Literature Et Esclavage
Literature Et Esclavage
Literature Et Esclavage
DITIONS DESJONQURES
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SOMMAIRE
JEAN EHRARD
Jean EHRARD.
INTRODUCTION
SARGA MOUSSA
cest--dire pas trop cruel : bon esclave, bon colon, ce sont, videm-
ment, les deux faces (reposant sur lide de paternalisme) dune
mme mdaille. Pourtant, comme le montre Rachel Danon, dans son
tude sur le court rcit Zimo (1769) de Saint-Lambert, ce sont les
tensions entre diffrents discours qui frappent aujourdhui,
tensions, par exemple, entre la condamnation thorique des injusti-
ces de lesclavage et lacceptation de fait de ce systme une fois
rform, voire la tentation de prsenter au lecteur une image exoti-
que dune plantation idyllique .
Rousseau, de son ct, condamne clairement la traite et lescla-
vage (comment pourrait-il en tre autrement lorsquon se place du
point de vue de la loi naturelle ?), mais il consacre tonnamment
peu de place ce thme dans son uvre, faisant porter lessentiel de
sa critique sur le gouvernement tyrannique dune manire gnrale.
Il faudra attendre Diderot, auteur du chapitre De lesclavage des
Ngres dans lHistoire des deux Indes de labb Raynal (dition de
1780), pour quapparaisse une vritable pense du colonialisme
qui permette une condamnation sans ambigut de la traite, comme
le fait remarquer Michael ODea. Mais cest peut-tre dans les
Lettres persanes, cest--dire dans un texte de fiction, quil faut
chercher, ds le dbut du XVIIIe sicle, lune des critiques les plus
radicales de lesclavage : semparant de limage du srail pour
dnoncer toute forme de despotisme , politique comme domesti-
que, le jeune Montequieu fait parler des esclaves, des eunuques9,
mais aussi des femmes, dont la condition et le mpris dans lequel
elles sont tenues par leur matre absent les apparente elles-mmes
des esclaves qui finissent par se rvolter (Sarga Moussa).
Le XVIIIe sicle voit non seulement lesclave apparatre comme
un nouvel objet littraire (pensons la page clbre de Voltaire sur
le Ngre de Surinam, au chapitre 19 de Candide : Cest ce prix
que vous mangez du sucre en Europe ), mais aussi comme une figure
thtrale qui tente dincarner la condition servile, dans ce quelle a
dinsupportable au regard des nouvelles exigences dquit des
Lumires. Marivaux, dj, dans lle aux esclaves (1725), envisageait
un renversement des rles, il est vrai qu la fin, chacun rentrait dans
le sien, moyennant une transformation des curs. Mais cest surtout
autour de la Rvolution franaise que le personnage de lesclave entre
vritablement en scne, mme si la mise en cause de lesclavage,
quon trouve par exemple dans la pice manuscrite de Bernardin de
Saint-Pierre Empsal et Zorade ou les Blancs esclaves des Noirs
Maro c, conserve une part dambigut, comme le rappelle Martial
Poirson. La figure de lesclave prenant en main son destin, surtout
16 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
Sarga MOUSSA
NOTES
13. Le rle de lislam, face lesclavage, est videmment sujet discussion. Sur
ce point, on peut se reporter notamment Malek Chebel, LEsclavage en terre
dIslam, Paris, Fayard, 2007, qui affirme quau XIXe sicle, les abolitionnistes ne
sont pas nombreux en islam (p. 27), mais qui montre les ambiguts du Coran sur
cette question ( Tout musulman sincre qui possde un esclave est donc invit
laffranchir sans quil lui soit fait dobligation ferme , p. 18).
14. Ce rcit est traduit en franais et publi Paris ds 1788. Il a t rdit
rcemment par Elsa Dorlin, Rflexions sur la traite et lesclavage des Ngres, Paris,
La Dcouverte ( Zones ), 2009.
15. Les tudes postcoloniales ont depuis longtemps pris en compte des notions
comme celles dambigut et dhybridit, par exemple. Voir Bill Ashcroft, Gareth
Griffiths, Helen Tiffin (dir.), The Post-colonial Studies Reader, Londres et New
York, Routledge, 1995.
16. Ourika raconte lhistoire dune jeune fille noire, arrive toute petite en France,
leve dans une famille aristocratique o elle prend soudain conscience, tant adoles-
cente, du regard (et du rejet) dont elle fait lobjet de la part de la socit. Cette
nouvelle a t rdite, avec deux autres de Mme de Duras, par Marie-Bndicte
Diethlem, avec une prface de Marc Fumaroli, Paris, Gallimard, Folio , 2007.
Tamango raconte lhistoire dun hros noir, la fois bourreau de son propre peuple
et victime de lesclavage (voir la rdition de cette nouvelle, couple avec Bug-
Jargal, par Grard Gengembre, Histoires desclaves rvolts, Paris, Pockett, 2004).
Ourika et Tamango ont tous deux fait lobjet dun chapitre dans lexcellent ouvrage
de Christopher Miller, The French Atlantic Triangle. Literature and Culture of the
Slave Trade, Durham et Londres, Duke University Press, 2008.
17. Outre les philosophes dj cits supra, on peut mentionner les Rflexions sur
lesclavage des Ngres (1781) de Condorcet, texte dune tonnante radicalit, rdit
par David Williams aux ditions LHarmattan, coll. Autrement mmes , en 2003,
ou encore les diffrents crits de labb Grgoire, qui devient prsident de la Socit
des amis des Noirs ds 1790.
18. Voir ce sujet les travaux que Nelly Schmidt lui a consacr, notamment sa
biographie, Victor Schlcher, Paris, Fayard, 1994.
19. Ce texte a t traduit et rdit par Franois Specq, de mme que le discours
de Frederick Douglass Que signifie le 4 Juillet pour lesclave ? , dans De lescla -
vage en Amrique, Paris, ditions Rue dUlm, 2006.
20. Pour une histoire plus dtaille de labolitionnisme Cuba, voir Nelly
Schmidt, LAbolition de lesclavage. Cinq sicles de combats, Paris, Fayard, 2005,
p. 257 et suiv.
21. Il en va dailleurs de mme en France, sous la Troisime Rpublique : on sait
que la lutte contre lesclavage fut lun des arguments de la politique dexpansion
civilisatrice de Jules Ferry. Voir N. Schmidt, Labolition prtexte , dans ibid.,
p. 287 et suiv.
22. Gustave de Beaumont, Marie ou lesclavage aux tats-Unis, d. Marie-
Claude Schapira, 2 vol., Paris, LHarmattan, coll. Autrement mmes , 2010.
23. Do lexigence, formule par Paul Ricur, dune politique de la juste
mmoire (La Mmoire, lhistoire, loubli, Paris, Seuil, Points , 2000, p. I). Si
certains sirritent, aujourdhui, de la prolifration des ftes, lois, comits, etc., lis
la mmoire de lesclavage, il suffit de replacer cette question dans le cadre de lhis-
toire du XXe sicle pour se convaincre quon assiste simplement, en France, un
(ncessaire) retour du refoul.
I
CARMINELLA BIONDI
un moment de difficult, est trs fort sur le plan narratif : les deux
jeunes esclaves tant rests seuls sur le tillac, cest Ellaro qui prend
les devants et invite Zimo braver les rgles : Sois mon poux et
je suis contente./En me disant ces mots, elle redoubla ses
baisers 4, etc. Ce geste courageux et dsespr au milieu desclaves
qui meurent de faim et de Blancs qui, pour ne pas perdre leur
prcieuse cargaison, prnent lanthropophagie5, est la vritable
marque distinctive de cette modeste hrone noire.
Une plus grande attention mrite la protagoniste de lautre roman-
palimpseste dO ro n o k o, Les Lettres africaines de Jean-Franois
Butini, publies deux ans plus tard, en 1771, et galement lances par
les phmrides. Le titre choisi par lauteur suisse souligne dj un
lger dcalage par rapport au roman-source car il gomme le hros
ponyme, et pour cause, car tout en gardant les deux volets et le
schma de lhistoire originale, la position de lhrone change consi-
drablement. La forme romanesque choisie, le roman par lettres, aide
la transformation car il dcentre les voix narratives et partant les
points de vue, aussi bien que les poids des diffrents rles. Mais le
genre nest quun cadre bien adapt une histoire qui vise de faon
trs vidente la valorisation du personnage fminin: il suffirait de
feuilleter le roman pour se rendre compte que Phdima est le pivot
autour duquel roule lhistoire car elle est lexpditrice ou bien la desti-
nataire de toutes les lettres (il y en a 35), lexception des lettres XXV
et XXVI, qui sont changes par deux Blancs et qui constituent un
petit trait sur la traite des Noirs et lesclavage6.
Mais la seule prsence massive dun personnage fminin ne suff i-
rait pas, dans un roman pistolaire, en faire la protagoniste, car celle
qui crit pourrait ntre que lil qui voit et la plume qui raconte les
gestes dun hros. Cet aspect existe, videmment, mais il nest pas le
plus important du roman. Ce qui intresse, et pas seulement dans notre
perspective de lecture, cest la forte personnalit du personnage
fminin, qui se manifeste ds le dbut du roman, mais qui simpose
mesure que lhistoire avance et que lhrone doit faire face aux mille
difficults dune vie desclave. Lhistoire est celle quon connat
partir dO ronoko : deux jeunes Africains, de famille noble ou prin-
cire, saiment et sont spars par la traite et l e s c l a v a g e .
Le roman souvre sur une scne de danse qui est, intentionnelle-
ment ou non, la reprise dune scne analogue o Oronoko assiste,
fascin, la danse dImoinda, ce qui permet de dnombrer les grces
de celles-ci. Sauf quici le personnage qui danse est Abensar, tandis
que Phdima est lil qui regarde et apprcie. Il sagit dune ouver-
ture qui donne le la toute lhistoire :
32 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
Enfin Abensar dansa ; ce fut peu pour lui de surpasser ses rivaux
par son agilit ; il les clipsa tous par ses grces : tour tour triste et
gai, lent et imptueux, tendre et indiffrent, il fut ce quil voulut tre.
[] Mon cur partagea tous les applaudissements quil reut7.
Sduite par les grces du jeune homme, elle nhsite pas lui
dcouvrir [ses] sentiments 8. Aucun doute : ici, cest la femme qui
est prsente comme un sujet convoitant un bel objet et dcide
lobtenir.
Le dveloppement de lhistoire, en Afrique et dans la colonie, ne
change plus les rles et les rapports de force, ou plutt dintelligence
et de lucidit, face aux problmes : quand les parents refusent de
consentir au mariage avant que le jeune homme nait montr ses
qualits au service de la nation, Abensar perd la tte et veut fuir avec
Phdima, tandis que celle-ci le ramne ses devoirs, dans une lettre
trs dure, la VII, qui est fondamentale pour la caractrisation du
personnage fminin :
Que me proposez-vous, Abensar ? O vous emportent vos coupables
transports ? Auriez-vous cess dtre citoyen, dtre fils, dtre amant ? La
tendresse qui fortifie les mes bien nes, aurait-elle dgrad la vtre ? [].
Je pourrais vous dire que votre vie, votre fortune, votre honneur, sont les
prsents du souverain, de la socit, et de la patrie, et que vous ne sauriez
abandonner votre pays avant davoir acquitt de tels bienfaits par des bien-
faits gaux : mais est-ce moi de parler de ces grands intrts9 ?
Carminella BIONDI
Universit de Bologne
NOTES
Bouillon, Lacombe, 1769. Lhistoire de Zingha tait bien connue en France car le
pre Labat avait traduit, en 1732, sous le titre de Relation historique de lEthiopie, la
relation du pre Giovanni Antonio Cavazzi, Istorica descrizione detr regni Congo,
Matamba, et Angola situati nellEtiopia inferiore occidentale e delle Missioni apos -
toliche esercitateui da Religiosi Capuccini (Bologne, 1687). La partie concernant
lhistoire de Zingha en est une traduction presque littrale.
17. Sade fait une allusion directe Zingha dans Les Prosprits du vice :
Singha, reine dAngola, avait fait une loi qui tablissait la vulgivaguibilit des
femmes. Cette mme loi leur enjoignait de se garantir des grossesses, sous peine
dtre piles dans un mortier , Paris, 10/18, 1969, p. 47.
18. Jean-Louis Castilhon, op. cit., t. I, p. 40.
19. Ibid., p. 39.
20. Voir Awa Thiam, La Parole aux ngresses, Paris, Denol, 1978. Voici un
passage de la ddicace :
mes surs et frres qui de par/le monde luttent pour labolition/du
sexisme, du patriarcat/et de toute/forme de domination de lhomme par
lhomme./Aux amazones dAfrique, dAmrique,/de Bohme./Aux guerrires anti-
sexistes de tout/temps./ Zingh. Dans lIntroduction, Awa Thiam prcise le motif
de la ddicace : Jadis, des Ngro-Africaines ont eu leur mot dire quand il fallait
prendre des dcisions de grande importance. Que lon se souvienne de Zingha,
amazone et guerrire, premire rsistante la colonisation portugaise de lAngola au
XVIIe sicle. La note renvoie luvre de Kake Ibrahima Baba, Anne Zingha,
Paris, Dakar, Abidjan, Yaound, ABC, NEA, CLE, 1975, p., 17.
21. Voir Carminella Biondi, Lemarginazione razziale nella narrativa femmini-
le francese del primo Ottocento : attenzione per il diverso e/o rispecchiamento di
s ? , dans La Questione romantica, numro spcial sur Imperialismo/coloniali-
smo , n 18-19, Naples, printemps-automne 2005 (mais 2008), p. 75-89.
22. Le texte est reproduit, en appendice (B), dans lanthologie de traductions
anglaises dite par Doris Y. Kadish et Franoise Massardier-Kenney, Translating
Slavery. Gender & Race in French Womens Writing, 1783-1823, Kent et London,
The Kent State University Press, 1994. Le texte en version originale occupe les
pages 271-281, la citation est tire de la p. 274.
QUENTEND-ON PAR ESCLAVAGE AU XVIIIe SICLE ?
VOLTAIRE, ROUSSEAU, DIDEROT
MICHAEL ODEA
Ces oppositions faciles (il faut asservir les femmes ou tre asservi
par elles) peuvent faire penser quon a affaire un Orient o l e s c l a-
vage, tantt relve du pittoresque, tantt sert renforcer le sentiment
de supriorit des Europens. Pourtant, travers lesprit relativiste des
vers dj cits sur la religion, ainsi que par dautres dtails, Voltaire
montre une symtrie partielle dans les pratiques des deux partis. Du
ct masculin, en tout cas, les chrtiens font comme les musulmans :
le prisonnier de guerre, les thologiens sont quasiment unanimes l-
dessus, peut lgitimement tre condamn lesclavage ou la prison
perptuelle. Et Orosmane, qui tue Zare par jalousie, se rachte mora-
lement en se suicidant : Nrestan, le frre de Zare, se sent contraint
ladmiration et la piti. Les lignes de partage dans la pice ne sont
donc pas simples: il sagit de montrer des tres dignes qui tentent d a f-
firmer leur libert dans une situation peu propice lpanouissement
personnel. En dernire analyse, la question pose par Zare est de
savoir si lhomme, en loccurrence lhomme musulman, mais il nest
pas certain que la question ne concerne que lui, est capable de fonder
des relations damour sur autre chose que la soumission, que l e s c l a-
vage. La rponse est nuance mais ngative : Orosmane est un homme
vertueux, mais Zare meurt de sa main parce quil croit, tort, quelle
exerce une libert quil juge insupportable.
La piraterie barbaresque est la forme la plus menaante de l e s c l a-
vage oriental pour le lecteur europen. Chez Rousseau, la vie d e s-
clave Alger donne lieu une rflexion de tendance stocienne dans
mile et Sophie ou Les Solitaires, la suite romance de l m i l e.
Lessentiel est de connatre et dexercer une libert tout intrieure dont
on ne peut pas nous priver : Jamais [dit mile] je neus tant d a u t o-
rit sur moi que quand je portai les fers des barbares. 4 Visiblement,
le but est de montrer comment le narrateur sait saffirmer moralement
dans une situation extrme, plutt que de stendre sur limmoralit de
42 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
Michael ODEA
Universit Lyon 2, UMR LIRE
NOTES
entire des amusemens qui faisoient la grande affaire de ltat, et des jeux dont
on ne se dlassoit qu la guerre (OC, V, p. 122).
7. Voir ce sujet Roger D. Masters, The Political Philosophy of Rousseau,
Princeton, Princeton University Press, 1968, p. 295 et suiv.
8. Comprenons bien le propos de Rousseau : si lesclave est abruti, cest son
statut desclave qui le rduit cet tat. Il nest pas devenu esclave parce quabruti, il
est abruti parce que devenu esclave. Le vil aspect des esclaves vus par Saint
Preux, le ddain qui accompagne chez lui lhorreur et la piti, sont situer dans ce
contexte.
9. Montesquieu, De lEsprit des lois, livre XV. Ch. Miller, The French Atlantic
Triangle, op. cit., p. 69.
10. Comme on le voit dans le Supplment au voyage de Bougainville. On consul-
tera ce sujet John T. Scott, Another Dangerous Supplement : Diderots Dialogue
with Rousseau in the Supplment au voyage de Bougainville , paratre dans
Rousseau et les philosophes, d. M. ODea, SVEC, 2010.
11. Sur lvolution politique de Diderot, voir Yves Benot, Diderot, de lathisme
lanticolonialisme, Paris, Maspero, 1970, chapitre Les chemins de la politique ,
p. 138-155.
12. Diderot, uvres, d. L. Versini, Paris, Laffont, 1994-1997, t. III, p. 680.
13. Prcisons nanmoins quil rcuse toute notion dun droit dcoulant de la
conqute. Voir Discours sur lorigine de lingalit, OC, III, p. 179 : Le Droit de
conqute ntant pas un Droit nen a pu fonder aucun autre.
14. Dans une remarquable note De lEsprit, Helvtius avait dj crit (Yves
Benot le rappelle) un an plus tt : On conviendra quil narrive point de barrique de
sucre en Europe qui ne soit teinte de sang humain . Voir Helvtius, De lesprit,
Paris, Durand, 1758, I, iii, p. 36-37, et Yves Benot, Diderot, de lathisme lanti -
colonialisme, op. cit., p. 140. Helvtius voquera le mme geste que Saint Preux
(aurait-il inspir Rousseau le passage cit ci-dessus ?) : Dtournons nos regards
dun spectacle si funeste, & qui fait tant de honte & dhorreur lhumanit.
15. Michle Duchet, Anthropologie et histoire au sicle des Lumires, Paris,
Albin Michel, 1995, p. 320. La question est trs complexe ; certains passages de
lEssai sur les murs semblent confirmer un refus de principe, tout en mlant lin-
dignation que provoque lesclavage une espce de rsignation. Voir dans lEssai sur
les murs le chapitre CXLVIII, De la conqute du Prou , et surtout la fin du
chapitre CLII, Des les franaises et des flibustiers , o le Code noir est dnonc
mais o, en mme temps, Voltaire souligne limportance conomique des Antilles
franaises. Voir aussi larticle Esclaves du Dictionnaire philosophique. Christopher
L. Miller, dans The French Atlantic Triangle, suit Michle Duchet sur la question,
mais le dernier mot na peut-tre pas encore t dit.
16. Les multiples thtres de la Guerre de Sept Ans en sont un signe loquent.
17. Selon Adam Smith, le travail de lesclave est plus coteux pour son matre
que celui dun homme libre. Voir An Inquiry into the Nature and Causes of the
Wealth of Nations, d. R.S. Campbell, A.S. Skinner, W.B. Todd (Indianapolis, 2 vol.,
Liberty Fund, 1981), p. 99 et 388-389.
18. Pour la subtilit de la pense du jeune Montesquieu dans les Lettres persa -
nes, voir ici mme la contribution de Sarga Moussa.
LA CHANE DE LESCLAVAGE
DANS LES LETTRES PERSANES
SARGA MOUSSA
Pour ma mre
Avant mme dtre trait comme sujet part entire dans lEsprit
des lois (1748), o il fait lobjet dune critique connue (en particu-
lier au chapitre 5 du livre XV), lesclavage, rel ou mtaphorique,
apparat comme lun des fils rouges des Lettres persanes (1721). Les
rapports de domination entre les diffrents protagonistes, mais aussi
les renversements hirarchiques, sont prsents ds la deuxime lettre
: Tu leur commandes, et leur obis , crit Usbek au premier
eunuque noir, propos des femmes du srail ; tu les sers comme
lesclave de leurs esclaves. Mais, par un retour dempire, tu
commandes en matre comme moi-mme, quand tu crains le rel-
chement des lois de la pudeur et de la modestie1. Tout se tient, et
tous se tiennent, donc, comme sils taient lis par une chane
secrte2 . Il nest pas interdit dentendre aussi, dans cette mtaphore
de la chane, dhabitude interprte en un autre sens, tout le champ
smantique de la contrainte et de lemprisonnement : les fers de les-
clave ne sont pas loin
Si le mot esclavage est trs rare dans les Lettres persanes (on
trouve en revanche plus frquemment s e rv i t u d e, associ des
personnes et des peuples), le terme desclave apparat 56 repri-
ses soit, en moyenne, une fois toutes les trois lettres. La grande
question des Lumires, celle de la libert, est ici centrale, traite de
manire particulirement virtuose, travers une multiplicit de
points de vue, qui se traduisent par un va-et-vient entre Orient et
Occident, entre hommes et femmes, entre matres et esclaves, sans
que les relations de pouvoir qui stablissent soient jamais totale-
ment stables. Si les eunuques sont dfinitivement des tres dimi-
nus, si les esclaves ne sont pas librs, et si les pouses restent
enfermes dans le harem, ces hommes et ces femmes prennent la
parole, et disent parfois linjustice de leur situation, cest l, sans
doute, lune des grandes nouveauts quintroduit Montesquieu, et
quon ne saurait sous-estimer3.
LESCALAVAGE DANS LES LETTRES PERSANES 51
que la puret ne saurait tre trop grande, et que la moindre tache peut
la corrompre18 , explique-t-il doctement sa nouvelle conqute.
Quant aux pouses, mme lorsquelles donnent tous les gages possi-
bles de loyaut au matre, elles ne peuvent sempcher de trahir la
ralit de leur condition. Ainsi Zachi, crivant Usbek, lui raconte-
t-elle une excursion la campagne sur un mode faussement humo-
ristique, qui permet de dnoncer son statut de prisonnire relle
( nous esprions tre plus libres , confie-t-elle) : Chacune de
nous se mit, selon la coutume, dans une bote et se fit porter dans le
bateau ; lorsquun orage clata, une partie des eunuques voulut
tirer les femmes de leur prison , mais leur chef sy opposa ; lin-
tervention dune esclave pour sauver sa matresse fut de mme
brutalement stoppe ; enfin, Zachi svanouit, comme si lon attei-
gnait un point limite du supportable et du dicible, la terreur du pril
extrieur tant redouble par la situation denfermement19. Lpouse
na finalement pas plus de libert que sa propre esclave, dont elle
partage le sort, y compris lextrieur du harem.
Pourtant, si lon met part Roxane (on reviendra sur sa dernire
lettre), les femmes ne semblent pas prtes se rvolter contre lop-
pression dont elles sont victimes. Elles disent parfois linjustice (et
cette prise de conscience est dj trs importante), mais elles ne
mettent pas fondamentalement en cause le systme carcral du
harem. Certaines, comme Zlis, vont mme jusqu prtendre en
acclrer la logique de contrainte fminine : Ta fille ayant atteint
sa septime anne , crit-elle Usbek, jai cru quil tait temps
de la faire passer dans les appartements intrieurs du srail et de ne
point attendre quelle ait dix ans pour la confier aux eunuques noirs.
On ne saurait de trop bonne heure priver une jeune personne des
liberts de lenfance et lui donner une ducation sainte dans les
sacrs murs o la pudeur habite20. Quant Usbek, sil veut bien
critiquer le modle social et familial quil incarne, ce nest nullement
en fonction de considrations morales (linjustice et la souffrance
imposes aux habitantes de son harem), mais au nom de lefficacit
conomique. Car en observant le nombre considrable deunuques
quil faut pour garder les concubines, sans compter les filles descla-
ves qui vieillissent presque toujours dans une affligeante virgi-
nit21 , il en vient considrer, comme Montesquieu lui-mme, qui
associe la prosprit des tats la croissance de leur population,
quil sagit l dune grande perte pour la Socit22 . (Usbek dve-
loppe dailleurs, dans la lettre CXV, une comparaison lavantage
des Romains, qui avaient su intgrer leurs esclaves au monde du
travail et qui ils ninterdisaient pas de se marier.)
LESCALAVAGE DANS LES LETTRES PERSANES 55
bler tes attentions pour me faire garder, que je ne jouisse de tes inqui-
tudes; et tes soupons, ta jalousie, tes chagrins sont autant de marques
de ta dpendance26. Il sagit bien sr, dans un premier temps, de
rassurer la mari jaloux : je taime et je tattends, ne crains rien. Mais
en avanant lide selon laquelle la dpendance psychologique serait
plus contraignante que les murs du harem, Zlis instille chez Usbek le
soupon que les rapports hirarchiques entre elle et lui seraient peut-
tre inverss. Du coup, Montesquieu suggre que la France des
Lumires na pas lapanage de lesprit critique, lequel semble se dve-
lopper, chez les Orientales, proportion mme de la tyrannie domes-
tique instaure par le systme du harem, dont les premires victimes
sont les femmes. Si celles-ci sexpriment peu dans les Lettres persa -
n e s, lorsquelles le font, leur parole peut donc tre le ferment dune
contestation forte.
Voyons, pour terminer, si lon peut mettre lpreuve cette hypo-
thse, et quelles en sont les limites. Pour ce faire, on examinera bri-
vement la dernire lettre de Roxane Usbek. Celle-ci apparat, la
toute fin de louvrage, la fois comme laboutissement dun proces-
sus et comme le basculement dans une autre ralit. De prime abord,
il semblerait que tout le roman de Montesquieu puisse se lire comme
le renversement dune trs ancienne topique, celle de la prison
damour. Remontant Ovide, cette mtaphore gnre toute une tradi-
tion, exalte surtout par les Provenaux, qui font de lamant un tre
soumis, se plaignant de la violence dun dsir toujours insatisfait tout
en recherchant paradoxalement la souffrance quimpose lamour
distant. Or, cest exactement la relation inverse qui semble prdomi-
ner dans les Lettres persanes, puisque chacune des pouses, enferme
dans le harem, ne cesse de supplier le mari absent de revenir
Ispahan. Emprisonnes physiquement et moralement, Fatm, Roxane,
Zachi, Zlis et Zphis disent tout la fois (du moins le croit-on au
dbut) le dsir et lobissance, la passion et son contrle, jusquau
moment o il apparat que cette tension discursive est le produit dune
situation insupportable qui conduit la rvolte dans le harem, annon-
ce Usbek par le grand eunuque (lettre CLXVII), puis par leunuque
Solim (lettre CLIX), avant dtre pleinement assume par Roxane,
dans une lettre admirable dont on peut relire le dbut :
Oui, je tai tromp ; jai sduit tes eunuques, je me suis joue de
ta jalousie, et jai su, de ton affreux srail, faire un lieu de dlices et
de plaisirs.
Je vais mourir : le poison va couler dans mes veines. Car que
ferais-je ici, puisque le seul homme qui me retenait la vie nest
plus ? []
LESCALAVAGE DANS LES LETTRES PERSANES 57
Sarga MOUSSA
CNRS, UMR LIRE
NOTES
RACHEL DANON
LE MATRE ATTACHANT
main duvre libre, main duvre que la libert rend plus efficace
et finalement moins coteuse.
Les liens multiples (dordre paternaliste, amical, conomique)
que dpeint Saint Lambert entre les esclaves et le bon matre en
arrivent naturellement sexprimer travers un vocabulaire remar-
quablement ambigu de lattachement. Le narrateur relve en effet
que ces affranchis restaient attachs [s] on ami ; leur exemple
donnait de lesprance aux autres et leur inspirait des murs26.
Toute la tension du rcit se retrouve bien dans cet attachement
qui unit les (ex-) esclaves leur matre : aux chanes de la violence
ouverte, clairement dnonce par le texte, succde un attachement
affectif ainsi quun lien conomique relevant dun intrt prsent
comme commun. Quel rle pouvait jouer dans le monde de Saint-
Lambert cette image dun matre esclavagiste attachant ? Laissons la
question en suspens, et observons les tensions qui travaillent la pein-
ture que fait le rcit de lacte de marronnage lui-mme.
Rachel DANON
Universit Grenoble 3, UMR LIRE
72 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
NOTES
1. Nous utiliserons dans la prsente tude la version du texte de Zimo dite par
par Youmna Charara dans Fictions coloniales du XVIIIe sicle : Zimo , Lettres
africaines , Adonis, ou le bon ngre, anecdote coloniale , Paris, lHarmattan,
2005, p. 54-55.
2. Ibid., p. 50.
3. Ibid., p. 60.
4. Ibid., p. 51.
5. Ibid., p. 39.
6. Ibid., p. 49.
7. Condorcet, Rflexion sur lesclavage des Ngres, Paris, ditions mille et une
nuits/Fayard, 2001, p. 58.
8. Csar de Rochefort, Histoire naturelle et morale des les Antilles de
lAmrique, Rotterdam, chez Reiner Leers 1681, p.130.
9. Moreau de Saint-Mry Description de la partie franaise de lisle de Saint-
Domingue, Paris, dition Maurel et Taillemite, 1958, p.46-65.
10. Youmna Charara, Fictions coloniales, op. cit., p.55.
11. Ibid., p. 56.
12. Ibid., p. 63.
13. Ibid., p. 50.
14. Ibid., p. 54.
15. Cest parfois Wilmouth lui-mme qui dsigne par amis ses esclaves :
Mes amis, leur dit Wilmouth, voil des armes . Plus tard, ce sera Zimo, le chef
des Noirs , lesclave marron, qui appellera Wilmouth et le narrateur ses amis
(ibid., p. 50 et 54).
16. Ibid., p. 53.
17. Ibid., p. 54.
18. Ibid., p. 60.
19. Ibid., p. 53.
20. Ibid., p.51.
21. Ibid., p. 50.
22. Ibid., p. 50.
23. Ibid., p. 50.
24. Ibid., p. 61.
25. Cit dans Michle Duchet, Anthropologie et histoire au sicle des Lumires,
Paris, Maspero, 1971, p. 139.
26. Zimo, dans Fictions coloniales, op. cit.., p. 49.
27. Carminella Biondi, Le personnage noir dans la littrature franaise, essai de
synthse minimale dune aventure humaine et littraire , in Mmoire spiritaine, n
9, premier semestre 1999, p.89-101.
28. Jean-Franois de Saint-Lambert, Contes Amricains, d. Roger Little, Exeter,
University of Exeter Press, 1997, p. xiv.
29. Ibid., p. 53.
30. Ibid.
31. Carminella Biondi, Le personnage noir dans la littrature franaise, op. cit.,
p. 89-101.
32. Youmna Charara, Fictions coloniales, op. cit., p. 59.
33. Ibid., p. 53 et 54.
LES TENSIONS DANS ZIMO DE SAINT-LAMBERT 73
MARTIAL POIRSON
les amants exploits dans les galres ou les bagnes, tous finalement
rachets leurs ravisseurs ou, au moins, runis dans linfortune.
LES CAPTIFS.
Nous gmissons sous les peines
Du sort le plus rigoureux :
Vous avez bris nos chanes,
Vous avez fait des heureux.
LE MAGNIFIQUE, Clmentine.
Si jai soulag leurs peines,
Ah ! que mon sort est heureux !
Je vais goter dans vos chanes
Mille instants dlicieux.
(Acte III, scne 14)
Mme si laction dOctave nest pas rellement dsintresse
(son geste lui permet dobtenir la main de son amante), la vocation
difiante de la scne est dune particulire efficacit dramaturgique
et symbolique : elle entrane la clbration consensuelle des vertus
du pardon et, travers elles, de la magnanimit occidentale ; mais
surtout, elle place la question esclavagiste sur le terrain de la charit
LAUTRE REGARD SUR LESCLAVAGE 85
Martial POIRSON
Universit Stendhal-Grenoble III
UMR LIRE
NOTES
1. Loin de tout procs rtrospectif intent aux Lumires, Jean Erhard, Lumires
et esclavage. Lesclavage colonial et lopinion publique en France au XVIIIe sicle,
Bruxelles, Andr Versaille, 2008.
2. Olivier Ptr-Grenouilleau, Traites ngrires, Paris, Gallimard, 2004 ; Les
traites ngrires : essai dhistoire globale, Paris, Gallimard, 2006. Lhistorien situe
dans un mme mouvement lesclavage mditerranen depuis lgypte pharaonique
jusqu la traite atlantique, pour uvrer une dcentralisation de lhistoire du
monde . Voir aussi Jacques Heers, Les Ngriers en terre dIslam. La premire traite
des noirs (VIIe-XVIe sicles), Paris, Perrin, 2008 et Murray Gordon, LEsclavage
dans le monde arabe (VIIe-XXe sicles), Paris, Tallandier, 2009.
3. Bernard Lewis, Race et esclavage au Proche-Orient, Paris, Gallimard, 1993 ;
Malek Chebel, LEsclavage en terre dIslam. Un tabou bien gard, Paris, Fayard,
2007 : lanthropologue du monde arabe prsente lesclavage comme la pratique la
mieux partage de la plante , un fait humain universel . Il montre, partir de
linterprtation de trois codes blancs , des contes des Mille et Une Nuits et de
nombreux rcits de voyage, comment lidologie esclavagiste sest greffe sur la
religion musulmane, en exploitant lambigut du Coran, qui voque la question
dans au moins 25 versets, laissant labolition linitiative personnelle du matre, et
surtout reprenant son compte lhritage esclavagiste gyptien et grco-romain en
Mditerrane.
4. Jean Delumeau, La Peur en Occident, XIVe-XVIIIe sicles, Paris, Fayard,
1978 ; Franois Moureau, Le Thtre des voyages. Une scnographie de lge clas -
sique, Paris, PUPS, 2005, section IV, chap. II : Pirates barbaresques, rcits de
voyage et littrature : une peur de lge classique , p. 307-321.
LAUTRE REGARD SUR LESCLAVAGE 97
23. Outre Jean Ehrard, dj mentionn, Yves Benot, Les Lumires, lesclavage, la
colonisation, Paris, La Dcouverte, 2005 et Florence Gauthier, LAristocratie de
lpiderme. Le combat de la Socit des Citoyens de Couleur (1789-1791), Paris,
CNRS ditions, 2007.
24. Jean Goulemot, notice Afrique , dans Jean Goulemot, Andr Magnan,
Didier Masseau (dir.), Inventaire Voltaire, Paris, Gallimard, 1995, p. 32. Certaines
publications rcentes renouvellent les approches : Anny Wynchank et Philippe-
Joseph Salazar, Afriques imaginaires. Regards rciproques et discours littraires
(XVIIIe-XXe sicles), Paris, LHarmattan, 2005 ; Catherine Gallout, David Diop,
Michle Bocquillon et Grard Lahouati (dir.), LAfrique au sicle des Lumires :
savoirs et reprsentations, Oxford, Voltaire Foundation, SVEC, 2009 : 6.
25. Louis-Sbastien Mercier, La Nologie [1801], d. Jean-Claude Bonnet, Paris,
Belin, 2009, p. 471, Partie supplmentaire , notice Ngricide . Voir aussi,
mme page, lallusion Candide dans la notice Ngrier : Mangez du sucre,
Europens ! mais point de thse justificative.
LA REPRSENTATION DU COMMERCE TRIANGULAIRE
DANS LA TRAITE DES NOIRS, DRAME DE 1835
BARBARA T. COOPER
sont victimes les Noirs qui peuplent cet espace exotique la fois
distant (par sa gographie) et rapproch (par sa reprsentation sur
scne). Toutefois, il faut bien le reconnatre , cette scne en
rappelle dautres du mme genre que lon pouvait dcouvrir tant
dans des romans ou rcits de voyage que dans des crits abolition-
nistes de lpoque10. Le spectateur y retrouve donc un aspect
connu de la vie coloniale qui correspond ses attentes.
Lindignation morale quil devait ressentir devant un tel tableau
tait-elle attnue par cette familiarit ? tait-elle au contraire
renforce par la prsence sur scne des victimes de la traite incar-
nes par des acteurs grims en noir ? Il est impossible de rpondre
ces questions. Ce que lon peut nanmoins affirmer, cest que
Desnoyer et Alboize comprenaient que, pour amener leur public
condamner ce trafic infme, il fallait reprendre et perptuer certains
lieux communs tout en les rendant touchants et concrets. Ici donc,
comme ailleurs dans leur pice, ils ont choisi demployer le specta-
cle au service de leur message.
Avec la vente des Africains en esclavage, la premire et la
deuxime scnes de la pice portent aussi la connaissance du
public les alas de la traite du point de vue de larmateur. Comme
tout autre commerant, Niquelet, larmateur-marchand de chaire
humaine qui figure dans ces scnes, affirme avoir des frais (de trans-
port et dapprentissage, par exemple) couvrir et des pertes rcu-
prer (il y a des esclaves qui se laissent mourir ou qui partent
marron), des problmes lis lapprovisionnement et lcoulement
de sa marchandise et une rputation commerciale maintenir. Aussi
parle-t-il des caractristiques et de la raret de certaines espces
africaines, de lvolution de leur cours en bourse, etc., comme sil
sagissait non pas dtres humains quil vendait en esclavage mais
du dbit dun produit commercial ordinaire. Les remarques de
Niquelet, qui voudrait persuader son interlocuteur de le plaindre
cause des difficults lies son commerce, sont dautant plus
choquantes quelles sont nonces entre deux scnes qui traduisent,
de manire visible, laccablement moral et les souffrances physiques
des esclaves : celle de la vente des Noirs que nous venons dvoquer
(I, i) et celle dune danse impose coups de fouet des Africains
puiss et dmoraliss (I, iii).
Les trois premires scnes de la pice nous offrent donc des
lments types de la reprsentation de la traite : une vente des-
claves, les plaintes dun armateur-marchand engag dans le
commerce des hommes et une danse destine ranimer des esclaves
fatigus et moroses. Mais si ces pisodes font cho des topoi que
102 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
lon retrouve dans dautres textes, il nen est pas moins vrai que le
choix quont fait les dramaturges de situer laction de leur pice dans
locan Indien (par opposition au monde Atlantique) confre ces
scnes un caractre peu habituel11. En effet, le cadre gographique
choisi par les dramaturges leur permet de rapprocher le pays dori-
gine des esclaves de lendroit o ils se verront asservis. Par cons-
quent, Desnoyer et Alboize pourront doter leur drame de toute une
srie dincidents qui sont rarement reprsentes dans une seule et
mme pice, savoir : des conflits entre diffrentes ethnies africai-
nes ; des ngociations entre chefs africains et ngriers franais ; et le
voyage des esclaves vers le pays o ils seront vendus des colons.
Il sera aussi question, dans La Traite des Noirs, dune rvolte bord
dun navire ngrier, dune tentative de retour au pays natal et de
dtails sur les danses et la religion indignes .
Considrons, par exemple, cet change entre larmateur Niquelet
et le commandeur de ses esclaves o les deux hommes parlent non
seulement de lorigine et du comportement des malheureux soumis
leurs ordres et volonts, mais aussi de larrivage dautres Africains
destins au mme sort :
LE COMMANDEUR.
Matre, ils sont tous des Mozambiques, et de la mme tribu.
NIQUELET.
Cest un grand malheur !. quand ils parlent tous le mme
langage, quand ils sont compatriotes, ils sentretiennent de leur
patrie, ils pleurent ou ils forment des complots dvasion
Heureusement, ma nouvelle cargaison ne peut tarder arriver ; jes-
pre quil y aura des esclaves de toutes les tribus ; on les mlan-
gera (I, iii, 12)
LACHETEUR.
Il est baptis au moins ?
NIQUELET.
Certainement est-ce que jaurais manqu cette formalit ?
Dieu maudirait mon commerce Voici son extrait de baptme : il
sappelle Jacques. Allons, Jacques, voici ton nouveau matre.
LE COMMANDEUR
Tu nentends donc pas : voil ton nouveau matre. genoux
donc !
(Le commandeur fait mettre le ngre genoux.) (I, i, 9)
ciale des Noirs asservis, les prires des Malgaches leur bon
gnie ne les prserveront pas de lesclavage. Faut-il lire ces scnes
comme une illustration de lincapacit de toute religion raliser un
monde meilleur face aux forces du capitalisme et de lexpansion-
nisme colonial ou nationaliste ? tant donn ladmiration dAlboize
pour les abolitionnistes anglais et franais qui, le plus souvent,
citaient leur foi (protestante ou catholique) comme source de leur
opposition lesclavage, une telle interprtation ne semblerait pas
correspondre une intention dlibre. Nanmoins, il est difficile de
lire ces passages aujourdhui sans se poser cette question, dautant
plus que ceux des Noirs qui finissent par tre embarqus sur le
bateau ngrier sont, dans lavant-dernire scne de la pice, victimes
dune mise mort qui rappelle (symboliquement) la crucifixion du
Christ.
LE NEGRE.
Ciel ! en haut des mts ! des cadavres suspendus des cada-
vres de ngres ! (V, vii, 106)
Il semblerait donc que, mme si Desnoyer et Alboize ne
montrent pas le troisime volet du commerce triangulaire dans leur
pice lenvoi en Europe de produits coloniaux qui dpendent dune
main-duvre servile , leur reprsentation des transactions entre le
vieux continent (incarn par Niquelet, la hirarchie militaire fran-
aise et le gouverneur colonial de lle Bourbon) et les chefs afri-
cains (personnifis par Radama) dans La Traite des Noirs constitue
lune des illustrations les plus compltes que nous ayons au thtre
du trafic qui faisait des populations africaines une marchandise
monnayable, une source de richesse et de pouvoir. En dnonant la
participation officieuse de lglise et des autorits coloniales et mili-
taires dans ce commerce infme, en soulignant la fraternit de tous
les hommes quelle que soit leur couleur, en condamnant la violence
(morale et physique) sans laquelle la traite et le colonialisme ne
pouvaient apparemment pas prosprer, Desnoyer et Alboize ont sans
doute espr faire tomber les cailles des yeux de leur public, leur
faire comprendre le vrai prix des denres exotiques quils consom-
maient et des colonies quils tablissaient ou maintenaient par-del
des mers.
La Traite des Noirs, qui a connu un succs certain en son temps,
montre sans ambages que le commerce triangulaire (dont le trafic
des Africains constituait une partie intgrante) avilit tous ceux qui
sy engagent, que la fortune ou le pouvoir que lon gagne partici-
per ce trafic dhommes, darmes et de produits exotiques nest pas
LA REPRSENTATION DU COMMERCE TRIANGULAIRE 107
Barbara T. COOPER
Universit du New Hampshire (USA)
NOTES
1. Mme une pice qui parle explicitement de la traite des Noirs, comme Les
Africains ou le triomphe de lhumanit, de Larivallire (Paris, chez Meurant, an 3),
et dont laction se passe la veille de la premire abolition de lesclavage noffre pas
de reprsentation raliste du commerce des esclaves. Elle insiste plutt sur des
sentiments humanistes, comme lindique son sous-titre.
2. Charles Desnoyer et Jules-douard Alboize du Pujol, La Traite des Noirs, d.
Barbara T. Cooper, Paris, LHarmattan, coll. Autrement mmes , 2008. Ldition
originale fut publie dans la collection du Magasin thtral, Paris, Marchant, 1835.
Toute citation de cette pice renvoie mon rdition et sera suivie de lindication,
entre parenthses, de lacte, de la scne et de la page o elle se trouve.
3. Sur cet artiste, voir la thse de doctorat de Pedro de Andrade Alvim, Le Monde
comme spectacle : luvre du peintre Franois-Auguste Biard (1798-1882), Lille,
Atelier national de Reproduction des Thses, 2003.
4. Voir, par exemple, la nouvelle dtienne Huard, La Jeune Malgache ,
Journal des Artistes : Revue pittoresque consacre aux artistes et aux gens du
monde, XIIe anne, 2e vol. (aot-sept. 1835) et larticle de S [bastien] Berteaut,
Murs des ngriers , La France maritime, t. 2 (1837), p. 117-120, p. 128-130.
Une lithographie du tableau Le Ngrier , de Morel-Fatio, figure entre les p. 116-
117 de cette revue.
5. Eugne Sue, Atar-Gull, Paris, Vimont, 1831 ; douard Corbire, Le Ngrier,
Paris, Denain, 1832 ; Auguste Jal, Un Ngrier, dans Scnes de la vie maritime, Paris,
C. Gosselin, 1832, t. III, p. 3-51.
6. La premire grande pice qui sera donne [en 1835] au Cirque-Olympique,
et pour laquelle ladministration fait dnormes dpenses en dcorations et en costu-
mes, a pour titre : la Traite des Noirs. Cet ouvrage est, dit-on, de MM. Alboize et
Desnoyers [sic] . Varits , La Romance, 2e anne, no 2 (10 janv. 1835), p. 8. La
pice fut cre au Cirque-Olympique le 24 avril 1835.
7. Voir les comptes rendus publis en annexe de mon dition et aussi cette remar-
que publie dans La Chronique thtrale de La Gazette des salons, t. 1 ([30 ?]
avril 1835), p. 283 : Toutes les notabilits artistiques et littraires, tous les direc-
teurs de thtres, tous les vrais amis du nouveau et du grandiose assistaient cette
brillante reprsentation. Lattente la plus vive dominait les spectateurs, elle na pas
t trompe, et de mmoire de machiniste on naura vu un spectacle pareil au tableau
108 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
OLIVIER BARA
Le corpus ici retenu est form de deux opras franais, tous deux
crits par Eugne Scribe : Le Code noir, opra-comique en 3 actes
cr le 9 juin 1842 au Thtre Favart, avec une musique dAntoine-
Louis Clapisson, et LAfricaine, grand opra en cinq actes sur une
musique de Giacomo Meyerbeer, cr lOpra de Paris le 28 avril
1865. Ces deux ouvrages forment un diptyque, regroupant les deux
genres majeurs de lart lyrique franais au XIXe sicle, lopra-
comique et le grand opra, sous la plume dun mme librettiste,
figure centrale de lart lyrique franais : Scribe. Les deux opras se
placent chronologiquement, pour leur cration scnique, de part et
dautre de la deuxime Rpublique et de labolition de lesclavage.
Toutefois, le livret de lAfricaine fut compos par Scribe ds 1838,
avant celui du Code noir donc, dans le mme contexte de lutte en
faveur de labolition couvrant les annes 1834-1840. Scribe dcline
ainsi de deux manires distinctes deux figures desclaves, selon la
diffrence des sources exploites, mais aussi des genres, des scnes
lyriques et des publics viss. Les questions poses, face ces deux
opras, sont les suivantes : quel statut hroque lesclave peut-il
accder dans un ouvrage lyrique au milieu du XIXe sicle ? De quel
discours lopra peut-il tre porteur face au sujet de lesclavage ? Et
comment lire, en croisant dramaturgie, esthtique et idologie, selon
une perspective sociocritique, un livret dopra ?
LE CODE NOIR
CHUR
Guids par lesprance,
Embarquons-nous
Embarquez-vous gament !
Au rivage de la France,
Le bonheur nous/vous attend ! (FIN) 19.
LAFRICAINE
Olivier BARA
Universit Lyon 2, UMR LIRE
NOTES
1864, t. II, p. 369-403. Sur cette pice et les transformations opres par ses auteurs
sur la nouvelle de Mme Reybaud, voir larticle de Barbara T. Cooper, Purloined
Property : A Study of Madame Reybauds Les paves and Its Theatrical Adaptation,
Le March de Saint-Pierre ( paratre). Je remercie vivement Barbara T. Cooper de
mavoir communiqu cet article.
15. Hector Berlioz, Critique musicale, 1823-1863, dition critique dAnne
Bongrain et Marie-Hlne Coudroy-Sagha, Paris, Buchet/Chastel, t. V, 2004, p. 131.
16. Voir larticle de Barbara T. Cooper dans le prsent volume.
17. Eugne Scribe, Le Code noir, Paris, Beck, collection Rpertoire dramatique
des auteurs contemporains , 1842.
18. Hector Berlioz, article cit, p. 132.
19. Eugne Scribe, Le Code noir, d. cite, acte III, scne VII.
20. Hector Berlioz, article cit, p. 131-132.
21. Daprs Nicole Wild et David Charlton, Rpertoire du Thtre de lOpra-
Comique, op. cit., p. 195.
22. Cet opra et son rle ponyme sont devenus au XXe sicle un cheval de
bataille pour les grandes cantatrices noires, telle limmense Shirley Verrett.
23. Et la noblesse tragique propre au grand opra, la diffrence de la lgret de
lopra-comique, permet seule lexpression littraire, dramatique et musical de
lexotisme : Dans un grand opra tel que LAfricaine (1865) de Meyerbeer, le tragi-
que du sujet confre luvre un srieux ncessaire lpanouissement de lexpres-
sion exotique, alors que lironie ou toute forme de comique apportent une
distanciation peu propice la cration dune posie. Herv Lacombe, Les Voies de
lopra franais au XIXe sicle, Paris, Fayard, collection Les chemins de la
musique , 1997 p. 194.
24. Eugne Scribe, LAfricaine, opra en cinq actes, musique de Giacomo
Meyerbeer, Paris, Librairie internationale, G. Brandus et S. Dufour, sans date, acte
I, scne IV, p. 14.
25. George Sand, Correspondance, dition de Georges Lubin, Paris, Garnier,
t. XIX, 1985, p. 469.
26. Cit par Herv Lacombe, Les Voies de lopra franais au XIXe sicle, op. cit.,
p. 208.
27. Revue des Deux Mondes, 15 mai 1865, seconde priode, t. LVII, p. 425.
28. Eugne Scribe, LAfricaine, d. cite, acte IV, scne II, p. 53.
29. Ada, sur un livret de Ghislanzoni daprs un canevas franais de Camille du
Locle et une intrigue imagine par Auguste Mariette, a t cr au Caire en 1871.
30. LAfricaine, d. cite, acte IV, scne V, p. 60.
31. Ibid., acte V, scne IV, p. 72.
32. Ibid., acte I, scne V, p. 16.
33. Ibid., acte II, scne II, p. 24.
34. Ibid., acte II, scne III, p. 27.
35. Ibid., acte IV, scne III, p. 53.
III
DANIEL LANON
pas fait rire du tout. Cela est trop occupant pour tre effrayant. Ce
quil y a de plus terrible, cest leur musique22.
Daniel LANON
Universit Stendhal Grenoble 3, EA Traverses 19-21.
NOTES
distinguent par leur beaut, leur loquence, leur libralit, la finesse de leur peau
et la souplesse de leur taille , M e rveilles biographiques et historiques ou
Chroniques, vol. III, trad. fr., Le Caire, 1889, p. 171. Son prnom Abdurrahman
pourrait renvoyer une origine servile, Abd (abd au pluriel) tant le mot courant
dsignant lesclave en langue arabe, sur de longues priodes, en particulier les-
clave mle.
13. Gustave Flaubert, Correspondance, I (janvier 1830 juin 1851), Jean
Bruneau (d.), Paris, Gallimard, Bibl. de la Pliade, 1973, p. 545. Cette pointe vise
peut-tre lidalisme des derniers saint-simoniens rsidant en gypte. Plusieurs
voyageuses signalent en tout cas que les Europens avaient le droit dacheter des
Noirs et quainsi toutes les familles aises du Caire en avaient ordinairement leur
service.
14. Gramb, Plerinage Jrusalem et au Mont-Sina, op. cit., p. 205, p. 207.
15. Gasparin, Journal dun voyage au Levant, t. II, op. cit, p. 90-91.
16. Hector Horeau, Panorama dgypte et de Nubie, Paris, chez lAuteur, 1841-
1846 (en 12 livraisons), ill. Autre rsident franais, Antoine Clot Bey crit en 1840 :
Cest ainsi que, au milieu des murs patriarcales des Orientaux, la servitude prend
un caractre bien oppos celui que nous lui avons fait en Amrique , Aperu
gnral sur lgypte, t. I, Fortin, Masson & Cie, 1840, p. 270.
17. Chabrol de Volvic, Description de lgypte, tat moderne ( Des habitants
modernes de lgypte , Essai sur les murs ). Nous citons dans la seconde
dition (Paris, Pancoucke, tome XVIII, 1826, p. 249-250).
18. Victor Schlcher, Lgypte en 1845, Paris, Pagnerre, 1846, p. 111-112.
Lauteur avait le dsir dtudier lesclavage musulman pour le comparer
lesclavage chrtien , p. 1.
19. Marie-Joseph de Gramb, Plerinage Jrusalem et au Mont-Sina, op. cit.,
p. 207.
20. Journal dun voyage au Levant, t. II, op. cit., p. 28.
21. Pour une prsentation du phnomne voir Ren Khoury : Contribution une
bibliographie du zr , Le Caire, Annales Islamologiques, t. XVI, 1980, p. 359-
374, ill. et Ehud Toledano : The Creolization of zar in ottoman societies , As if
silent and absent : Bonds of enslavements in the Islamic Middle East, New Haven,
Londres, Yale University Press, 2007, p. 212-215. Lappellation zr finit par
lemporter sur la prcdente.
22. Italiques de Flaubert, Correspondance, t. I, op. cit., 584.
23. Arthur Rhon, Lgypte petites journes, tudes et souvenirs, Le Kaire et
ses environs, Paris, Ernest Leroux, 1877, p. 111. Lauteur publie le rcit dun sjour
crit en 1865.
24. Les historiens en donnent trois raisons : la mortalit leve, la fcondit trs
faible, lusage rgulier de lmancipation passe une certaine dure de sujtion.
25. Il avait t exil de 1882 1892 pour avoir pris le parti du nationaliste Orabi
en 1882, homme politique lui-mme banni dgypte pour cause de rbellion contre
le khdive et les Anglais. Sur la carrire littraire de cet intellectuel, voir ve
M. Troutt Powel, A different Shade of colonialism. Egypt, Great-Britain and the
Mastery of the Sudan, Berkeley, University of California Press, 2003, p. 92-95.
26. Sur le statut particulier de drogman voir Sarga Moussa, Le sabir du
drogman , Arabica, tome LIV, n 4, octobre 2007, p. 554-567.
27. Lauteur sappuie sur lencyclique In plurimis de Lon XIII. Jusque vers 1870,
les autorits catholiques taient restes gradualistes et plutt timores.
POLYPHONIE EN ABSENCE 141
ROGER LITTLE
Roger LITTLE
Trinity College, Dublin (Irlande)
150 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
NOTES
claves : les jours du fouet, Paris, Seuil, coll. Points virgule, 1991.
6. Miller, op. cit., p. 34 : Il nexiste pas de vrais rcits autobiographiques des -
claves en franais (en italique dans loriginal) ; et p. 33. Why is there no franco-
phone Equiano ? fait partie, entre parenthses, du titre dune section (p. 33-37) de
son Introduction quil conviendrait de lire en rapport avec notre communication.
Revenant la question dans son 14e chapitre (p. 364-384), il se concentre sur des
productions romanesques et cinmatographiques modernes.
7. Cit par Frdric Rgent, La France et ses esclaves : de la colonisation aux
abolitions (1620-1848), Paris, Grasset, 2007, p. 151. De la mme lettre, Pierre
H. Boulle (Race et esclavage dans la France de lAncien Rgime, Paris, Perrin, 2007,
p. 91) cite : je suis parvenu croire fermement quil faut mener les Ngres comme
des btes, et les laisser dans la plus complte ignorance.
8. J. P. Little, Introduction Georges Hardy, Une conqute morale : lenseigne -
ment en A.O.F., Paris, LHarmattan, 2005, p. xii. Hardy lui-mme reconnat quil faut
viter que lenseignement des indignes ne devienne un instrument de perturba -
tion sociale , intitul dune section dans son tude, op. cit., p. 19.
9. Voir Martin Deming Lewis, One Hundred Million Frenchmen : the
Assimilation Theory in French Colonial Policy , Comparative Studies in Society
and History, IV, 2 (1962), p. 140. Je remercie mon pouse, J. P. Little, pour cette rf-
rence.
10. Jcarte ainsi sciemment des cas par ailleurs trs intressants : celui dIsmal
Urbain, par exemple, que Sarga Moussa rappelle dans son texte dorientation du
colloque.
11. Ce portrait souvent reproduit orne la jaquette du 1er volume du remarquable
ouvrage de Hugh Honour, LImage du Noir dans lart occidental : de la Rvolution
amricaine la premire guerre mondiale, I : Les Trophes de lesclavage, trad.
Marie-Paule de La Coste Messelire et Yves-Pol Hmonin, Paris, Gallimard, 1989.
12. Cit par Erick Nol, tre noir en France au XVIIIe sicle, Paris, Tallandier,
2006, p. 263, n. 35.
13. Mmoires du Gnral Toussaint-LOuverture crits par lui-mme, Port-au-
Prince, Blisaire, 1951, cits en note par Miller, op. cit., p. 408, n. 137.
14. La communication faite Oxford tant demeure indite, jen donne ici le
paragraphe pertinent : Interestingly, there are no known first-person slave narrati-
ves in French equivalent to those in English, whether by Olaudah Equiano or, later,
by Frederick Douglass. It is perhaps idle to guess why this should be, but contribu-
tory factors could well include : the thrust of Quaker influence on the education of
slaves in the English- rather than the French-speaking world ; the Protestant and
specifically Puritan tradition of reading the Bible in the company of their slaves,
something Roman Catholics did not do ; the tendency in the English-speaking
American north towards small-scale farms and therefore greater intimacy between
masters and slaves rather than large sugar plantations which covered the French-
speaking islands and southern States, a tendency encapsulated in the fear of being
sold down the river, i.e. the Mississippi ; already perhaps a preparedness on the part
of the British, not shared by the French, to allow their language to be fractured and
distorted in the interest of communication, so maintaining the so-called purity of
French, however universal Rivarol argued it to be, at an unreachable distance from
the slaves (an attitude officially sanctioned by teaching petit-ngre to the Tirailleurs
sngalais who fought in World War I). Negroes brought to France in the eighteenth
century were not and did not become authors : they were invariably uneducated and
152 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
root.com/4/jackson/jackson7.html www.strike-the-root.com/4/jackson/jackson7.html)
me parat par contre trs peu vraisemblable : Thoughts of chattel slavery reverbe-
rate as background noise in the minds of many Black Americans, and its homilies
seep into our daily conversation. One of my favourites is sold down the river ,
referring to the Black African who sold other Black Africans to White slave traders.
Somewhere down the river waited the ocean, the middle passage, and slavery in
the Americas.
28. La Louisiane en question dpassait de beaucoup le seul tat qui porte ce nom:
outre tout le bassin du Mississippi-Missouri, elle recouvrait ce quon nommait
communment lOuest : Arkansas, Dakota, Iowa, Kansas, Missouri, Montana,
Nebraska, Oklahoma
29. Beaumont, op. cit., t. I, p. 71. Dans sa communication, reprise ici, Michle
Fontana fait allusion une anecdote rapport par Paul Bourget selon laquelle une
jeune fille noire habitue vivre dans la meilleure socit du Nord et duque
parmi des Blanches, se serait suicide suite au dcs de son pre et lobligation
daller habiter chez son grand-pre Savannah o [i] l lui fallait frquenter unique-
ment des gens de sa race, infrieurs, grossiers, brutaux, se sachant tels, et sans
instruction, sans ducation . Merci Michle Fontana de mavoir envoy copie
de Paul Bourget, Outre-mer (Notes sur lAmrique), Paris, Alphonse Lemerre, 1895,
2 vols., t. 2, p. 217.
30. Voir notamment Sue Peabody, There are no slaves in France : The
Political Culture of Race and Slavery in the Ancien Rgime, New York & Oxford,
Oxford University Press, 1996.
31. De la littrature des Ngres ou recherches sur leurs facults intellectuelles,
leurs qualits morales et leur littrature, suivies de notices sur la vie et les ouvrages
des Ngres qui se sont distingus dans les sciences, les lettres et les arts, Paris,
Maradan, 1808, repr. in Labb Grgoire, crits sur les Noirs, I : 1789-1808, prsen-
tation de Rita Hermon-Belot, Paris, LHarmattan, coll. Autrement Mmes 49, 2009,
p. 103-226 (voir surtout p. 198-202 et 209-215).
32. Je me suis exprim ce sujet dans World Literature in French, or : Is
Francophonie Frankly Phoney ? , European Review, 9, 4 (October 2001), p. 421-
436.
33. Cette expression de Salman Rushdie a t prise pour titre dun ouvrage
marquant dans les tudes postcolonialistes : The Empire Writes Back : Theory and
Practice in Post-Colonial Literatures, par Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen
Tiffin, London, Routledge, 1989.
NOIRE ET FEMME, LA VOIX DE LA DMOCRATIE :
DE LA ZOOLOGIE LA SUBJECTIVATION POLITIQUE-
DANS THE HISTORY OF MARY PRINCE 1
FRDRIC REGARD
tion du lecteur sur tel ou tel dtail historique, ou qui prcisait si tel
ou tel nonc tait imputable lesclave. Les critiques ont donc logi-
quement mis en doute la fiabilit du texte, rsultat dun double
cadrage, voire dune double censure (on ne trouve aucune allusion
la vie sexuelle de Prince), telle enseigne que lon a pu affirmer que
la mdiation des deux diteurs reproduisait lendroit du corpus
les manipulations infliges au corps de lesclave31. Il est vrai que le
texte souffre de brusques dcrochages nonciatifs, notamment
lorsque le tmoignage de lesclave semble implicitement pris en
charge par la narratrice, prsente demble comme une lady (p. 3),
ou lorsque la responsabilit de lnonciation est explicitement dl-
gue la seule Prince (p. 13, 37, par exemple). Reste que la prface
de la premire dition avertit le lecteur de ce truchement (p. 3), et
que Prince elle-mme introduit des remerciements Miss S (p.
38), ce qui limite la porte des attaques concernant la fiabilit du
texte. On apprend en outre dans lun des supplments que Prince
souffrait de graves problmes oculaires (p. 4), ce qui explique
quelle ait vraiment pu avoir besoin daide pour la rdaction de son
mmoire.
Gillian Whitlock a donc vu dans cette collaboration entre Prince
et Strickland un mouvement avant-coureur du lien qui devait sta-
blir la fin du XXe sicle entre fminisme et postcolonialisme. Les
marginalia du texte plaaient Prince au cur dun dialogue
tablissant un pont entre lEuropenne et lAntillaise, dont les dsirs
respectifs de libert seraient venus se croiser32. Outre que la jonction
entre fminisme et anti-esclavagisme stait dj opre bien en
amont, au point de rendre indissociables luttes abolitionnistes et
proto-fminisme ds le XVIIIe sicle en Angleterre33, je ne suis pas
persuad quil nentre pas dans la collaboration de Strickland et
Pringle avec Prince quelque condescendance, trahie par ces dcro-
chages nonciatifs comme par ces notes soulignant les diffrences
entre les locuteurs. Peut-tre serait-il plus judicieux par consquent
de maintenir le jeu de la diffrence, en noubliant aucun des trois
acteurs. Car cette double mdiation, affiche et non dissimule, a
pour mrite notable de maintenir un intervalle entre le corps de
Prince, esclave maltraite, et sa voix, telle quelle nous parvient par
le truchement de ses protecteurs, intervalle qui serait prcisment la
signature de toute parole dmocratique34. Ce qui signifie aussi que la
subjectivation de Prince ne serait envisageable sans cet vnement
proprement littraire quest llaboration de cette scne polyphoni-
que. Si Strickland peut crire comme si elle tait Prince, et non sa
place, si Pringle peut apporter toute sa caution lentreprise de
NOIRE ET FEMME, LA VOIX DE LA DMOCRATIE 163
Frdric REGARD
Universit de Paris IV-Sorbonne
NOTES
1. The History of Mary Prince, A West Indian Slave, Related by Herself, Londres
et dimbourg, 1831. Le texte fut redcouvert et publi Londres en 1987. Ldition
utilise est celle de Sara Salih (Londres, Penguin, 2004). Les citations sont traduites
par moi-mme [F. R.].
2. Voir Jenny Sharpe, Something Akin to Freedom: The Case of Mary
Prince , Differences : A Journal of Feminist Cultural Studies, n 8.1 (1996), p. 31
56.
3. Sir William Blackstone, Of the Absolute Rights of Individuals , dans
Commentaries on the Laws of England (1765-1769), Livre I, chap. 1 (ma traduction
[F. R.]).
4. Common Law : la loi anglaise fondamentale, fonde sur le droit jurispruden-
tiel, par opposition au droit civiliste ou codifi.
5. Voir David B. Davis, The Problem of Slavery in the Age of Revolution, 1770
1823, Ithaca, Cornell University Press, 1975, p. 480 et suiv.
6. Ibid., pp. 499-500.
7. Voir Barbara Bush, Towards Emancipation : Slave Women and Resistance
to Coercive Labour Regimes in the British West Indian Colonies, 1790-1838 , dans
David Richardson (dir.), Abolition and Its Aftermath: The Historical Context, 1790-
1916, Londres, Frank Cass, 1985, p. 27-54.
8. Peter Brooks, The Melodramatic Imagination : Balzac, Henry James,
Melodrama, and the Mode of Excess, New Haven, Yale University Press, 1976,
p. 204-206.
9. Ibid., p. XIII.
10. Voir Judith Walkowitz, City of Dreadful Delight : Narratives of Sexual
Danger in Late-Victorian London, Chicago, The University of Chicago Press, 1992,
p. 85-86.
11. Voir Elaine Hadley, Melodramatic Tactics. Theatricalized Dissent in the
English Marketplace, 1800-1885, Stanford, Stanford University Press, 1995.
164 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
FRANK ESTELMANN
quelle mne (il sagit dun jardinier dans le cas de Manzano et dun
pcheur chez Arriaza) lance un dfi Cupidon. Tout en soulignant
quils sont trs contents avec les trsors quils possdent dj, le jardi-
nier et le pcheur demandent au dieu de lamour de ne pas les impor-
tuner avec ses flches. Dans un refrain suggestif (estribillo en
espagnol) insr la fin de chaque strophe, ils dclarent leur amour
leur activit respective. Tandis que la barque et ses filets de pche sont
prsents comme le trsor du pcheur, lillet et la rose sont la fiert
du jardinier. Les deux hommes sont par ailleurs tout fait conscients
du vasselage quils savent que Cupidon rserve ceux quil a assujet-
tis sa loi. Ils connaissent les tourments de Nrine (dans le cas du
pcheur) et de Phillis (dans le cas du jardinier), deux figures mytholo-
giques dlaisses par leurs amants infidles dans un cadre naturel
semblable au leur. Cest l un destin quils prfrent viter. Toutefois,
la fin des deux pomes, Cupidon se venge deux laide de deux
figures de femmes puises dans la tradition lgiaque latine (Silvia,
Lesbia). Les regards de ces deux figures fminines pntrent dans les
curs de deux hommes et les rendent irrmdiablement et tragique-
ment amoureux. De cette faon, le pcheur et le jardinier sont punis
pour leur insolence et leur imprudence. Les deux pomes conjuguent
la fin limage dun rivage et dun jardin assujettis par Cupidon qui
triomphe sur lharmonie initiale du paysage et sur la fiert des
hommes.
Or, les deux romances en octosyllabes dArriaza et de Manzano
sinscrivent profondment dans la tradition classique. Artifices
potiques, cas de figure rpertoris, on retient de leur lecture dabord
les thmes classiques de la blessure irrmdiable que Cupidon perce
dans la poitrine de ceux atteints de ses flches, du giovenile
errore du dbut des Canzoniere de Ptrarque et de nombreux autres
motifs attestant de la tradition ptrarquiste et lgiaque dans laquelle
ils sinscrivent. Cependant, si lon renonce un parti pris simplifica-
teur (le reproche d pigonalit ), les pomes de Manzano se rv-
lent riches en dcouvertes intellectuelles. Tout dabord, limitation
du pome dArriaza nempche pas Manzano de marquer le sujet de
lesclavage. Bien au contraire, il lintroduit dans lintertexte en
procdant par une transformation thmatique des donnes dArriaza
qui sajoute encore la translation spatiale (passage de la mer au
jardin). Car dans la deuxime strophe du pome, El hortelano
compare le danger que la rose bourgeonnante court quand elle est
expose au soleil brlant avec le danger auquel est confront le
jardinier en face de lesclavage tyrannique ( esclavitud tirana ) de
lamour. Il sagit dun esclavage contre lequel le jardinier se croit
RIMES DCHANES 173
Sonnet
giste du pays ni mme ses abus , et on peut juste titre y voir une
condition ncessaire de sa publication Cuba en 1837. Le pote
regarde en arrire en tremblant et en saluant sa fortune adverse,
mu quil est par le souvenir de la lutte contre son sort quil a d
soutenir depuis sa naissance (le berceau). Cest l le thme des
quatrains du sonnet. Les tercets prolongent la mme rflexion. Le
pote voque la perscution par le malheur quil subit depuis trente
ans et spouvante lide dun avenir encore plus infortun que la
cruelle guerre quil vient de soutenir en vain.
Dans ce quon pourrait appeler une fiction oratoire qui semble
anticiper sur la situation de communication relle qua d rencontrer
Manzano dans le cnacle de Domingo del Monte, le rcitant adopte
dans ce pome lethos du perscut. Mais au lieu de demander de
laide, il porte un jugement sur sa propre existence passe, dont il
dresse le bilan dans une sorte dexamen de conscience. En dpit de
lvocation de la terreur et de lenvahissement, il ne dnonce aucune
maltraitance physique42. Le rcitant privilgie visiblement le thme
classique de la dsillusion (desengao). Selon Miller, il renvoie dans
lapostrophe Oh Dios du dernier vers au signe graphique de
lhorror vacui la lettre O 43 . Cette apostrophe est par cons-
quent le moment o culmine langoisse de claustration qui se fait
jour travers tout le pome et qui est manifeste dans tout le systme
des concepts paroxystiques caractristiques de la tradition ptrar-
quiste employe : le tremblement, la terreur, le respect, la lutte, les
combats, les larmes, le malheur, la guerre et la dsesprance.
Mais on pourrait tout aussi bien voquer le plaidoyer pro domo
du discours dmonstratif (ou pidictique) du pome. Mme forg par
le malheur, lespace du pome permet au rcitant de crier son mal en
anaphores et en allitrations, de faire bouger son dsir de communi-
cation, sortant de lindistinction insupportable et douloureuse de son
sonnet qui, en tant que forme fixe, demeure sous lemprise du code
esthtique. Si le locuteur se trouve encore au gemidor estado
( tat pleines de larmes selon la traduction de Schlcher), ses
gmissements ne constituent, par analogie, pas seulement la figura-
tion de lexprience vcue qui se dessinerait derrire la complainte
potique ; ils sont les paroles mme du pome. Si lon regarde la
versification, la combinaison phontique et musicale, la rpartition
des units syntaxiques dans le sonnet, on se rend compte que lan-
goisse montre correspond la dmonstration dune matrise souve-
raine de lexpression. Comme la fait remarquer Miller, Treinta
aos atteste la supriorit verbale du pote qui vite le parler
esclave ( hablar en bozal ) laide dune parole code et conver-
178 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
tre ? vrai dire, il parat quun seul motif dans le texte puisse assurer
la lecture biographique de Treinta aos , et cest curieusement le
seul motif vraiment perturbateur dans le rapport intertextuel quen-
tretient le pome avec ses modles mentionns. Il sagit du motif des
trente ans qui ne parat dans aucune des rcritures courantes de
Ptrarque et qui semble constituer une rfrence stable la biogra-
phie de lauteur. part le fait que la lhypothse selon laquelle
Manzano sest projett dans la figure dun rcitant entrant dans lge
adulte est tentante, mais incertaine49, lauteur a pourtant continu
parler travers des citations. Dans la variatio de ses modles, le
motif des trente ans a permis lauteur douvrir son pome vers une
dimension christologique qui marque une filiation religieuse dj
prsente chez Quevedo. Deux facteurs parlent en faveur de cette
hypothse. Une des particularits du rcit autobiographique de
Manzano est que celle-ci contient plusieurs scnes de chtiments
corporels dune violence extrme dans lesquelles le narrateur se
compare au Christ50 (Madden les a par ailleurs enleves dans sa
traduction anglaise). Lanalogie entre lesclave chti par son matre
et le Christ crucifi constitue donc un registre dont il est dmontr
quil a t utilis par Manzano. Ensuite, il existe une deuxime
source livresque de son ducation intellectuelle que Manzano
nomme dans son autobiographie ( part la posie dArriaza), qui
sont les sermons de Fray Luis de Granada51. Or cet auteur, dans sa
Vita Christi, attire lattention du lecteur sur le fait que Jsus, pendant
trente ans, a vcu une existence commune auprs de Marie et Joseph
Nazareth, et quil a ensuite commenc sa vie publique de prdica-
teur lge de trente ans (lge parfait, edad perfecta , selon Fray
Luis de Granada) 52. Sans vouloir poursuivre davantage lhistoire du
motif de l ge parfait en tant quge intermdiaire entre lado-
lescence et la vieillesse , qui est un autre des grands thmes du
discours amoureux de la posie espagnole du XVIe sicle53, on peut
constater que le motif des trente ans fait partie du discours
pidictique du pome de Manzano : trente ans, cest lge parfait
pour se tourner vers la prdication potique, pour montrer ses bles-
sures au Dieu de lapostrophe finale ( Oh Dios ! ), qui nintervient
pourtant pas afin de sauver celui qui linvoque. travers le motif de
ses trente ans, le rcitant de Treinta aos introduit ainsi une pers-
pective christologique qui ne fait que renforcer limpression dj
articule dun espace foncirement intertextuel dans lequel se
produit et se consomme le sonnet.
182 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
Il est donc juste de dire que Manzano pratique une criture poti-
que centre sur limitation. Comme tous les lments de Treinta
aos remontent au Sicle dor espagnol, il sagit mme dun
pome particulirement imitatif . Sil y a originalit dans ce
cas cest dabord dans lassemblage dun pastiche qui fait interagir
ses hypotextes. Sur ce plan, la posie sert lauteur se projeter
dans une espce dauto-fiction lettre qui lui a permis de plaider sa
cause successivement en amoureux portant les chanes esclaves
de son amour pour Lesbia, en voyageur nostalgique visitant la ville
de Matanzas, en jardinier tombant dans les mains du tyrannique
esclavage de Cupido, enfin en martyr perscut par une fatalit
indiscernable. Il est vident que lesclave vite de parler en son
propre nom, qui est chez Manzano de toute faon un nom dem-
prunt, celui de son premier matre. Pour ne pas devoir imiter il
aurait fallu une subjectivit privilgie difficilement accessible un
esclave. Un pome comme Treinta aos est ainsi condamn
vivre dans linstabilit.
En revanche, loriginalit des pomes de Manzano peut tre
envisage dune autre manire. Tout en tant un collage en miniature
sans rfrent prcis ils renvoient leur propre situation dnoncia-
tion54. Ils se plient devant lautorit dun idal culturel dont on ne
saurait dire quil est entirement le leur, et ils se nourrissent des
restes de la table culturelle du matre ( leftovers from his
masters cultural table , comme Sylvia Molloy la not 55. De fait,
une telle pratique dcriture tait insparable dune communaut
discursive de lettrs. En ce sens, lemploi de la forme du sonnet
hrite de Garcilaso et le rapport dialogique avec Quevedo sap-
puient sur les codes de biensance de llite crole de Cuba.
On observe donc une tension dans les pomes de Manzano :
certes, il y a chez lui la preuve formelle dune comptence potique
venant conforter lidal culturel quil mobilise. Il nest donc pas faux
daffirmer que Manzano a t admis et respect par llite crole
prcisment parce quil ne faisait aucune rfrence la littrature
orale des esclaves et parce quil imitait les modles potiques auto-
riss. Mais on constate un mouvement intentionnel dans cette posie
quon ne saurait attribuer Del Monte ou ceux ayant contribu
transmettre ses ouvrages.
Schlcher a trs bien compris la double tche qui lui tait assi-
gne par le pome de Manzano : souligner dun ct la comp-
tence formelle en rhtorique comme argument politique contre
ceux qui croyaient encore la suprmatie de lhomme blanc et
qui se servaient de cet argument pour lgitimer lesclavage, et
rendre de lautre ct la voix de lesclave sans composer avec
lesclavage71 , comme la fait remarquer Aim Csaire dans son
essai sur Schlcher. Domingo del Monte a voulu donner
luvre de Manzano une signification abolitionniste dans le sens
crole libral dune identit nationale construire construction
qui liminait par ailleurs la longue lapport de la population
186 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
Frank ESTELMANN
Universit Goethe de Francfort-sur-le-Main
NOTES
PERSPECTIVES POSTCOLONIALES
IMPRIALISME ET INDIVIDUALISME :
LA QUESTION DE LESCLAVAGE CHEZ DANIEL DEFOE
ANNE DROMART
contre toute vidence, est donc une volont de donner un sens parti-
culier la relation entre ces deux hommes, de convaincre quelle est
fonde sur laffection et la bienveillance, selon le modle classique
du paternalisme qui dfinit lautorit dun tre sur un autre. Cette
affection est redite de manire insistante dans le texte, et montre en
modle au lecteur anglais10 : Defoe cherche nous persuader que
Vendredi est reconnaissant envers Robinson, non seulement parce
que Robinson lui a sauv la vie, mais aussi parce quil soccupe de
lui comme un pre de son enfant. Or, parler des sentiments des escla-
ves, cest dune part refuser de ne voir en eux que des tres de labeur
et de servitude, des (corps) comme les appelaient les Grecs.
Dautre part, cest suggrer que sils sont diffrents du Blanc civi-
lis, quils nont pas t duqus mais souhaitent ltre par les
Europens. Lun des dialogues de The Family Instructor, ouvrage
dducation morale crit par Defoe, fustige la ngligence des matres
desclaves plus soucieux de faire travailler les hommes que de les
duquer. Le jeune Toby11, esclave ramen de la Barbade, rvle que
certains matres battent les esclaves qui vont lglise car non seule-
ment pendant ce temps ils ne travaillent pas, mais aussi parce quils
y apprennent des notions de libert et dgalit qui font craindre
leurs matres quils nacceptent plus leur servitude. Le texte fustige
une telle attitude, moralement rprhensible et dangereuse car elle
fait perdurer des rapports de force qui ne seront pas toujours en
faveur du Blanc pour des raisons numriques.
Le lecteur moderne sindigne de ce mlange d a rguments
moraux et utilitaires, mais le procd est commun au XVIIIe sicle.
Cest le thme principal de Colonel Jack. Comme tous les hros de
Defoe, Jack est un dshrit, sans attaches sociales, sans ducation,
donc sans avenir, mais il aspire une vie meilleure et une existence
respectable. Captur par un homme malhonnte et vendu comme
serviteur en Amrique, Jack travaille en ralit aux cts des-
claves noirs dont il partage le quotidien. Puis il en devient le contre-
matre et, devant faire rgner lordre, il se trouve incapable dutiliser
la force envers ses anciens compagnons dont il se sent solidaire12. De
plus, sil a chang de poste dans la plantation, il ne se croit pas libre
pour autant : il appelle matre son propritaire, usant du mme
vocable que Vendredi pour Robinson, alors que Jack et le propri-
taire de la plantation sont tous deux blancs et anglais. premire
vue, il y a, dans ce roman, une volont de dissocier esclavage et
donne raciale13. Blancs et Noirs sont esclaves et partagent les
mmes caractristiques, la mme indigence, les mmes capacits14,
illustration de lide que martle Defoe dans tous ses crits : ldu-
196 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
lAtlantique: les hros font plusieurs fois le voyage dans chacun des
romans, pas toujours de leur plein gr, parfois pour y tre vendus. En
mlangeant servitude et esclavage, esclaves noirs et esclaves blancs,
en montrant de bons matres et des esclaves heureux de leur sort,
Defoe essaie de dtourner lattention de ce que lesclavage avait
dodieux pour forcer son lecteur envisager le statut dun individu de
faon autre. Dans ses romans, comme dans lAngleterre et les
Amriques du dbut du XVIIIe sicle, la ralit de la servitude qui
prive lindividu de toute libert et qui en exige un travail est indiscu-
table19. Le indentured labourer blanc se voyait priv de libert pour
une priode dfinie, et donc limite, contrairement lesclave, mais
Defoe se contente de dsigner une mme absence de libert20 et une
mme subordination sans jamais remettre en cause lexistence de
formes de servitude : lorsque Robinson finit par vendre le jeune Xury,
compagnon desclavage, au capitaine portugais du bateau qui les
prend son bord, rien, dans la narration, ne permet de percevoir un
hiatus dsapprobateur dans lespace ironique cr par la diffrence de
voix entre auteur et narrateur. Ce jeune Turc est une monnaie
dchange, un bien comme un autre dans une conomie du commerce,
tout comme Jack est captur et vendu en Amrique par un marchand
sans scrupules. Si William le Quaker reconnat21 brivement quil est
fait aux Noirs la plus grande injustice qui soit en les vendant sans leur
consentement, lironie dramatique enlve sa force cette constatation
quand il nenvisage pas dautre option que de vendre les Noirs quils
trouvent sur le bateau la drive: cette injustice , qui arrive aux
Blancs comme aux Noirs, nest pas discute. Cest une constatation
cynique de la ralit.
Cest que les notions de libert et desclavage se rvlent relati-
ves : quand Bob Singleton, aprs sa capture par des pirates, est libr
par un navire portugais, il se retrouve dmuni, sans aucune autono-
mie, et cette libration lui pose autant de problmes que sa capti-
vit22 : ce ntait gure une dlivrance , dit-il, car il est seul, sans
revenu, sans soutien. Robinson aussi sinterroge sur les notions de
libert et de dlivrance, termes rcurrents dans son histoire. Sur son
le, il espre tre libr de ce qui nest autre quune prison, jusqu
sa prise de conscience dun ordre du monde qui repose sur la
Providence et la Parole de Dieu : cest cette rvlation qui lui apporte
une ouverture spirituelle quil assimile une libration, leitmotiv
chez Defoe, qui prend en compte la fois la misre de lhomme sans
Dieu et celle de lexclu social, paradigmes dexclusion assimils
des formes denfermement qui lui paraissent bien plus prjudiciables
que toute forme de soumission un matre bienveillant. Defoe
198 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
Anne DROMART
Universit Lyon 3, UMR LIRE
.
NOTES
KLAUS BENESCH
Sometimes the negro gave his master his arm, or took his
handkerchief out of his pocket for him ; performing these and
similar offices with that affectionate zeal which transmutes into
something filial or fraternal acts in themselves but menial ; and
which has gained for the negro the repute of making the most
pleasing body-servant in the world.
[Parfois le ngre donnait le bras son matre, ou prenait
son mouchoir de sa poche sa place ; il accomplissait ce genre
de services avec un zle particulier, affectueux, qui transforme
des gestes, serviles par essence, en quelque chose de filial ou de
fraternel ; ce qui a procur au ngre la rputation dtre le
serviteur le plus agrable du monde.]
Herman Melville, Benito Cereno
Marin, son uvre posthume, les navires de Melville sont des micro-
cosmes flottants avec des significations macrocosmiques. Pour
analyser les ides philosophiques et dcouvrir les rgions inexplo-
res de la psych humaine, Melville peuple ces navires dun qui-
page htroclite de marins issus de tous les milieux. Dans les rcits
de mer de Melville, les races demeurent un facteur prendre en
compte, comme le dmontre le personnage tragique de Benito
Cereno . Cependant, les nombreuses tches communes bord du
navire lui permettent de crer un espace utopique flottant qui va au-
del des limites de classes et de races.
Dans Moby-Dick, le travail des matelots ne reprsente pas seule-
ment une ncessit mais un mode de vie, un style dexistence tout la
fois sduisant et repoussant. Les matelots peinant au dur labeur sur le
Pequod participent dune routine rituelle qui semble effacer les divi-
sions entre les races et les classes, et qui insiste au contraire sur les
aspects dmocratiques et fraternisants du travail des marins. Comme
lont remarqu plusieurs critiques, le fait dextraire collectivement le
sperme grumeleux du cachalot en une masse onctueuse et fluide en
vue des travaux aux chaudires du navire, personnifie laffection
physique et la sensation dun lien diffus parmi les classes populaires
bord. De mme, Melville juxtapose frquemment la communion
mythique et la solidarit entre lquipage multiracial une solidarit
qui nat du partage des preuves pnibles, du danger et souvent aussi
de loppression physique et lisolement et le dsquilibre psychique
quil a observs chez les officiers, blancs pour la plupart. Par un vrai
rebondissement heglien, Melville dcrit ses officiers, ses comman-
dants et ses commodores obsds par le partage strict du travail et par
le harnachement ridicule li ltiquette de la vie de marins. Malgr
leurs pouvoirs protocolaires, cest une classe de personnes devenues
irresponsables, compltement alines et rendues esclaves de l i d o-
logie du statut social, de la routine militaire ou de la simple accumu-
lation de richesses, telle que la pche la baleine.
Cest dans ce contexte que Melville introduit limagerie de les-
clavage comme condition maudite et maladie contagieuse de la
socit moderne. Dans une des scnes les plus fascinantes de Moby
Dick, Achab chante les louanges de lisolement affreusement
douloureux de son rle :
Quand je pense ma vie, la solitude dsole quelle a t,
cette citadelle quest lisolement dun Capitaine, qui admet si peu,
en ses murs, la sympathie de la campagne verdoyante du dehors [. .
.] Esclavage de la cte de Guine dun commandement solitaire !
(chap. 132, soulign par lauteur)
LE LANGAGE DES GESTES 209
pas plus fier et lve la tte comme un homme ; car ici, aucun senti-
ment excessif nexiste envers lui comme en Amrique (p. 202). Ce
sentiment excessif envers les Afro-amricains nest autre, bien-
sr, quun euphmisme sardonique pour parler du lynchage : New
York, un couple mixte, tel que ceux que Redburn voit au moins trois
ou quatre fois Liverpool, aurait t agress en trois minutes (p.
202). Ainsi, lincident de Liverpool comme le dmontrent
plusieurs passages du Journal de Melville ouvre la voie son
tude des races, de la vie de marin et de la socit moderne, plus
tard, dans Billy Budd.
Lhommage de Melville au marin noir de Liverpool revt une
importance spciale, car il prend forme au sein dun discours sur la
dialectique ou le ct obscur et totalitaire de la modernit. Melville
se rend Paris en 1849, et lambigut historique de certains lieux
comme la Place de la Concorde, o la Rvolution franaise a atteint
son apoge en excutant Louis XVI et Marie Antoinette (et, par la
suite, des milliers dautres victimes de ce que lon appelle le Rgne
de la Terreur ), continue de hanter sa conception de lordre rpubli-
cain dans Billy Budd. Comme nous le savons daprs le tout aussi
sombre Benito Cereno , Melville tait horrifi lide de foules
rebelles prises de folie meurtrire. Sil semble avoir t conscient
des dangers de labsence de lois, il avait cependant tout aussi peur
du chtiment comme principe abstrait et vide. Donc, dans son
dernier ouvrage inachev, Melville cre un quilibre entre le bon
mais ignorant Capitaine Delano, et laustre et autoritaire Capitaine
Vere, un Robespierre amricain, conduit, en fin de compte, sa perte
par sa mfiance envers lme humaine et sa croyance en la suprma-
tie de la loi abstraite ( avec le genre humain [] les formes, les
formes mesures, sont tout [p. 128]). linverse des critiques
conservateurs des horreurs de la Rvolution franaise tels que
Edmund Burke, lantidote de Melville contre les excs rvolution-
naires nest pas du tout de nature morale ou autoritaire. Il dpeint
plutt le microcosme des navires, o les grades sont attribus selon
les capacits naviguer, le courage, et le sens des responsabilits,
comme alternative valable la socit moderne terre.
De plus, Melville sait que la question de la race guide une
bonne partie de lhistoire moderne. Dans Redburn, il souligne lab-
sence de ngres dans les rues de Liverpool. tant donn limplica-
tion conomique ancienne de la ville dans la traite atlantique des
esclaves, labsence clatante de Noirs implique un effort endmique
lintrieur de la socit capitaliste moderne pour liminer ses
fondements racistes. Les consquences catastrophiques dun tel
LE LANGAGE DES GESTES 213
Klaus BENESCH
Universit de Munich
Traduction de langlais par Anna ZECCHINI
LE LANGAGE DES GESTES 215
RFRENCES :
NOTES
1. Pour une discussion approfondie sur le thme de la mer dans le discours imag-
inatif afro-amricain, on consultera larticle de Pedersen (voir bibliographie en fin
darticle).
2. Dans son ouvrage sur Melville, Mariners, Renegades and Castaways (1953),
que beaucoup ont nglig, James discerne dans luvre de cet auteur la tentative
continue de crer un nouvel humanisme face aux difficults de la civilisation
moderne qui a mal tourn : Dans son uvre grandiose, les divisions, les antagonis-
mes et les folies dune civilisation puise sont dissqus sans merci et carts. La
nature, la technologie, la communaut des hommes, la science et les connaissances,
la littrature et les ides se fondent dans un nouvel humanisme, ouvrant la voie un
vaste dveloppement des capacits humaines et de la russite humaine (p. 96).
3. Pour lutilisation allgorique de la vie bord chez Melville, voir
Springer/Robillard et Allen.
4. La question raciale et le contexte historique de lesclavage dans Benito
Cereno est aborde par Welsh et, plus rcemment, chez Jones.
5. La meilleure analyse de cet aspect dans luvre de Melville et la reprsen-
218 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
tation littraire du travail dans la socit davant-guerre dans son ensemble est celle
de Bromell (voir en particulier The Erotics of Labor in Melvilles Redburn , p. 61-
79).
6. Parmi les 21 membres de lquipage de lEssex, le baleinier attaqu en 1821
par un cachalot enrag (qui a servi de modle pour la clbre scne finale de Moby-
Dick), sept taient afro-amricains. Bien quils naient pas t bien pays pour leur
service bord dun baleinier de Nantucket, [. . .] ils taient srs de ne pas tre moins
pays quun Blanc ayant les mmes qualifications (Philbrick, p. 26).
7. Pour lhistoire de la critique de ce qui est peut-tre louvrage le plus nigma-
tique de Melville, voir la prface convaincante de ldition Hayford/Sealts. Alors
que, dans le sillage de la soi-disant renaissance de Melville des annes 1920 et 1930,
les critiques tendaient souligner les aspects tragiques de lhistoire, par la suite, les
lecteurs privilgirent de plus en plus son ironie et sa trame complexe et ambigu.
8. Ceci est peut-tre vrai pour la vie de marin au dix-neuvime sicle en gnral.
Un propritaire (blanc) de quai observa ainsi, dans les annes 1830, qu en prsence
dun marin, le Ngre a limpression dtre un homme (cit dans Bolster, 1996,
p. 140).
9. Dans le journal de bord que Melville tint pendant son voyage en Angleterre
en 1849, on trouve un passage nigmatique sur le Ngre qui semble hors
contexte, et que les diteurs ont souvent reli au passage suivant dans Billy Budd
Marin, o un Ngre de Baltimore, un homme de Trafalgar communique au narra-
teur certaines irrgularits sanctionnes . Voir Journals 316 (p. 23 et 32).
10. On trouvera la critique du jacobinisme et lappel au rationalisme des lois
morales dans les Rflexions sur la Rvolution franaise (1794) de Burke. Melville
analyse les diffrentes ractions contemporaines vis--vis de la Rvolution en appe-
lant le navire marchand Common Sense, daprs le pamphlet politique de Thomas
Paine, un texte crit explicitement comme rplique lacte daccusation de la
Rvolution franaise de la part de Burke (p. 48).
11. Comme le souligne Caryl Phillips, crivain antillais, dans son valuation auto-
biographique du pass raciste de lAngleterre, The Atlantic Sound, bien que le
commerce desclaves ait t aboli officiellement en 1807 [. . .] , les relations
commerciales entre Liverpool et la cte ouest africaine, qui avaient enrichi des famil-
les comme les Ocanseys et tabli le pouvoir de Robert W. Hickson et de nombreux
autres hommes daffaires de Liverpool, prenaient naissance dans le trafic dtres
humains. Limmense richesse de Liverpool au dix-neuvime sicle tait base,
presquentirement, sur la forte implication de la ville dans la traite des Noirs de
lAtlantique (p. 28).
LA CONSTRUCTION DU PRE ABOLITIONNISTE :
ISAAC LOUVERTURE ET GERMAINE DE STAL
DORIS KADISH
Doris KADISH
Athens, University of Georgia
NOTES
4. Ibid., p. 97.
5. Ibid., p. 238.
6. Ibid., p. 15.
7. Isaac Louverture, Mmoires dIsaac, fils De Toussaint Louverture, sur lex-
pdition des Franais sous le Consulat de Bonaparte, (1818), dans Histoire de lex -
pdition des Franais Saint-Domingue, sous le consulat de Napolon Bonaparte,
d. Antoine Marie Thrse Mtral, Paris, Fanjat an, 1825, p. 234.
8. Gerda Lerner, The Creation of Patriarchy, New York, Oxford University
Press, 1986, p. 239.
9. Ibid., p. 89.
10. Isaac Louverture, Mmoires dIsaac , op. cit., p. 293.
11. Suzanne Guerlac, Writing the Nation (Mme de Stal) , French Forum, 30,
3 (2005), p. 43-56.
12. Isaac Louverture, Mmoires dIsaac , op. cit., p. 238.
13. Ibid.
14. Ibid., p. 239.
15. Ib id., p. 238.
16. Ibid., p. 301.
17. Ibid., p. 304-305.
18. Ibid., p. 309.
19. Lerner, The Creation of Patriarchy, op. cit., p. 168.
20. Germaine de Stal, De la Littrature dans ses rapports avec les institutions
sociales (1800), Paris, Garnier, 1998, p. 138.
21. Germaine de Stal, Du Caractre de M. Necker et de sa vie prive (1804),
dans uvres compltes de Mme la baronne de Stal, Paris, Treuttel et Wrtz, 1820,
tome 17, p. 12.
22. Ibid., p. 68.
23. Germaine de Stal, Considrations sur la rvolution franaise, op. cit.,
p. 167-168.
24. Germaine de Stal, Du Caractre de M. Necker, op. cit., p. 16.
25. Lerner, The Creation of Patriarchy, op. cit., p. 239.
26. Philip D. Morgan, Slave Counterpoint : Black Culture in the Eighteenth-
Century Chesapeake and Lowcountry, Chapel Hill, University of North Carolina
Press, 1998, p. 259.
27. Joseph Saint-Rmy, Mmoires du Gnral Toussaint-Louverture, Paris,
Pagnerre, 1853, p. 48, 100, 63.
28. William M. Reddy, The Invisible Code : Honor and Sentiment in
Postrevolutionary France, 1814-1848, Berkeley, University of California Press,
1997, p. xi.
29. Doris Y. Kadish, Narrating the French Revolution : The Example of
Corinne , dans Germaine de Stal : Crossing the Borders, d. Madelyn Gutwirth,
New Brunswick, Rutgers University Press, 1991, p. 113-21.
30. John Isbell, Voices Lost ? Stal and Slavery, 1786 1830 , dans Slavery
in the Caribbean Francophone World : Distant Voices, Forgotten Acts, Forged
Identities, d. Doris Y. Kadish, Athens, Georgia, University of Georgia Press, 2000,
p. 39-52.
V.
UN NOUVEAU HROS ROMANTIQUE
BUG-JARGAL, ROMAN NOIR
GRARD GENGEMBRE
Grard GENGEMBRE
Universit de Caen
NOTES
SARAH MOMBERT
Sarah MOMBERT
ENS-Lyon, UMR LIRE
NOTES
1. Toutes les rfrences de cette tude renverront ldition tablie par Lon-
Franois Hoffmann, Georges, Paris, Gallimard, Folio , 1974.
2. Dans son Dictionnaire Dumas (Paris, CNRS ditions, 2010, p. 235), Claude
Schopp argumente en faveur de la prpublication en signalant lexistence dune
dition de contrefaon. Nanmoins, le fait que les feuilletons naient pas jusquici t
localiss indique bien que le roman, sil est paru dans la presse, est rest cantonn
un priodique de trs faible diffusion.
3. Les Trois Mousquetaires parat en feuilletons dans le journal Le Sicle partir
de mars 1844.
4. Lon-Franois Hoffmann, Le Ngre romantique (1961), Paris, Payot, 1973.
5. Il est voqu rapidement dans Moiti-moiti. Psychognalogie du mtissage,
GEORGES DALEXANDRE DUMAS 249
http://jad.ish-lyon.cnrs.fr.
15. Ibid.
16. Dumas fait probablement erreur sur la date de leur premire rencontre:
Mallefille, n en 1813, navait certainement pas 15 18 ans lorsquil apporta
Dumas le sujet de Georges, paru en 1843, sauf penser, contre toute probabilit, que
ce dernier conserva le roman dans ses cartons pendant plus dune dcennie.
17. Ibid.
18. Ibid.
19. Georges, op. cit., p. 106.
20. Le Comte de Monte-Cristo parat en feuilletons dans le Journal des dbats
partir de 1844.
21. Georges, op. cit., p. 121.
22. Ibid., p. 106.
23. Je prends linitiative de corriger une probable coquille du premier diteur de
la lettre, qui donne nationalement , daprs le manuscrit pass en vente (vente de
la collection dautographes de Georges Leyste, 8 dcembre 1888, htel Drouot).
24. Lettre ouverte Cyrille Charles Auguste Bissette, militant anti-esclavagiste et
directeur de la Revue des colonies, dcembre 1838, dans Octave Uzanne, Le Livre,
revue du monde littraire, archives des crits de ce temps, bibliographie moderne,
Luvre potique dAlexandre Dumas , 1888, p. 77. La lettre est aussi publie
dans Georges, op. cit., Documents , p. 477.
25. Rdit par Claude Schopp, Paris, Gallimard, Folio Classique , 2003.
26. Le Capitaine Pamphile, op. cit., p. 247.
27. Ibid., p. 249.
28.Georges, op. cit., p. 231.
29. Ibid., p. 233.
30. Ibid., p. 231.
31. Ibid., p. 293.
32. Ibid.
33. Ibid., p. 227.
34. Ibid., p. 205.
35. Ibid., p. 124.
36. Ibid., p. 125.
37. Ibid.
38. Ibid., p. 217.
39. Ibid., p. 237.
40, Ibid., p. 35.
41. Ibid., p. 36.
42. Ibid., p. 125.
43. Ibid., p. 343.
LPOUSE ET LESCLAVE :
LPISODE DE ZEYNAB
DANS LE VOYAGE EN ORIENT DE NERVAL
CORINNE SAMINADAYAR-PERRIN
LE MARCH DU MARIAGE
nier. En calculant les frais dun long sjour au Caire et de celui que
je puis faire encore dans dautres villes, il est clair que jatteins un
but dconomie (p. 220). Ce que faisant, le voyageur adopte le
mode de raisonnement des capitalistes gyptiens, convaincus de la
rentabilit suprieure des esclaves par rapport aux travailleurs sala-
ris (p. 213).
Sagissant de la gestion optimale du travail domestique, les
spculations sur les fonctions dvolues lesclave mettent en
vidence, par les malentendus culturels quelles gnrent, lexploi-
tation de lpouse considre comme normale, lgitime, dans le
monde occidental contemporain. Le voyageur attend de Zeynab ce
quun poux demande sa compagne :
Je chargeai Mansour de lui dire que ctait maintenant son tour
de faire la cuisine []
Dites au sidi, rpondit-elle Mansour, que je suis une cadine
(dame), et non une odaleuk (servante), et que jcrirai au pacha, sil
ne me donne pas la position qui me convient.
Au pacha ! mcriai-je ; mais que fera le pacha dans cette
affaire? Je prends une esclave, moi, pour me faire servir, et si je nai
pas les moyens de payer des domestiques, ce qui peut trs bien mar-
river, je ne vois pas pourquoi elle ne ferait pas le mnage, comme
font les femmes dans tous les pays (p. 284).
Corinne SAMINADAYAR-PERRIN
Universit Montpellier 3, EA RIRRA 21
NOTES
suggre un paralllisme entre le sort dIndiana et celui des esclaves de son pre :
leve au dsert, nglige par son pre, vivant au milieu des esclaves, pour qui elle
navait dautre secours, dautre consolation que sa compassion et ses larmes
(ibid., p. 89).
9 H. de Balzac, Physiologie du mariage, op. cit., p. 1003. Cette schizophrnie
hautaine et autodestructrice de lpouse, en croire Balzac, serait dorigine non pas
psychologique, mais socio-historique ; la femmes est vendue, marie contre son gr
en vertu de la puissance paternelle des Romains ; mais en mme temps quelle tomb
[e] sous le despotisme marital qui dsir [e] sa rclusion, elle se voi [t] sollicite aux
seules reprsailles qui lui fussent permises (ibid., p. 1004).
10 G. Sand, Indiana, op. cit., p. 207-208.
11 G. Sand, Indiana, op. cit., p. 46.
12 Cest ce que souligne lanarchiste Joseph Djacque, qui, auteur dune brochure
intitule La Libration des noirs amricains, publie en 1853 La Question rvolution -
naire : Abolir le mariage, cette prostitution lgale, cette traite des femmes ,
galement avilissante pour les hommes, car qui a t allait par une esclave a du
sang desclave dans les veines , qui est fianc une esclave [] est fianc les-
clavage, est possd par lesclavage . Et puis, reconnatre le travail salari de celles
que les aristocrates exhibent dans leur salon entre deux vases de Chine, dont les
boutiquiers usent comme de machines tisser ou calculer, les proltaires comme
dustensiles de cuisine ou dauges pour leurs apptits, et qui nintriorisent que trop
bien leur rle. (C. Bernard, Penser la famille au XIXe sicle, op. cit., p. 311).
13 H. de Balzac, Physiologie du mariage, op. cit., p. 918.
14 Ibid., p. 1029-1030.
15 On comparera ce passage avec la vertueuse autojustification du narrateur :
Jprouvais un sentiment dune nature pour ainsi dire familiale lgard de cette
pauvre fille, qui navait que moi pour appui. Voil certainement le seul beau ct de
lesclavage tel quil est compris en Orient. Lide de la possession, qui attache si fort
aux objets matriels et aussi aux animaux, aurait-elle sur lesprit une influence moins
noble et moins vive en se portant sur des cratures pareilles nous ? (p. 452). La
discordance entre les deux extraits et la polyphonie quelle induit obligent le lecteur
reconsidrer lensemble de la logique textuelle.
16 H. de Balzac, Physiologie du mariage, op. cit., p. 1029.
17 On notera autre effet dironie du texte que le voyageur rprouve haute-
ment cette exploitation conjugale lorsquelle se trouve pratique par les fellahs qui,
rquisitionns pour la corve, font embaucher femmes et enfants sur le chantier :
Leurs pres ou leurs maris [] aiment mieux les faire travailler sous leurs yeux
que de les laisser dans la ville. On les paye depuis vingt paras jusqu une piastre,
selon leur force (p. 200-201).
18 Do des rflexions apparemment nigmatiques ou dplaces, qui ne prennent
sens que si on les rapporte au modle conjugal franais. Ainsi de ce dialogue entre
le voyageur et son drogman : Mais, observai-je, je mettrais volontiers quelque
chose de plus ; une femme un peu jolie ne cote pas plus nourrir quune autre.
Abdallah ne paraissait pas partager mon opinion (p. 222).
19 H. de Balzac, Physiologie du mariage, op. cit., p. 944.
20 Soliman-Aga, un ami du narrateur, souligne ces consquences catastrophiques
du mariage loccidentale : La compagnie des femmes rend lhomme avide,
goste et cruel ; elle dtruit la fraternit et la charit entre nous ; elle cause les querel-
les, les injustices, et la tyrannie. Que chacun vive avec ses semblables ! (p. 167).
LPOUSE ET LESCLAVE 269
Reste que la relgation des femmes au gynce, revendique par cet apologiste du
mariage musulman, noffre pas de solution alternative aux problmes que posent les
rapports de couple.
21 C. Bernard, Penser la famille au XIXe sicle, op. cit., p. 246.
22 H. de Balzac, Physiologie du mariage, op. cit., p. 996.
23 Ibid., p. 1016.
24 Ibid., p. 1051-1052.
25 H. de Balzac, Physiologie du mariage, op. cit., p. 1081.
26 Dolf Oehler, Le Spleen contre loubli. Juin 1848, Paris, Payot, 1996, p. 114-
115. Aucune allusion, sinon oblique, au contexte insurrectionnel des annes 1832-
1834, puis 1848 dans le Voyage en Orient : Je nai encore vu de combats que dans
lintrieur de nos villes dEurope, et de tristes combats, je vous jure ! Nos montagnes,
nous, taient des groupes de maisons, et nos valles des places et des rues ! (p.
437).
BLACK IS BEAUTIFUL :
LAMARTINE ET TOUSSAINT LOUVERTURE
PIERRE MICHEL
UN CRI DHUMANIT
UN NOUVEL VANGILE
[] Ah ! le gnie,
Rdemption dun peuple, a donc son agonie !
Pre, qui de ton fils contemples la sueur,
Soutiens-le sur sa croix !
(Acte V, sc. 2, p. 1395) 40
mesure que Toussaint avance dans sa Passion, le Moine, servi-
teur dun matre
Qui ne connat ni Blancs, ni Noirs, ni nations,
(Acte II sc. 4, p. 1289),
Pierre MICHEL
Universit Lyon 2, UMR LIRE
NOTES
nologique , Jean Massin dir., Paris, Club Franais du Livre, 1967, t. II, p. 581 et
597.
3. Voir Carl Hermann Middelanis, Das schwartze Gesicht des Weiben
Kaisers , dans Die Rckkehr der Barbaren, Europer und Wilde in der
Karikatur Honor Daumiers, Andr Stoll d., Hamburg, Hans Christians Verlag,
1985, p. 95 et suiv.
4. Prosper Mrime, Tamango (1829), dans Romans et nouvelles, Paris, Club
franais du livre, 1957, p. 269 et 253.
5. Charles de Rmusat, LHabitation de Saint Domingue, ou lInsurrection
[1824], publi pour la premire fois en 1977 sous la direction de Jean-Ren Derr,
accompagn dtudes de Lucette Czyba, Laudyce Rtat, Ren-Pierre Colin, Jean-
Jacques Goblot, Pierre Michel et Michel Nathan, Lyon, ditions du CNRS, Acte V,
sc. 5, p. 152.
6. Lamartine, prface de Toussaint Louverture, 15 avril 1850, dans uvres
compltes, chez lauteur , 1860-, t. XXXII, p. 3 (ci-dessous : Prface).
7. Lamartine, Voyage en Orient (1835), Sarga Moussa d., Paris, Champion,
2000, p. 59.
8. Discours la Chambre des dputs, 23 avril 1835, recueilli la suite de la
pice dans De lmancipation des esclaves, uvres compltes de 1860, t. XXXII,
p. 153.
9. Discours la Chambre, 25 mai 1835, ibid., p. 159-160.
10. Selon la formule de Giambattista Vico, Principes dune science nouvelle rela -
tive la nature commune des nations (1725), Paris, Nagel, 1951, p. 11. Pierre-Simon
Ballanche les oppose dans son Essai sur les institutions sociales dans leur rapport
avec les ides nouvelles (1818), dans uvres compltes, Paris, Bureau de
lEncyclopdie des connaissances utiles, 1833, t. II, p. 179.
11. LHistoire des Girondins en donne un bref rcit qui se termine sur le nom de
Toussaint Louverture (OC 1860-, t. IX, p. 472-481).
12. Alphonse de Lamartine Marianne de Lamartine, 9 mars 1839,
Correspondance, 1e srie, Christian Croisille d., Paris, Champion, t III, 2001,
p. 200. Rmusat a renonc de mme publier ses uvres thtrales : Je naspirais
qu une vie politique (Mmoires de ma vie, t. II, p. 148, cit par Jean-Jacques
Goblot, Gense et signification de LHabitation de Saint-Domingue ; Charles de
Rmusat et la Rvolution , dans LHabitation, p. XIX.
13. Avant ldition Michel Lvy (4 mai 1850), la Revue des deux mondes en a
publi des extraits, sous le titre Les Esclaves, le 1er mars 1843.
14. Lamartine Valentine de Cessiat, 22 avril 1842, Corr., 1 e srie, t. IV, 2001,
p. 59.
15. Prface, p. 1.
16. Ibid., p. 9.
17. Ce vers, note M.-F. Guyard, p. 1928, compte treize syllabes.
18. Signal aussi par lui, cest le dernier vers de lActe III : Le gnral Leclerc
accompagne ses pas p. 1828.
19. uvres potiques compltes, p. 1175.
20. Voir aussi Acte II, sc. 8, p. 1302, la rime cornlienne voiles/toiles.
21. Pauline Bonaparte aussi, qui applique sa beaut, Acte III, sc. 5, p. 1330, sans
craindre le ridicule, les mots de Nron sur celle de Junie (Britannicus, Acte II, sc. 2).
22. Aymon de Virieu, 23 janvier 1818, Corr. 2e srie, t. II, 2004, p. 180.
23. Louis Aim-Martin, 22 novembre 1841, Corr. 1e srie, t. III, p. 697.
BLACK IS BEAUTIFUL 283
24. Lamartine Charles Labor, avril 1850, Corr., 1e srie, t. VI, 2003, p. 77.
25. Voir Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie (1787), dans
Romans du XVIIIe sicle, Robert Escarpit d., Paris, Gallimard, Bibl. de la Pliade,
1965, t. 2, p. 1229. Ctait dj le cas dans Bug-Jargal et lHabitation.
26. Lamartine, Graziella (1849), OC, t. XXIX, p. 202-203, et Prface de
Genevive (1851), OC., t. XXX, p. 168.
27. Ou encore, dans le texte des OC, ombre/nombre (Acte II, sc. 9, p. 66) :
Des marches des Franais il faut transpercer lombre !
Connatre leurs desseins, leur manuvre, leur nombre.
28. Une lampe sur mes pas, ta parole, une lumire sur ma route (loge de la
loi divine, Psaume 148/149, 105).
29. On y dnombre 11 Noirs, 4 Multres et 12 Blancs, p. 1267.
30. Rmusat, LHabitation, p. 2.
31. Pour reprendre la formule-titre du livre de Franz Fanon, Paris, Maspero, 1952.
32. Lamartine, Girondins, Livre XVI, OC, t. X, p. 209.
33. Selon les Notes du gnral Ramel cites par Lamartine dans sa Prface, p. 9-
10.
34. Pour Lamartine, une cause doit se rsumer dans un nom : ainsi le Marat des
Girondins veut-il que celle des proltaires le soit dans le sien (OC, t. XI, p. 269).
35. Michelet, Journal, 28 juillet 1838, Paul Viallaneix d., Paris, Gallimard, 1959,
t. 1, p. 263.
36. Selon la lgende reprise par Marmontel dans son Blisaire (1767).
37. Acte II, sc. 1, p. 1279-1280.
38. La Chute dun ange, uvres potiques compltes, p. 253-255.
39. Banquet donn Paris pour labolition de lesclavage, 10 mars 1842, De
lmancipation, p. 174.
40. Dans une monte au Calvaire parodique, Tamango tomba une seconde fois.
Aussitt on lui lia fortement les pieds et les mains [] Les Noirs quil a vendus vont
rire de bon cur [] Cest pour le coup quils verront bien quil y a une
Providence (Tamango, p. 267).
41. Recueillements potiques, dans uvres potiques compltes, op. cit., p. 1216.
42. Lamartine, Histoire de la rvolution de 1848 (1849), 3e dition, Paris,
Perrotin, 1852, livre XIV, VI, t. 2, p. 338 et p. 383.
43. Hugo, Carnets, albums, journaux, 25 septembre 1845, OC, op. cit., t. VII,
p. 952.
44. Le Globe, t. III, n 40, 1826, cit par J.-J. Goblot, art. cit., LHabitation,
p. XXIV-XXV.
45. Franois-Ren de Chateaubriand, Mmoires doutre-tombe, Jean-Claude
Berchet d., Paris, Livre de Poche, 2001, livre V, ch. 9, t. 1, p. 390.
46. Lamartine, Girondins, livre XXV, t. XI, p. 137.
47. Saint-Marc Girardin, Journal des Dbats, 8 dcembre 1831.
48. Jean-Baptiste Monfalcon, Histoire des insurrections de Lyon en 1831 et 1834,
Lyon, Perrin, Paris, Delaunay, Didier, 1834, p. 82.
49. Lamartine, Prface, p. 7.
50. Voir Paule Petitier, Rvolution , LEsprit crateur ( Michelet, Inventaire
critique des notions-cls , Vivian Kogan d.), Baltimore, Johns Hopkins University
Press, Fall 2006, vol. 46, n 3, p. 23.
51. Lamartine, Rvolution de 1848, livre VII, V, t. 1, p. 398.
52. Edouard de la Grange, 4 aot 1839, Corr., 1e srie, t. III, p. 278.
284 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
LE COMBAT ABOLITIONNISTE
LES MARRONS BOURBONNAIS,
HROS DU COURANT ABOLITIONNISTE
FRANOISE SYLVOS
Posie
mon ami, A.L.
Huit ans aprs cet article et quatre ans avant labolition dfini-
tive, Timagne Houat montre que les demi-mesures destines
LES MARRONS BOURBONNAIS 291
Franoise SYLVOS
Universit de La Runion
NOTES
et fiscales exerces sur les colons par le vice-roi des Indes de La Haye et par le
gouverneur de La Hure (Jean-Pierre Couevet, Prosper Eve, Albert Jauze, Claude
Wanquet, Histoire de La Runion, Paris, Hachette, 2001, p. 32). Le Salazien est
rdig par des reprsentants des francs-croles , qui veulent lindpendance de
lle Bourbon pour chapper aux pressions de la mtropole. travers toute une srie
de mesures ayant vu le jour de 1830 1848, la mtropole met en place une rglemen-
tation qui tend limiter les drives du systme esclavagiste.
5. Ltude historique du Rvrend Pre J. Barassin intitule La rvolte des
esclaves lle Bourbon (Runion) au XVIIIe sicle (in Mouvements de population
dans lOcan Indien, Paris, Champion, 1982) fait tat en tout et pour tout de 24
descentes desclaves contre les proprits des petits Blancs des Hauts sur une
priode de trente ans. Il sagissait non pas dune guerre mais dexpditions destines
lapprovisionnement des marrons en linge et en outils. Rarement des Blancs sont
tus lors de ces pisodes et les descentes de reprsailles (incendies) sont lexception.
Les marrons ont tout perdre ces expditions cest sagaie contre fusil.
6. Jean-Franois Samlong, Le Roman du marronnage lle Bourbon : Les
marrons de Timagne Houat (1844), Bourbon pittoresque dEugne Dayot (1848),
Saint-Denis (La Runion), ditions UDIR, 1990.
7. Jean-Baptiste Duvergier, Collection complte des droits, dcrets, ordonnan -
ces, rglements et avis du Conseil dEtat, Paris, sadresser au directeur de ladminis-
tration, 1845, tome XLV, p. 457-461. Voir aussi Victor Charlier, De la question
coloniale en 1838 , Revue des deux mondes, tome XV, IVe srie, 1838, p. 491-534.
8; Nelly Schmidt, Abolitionnistes de lesclavage et rformateurs des colonies,
1820-1851, Paris, Karthala, Homme et socit , 2001, p. 268.
9. Jy joins un volume crit par un de mes amis, M. Houat, de race ngre,
comme moi. Excusez-nous cette petite vanit de race. Certains abolitionnistes nous
ont si souvent dit que ctait pour nous un honteux malheur dtre n du sang afri-
cain, que nous avons accept ce malheur comme un titre de gloire . (Soulign dans
le texte. Cyrille Bissette, cit par Nelly Schmidt, ibid., p. 449.)
10. Les marrons et des pomes, runis sous le titre Un proscrit de lle Bourbon
Paris.
11. Jy joins un volume crit par un de mes amis, M. Houat, de race ngre,
comme moi. Excusez-nous cette petite vanit de race. Certains abolitionnistes nous
ont si souvent dit que ctait pour nous un honteux malheur dtre n du sang afri-
cain, que nous avons accept ce malheur comme un titre de gloire . (Soulign dans
le texte. Cyrille Bissette, cit par Nelly Schmidt, op. cit.., p. 449). Cyrille Bissette,
n libre Saint-Pierre de Martinique en 1795, a t condamn une peine infamante
pour avoir divulgu ses ides librales. Puis il a longtemps sjourn en prison avant
dtre banni pour dix ans de son le natale.
12. Victor Schlcher, Les Colonies franaises, abolition immdiate de lescla -
vage, Paris, Pagnerre, 1842, p. 114. Maurice est alors sous domination anglaise.
13. Revue des colonies, septembre 1836, p. 118.
14. Tels sont les propos de lun des marrons assembls avec les autres et nomm
le Sacalave qui porte le nom dune tribu malgache.
15. Timagne Houat, Les Marrons, d. Raoul Lucas, Piton Sainte-Rose (La
Runion), ditions AIPDES, 1998, p. 10.
16. Ibid., p. 11.
17. La Francophonie littraire, Essai pour une thorie, Paris, LHarmattan,
1999.
300 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
MARIE-LAURE AURENCHE
La Commission de Broglie
Marie-Laure AURENCHE
Universit Lyon 2, UMR LIRE
NOTES
FRANOIS SPECQ
dune part, oublier que Thoreau et Emerson ont aussi prononc des
discours abolitionnistes Thoreau, notamment, en a prononc un
fameux aux cts du clbre militant William Lloyd Garrison5,
publi ensuite sous le titre Lesclavage dans le Massachusetts , le
4 juillet 1854, cinq semaines avant la publication de Walden , et,
dautre part, se tromper sur le sens de ces remarques elles-mmes.
Avant dexaminer ce point, il convient dcarter lobjection qui
voudrait que des auteurs comme Thoreau ou Emerson aient considr
lesclavage comme un problme moral abstrait, faisant peu de place
sa ralit concrte, parce que leur proccupation aurait t davantage
leur puret personnelle que le bien social. Ce serait mconnatre ce fait
fondamental que ni Thoreau, ni Emerson (ni Melville) navaient de
connaissance directe de lesclavage, dune part, et, par ailleurs, les
conditions de dlivrance ou de publication de leurs discours et crits.
Lorsquils choisissaient de sexprimer en public, les Transcendantalistes
apparaissaient sur les mmes estrades abolitionnistes (et publiaient dans
les mmes journaux) que danciens esclaves, auxquels revenait lgiti-
mement le soin de donner un tmoignage de premire main sur lescla-
vage6. Dans son discours du 4 juillet 1854 Thoreau tmoigne dailleurs
de sa parfaite conscience de la situation de sa parole, lorsquil recourt
lironie, en lieu et place de la description directe, pour fracturer le mur
dinvisibilit dont chacun semble prisonnier:
On a dit et crit beaucoup de choses sur lesclavage en Amrique,
mais je crois que nous navons toujours pas vraiment pris conscience
de ce quest rellement lesclavage. Si je me mettais en tte de propo-
ser le plus srieusement du monde au Congrs de transformer l h u m a-
nit en saucisses, je ne doute pas que la plupart de ses membres
rpondraient ma proposition par un sourire, et sils sen trouvaient
pour me prendre au srieux, ils simagineraient que cest l une ide
bien pire que tout ce que le Congrs a jamais pu faire. Mais si lun
deux savisait de me dire que transformer un homme en saucisse
serait bien pire ou mme tant soit peu que den faire un esclave
ou davoir appliqu la loi sur les esclaves fugitifs, je ne manquerais
pas de laccuser dimbcillit, de btise, et de faire des distinctions
oiseuses. Ces deux propositions sont aussi senses lune que l a u t r e .
MELVILLE ET LOBLIQUE
que chez Thoreau, ainsi quon le voit dans ses deux grands textes
abordant cette question, Benito Cereno et lesquisse consacre
Oberlus dans Les les enchantes ( The Encantadas ), tous
deux parus dans le volume des Contes de la Vranda (The Piazza
Tales) en 1855. A la diffrence des crits abolitionnistes, il ne sagis-
sait pas de littrature militante mais dune approche oblique de les-
clavage. Benito Cereno est une vertigineuse mtaphore de
linvisibilit de lesclavage et des multiples formes dasservissement
(dont le classique aveuglement d aux prjugs). On ne prtendra
pas dissquer ici lextrme complexit de ce rcit texte suffisam-
ment ambigu au demeurant pour avoir engendr des lectures assez
diffrentes10.
CONCLUSION
Franois SPECQ
ENS de Lyon, UMR LIRE
328 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
RFRENCES
Andrews, William L. (dir.), To Tell a Free Story : The First Century of Afro-
American Autobiography, 1760-1865, Urbana, University of Illinois
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Davis, Charles T. et Gates, Henry Louis, Jr. (dir.), The Slaves Narrative,
New York, Oxford University Press, 1985.
Douglass, Frederick, Autobiographies : Narrative of the life of Frederick
Douglass, an American slave, written by himself [1845] ; My bondage
and my freedom [1855] ; Life and times of Frederick Douglass [1881],
H. L. Gates, Jr. (d.), New York, The Library of America, 1994.
La vie de Frederick Douglass, esclave amricain, crite par lui-
mme. Traduction, notes et lecture accompagne par Hlne Tronc.
Paris, Gallimard, 2006.
Douglass, Frederick/Thoreau, Henry David, De lesclavage en Amrique
( Que signifie le 4 juillet pour lesclave ? / Lesclavage dans le
Massachusetts ), d. Franois Specq (traductions originales, notes,
tude critique, chronologie, bibliographie), Paris, ditions Rue dUlm,
2006.
Stanley Elkins, Slavery : A Problem in American Institutional and
Intellectual Life, Chicago, University of Chicago Press, 1959.
Emerson, Ralph Waldo, Emersons Antislavery Writings, Len Gougeon et
Joel Myerson (d.), New Haven, Yale University Press, 1995.
Matthiessen, F. O., American Renaissance : Art and Expression in the Age
of Emerson and Whitman. New York, Oxford University Press, 1941.
Melville, Herman, Benito Cereno , Philippe Jaworski (trad. et d.), dans
Bartleby le scribe, Billy Budd, marin, et autres romans, Philippe
Jaworski (d.), Paris, Gallimard Bibliothque de la Plaide , 2010.
M o b y - D i c k, Philippe Jaworski (trad. et d.), Paris, Gallimard
Bibliothque de la Plaide , 2006.
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Sammarcelli, Franoise, Benito Cereno ou la crise de la distinction , dans
Bruno Monfort (dir.), Herman Melville : The Piazza Tales, Paris,
Armand Colin/CNED, 2002, p. 101-114.
Specq, Franois, Une libert en noir et blanc : Douglass, Thoreau et labo-
lition de lesclavage , postface Frederick Douglass/Henry David
Thoreau, De lesclavage en Amrique, Paris, ditions Rue dUlm, 2006,
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Thoreau, Henry David, Wa l d e n, J. Lyndon Shanley (d.), Princeton,
Princeton University Press, 1971.
Lesclavage dans le Massachusetts , Franois Specq (trad. et d),
dans De lesclavage en Amrique, Paris, ditions Rue dUlm, 2006
WHO AINT A SLAVE ? 329
NOTES
SARAH AL-MATARY
UN DISCOURS EUROCENTR
Sarah AL-MATARY
Universit Lyon 2, EA Passages 20-21
NOTES
G. DE BEAUMONT,
MARIE OU LESCLAVAGE AUX TATS-UNIS :
LA SERVITUDE EN DMOCRATIE
MARIE-CLAUDE SCHAPIRA
Il se voit objecter par Nelson, qui nest cependant pas le pire des
hommes, largument de tous ceux qui justifient la sgrgation par
limpossibilit de toute perfectibilit :
Ces ngres, dont le cerveau est naturellement troit, attachent
peu de prix la libert ; pour la plupart, laffranchissement est un
don funeste. Interrogez-les, tous vous diront quesclaves ils taient
plus heureux que libres.
Trop noirs pour rester chez les Blancs, trop blancs pour trouver
refuge chez les Noirs, Marie et Ludovic, les fauteurs de troubles,
doivent gagner le dsert qui par un trange assemblage runit
dans son sein lEuropen exil par ses passions, lAfricain que les
prjugs de la socit ont banni, lIndien qui fuit devant une civili-
sation impitoyable .37 L, ils rencontrent les Indiens aussi cynique-
ment et cruellement traits que les Noirs. Plus le rcit se dporte
au-del des contres dites civilises, plus les Noirs sont perdus de
vue au profit des Indiens qui, dans le Michigan, incarnent la
bravoure guerrire et le fol amour de la libert sauvage38 . Quils
soient rejets par la civilisation ou quils refusent de sy intgrer, les
deux communauts appartiennent des races condamnes. Le Noir
affranchi retournera de lui-mme lesclavage tandis que, sans cesse
repouss vers lOuest, lIndien, plac entre la socit civilise et
lOcan, aura le choix entre deux destructions : lune de lhomme
qui tue ; lautre de labme qui engloutit39. Le sort des Indiens na
rien voir avec la problmatique de lesclavage, centrale dans le
roman de Beaumont. Il en est mme le contre-exemple. Sil y a
cependant sa place cest parce quil permet de comprendre comment
la dmocratie amricaine, pour fonctionner, traite ses minorits
encombrantes et dmontre que la sauvagerie non plus que la soumis-
sion ne trouvent grce devant lhomme de progrs.
Aprs la mort de Marie, le rcit pourrait se clore dans un deuil
aggrav dun sentiment de rvolte et de profonde injustice. Ce nest
pas le cas et les deux derniers chapitres sont en dissonance assez
profonde avec lensemble du roman. Aprs la mort de Marie, le
serviteur parti chercher un mdecin, revient, trop tard, avec un
prtre. Ce prtre, nomm Richard, exil de France en 1793 et bien
intgr dans la socit amricaine, entreprend dexpliquer Ludovic
quil est seul responsable de ses malheurs et loblige, pour sen
convaincre, une vigoureuse auto-critique. Il a pch par orgueil
et par ambition . Il a eu des dsirs de rforme sociales dmesurs
et hors de porte de laction individuelle. Il na pas su se contenter
du bonheur simple et commun accessible lhomme bon, pieux et
modeste. En aimant Marie, il a oubli quun amour ternel est une
chimre de limagination. Ce nest pas parce que la socit amri-
caine voue les Noirs lesclavage quil faut sen prendre Dieu. Il
nest pas non plus raisonnable didaliser le mode de vie sauvage
des Indiens. Enfin, il faut de la mesure en tout et cette mesure lui est
offerte par la socit amricaine :
Ce peuple, qui ne sduit point par lclat, est cependant un grand
peuple ; je ne sais sil existera jamais une seule nation dans laquelle
G. DE BEAUMONT 357
Marie-Claude SCHAPIRA
Universit Lyon 2, UMR LIRE
NOTES
9. Ibid. p. 78.
10. Ibid. p. 88.
11. Ibid. p. 138.
12. Le mot est de George Sand, dans une lettre A. Barbs du 8 janvier 1862 : Il
semble que Dieu se soit retir deux pour chtier le forfait de lesclavage, non aboli
dans les prjugs et les murs. Correspondance, Paris, Garnier, t. XVI, p. 727.
Lectrice de Beaumont, elle lui crit, le 15 juin 1836 : Les malheurs de Ludovic,
et la fatale destine de Marie mont beaucoup mue, mais quelque triste que soit ce
rcit, quelque dcourageant quil soit sous le rapport philosophique, il porte avec soi
son remde. Une peinture bien vive, une fltrissure bien chaude de cette fausse et
hypocrite Dmocratie, de ces odieux prjugs sont le plus loquent plaidoyer en
faveur de la raison et de la justice. On ne peut lire ce plaidoyer sans concevoir les-
prance que de gnreux efforts seront victorieux et hteront sur la terre la rgne de
la Vrit. Correspondance, t. III, p. 437- 438.
13. Marie ou lesclavage aux tats-Unis, p. 29.
14. Ibid. p. 32.
15. Ibid. p. 213.
16. Ibid. p. 68.
17. Ibid. p. 72.
18. Ibid. p. 73.
19. A. de Tocqueville, De la dmocratie en Amrique, Paris, Flammarion, GF,
1981, t. I, p. 455.
20. Marie ou lesclavage aux tats-Unis, p. 73.
21. Ibid. p. 138.
22. Ibid. p. 138.
23. Ibid. p. 141.
24. Ibid. p. 113.
25. Ibid. p. 36.
26. Ibid. p. 123.
27. Ibid. p. 68.
28. Dans un discours du 30 mai 1845, la Chambre des dputs, Tocqueville
dnonce le danger de lingalit :
Leffet le plus funeste de lingalit des conditions, quand elle dure longtemps,
Messieurs, cest de persuader rellement au matre lui-mme que cette ingalit est
un droit, de telle sorte quil peut rester tyran et demeurer honnte homme. Tel est le
phnomne intellectuel, le phnomne moral que toutes les aristocraties ont
montr. A. de Tocqueville, Sur lesclavage, Actes Sud, Babel, 2008, p. 140.
29. Marie ou lesclavage aux tats-Unis, t. II, p. 36.
30. Marie ou lesclavage aux tats-Unis, p. 149.
31. Ibid. p. 147.
32. Voir A de Tocqueville, DA, t. I, deuxime partie, chap. VII.
33. Marie ou lesclavage aux tats-Unis, p. 84.
34. Ibid. p. 85.
35. Ibid. p. 86.
36. Ibid. p. 90.
37. Ibid. p. 199.
38. Ibid. p. 159.
39. Ibid. p. 160.
40. Ibid. p. 205.
360 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
MICHLE FONTANA
Lutopie des dix acres et une mule promis aux Noirs a laiss
place un bonheur de brute et qui les dgrade encore plus que les-
clavage , fait-il dire un ancien planteur prsent pourtant comme
partisan de labolition (II, 211). Lassimilation pourrait avoir lieu si
leur croissance dmographique restait faible et si les Blancs faisaient
des efforts pour les duquer (II, 277). En tout tat de cause, le
processus ne peut tre que trs lent (II, 326).
Bourget se donne le beau rle : il raconte un New-Yorkais
quun garon dhtel noir lui a demand de lui envoyer de France
son livre en cours. LAmricain ny voit que mensonge et prtend
que le Noir ne sait pas lire. Mais le jeune homme, qui sest offert
LESCLAVAGE SELON PAUL BOURGET 367
Michle FONTANA
Universit Lyon 2, UMR LIRE
NOTES
15. Laccent est mis sur les dents, dans un sourire o il y a de la sensualit et de
la cruaut (t. II, p. 274), lhabilet simiesque (t. I, p. 55), une comique et
purile loquacit , une mise carnavalesque (t. II, p. 265). En mme temps, un fait
divers mis en exergue fait du Noir un violeur potentiel : crime usuel est leuph-
misme pour dsigner le viol dune femme par un Noir (t. I, p. 188).
16. Statistiques loquentes : en 1900, 106 morts par lynchage. Voir Nicole
Bacharan, Les Noirs amricains, des champs de coton la maison Blanche, Paris, d
du Panama, 2008, qui commente : pratique si courante, si populaire, si dnue de
risques que dans la Sud, le journal local en prvenait parfois ses lecteurs en qute de
distractions (p. 75).
17. Portfolio amricain, voyage pittoresque, un voyage travers lAmrique,
introduction de Paul Bourget, Paris, Greig et Cie, 1895, p. 16.
18. Gaston Deschamps, op. cit., t. III, p. 197.
19. Susan Rubin Suleiman, Le Roman thse ou lautorit fictive, Paris, PUF,
1983.
DE LESCLAVAGE SELON FLAUBERT
STPHANIE DORD-CROUSL
ce roman ne sera pas plus vrai que toutes les anciennes histoires o
lon reprsentait invariablement les mahomtans comme des mons-
tres. Pas de haine ! pas de haine ! Et cest l du reste ce qui fait le
succs de ce livre, il est actuel. La vrit seule, lternel, le Beau pur
ne passionne pas les masses ce degr-l.
Pour ne pas tomber dans le travers de lactualit et atteindre au
Beau pur , luvre ne doit donc pas se fixer un but moral, ou pis,
moralisateur; seule la qualit esthtique de la reprsentation en tant
quelle parvient exprimer la vrit dun tre ou dune scne peut
prsenter de surcrot une porte morale pour lesprit du lecteur clair-
voyant.
Flaubert lui-mme na pas recul devant la difficult : il a mis en
prsence des matres et des esclaves dans une des situations les plus
cruelles qui soient, celle o un pre, grce au pouvoir absolu qua un
matre sur son esclave, sauve son propre enfant en envoyant la
mort le fils dun autre. Cet pisode se trouve dans le chapitre XIII
de Salammb : afin quil ne soit pas sacrifi pour apaiser Moloch,
Hamilcar substitue son fils Hannibal un jeune esclave dont le pre
implore vainement la grce. Cette scne a t conue au mois doc-
tobre 1861 et elle a donn lieu un change de lettres nourri entre
Flaubert et celui quil dfinissait comme sa conscience littraire ,
son ami Louis Bouilhet. Si les missives envoyes par le romancier
ne nous sont pas parvenues, celles du pote et dramaturge sont
connues et prouvent que Flaubert sest confront sans dtour la
difficult. Chaque scnario propos a t analys par Bouilhet,
discut et soupes en termes de cohrence psychologique, de vrit
historique et de russite esthtique finale :
Voil comment je comprendrais lattendrissement dHamilcar. Il
joue une douleur forcene en livrant le mme, il se tord dans son
faux dsespoir, il livre lenfant (avec joie, au fond, cest canaille et
farouche, mais cest vrai, car il se moque parfaitement du moutard
et il sauve son fils). Donc, je le ferais jouer la mme comdie,
jusquau bout, mais je lui ferais un attendrissement vrai, des larmes
mme, si tu veux, quand il va trouver son fils dans sa cachette. Il
ltreint lui faire peur. Lenfant ne comprend rien cette terrible
tendresse. Si Hamilcar a t dur vis--vis du pre esclave, sil lui a
dit que la vie dun enfant nest rien, quand il sagit du bien public,
son motion finale et secrte sera, je crois, un bon dmenti ses
thories, et cest humain, pour sr, et Carthaginois par dessus le
march24.
et juge cette seule aune les moyens employer, que lpisode qui
prcde la grillade des moutards a pu viter les cueils points
par Flaubert lui-mme dans La Case de loncle Tom.
Mais hors de toute rlaboration de la question de lesclavage au
sein dune fiction, et si lon excepte le seul moment o Flaubert a t
confront directement lesclavage en acte lors de son voyage en
Orient, lesclavage, pour lui, nest pas une pratique quil sagit de
combattre : cest, beaucoup plus largement, un moment transitoire
dans lhistoire de lhumanit ou dans le dveloppement dun peuple.
La critique de La Case de loncle Tom partait de cette donne et
Flaubert sen explique plus prcisment encore dans une lettre de
1857 :
Cest parce que je crois lvolution perptuelle de lhumanit
et ses formes incessantes, que je hais tous les cadres o on veut la
fourrer de vive force, toutes les formalits dont on la dfinit, tous les
plans que lon rve pour elle. La dmocratie nest pas plus son
dernier mot que lesclavage ne la t, que la fodalit ne la t, que
la monarchie ne la t. Lhorizon peru par les yeux humains nest
jamais le rivage, parce quau del de cet horizon, il y en a un autre,
et toujours ! Ainsi chercher la meilleure des religions, ou le meilleur
des gouvernements, me semble une folie niaise. Le meilleur, pour
moi, cest celui qui agonise, parce quil va faire place un autre25.
Stphanie DORD-CROUSL
CNRS, UMR LIRE
NOTES
APRS LESCLAVAGE
POSTRITS ANGLOPHONES ET FRANCOPHONES
DES RCITS DESCLAVES :
REGARDS VERS LE XXe ET LE XXIe SICLES
JUDITH MISRAHI-BARAK
Les travaux qui sont prsents dans ce volume sur les multiples
faons dont la littrature et la philosophie franaise ont t traver-
ses et travailles, parfois modeles, par le thme de lesclavage tout
au long du XVIIIe et XIXe sicles, prennent davantage de relief si
une comparaison est effectue entre littrature en franais et littra-
ture en anglais, de mme quentre les sicles. Des jeux de miroirs
simposent, dune part entre labondance des rcits desclaves la
premire personne slave narratives publis en Angleterre ou
aux tats-Unis entre 1760 et 1865 (Roger Little a montr pourquoi
ce type de rcit desclave tait absent en langue franaise), et dautre
part entre les XVIIIe-XIXe sicles et les XXe-XXIe sicles qui voient
natre toutes sortes de rcritures de ces rcits originels, plusieurs
gnrations aprs labolition de lesclavage. Les questions de conti-
nuit et de diversit seront au cur de ces alles et venues thmati-
ques et spatio-temporelles, celle des variations gnriques aussi
puisque ce sont en apparence de nouveaux rcits desclaves qui sont
crits et publis entre 1947 et 2009. Je voudrais dans un premier
temps rappeler brivement cette abondance de la littrature de les-
clavage en anglais, les diffrentes tapes de son volution ainsi que
ses constances formelles pour minterroger ensuite sur les raisons
esthtiques et politiques des choix littraires qui ont t faits et sur
le renouvellement des formes que prennent ces avatars contempo-
rains, principalement autour des questions de polyphonie, de genre
et de voix.
CADRES ET DFINITIONS
publient ces romans dans lesquels ils se tournent vers cette priode
que beaucoup pensaient pouvoir rayer dun trait de plume. Pendant
cette mme priode, ce sont des dizaines de romans de lesclavage
qui trouvent diteur, jusque dans les annes quatre-vingts avec par
exemple Beloved, de Toni Morrison en 1987, ou Dessa Rose, de
Shirley Williams, la mme anne, ou encore Kindred, de Octavia
Butler en 1988.
Il faut attendre une vingtaine dannes aprs la parution de
Jubilee pour quune dfinition soit formule par la critique anglo-
saxonne et que ces rcits desclave dun genre nouveau prennent
vritablement place dans le canon de la littrature amricaine. Cest
Bernard Bell qui, le premier, invente le terme de neo-slave narra-
tive dans un ouvrage gnral sur The Afro-American Novel and its
Tradition publi en 1987. Ashraf H. A. Rushdy, douze ans plus tard,
dans son ouvrage Neo-Slave Narratives : Studies in the Social Logic
of a Literary Form, reprend le terme et approfondit ltude de la
dimension littraire et politique. La dfinition quil donne de ces
romans comme des romans contemporains qui adoptent la forme et
les conventions des rcits la premire personne davant 1865, est
toujours une rfrence dix ans plus tard2. Rushdy a fort bien expli-
qu comment il est ais dinterprter cette rsurgence dintrt pour
la priode de lesclavage en la resituant dans le contexte du mouve-
ment pour les droits civiques aux tats-Unis pendant les annes
soixante et les transformations qui ont eu lieu dans le domaine poli-
tique, social et institutionnel. Les relectures dans lesquelles se sont
engags les crivains dune histoire jusque-l crite selon une pers-
pective unique ont permis une rinterprtation globale de la priode
de lesclavage et surtout une mise en regard du pass et du prsent.
De la mme faon que Jubilee a lanc la deuxime vague des
rcits-romans de lesclavage, le roman de lcrivain cariben Caryl
Phillips, Cambridge, publi en 1991, remet sur le mtier ce genre
protiforme et lance la troisime vague des critures-rcritures de
lesclavage. Dans le sillage de Phillips, dautres crivains de la dias-
pora caribenne publient tour de bras dautres neo-rcits descla-
ves : Dionne Brand, Michelle Cliff, Fred DAguiar, David
Dabydeen, David Anthony Durham, Beryl Gilroy, Paule Marshall,
entre autres. Cette mergence renouvele entrane dautres publica-
tions dans le monde littraire nord-amricain, tats-Unis et Canada :
on pense aux romans de Patricia Eakins, Lawrence Hill, Valerie
Martin, Phyllis Perry, entre autres. Comme on lavait not pour les
annes cinquante et soixante, des romans desclave sont publis en
franais dans ces mmes dcennies de la deuxime moiti du XXe
388 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
faire, par exemple, dun texte comme celui que Harriet Wilson publie
en 1859, Our Nig, premier texte qui reprend le moule du rcit d e s-
clave sans en tre un et qui est souvent considr comme le premier
roman afro-amricain? De mme, avant de considrer les avatars
contemporains de ces rcits, on peut dj se poser la question de la
voix narrative pour les premiers rcits : prsents comme des tmoi-
gnages et des rcits autobiographiques, ces textes ne sont pourtant pas
monologiques puisquils font aussi entendre, outre la voix des escla-
ves qui nont pas eu la possibilit de publier, celle des abolitionnistes
qui ont guid la plume des auteurs alors que ceux-ci taient esclaves
ou anciens esclaves3.
Si dimension collective, dualit et multiplicit sont dj des
lments sous-jacents du rcit desclave, elles sont nanmoins mises
en vidence, amplifis et thorises par les auteurs contemporains
des rcritures. La dimension dialogique y est revendique de faon
consciente et dlibre au lieu dtre simplement sous-jacente. Dans
Crossing the River de Caryl Phillips, dans The Longest Memory ou
Feeding the Ghosts de DAguiar, par exemple, le lecteur peut se
rendre compte ds la page du sommaire quil naura pas affaire une
narration monologique mais bien plutt polyphonique chaque
personnage son chapitre ou sa partie. De la mme faon que dans le
roman de Faulkner As I Lay Dying, la voix de chaque personnage se
fait entendre dans une relation dialogique avec celle des autres
personnages, jamais pour elle-mme de faon isole.
Si les voix des personnages entrent en cho les unes avec les
autres, le texte contemporain entre aussi en relation avec les textes
prcdemment crits. Le dialogisme, comme Ledent le montre bien,
est autant externe quinterne, Phillips par exemple ncrit pas sans
rfrence constante aux rcits desclaves. Cambridge repose ainsi
sur une trans-textualit fortement marque : The Interesting
Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the
African, de Olaudah Equiano, The History of Mary Prince, a West
Indian Slave, en particulier, mais aussi Journal of a West India
Proprietor de Matthew Lewis, ou le journal de Lady Nugent. Cette
structure met au premier plan le fait que lesclavage tait un systme
global lintrieur duquel les acteurs taient multiples et ne
pouvaient pas toujours tre rduits aux seuls rles de victime et
doppresseur. Cest ce qui est suggr aussi par cette polyphonie :
nous ne pouvons plus considrer lheure actuelle quune seule voix
doit tre entendue, tous les acteurs ont eu leur rle et il nous revient
de les entendre tous. Il y a donc une volont affiche de sortir de la
binarit victime-oppresseur, esclave-matre.
390 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
Judith MISRAHI-BARAK
Universit Montpellier 3, Cerpac, EA 741
396 LITTRATURE ET ESCLAVAGE
NOTES
1. Henry Louis Gates Jr., The Slaves Narrative, Oxford, Oxford University
Press, 1985.
2. Ashraf H. A. Rushdy, Neo-Slave Narratives : Studies in the Social Logic of a
Literary Form, New York, Oxford University Press, 1999, p. 3.
3. Bndicte Ledent examine cet aspect de la question dans Slavery Revisited
through Vocal Kaleidoscopes : Polyphony in Novels by Fred DAguiar and Caryl
Phillips , dans Revisiting Slave Narratives, Judith Misrahi-Barak (dir), Montpellier,
Service des Publications de Montpellier III, 2005, p. 281-293.
4. Lars Eckstein, Re-Membering the Black Atlantic On the Poetics and Politics
of Literary Memory, Amsterdam & New York, Rodopi, Cross-Cultures 84 ,, 2006.
5. LEsclave vieil homme et le molosse, roman de la rcriture , dans
Revisiting Slave Narratives, op. cit., p. 455-470.
6. Ibid., p. 457.
7. Ibid., p. 460-461.
8. Ibid., p. 470.
9. Fred DAguiar, How Wilson Harriss Intuitive Approach to Writing Fiction
Applies to Writing Novels about Slavery , Les Carnets du Cerpac 2, Judith Misrahi-
Barak (dir.), Montpellier, Service des Publications de Montpellier III, 2005, p. 21-35.
10. Voir Grard Genette et al. Thorie des genres, Paris, Seuil, 1986, ainsi que
Jean-Marie Schaeffer, Quest-ce quun genre littraire ? Paris, Seuil, 1989.
11. Past Lives : Postmemories in Exile , dans Exile and Creativity : Signposts,
Travelers, Outsiders, Backward Glances, Susan Rubin Suleiman (dir.), Durham et
Londres, Duke University Press, 1998, p. 418-446.
12. Surviving Images : Holocaust Photographs and the Work of Postmemory ,
Yale Journal of Criticism, n 14 -1, 2001, p. 5-37, 12.
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Filmer le 18 e sicle
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Rtif de La Bretonne. Individu et Communaut
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Lise ANDRIES
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Mara FAZIO et Pierre FRANTZ
La Fabrique du thtre
Avant la mise en scne (1660-1880-
Martial POIRSON et Jean-Franois PERRIN (d.)
Les scnes de lenchantement
Arts du spectacle, thtralit et conte merveilleux (XVIIe-XIXe s!cles)