mme l'tendue, immobile en soi, se dveloppe dans le
temps par une mobilit inpuisable.
Est-ce dire que dans ce progrs l'infini Dieu soit
absent ou inutile? Mais ce progrs ternel est celui de
Dieu mme; car c'est le progrs d'une activit infinie
qui, dans l'ordre de l'tendue comme dans tous les ordres d'existence, sort de l'immobilit de son essence
ternelle et abstraite pour se raliser successivement en
traversant tous les degrs d'une mobilit sans terme.
C'est ainsi que Spinoza se reprsente la nature. Elle
forme une existence pleine et indpendante, une en soi
et enveloppant toutefois une diversit infinie. Et il n'y a
point l de contradiction. Qu'est-ce, en effet, qui constitue l'unit d'un tre corporel? qu'est-ce qui en constitue
la varit? Considrons les composs les plus simples,
par exemple un minral. Ce minral n'existe, comme
individu, qu' une condition, c'est qu'il y ait un rapport
constant entre le mouvement et le repos de ses parties.
Mais cette condition suffit. Retranchez, en effet, d'un tel
individu un certain nombre de parties, mais faites qu'elles
soient remplaces simultanment par un nombre gal
de parties de mme nature, il est clair que cet individu
conservera sa nature primitive, sans que sa forme, son
i.
Propos.
13,
i.
7.
elle.
corps se dveloppe
l'univers infini des mes et une infinit d'autres univers.
A ct de cet univers infini des
2-
Scholie.
i,
avoir t aperu comme a travers un nuage par quelques Hbreux qui soutiennent que Dieu, l'intelligence
de Dieu et les choses qu'elle conoit ne font qu'un.
Une consquence vidente de cette doctrine, c'est que
tout corps est anim; car tout corps est un mode de
l'tendue, et tout mode de l'tendue correspond si
troitement un mode de la Pense que tous deux ne
sont au fond qu'une seule et mme chose.
Spinoza n'a point hsit ici se sparer ouvertement
de l'cole cartsienne. On sait que Descartes ne voulait
reconnatre la pense et la vie que dans cet tre excellent que Dieu a fait son image. Tout le reste n'est que
matire et inertie. Les animaux mmes qui occupent les
degrs les plus levs de l'chelle organique ne trouvent
point grce ses yeux. Il les prive de tout sentiment et
les condamne n'tre que des automates admirables
dont la main divine a dispos les ressorts. Cette thorie
donne l'homme un prix infini dans la cration; mais
outre qu'elle a de la peine se mettre d'accord avec
l'exprience et se faire accepter du sens commun, on
peut dire qu'elle rompt la chane des tres et ne laisse
plus comprendre le progrs de la nature.
Cet ablme ouvert par Descartes entre l'homme et le
reste des choses, Spinoza n'hsite pas le combler'. Il
est loin de rabaisser l'homme et de l'galer aux animaux
car, ses yeux, la perfection de l'me se mesure
le citerai un passage remarquable de l'thique Tous les inditidus de la
nature, dit Spinoza [thique, part. , Sdiol. de la Propos. 12), sont animes a
1.
ily
ce
qu~att~.
il
humaine.
On sait que pour lui l'me humaine est un mode de
Dieu. Or, Dieu est l'activit infinie au mme titre qu'il
est l'existence infinie. Si donc il a communiqul'me
i.
le moi, et le moi n'a pas de place dans le systme de Spinoza. Ce systme est donc ici infidle l'exprience et
lui-mme. Pour tre consquent et aller jusqu' l'extrmit fatale o conduisait la logique, il fallait nier l'unit
Les vues de Spinoza sur la nature corporelle et spirituelle le conduisirent une thorie de l'union de l'me
ses et de dsirs sans acthit, sans individualit vritables. Il est vrai que Malebranche accorde l'me, par
des dtours infinis, quelque ombre d'activit; mais ce
n'est l qu'une inconsquence. Au vrai, la vie, l'activit,
dsertent l'univers de Malebranche pour se concentrer
dans la seule Cause vraiment cause, non plus cause occasionnelle, mais cause efficiente et relle.
Il est certain que le pre Malebranche, avec un degr
suprieur de pntration, de rigueur et de hardiesse,
aurait fait l'une de ces deux choses ou bien il aurait
abandonn son systme, ou bien il aurait dit L'me
n'est qu'un mode de Dieu, le corps en est un autre mode.
Dieu seul est substance et cause; il est la substance et
la cause des mouvements des corps et des corps euxmmes, des penses de l'me et de l'me elle-mme;
l'union de l'me et du corps n'est que l'ordre des modifications de Dieu, qui se correspondent dans le
dveloppement de son tre et s'identifient dans son
fonds.
Mais il faut faire un pas de plus. L'ide cartsienne a
dj de la suite et de la rigueur, elle manque d'tendue.
Si en effet la suite des modalits du corps humain correspond une suite de modalits de la pense divine,
pourquoi toute autre suite de modalits corporelles ne
trouverait-elle pas en Dieu une srie correspondante de
modalits spirituelles? Les mes des hommes sont des
ides de Dieu; mais il y a en Dieu bien d'autres ides,
par consquent bien d'autres mes. Or si les mes des
hommes, comme ides de Dieu, sont unies aux corps
des hommes comme modes de l'tendue de Dieu, ces
autres mes doivent aussi tre unies des corps disposs pour elles, et si elles sont infrieures l'me hu-
conserve toujours dans tous les corps pris ensemble, c'est -dire dans l'univers
tout entier [Lettre Oldenbwff, tome III, page 3^3). (.e serait donc, pour Spinoza, une chose surnaturelle qu'un principe incorporel vint changer sont la quantite, soit la direction du mouvement dans l'univers.
De la Rforme de
page
333.
3.
VIII.
De la Volont
ou des passions.
elle consiste tracer avant tout une hrstoire fidele de ses phnomnes, pour aboutir ensuite, en parlant de ces donnes cei taines, d'exactes dfinitions des choses
naturelles. [fraitt thi'ologico-pohtiquc,chap. xn, mit]
Pour les esprits superficiels, dit quelque part Spinoza, c'est une chose trs-surprenante que j'entreprenne
de traiter des vices et des folies des hommes la manire
des gomtres. Mais qu'y faire? cette mthode est la
mienne. Je vais donc traiter de la nature des passions
comme j'ai trait de la nature divine; et j'analyserai les
actions et les apptits des hommes comme s'il tait question de lignes, de plans et de solides})
44.
et
II.t.
2, Propos. 49.
Propos.
49.)
son
1Thorie de l'Entendement.
6.
1. De l'Ame, Propos 16.
extrieurs.
Tel est l'tat de l'me humaine, tant que son activit
ne s'est pas encore dploye; telle est la misrable condition o s'ensevelissent pourjamais les mes vulgaires,
toujours emportes par le flot mobile des sensations et
des images, n'ayant de leur corps et d'elles-mmesqu'un
sentiment confus, ignorant Dieu, pleines de tnbres et
de
hasard.
De l'me, Propos.
2. Ibid. Iropos. 20.
3.
cipe. L'me est donc essentiellement active dans l'intuition intellectuelle, comme elle est essentiellement passive dans la perception, et cette activit ncessaire tant
l'essence de la libert, il s'ensuit qu'esclave par ses sensations, l'me n'est libre que par ses concepts.
Maintenant que reprsente toute intuition sensible?2
un corps, c'est--dire un mode de l'tendue, compos,
variable, dtermin au mouvement ou au repos par d'autres modes variables et composs de l'tendue, qui euxmmes en supposent d'autres encore dans un progrs
l'infiniEt qu'est-ce que l'intuition sensible elle-mme?
une ide aussi variable, aussi compose que son objet,
un mode de la Pense dtermin par d'autres modes
antrieurs, qui sont dtermins par des modes nouveaux, et toujours ainsi sans terme et sans repos. De l
la confusion ncessaire de ce genre infrieur de connaissance, par suite l'erreur, qui a sa source dans des ides
confuses, et par suite encore le mal, dont la racine est
dans l'erreur.
Considrez au contraire les objets de l'intuition intellectuelle la pense absolue, l'tendue infinie, la Substance, l'tre, la Perfection, objets ternels, simples, immuables, existant en soi, conus par soi, ne supposant
rien au del de soi. De l la clart de ce genre sublime
de connaissance, et ces ides distinctes, lumineuses, adquates, o l'me se repose en toute scurit, ides fcondes qui engendrent d'autres ides', et augmentent
sans cesse notre activit, notre perfection, notre bon-
heur.
1. De Dieu, Propos. 28.
2. De VAme, Propos. 40.
Entre ces deux extrmits de la connaissance humaine, l'intuition sensible, passive, fortuite, obscure,,1
confuse, Et l'intuition intellectuelle, libre, active, claire
et distincte, le raisonnement est une sorte d'intermdiaire et de lien 1 tantt il part de la rgion sensible,
sr de lui-mme, cherchant des
encore
principes qu'il invoque sans les comprendre, qu'il pressent sans les possder; tantt, prenant son point d'appui dans la rgion de l'intelligence, assur dans son
cours, suivant la chane des tres, la lumire de l'ide
mme de l'tre', et rpandant la clart de cette ide
jusque dans les derniers degrs de l'existence.
Dans ce dveloppement ncessaire d'une dduction
toujours fonde sur des ides pures, comme dans la simplicit, la clart, la libert parfaite de l'intuition intellectuelle, ni l'erreur, ni la contradiction, ni le doute ne
peuvent trouver aucune place. Le doute en effet nat la
suite de la contradiction, et la contradiction est fille de
mal
l'erreur.
Or qu'est-ce que l'erreur? rien de positif'. Essayez en
effet de concevoir un mode positif de la Pense qui constitue l'essence de l'erreur. Un tel mode ne peut videmment se trouver en Dieu, puisque toutes les ides, en
faudrait
tant qu'elles se rapportent Dieu, sont vraies
donc qu'il ptexister et se concevoirhors de Dieu; mais
Il
2.
3.
De
la
Re(orme
40.
302 et
suit.
ne peut consister dans une absolue privation de connaissance' (car on ne dit pas que les corps se trompent
ou soient dans l'erreur, mais seulement les mes), ni dans
l'absolue ignorance d'une chose, car autre chose est l'ignorance, autrechose l'erreur il faut donc que l'erreur
consiste dans la privation de connaissance qu'enveloppent les ides inadquates, c'est--dire les ides mutiles et confuses'. Par exemple, les sens me montrent
le soleil loign de moi d'environ deux cents pieds. Je
pense, j'affirme que le soleil est deux cents pieds de la
terre, et je me trompe. Pourquoi cela? c'est quej'ignore
les preuves mathmatiques qui tablissent la vraie distance du soleil. L'errreur est donc un mlange de connaissance et d'ignorance. En effet, ne pas voir le soleil,
ce n'est pas se tromper, et je ne tombe dans l'erreur touchant la distance du soleil qu' condition de voir le soleil. D'un autre ct, quand je pense que le soleil est
deux cents pieds de moi, il n'y a rien l de positivement
faux. Car je vois en effet le soleil cette distance, et alors
mme que les physiciens m'ont fait connatre son prodigieux loignement, je continue de le voir assez prs de
moi. L'erreur n'est donc ni une connaissance absolument
et positivement fausse, niune absolue privation de connaissance elle est tout entire dans une connaissance
incomplte, ou, comme dit Spinoza, dans une ide ina-
dquate.
L'erreur ne peut donc pntrer dans la rgion des
ides claires', ni par consquent la contradiction et le
doute. Comment le doute subsisterait-il quand la rai.
4et
p.
2.
De l'Ame, Propos. S.
S. Ibtd., Propos. 37 et 38.
1-.
corps humain, si confuse qu'elle soit, enveloppe le concept de l'tendue et le concept de la Pense, et par consquent la connaissance de l'essence divine. Or cette connaissance est en Dieu, en tant qu'il constitue la nature
de l'me humaine; et comme elle est parfaitement simple
et ne dpend absolument d'aucune autre, elle ne peut
tre que parfaitement adquate.
Il y a donc, suivant Spinoza, une rgle gnrale pour
distinguer une ide ncessairement adquate d'une ide
ncessairement inadquate. Quand nous affirmons, ditil, que l'me humaine peroit ceci ou cela, nous n'affirmons pas autre chose sinon que Dieu, non pas en tant
qu'infini, mais en tant qu'il s'exprime par la nature de
l'me humaine, ou bien en tant qu'il en constitue l'essence, a telle ou telle ide; et lorsque nous disons que
Dieu a telle ou telle ide, non plus seulement en tant
qu'il constitue la nature de l'me humaine, mais en tant
qu'il a en mme temps l'ide d'une autre chose, nous
disons alors que l'me humaine peroit une chose d'une
faon partielle ou inadquate'.
Il est fort craindre que cette explication de l'imperfection des connaissances humaines et de l'origine de
nos erreurs en mme temps que de nos plus sublimes
connaissances, ne paraisse tout le monde obscure autant qu'artificielle. Nous sommes loin de penser qu'elle
ne soit pas en effet trs-artificielle et trs-arbitraire mais
avant de la juger il faut la comprendre, et pour la comprendre il la faut claircir. Qu'on songe que cette thorie
de l'adquation et de l'inadquation des ides touche
I.
De l'Ame,
Coroll.de la
Propos. 11.
i.
Spinoza sentait lui mme que sa doctrine aurait bien de la peine se faire
comprendre et accepter. Il s'mtctrompt, contre son usage, pour exhoitcr ses lecteurs a la patience
Ici, dit-il (Schol. de la Propos. 12, part. 2), les lecteurs vont sans doute tre
arrtes, et il leur viendra en mmoire mille choses qui les empcheront d'avancer
c'est pourquoi je les pne de poursuivre lentement avec moi leur chemiil, et de
suspendre leur jugement jusqu'ace qu'ils aient tout
i
lu.
Il
trs-dtermin.
y a donc dans l'me deux modes d'existence, et pour
ainsi dire deux vies une vie en Dieu, vie ternelle et
parfaite, et une vie temporelle, pleine de misre, d'erreur et d'imperfection. De l deux ordres de facults
dans l'me celles qui se rapportent au monde, facults
passives, qui n'embrassent les choses que d'une manire
partielle et dtermine celles qui se rapportent Dieu,
facults essentiellement actives et capables d'embrasser
leurs objets avec plnitude'. L'imagination, les sens, la
mmoire, peroivent les choses dans la dure comme
contingentes; mais la raison conoit les choses comme
objets
ncessaires3, et il est de sa nature d'apercevoir tous ces
sous la forme de l'ternit5.
De l ce beau thorme de Spinoza, justement admir
de Schelling
Notre me, en tant qu'elle connat son corps et soimme sous le caractre de l'ternit, possde ncessairement
la connaissance de Dieu, et sait quelle est en Dieu et est conue par
Dieu
Maintenant comment s'opre le passage de la vie ternelle de l'me la vie temporelle et imparfaite? quel est
le nud de ces deux existences?L'me humainecomme
1. thique, part. S, CoroLI. de la Propos. 40.
S. De l'Ame, Propos. 44.
ide ternelle de Dieu, l'me humaine comme ide passagre d'un corps prissable, ce ne sont pas deux choses,
mais une seule. L'me humaine en tombant de l'ternit
dans le temps ne se spare pas de Dieu; supposer cela,
ce serait supposer que Dieu peut se sparer de lui-mme.
L'me humaine, comme mode ternel de la pense, c'est
Dieu envisag dans la fcondit non encore dveloppe
de son tre; l'me humaine, comme ide du corps humain, c'est Dieu encore, envisag dans un moment prcis de son dveloppement ternel travers la dure.
Si vous considrez l'entendement infini de Dieu, tout
y est lumire, ordre, action, l'erreur n'y a aucune place;
mais si vous le considrez, non plus dans la totalit infinie de ses ides, mais dans une partie, cette partie,
par cela mme qu'elle est une partie, telle partie et non
pas telle autre, n'est plus un entendement infini, clair,
lumineux, distinct, mais une me, un individu, un moi,
limit dans son existence, uni une partie dtermine
de l'univers des corps, apercevant toutes choses, non en
elles-mmes, mais dans leur rapport avec soi. De l
toutes les erreurs et toutes les misres de l'individualit.
En un sens, Dieu n'y tombe pas car, en soi, il est la
Pense qui comprend tout d'une manire parfaite. En
un autre sens, il y tombe; car une me particulire, un
moi, c'est un moment de la vie de Dieu. Or, pour comprendre compltement Dieu et compltement l'me humaine, il faut unir les deux sens et identifier les deux
points de vue.
La Pense est donc une vie parfaite qui a son principe
dans l'ternit, et son dveloppement sans terme dans
le temps. La Pense, dans sa perfection ternelle, c'est
proprement Dieu; la Pense dans sa vie, ce sont les mes.
part d'activit se mesure exactement sur sa part de ralit. D'un autre ct, nul tre n'a rien en soi qui le puisse
dtruire; car la dfinition d'un tre quelconque contient
l'affirmation et non la ngation de son essence; en d'autres termes, elle pose son essence et ne la dtruit pas
1. De Dieu, Coroll. de la Propos. 2!t.
2. Ibld Propos 34. Comp. thique,
3. Des Pmons, Propos. 4 et 5.
p. 4, Preambule.
tout tre est actif de sa nature, et s'il ne contient en soi rien qui supprime son existence, il s'ensuit
que tout tre, autant qu'il est en lui, s'efforce de persvrer dans son tre et cet effort est son essence mme,
son essence actuelle',laquelle n'enveloppe aucun temps
fini, mais une dure indtermine'.
L'homme, comme tout autre tre, a donc sa part d'activit, et en vertu de son essence, il tend persvrer
indfiniment dans son tre. Voil l'apptit, qui ne se
rapporte exclusivement ni l'me ni au corps, mais
l'homme tout entier, dont il constitue l'essence. Or,
l'me a conscience d'elle-mme, et ce titre elle sent cet
effort permanent par o elle tend persvrer dans son
tre. Voil le dsir ou la volont. Le dsir ou la volont
ne sont donc rien de plus que l'apptit exclusivement
rapport l'me et ayant conscience de soi'.
Spinoza appelle l'me humaine une ide, mais on
peut la dfinir tout aussi bien dans son systme un
dsir ou une activit qui a conscience d'elle-mme. Ces
dfinitions sont identiques car dans l'me humaine
comme en Dieu, la pense et l'action se pntrent mutuellement, l'abstraction seule les distingue, et comme
tout l'tre et toute l'activit de l'me humaine sontdans~
les ides qui la composent, plus elle a d'ides, plus elle'
a d'tre et d'aethit.
Si l'me humaine tait isole et indpendante dans la
nature, il n'y aurait en elle qu'activit, perfection, lumire, et elle persisterait ternellement dans son.tre;
Si donc
i.
ptit
3. ~)J.~
DeEm.
t't'o~os.
et 3.
par laquelle
aM!
tt
d'autrui
d'une chose, y~Mhft't en nous, parce que nous nous Mpt'e~ntons nos ~MMa~s anims du mme dsir 6; le regret,
espce particulire de tristesse produite par l'absence
de l'objt,t aim'; l'humilit, autre sorte de tristesse, ne
du sentiment de notre impuissance' la paix intrieure
ou acquiescence, passion des vrais philosophes, joie sublime, ne de la contemplation de nous-mmes et de
de la Propos, tft.
Dc6n.
3.
Jtt3
14 et 15.
4.
commune tous les tres, savoir le dsir de persvrer dans l'tre. Ce dsir, favorise ou contrari, donne
naissance la joie et la tristesse, lesquelles produisent
tout le reste.
Spinoza supprime ici videmment un lment fondamental de la passion, je veux dire le plaisir et la douleur. La passion n'est pour lui qu'une ide confuse; la joie
ou la tristesse, qu'un accroissement ou une diminution
de l'tre. C'est substituer au phnomne sa cause mtaphysique. Mais il fallait rduire tous les phnomnes de
l'me celui de la pense, et comme dans l'analyse de
l'activit on avait supprim l'lment fondamental, la
libert, dans l'analyse de la sensibilit on supprime la
sensation elle-mme. Grce ces mutilations arbitraires,
toutes les passions s'expliquent par le dsir; et le dsir
lui-mme tant dj rduit l'affirmation que toute ide
enveloppe, on trouve aisment dans une psychologie
aussi docile la confirmation de ce principe que la mtaphysique avait donn a priori l'me humaine est un
mode de la Pense.
IX.
MORALE DE SPIMZA.
/~M
De
Rien et du
~/a/.
~c
~Mmo! de F<!Me.
l'amour de
Se
<.
comme
ne ~[u< point s'imaginer, dit Spinoza, que l'homme soit dans la ttajure
un tmptre dans un autre empire.[Prface de la partie 3 de l'thique.)
)')-,
'
'- -
s <.
Du libre arbitre.
Deux chemins divers peuvent conduire un philosophe
nier le libre arbitre ou bien on le dclare impossible
a priori, parce qu'il est absolument inconciliable avec
certains principes qu'on s'est forms sur la nature des
choses ou bien on le rejette a jM)s~?o?' comme un fait
qui n'existe rellement pas, comme une illusion du genre
humain dont le prestige se dissipe devant une observation approfondie de la conscience.
Spinoza nie le libre arbitre a priori et a po~t'on; a
priori, au nom de la nature de Dieu et de l'ordre de ses
dveloppements
a posteriori, au nom de cette mathmatique des passions qui soumet toutes les actions humaines des lois invariables. Mais il ne le nie pas seulement dans l'homme; il le nie aussi en Dieu et dans toute
la nature il le nie, en un mot, de toutes les faons dont
on peut le nier.
tion, qui, ne voyant que les effets, nie les causes qu'elle
ne voit pas. Pour la raison, tout ce qui est, doit tre; tout
ce qui est de telle faon, doit tre de cette faon ce qui
arrive tel point prcis du temps ne pouvait arriver une
minute avant, ni une minute aprs, sans que l'ordre entier des choses ne ft troubl, sans que le hasard n'envahit le dveloppement divin, sans que Dieu cesst d'tre
ncessaire, c'est--dire d'tre Dieu
Dieu seul du reste est ncessaire, de cette ncessit
ternelle, absolue, toujours gale elle-mme. Les choses
unies, tout en rsultant ncessairement de la nature div ine, ne peuvent exister que dans la dure d'une manire
borne et successive. Elles apparaissent au jour marqu
dans l'ternit, mais pour disparatre bientt et cder la
place d'autres tres. Rien d'arbitraire, rien de dsordonn dans ce mouvement perptuel qui cre, dtruit et
renouvelle sans cesse toutes choses; chaque tre est dtermin l'existence et l'action par un autre tre galement dtermin l'existence et l'action par un tre
antrieur, et ainsi de suite l'infini Les mouvements
produisent les mouvements, les ides enfantent les ides,
suivant une loi fonde sur la nature mme de la Pense
et de l'tendue, et dans une correspondance parfaite
qui a pour base l'identit en Dieu de l'tendue et de la
Pense*.Celui donc qui pourrait embrasser dans sa
totalit infinie le double dveloppement de l'tendue et
de la Pense, c'est-a-dirc l'ordre entier des choses, n'y
verrait rien de contingent, de libre, d'accidentel, mais
une suite gomtrique de termes lis entre eux par une
i 7te J~<')~
7M.,
PtOpoa.
23.
Propos. !8.
8. De r/im~ Propos. 7 et son Sch&I.
i.
part.
Vo~pz le Schoite de la
4, Uehu. 3 et 4.
l'iopjs.
~4 de
t't~
part 2.
Cmp. ~A/~u~
Et
n~
t.
DM
H, t!, t3.
Comp. Schol. de
h Propos. O.
Et
l'Esclavage, Propos. 5.
t. J6t~ Propos. 2, 3, 4. Comp. ~jr'om~detapart. 4.
/6<d., Propos. T. On remarquera aussi la proposition prcdente < J~o force
3
d'une pcMStOTt peut surpasser la puissance de l'homme, de faon qu'elle ~'o<tache o6s(t)Mmen< a <ut.<
La connaissance du bien ou du mal, dit plus haut
4. 7M Propos. t4.
Spinoza, n'Mt autre chose que tapaM!<!nd< la joie ou de la tristesse, en tant que
Propos. 8.
Mm en avons cotMCMncc.
Ds
2. J~~ue,
part. 5, Preambule.
3. De f'A)n~ Scttut. de la Propos. 35.
tu,
cette vol jnt dtermine, considre en elle-mme, renfermc prcisment autant de perfection qu'elle exprime
de ralit; et on en peut conclure que nous ne pouvons
concevoir d'imperfection dans les choses qu'en les comparant d'autres choses qui ont plus de ralit en consquence, dans la dtermination d'Adam, tant que nous
la considrons en elle-mme et que nous ne la comparons rien qui soit d'une nature plus parfaite et dans un
tat plus parfait, nous ne pou~ ons trouver aucune imperfection bien plus, nous pouvons la comparer avec une
infinit d'autres objets moins parfaits qu'elle, comme des
pierres, des troncs d'arbres, etc. Voici encore ce qu'on
ne peut contester c'est que les mmes choses qui dans
les hommes paraissent dtestables et dignes de toute
notre aversion peuvent tre considres dans les animaux
avec admiration ainsi les guerres des abeilles, les jalousies des colombes, etc., passions mprisables dans
les hommes et qui pourtant rendent les animaux plus
parfaits noseux. De tout cela, il rsulte clairement
que les pchs, qui n'expriment rien, si ce n'est une imperfection, ne peuvent consister en quelque chose qui
exprime une ralit, comme la dtermination d'Adam et
l'acte qui en fut la
Le pch n'existe donc que
pour notre intelligence, et non pour celle de Dieu. Nous
sommes habitus renfermer tous les individus d'un
genre, tous ceux, par exemple, qui ont extrieurement
la forme humaine, sous une mme dfinition, et nous
pensons ensuite qu'ils sont tous galement susceptibles
de la plus grande perfection que cette dfinition embrasse;
puis, quand nous en trouvons un dont les actions rpu-
suite'
1. S~tfto-M (t
B~tE'ef~
plus, ne peut-on pas dire que les plus affreux drglements de la volont humaine manifestent leur faon la
perfection divine, et sont tout aussi conformes l'ordre
ternel des desseins de Dieu que les actions les plus vertueuses ?
~t~
(1
397.
pag. 370.
m,
prisseH
M~me
~.
Du Bien et du A/a/.
La mme ncessit
~Nt&c~atjog~ Prambule.
i.
2. Z~re Gf~unM de
3. De1 Esclatage, Prambule.
394.
9.
t.De !E<ciatf!;)e,Det!nit'oft t
M. Propos.
Appendice.
3. De Dieu,
et
4. Be<'EMtMae,P''atmbule.
Comp. Dt i'Esciama~ Cerm!hon 7.
5. Des <'a-inmM. Sthet. de ta Propos.9.
6. De i'Et'cittM~ Propos. 7 et < Propos. t4.
7. MM., Propos. 19.
La
Il
cipes
i. !'rattetti!Mo~eo-p!ttt~tte,ch. K.
2. De ;'E-htM;)<; Defin. 8.
profit'
dsirs?
Qui rsoudra ces contradictions?Spinoza l'a essay;
suivons-le dans cette trange entreprise.
i. Trait <~f'o~co-poh'~uf!, <.h. xn.C&mp. 7rt~' f-o~t~ ch. u,
il.1.
3.
De l'amour de Dieu.
et
De
l'apptit ne s'attache qu'aux objets des sens, biens fragiles et trompeurs' ta raison nous fait aimer les choses
ternelles, dont la possession nourrit l'me d'un bonheur
inaltrable que le temps ne peut affaiblir'. Les joies violentes que l'apptit satisfait donne l'me troublent son
activit et la soumettent aux causes trangres la joie
pure et sereine que la raison nous fait goter, ayant sa
source dans l'activit mme de l'me, l'affranchit au
contraire des liens o la nature tend sans cesse l'en-
chaner3,
thique, part. 4,
Propos. 26.
tetidement, la MtMn; et c'Mf en cela seul que consiste le souverain bonhem, la batitude, La &Mh<ud~ en effet, n'est pas autre chose Que celle
ltanquttltt de l'dme qui natt de la connassance nmtme de Dneu; et la
p~?/fC/t'OM de ~NtfM~~wFM~ con~ d comprendre Dieu, les attributs de
Dieu et les actions qua ff~u~Mt de la ncessite de la nature divine. La fin supr~mc de l'homme que la raison condu't, son de~tf ~pfeme~ ce dsir par lequel
Il ~btee de rf~~ef tous les autres, c'est doncof~tf ~Uf le porte a se connatre soi-mine d'une manere adquate, et connaitre de la meme faon, toutes
les choses qut tombent sous son intelligence. (Pc f'~c~Otta~e, Appendice,
cbap. iv,)
i. De l'Esclavage, Propos. 36.
2. /6tof., Propos. 37.
3. De la tttteft~ Propos. M.
son
une vie triste et sombre, une vie de privation et d'austrit, o toute douleur est une grce et toute jouissance
un crime. Mais comment la Divinit, s'crie Spinoza,
prendrait-elle plaisir au spectacle de ma faiblesse, et
m'imputcrait-clle bien les larmes, les sanglots, la
crainte, tous ces signes d'une me impuissante? Oui,
t ajoute-t-il avec force, il est d'un homme sage d'user des
choses de la vie et ~'Cn~'OMiY autant que possible, de se rpar~/)<t)'
une nourriture modre et agrable, de charmer ses
sens du jtw/'Mm
De
~~c~og~ Propoa.
lbtd.,
54.
4.
53.
3. C'est la rrupmutMu M de t'EtAf~u~ part, 4.
Propos.
abaissement?
Il est clair que la philosophie de Spinoza ne donne
aucun moyen pour cela. Lui-mme ne s'est fait aucune
illusion sur ce point; et si l'on peut l'accuser d'avoir
dissimul quelquefois cette triste consquence de sa doctrine, on ne peut douter qu'il ne l'ait clairement aperue
et mme expressment confesse. II suffit pour s'en convaincre de mditer un peu la dernire Proposition de
l'thique
La batitude n'est pas le prix de la vertu, c'est la vertu
elle-mme; et ce n'est point parce que nous e<M<enoHi! nos
mauvaises passions que nous la possdons, c'est parce que
nous la p(MMf/o?M que nous sommes capables de contenir nos
mauvaises passions.N
salut.
4.
De <mmo<'<a~ de l'me.
Si quelque chose pouvait maintenant nous tonner
dans Spinoza, ce serait la doctrine de cet trange, moraliste sur l'immortalit de F me. Comment comprendre
en effet que, dans un systme o la responsabilit morale n'existe pas, une autre vie soit ncessaire pour
rendre chacun ce qui lui est d? Et alors mme que
l'ordre moral demanderait une juste rparation des
dsordres de ce monde, comment cette rparation serait-elle possible pour Spinoza? L'me humaine, ses
yeux, c'est l'ide du corps humain. LoM donc que la
mort brise les liens de la vie organique, il faut bien
de m'intresser. Consultez le genre humain l'immortalit dont il nourrit la sainte esprance, celle que l'me
religieuse demande la divine bont, celle qui relve le
faible, l'opprime, en jetant sur leur misre prsente le
reflet consolateur d'une meilleure destine, c'est l'immortalit de la personne. L'immortalit mtaphysique
de l'me est un problme occuper les philosophes; le
genre humain ne le connat pas, et pour lui, mourir la
conscience, c'est mourir tout entier.
Ainsi donc, des deux routes qu'un philosophe peut
suivre pour arriver l'immortalit de l'me, le fatalisme
absolu de Spinoza lui fermait sans retour la route la
plus directe et la plus sre, celle des ides morales. Or
il ne parait pas que sa mtaphysique ft capable de lui
en ouvrir une autre. Spinoza n'est point sans doute matrialiste on peut mme affirmer qu'en un sens il a exagr le spiritualisme de Descartes je veux dire quand il
effective,
action
d'aucune
possibilit
relle
ni
la
de
a
l'ame sur le corps ou du corps sur l'me; mais, d'un
autre ct, ses vues particulires sur la nature divine et
sur le rapport de Dieu avec le monde le conduisaient
tablir entre la pense et l'tendue la plus troite dpendance qui se puisse concevoir, ce pointqu'une me et le
corps qui lui correspond ne sont pour lui qu'une seule
et mme chose envisage sous deux aspects diffrents.
Qu'est-ce, par e\emple, que l'me humaine? c'est Dieu,
en tant qu'aCect d'un mode dtermin de la pense, se
concevant, lui-mme, en tant qu'affect d'un mode dtermin de l'tendue; en d'autres termes, l'me humaine
est une suite d'ides, lies entre elles par une proportion
constante qui reprsente partie par partie, terme par
terme, une suite de modifications de l'tendue unies par
et
sonnelle ?2
Spinoza n'a pointferm les yeux sur toutes ces consquences de sa thorie de l'me humaine, et il n'a pas
cherch les luder; tout au contraire, il les dduit
lui-mme avec sa rigueur et son intrpidit ordinaires
t.
De t'~nt~ Propos.
et son Schct.
dpend de ce seul point que l'me enveloppe l'existence naturelle du corps. Or il suit de tout cela que l'existence prsente de /'a~:e et sa puissance d'imaginer sont
dtruites aussitt que l'me cesse (fo~-m~' l'existence prsentedu corps
Aprs des dclarations aussi expresses ne semblet-il pas qu'~ considrer tour tour et l'esprit gnral de
la philosophie de Spinoza, et sa thorie particulire de
l'me humaine, et ses propres aveux, les lois de la
logique, dont il a t presque toujours un si rigide observateur, le contraignaient de rejeter galement l'immortalit mtaphysique de l'me et son immortalit
morale? Or il les-admet positivement l'une et l'autre. Il
dclare, en effet, que l'me humaine, sinon tout entire,
au moins dans la meilleure partie d'elle-mme, est de sa
nature immortelle, et que la vie future, loin d'exclure
la personnalit, la suppose, puisque c'est une vie purifie de toutes les misres de notre condition terrestre,
une vie de libert, d'amour et de bonheur.
Voici, sij'entends bien Spinoza, la preuve qu'il donne
de l'immortalit de l'me humaine*
L'me humaine est une ide, une ide de Dieu, l'ide
du corps humain. Comme ide de Dieu, l'me humaine
est un mode ternel de l'entendement ternel de Dieu'
ce titre elle ne tombe point dans le temps, et son existence est immuable comme celle de son divin objet.
i.D<i'~m~Scho).de la Propres.)i.
1.
Il
caractre de l'ternit
Supposez cette difficult rsolue, Spinoza ne convientil pas expressment que la mmoire prit avec le corps?
Notre existence passe et notre existence future sont
donc sans lien avec notre existence prsente pourquoi
parler de notre existence passe, si nous n'en avons
aucun souvenir ? Comment concevoir une autre vie o
le souvenir de notre vie actuelle ne nous accompagnera
pas ? Enfin l'ide mme de la vie n'implique-t-elle pas
la continuit de l'existence, et par consquent la m<;~0!'< l'existence du corps sous le
.moire ?
J
nels
t.
De
Il
i 7M.,la It!w<t,
Propos. )7.
De
Schol. de la Propos.
9t.
1.
Schul.
t.
la conscience de soi-mme et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d'tre, et la vritable paix de l'&me,
il la possde pour toujours.(Dernires lignes de l'-
~~M.)
X.
LA RELIGION DE SPINOZA.
effet une loi de notre nature que nos affections s'augmentent quand elles sont partages et par une suite
ncessaire, que notre me fasse effort pour que les autres
mes partagent ses sentiments d'amour II rsulte de l
que le bien que dsire pour /tt:-Mcme <o:~ homme qui pratique la vertu, il le dsirera galement pour les autres hommes, et avec ~'OM<an<Mje/M'M qu'il a:o une plus grande
connaissance de DieuL'amour do Dieu est donc
fois
le principe de la morale, de la religion et de la socit.
Il tend runir tous les hommes en une seule famille et
faire de toutes les mes une seule me par la commu-
ta
!t.?'ratfs~Jo~!CO-~o~f~uc,ehap.m.
6.f<&td'~chap.tv~tumeH,pag76etsu)Y.
x.n
et xv,
t.
Jftme frotte, m me
page.
mme
La question est ae savoir si la rvlation ainsi dfinie
est possible; mais il est clair qu'elle ne peut l'tre pour
Spinoza. Le mot surnaturel n'a pas de sens dans sa doctrine ce qui est hors de la nature est hors de l'tre, et
par consquent ne peut se concevoir. Les rvlateurs,
les prophtes ont donc t des hommes comme les autres.
i6.
!'r(tt<y~o!f)9)'eo-t)o!ttt'9tt~
ch. n.
2.
3. lbtd., tome H, page 32.
4. /f));~ page 33.
thf!
ch.t.
i.
Trait thologico-pohtiqw,
S. lhid.t page 34.
3. lb\d., ch. n.
page
41.
1.
sance d'imaginer extraordinaire, il s'ensuit que toute nation a eu ses prophtes, galement inspirs, galement
respectables. C'est la doctrine expresse de Spinoza
c Puisqu'il est bien tabli, dit-il, que Dieu est galement bon et misricordieux, pour tous les hommes, et
que la mission des prophtes fut moins de donner leur
patrie des lois particulires que d'enseigner aux hommes
la vritable vertu, il s'ensuit que toute nation a eu ses
prophtes, et que le don de prophtie ne fut point
propre la nation juive1. Spinoza cherche des preuves
de son opinion dans la Bible elle-mme Nous trouvons dans le Vieux Testament que des hommes incirconcis, des gentils ont prophtis, tels que Noah, Chanoch, Abimlecli, Bilham, etc., et que des prophtes hbreux ont t envoys par Dieu, non-seulement ceux
de leur nation, mais aussi beaucoup de nations trangres. Ainsi zchiel a prophtis toutes les nations
alors connues Hobadias aux seuls Idumens, et Jonas
a t surtout le prophte des ISinivites
Spinoza s'explique plus ouvertement encore dans ses
Lettres. On le presse d'objections sur sa manire d'interprter l'criture on accuse ses principes de conduire
cette consquence impie, que Mahomet fut un vrai prophte. Spinoza s'en dfend d'abord, et traite mme Mahomet d'imposteur, sous le prtexte visiblement peu
sincre qu'il a ni la libert humaine; mais bientt la
logique et la colre emportent Spinoza, et il s'crie
Est-ce que je suis tenu, je le demande, de montrer
qu'un certain prophte est un faux prophte ?C'tait
puisse communiquer immdiatementaux hommes, puisque sans aucun intermdiaire corporel il communique
son essence notre nie, il est vrai nanmoins qu'un
homme, pour comprendre par la seule force de son me
des vrits qui ne sont point contenues dans les premiers
principes de la connaissance humaine etn'en peuvent tre
Lettre d Isaac Orobio, tome III, page 6.
Il. Je rapprocherai de ces paroles de Spinoza un passage de sa lettre Albert
Oui, jele rpte avec Jean, c'est la justice et la charit qui sont le
Burgh
signele plus certain,le signe un~que de la vrale (oe ca~o~gu?; ~ust~ce et
la cliarit, voil les vritables fruits du Saint-Esprti Partout ou elles se rencmlrenl, la est le Christ, et le Christ nepeut pas tre la ou elles ne sont plus.
1
page 23
i.
Trait tlieoiogico-politique}
2. (6iii page 23.
page
8i.
2.
est
,n--
de
Dieu
l'criture
37
Oldenburg, page
J.
8. Lettre llhjenbergk, tome III, page 103,
3. Tratt thologico-pohtique, cli. vu.
et
art.
7.)
i, ut.
sain'
fi.
18
art.
runis
s.
n,art.
14.
2. Traite thotogico-pohtique, chap. xvi, page 254 de notre tome II.
3. Trait politique, chap. u, art. 16.
Comp. Lettres do Spmoza, leltie W1V, dans notre tome III, page 427.
il
25, 253
de
pas
D'un autre ct, si l'tat est le matre absolu des citoyens, c'est condition de ne pas se mettre en contradiction avec sa propre essence. Or l'essence de l'tat,
'?.
m, art. 8.
ni
fait plus d'honneur encore sa sagesse et sa sagacit. Suivant lui, il n'y a de gouvernements durables que
les gouvernements raisonnables, et il n'y de gouvernements raisonnables que les gouvernements temprs. On est surpris et ravi de \oir ce thoricien qui,
par la raideur de son esprit et la logique troite de
son systme, semblait vou l'ide d'un gouvernement
simple et d'une dmocratie despotique, ramen par sa
sagacit naturelle et par l'observation sincre des faits
comprendre et recommander un systme mixte de
gouvernement. Tout l'heure on avait peine distinguer
Spinoza de Hobbes maintenant on croit avoir affaire
Montesquieu.
Spinoza entreprend un examen rgulier des trois espces de gouvernement, la monarchie, l'aristocratie et la
dmocratie.
Toutes ces formes peuvent avoir leurs avantages, et
Spinoza incline ouvertement vers la dmocratie, mais la
seule distinction essentielle et fondamentale est celle-ci:
il y a de bons et de mauvais gouvernements, de bonnes
et de mauvaises monarchies, de bonnes et de mauvaises
aristocraties, de bonnes et de mauvaises dmocraties.
Quelle est d'abord la bonne monarchie ? c'est, selon
Spinoza, la monarchie tempre. On clbre, dit-il, le
pouvoir absolu de certaines monarchies on admire le
calme et la paix dont elles font jouir leurs sujets
Et en effet, aucun gouvernement n'est demeur aussi
longtemps que celui des Turcs sans aucun changement
notable, tandis qu'au contraire il n'y arien de plus changeant queles gouvernements populaires et de plus troubl
par les sditions. Cela est vrai mais si l'on donne le nom
de paix l'esclavage, la barbarie et la'solitude, rien
nent pas les armes par ce seul motif que la crainte les
paralyse, tout ce qu'on peut en dire, c'est qu'il n'a pas la
guerre, mais non pas qu'il ait la paix.lCar la p_aixLcenlg.st
l'absence de guerre c'est la vertu qui nat dejajtila vritable ob.eis.sau.ce e&l une valante
gueur de
conshinted' excuter tout ce qui doit tre lait d'aprs la loi
commune de l'Etat. Aussi bien
une socit o la paix n'a
d'autre base que l'inertie des sujets, lesquels se laissent
conduire comme un troupeau et ne sont exercs qu'
l'esclavage, ce n'est plus une socit, c'est une solitude'.
Il n'y a rien d'ailleurs de plus factice que cette unit
que l'on croit trouver dans la monarchie absolue Ceux
qui croient qu'il est possible qu'un seul homme possde
le droit suprme de l'tat sont dans une trange erreur.
Le droit, en effet, se mesure la puissance. Or la puissance d'un seul homme est toujours insuffisante soutenir un tel poids. D'o il arrive que celui que la multitude a lu roi se cherche lui-mme des gouverneurs,
des conseillers, des amis auxquels il confie son propre
salut et le salut de tous, de telle sorte que le gouvernement qu'on croit tre absolument monarchique est
aristocratique en ralit, aristocratie non pas apparente,
mais cache et d'autant plus mauvaise. Ajoutez cela
que le roi, s'il est enfant, malade ou accabl de vieillesse, n'est roi que d'une faon toute prcaire. Les vrais
matres du pouvoir souverain sont ceux qui administrent les affaires ou qui touchent de plus prs au roi, et
paix'
pas
t.
et
A cette monarchie abrutissante et factice Spinoza substitue un plan de monarchie pondre. Entre le peuple
et le roi il place un grand Conseil dont les membres sont
choisis par le roi sur une liste de candidats dsigns
par les familles. Ce conseil est la fois une assemble
lgislative et un conseil du gouvernement, de sorte que
le pouvoir lgislatif et le pouvoir excutif se mlent et
se partagent entre le grand Conseil et le roi. Quant au
pouvoir judiciaire, Spinoza a compris qu'il devait le
mettre part, et il institue cette fin un second conseil
man duConseil suprme et indpendant du roi.
6.
et
t.
f.e
m.
Ceux qui veulent soumettre l'tat les croyances religieuses confondent deux sphres trs-distinces, celle
des actes et celle des opinions. Les actes tombent sous
la prise des lois; mais les opinions sont en dehors de
leur empire, moins, bien entendu, qu'elles ne soient
expressment sditieuses et ne provoquent la ruine da
l'tat. Par exemple, quelqu'un pense-t-il que le pouvoir du Souverain n'est pas fond en droit,.ou que personne n'est oblig de tenir ses promesses, ou que chacun
doit vivre selon sa seule volont, et autres choses semblables qui sont en contradiction flagrante avec le pacte
social, celui-l est un citoyen sditieux, non pas tant
cause de son jugement et de son opinion qu' cause de
l'acte envelopp dans de pareils jugements. Par l, en
effet, par cette manire de voir, ne rompt-il pas la foi
donne expressment ou tacitement, au souverain pouvoir ? Mais quant aux autres opinions qui n'enveloppent
1. Trail tholoj co-politiqie,cl-ap.
J.
u.
i9
i.
n.
INTRODUCTION
CRITIQUE
SECONDE PARTIE.
CRITIQUE.
I.
OIHGINES DU SYSTME DE SPINOZA
LA PIIILOSOPHIE DE DESCARTES.
Voyez la Vie de
10.
III.
manires->
2. Georges Wachter, thologien et philosophe de la fin du xvii" sicle, aule Judaismef Amsterdam, 1699, iu-12,
teur du livre: La Sjnnoztsme
allemand, et de VElucidanus Cabahsticus. Rome, 1706, m-8.
3. Animadversionea ou Rfutation mdite de Sjnnosa par Letbnilz, pu.
blie par M. Foucherde Careil, 1854, in-S.
dans
La Kabbale ou la
ya
et suivantes,
13
(4.
t.
daque.
A ces vues sduisantes de l'loquent critique nous objecterons que s'il y a une ide dont l'Ancien Testament
soit pntr, une ide qui chaque page clate en traits
i.
nalit.
Au contraire, que trouvons-nous chez Spinoza? un
Dieu qui n'est, pris en soi, que la substance indtermine
de tous les tres, un Dieu qui se d\eloppe par une ncessit aveugle et ne se ralise qu'en devenant successivement toutes choses, terre, ciel, liornme, plante, cendre
et poussire, puis dans ce nombre infini de formes de
l'existence, un tre intelligent, mais sans libert morale,
un automate spirituel dont la fatalit gouverne les ressorts, tel est le Dieu, tel est l'homme de Spinoza. Peut-on
dire aprs cela que Spinoza se soit inspir de la religion
hbraque et fera-t-on passer Ythique pour un fidle
commentaire de l'Ancien Testament? Pour moi, j'aimerais mieux encore voir dans Spinoza un mouni indien ou
un sophi persan, ce qui est, pour le dire en passant tout
phxlosaphie cartesienne,
par M. Bouilher.
la carrire des abstractions. Quand on considre exclusivement cette dernire tendance, qui est celle o Spinoza s'est abandonn sans rserve, on ne peut que
souscrire l'arrt de Leibnitz; mais que l'on vienne considrer la tendance contraire, celle qui a sa racine dans
le premier principe de toute la philosophie de Descartes,
dans le Cogito ergo sum alors le jugement de Leibnitz
parait injuste et le spinozisme ne se montre plus comme
un dveloppement mme excessif du cartsianisme, mais
comme une absolue dviation.
En d'autres termes, pour qui considre la fois les
germes de vrit et de vie renferms dans le systme de
Descartes et les germes d'erreur et de mort, s'il est vrai
qu'une grande philosophie se dveloppe, quand s'panouissent ses germes de vie, et qu'elle se corrompe au
contraire, quand ses germes de mort vont grandissant,
la vrit est que le spinozisme n'est pas seulement, selon
l'arrt exclusif et incomplet de Leibnitz, un cartsianisme immodr, mais un cartsianisme corrompu.
Comparons d'abord la philosophie de Descartes et
celle de Spinoza sous le rapport de la mthode. C'est aprs
tout la question capitale, celle dont la solution a une influence dcisive sur les destines d'un systme. Or, ce
point de vue, loin qu'on puisse soutenir queSpinoza dveloppe l'excs les principes de Descartes, il faut dire
qu'il les rpudie expressment pour proclamer et pour
suivre des principes diamtralement contraires.
La mtaphysique de Descartes est fonde sur le Cogito,
c'est--dire sur un fait; c'est l son caractre original
et l'explication de sa merveilleuse fortune. Lisez le Discours de la mthode tout son objet, c'est de prparer les
esprits cette dmarche extraordinaire d'un homme
Et
gnralits abstraites })
La mthode d'abstraction, la mthode des gomtres,
i.
acqurir cette connaissance, il faut sur toutes choses distinguer entre l'entendement et l'imagint on, en d'autres termes, entre les ides raies et les autres ides,
fictives, fausses, douteuses, toutes celles en un mot qui ne dpendent que de la
'mmoire. [Lettres, tome III page 419.)
. Vojez les lettres II et XXII de nohe tome 111.
3. Lettre Oldenburg, tome 1I1, p. 350 et suivantes
\txi. ,rropos.
155
harmonieux constitue une existence distincte, indpendante, complte,, matresse d'elle-mme'. Il a l'entendement et la volontEnfin, il est bon, il est la bont
souverainetout ce qui est faiblesse, inconstance, tromparle en quelque
perie, est exclu de son essence4.
sorte l'homme en l'clairant d'un reflet de sa raison, et
la vracit de cette parole dsarme le doute le plus
obstin s'il se rvle en traits plus visibles et plus purs
dans l'me humaine, parce qu'ill'a faite son image et
y a grav l'ide de la perfection comme l'empreinte du
parfait ouvrier, il a laiss aussi dans ce vaste univers la
trace de ses attributs merveilleux. Ce n'est pas qu'en
crant le monde, Dieu nous ait donn le secret de ses
plans. Non, ses fins sont impntrables 6, et ce serait trop
prsumer de nous-mmes que de croire que Dieu ait
voulu nous faire part de ses conseilsCe n'est pas surtout que l'homme ait le droit de penser, comme se plat
l'imaginer son orgueil, que tout en ce monde a t fait
pour lui' mais il n'en est pas moins vrai que tous les
Il
i.
2. Mditation IV.
3. Mditations IIIetVI.
Mditations III, IV et VI.
Prm4. Discours de lamtkode, part. 4.
eipes, part. t, g 19.
S. Mditations IV et VI.
6. Mditation IV.
7. Principe, part. t, 28.
8. Citons le passage des Principes tout entier. Il montre sous son vrai jour et
dans ses vraies limites l'exclusion des causes filiales tant reprochcc Descartes
Encore que ce soit une pense pieuse et bonne en ce qui regarde les murs,
de croire que Dieu a fait toutes choses pour nous, afin que cela nous excite d'autant plus l'aimeret lui rendre grce de tantdebienfaits,encore aussiqu'elle
soitvraie en quelque sens, cause qu'il n'y a rien de cre dont nous ne puissions
tirer quelque usage, quand ce ne serait que celui d'exercer notre esprit en le
considrant, et d'tre incits louer Dieu par son moyen, il n'est toutefois aucunement vraisemblable que toutes choses aient ete faites pour nous, en telle faon que
Dieu n'ait eu aucune autre fin eu les creant; et ce serait, ce me semble, tre impertinent de se vouloir servir de cette opinion pour appujer d<-s ra<bonnemnu de
et
santes
Et de mme, Dieu n'a pas de volont La volont suppose des volitions, des actes dtermins2,et par consqueu', elle est du domaine des choses finies; elle appartient la nature nature. Il n'y a en Dieu qu'une activit
infinie, qui, prise en soi et rapporte la substance, est
comme elle absolument indtermine.
S'il n'y a en Dieu ni entendement, ni volont, comment
y aurait-il intentionnalit, bont, amour? L'ide d'un
Dieu qui agit pour une fin est aux yeux de Spinoza une
chimre absurde Concevoir ainsi la divinit, c'est lui
imputer les conditions de notre activit misrable. Nos
mobiles dsirs nous entranent et l vers leurs objets
changeants et fugitifs; Dieu n'agit point de la sorte il se
dveloppe par la seule ncessit de sa nature Il est de
son essence de produire en soi des corps et des mes,
comme il est de l'essence d'un. cercle d'avoir ses rayons
gaux 5.
Il n'y a pour Dieu ni bien, ni mal, ni beaut, ni laideur, ni ordre, ni dsordre, ni mrite, ni dmrite;
sont
ce
l des distinctions toutes relatives, tout humaines".
Tout est bien, en soi, parce que tout est ncessaire. Les
bons et les mchants sont gaux devant Dieu. Dieu
n'aime, ni ne hait personne', et vouloir tre aim de
Dieu, c'est le plus insolent des dsirs ou la plus purile
des superstitions
Ce Dieu sans vie, sans conscience, sans moralit, cette
1. thique,
A plus
Principes, part. 1, 7.
/6id.,
et 5!.
II
Voil donc toute la face .de ]a philosophie de Dc-scartes change, ou pour mieux dire, voil tout son
esprit touff et disparu. Pour taMir l'e~istfncc du
moi, il nous faut un syllogisme pour tablir l'existence
de'Dieu, des syllogismes; enfin, pour tablir J'existence
des corps, encore des syllogismes. Gomtrie impuissante strile entassement d'abstractions, incapable de
donner un atome de ralit, de mouvement et de vie
:SI l'excs de l'esprit gomtrique s'tait rduit
obscurcir des vrits trs-simples en les accablant sous
d'inutiles raisonnements, le mal n'et pas t irrparable. Mais non, en mme temps que je vois Descartes
substituer aux intuitions de la conscience des concepts
1
Or,
t.
Jtf'thfahm) t~.
frtnftpM, pMt.
t,
M, 63, 64, M.
unique et universelle.
C'est ici que la critique du grand rformateur de la
philosophie cartsienne reprend ses droits. Oui, nous
l'accordons Leibnitz, oui, Descartes a ni toute activit, toute nergie, dans le monde matriel, et par l
il a mis des abstractions la place des ralits
oui,
Descartes a restreint et affaibli l'activit de l'me humaine, et par l il a inclin effacer dans tous les
tres la force, sans laquelle la substance n'est plus
qu'une abstraction oui, Descartes par cette double altration a bris !e lien qui unit et rconcilie dans l'activit qui leur est commune le monde matriel et le
f.
IL
OBJECTIONS CONTRE LE PANTHISME DE SPINOZA.
vous d'une telle abstraction ? absolument rien. Direzvous, en effet, que l'tre a ncessairement des attributs
qui expriment et dterminent son essence ? Je vous
demanderai d'o vous auriez* tir cette notion d'attributs, si l'exprience ne vous avait pas appris que les
tres de la nature ont des attributs, des qualits, des
dterminations prcises, par o ils se distinguent les
uns des autres et deviennent saisissables et intelligibles.
Et supposons mme que de l'ide d'tre en gnral vous
puissiez dduire a priori et sans le secours de l'exprience l'ide d'attribut en gnral, vous n'en serez pas
plus avancs pour cela. Car quoi de plus vide et de plus
creux que l'ide d'un attribut en gnra), d'un attribut
purement possible, et comment dterminer ce genre
d'attributs? Car enfin, vous voulez en venir dire que
la Substance a, non plus des attributs en gnral, mais
tels et tels attributs rels, par exemple la Pense et
l'tendue. Or n'est-il pas vident que pour faire sortir
de la notion vague et indtermine de l'tre en soi. la
notion prcise de la pense, toutes les ressources du
raisonnement sont impuissantes? Il faut donc recourir
l'exprience, bon gr mal gr. Et pourquoi se tromper
soi-mme et tromper les autres ? De bonne foi, quand
vous rduisez tous les attributs dterminables de) la
Substance deux, savoir lafPense et l'Etendue, n'eabce pas la conscience qui vous vous adressez nodr.vous
donner la notion de la pense? n'est-ce pas aux sens que
a donc ici
vous empruntez la notion de l'tendue ?
y
ou une illusion, ou un subterfuge, deux choses indignes
d'un vrai philosophe. Convenez-en donc, l'exprience
est absolument ncessaire en toute uvre scientifique.;
Il
posent ia nature.
Ce dilemme vaut, je crois, contre tous les panthistes;
voici comment j'essayerai de l'tablir en particulier
contre Spinoza.
Il n'y a dans son systme que trois dtinitions possibles de Dieu. Dieu est la Substance, voil la premire
dfinition. Dieu est la Substance, plus ses deux attributs
infinis, la Pense et l'tendue, c'est la seconde dfinition. Dieu est la Substance, plus ses deux attributs
22
dictoire. Comment l'tre absolument parfait deviendrait-il imparfait en se dterminant? C'est, dites-vous,
une ncessit absolue. Grand mot, destin pallier une
hypothse parfaitement arbitraire! Sans doute, votre
systme adopt, il n'y a d'autre moyeu d'expliquer le
passage de la substance l'attribut, de l'indtermin au
dtermin, de l'abstrait au concret, il n'y a d'autre
absolue
qu'on
moyen que l'hypothse d'une ncessit
suppose sans la dmontrer, ni mme l'expliquer. Mais
c'est justement cette hypothse dsespre, absurde en
soi, et en mme temps indispensable au panthisme, qui
se tourne en condamnation contre lui.
De plus, cette hypothse inconcevable et arbitraire
implique directement contradiction. Vous affirmez la
substance comme le positif absolu. Vous dites que tout
attribut, tant une dtermination, est quelque chose de
ngatif, et vous voulez que la substance produise ncessairement des attributs, ou, en d'autres termes, se dtermine ncessairement; c'est comme si vous disiez que le
positif absolu de~ ient ncessairement le ngatif, que le
oui devient ncessairement le non. Pour couvrir l'absurdit de cette consquence, je ne connais qu'un moyen,
c'est de la gnraliser et de la poser intrpidement en
principe sous le nom fastueux de principe de l'identit
des contradictoires. Le panthisme en est venu l de nos
jours; il a proclam par la bouche de IIgel l'identit
absolue du nant et de l'tre, de l'unit et du zro, et il
faut convenir qu'il est devenu irrfutable; mais c'est
qu'il a rompu tout lien avec le sens commun, avec toute
pense humaine, avec tout langage.
Laissons l ces garements dont Spinoza n'est pas
responsable et passons de la premire dfinition de Dieu
imparfaite, voil l'tre qui devient nait, voil l'affirmation qui devient la ngation, voil l'unit qui devient
zro.
compenses, une sorte d'chelle gradue, t~ ,-ingnieuse et trs-originale, d'aprs laquelle cuaque me
humaine, au moment de la mort, recevrait naturellement une part d'immortalit et de flicit gale au
degr prcis de perfection o elle se serait leve
travers les vicissitudes terrestres mais la bonne foi de
l'esprit ne le prserve pas infailliblement de l'illusion
et sa rigueur mme conspire quelquefois l'garer. Plus
je mdite le systme de Spinoza, et plus je m'assure que
le dogme de l'immortalit de l'me en est ncessairement banni. L'me humaine tant pour lui l'ide du
corps humain, en d'autres termes, une agrgation d'ides
enchane une agrgation de molcules corporelles,
pour que l'me de Spinoza continut d'exister aprs la
dcomposition du corps, il faudrait un miracle, un renversement des lois ncessaires de la vie universelle, ce
qui est ses yeux la plus norme des absurdits. Mais
ce n'est pas tout: Spinoza dclare formellement qu'aprs
la dissolution des organes, ni l'imagination, ni la mmoire ne peuvent exister: or, sans mmoire, la continuit de la conscience, et partant la conscience ellemme, s'vanouissent. Que peut tre dsormais la vie
pour une personne, pour un tre qui dit moi ? Exister
sans le savoir, ce n'est plus vivre de la vie humaine
pour l'homme donc, c'est avoir cess d'tre. Ainsi la vie
que nous laisse Spinoza est en tout semblable la mort,
et ce sincre gnie l'a si bien compris, qu'il semble
s'tre fait scrupule de se servir du nom d'immortalit:
Il y a, dit-il, dans l'me humaine quelque chose d'ternel. Nous sentons, s'crie-t-il ailleurs, que
nous sommes ternels. Si je vous entends bien, Spinoza, cela signifie que l'me humaine n'est qu'une
forme passagre d'un principe ternel, et que nous sentons notre existence successive s'couler comme un flot
rapide sur le mobile ocan de la vie universelle. En dernire analyse, Dieu seul est ternel et toujours vivant,
tandis que toute existence individuelle, l'me humaine
comme le plus vil et le plus chtif des animaux, est
irrvocablement condamne, aprs avoir surnag quelques instants fugitifs au-dessus de l'abime, y tre engloutie pour jamais.
Voil mes objections; si elles sont fondes, il faudrait
conclure que Spinoza, partant d'un principe abstrait et
strile, savoir, la Substance, et dveloppant ce principe
l'aide d'une mthode tout artificielle, savoir, la d-.
duction purement gomtrique, aboutit finalement
dfigurer l'ide de Dieu et dgrader celle de l'me,
c'est-dire au renversement de toute religion et de toute
moralit. Principes arbitraires, consquences impies,
tel m'apparat, malgr sa puissante et belle ordonnance,
le systme de Spinoza.
III.
RFUTATION GNRALE DU PANTHISME.
une existence ternelle, immense, indpendante, incapable de changement, en un mot, parfaite et accomplie:
c'est la rgion des vrits ternelles, c'est le monde
idal, c'est l'intelligible et le divin.
Nulle conscience humaine ne peut rester absolument
trangre ces deux notions. Il est des mes si lgres
ou si corrompues, si aisment emportes par le tourbillon rapide et brillant des choses qui passent, ou si
profondment attaches aux grossiers objets de la terre,
qu'il semble qu'aucune trace des notions sublimes ne
s'y fasse sentir, qu'aucun rayon de l'ide de l'infini ne
pntre au milieu de ces tnbres. Et cependant, scrutez
au fond de ces mes, vous y reconnatrez des signes
certains l'existence de l'ide de l'infini. Quel esprit assez
frivole pour n'avoir pas quelquefois le sentiment de sa
faiblesse?qui de nous ne pense la mort ? o est
l'esprit assez grossier pour n'avoir pas au moins souponn par del les beauts de ce monde, toujours mles
de laideur, une beaut pure et sans mlange ? o est le
cur qui n'a pas rv un idal de flicit parfaite o
tous les dsirs seraient combls ? qui n'attache quelque
sens ces mots mystrieux que toute langue redit, que
toute posie chante, que toute religion adore, l'ternel,
l'Unit, le Tout-Puissant, le Trs-Haut, l'Infini, l'Unit,
l'Esprit universel, Dieu?
Quelques intelligences d'lite s'attachent avec tant de
force ces hautes conceptions, quelques mes choisies
prouvent un charme si vif se perdre, s'abmer dans
ces profondeurs mystrieuses, qu'elles en oublient et le
monde et la vie et leur propre ralit; mais ce sont l.
de rares exceptions, des ravissements passagers, et il
n'est point d'me humaine qui n'ait, avec la conscience
letemps.
Voila donc deux types de l'existence, l'ternit et la
dure, l'immensit et l'tendue, l'immuable et le mouvement, le parfait et l'imparfait, l'absolu et le relatif.
Voil deux ides, deux croyances indestructibles. Il faut
se rendre compte de ces deux ides il faut expliquer
ces deux croyances il faut concevoir et comprendre la
coexistence du fini et de l'infini. C'est le sujet des mditations de tout tre qui pense, c'est l'ternel problme
de la mtaphysique.
Le problme est si difficile, le contraste des deux
existences qu'il s'agit de concilier est si profond, et, d'un
autre ct, l'esprit humain est si faible et si exclusif
qu'il n'est pas malais de comprendre qu'aux premires
poques de la spculation philosophique il se soit rencontr des esprits imptueux et violents qui aient essay
de rsoudre la question en supprimant un de ses deux
termes. Les uns ont dit: L'infini existe; il suffit de le
concevoir pour ne pouvoir plus le nier. Il est par soi, il
est l'tre mme. Tout ce qui n'est pas lui n'est rien.
Hors de l'tre absolu, parfait, accompli, il ne saurait y
avoir que de vains fantmes de l'existence. L'tre est, le
non-tre n'est pas. On peut reconnatre ici les ides
et le langage d'une cole clbre de l'antiquit, laquelle
n'ont manqu ni l'audace ni le gnie l'cole d'EIe.
D'autres ont dit s 11 y a du mouvement. Aveugle et insens qui oserait le nier. L'homme se sent exister et
pour lui, exister, c'est changer sans cesse. Tout ce qui
l'entoure est livr comme lui-mme un perptuel
changement. La mobilit est donc te caractre essentiel
proquement.
Quel parti prendre en face de cette double ncessit?
maintenir les deux termes dans leur opposition concevoir le fini et l'infini comme deux principes contraires,
indpendants, ayant chacun leur raison d'tre? cette
solution a t essaye. Dans l'histoire des religions, elle
s'appelle le manichisme dans l'histoire de la philosophie, elle s'appelle le dualisme. Des hommes de gnie
,f
l'unit absolue' avec un autre, que Dieu est la concidence ternelle des contrairesavec un troisime, que la
nature est un ensemble de modes dont Dieu est la substance'; ou encore, que le fini et l'infini, et en gnral,
identiqus'
mais sous la
contradictoires
les
sont
que
varit des formules, au travers des changements et des
progrs du panthisme, l'analyse dcouvre une conception unique, toujours la mme; et cette conception, c'est
celle de la coexistence ncessaire et ternelle du fini et
de l'infini, de la consubstantialit absolue de la nature
et de Dieu, considrs comme deux aspects diffrents et
insparables de l'existence universelle. Nous avons entre
les mains une formule prcise du panthisme, elle nous
a t fournie par l'analyse des notions lmentaires de
l'esprit humain et des diffrentes solutions qui peuvent
tre donnes du problme fondamental de la mtaphysique. Avant de faire un pas de plus, assurons-nous que
notre formule n'est point une hypothse arbitraire, et
aprs l'avoir en quelque faon dduite a priori de la
nature mme de la raison, prouvons qu'elle est confirme
a posteriori par les donnes du langage et par l'histoire de
l'esprit humain.
Et d'abord, il suffit du plus simple examen de ce mot
~an~e:s)Hc pour reconnatre qu'il exprime merveille
l'essence du systme dont il est le signe. Supposez qu'aprs avoir pos a priori la formule prcdemment dveloppe, on veuille composer un mot unique pour la
rsumer, il sera impossible de trouver une combinaison
t.
Plotin.
. Gtordano Bruno.
8. Spmoza.
4. Ueget.
et
11.
il
essay.
l'ont-ils
Si le panthisme est oblig d'expliquer les croyances
du genre humain, il n'est pas moins imprieusement
oblig de rester fidle aux conditions de son essence.
Or l'essence du panthisme, c'est l'unit, ou, si l'on veut,
la rduction du fini et de l'infini, de la nature et de
Dieu, l'unit absolue.
Qui ne voit la grandeur de cette dimoult?D'une part,
il faut l'esprit humain, il faut la conscience universelle, un Dieu rel et une nature relle; de l'autre, il
faut ramener toute existence l'unit. Comment y parvenir ? Si vous ne voulez pas d'un Dieu abstrait et ind-
difficile et redoutable pour tout systme, et peut-tre surpasse-t-il l'esprit ]mmain; mais i] a pour le panthisme
une difEcult toute spciale. Il faut, en effet, tout en podes
cette dimcult, ils se divisent et s'engagent en deux directions tout fait contraires. Avons-nous affaire un
philosophe pntr d'un sentiment profond de la Divinit, de cette pense parfaite et accomplie qui ne con-
le
Voyez
~at~~tt;~
2. Tcixov &"1
LmpmcuS,
ci~O~1tIJ.l'" m\1Ja&'o',
d7,aiw at
(c!emMtd'AtM.,S<roma<M,p.M9, B, c.)
n\ ivnv xal
~0.0~
'=/)',1
'ne Billy un
Vil,
127 sqq.)
monde visible est pour lui une pure illusion mais cette
illusion mme a ncessairement une raison d'tre. Cela
est si vrai que Parmnidc, aprs s'tre puis pntrer
les profondeurs de l'tre absolu, consent tourner son
regard vers le monde des sens, et s'efforce de rendre
compte de ces apparences dcevantes et de les ramener
l'unit. Par une contradiction vidente, mais invitable, ce philosophe de l'unit indivisible, cet adversaire inflexible des sens termine son grand pome par
un systme de physique
Ainsi donc, ni Heraclite n'a compltement mconnu
la notion de l'infini, ni Parmnide ne s'est entirement
affranchi de la notion du fini. Tous deux ont cherch,
leur manire, l'unit absolue de l'existence, chimre
ternelle, ternel cueil du panthisme. L'un, pntre
du sentiment de ]a ralit sensible, a rduit toute existence a un devenir absolu l'autre, enivr d'abstraction,
n'a vu dans la nature que limites et nant, et il a concentr toutes choses dans une seule existence relle,
celle de l'tre en soi. Double consquence laquelle est
condamn le panthisme par la loi essentielle de son
dveloppement.
Si nous voulons maintenant vrifier sur une plus
grande chelle les caractres que nous venons d'assigner aux systmes de l'Ionie et d'le, franchissons
l'poque de Socrate, traversons l'cole de Platon,
o le panthisme, s'il s'y rencontre, n'existe qu'en
germe dpassons enfin l'cole d'Aristote, o rgne un
esprit tout contraire, et arrivons aux deux coles qui ont
t.
Kartten, et le
fof-
la
de l'effort, comme il serait assez juste de dfinir l'picurisme la philosophie du relchement. Les stoiciens,
/t!
1. Sncque, b'pt'st
65.
m~
[t~
i.
Vis Deuo' natut'am vocare? non peccabis. Est etum ex quo nata sunt oma)&. w
Sen&que, Qtt.T~. n~
H, 45.
Comp. Plutarque,
Dt p!<M!<M phil., I, 7.
des causes, ut quidquid accidet, id ex ~ma Mrt'<o<e causarumque <'OM/M<0?M /!M.C!MC dicatis
On comprend maintenant qu'avec cette philosophie
les stoiciens n'eussent aucune difficult admettre la
thologie du paganisme. Ils ne se rservaient que le
droit de l'interprter avec une certaine libert et de
transformer, comme ils disaient, la thologie mythique
et la thologie civile en thologie physique. Selon ce systme d'exgse, Dieu, comme cause de la vie, s'appelle
Zeus (de !~) comme prsent dans l'ther, qui est son lieu
propre, Athn, dans le feu Hephsios, dans l'air Hra,
dans l'eau Posidon, dans la terre Dmter ou Cyble.
Si les stociens ont ainsi matrialis Dieu au point de
le confondre avec la nature, ce n'est pas que le sentiment de la personnalit leur ait manqu mais ils ne
l'ont comprise que dans l'homme. La personne humaine,
voil le vritable Dieu des stoiciens. Dans ce mouvement
qui emporte toutes choses au gr de la fatalit, il y a un
tre qui rsiste et qui lutte, c'est l'homme. L'homme se
propose un idal qui est la libert, la pleine possession
de soi-mme, la parfaite indpendance, et pour atteindre
cet idal, il sacrifie ses instincts les plus imprieux et
ses plus douces affections. Or quel est le moyen pour
l'homme de conqurir la pleine et absolue libert! il n'yy
en a pas d'autre que la libert elle-mme. Voil donc la
libert humaine qui trouve en elle-mme, qui est
elle-mme son premier et son dernier bien. Le sage,
l'homme libre, no doit donc son bien qu' soi-mme
et ne relve que de soi. Telle est la source de cet orgueil excessif, de cette idoltrie de l'homme si dure-
i.
et elle-mme n'est point un tre. A son tour l'Intelligence, immobile et inactive, produit l'Ame, principe de
l'activit et du mouvement. Est-ce assez de tnbres?
est-ce assez de contradictions?
Un examen approfondi, sans rsoudre toutes ces contradictions, sans dissiper toutes ces tnbres, les claircit. Quand l'me humaine, imposant silence l'imagi-
anneaux
l'image, bien plus, il est le produit de l'unit absolue;
il est l'unit multiplie, d'infinie devenu finie, et de ncessaire contingente, par une loi uniforme d'manation
qui tire incessamment le nombre de l'Unit pour le faire
rentrer ensuite dans l'Unit
L'esprit mystique ne se montre pas avec moins d'vidence dans les philosophes d'Alexandrie. Et, en effet,
qu'est-ce leurs yeux que le monde o nous vivons?
une image de plus en plus affaiblie de l'existence divine, ou pour mieux dire, un abaissement de la divinit. Une seule chose est vraiment bonne et vraiment
relle, c'est l'Unit. L'Unit seule est immobile et pure
immdiatement au-dessous de l'Unit apparaissent la
mobilit, la diffrence, la limite, l'imperfection
second principe, l'Intelligence, est dj une dchance
de l'tre; car la pense, mme absolue, implique une
diffrence et une sorte de mouvement, la diffrence
du sujet et de l'objet, de la pense et de l'tre, et le
mouvement qui les unit. Au-dessous de l'Intelligence,
Dieu s'abaisse encore en se divisant. Il agit, il produit des tres imparfaits et mobiles, et cette production altre et corrompt de plus en plus sa nature en la
rendant accessible aux limitations de l'espace et aux
vicissitudes du temps.
r'tres,
Bien que plac un degr lev dans l'chelle des
l'homme est plein de faiblesses et d'imperfections.
La vie terrestre est une vie d'illusion et de mensonge
/qui dure peine quelques instants fugitifs. L'homme
ne
f vaut que par la pense, qui le drobe ce monde misrable et le transporte aux sublimes rgions. Il faut
Le
t.
Plalm,
rp..rv,
r.w
i tbul., 34.0.,1)'
3.rau
aUa it.m
&. Ul."I<J.
v, x, xx.
Htdilatwns chrtiennes,
Y, VI.
entret.
l'ordre
la nature'.
Quel est le dernier mot de ce systme? videmment
c'est que l'univers physique n'est qu'un vaste thtre
pour les mouvements de Dieu, comme les hommes ne
sont que les cordes impuissantes d'un instrument aux
mille touches dont Dieu se sert pour sa gloire. L'univers
s'efface, l'me humaine se dissipe et s'vanouit, il n'y a
de
ll'eutc,
t.
ScQolie
du Coroll. 2.
abstractions.
Cette srie d'abstractions gomtriquement enchanes
tonne une espce de pyramide dontle sommet est Dieu;
l'tre
I
c'est--dire
la
substance,
qu'est-ce
Dieu?
mais
que
sans dtermination, l'tre sans activit, sans pense,
l'tre pur, l'tre vide, une abstraction creuse, presque
un pur nom
Voil le dernier mot du systme de Spinoza, interrog
une dernire
preuve, et pour puiser cette vrification historique
en'la poussant jusqu'aux, ges contemporains, nous allons
montrer le panthisme sortant de l'cole de Kant, au
xmii sicle, comme il tait sorti au \\ue sicle de l'cole
de Descartes, trouvant dans M. Schelling son Malebranche et dans M. Hegel son Spinoza, aboutissant enfin
une dernire fois ses consquences ncessaires avec
M. Schelling, vieillissant et fatigu, une sorte de mysticisme pitisLe; avec les derniers disciples de Hegel,
un naturalisme sans frein et l'athisme le plus audacieux et le plus radical qui ait jamais t.
Comment le panthisme est-il sorti de l'cole de Kant?
comment cette philosophie, si timide son dbut, et
qui semble aboutir au doute par l'excs mme de sa
circonspection, a-t-elle enfant un dogmatisme de la
plus insigne tmrit ? Je crois en savoir la raison c'est
qu'au fond de l'apparent scepticisme de Kant il y a une
ide d'une hardiesse extraordinaire. Des deux lments
dont le rapport et l'harmonie composent la science,
savoir l'esprit humain d'une part, le sujet, et de l'autre
les choses, les tres, l'objet, Kant mdite de supprimer
le second et de rduire la science au premier. carter
jamais l'objectif, comme absolument inaccessible et indterminable, tout rsoudre dans le subjectif, voil son
Il nous
but.
Suivant Kant, ce que nous appelons les lois de la nature, ce sont en ralit les formes de notre intelligence
que nous appliquons aux phnomnes. La grande erreur
des philosophes, c'est de dtacher ces lois de leur vritable principe, qui est l'esprit humain ou le sujet, pour
les transporter dans les choses, pour les objectiver.
Kant aimait rendre sensible l'ide de sa rforme philosophique en la rapprochant de celle que son compatriote
Copernic avait introduite dans l'astronomie. Le vulgaire
croit que les astres tournent autour de la terre, ce qui
ne peut s'accorder avec l'observation exacte des faits.
Changez l'hypothse, faites tourner la terre autour du
soleil, toute contradiction disparat, tout s'explique et
s'claircit. De mme on est accoutum subordonner la
pense l'tre, tandis qu'au vrai c'est l'tre qu'il faut
subordonner et rduire la pense.
Ceci explique le passage du systme de Kant celui
de son premier grand disciple Fichte. Le matre n'avait
pas os aller jusqu'au bout de son systme. Aprs avoir
rduit l'univers, l'me et Dieu de simples ides, il tait
revenu %ur ses pas, essayant de retrouver dans la raison
pratique la force d'objectivit qui manque la raison
pure et de reconstituer sur la base de la consciencemorale
le systme entier des ralits. C'est l aux yeux de
Fichte une faiblesse et une inconsquence. n lui semble
d'ailleurs que le systme dvelopp dans la Critique de
la raison pure manque essentiellement de cette svrit
logique qui est pour lui le caractre de la science.
Le premier mot de Kant, en effet, c'est que rien ne se
produit dans la pense que par suite de l'exprience et
des 2)hnomnes qui frappent nos sens. Or ces phnomnes que l'esprit rencontre et ne produit pas supposent
un principe tranger. Voil ds le dbut une concession norme et qui d'avance ruine tout le systme de
la philosophie critique. Quoit la science a pour infran-
1.
27
principe, ce sujet-objet absolu, comme l'appelle Schilling, est l'ide mre de sa philosophie.
Schelling compare ensemble les deux termes opposs
de la science, l'objet et le sujet, le monde des faits et
le monde des ides, et il trouve que leur opposition
n'est qu'apparente l'identit est au fond. En effet,
la nature a des lois; or une loi, c'est essentiellement
quelque chose d'intellectuel, c'est une ide. La nature
est donc toute pntre d'intelligence. D'un autre ct,
l'humanit a aussi ses lois; elle est libre sans doute, mais
elle n'est pas livre au hasard. Des rgles absolues gouvernent son dveloppement. Il y a donc parent entre
l'humanit et la nature. D'o vient leur distinction? c'est
que la nature obit ses lois sans conscience, tandis que
l'humanit a conscience des siennes. En d'autres termes,
il y a de l'tre dans la pense, de l'idal dans le rel, et
il y a aussi de la pense dans l'tre, du rel dans l'idal.
La diffrence, c'est qu'ici la pense et l l'tre dominent;
mais au fond la pense et l'tre sont insparables. Il y a
donc un principe commun qui se dveloppe tantt sans
conscience et tantt avec conscience de soi-mme. C'est
le Dieu de Schelling.
Nul doute que cette conception de Schelling n'ait son
originalit et ne soit, en un certain sens, une raction
extrme contre la doctrine de Ficlite; mais en un autre
sens elle la continue. Fichte n'admettait-il pas aussi
l'identit absolue des choses? ne rsolvait-il pas l'opposition du moi et du non-moidans un principe suprieur?
Seulement ce principe suprieur, c'tait toujours le moi,
et de l le caractre idaliste et subjectif de tout le systme. Cette identit admise par Fichte, Schelling la gnralise et la transforme. Elle n'est plus pour lui renferme dans cette troite prison du moi; elle est le fond de
toutes choses. On peut dire que Schelling a pris des
mains de Fichte les cadres de sa philosophie; mais, en
les largissant, il leur a donn une ampleur infinie. Il a
fait entrer dans le systme de Fichte la nature exile, il
ya rpandu pleines mains la ralit et la vie.
L'volution de la philosophie allemande ne pouvait
s'arrter Schelling. Le systme de Schelling, en effet,
renfermait bien un principe, mais elle ne fournissait
aucun mo) en de le dvelopper scientifiquement. Qu'avait
fait Schelling? il avait conu l'ensemble des choses
comme la srie successive des formes varies d'un principe identique. Mais comment saisir ce principe? comment atteindre la loi de son dveloppement? comment
la dmontrer? c'est ce que Schelling ne faisait pas.
Pourquoi ce principe se dveloppe-t-il? pourquoi de\ient-il tour tour pesanteur, lumire, activit, conscience? Est-ce l'exprience qu'on le demandera? Mais
l'exprience constate les faits, elle ne les explique pas.
Dira-t-on que le sujet-objet se dveloppe par sa nature?
On demandera quelle est sa nature, et Schelling ne la
dtermine en aucune faon. Quand on le pousse bout,
il dit que le monde est une chute de l'absolu. Mais est-ce
l une solution vraiment scientifique?n'est ce pas plutt
une image dcevante sous laquelle la froide raison ne
trouverien autre chose que la qualit occulte d'un prin-
ib\d.} 125.
toutes ces ides sortent, selon une loi rgulire et uniforme, d'une premire ide qui est l'ide de l'tre pur.
Or cette ide de l'tre pur, qui en un sens est d'une fcondit infinie, puisqu'elle engendre toutes les autres,
cette ide qui, ce titre, semble jouer le rle de Dieu,
cette ide est en un autre sens tellement creuse, tellement
pau\re tellement basse que Hgel l'assimile et l'identifie l'ide du nant'. L'tre pur et le nant sont la
fois identiques et opposs, et c'est cette premire identit ou cette premire contradiction qui est le principe
gnrateur de toutes choses. A ce compte, tout commence par l'imperfection, tout va du plus bas degr
de l'trea des degrs de plus en plus levs, jusqu'ce
que l'ide, aprs avoir travers toutes les oppositions,
aprs s'tre faite tour tour espace, temps, lumire,
chaleur, terre, astre, plante, animal, homme, acquire
enfin ce dernier priode de son dveloppement la conscience d'elle-mme et son plus haut point de perfection. La perfection est donc au terme, loin d'tre l'origine, et le vritable Dieu du systme, si on entend par
Dieu l'tre parfait, le vritable Dieu, ce n'est pas l'trenant par o tout commence, c'est l'homme par o
tout finit. Ou pour mieux dire, la perfection et la divinit ne sont nulle part, ni l'origine, ni au milieu, ni
au terme. Il n'y a qu'une gnration ternelle et fatale
d'tres finis et imparfaits, et pour contempler ce spectacle
trange, un animal, plus subtil que les autres, qui spi
1.
par
ou
jug, se
fait accidentel, d'accord; si vous parlez d'un acte volontaire et individuel, je reconnais que le droit est infiniment au-dessus du fait, que c'est au droit rgler le
fait, non au fait rgler le droit; mais ce n'est pas de
cela qu'il s'agit. Un fait bien tabli, un fait gnral, ne
serait-il qu'un fait, est quelque chose de considrable et
dont tout systme de philosophie doit tenircompte. Jene
dis pas qu'il doive s'enfermer dans les donnes de l'exprience et s'y asservir; je dis que, de si haut qu'il les domine, il est oblig de les reconnatre et de les expliquer.
Ce n'est pas tout on ne peut faire un systme avec
une autre nature que la nature humaine. Or la nature
humaine a ses lois, ses limites, ses besoins, et tout philosophe est oblig de s'accommoder, bon gr mal gr,
ses conditions. S'il y a dans la nature humame une
croyance qui lui soit tellement inhrente qu'elle se retrouve toutes les poques, dans tous les lieux, chez
tous les peuples, il faut que la philosophie compte avec
cette croyance. S'inscrirait-elle en faux contre la conscience du genre humain ? taxerait-elle sa foi naturelle
de prjug et d'illusion? Il faudrait encore qu'elle en
expliqut l'origine et l'universalit.
Si tout systme est assujetti cette double condition, de rendre compte des faits de l'exprience et des
croyances universelles du genre humain, le panthisme
ne peut avoir la prtention de s'y soustraire. Et cependant c'est l le double cueil o il vient toujours se
briser. Aussi, de tout temps, les philosophes panthistes
ont-ils fait profession de mpriser l'exprience. coutez
Parmnide, Plotin, Bruno, Spinoza, Hgel; ils vous diront que les sens sont trompeurs, que le vulgaire, en
les prenant pour guides, se condamne repatre son in-
Plotin a des traits admirables sur le gouvernement moral de l'univers1,et on ne saurait exprimer l'harmonie
Plotin a consacr une grande partie du livre II de sa troisime Ennade la
dmonstration de la divine providence. Voyez en particulier (dans l'excellente
traduction de M. Bamllet, tome II, p. 27) le magmfique et cloquent passage o
lgtin, donnant la parole l'univers, lui fait dire C'est un Dieu qui m'a fait, et de
1
sonnifianta l'infini
i.
,24.
I.
29
lution en volution, l'ide se fait homme. Alors seulement Dieu a conscience de soi. En d'autres termes, Dieu,
au lieu d'tre le principe et le crateur, n'est que la dernire consquence.
II faut examiner de prs cette conception qu'on nous
donne comme le dernier effort d'une science nouvelle,
de je ne sais quelle dialectique inome, arme de ses
thses, de ses antithses et de ses synthses, et qui, partant de l'abstraction de l'tre, se flatte d'arriver l'tre
complet en passant par toutes les formes possibles de
l'existence.
La prtention de nos panthistes, quand ils partent de
ce je ne sais quoi qu'ils appellent l'absolu et qui remplit
dans leur systme le rle de Dieu, c'est de prendre leur
point d'appui dans le premier principe de la raison. Je
demande ce qu'ils entendent par l'absolu, et peu importe ici la diffrence des dfinitions et des formules
car ils sont tous d'accord pour reconnatre que cet absolu, pris en soi, n'est pas un principe vivant et dtermin. Ds qu'il se dtermine, ds qu'il vit, il n'est plus
l'absolu pur, il n'est plus soi-mme; il devient un autre
que soi, il devient la nature et l'humanit.
Or tant s'en faut qu'un tel absolu soit le premier
principe de la raison, qu' mon avis lui donner ce rang
et ce caractre, c'est nier la raison mme; car c'est confondre la raison proprement dite, la raison intuitive,
avec ces facults secondaires d'analyse et d'abstraction
qui prsident aux oprations de la raison discursive;
en d'autres termes, c'est substituer l'ide de l'tre
parfait, ide primitive, naturelle, spontane, pleine de
ralit et de vie, le concept abstrait et mort de l'tre
indtermin. Oui sans doute, concevoir l'tre parfait et
Ils
en puissance. Je
dis que ce principe est radicalement strile. Comment
concevoir, en effet, que cet tre indtermin se dtermine, que cet tre en puissance passe l'acte?Cela est
absolument impossible, et il faut ici se donner le spectacle des discordes intrieures de l'cole panthiste en
face de cette impossibilit commune tous ses matres
de faire un pas au del de leur strile absolu.
On sait que Schelling avait pos l'origine des choses
un principe qu'il appelaitl'identique absolu, le sujet-objet.
rir l'exprience
20.
logique,
afin
de l'tre tout parfait, la conception neuve et transcendante de l'absolu?point du tout. Je demande si l'absolu
des panthistes est en soi parfait ou imparfait. S'il est
parfait en soi, il ne peut ni se perfectionner, ni dchoir;
cela est vident. Il faut donc qu'ils avouent que leur absolu est imparfait. Mais alors ils tombent dans un abme
d'absurdits. Selon cette hypothse, en effet, qui est le
dernier mot des panthistes contemporains, tout commence par l'imperfection, et la perfection est au terme.
Mais si l'absolu en soi est imparfait, il n'a pas sa raison
d'tre en soi, il n'a aucune raison d'tre. Supposons qu'il
soit, pourquoi se dveloppe-t-il? autre chose inexplicable
et impossible. L'expdient des panthistes, c'est de dire
qu'il se dveloppe ncessairement; mais ce n'est pas rpondre. Car sur quoi est fonde cette ncessit? Dirontils qu'en fait le monde existe; mais ce fait n'est qu'un
fait, qui ne peut fonder une ncessite absolue. Cette ne-.
cessit est donc purement gratuite. Non-seulement on
ne conoit pas que l'absolu se dveloppe, mais on com~
coit trs-clairement qu'il ne peut pas se dvelopper,
parce qu'il est impossible que l'imperfection ~oit un
principe, impossible que le parfait sorte de l'imparfait.
Il faut donc en venir a dire avec Hgel qu'il est ncessaire
que ce qui est contradictoire se <aMe, que le nfmt devienne Petre, que le zro devienne ~origine de l'unit et
des nombres. Le rien produisant le tout, l'abaur.de en
soi devenu ncessaire et charge d'expliquer et d'claireir
tous les mystres de l'existence, <voiIA .la denuefe limite
que le panthisme devait toucher.
'Nous croyons avoir prouv que l'absolu des panihiaites
sentiment.
Convenez-en de bonne foi. Votre Dieu personnel est
un tre dtermin, particulier, plus puissant et plus intelligent que les hommes, mais de la mmc espce, en
un mot, un homme idalis. 11 a conscience, il dit
moi. Mais avoir conscience, dire moi, c'est attester
essence aucune limite, aucune ngation, aucune dtermination. Donc la conception d'un Dieu distinct et
dtermin est contradictoire.
videmment toute la force de cette objection est dans
ce principe invoqu comme un axiome par les panthistes anciens et modernes Omnis determinationegatio
est. Or rien de plus arbitraire et de plus faux que ce
prtendu axiome. Il tire son origine de la confusion de
deux choses minemment diffrentes, savoir: les limites
d'un tre et ses caractres dterminants et constitutifs.
Je suis un tre intelligent et mon intelligence est limite. La possession de l'intelligence, voil le caractre
de mon tre, voil ce qui me distingue de l'tre brut la
limitation de mon intelligence, qui ne peut voir qu'un
petit nombre de vents la fois, voil ma limite,
voil ce qui me distingue de l'tre absolu, de l'intelligence parfaite qui voit toutes les vrits d'un seul coup
d'il.
Ce qui fait mon imperfection, ce n'est pas certes que
je sois intelligent l au contraire est la force, la beaut,
la dignit de mon tre. Ce qui fait ma faiblesse et mon
nant, c'est que cette intelligence est enferme dans un
cercle troit. Ainsi en tant qu'intelligent, j'ai de l'tre,
j'ai de la perfection; en tant que je ne suis intelligent
que dans certaines limites, je tiens du nant, je suis imparfait.
M suit de cette analyse trs-simple que la dtermi-
reuse unit.
Les panthistes insistent vous convenez, disent-ils,
que la condition essentielle de la pense, c'est la distinction du sujet et de l'objet; le sujet se pose d'un ct
comme moi pensant, et il s'oppose l'objet qu'il pense.
Il suivrait de l, dans votre systme, que l'absolu
chappe l'esprit humain; car l'esprit humain pensant l'absolu se pose en dehors de lui, titre de
sujet, et le pose en face de soi, a titre d'objet. Par
conviens que penser Dieu,
lj, il dtruit l'absolu.
pour l'homme, c'est se distinguer de lui; mais se
distinguer n'est pas se sparer. Je pense Dieu comme
-Je
mensit, la pense finie qui se dploie n'est pas un prolongement de la pense infinie ternellement dploye.
Et cela mme nous aide peut-tre, sinon comprendre,
au moins entrevoir le rapport de ces deux termes. Car
je conois clairement que le temps manifeste et exprime
l'ternit. Un philosophe a dit que le temps est l'image
MoAt7e de l'ternit, et cette pense profonde, passant
des philosophes aux potes, s'est faite accessible au sens
commun.
Rien n'est plus sublime, rien aussi n'est plus familier
que cette opposition et cette harmonie de l'ternit et
du temps. C'est l'opposition et l'harmonie de la terre et
du ciel des choses humaines et des choses divines.
Tout le monde conoit que le temps est autre chose que
l'ternit, que le temps n'est pas et ne peut pas tre un
prolongement de l'ternit infinie, ni un dveloppement
de l'ternit immobile. Et cependant le temps existe,
outre l'ternit; le temps a dans l'ternit sa raison
d'tre, et l'ternit a dans le temps son image. De mme,
l'tendue avec la varit infinie de ses formes et de ses
mouvements exprime l'immensit de l'immobile et invisible Crateur. En gnpal, la vie de la nature et celle de
l'homme, je veux dire l'effort de l'tre pour sentir, pour
penser, pour jouir, pour monter sans cesse vers une
forme d'existence plus large et plus pure exprime et
manifeste la vie divine, je veux dire la pleine possession
de l'tre au sein de la pense, de l'amour, de la joie, de
la flicit.
Vous tes dupe d'une mtaphore, diront les panthistes. Vous remplacez le mot inintelligible de cration
par les mots d'expression, de manifestation, qui vous
semblent plus clairs; mais ils ne sont clairs qu'appliqus
rielle et sensible, une parole intrieure dont nous trouvons quelque trace en notre pense. C'est ce discours
spirituel que je me reprsente en Dieu. ternellement il
voit le temps, l'espace, l'univers. Il voit dans le temps
l'expression de son ternit; dans l'espace, l'expression
de son immensit, dans l'univers, l'expression de toutes
les puissances communicables de son tre inut)i, et il se
complat dans cette image et il la ralise par un acte
d'amour clair par ~a sagesse et ser\ipar la toute-puisIl la ralise
comment, s'il vous plat?
sance.
J'avoue humblement que je l'ignore, et direvrai, il ne
m'en cote pas d'avouer mon ignorance sur le comment
de la cration quand je songe que tant d'autres comment beaucoup plus rapprochs de moi, le comment de
l'union de l'me et du corps, le comment de la communication du plus simple mouvement, me laissent dans
une ignorance invincible.
Voil donc un nouveau mystre dans la science hu/maine des choses divines, un mystre, j'en conviens,
mais pas une contradiction.
et
Aprs cette discussion sur le point capital de la question, je ne m'arrterai pas longtemps la dernire objection des panthistes qui n'est qu'une dimcu'.t secondaire. Votre Dieu crateur, nous disent-ils, e.t-i.' cj'a.
teur par accident ou par nature, par caprice ou par
ncessite?Vous rejetez une cration fortuite, accidentelle vous ne voulez pas de cette libert d'indiffrence
H s'incline devant
l'infini s
Hgel se flatte d'avoir exprim le vrai sens du christianisme et concili a jamais la religion et la philosophie.
En effet, suivant lui, le fond commun de toute philosophie et de toute religion, c'est l'ide du Verbe fait chair,
de l'Homme-Dieu; en d'autres termes, c'est l'identit de
l'esprit humain et de l'esprit universel, ou encore, c'est
l'esprit universel prenant conscience de lui-mme dans
l'esprit humain. Voil pour Ilgel le titre vrai de la personnalit humaine; voil la source vive de la morale et
de la religion. Je ne mets pas en doute la sincrit et
l'lvation d'me de Hgel, pas plus que son gnie; mais
j'ai le droit de lui dire que ces mots libert, responsabilit, devoir, droit, immortalit, adoration, religion,
n'ont aucun sens dans son systme, et que, pour leur
donner un sens, il faut des miracles de subtilit et de
prodigieux raffinements.
L'ide mre du panthisme, c'est l'ide d'un principe
indtermin qui se dtermine selon une loi ncessaire
t.
Hegel, Leons
tome XI.
sur la f~t/MOj~Me de la
re~m~
~res complets,
est trange, surtout quand cet autre n'est pas un individu, mais des millions d'individus, les uns morts, les
autres vivants, les autres natre, qui ne se connaissent
pas et sont spars par les espaces et par les sicles. O
est l'unit de cette conscience ? Qu'est-ce qu'une conscience qui se divise et se brise en mille morceaux,
une conscience qui se fait avec le temps et qui n'est
jamais faite, qui se cherche toujours et jamais ne se
trouve? Moi qui vous parle, je ne suis donc pas Dieu,
je ne suis qu'un fragment de cette existence indfinie.
C'est me dire, en un langage obscur et bizarre, une chose
trs-simple et assez connue, savoir, que l'homme n'est
qu'une forme ncessaire de l'tre universel, comme cet
arbre, comme ce caillou, comme ce ruisseau, avec cette
seule diffrence que l'homme croit tre libre sans l'tre
en effet, qu'il pense la mort avec la certitude de mourir
tout entier, et qu'il ne lui reste plus, dans cet excs de
misre, qu'a se persuader un moment qu'il est Dieu pour
se consoler de tout.
Les grands panthistes sont des esprits trop pntrants
pour n'avoir pas aperu ces contradictions. Aussi que
font-ils? ils retirent d'une main ce qu'ils donnent de
l'autre. Spinoza reconnat la libert, mais il l'appelle
une libre ncessit, et c'est aussi le sentiment de Hgel
L'homme moral, dit-il, a conscience de son action
<.
Encyclopedie, add au
M.
2. Mdiue de Duau
FIN.
EXposmox.
I.LAPLRSONNEDESptNOZA.
PREMIRE PARTIE
II.
gi.LAMTHOCEDESptNOZA.
SPiNOZA.
DfCC.
~IDE
III.
FONDAMENTALE
DC
LA
PHiLOSOPHiE
iV.DELANAT)]REDEDtEU.
13
t'tendtiadeDteu.
M
M
4!)
DetaPensedeD'eu.
S3.DehLibortfide!))eu.
M
8l
M
DEVELOPPEMEMTCEDiEU.
71
V. Du
VI.
PK
DE L'EXISTENCE DE
1.
2.
De
D)EU.
85
COBPS.
gl.Del'Universdeserpa.
DE
91
t'umversdesame!
103
Y)H.THEORtEDEL'AMEHUMA)NE.
123
2.
De
3.DoI'unMndes&mesctdescorps.
l.Thoriedet'EntendemenL.
2.
IX.
Thoriedo)a.Vtont<!o))dc'; Passions.
MottAt.EDESptNOZA.
l.Duhbreaibitre.
BuBienetduMa).
2.
m
Ma
l~
US
no
162
3.De l'amour de
4.
Do
Dieu.167
l'dmc.
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177
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XI.
POLITIQUE DE
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