100 Fiches PDF
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Avant-propos .. 3
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XIX' siècle- Romantisme (1820-1850) et Parnasse ( 1866-1894)
31. Chateaubriand entre deux siècles .. 92
32. La révolution romantique et ses sources en Europe . 94
33. L'avènement et la diffusion de la poésie romantique .. 96
34. De la théorie à la bataille romantique .. . 98
35. Victor Hugo et les poètes romantiques .. . 100
36. Le romantisme, l'Orient et l'histoire ... 104
37. Romantisme et roman. 106
38. La face noire du romantisme . 108
39. Le Parnasse et ses maîtres (1866-1876). 110
40. Des courants à la modernité poétique: Charles Baudelaire .. 114
12
grandes figures intellectuelles de son temps, Guillaume Budé (1467-1540) helléniste et
traducteur de Plutarque, le soin de fonder, en 1530, le Collège des lecteurs royaux,
institution pérenne devenue plus tard le Collège de France, où l'on enseigne d'abord le
grec, l'hébreu et le latin.
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les découvreurs
humanistes
L'influence intellectuelle du Néerlandais Érasme a essaimé dans le monde
humaniste comme la célèbre collection des portraits de ce maître par Hans
Holbein a été disséminée dans les musées du nord de l'Europe. Avec celle de
Guillaume Budé dont il était le contemporain et l'ami, son œuvre constitue
une sorte de diptyque humaniste, un modèle qui semble avoir surgi pour
inspirer ses héritiers.
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Nul ne sait ce que le maitre de Rotterdam pensait vraiment à la fin de sa vie du conflit
politico-relîgieux partiellement dû à la diffusion en langue ?ri.gina~e des. t~x_tes sa~ré~:
il a sûrement pressenti que les progrès de la réforme condmra1ent a la division defim-
tive de la communauté chrétienne. Alors que sa Correspondance reflète la vitalité de la
culture humaniste, il a vu se déchirer l'Église, dont il avait ardemment voulu préserver
l'unité en espérant combiner la sagesse antique ave_c le christi~nisme: un, id.éal c~rt:s
battu en brèche par l'Histoire mais défendu avec bno par certames des creatwns litte-
raires et artistiques de la Renaissance qui se sont alimentées à sa source.
Conseiller des princes comme Érasme, proche de Charles VII et Louis XII, puis secré-
taire du roi, en mission auprès du Saint -Siège, il accompagne François le:· au Camp ~u
Drap d'or. «Maître de librairie» du roi, il dirige la bibliothèque de Fontamebleau pms,
en 1530, obtient de François rer la création du Collège des lecteurs royaux, le futur
Collège de France. Naturellement intéressé p~r la r,éflexion polit,ique, ré~i~e une i!
Institution du prince chrétien (1515), empremte dune sagesse a la fms realiste et
morale. Ses préoccupations très variées dans le domaine du sa:oir, son eng~gement
dans le siècle ont aboüti à une œuvre moins disparate que b1garrée, parfaitement
représentative de l'humanisme qui n'a jamais été une école ni un mouvement mais
avant tout un élan fécond et généreux.
Soucieux comme Érasme d'intégrer l'héritage antique à sa vision chrétienne du
monde il vécut assez longtemps pour subir les conséquences imprévues de la diffusion
humaniste du savoir, les problèmes politiques liés à la Réforme. Tén1oin de l'« affaire
des placards» en 1534, première menace sur les protes~ants_ qu~ ~réfigure ,le début des
persécutions, celui qui avait rouvert les «sépulcres de 1Ant1qmte )) a passe la fin de sa
vie dans un silence probablement inquiet.
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savoir émancipé
et libre création
Comme tous les courants de pensée qui ont échappé au domaine clairement
circonscrit de la doctrine littéraire, l'humanisme a eu ses découvreurs, ses philo-
logues, ses traducteurs, ses philosophes et ses pédagogues. En repoussant sur le
mode pluridisciplinaire les limites de la connaissance, il a encouragé des créa-
tions totalement originales, irréductibles à un genre, une école ou une théorie.
16
2. Thomas More (1478-1535) et la dynamique de l'utopie
17
Rabelais, créateur
de mondes
La notion de lecture plurielle n'existait pas au moment où l'audace inventive
d~ Rabel~is fascinait ses lecteurs et dérangeait la hiérarchie catholique : on a
amst pu lzre son œuvre comme un roman populaire, un conte pour enfants, un
r,écit fantastique, une allégorie de l'humanisme ou un essai philosophique.
Symbole de l'espnt conquérant de la Renaissance, il ne fonde pas un mais
plusieurs modèles qui traversent les siècles.
1. la volonté de savoir
18
le détourner sur le mode burlesque, le canevas du roman de chevalerie mais l'ancre
dans une société paysanne qui évoque le terroir tourangeau de son auteur: les conflits
épiques deviennent des querelles de village et se résolvent au fil de situations cocasses,
entraînant le lecteur dans un vertige d'actions et de mots. Le récit abonde en réfé-
rences savantes; la première de couverture parodie un ouvrage de droit; l'onomas-
tique est symbolîque puisque le nom du héros Pantagruel désigne en grec un perpé-
tuel affamé qui règne sur les Dipsodes, c'est-à-dire les assoiffés. Il serait, cependant,
imprudei.1t de lire l'ouvrage comme un récit allégorique célébrant la conquête de la
connaissance.
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presque bouffon: comment se marier pour éviter d'être cocu? C'est Panurge qui, en
quête de l'épouse idéale et peut-être de la certitude, accompagné d'un Pantagruel
devenu sage, est ainsi le héros plutôt négatif et sceptique du Tiers Livre (1546).
Pourtant le prologue, s'il ne renonce pas à parodier le ton du bonimenteur, compare
immédiatement l'auteur au philosophe cynique Diogène. Il développe ensuite longue-
ment une anecdote où l'on voit Diogène s'agiter dans son tonneau pendant que les
habitants de Corinthe se préparent à affronter un siège. Et, à la fin du prologue, après
avoir affifmé n'exercer aucun rôle dans la cité, Diogène-Rabelais manifeste un doute
par rapport aux fruits de son agitation intellectuelle et déclare :
(([ ...·]osciller entre l'espoir et la crainte, car j'ai peur de trouver, au lieu de la satisfaction
escomptée, ce que je déteste, à savoir: que mon trésor ne soit que du charbon, qu'au lieu de
la dame de cœur, je n'obtienne que le barbu de pique, qu'au lieu de leur rendre service, je ne
les ennuie, qu'au lieu de les réjouir, je ne les fatigue, qu'au lieu de leur complaire, je ne leur
déplaise[ ... ]>>
Le roman qui suit s'ouvre sur un éloge paradoxal des dettes et s'achève avec celui du
Pantagruélion c'est-à-dire du chanvre, présenté comme une herbe magique: Rabelais
aborde dans cette œuvre la question brûlante de la divination mais ne donne aucune
réponse définitive aux questions qu'on se pose sur l'origine du savoir. Superstitieux,
peureux, travesti en moine, Panurge n'est plus un compagnon très joyeux.
2!
La Pléiade et
son manifeste
Alors que l'humanisme est un courant de pensée né et soute
22
Dans ce but, il convient d'éliminer de la langue littéraire tous les patois dont on ne
retiendra que <'les vocables les plus significatifs des dialectes de notre France», comme le
préconise Ronsard (voir fiche 6). L'invention et l'imitation lexicales se fonderont, selon le
manifeste, sur la sélection des termes non vulgaires. On est donc très loin de l'assimila-
tion chez Rabelais de la culture populaire à 1' élan humaniste et l'unification apparente de
la langue sépare distinctement celle des savants, écrite et noble, de celle du peuple,
vulgaire et parlée, dont la diversité dialectale persistera pourtant jusqu'à la Révolution.
23
Ronsard
et la poésie nationale
24
2. l'invention d'une langue poétique et la variété des genres
25
Du Bellay,
de la ferveur à l'élégie
Dans la constellation de la Pléiade z ,.
comme une flamme aussi inte ' apoesze de Du Bellay (1522-1560) brille
de Ronsard. Sa fulgurance dans ;~;t ~ats plus frêle et plus vite éteinte que celle
française de la poésie élégiaque. u sonnet fonde avec Les Regrets la tradition
1.
Un aristocrate mélancolique et militant (1540-1553}
~ De la solitude ilia ferveur d'une ambition collective
Venu presque par hasard à la poésie après une enfan . , . .
Bellay est angevin comme Ro d ce d orphelm Isolé, Joachim Du
.11 nsar est vendômois II .
I ustre famille dont le nom t . . . appartient cependant à une
a cer amement JOUé u '1 d ,
peut-être croisé, dit-on, aux obsèques de so n ro ~ ans 1aventure à venir : il a
seulement Peletier du Mans et R d . n onde Gmllaume Du Bellay (1543) non
onsar mais aussi Rabel . 1
gran d seigneur. II suit avec Ronsard l' , . ais, ongtemps protégé par ce
tr' h d enseignement de Dorat a 11' d
es proc e e son condisciple il sera co 1 . ft u co ege e Coqueret:
sure. Il a déjà publié plusieurs' p~èmes mm~ ~I a. ect~ par la surdité et choisira la ton-
quan se constituent la Brigade puis Ia Pléiade.
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2. De la Rome mythique i'i la Rome des ruines
~ Des désillusions il l'œuvre majeure {1553-1558)
La carrière poétique de Du Bellay semble assurée quand en 1553 il accompagne à
Rome son oncle le cardinal Jean Du Bellay dans un pèlerinage humaniste sans doute
assorti d'arrière-pensées politiques et d'espoirs de carrière au Vatican. Il semble
qu'au-delà des thèmes récurrents exprimés par Les Regrets, l'aventure devint un
«malheureux voyage». La Rome rêvée ne résista pas à la réalité d'une cité d'intrigues
où le poète ne trouva pas sa place. Le probable échec de son ambition sociale alla de
pair avec une panne d'inspiration. Plus sensible que Ronsard à la notion néoplatoni-
cienne de l'« enthousiasme» sacré et de la <<fureur divine>> qui font du poète un élu et
justifient sa gloire, Du Bellay a redouté le tarissement de son talent. On ne sait quelles
difficultés accompagnèrent pendant les quatre ans du purgatoire romain la composi-
tion des deux recueils de sa maturité à la fois complémentaires et contrastés.
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Lt:.) poeres
de la constellation
Les poètes de la Pl" d
d'. . . . eza e ne se sont pas ..
mstztutwn étranger à l' . . orgamses en école litté .
jusqu'à quatre-vingts - e/~:~enatssant. Porté par ses membr~a~eiz un type
survécu à la mort de Ronsard Mar un colrps de doctrz.·ne, le mouvement:~ a eu
textes th , · · azs, par eurs œu , . a pas
D eorzques, plusieurs poètes ont en . h. v~es poetzques comme par leurs
1 ans ung;oupe dont l'unité relève, dit-~: 'et preczse le projet qui les a réunis
a dzverszte des sources auxquelles s'est ab ' du,<< myth: », leurs œuvres rejlèten;
reuvee la lztterature du xvr siècle.
1.
:,récurseurs et << com ..anno"'s "
,., ::a " we route »
~ Aux origines et en marge c:lu groupe
~al~ré son ambition, la Pléiade n'a . , .
sevèJ e,s avec la poésie familière de ~as surgi dans un ciel vide de toute p . . T ,
d ette a l'égard d . arot, Ronsard et . oesw. res
1
Pétrarque et du n~:!-;~e tqu~s indépendants et précurseur:esL:~n~s reconnaissaient leur
dits «lyonnais». , l'~~ onJdsme de Marsile Ficin ( 1433-149.9) 111 ~edn~e revendiquée de
· a ecart e tout d 'b avait eJà r' · 1
fonnets et surtout le mystérieux~ at .thé~ri,que, Louise Labé (1524-le~~~) ~poètes
1544), véritable canzonier fi- . aunce Sceve (1500-v. 1562) :J ans ses
le retournement rh't . e Iançms en 449 dizains décasyll· b' , auteur de la Délie
tradition~~;~:~:l~~1:~:~ne, p~r l'hermétisme ~ 0 l~u;,~::::~nc~pent ~~r
1
amoureuse
I wn prefigure celle de 1 Pl,. , e a poesre
lb J a ewde.
acques Peletier c:lu Mans (1517-1582)
De Peletier du Mans la postérit, .
de Ronsard. Ce sav·m . e d surtout retenu le r61e déci. 'f. ,
secrétaire de l~'évA < tRphJ~osophe et mathématicien acgu.. sJ !ol ~e dans la formation
eque ene Du Bell Il , IS aux lC ees de Co .
premiers textes de R . d . . ay. publia dans ses Œuv . , . perme, était
poètes de la Pléiade fi ~~~ar , qui voulut l'associer au mou res poetzques, en 1547, les
pas sur la poési·e M- ~I autant plus lâche que l'essent·I'eJ de ~emenht. Son lien avec les
· a1s son Art '· - sesrec e h
formule avec clarté 1 , . . poetzque (1555), six ans aprè, 1 . re es ne portaient
pée et le modèle' 1 'E~s_pdnnclipes de la poésie nouvelle dont ls e man:feste de Du Bellay,
, - net e · a "· e genre tond t
varier sans incohéren .1 .. po~s.Je narrative donne, selon 1 . , a :ur est l'épo-
l'ampleur du poè :e. a dtsposztro, c'est-à-dire la struct tdu; au poete 1occasion de
, me epJque perm t ure une œuvr t d.
egalement un recueil d'' . . . e au créateur de construi e, ·an Is que
msptratwn néoplaton· . re un monde Il a pub] ..
Ictenne LAma d · Ie
' ur es amours (1555)
~ Pontus c:le l}tara (1521-1605) .
Pontus de T d
yar ne rejoint la Pléiad , 1
sans y participer active . - ~ a a demande de Ronsard .,. , r •
29
cnumanisme critique
de Montaigne
Il peut sembler p d ,.
d ara oxal d mscrire les œu d
ans un «courant», fût-il celui de l'h vres e Montaigne (1533-1592)
su~ lapostérité~ comparable à l'ambiti:manzs_me: aucune volonté de peser
anzme celuz quz n'est devenu écriv . n des ;eunes-turcs de la Pléiade n'a
mdzssociables de l'écriture des Ess~ins qMue dan,s le doute et les tâtonnements
crztzque va ' · azs c est bzen p
a contre-courant de l'h . . . . arce que son esprit
moment de la littérature et de la pe~m~nzsme optzmzste qu'il éclaire ce grand
see.
1.
La leçon des Anciens, un savoir pour l'avenir
~ La vérité de l'expérience
Sceptique par nature plus que par héritage, Montaigne ne recherche pas, contraire-
ment à la tradition érasmienne, des exemples moraux dans les leçons de l'Histoire. Le
fameux préambule des Essais l'affirme, c'est non dans des modèles mais dans le miroir
qu'il se tend à lui-même que le seigneur bordelais recherche la vérité de l'être. Cet
individualisme assumé qui choquera Pascal avant d'enthousiasmer Voltaire corres-
pond à un mouvement généralisé de la Renaissance qui trouve son origine dans le néo-
platonisme florentin.
Bien qu'étayée sur une connaissance continuellement revue de la philosophie antique,
la réflexion de Montaigne confronte systématiquement ce savoir à son expérience. En
se transformant en témoin de lui-même, il peut peindre non pas «l'homme, mais le
passage». Faute d'avoir trouvé ailleurs des arguments suffisants pour s'imposer des
principes et des règles de vie définitifs, Montaigne expose, dans les Essais, le «branle»
de sa condition mortelle, c'est-à-dire les fluctuations d'une pensée et d'un être.
L'introspection voire le retour sur sa propre histoire ont pour lui le mérite de délivrer
des vérités provisoires mais fondées sur l'argument d'expérience et non sur une quel-
conque autorité: la page fameuse du chapitre « De l' exercitation » tire d'une chute de
cheval et du coma qui s'ensuivit, la confirmation de la sérénité stoïcienne devant une
mort qui n'a rien de redoutable.
31
Humanisme
et politique
La figure d'Étienne de La Boétie auréolée 1 ,. ..
donna de leur amitié unique «pa' . ,_Par a défmttton que Montaigne
• rce que c etatt lut parc " · .
paradoxalement méconnue C J ., e que c etatt mot>>, est
· omme ean Bodm th ' · · d , -
penseur engagé avant la lettre artici e . ' ,eon:ten e l Etat, ce
la phase critique du courant, ~iné Pa:i:;nement de 1esp~tt humaniste dans
politique moderne doit beattcoup , 1 P , .guerres de Relzgwn. La réflexion
a eurs ecrzts.
1. Étienne de La Boét· (
re 1530..1563), le pouvoir et la liberté
~ la. vigueur intellectuelle d'un humaniste engagé avant la lettre
Etudiant bnllant et précoce, ce fils de petite noblesse sarla . , ., .
collège de Guyenne puis au Pa 1 d daise precede Montmgne au
. '1
d rmt, r ement e Bordeaux (1553). t t . l'
1 y est nommé conseiller p d, . · ou Jeune Icencié en
· ar erogatwn avant l'A 1, 1
sa VIC- il meurt à 33 ans - , ·t h . age ega . Malgré la brièveté de
. , c es un umamste complet ·
qUI p~rtage les memes mtérêts
A •
32
éloge de la liberté en forme de pamphlet n'en préfigure pas moins les plus importantes
réflexions à venir sur le pouvoir politique, et notamment celle de Rousseau.
33
.Baroque
• Classicisme
(1580~ )
Existe-t-if une littérature
baroque en France?
Une distinction récente tend à scinder aujourd'hui l'histoire littéraire du
XVII' siècl~ en. deux moments opposés: l'âge baroque et l'âge classique.
Stendhal définzt le classzczsme ~n 1823, la critique parle de littérature baroque
a pa:tzr de 1960 envzron. Mazs ces deux catégories antithétiques ne suffisent
pas a rendre compte d'un siècle littéraire exceptionnel.
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territoires colonisés en Amérique par les Espagnols et les Portugais. Refusant les certi-
tudes, convaincu que le monde n'est qu'illusion, changement et instabilité, l'artiste
baroque semble adapter sa création aux doutes d'une époque troublée. Discret en
architecture sous Louis XIII, le baroque s'épanouit pleinement en littérature au
moment où la rébellion de la noblesse contre une monarchie tentée par la centralisa-
tion du pouvoir aboutit à la Fronde (1648-1653). L'échec de cette guerre civile
conduite par les grands contre Mazarin et la régente Anne d'Autriche pendant la
mînorî~é de Louis XIV marque, artificiellement certes, la fin du mouvement. Par
contraste, la perfection de l'art classique intimement lié à la vision absolutiste d'un
monarÇIUe exceptionnel apparaîtra comme une réaction contre le baroque.
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Agrippa d'Aubigné,
guerrier et poète
Auteur d'une œuvre inclassable et singulière Les Tragiques (1616) A ·
d'Aub · ' (1552 · ' ' gnppa
d zgne -1630) pourrazt apparaître comme une sorte de poète officiel
1
e a cause protestante sz sa~ épopée n'avait pas rejeté tous les codes du genre.
Mteux q~e tout autre, ce poeme vzswnnaire, entre satire, réalisme et prophétie
mcarne l umvers baroque, tout en tension et en contrastes. '
~ans leur struct~re mê~e, Les Tragiques reflètent l'horreur des épreuves subies ar le
combattant. Apres son echec amoureux Agrippa d'Aub' , . . H . p
Paris . .,, , Igne reJomt enn de Navarre à
, partage sa captmte a la cour pendant trois ans (!573-1576) et part·.· , l'é .
du prince pro tes·t ant avant de retourner au combat U bi ICipe a vaswn
' 11 fi . . . ne essure grave et la menac
que e ait peser sur sa VIe en 1577 réactivent son obsession de la mort et de l'a . I~
~ntr~rend alors la rédaction des Tragiques: la défaite des protestants et la ret;~i~~ed
corn attant, permettront à l'œuvre de voir le jour. Car d'Aubigné suit H . IV . ' u
1593 mais ' t . enn JUsqu en
l', d't d N n accep ~ pas .sa converswn politique au catholicisme. La proclamation de
a~i:e lae fu~:~e~ q~~ a~ai~e ~ royau~e en, 159~, n'inspire qu'amertume au militant et
de T. . e ecnvam emeure un revolte et un proscrit. Après les deux éditions
s ragzques (1616 et 1623) puis la publication de son Histoire universelle (!627),
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d'Aubigné est compromis dans une conjuration contre Louis XIII et doit s'exiler à
Genève, où il mourra.
t Les Tragiques
L'ampleur épique de ce poème en sept chants bouscule les codes d'un genre épidictique
et morat, voué depuis l'Antiquité au style noble: il s'agit pour le poète de représenter
dans sa vérité le martyre vécu par les membres de la seule Église qu'il reconnaisse comme
juste, le protestantisme, et de prophétiser sa victoire future. Confondant divers épisodes
de sa v.ie de combattant, le récit tourne autour des massacres de la Saint-Barthélemy. Il se
soucie peu d'exactitude chronologique et change souvent de forme et de ton. Inspirée
par le dogme calviniste de la prédestination, l'œuvre inscrit les événements dans une
perspective eschatologique. Entre récit et pamphlet, entre description et vision prophé-
tique, le poète oppose constamment la bassesse de la terre à la lumière éternelle du Ciel
d'où les victimes protestantes de la guerre civile, élues et bienheureuses, observent et
jugent l'Histoire en train de se dérouler sous leurs yeux. Entre ces deux mondes, le
poète n'est .plus seulement narrateur comme dans les épopées classiques: il est témoin
visuel et engagé de la misère, prophète de la rédemption, médiateur entre le monde
divin et la terre. D'Aubigné utilise souvent de façon très moderne des formules anapho-
riques du type: «j'ai vu)) ou<< je veux)), très proches de la mise en scène baroque de soi.
Il ne recule pas devant la fausse prophétie et annonce des événements qui ont déjà eu
lieu au moment où il écrit, tels que le meurtre d'Henri IV, comme voulus par Dieu.
La structure et la progression de l'œuvre reflètent cette tension entre deux mondes et
la violence engagée du narrateur: au chant I, la description réaliste des «Misères» se
veut dans un style «bas)) pour donner à voir l'horreur des combats et le massacre des
femmes et des enfants comme une allégorie de la France suppliciée. Dans le chant IV,
intitulé «Feux», qui évoque le sort et la souffrance des protestants morts sur les
bûchers, le ton est tragique et les images touchent au fantastique des scènes picturales
de «Danse macabre)): mais le poète promet l'éternité aux suppliciés. Le chant V, «Fers»,
célèbre sur le mode tragique élevé les héros: il fait revivre d'autres massacres, comme
celui de Coligny, qui, du haut du ciel, assiste à son assassinat, et 1' «agonie» de
d'Aubigné au sens propre du terme, c'est-à-dire le combat contre la mort mené par le
poète après sa blessure de 1577. C'est dans ces pages sombres que le poète trouve pour
chanter la gloire et le bonheur des martyrs la formule fameuse :
«Une rose d'automne est plus qu'une autre exquise
Vous avez éjoui l'automne de l'Église.''
Dans le chant II, «Princes», le poète pourfend avec une rage satirique inouïe l'hypo-
crisie, la cruauté et les_ intrigues meurtrières qui dévoraient la cour pendant la Saint-
Barthélemy, puis la captivité du futur Henri IV, dont il a été témoin. Charles IX y est
présenté comme une «putain fardée» aux côtés de Catherine de Médicis, maquerelle
empoisonneuse, tous deux régnant sur un univers rapproché de Sodome et Gomorrhe.
Le chant III s'attaque sur le même ton aux juges malhonnêtes de la« Chambre dorée>).
Après le livre Vl, «Vengeances», qui détaille par l'exemple le châtiment divin réservé
aux coupables, le septième et dernier chant résonne comme l'apothéose baroque de
l'ensemble: partant du texte évangélique de l'Apocalypse, il met en scène de façon
flamboyante la résurrection de la chair et le jugement dernier dans des images vigou-
reusement antithétiques.
Le baroque
... .
en poes1e
Écrite à la fin du XVI' siècle, publiée au XVII', l'œuvre de d'Aubigné caractérise
bien l'impossibilité de cerner les contours du mouvement baroque: on le saisit
davantage dans sa vision du monde que dans son historicité. Néanmoins le
XVII' siècle ne voit pas la doctrine classique brutalement <<succéder» au m~u
ven:ent baroque, ces deux esthétiques semblent coexister jusqu'en 1660, en
poesze, notamment, et parfois chez le même auteur.
Tantôt de manière douloureuse, tantôt de manière ludique, les poètes du xvw siècle
t~ouv~nt dans la mobilité, la fluidité de la vie et des êtres, le caractère protéiforme des
Situatwns et des individus, la dimension éphémère du bonheur et du savoir l'essentiel
de leur inspiration. Leur méditation sur la mort ne s'exprime pas dans un~ réflexion
mor~Ie mais par la profusion de leur imaginaire. Dans une série de visions macabres,
d.omt~ée~ par la !1a~ti~e de la décomposition, la poésie baroque fait pendant à l'image-
ne artistique qm decime le memento mari à travers des représentations de squelettes,
de cadavres ou de crânes as_sociés dans les vanités aux attributs de la vie et du plaisir.
Le genre du «tombeau» qm rend hommage à une vie évanouie voisine avec celui mis
à la mode par la Pléiade, de l'épitaphe funèbre. '
40
<(La vie que tu vois n'est qu'une comédie,
Où l'un fait le César et l'autre l'Arlequin;
Mais la Mort la finit toujours en Tragédie,
Et ne distingue point l'empereur du faquin.»
~ L'eau et le miroir
Dans cette représentation de l'univers, l'eau est partout présente: indissociable des
paysages du XVIIe siècle, elle coule dans les fontaines romaines du Bernin, le sculpteur
qui Symbolise le mieux l'art baroque. La place qu'elle tient avec ses jets d'eau et ses
cascades dans les fêtes du surintendant Fouquet, à Vaux-le-Vicomte, dont les grottes
artificielles et mystérieuses inspirent La Fontaine, préfigure ce qu'en fera plus tard
Louis XIV à Versailles .. Plus qu'aucun autre élément sa fluidité représente l'écoulement
fugitif de la vie humaine et l'instabilité de ses passions. Tristan L'Hermite (1601-1655)
célèbre les métamorphoses de La Mer (1627). Saint-Amant mais aussi Gombauld, Racan
(1589-1670), lui consacrent odes et sonnets. Un sonnet célèbre de Marbeuf (v. 1596-
1645) joue sur les assonances et les allitérations pour comparer ramour et la mer:
«Et la mer et l'amour ont l'amour pour partage,
Et la mer est amère et l'amour est amer
L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer
Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.»
41
L'eau, tantôt endormie et paresseuse, tantôt bondissante et prompte à la métamor-
phose, offre aussi à l'exhibitionnisme du poète baroque un miroir où il peut mettre en
scène son narcissisme: c'est ce qu'exprime Tristan L'Hermite dans «Le Promenoir des
deux amants». ou Saint-Amant dans un passage de son épopée Moyse sauvé. Dans le
«sonnet du rmroir >>,le poète d'Etelan s'adresse à ce complice pour lui dire:
«Tu peux seul me montrer quand chez toi je me vois,
Toutes mes passions peintes sur mon visage.>>
3. Provocations baroques
t Le baroque burlesque et l'inspiration satirique
Le refus ~aro~u~ des règles qui s'exprime de façon galante dans la poésie amoureuse
ne ~ouvmt qu ~hm enter, dans une époque de remise en question profonde de J'ordre
a~cten, une veme plus radicale. Certains poètes connus pour leur indépendance se
lmsse~1t aller à une expression, pr~voc~nte,. presque libertaire parfois chez ceux qui sont
?a~?~s par le cou.rant de pen~e.e dit '' hbertm >> qui affiche une très grande indépendance
a 1egard de la lm, de la traditwn et de la religion. Cet aspect du mouvement baroque
42
s'est manifesté en Italie dans la peinture et la sculpture de «grotesques» en référence à
des ornements découverts aux xve et XVIe siècles dans les ruines appelées «grottes» des
monuments antiques italiens. On y trouvait des arabesques, des rinceaux, des sujets
fantastiques peints ou sculptés en stuc. Dans le sillage de Pinturicchio et de Raphaël,
des peintres baroques français, comme Du Cerceau et Bérain, ont insisté sur le caractère
caricatural et fantasque de ces figures. En poésie, cet art du défoulement adopte le
mode de l'inversion burlesque: contre le platonisme pétrarquisant on célèbre gaillar-
dement' et avec réalisme les plaisirs de la table et de la chair, la laideur et la monstruo-
sité. On se vautre avec truculence dans les trivialités de la vie quotidienne, on décrit
avec fo'rce détails les ravages de la vieillesse, des infirmités, des maladies, de la guerre.
Ainsi les Gaillardises ( 1606) de Montgaillard jouent-elles sur l'inventaire, avant
Prévert, de toutes les laideurs, de la «marmite'> à la «mule de médecin», pour qualifler
la décrépitude d'une vieille femme. Cette poésie qui se voulait bouffonne a créé une
double tradition: elle a renouvelé le genre de la satire et imposé une tonalité, le
burlesque, fondé sur le contraste entre un sujet «élevé>> digne de la tragédie et un ton
volontairement bas. Ces jeux savants sont publiés dans des recueils collectifs, la Muse
folâtre, les Muses gaillardes et le Parnasse satyrique (1622-1623) qui leur attira des
poursuites judiciaires.
1. le baroque au théâtre
~ tes précurseurs
0~ ~e saurait comparer le t?éâtre baroque en France avec les grandes œuvres suscitées
pat e mouvement dans d autres pays d'Europe· tandis qLJe Ca!d · ·
E 1 h:' · eron mvente en
spagne e « t eatre du monde» avec La vie est un songe ( 1635) et 1 d
Shakespeare sont bie , l , h,, que es œuvres e
e ,•, , . n COI~~ues, ~ t eatre cherche encore son identité en France, le
XVI Slecle ~ayant ~as s~ s em~nCiper des modèles antiques ou religieux. Par ailleurs
seul le s?u~Ien de ~ICheh~u qm, ouvre au théâtre des lieux de représentation permet a~
genre d exister. Neanmoms, des le début du XVI!' ,., ] J' ft' , · ·
b . ,1 ~ . ,. , Siee e, e ervescence creative qm
a. outlra a a suprematie du theatre classique produit des œuvres d'un b , d'
nchess ,t D nom re et une
b . e .e ~n~ants. eux get:res qui s'affirment attestent une authentique sensibilité
1'~r~qu~ · ~a~ pdstorale dramatique et la tragi-comédîe reflètent durablement la liberté
Irregu ante, le mélange des tons, l'illusion et la magie propres à la sensibilité b '
C' Al aroque.
est exa~dre r:~rd! (15~2:1632), auteur inclassable de plus de six cents pièces ui
par son gout de luregulante, de la bigarrure, du merveilleux spectaculaire créeq '
g~nre, la pastorale dramatique, ouvert à l'influence baroque: dans l'artifice d,'un ndun
c ampêtre, la galanterie, le merveilleux, le burlesque et une vague m l A '.re
dan d · · . , ora e se cotment
s es mtngues compliquees. Mis à la mode par Racan ce genre a' ,
' I'" 1 · ' sucees se retrou-
~era a age c ass1que dans la comédie-ballet, les pièces à machines et le d d'
tlssem t .. s gran s 1ver-
, en.,s royaux comme les Platszrs de l'île enchantée (1664) conçus our Louis XIV
~:~i~~Iere. Plus pro~he encore ,de l'esprit baroque, la tragi-comédi~ revendique le
mettre en scene «les memes personnes traitant tanto't d'aff: · , ·
im t · . aires seneuses
p~r antes et tragiques, et mcontinent après, de choses communes vaines e'
~~~~Iiues». Ce~;e déc~arationde François Ogier à propos de )ean de Schélm;dre (1584:
t . 'aut~~~r une Tyr et Stdon (1628), témoigne des contrastes et des excès de la
ragi-come Ie: Hardy puis Théophile de Viau dans les Amours de Pyrame et de Thisbé
( 1623) Inventent les SituatiOns les plus invraisemblables t ] · .1 1
.~ ,. . . e es cnmes es p us sanglants
pour ~Ieer w: pathetique mls en question par d'innombrables péripéties et métamor-
phoses en puisant leurs sources chez les Espagnols ou dans l'Antiquité.
44
l'irrégularité baroque, est telle que jean Mairet (1604-1686) et jean de Rotrou (1609-
1650) s'y essaient avant de participer de près à la naissance de la tragédie classique:
Le Véritable Saint Genest (1645) de Rotrou combine la tragédie religieuse avec l'incer-
titude baroque en s'inspirant de l'Espagnol Lope de Vega. Le coup de foudre pour le
théâtre qui frappe le jeune Corneille lui inspire une série de comédies, toutes dominées
par le thème de l'inconstance: Mêlite ou les fausses lettres (1629), puis l'éblouissante
Place Royale (1634) où l'on voit l'amoureux extravagant Alidor refuser l'asservisse-
ment à ùn amour fidèle pour se convertir, après un sacrifice presque stoïcien, à la reli-
gion de l'inconstance qui garantit sa liberté. L'Illusion comique (1636) inscrit la feinte
dans urie structure enchâssée : à partir d'une grotte, un magicien introduit de théâtre
dans le théâtre» sous les yeux d'un père qui recherche son fils et le voit se faire tuer au
terme d'une aventure curieuse. Mais l'illusion se rompt sur scène quand l'on apprend
la fausse mort du héros: Clindor, devenu comédien, ne jouait que le dénouement d'une
tragédie. Qualifiée par son auteur d'« étrange monstre», la pièce s'achève par un éloge
du théâtre en résonance avec le tempérament baroque d'un Corneille quelque peu
rebelle aux conventions de la tragédie classique. La cascade de quiproquos et la fièvre
mythomane du héros, Doran te, de sa dernière comédie «baroque», Le Menteur
(1644), attestent la vitalité de son inspiration.
• Du romanesque au picaresque
Deux courants entraînent la production romanesque du xvw siècle, encore nostal-
gique du roman de chevalerie, dans des voies parallèles sans être opposées : le roma-
nesque héroïque emprunte, après L'Astrée (1607-1627) d'Honoré d'Urfé, le chemin de
la préciosité. À l'opposé, le «roman comique» est hérité du grand modèle parodique
de Cervantès dans Don Quichotte (1605-1615). JI n'hésite pas à montrer la trivialité du
réel et met en question le romanesque par le biais du picaro: satirique toujours, discrè-
tement libertin, le« roman comique>> est, avant tout, mouvement. Le morcellement du
récit qui intègre des digressions et des intrigues secondaires, la variété des points de
vue, le brouillage des repères temporels, les répétitions et les échos reflètent la mobilité
et l'art du .trompe-l'œil baroques. Le mélange des genres et des tons, l'incursion de la
poési~ dans un univers prosaïque, le rythme effréné et l'aspect spectaculaire des
intrigues entraînent le lecteur dans un flux incontrôlé que plus tard Mme de La Fayette
saura exploiter tout en le régulant.
45
Les prémices
du classicisme
Si l'influence baroque imprègne indirectement les genres littéraires constitués
penda~t une pédode ~ifficile à déterminer, la réflexion sur la langue et les
c~des s engage des le debut du XVII' siècle: Malherbe conçoit un véritable art
d ecnre, qut préfzgure la doctrine classique. Il est suivi dans une moindre
mesure par Guez de Balzac.
~ Du baroque au classique
At~teur des Larmes de Saint Pierre, une méditation baroque sur le repentir, tout en antî-
theses et en hyperb?les, Malherbe, dit-on, a biffé ce poème dans sa dernière impression
~n 1607., Po~r certams, ~1algré cet« accident», le poète a toujours porté en lui l'exigence
e clarte q~I fer~ de. lm un_ pré_curseur du classicisme. Son parcours et son influence
m'on trent combien Il est difficile de distinguer des moments de «rupture>> dans 1
d:roulement de l'histoire littéraire. Sans se vouloir théoricien il a profondém et
reformé l'art p "t" 1 · ·fi· l'h ' · en
oe Ique e · JUStl Ie ommage que Boileau, théoricien du classicisme lui
re~dr.a en affirmant~' Enfin Malherbe vint ... » pour situer dans le temps les pre~iers
~rmczpes ~e la doctr~me. ~e poète n'est pas, selon Malherbe, un démiurge habité par
1 entho~st~s~e sac_re mats un artisan qui doit constamment retravailler son œuvre
D: .cet e:nvam .exigeant, on connaît surtout la fameuse Consolation à Monsieur D~
~erzer (b98) .qw donn~ a un genre convenu hérité de Sénèque une élégance déjà clas-
siq~e. Peu avide ~e glmre terrestre, Malherbe exige de l'artiste une humilité nécessaire
qm trouvera sa recompense dans la pérennité et la supériorité de l'art. C'est ce que
suggère la chute de son sonnet« Au roi)>, composé en 1624 pour le jeune Louis XIII:
<(Les ouvrages communs vivent quelques années
Ce que Malherbe écrit dure éternellement.»
46
suffise à sa beauté, rester proche de la prose parlée par les gens de qualité, en fait ce
qu'on appelle aujourd'hui le langage soutenu. Les recommandations formulées
s'appliquent aussi bien à la syntaxe qu'au vocabulaire.
C'est sur la versification que Malherbe s'est montré le plus précis sans s'engager dans
une théorie d'ensemble. La clarté exige des contraintes: il faut supprimer l'hiatus,
l'enjambement, les facilités en matière d'orthographe. Il met en garde contre le laisser-
aller des alexandrins enchaînés en rimes plates, préconise la fameuse pause, qui divise
l'alexandrin en deux hémistiches équilibrés, et l'alternance des rimes masculines et des
rimes féminines. La rime doit d'ailleurs satisfaire l'œil autant que l'oreille, ce qui
empêche de faire rimer des vocables homophones sans correspondance orthogra-
phique (prudent/pendant, par exemple). Ses remarques très précises portent également
sur le choix des strophes: on doit préférer l'unité - comme dans sa Consolation - et
respecter une pause correspondant au type choisi: sizain, huitain ou dizain. La clarté
de la poésie est enfin liée à la construction des phrases qui doivent viser le même
équilibre que la prose. Se méfiant des artifices que peut concevoir la puissance de
l'imagination, Malherbe estime que la poésie peut s'élever au-dessus de la prose sans
utiliser une langue spécifique : la musicalité naturelle du vers français classique lui
doit donc beaucoup.
~ l'hôtel de Rambouillet
Religion pour certains, la préciosité a eu ses temples et s'est originellement enracinée
dans l'aristocratie. De 1620 à 1648, la marquise de Rambouillet (1588-1655) s'éloigne de
la cour pour réunir dans la fameuse «chambre bleue:.> de son hôtel parisien une élite
~alante qui rivalise de talent dans l'art de parler d'amour en vers. Si le badinage mondain
I emporte chez elle sur l'ambition littéraire, les poètes de son salon créent des formes
appelées à une grande fortune: emblématique de son salon, La Guirlande de Julie (1634)
rassen;~Ie, en ho~mage à Julie d'Angennes, fille de la marquise et rebelle au mariage,
u?~ sene, de madngaux allégoriques composés par les lettrés de l'hôtel. Il s'agissait de
celebrer, a travers cell~ des fleurs, la beauté de la jeune fille, qui consentit enfin à épouser
Charles de Montausier. Les poètes de l'hôtel travaillent sur les mêmes thèmes et les
mêmes procédés de rhétorique, reprennent certains genres médiévaux comme le blason
c~ltiv:nt les genres précieux comme le bout-rimé, le madrigal ou le rondeau. Ils visent 1~
divertissement mais leurs rivalités de salon enrichissent la littérature.
48
• M"' de scudéry et ses amis (1607-1701)
La seconde génération du courant précieux manifestera plus d'ambition. Le salon de
Madeleine de Scudéry, plus littéraire que mondain, est celui d'un authentique écri-
vain: ses romans sont publiés sous le nom de son frère Georges mais elle inaugure une
tradition, celle des femmes de lettres émancipées. Son salon devient entre 1653 et 1660
une référence. On se, presse à ses «samedis». Elle obtiendra une vraie reconnaissance
matérialisée par une pension de Mazarin ainsi que l'amitié de grands personnages,
futurs écrivains, comme La Rochefoucauld, Mme de Sévigné et Mme de La Fayette.
Moins .fermé que le premier, ce deuxième cercle précieux essaime à Paris et en
province: c'est le temps des conversations galantes et raffinées dans les salons et les
« ruelles'> des chambres aristocratiques ou bourgeoises. Et, comme toute mode, la
préciosité suscite excès et snobisme: ce sont évidemment ces travers que Molière cari-
cature en 1659 dans Les Précieuses ridicules.
• De vrais poètes
Au-delà de l'anecdote- Benserade fut décrété vainqueur-, l'affaire souligne l'impor-
tance ·sociale acquise par la littérature grâce à l'art de la conversation entre beaux
esprits. Voiture et Benserade sont de véritables écrivains qui ont eu, plus qu'une
œuvre, une influence sur le classicisme. Voiture fut le champion des «petits genres»
comme l'élégie, les stances, les épîtres et la chanson. Sa finesse psychologique, sensible
dans ses lettres, la justesse de ses images poétiques le rattachent pleinement à la mou-
vance que k classicisme viendra ordonner. Benserade, proche de La Fontaine, a écrit
des tragédies. Lié avec le musicien du roi Jean-Baptiste Lully, il a rédigé, dans le cadre
d'un monopole, le livret des divertissements royaux comme le Ballet de la nuit (1653),
demeuré célèbre pour avoir fait danser le jeune Louis XIV sous les traits d'Apollon,
dieu du Soleil, Alcine ou La Naissance de Vénus (1665), et fut élu à l'Académie fran-
çaise. Leur influence comme celle d'autres poètes moins connus tels l'abbé Cottin ou
jean-François Sarasin (v. 1614-1654) soulignent le rôle de la galanterie de cour et du
langage élégant dans la naissance du classicisme.
49
2. Amour précieux et gloire du roman
t Un modèle fondateur, L'Astrée
~np fai\~em~~ter généralement à L'Astrée (1607-1627) d'Honoré d'Urfé (1567-1625)
pan IOn une nouvelle génération roman .d ,, .
d'aventures ..L'ouvrage très lon . esque qm anne de 1 epmsseur au récit
. , . g, orgamse autour des amours d' Astré t d ' C '] d
compromises par un malentendu fauteur de 'al . . , . .~ e . e e a on
claires, créant le genre du roman , t' . J oDusie toute une sene d mtngues secon-
~< a trotrs ». ans un cadre p ·t 1 . ,
mythe de l'âge d'or les héros sont d . fi . . as ora qm evoque le
vivent simplement ~u service d'un 'de~ ligures anstocrattques déguisées en bergers, qui
, 1 ea amoureux L'Astré t 1 1 ,
~:~~~~.f:~~~e~~ ~~~~ée::~:c~i~e longue conquête. de la b~J:~u~nh~r:t~:r:~~e;~::
figure fondatrice de l'a!ant préc~~nt a~x soldhCitatt~ns
de son prétendant. Céladon,
d' 1 . x, es con amné a une longue cour . I ,
et ~x~no~se;~:;;~:r~o~~:î::~!pqr~~;;~ dDestînées à j.~stifier l'authenticité de 's~: ~~~~~~:t~
r . 1 e. ans cet umvers où le culte d l' . ,
tOls le mariage et l'abandon à la sensu rt, 1 . e amour reJette a la
a I e, ce sont es sentiments qui guident l'action.
50
modifier la place des femmes dans les champs social et intellectuel. I:abbé de Pure
souligne leur détermination en les présentant comme adeptes d'une «espèce de reli-
gion'' fondée sur la réalisation de trois vœux: «la subtilité dans les pensées», <<la
méthode dans les désirs», «la pureté du style». Comme le note le critique Philippe
Van Tieghem, les précieux incarnent un courant moderne car ils prétendent :
«recevoir leurs principes des milieux aristocratiques et élégants du monde, c'est-à-dire du
goùt féminin, non de la tradition antique. lls font figure d'indépendants en revendiquant le
droit,de ne pas parler comme tout le monde et mêlent curieusement le purisme et l'audace,
le purisme pour la grammaire, l'audace pour le vocabulaire».
52
au service de valeurs et par la production d'œuvres dans lesquelles les contemporains
ont reconnu tout ou partie de ces valeurs '' 1•
1. Béatrice Gui on, Histoire de la France littéraire, t. II, PUF, 2006, p. 131.
2. Paul Valéry, ,< Situation de Baudelaire)), in Variété Il, Gallimard, 1930, rééd. colL "Folio essais))'
!998. p. 239.
53
décor, une politique de conquête coûteuse en argent et en vies humaines. Cette
connexion unique entre une politique et une esthétique explique la brièveté du classi-
cisme proprement dit: le modèle traverse les siècles, l'application stricte des principes
n'a pas duré.
54
~ Les règles classiques: une poétique et une grammaire
Les qualificatifs qui a posteriori résument l'art classique en deux triades- naturel, vrai-
semblance, imitation et ordre, rigueur, équilibre - traduisent une double ambition
uniformiser l'écriture des genres et harmoniser la langue : un texte classique s'entend
parfois avant de se comprendre. Si l'Art poétique (1674) de Boileau (1636-1711), bible
rétrospective du classicisme, a connu une fortune proverbiale, ille doit en partie à sa
forme versifiée. Ce serait cependant un contresens que de voir dans la doctrine
classiquè un rejet de l'inspiration, assimilée depuis Platon à une fureur divine. Pour les
classiques, la technique qu'ils appellent l'« art» doit contrôler le génie et interdire les
égarements. Les théoriciens du classicisme, Rapin, le jésuite Dominique Bouhours,
puis Boileau ont affirmé l'étroite conjonction des règles et du génie,judicium et ingenium,
dans la perfection d'une œuvre: dans la primauté du travail sur le jaillissement de
l'inspiration prônée par le classicisme, les philosophes du xvme siècle ont surtout vu la
victoire de la raison. Mais, comme Boileau l'écrira, au-delà du travail, un «je ne sais
quoi» qui ne se prouve pas, assure le génie. Le janséniste Nicole, maître de Racine, fait
l'éloge de la raison et recommande de s'élever «au-dessus des règles» par «cette idée et
cette impression vive qui s'appelle sentiment ou goût [qui] est tout autrement subtil
que toutes les règles du monde [ ... ], qui fait qu'on n'y est point asservi, qu'on en juge,
qu'on n'en abuse point». I.:application des règles est donc finalisée par la réalisation de
l'idéal inspiré d'Horace: plaire, toucher et instruire.
L'originalité du classicisme et le génie de sa langue tiennent enfin à un paradoxe: les
inventeurs du «purisme» linguistique, savants ou mondains, ont donné de la rigueur à
un art social et léger, qui avait détrôné r éloquence en se répandant dans les salons,
celui de la conversation. Après Vaugelas et ses Remarques sur la langue française (1647),
c'est par un dialogue, Les Entretiens d'Ariste et d'Eugène (1671) que Bouhours intéresse
l'aristocratie au beau langage, assimilé à une rhétorique de l'honnêteté. Il écrit ainsi:
«ce qu'il y a de plus merveilleux en notre langue[ ... ], c'est qu'étant si noble et si majestueuse
elle ne laisse pas d'être la plus simple et la plus naïve langue du monde>>.
Sortant du cercle étroit des doctes, la grammaire conquiert ses lettres de noblesse. Les
codes qui vont la régir jusqu'à une date récente, transmis par la tradition scolaire, se
fixent tout au long du siècle: dans une optique savante, à l'opposé du registre mondain
du jésuite Bouhours, le groupe janséniste des «Messieurs >t de Port-Royal conçoit un
ouvrage majeur, la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal (1.660). Les
Observations sur la langue française (1672) de Ménage sont plus savantes que celles de
Vaugelas. Le vocabulaire fait 1' objet de recherches déterminantes concrétisées par le
Dictionnaire de Richelet (1680) et celui de Furetière (1690). À l'extrémité du grand
siècle, le Dictionnaire de l'Académie (1692) donne forme et sens au projet de Richelieu
parachevé par Louis XIV: la création officielle d'une langue unique dont nous avons
aujourd'hui oublié les contraintes pour n'entendre que l'harmonie.
55
le classicisme
au théâtre
Pour le profane, le classicisme se confond avec le théâtre, imposé par une
société figée dans le spectaculaire, sublimé par les règles. Trois œuvres intem-
porelles continuent à le magnifier.
Corneille crée la tragédie politique en mettant son imagination baroque au
service d'une morale héroïque, Racine la transforme en cérémonie, Molière
instille la morale de l'honnête homme dans le tourbillon dramatique de la
comédie.
1. La dramaturgie classique
Plus que les autres genres, le théâtre devait répondre au besoin de «norme» ressenti
dès la première moitié du XVW siècle. Malgré le triomphe de la tragi-comédie baroque,
l'ouverture de salles de spectacle dédiées à l'aristocratie et le goût du roi pour le théâtre
exigeaient la définition d'un code «élevé». Fidèles à Aristote, les écrits théoriques
s'attachent à définir les règles de la tragédie: le Discours sur la tragédie (1639) de jean-
François Sarrasin, la Poétique ( 1640) de La Niénardière et surtout la Pratique du théâtre
(1657) de l'abbé d'Aubignac forment alors le "goût» du temps. Cette codification a
stimulé l'émulation entre auteurs en créant parfois de vaines querelles. Mais elle a
incité les plus grands, Corneille et Racine comme Molière, à multiplier les préfaces,
avertissements, examens destinés à se concilier les doctes et le public tout en nous
livrant de précieuses informations sur leur art dramatique. C'est plus dans les trois
Discours sur le poème dramatique (1660) de Corneille et la préface de Bérénice de
Racine que se trouve aujourd'hui résumée cette poétique de la tragédie.
Rien de tout cela ne serait cependant arrivé si le disciple malherbien du cardinal de
Richelieu, )ean Chapelain (1595-1674), n'avait formulé dans sa Lettre sur la règle des
vingt-quatre heures (1630) les principes d'une bonne imitation: il s'agissait de concen-
trer l'attention du spectateur sur un seul conflit pour réaliser l'unité d'action et aboutir
à une seule «catastrophe», d'autant plus bouleversante. En limitant à vingt-quatre
heures la durée de la pièce, on rapproche le temps de l'action de celui de la représenta-
tion: c'est l'unité de temps qui exclut les rebondissements invraisemblables et les pièces
«à tiroirs». L'unité de lieu découlait logiquement des deux autres: dès le règne de
Louis XIII, on avait renoncé aux décors simultanés du Moyen Age; le classicisme
réduit à un seul décor l'espace de la tragédie, une salle de palais, qui symbolise la
condition royale du héros et sa réclusion dans un dilemme insoluble.
Pour exprimer «cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie», selon
le mot de Racine, les règles recommandent de respecter le principe d'imitation du réel
en ne proposant au public que des intrigues «vraisemblables». Ce principe contraire à
de vieilles habitudes rencontre beaucoup de résistance. Il ne gêne pas Racine mais
Corneille, dans le Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique (1660), affirme
que «les grands sujets qui remuent les passions [ ... ] doivent toujours aller au-delà du
56
vraisemblable». Tolérants, les doctes distinguent le «vraisemblable ordinaire» du
«vraisemblable extraordinaire»: un sujet emprunté à l'Histoire exige la fidélité à la
réalité des faits. Les intrigues tirées de la mythologie autorisent une sorte de «mer-
veilleux vraisemblable», notamment dans les tragédies «à machines», dénouées par
l'intervention ultime d'une divinité. En revanche, plus on avance dans le siècle, plus
s'impose le respect des bienséances: pas de sang, pas de meurtre sur scène, p~s d' e~ibi
tion indécente d'un Œdipe montré sur scène les yeux crevés. Lhorreur tragtque, edul-
corée parle récit, est repoussée «hors scène».
57
3. Racine (1639-1699} et le rituel tragique
Tout oppose, dans le« classicisme t> même de leur écriture, Corneil1e et Racine, au-delà
de leur rivalité bien connue à la scène et du parallèle établi entre eux par La Bruyère et
trop souvent ressassé. Les règles qui embarrassèrent l'aîné, formé par les jésuites, ne
sont pour le plus jeune, élève des jansénistes et rompu à leur discipline, qu'une
contrainte productive. L'éloquence cornélienne frôle parfois l'emphase des prétoires
fréquentés par r ancien avocat quand le débat racinien s'exprime à voix basse dans les
cellules de Port-Royal.
Mais ce qui distingue Racine de tous ses contemporains dramaturges est incontestable-
ment son aisance dans l'interprétation du modèle grec. Ancîen élève des Petites écoles
de Port-Royal, il maîtrise parfaitement le grec, qu'il a étudié avec le maître Lancelot, et
le latin, transmis par l'illustre grammairien Nicole. En une dizaine d'années (1664-
1677), l'essentiel de son œuvre dramatique transpose la source antique et son modèle
formel dans un univers tragique totalement conforme aux attentes de son temps. La
liturgie antique se transforme en «cérémonie" de cour. Racîne revendique une fidélité
scrupuleuse aux tragiques grecs et surtout à Euripide, le plus réaliste et le plus pessi-
miste d'entre eux. Il tire ses sujets de l'épopée homérique et de la mythologie grecque:
La Thébaïde (1664), Andromaque (1667), Iphigénie (1674), Phèdre (1677). Mais il est
tout aussi à l'aise dans la tragédie romaine et politique qui lui permet de représenter
sous les yeux d'un monarque absolu les figures des empereurs romains Néron dans
Britannicus (1669) et Titus dans Bérénice (1670), ou celle des souverains orientaux
Mithridate, roi du Pont, dans la pièce éponyme (1673) ou Roxane dans Bajazet (1672).
En remplaçant la violence incantatoire du vers grec par le langage galant des princes de
son époque pour se conformer aux bienséances, Racine exprime les passions antago-
nistes et féroces de ses personnages dans un lexique poétique et réduit qui se coule
parfaitement dans l'alexandrin classique. Pour imposer son modèle, il se réfère à
l'autorité d'Aristote et à l'exemple d'Euripide: dans la préface de Bérénice, huis clos
dépouillé dont l'intrigue est tirée de trois mots de Suétone et qui s'achève par une
séparation annoncée, il doit justifier un dénouement sans mort violente. C'est
l'occasion de réaffirmer sa préférence pour la simplicité d'une action «chargée de peu
de matière»; le primat de la vraisemblance; le rejet du romanesque; le refus de
l'<< extraordinaire» des péripéties inutiles au bénéfice d'un «intérêt» soutenu par la
grandeur des personnages; le «naturel» de <<scènes bien remplies et bien liées».
Quand on analyse la structure et le schéma « actantiel » de la tragédie racinienne, c'est-
à-dire les rapports de force qui, sur une «échelle du désir», alimentent le conflit et le
conduisent au dénouement, on peut y repérer une sorte d'uniformité mécanique. Mais
cette sobriété dramatique échappe à la répétition tant la langue porte en elle de
richesse et de renouvellements contrôlés: les critères absolus de l'art classique.
58
danse que la tragédie ou l'opéra. Mais comment faire sortir la comédie du cadre très
vague qui la cantonnait dans des genres bas, celui d'une intrigue inventée qui s'achève
heureusement mettant en scène des bourgeois sur des sujets convenus traités en prose
(querelles d'argent, mariages forcés, conflits de générations)? Dès la première moitié
du siècle, Corneille a pourtant donné des lettres de noblesse, en vers, à la comédie
d'intrigue« à l'espagnole)) qui se développait en méme temps que la comédie de carac-
tère et la comédie de mœurs. Il est suivi par Boisrobert, Thomas Corneille ou Mairet.
Rien ne semble destiner le Molière des années faméliques, vouées à réinventer la farce
sur des tréteaux de province en rédigeant à peine le texte de ses intrigues jamais
publiées; à hausser la comédie au niveau de l'esthétique classique: d'ailleurs dès qu'il
dispose d'une salle à Paris, il s'essaie à la tragédie.
On sait que c'est en faisant rire le roi, en 1658, que le comédien consent à réaliser sa
vocation de dramaturge comique: dans les trois domaines où il excelle, farce, comédie,
comédie-ballet ou «à machines», Molière renouvelle le genre et répond aux attentes
de ses trois publics. Car il doit satisfaire en même temps le public parisien des doctes,
attaché au respect des codes, celui des bourgeois cultivés qui se reconnaissent vers
1630 dans l'idéal de l'« honnête homme>) et le public de la cour proprement dit. Après
une série ininterrompue de succès; L'École des femmes (1662) entame un cycle de
«grandes comédies)): un genre calqué sur le modèle en vigueur dans la tragédie.
L'intrigue reste bourgeoise et comique mais contenue par les bienséances, et le niveau
de la satire s'élève. La pièce est en cinq actes et en vers. Mais les exigences de la scène
l'emporteront toujours sur le canon esthétique auquel Molière veut obéir pour se faire
publier et admettre à la cour. Il l'affirme en 1665:
i< On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées; et je ne conseille de les lire
qu'aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre.))
Au-delà du jeu, le texte de ses plus grandes œuvres, comme Le Misanthrope (1666) et
Tartuffe (1669) conserve aujourd'hui sa vigueur polémique et sa langue, portée par
l'esthétique classique, reste d'une clarté inégalable. La cabale qui accompagne la repré-
sentation de L'École des femmes donne d'ailleurs au dramaturge l'occasion de formuler
son credo artistique dans la Critique de l'École des femmes (1663) et L'Impromptu de
Versailles ( 1663 ). Son art, en harmonie avec son modèle latin, Térence, et avec l'idéal et
la morale classiques, veut : «peindre d'après nature», <<faire rire les honnêtes gens» et
les instruire en les divertissant. La préface de Tartuffe insiste sur la nécessité de« corri-
ger les vices des hommes>) par le rire: Molière a donc tendu un miroir à ses contempo-
rains. Sceptiques mais mesurées, sa morale de «l'honnête homme)) et surtout sa verve
satirique lui ont valu des haines tenaces. Car, par son pessimisme aussi, Molière est
classique.
59
Le classicisme entre
esthétique et morale
Symbolisée par le théâtre, l'esthétique classique traverse entre 1660 et 1690
tous les genres. On la retrouve chez les auteurs de fables, de maximes, de por-
traits, de romans réunis par les mêmes préoccupations morales: le Grand
Siècle est celui des «moralistes>>.
L'auteur de Candide auréole les écrivains cités ici d'un prestige aussi moral qu'esthé-
tique. En effet, les courants de pensée qui ont traversé le siècle en ont infléchi la pro-
duction littéraire: en marge des grands genres, l'inquiétude philosophique et reli-
gieuse, la visée morale et le goût de la satire habitent l'époque. Il n'existe cependant
pas, comme l'a montré Paul Bénichou, une «morale» mais des «morales du Grand
Siècle» qui ont parfois coïncidé ou se sont succédé. L'éclosion de l'individu et du
«moi», inquiétante pour le pouvoir religieux, se trouve en partie confortée par la place
que Descartes accorde au sujet «maître et possesseur de la nature». Le débat sur les
rapports entre raison et passion qui domine le siècle atteste une évolution : influencé
par Descartes qui estime, dans un traité fameux, que l'on peut éduquer les passions
humaines, Corneille transforme d'abord dans ses grandes tragédies le désir de gloire
en un idéal héroïque qui redonne sens et prestige au pouvoir de l'aristocratie. Mais la
chape de pessimisme que les querelles religieuses font peser sur la société finit par
l'atteindre: le héros de son ultime tragédie, Suréna (1674), est broyé par la stratégie
machiavélienne du souverain. Les écrivains classiques doivent donc trouver un équi-
libre entre le pessimisme janséniste et la montée d'un courant libre-penseur, le liberti-
nage. On qualifie de janséniste le choix spirituel qui conduisit, autour du «grand
Arnauld», un groupe d'écrivains et d'aristocrates hommes de foi à suivre l'exemple de
la communauté des religieuses de Port-Royal, en affrontant, dans la solitude de la
retraite, la «misère de l'homme sans Dieu». Cette vision du monde, condamnée par
!'église officielle, se rapproche de l'augustinisme: une relecture des textes sacrés du
christianisme qui insiste, à l'instar du Père de l'église saint Augustin, sur le poids du
péché originel et l'impuissance de l'homme à racheter ses fautes. Cette morale impose
au chrétien une vie austère de «Solitaires» sans jamais lui promettre un salut éternel
accordé arbitrairement par la grâce divine. Vivement combattu par les jésuites, tout-
puissants à la cour où ils répandent l'espoir d'une grâce «suffisante» acquise par la
60
charité et les dons d'argent à l'Église, ce pessimisme se retrouve à des degrés divers
dans la littérature. Sa grande voix janséniste est celle de Pascal (1623-1662), son incar-
nation orthodoxe et puissamment rhétorique est celle de Bossuet (1627-1704).
61
La Querelle des Anciens
et des Modernes
Connue sous le nom de «querelle des Anciens et des Modernes>> (1687-1694),
la bataille littéraire qui se prolonge jusqu'en 1714, signe la fin de l'âge classique.
Elle envenime un débat engagé dès le XVI' siècle entre deux visions de la
littérature. Mais aucun camp n'est victorieux et aucune<< rupture» brutale ne
sépare le siècle de l'honnête homme de celui des philosophes.
62
2. l'attaque des Modernes et la riposte des Anciens
Boileau, scandalisé, quitte aussitôt la séance et prend la tête du parti des Anciens. La
riposte s'organise: en 1687, La Fontaine défend ses modèles anciens dans l'Épître à
Huet et affirme: «Mon imitation n'est point un esclavage.» La Digression sur les
Anciens et les Modernes de Fontenelle ( 1688) souligne l'incompatibilité entre la pensée
cartésienne et la superstition antique. La Bruyère ironise sur les lVIodernes dans ceux
de ses Caractères publiés la même année. Le héraut des Modernes, Perrault, redouble
ses attaques avec ses Parallèles des Anciens et des Modernes ( 1688-1697) et celui des
Anciens, Boileau, réplique par ses Réflexions sur Longin (1694).
Malgré la réconciliation, toujours publique, de Boileau et Perrault en 1694, le débat
rebondit à l'extrême fin du règne (1713-1714): le poète Houdar de LaMotte (1672-
1731) propose, sans connaître le texte grec, une sorte de vulgarisation abrégée de
L'Iliade. Anne Dacier (1647-1720), traductrice savante du même monument, stigma-
tise le procédé. Comme toutes les batailles littéraires, la querelle recouvrait des luttes
de pouvoir et de personnes, grossies par la rumeur. Si elle s'éteint grâce à une sorte
d'arbitrage de Fénelon dans sa Lettre sur les occupations de l'Académie (1714), ]es
Modernes ont marqué des points. Le classicisme s'est figé dans ses contraintes, telle
règne solaire qui 1' a vu naître et finit dans un sombre climat.
63
Lumières et
critiques des Lumières
(1 )
Les conquêtes
de la raison
Le courant de pensée européen résumé par la belle métaphore des «Lumières»
invite parfois à regarder le XVIII' siècle, à l'instar de l'humanisme, comme une
période conquérante. Il est, cependant, imprudent d'enfermer l'esprit des
Lumières dans une image de perpétuel progrès face à la perfection apolli-
nienne mais figée du classicisme. La réalité est plus complexe.
~ un siècle de crises
r; échec du gouvernement des ducs et la banqueroute de Law qui provoque une crise
financière sans précédent (1720), peu avant la mort soudaine du Régent, pèsent sur le
règne personnel de Louis XV (1743-1774). Après un moment de popularité, l'autorité
de «Louis le Bien-Aimé>> est affaiblie par les intrigues de ses favorites et les défaites
subies pendant la guerre de Sept Ans. L'attentat de Damiens contre la personne du roi
( 1757) provoque un raidissement despotique du régime. Les idées philosophiques font
l'objet de soupçons et de censure: le <<despotisme éclairé>> s'épanouit dans les cours
européennes, mais Louis XV le découvre tardivement et meurt avant de le mettre en
66
place. Louis XVI, malgré le secours d'un ministre acquis aux idées philosophiques,
Turgot, régnera sur un pays miné, à la mort de Voltaire, par une situation économique
et financière déplorable. À la veille de la Révolution, les crises de subsistance alimen-
taire à répétition provoquent la colère populaire et la cour est contestée.
67
les lumières,
un esprit et des formes
Littéraire autant que philosophique, le XVIII' siècle français a combiné les
exigences du discours spéculatif avec la rhétorique des formes pour créer une
littérature d'idées parfaitement originale: l'esprit philosophique, loin de
rompre avec l'idéal de rationalité et de sociabilité propre à l'honnête homme,
le prolonge en atteignant de nouveaux publics.
68
traités et engagés dans l'aventure de l'Encyclopédie, ont écrit des œuvres plus légères.
L'abbé Prévost (1697-1763) et Marivaux (1688-1763) ont introduit des thèmes moraux
et didactiques au théâtre et dans le roman.
• La figure du philosophe
L'homrpe des Lumières connaît le privilège de donner un sens spécifique au mot
<<philosophe». L'acception nouvelle du terme congédie la figure ancienne du savant
besogneux, concepteur de systèmes et dont la caricature semble être le métaphysicien.
La figure nouvelle du philosophe se dessine à la fin de la querelle des Anciens et des
Modernes (voir fiche 20) et s'affirme tout au long du siècle, telle que la définit l'article
"pbilosophe" de l'Encyclopédie, dü au philologue Dumarsais (1676-1756). En héritier
de Descartes, le philosophe fonde son action sur la raison mais se sépare de lui parce
qu'il a« osé renverser les bornes sacrées posées par la religion». Dumarsais affirme:
«La raison est à l'égard du philosophe ce que la grâce est à l'égard du chrétien. La grâce
détermine le chrétien à agir; la raison détermine le philosophe.»
69
Montesquieu et
la politique des Lumières
Père fondateur des Lumières, Charles-Louis de Secondat, baron de Montesquieu
(1689-1755), a donné à l'élan des Lumières deux traits majeurs: la profondeur
et l'ambition critique d'une réflexion sur la société et d'une pensée politique à
l'origine des démocraties modernes.
~ un relativisme humaniste
Mais la satire est loin de se limiter à une entreprise de démolition désinvolte: du choc
des cultures le lecteur ne peut que tirer des conclusions relativistes et s'ouvrir à la
conscience de l'ailleurs et de l'autre. Et grâce aux artifices de la fiction ou de l'apo-
logue, dans le fameux épisode des «Troglodytes>>, Montesquieu exprime ses idées sur
les lois, la justice, l'esclavage. Il esquisse le tableau d'une société idéale fondée sur la
justice et la raison, où les rois gouvernent comme des pères de famille en se laissant
guider par la «vertu>>. Cette notion, centrale dans sa pensée, ne désigne pas un
comportement étroitement conforme à la morale courante mais le sens de l'intérêt
général: les sociétés qui en bénéficient s'orientent vers la liberté et l'égalité. Le dénoue-
ment du roman incite ainsi à privîlégier la raison par rapport aux sens et ce tableau
comparé de deux régimes également contestables préfigure une vaste réflexion poli-
tique. Au-delà de la satire, de l'élégance et de l'humour, c'est l'esprit même des
Lumières qui éclaire les Lettres persanes.
70
2. Le fondateur de la science politique
Il émet ainsi l'hypothèse d'un déterminisme historique qui aurait conduit Rome à la
ruine dès lors que la liberté et la vertu fondatrices de sa république ont été confisquées
sous l'Empire par un pouvoir tyrannique.
71
L'aventure de
l'Encyclopédie {1751-1772)
Présenté comme un siècle de combats, le XVIII' siècle l'a été par hasard. La
bataille de l'Encyclopédie montre que la résistance des divers conservatismes
à la diffusion du savoir a ainsi transformé un projet savant et novateur en défi
révolutionnaire.
1.
72
de certains articles par Le Breton, l'aventure ira à son terme avec la publication en
1766 des dix derniers volumes et, en 1772, celle des volumes de planches. En vingt ans,
la bataille éditoriale a transformé un projet audacieux en une machine de guerre:
l'« œuvre d'un siècle philosophe» au service de la vérité et du progrès.
~ les encyclopédistes
Au-delà des idées, l'ouvrage dessine la géographie intellectuelle et sociologique des
Lumières avant que des tensions idéologiques et personnelles ne divisent les cent
quarante auteurs: portée par d'Alembert, un savant bâtard recueilli et soutenu par
l'aristocratie, et Diderot, un bourgeois opiniâtre et infatigable, l'entreprise réunit un
baron matérialiste, d'Holbach, un haut fonctionnaire, Damilaville, un avocat philo-
logue, Dumarsais, l'efficace chevalier de Jaucourt, le philosophe Marmontel. A côté
des économistes physiocrates comme Quesnay et Turgot, du médecin Tronchin, du
poète Saint-Lambert, on trouve trois signatures prestigieuses: Rousseau rédige l'article
<'Économie politique» ainsi que ceux consacrés à la musique. L'article "Goût» est
écrit par Montesquieu en collaboration avec Voltaire, dont la contribution, modeste,
s'accompagne d'un soutien indéfectible. L'entreprise qui voulait, selon Diderot, "ser-
vir l'humanité» y a réussi dans certaines limites: l'ouvrage, conçu par une élite, ne sera
lu que par une minorité.
73
Voltaire, la virtuosité
au service des idées
Plus que l'emblème des Lumières, Voltaire (1694-1778) aura été leur <<passeur».
Malgré sa curiosité naturelle de voyageur infatigable, son esprit protéiforme et
la vigueur militante de ses dernières années, sa pensée, plus provocante
qu'audacieuse, démontre que le mouvement a été un aboutissement plus
qu'une rupture.
74
2. le messager des lumières en Europe (1734-1753}
• De l'optimisme au scepticisme
Lassé des cours et des rois hostiles à son amour de la liberté, Voltaire, qui a quand
même attendu la soixantaine pour renoncer aux grandeurs d'établissement, instaure
grâce à sa fécondité intellectuelle une sorte de souveraineté de l'esprit en Europe, attes-
tée non seulement par ses œuvres, mais par les traces de sa correspondance avec toute
l'Europe (quelque 20 000 lettres): il est bien décidé à diffuser l'esprit des Lumières et il
contribue à l'aventure de I'Enqclopédie, qu'il soutient à distance dans sa résidence des
Délices, près de Genève (1755-1758). Dans le même temps, sa foi en la Providence,
encore sensible dans la sagesse mélancolique de Zadig, est rudement mise à l'épreuve
par le tremblement de terre de Lisbonne, qui fait plus de 50 000 morts. Ce tait divers
lui inspire un Poème (1756), où s'expriment conjointement sa révolte devant le scan-
dale du mal et de la souffrance et ses doutes face au providentialisme de Leibniz, qui lui
apparaît comme une illusion consolante. Dans le même temps, il travaille à son Essai
sur les mœurs et l'esprit des nations (1756), et inscrit sa vision de l'Histoire dans une
perspective comparative et relativiste qui l'oppose au providentialisme théologique de
Bossuet comme au déterminisme de Montesquieu. Ce scepticisme ne quittera plus sa
pensée au moment où une série de ruptures et d'expériences fortuites vont progressi-
vement le transformer, malgré lui, en un écrivain de combat.
76
vision utopique de la cité idéale, il est contraint d'admettre l'omniprésence du mal sans
pour autant consentir au pessimisme ontologique qu'il a réfuté chez Pascal. Conscient
qu'il est impossible de construire un monde sans mal, il prône une sagesse sceptique,
fondée sur la lucidité et l'action. Curieusement, si la conclusion polysémique et ambi-
guë du conte, «Il faut cultiver notre jardin», est le message le plus connu de Voltaire, la
résolution qu'il mettra en pratique est celle du manichéen Martin qui affirme: «
Travaillons sans raisonner, c'est le seul moyen de rendre la vie supportable. >>
77
les formes littéraires
en question
Le mouvement des Lumières paraît démesuré dans son intention de saisir et
d'expliquer la totalité du monde par la raison. Mais c'est à son pouvoir de
séduction qu'il a dû sa faveur sans précédent auprès du public: il a su rester
mondain en s'appropriant naturellement les formes classiques de la littérature
tout en créant des formes nouvelles.
78
se montrant plus inventifs et plus offensifs dans la satire sociale. Dès 1725, Marivaux
(1688-1763) aborde des problèmes de morale politique par l'utopie, comme l'escla-
vage dans L'lie des esclaves, L'Île de la raison ou La Colonie. Beaumarchais (1732-1799)
attaque plus frontalement encore les structures figées d'une société patriarcale dans Le
Barbier de Séville (1775) et remet en cause l'ordre social et judiciaire dans Le Mariage
de Figaro (1784). On note, enfin, que la reproduction de l'oralité dans les formes litté-
raires a augmenté la portée du débat d'idées : c'est le cas du Supplément au voyage de
Bougainville ou du Rêve de d'Alembert de Diderot.
79
Diderot,
messager des lumières
Sans avoir connu la gloire de Voltaire ou celle de Rousseau, Diderot (1713-1784)
n'est pas que le champion intrépide de l'Encyclopédie. Portée par une pensée
radicale, son œuvre, extrêmement variée, ne cesse d'être redécouverte.
Avec Rousseau, qu'il rencontre dès 1742, Denis Diderot est la seule figure de proue des
Lumières à avoir trouvé dans sa vie l'origine d'une remise en question de l'ordre éta-
bli: né à Langres, il est élevé par les jésuites et, poussé vers la prêtrise par manque de
ressources, tonsuré à treize ans. En s'enfuyant à Paris pour échapper à une condition
qu'il refuse, il manifeste une énergie rebelle qu'il paie au prix le plus fort en se
condamnant pendant des années à exercer des petits métiers tandis qu'il épouse une
jeune fille du peuple. Cette expérience, qui nourrit l'aspect picaresque de ses romans,
passe par la traduction d'ouvrages anglais: il découvre ainsi le versant britannique des
Lumières dans le domaine scientifique et lit Voltaire. 1J.lonné par le besoin et doué
d'un vif esprit d'entreprise, il se lance dans l'aventure de l'Encyclopédie et rédige paral-
lèlement: ses Pensées philosophiques (1746) et un roman libertin, Les Bijoux indiscrets
(1748), publié sous le manteau. Sa Lettre sur les aveugles (1749), influencée par le sen-
sualisme de son ami Condillac, pose la question des rapports entre la sensation et la
réflexion, et esquisse l'orientation matérialiste de sa pensée: elle lui vaut aussitôt un
séjour en prison dans le donjon de Vincennes, où Rousseau lui rendra une visite légen-
daire. Cette épreuve et les difficultés rencontrées par l'Encyclopédie, difficilement sau-
vée par la détermination commerciale des libraires, radicalisent sa conscience poli-
tique. Tandis qu'il approfondit son travail philosophique dans les Pensées sur l'interpré-
tation de la nature (1753) il répand dans les salons aristocratiques ses idées matéria-
listes et se lie avec le baron d'Holbach et Mme d'Épinay.
80
de Russie: la souveraine d'une des monarchies les plus tyranniques du monde, ouverte
par calcul à la mode très théorique du «despotisme éclairé», avait envisagé de faire
éditer l'Encyclopédie en Russie au plus fort de la bataille contre la censure. Elle reçoit
pendant cinq mois (1773) un Diderot assez naïf pour rédiger un Plan de réforme mais
cet accueil prend, pour un écrivain usé, l'allure d'une reconnaissance: jusqu'à sa mort
le philosophe écrit, laissant comme Voltaire une brillante correspondance, adressée
notamment à son amie de cœur Sophie Volland, morte, comme d'Alembert, peu de
temps avant lui.
~ Politique et morale
Diderot fait de la nature la clé de voûte de son idéal politique et moral. Il ne reconnaît
pas le droit divin à l'origine de l'absolutisme royal et lui oppose la notion de droit
naturel, qui donne à la volonté générale le pouvoir de fonder l'autorité politique sur un
contrat: deux principes qui donnent leurs titres à des articles essentiels de
l'Encyclopédie. Profondément épris de liberté, il ne croit pas au despotisme éclairé: car
la volonté réformiste d'un souverain ne garantit en rien ses sujets contre l'arbitraire et
la collusion fatale entre le pouvoir politique et le clergé analysée dans le Discours d'un
philosophe à un roi (1774).
C'est aussi à la nature que se réfère le Supplément au voyage de Bougainville (1772), un
dialogue à la structure complexe, pour prôner une morale politique et sociale de la
liberté dont la finalité unique est le bonheur. Jouant sur le mythe du <<bon sauvage»,
l'utopie de la petite société tahitienne dessine un idéal politique fondé sur la confiance
mise dans la sociabilité et la liberté des mœurs. Enfin, Diderot s'affirme démocrate
dans un de ses derniers textes, adressé en 1782 aux « Insurgents », vainqueurs des
Anglais et fondateurs des États-Unis : il y voit un modèle prometteur mais fragile
puisque conditionné par la vertu de ceux quî l'incarnent. Enfin, il fait de la politique
éducative des régimes politiques une des clés de leur stabilité et de leur pérennité.
81
Des « anti-Lumières »
au conflit avec Rousseau
L'importance du conflit qui oppose, à partir de 1755, les deux géants du siècle,
Voltaire, rejoint par les «philosophes», et Rousseau a été longtemps sur-
estimée. Mais l'épisode est significatif: il s'inscrit dans un contexte de réaction
à un mouvement conquérant et met en évidence l'originalité de la pensée de
Rousseau irréductible à un quelconque mouvement.
~ Rivalités intellectuelles
La résistance aux Lumières, contrairement aux idées reçues, ne s'est pas figée dans un
parti opposant clairement soudé, celui des chrétiens défenseurs de l'ordre social et reli-
gieux garanti par l'absolutisme. C'est parce qu'ils étaient d'abord des écrivains que les
philosophes ont suscité des rivalités sans merci dans leur propre milieu, celui des
lettrés. Certes, leurs ennemis les plus farouches sont conservateurs et naturellement
proches du parti dévot. Mais c'est au nom des belles-lettres et du <<goût classique>>
qu'un Fréron attaque Voltaire, dont le succès lui pèse, dans L'Année littéraire. La charge
la plus rude contre le clan philosophique sera celle du dramaturge Palissot (1730-1814).
Sa comédie Les Philosophes (1760) reprend le schéma des Femmes savantes de Molière
pour ridîculiser Diderot et les encyclopédistes: ils sont présentés comme des pédants
irréalistes, dépourvus de talent littéraire, accusés de détruire la morale, la religion et la
famille sans offrir en échange une pensée élevée. Et curieusement ces critiques épargnent
Voltaire, qui est la cible favorite du pouvoir religieux et vient de s'installer à Ferney: car
les anti-philosophes redoutent moins la corruption des esprits que la conquête d'un
pouvoir intellectuel au moment où Jes pratiques de lecture augmentent.
82
à une sagesse que le christianisme a héritée de l' Anticjuité et 1 d .
d' . t -, a perte u sentiment
appar enance a une communauté organisée. Beaucoup pensent que· l· , · ,
tient n t · 11 .. ' · ,. · · ,t vente appar-
a Llle ement a ceux qm dettennent l'autorité et refusent fe · -· d
d'~ d v; 1 · . pnnc1pe e tolérance
e en u par. o taire: cette opposition diffuse et durable se retrouvera bien 1 t d
dans la pensee contre-révolutionnaire d'un Joseph de Maistre (1 753 _182 1). pus ar
t ta critique de la civilisation
A~ mitan du mouvement, alors que l'idée de progrès se répand, le Discours sur les
~~tenc~s ~t les ar:s .( ~ 75?) affirme, s~~s nier la nécessité du savoir, que le confort et les
enfaits de la ClVÜtsatwn, par le blais des sciences et des arts, ont pour conséquence
~on pas le bonheur des peuples mais le déclin de la vertu. Contrairement aux philo-
ophes, Rousseau ne souhaite pas uniquement comprendre et expliquer la nature mais
en retrouver la présence originelle, dans une sorte de nostalgie de l'âge d' ·h
toute s . D or qm ante
lent laïo~ œu:vre~ . ans ~a _rensée, la disparition de l'état de nature devient un équiva-
f: q. e, du peché ongmel: ~a culture et donc les Lumières y apparaissent comme
une atalrt~. Rousseau oppose amsi à la civilisation non pas l'état le plus primit1·fde la
nature ma r· ', d' une soCiete
.. IS Image
., ' douce et patriarcale, fondée sur la simplicité des~
;~urs et la vert~ qui lui aurait immédiatement succédé. Son Discours sur l'origine et les
on en;ents de.l'mégalité parmi les hommes (1755) voit alors dans l'institution sociale
~ne <-1e~-~turatwn d_e .l'humanité originelle: bonne et généreuse, elle est corrompue par
. appantwn du ~rmt de propriété et par les différentes formes de gouvernement qui ne
servent que les nches et engendrent guerres, misères et dégradation.
D l'harmonie du moi sous le regard de Dieu
À cette perte du bonheur primordial Rousseau associe l'aliénation du «moi», égale-
ment corrompu par la civilisation et coupé d'un Dieu partout présent dans la nature.
Au cosmopolitisme conquérant des philosophes il préfère le repli de la conscience s~r
elle-même: dans son univers, le« moi», qui pour les philosophes s'efface devant la rai-
son, occupe une place importante et s'épanouit dans le recueillement et le contact
intime avec les beautés de la nature, ou au sein d'une petite société. La religion de
Rousseau est tout aussi personnelle: s'il récuse en raison les dogmes véhiculés par
toutes les religions révélées, le «sentiment intérieur>> de l'existence de Dieu naît chez
lui d'une intuition rationnelle et non d'un affect. Mais son théisme est très éloigné du
déisme de Voltaire, et encore plus du sensualisme matérialiste de Diderot et d'Helvétius
ou de leur athéisme, qui, après avoir éliminé Dieu, n'attribue les exigences de la
morale qu'à un état avancé de la civilisation. Au contraire, pour Rousseau, le dua-
lisme du corps et de l'âme n'est pas contestable: dès l'état de nature, l'homme est
bon, la conscience du bien lui est transmise par son âme et lui permet de lutter
aussitôt contre le mal dont témoigne 1' égoïsme des espèces. ll manifeste par ailleurs
une très grande confiance dans la Providence au moment oü Voltaire, par exemple,
devient de plus en plus sceptique.
La singularité de la pensée rousseauiste qui s'approprie les données des Lun:üères ne
s'exprimera dans sa totalité qu'après la rupture avec le clan philosophique. A travers
trois textes majeurs, il élaborera un projet de société conçu pour réformer l'homme, le
citoyen et les mœurs: l'Émile (1762) propose un programme pédagogique; Du contrat
social (1762) formule une théorie politique audacieuse qui prône le renoncement à la
liberté individuelle au profit de la liberté civile et d'un gouvernement soumis à la
volonté du peuple; le roman La Nouvelle Héloïse (1761) décrit l'utopie d'une petite
société où la transparence des cœurs et la communauté de pensée assureraient le bonheur.
Ce mirage est cependant démenti par l'issue tragique de l'intrigue amoureuse, qui a
valu son succès au roman et provoqué des torrents de larmes.
~ Du doute à la rupture
Dès le Discours sur les sciences et les arts, qui rend aussitôt son auteur célèbre, la contra-
diction est évidente entre les idées de Rousseau et la propagande des Lumières véhicu-
lée par les philosophes. Le premier affirme que le but des sociétés n'est pas l'accroisse-
ment des richesses. Les seconds décrivent une société en marche vers le bonheur grâ~:.:
à la production, la consommation et le partage de biens de plus en plus élabo:é:-,
Tandis que Rousseau évoque le paradis perdu d'une société patriarcale, les ph:lo-
sophes, après Voltaire qui a déclaré, dans Le Mondain: <iLe paradis terrestre est ou )<
suis», célèbrent le progrès dans 1' article <<Luxe» de l'Encyclopédie. Il semble cependant
que les rivalités d'influence et les incompatibilités d'humeur aient précédé, avant d~
l'envenimer, la controverse théorique sur la nature et les effets des Lumières. Fau: a
une constellation mondaine de talents brillants bien installés dans l'espace intellectuel
du moment, Rousseau, déjà décalé socialement, n'a pu que se sentir isolé dans unt
pensée dont la puissance et l'originalité ne pouvaient qu'inquiéter ses ii amis>>. ( )n
84
avait sans doute ii recruté», pour propager les idées des autres un étrang . . l d . .
. d . c . , . ' er ma a rmt qm
preten mt Laire connaltre les siennes. Hypersensible dépourvu de l' · .
' . . . . ' msance mondamç
et de l espr~t de salon qm aplamssalt la plupart des conflits internes entre les h. _
sophes, le citoyen de Genève a rapidement irrité. P Ilo
Le ton est donné: alors que la batame de l'Encyclopédie s'engage et que les philosophes
comptent .leurs. partisans,
. le . fosse se creuse · Au Poème sur le désastre de .Lt'sb anne
( 1756), qm rad1cahse le scepticisme de Voltaire, Rousseau répond la même année par
sa Let~re sur la Providence. La publication de l'article «Genève>> dans l'Encyclopédie
e~~emme ~n peu plus la querelle: l'article de d'Alembert dont la profession de foi
l , susCite
dets.·.te · la censure du pouvoir (voir fiche 24) est également attaqué par Rouss .
. eau,
e Genevois, récemment rapproché des calvinistes, qui, très influents dans sa ville
natale, Yo~t inte:dit la ii ~omédie », reproche à l'encyclopédiste d'en avoir fait l'apologie
dans une d1gresswn. La nposte de Rousseau dans la Lettre à d'Alembert sur les spectacles
(1758) le sépare définitivement des encyclopédistes : il conteste la valeur littéraire et le
pouvoir libérateur du théâtre, condamnant une des grandes passions de Voltaire.
En~re-temps, il s'est senti visé par une réplique d'une pièce de Diderot, le Fils naturel,
~m affirmait: ii Il n'y a que le méchant qui soit seul» et se brouille avec lui après un
echange de correspondance douloureux.
85
ou rationalisme des Lumières
à la sensibilité «préromantique>>
1. l!.lmières et sensibilité
~ la permanence cl' un coumnt lyrique
La question de la sensibilité au siècle des Lumières met en évidence l'încornplét~de de
la notion de «courant» ou de «mouvement>>: elle ne peut pas rendre la coexistence
dans une même période de tendances opposées. En effet, si les philosophes ont voulu
faire de leur siècle celui de la raison, leur ardeur doctrinaire n'a pas éteint les formes
classiques de la littérature. Si la postérité a opéré un tri qui relègue dans l'oubli un
grand nombre de poètes célébrés en leur temps, 1' expression de la sensibilité s'exprime
tout au long du siècle face au militantisme des Lumières. Les intrigues du théâtre de
Marivaux donnent une place importante aux intuitions et aux émois du cœur.
L'influence de la littérature anglaise n'y est pas étrangère: on traduit les poèmes de
Pope et Les Nuits de Young. Les mutations du roman qui privilégie des personnages de
plus en plus vraisemblables par rapport à l'intrigue y introduisent le pathétique: celui
des héroïnes de Marivaux dans La Vie de Marianne (1731-1741) et de l'abbé Prévost
dans Manon Lescaut ( 1731).
86
2. les effusions du «moi» Q la fin du siècle
~ La poésie lyrique
Dans le même temps, la poésie élégiaque amoureuse connaît une belle fortune:
presque tous les thèmes de la poésie romantique rôdent autour des Élégies (1778) de
Pa rn y, des Regrets (1782) de Léonard. Dans la poésie descriptive de Delille et ses
Jardins ( 1782), on trouve des vers comme «J'aime à mêler mon deuil au deuil de la
nature» qui préfigurent nettement Lamartine. Mais le grand poète lyrique et méconnu
de la fin du XVII!' est André Chénier (1762-1794), longtemps réduit à ses écrits poli-
tiques et à son destin tragique de victime de la Terreur. Ses Élégies, ses Bucoliques et
son ode La Jeune Tarentine (1785-1789) expriment une poésie du deuil, de l'automne,
du crépuscule, que l'on peut qualifier de préromantique. Leur écriture classique doit
aussi beaucoup à l'innutrition des grands modèles lyriques du XVIe siècle et à l'imita-
tion créatrice des formes et des topai antiques: les «orages'' romantiques ont donc été
longtemps désirés au XVlW siècle.
87
Les prémices
de l'âme romantique
88
2. De l'harmonie au génie et au sacré
89
• Romantisme
( )
.Parnasse
(1
Chateaubriand
entre deux siècles
Aucune œuvre n'atteste plus que celle de «l'Enchanteur>> la perméabilité des
courants de pensée et des mouvements littéraires: sa carrière d'écrivain,
presque aussi longue que sa vie tourmentée par l'Histoire, a transformé en
père fondateur du romantisme un jeune homme coulé dans le moule du classi-
cisme avant de s'ouvrir aux Lumières.
92
à tous les thèmes de la sensibilité à la mode - ruines, nature, tristesse sans objet-, il va
donner une signification métaphorique: ce malaise traduit l'angoisse humaine face à la
vanité d'une existence divisée entre ses désirs et ses limites.
93
la révolution romantique
et ses sources en Europe
La vigueur du mouvement romantique français, conquérant et militant, a été
quelque peu affadie par la postérité, qui l'a restreint souvent à son expression
poétique la plus élégiaque: c'est pourtant une vision du monde radicale, por-
tée par un élan européen, qui naît à la fin du XVIII' siècle en Angleterre et s'est
imposée en France dans les années 1820-1840.
Mme de Staël élargira cette défïnition, dans De l'Allemagne, à tout ce qui caractérise la
poésie des troubadours dans la tradition médiévale chrétienne.
2. Le romantisme anglais
Dans toute l'Europe, le romantisme a correspondu à une rébellion esthétique contre
les contraintes du classicisme et à une remise en question du rationalisme. Spiritualité,
sensualité, désir de retour à la nature, le romantisme anglais est le premier à s'expri"
mer dans Les Nuits (1742-1745) d'Edward Young (1683-1765), dans les Élégies (175!)
de Thomas Gray (1716-1771) et les romans de Samuel Richardson (1689-!761) qui
influencent fortement le courant «sensible» en France au moment où les traduc-
94
tions se multiplient. Entre 1760 et 1773, l'Anglais Macpherson prétend faire connaître
les poèmes du mystérieux barde écossais Ossian, qui aurait vécu au IW siècle de notre
ère en transmettant ses chants par voie orale. Considéré par Mme de Staël comme
l'Homère du Nord, ce poète cristallise après sa traduction en français par I.e 1burneur
nombre d'aspirations romantiques. Sa poésie- dont l'authenticité est discutée- appa-
raît comme celle des origines, indifférente aux règles qui naîtront après elle. Elle
oppose au modèle gréco-latin, universel, la singularité d'une épopée nationale dont
l'énergie guerrière séduit jusqu'à Napoléon Bonaparte, Premier consuL
3. le romantisme allemcmd
95
L'avènement et la diffusion
de la poésie romantique
96
plusieurs prix de poésie. Un peu plus tard, la revue La lvfuse française, appelée à vivre
un an (1823-1824), publie les jeunes poètes qui se retrouvent ensuite dans le salon de
Charles Nodier, collaborateur de la revue et conservateur de la bibliothèque de 1'Arsenal:
de Sainte-Beuve à Marceline Desbordes-Valmore, d'Émile Deschamps à Alfred de Vigny
et Gérard de Nerval, les poètes de la grande génération romantique se croisent et
rencontrent des romanciers comme Alexandre Dumas et Honoré de Balzac, des
peintres comme Delacroix, des sculpteurs comme David d'Angers.
À partir de 1827, Victor Hugo, l'étoile montante du groupe, prend le relais de l'Arsenal
et orgar:-ise, dans sa maison de la rue Notre-Dame-des-Champs, une sorte de
«cénacle>> poétique, selon une expression de Sainte-Beuve dans son poème <<Joseph
Delorme». Le premier groupe s'y retrouve et accueille Aloysius Bertrand, Alfred de
Musset, Gérard de Nerval et Théophile Gautier. Dans la passion et l'effervescence, on y
préparera la bataille d'Hernani. Mais, à côté des cercles fondateurs, d'autres groupes se
forment. Ils font entendre la voix personnelle d'artistes différents qui apporteront leur
pierre à la pluralité foisonnante du romantisme: ainsi a-t-on appelé «Petit Cénacle»
l'atelier du sculpteur Jehan Duseigneur, où se retrouvaient la bande, exaltée et
bohème, de ceux qui deviendront les «petits>> romantiques ou les «frénétiques>>:
Pétrus Borel, Philothée O'Neddy, considérés comme des poètes mineurs mais dont
l'influence sur Baudelaire, par exemple, sera très importante. La plupart des écrivains et
des artistes fréquentent d'ailleurs plusieurs cercles en même temps. Nerval et Gautier
retrouvent ainsi au Doyenné, dans un vieux quartier de Paris que Balzac immortalisera,
Delacroix ou Chassériau: la connivence entre les arts - poésie, roman, théâtre,
musique, peinture- qui frappe encore aujourd'hui les analystes de la période s'est éta-
blie dans ces cercles appelés à fortifier le mouvement et à élaborer une doctrine.
J.:explosion de 1830 (voir fiche 34) ne peut par ailleurs s'expliquer que par le rôle
nouveau joué par la presse. C'est dans les journaux que s'affirme d'abord l'influence
romantique dans un mouvement qui, avec ses deux versants, légitimiste et libéral,
transcende les clivages politiques et les divergences religieuses. Chateaubriand, qui se
déclarera «démocrate par nature, aristocrate par mœurs», et se battra toute sa vie,
contre son camp conservateur, pour la liberté de la presse, a fondé, en 1818, Le
Conservateur. À partir de 1820, Le Conservateur littéraire (1819-1821), journal des
frères Hugo, regroupe d'abord un certain nombre de poètes monarchistes comme
Vigny, déjà présents dans l'équipe de la revue La Muse française. Plus proches de
l'héritage des Lumières, les libéraux se retrouvent au Globe autour de Stendhal, dont
la plunie critique est déjà très acérée, au Constitutionnel ou au Miroir. L'essor de la
presse à bon marché, sous l'influence d'un prodigieux patron moderne, Émile de
Girardin, dont la femme, Delphine, est une des égéries du romantisme, contribue à la
diffusion du mouvement. Cependant, l'identification du romantisme à un courant
libéral dont bien des membres deviendront républicains ne s'est définie qu'a posteriori:
au moment où paraissent les Méditations poétiques, seuls l'expansion du moi et le
rejet de l'esthétique classique peuvent paraître révolutionnaires. Victor Hugo est
alors un fidèle serviteur de la légitimité royaliste et ne changera de camp que plus
tard et Stendhal, dont le journal défend un libéralisme de gauche, ne se reconnaît
pas immédiatement dans l'esthétique de la poésie romantique.
97
De la théorie
à la bataille romantique
98
Cette «préface» à une pièce injouable avertit le public de ce qui l'attend tandis qu'.Émile
Deschamps, en 1828, et Alfred de Vigny, en 1829, expriment des points de vue voisins.
Encore royaliste alors, Victor Hugo revendique le lien étroit entre l'esthétique roman-
tique et l'action politique en décrétant, clans la Préface d'Hernani:
«Le romantisme, tant de fois mal défini, n'est, à tout prendre, et c'est sa définition réelle, que
Je libéralisme en littérature.>>
99
Victor Hugo
et les poètes romantiques
Avec la gloire de Lamartine, la poésie romantique connaît autour du monstre
sacré Victor Hugo une extraordinaire efflorescence. Au-delà de 1840, le mou-
vement se disperse ou s'épanouit selon certains, mais l'aventure collective est
terminée. Par ailleurs, c'est surtout dans la poésie lyrique que l'on découvre, de
façon récurrente, les thèmes majeurs du romantisme, appelés à influencer tous
les autres genres.
~ le lyrisme hugolien
On discerne cependant une évolution entre les premiers poèmes et l'accomplissement
total réalisé par Les Contemplations (1856), recueil publié dans l'exil après le déclin du
mouvement. Les Nouvelles Odes (1824), les Odes et ballades (1826) et Les Orientales
(1829) déroulent les grands thèmes du romantisme dans des registres plus variés que
ceux de ses contemporains. Hugo crée des «scènes» poétiques, se saisit de l'orienta-
lisme pour lui donner une couleur et un son, exprime progressivement l'amour de
l'humanité et la proximité avec les humbles qui rendent unique sa voix. Mais c'est avec
Les Feuilles d'automne (1831), Les Chants du crépuscule (1835), Les Voix intérieures
(1837), Les Rayons et les Ombres (1840) que son chant le plus personnel se fait
entendre. La prégnance des souvenirs tait surgir dans le sentiment de la fuite du temps
100
et le dialogue avec la nature un lyrisme nostalgique, nourri par les épreuves d'une jeu-
nesse tourmentée par l'Histoire, les drames familiaux, la folie de son frère, des décep-
tions et une vie sentimentale agitée. La préface aux Chants du crépuscule avoue des
doutes et donne le ton de son lyrisme: «ces cris d'espoir mêlés d'hésitations, ces
chants d'amour coupés de plaintes, cette sérénité pénétrée de tristesse». Les trois voix
de l'Histoire, de la Nature et de l'Homme se répondent dans Les Voix intérieures. Et,
jusqu'en 1840, cette dualité entre l'élan lyrique et la tristesse lucide s'approfondit pour
aboutir au sombre «Tristesse d'Olympia>> dans Les Rayons et les Ombres: ni le
bonheur amoureux, ni l'exaltation de l'enfance, ni la confidence à la nature ne dissi-
pent la. mélancolie profonde du poète. Seule l'énergie d'un créateur qui se sent devenir
prophète arrache au pessimisme un lyrisme qui n'est jamais morbide. Les
Contemplations, présentées comme les «mémoires d'une âme», réorganisent autour
d'une double blessure intime (la mort de sa fiile en 1843) et politique (l'échec de la
révolution de 1848 et son exil) une méditation étendue à l'humanité tout entière, por-
tée par un élan visionnaire, un savoir de l'au-delà et une profonde religiosité.
• le lyrisme intimiste
Dès 1819, la voix de poètes qui, sans connaître la gloire de Lamartine et des grandes
figures romantiques, se retrouveront dans le cercle hugolien s'était fait entendre dans
un registre intimiste. C'est le cas de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859): ses
Élégies et poésies nouvelles (1825), puis d'autres recueils comme Pauvres Fleurs (1839)
et Bouquets et prières (1843), frappent par leur spontanéité et la sincérité d'une poésie
élégiaque qui exprime ses deuils, sa souffrance amoureuse et son angoisse devant le
temps avec une modestie émouvante sans être plaintive. Sainte-Beuve (1804-1869),
historien de la littérature et critique influent du premier Cénacle, crée, sur le mode
intimiste, le personnage en forme de double de lui-même dont un récit poétique
retrace la quête. En 1829, avant l'« Olympia>> de Victor Hugo, la Vie, poésies et pensées
de joseph Delorme déroule les tribulations sentimentales et morales d'une figure
romantique caractéristique, prise entre doute et espoir, impatiente de vivre et de créer,
espérant l'amour et doutant de le connaître, habitée par le rêve et berçant son désen-
chantement dans la nature. Tout un pan de la poésie d'Alfred de Musset (1810-1857)
se rattache à ce lyrisme en forme de quête d'identité. Dans un cycle de quatre vastes
poèmes, Les Nuits (1835-1837) accompagnent un dialogue entre le poète, brisé par un
amour malheureux, et sa Muse: du désespoir au pardon, en passant par le doute et un
espoir fragile, le poète finit par accepter, guidé par sa muse, le pouvoir créateur qu'il
tire de sa souffrance.
101
l'homme pris entre la volonté de Dieu et le silence de la nature, le lien profond entre
l'amour et la mort, l'omniprésence de la souffrance. Le propos s'amplifie avec Les
Destinées (1864), une odyssée de l'âme humaine, très différente des Contemplations.
S'adressant à une femme idéale, Eva, compagne et médiatrice de l'absolu, le poète montre
l'angoisse de l'homme dans une société corrompue et une nature indifférente. Mais le
consentement stoïque à la solitude et au mutisme divin permettent au poète d'atteindre
une forme de sérénité orgueilleuse.
Cette angoisse se manifeste sous des formes diverses: de la rêverie nostalgique du «je»
lamartinien à la tristesse créatrice du «je» hugolien, de la complaisance morbide de
Musset à l'égard de ses souffrances à la mélancolie suicidaire du poète anglais dont
Vigny met en scène le dilemme et la fin tragique dans Chatterton. Toujours pessimiste,
l'àme romantique affronte le vide d'un monde où elle est condamnée à l'oisiveté de
façon contrastée: Musset a décrit avec précision dans la Confession d'un enfant du siècle
(~836) l'incapacité à vivre de sa génération, née dans un monde fantomatique et <<trop
VIeUx». Entre le souvenir des rêves brisés et celui d'un héroïsme humilié par les guerres
perdues, il est impossible d'agir. Pour d'autres, le pessimisme n'interdit pas l'action.
102
~ La passion, la révolte et l'échec du héros
L'imaginaire romantique est riche en figures révoltées, éprises d'absolu, décidées à
transgresser les interdits : l'énergie pessimiste d'Hernani, le bâtard proscrit, celle de
Ruy Blas, le valet révolté, font pendant à la figure romanesque de julien Sorel, qui
passe de la rêverie héroïque à l'action avant d'être condamné à mort pour avoir défié
1' ordre social. Le lyrisme romantique affectionne les héros solitaires, chasseurs, orphe-
lins, brigands, mendiants, élus pour un destin tragique. Cette rébellion, généralement
sans espoir, peut se traduire par la fascination du mal ou un pacte passé avec Satan.
Tout l'imaginaire romantique est, en effet, habité par la figure mythique de Faust, tan~
dis que Hugo consacre un long poème à Satan, objet de fascination pour les ii petits»
romantiques. Ce goût de la démesure explique les résistances au mouvement dans les
milieux conservateurs. Et, si Flaubert a immortalisé l'échec de la génération roman-
tique, engluée dans ses rêves, en créant la figure caricaturale de Frédéric Moreau dans
L'Éducation sentimentale (1869), il a toujours avoué sa fascination pour les révoltés qui
sacrifient leur vie à leur quête d'absolu.
104
redécouvrir dans tous ses aspects culturels, artistiques et religieux. En se développant
tout au long du XIXe siècle, le mythe va progressivement se dégrader, et 1' orientalisme
devenir le prétexte à des fantasmes érotiques entretenus par la légende du harem et
susciter des curiosités ambiguës où l'on a pu déceler les prémices du colonialisme.
105
Romantisme
et roman
Ouragan lyrique, le romantisme est né dans un climat d'effusion sentimentale
après le succès d'Atala. La vogue des œuvres de genre promeut le roman avant
que deux grands créateurs, Stendhal et Balzac, ne lui donnent les lettres de
noblesse qui l'identifient à la modernité.
106
fréquente: le Ne/ida (1846) de la comtesse Marie d'Agoult, qui écrit sous le nom de
Daniel Stern et ne publiera ses Souvenirs qu'à titre posthume (1877), décrit les
convulsions d'une liaison orageuse avec le musicien Franz Liszt.
108
2. la singularité de Gérard de Nerval (1808-1855)
Après des débuts très conformistes, Nerval, condisciple de Théophile Gautier au collège
Charlemagne, rejoint vers 1829 le groupe des Jeune-France, fréquente les deux
cénacles et se rallie au mouvement. Il assure un feuilleton dramatique dans un journal,
mais n'adopte pas le comportement paroxystique de ses amis frénétiques en littérature
et en politique. Contrairement à la plupart des membres du groupe qui avaient parti-
cipé aux combats des Trois Glorieuses avant d'éprouver de cruelles déceptions, il se
tient à cj_istance. Il partage sans innover le credo romantique du Cénacle en prônant le
retour à la poésie du Moyen Âge et de la Renaissance. Mais cette discrétion recouvre
une vision absolutisante du romantisme vécu comme une expérience intérieure. Dès
ses premiers poèmes, comme le fameux i< Fantaisie» (1832), une confusion s'établit
chez lui entre le souvenir et le rêve tandis qu'il aspire au retour des morts, dont le culte
lui est familier depuis la fin d'une enfance habitée par l'absence de sa mère, tôt disparue.
Entre la vie poétique intense qu'il sent en lui et le réel dont il refuse le prosaïsme, il
établit d'emblée une distance radicale, il trouve dans la poésie allemande qu'il connaît
mieux que tous les autres poètes français de son temps des raisons d'aspirer à l'au-delà:
on le ressent dans sa traduction de certains poètes romantiques allemands, comme
Jean- Paul Richter. Et c'est sa traduction du second Faust de Goethe qui fera connaître,
en 1840, le mythe dans les milieux artistiques français.
Déjà marqué par l'influence de l'illuminisme de la fin du siècle précédent, Nerval
mûrit son romantisme de la nuit pendant un voyage en Orient (1843). Il en revient
avec une vision du monde infléchie par la découverte de certaines mythologies et de
cultes ésotériques comme celui d'Isis, combinés avec des souvenirs chrétiens dans un
étrange syncrétisme. Après la publication de son Voyage en Orient (1851) et des
Illuminés (1852), la quête mystique de lui-même et de la femme idéale qu'il veut aimer
envahit toute sa production poétîque. Parues bien après le déclin du romantisme
historique, ses œuvres majeures en représentent pourtant la quintessence. Dans le recueil
Les Filles du feu (1853), il réunit la nouvelle Sylvie et les poèmes des Chimères. La prose
poétique de Sylvie traduit le combat que mènent, dans l'esprit du poète, le rêve et la
réalité, la lucidité et la folie, la vie et la mort, à travers deux figures féminines anti-
thétiques. La première, Sylvie, ancrée avec grâce dans le réel, apparaît comme la pro-
messe d'un bonheur simple. La deuxième, Adrienne, aristocrate morte ou disparue,
demeure inaccessible autrement que par le rêve et se confond avec une troisième
figure, toute d'artifice et de cruauté, l'actrice Aurélia. Les sonnets des Chimères, compo-
sés selon Nerval lui-même dans un i< état de rêverie supernaturaliste », modulent, dans
une prosodie et une métrique très fluides, 1' obsession du deuil et de la folie, et 1' espoir
d'une nouvelle vie ou d:une renaissance étayée sur des allusions hermétiques à divers
cultes ésotériques, et à des mythes, panthéistes ou pythagoriciens. Nerval, déjà victime
de délires obsessionnels, sent la folie le gagner. Les frontières entre la réalité et le rêve
qu'il avait souhaité abolir se retournent pathologiquement contre lui: le récit Aurélia
(1853-1854), journal de cette descente dans l'enfer de la folie, en analyse le processus
avec une fulgurance impressionnante peu avant le suicide du poète. La poésie de
Nerval passionnera le groupe surréaliste.
109
Le Parnasse
et ses maîtres (1866-1876}
Incarnation de la jeunesse pendant la crise de la conscience européenne, le
romantisme a été d'abord un courant de pensée révolutionnaire bien que la
poésie en ait été le révélateur. C'est à travers une doctrine esthétique, << l'art
pour l'art>>, que s'est exprimée la réaction des opposants. Le Parnasse, lui aussi,
fonde sa théorie sur la poésie tandis que la peinture et le roman se tournent
vers le réalisme en absorbant une partie des préoccupations politiques et
sociales du romantisme.
Î 10
parmi lesquels la poésie tient la première place. Curieusement, Théophile Gautier, qui,
dans sa veine romantique extrême, a réhabilité le Parnasse satyrique du XVIe siècle, voit
son nom associé au texte fondateur d'un mouvement de refus. Les trois recueils suc-
cessivement publiés en 1866, 1871 et 1876, à l'initiative de Catulle Mendès (1841-1909)
et Louis Xavier de Ricard (1843-1911) sous le titre de Parnasse contemporain, constituent
une anthologie de poètes qui fondent leur art sur la description, la rigueur technique et
la versification parfaite, en l'occurrence, la rime riche. L'existence de cette anthologie
témoigne conjointement de la réalité et de la brièveté du mouvement: on y trouve de
grands poètes qui s'écarteront rapidement du groupe pour tracer leur propre chemin et
d'honnêtes artisans du vers dont l'influence ne dépassera guère leur contribution au
Parnasse.
111
qui ne les accueillera pas toujours dans son anthologie : c'est le cas de trois grands
poètes aussi différents dans leur évolution que Paul Verlaine (1844-1896), Stéphane
Mallarmé (1842-1898) et Charles Cros (1842-1888).
112
~ l'obsession du travail et de la forme
Là où le romantisme conquérant abolissait les frontières entre les genres, réclamait la
liberté, mettait un «bonnet rouge au vieux dictionnaire» et s'adonnait avec jubilation
à toutes les licences poétiques, les parnassiens répondent en s'imposant des contraintes
qu'ils espèrent productives. Ibujours dans son poème «L'Art», Théophile Gautier
donne ses ordres au poète:
«Sculpte, lime, cisèle;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans un bloc résistant. »
C'est l'œuvre de Théodore de Banville qui atteste le plus clairement les effets de cette
obsession du travail formel. La recherche très «classique 1> de formes fixes et de rimes
rares caractérise l'élégance de son recueille plus connu, Les Exilés (1867), sans en dissi-
muler l'artifice. Le Parnasse lui doit aussi un Petit Traité de poésie française ( 1872). Ce
retour au classicisme qui fait de la forme non pas un outil mais un but apparaît
d'abord comme une réaction légitime aux excès du romantisme. Mais on constate
rapidement que la volonté de perfection et la mécanique poétique du Parnasse, loin de
s'adosser comme au Grand Siècle à une vision du monde, se nourrissent de peu de
chose et dissonent avec leur époque.
113
Des courants à la modernité
poétique: Charles Baudelaire
114
Enfin, la thématique du macabre, le goût provocant affiché par certains poèmes
comme «Danse macabre» pour le vampirisme, la souveraineté du mal et le pouvoir de
Satan, figure entièrement positive de la révolte dans l'imaginaire d'alors, font partie
intégrante de la panoplie du romantisme noir, lui-même influencé par le roman
anglais. Mais les poèmes que Baudelaire écrit sur ces thèmes frappent le lecteur plus
que les variations brouillonnes des petits romantiques : la morbidité des motifs est, en
quelque sorte, transcendée par l'éclat formel d'œuvres inspirées par des sculpteurs
comme Ernest Christophe (1827-1892), des peintres et des graveurs comme Hendrik
Goltzius (1558-1617), ou l'anatomiste Vésale (1514-1564). Et c'est cette puissance
exercée sur l'imagination qui vaut à Baudelaire ce qui sera épargné à des poètes
mineurs: un procès ( 1857) et une condamnation pour «immoralité» entièrement
fondés sur des sous-entendus fabriqués par la bourgeoisie bien-pensante.
Le réalisme littéraire au XIX' siècle est moins facile à définir que le naturalisme,
étayé sur des textes théoriques connus. Sur le mode restrictif, il désigne un cou-
rant parti de la peinture entre 1848 et 1855. Plus largement, on peut considérer
qu'il qualifie une longue évolution du roman, sensible depuis le XVIW siècle.
1. la tradition réaliste
~ De l'imitation au réalisme
De la Grèce classique au classicisme français, l'utilisation du «réel» comme modèle de
l'œuvre littéraire et artistique, selon le principe de la mimésis défini par Aristote, rend
la caractérisation du mot « realis » tiré du latin tardif difficile. Les composantes
majeures de la littérature, le récit et la description, se nourrissent dès l'origine du réeL
Dans les poèmes homériques, déjà, le détail prosaïque, voire cru et impossible à inven~
ter, permet au réel de s'inviter au milieu des histoires merveilleuses de dieux et de
héros. Ce sont les canons esthétiques et les bienséances morales qui, ensuite, établis~
sent une distance. Le réalisme en tant que principe littéraire désigne la volonté systé-
matique d'imiter le réel dans tous ses détails. Quand le terme apparaît en 1829 dans Le
Mercure de France puis en 1834 dans la Revue des Deux Mondes, avant de donner nais-
sance à un mouvement, il met l'accent sur une longue tradition. Il sert aussi de mot de
ralliement à tous les partisans d'une approche du réel par l'œuvre d'art, débarrassée des
oripeaux encombrants du romanesque et des excès du spiritualisme: il s'agit de rame-
ner sur terre une génération égarée par l'idéalisme romantique.
118
2. Deux précurseurs malgré eux
119
Le réalisme et ses contours
improbables {1848-1865)
Victime de la connotation péjorative immédiatement attachée à son nom, le
réalisme a été défini avec beaucoup de mesure par Jules Husson, dit Champfleury
(1821-1889), qui en fut le théoricien malgré lui. En fait, plus qu'une école, le
réalisme correspond à un moment historique où le champ des savoirs s'ouvre: la
primauté du contemporain s'impose et efface les frontières entre sciences et arts.
1. Scientisme et positivisme
Si le réalisme s'affiche en littérature dans les années 1850, c'est parce que la tradition
qu'il incarne répond à l'esprit d'une époque. Conquérante et sérieuse, la société de la
seconde moitié du XIXe siècle ne croit plus qu'à un seul mythe, justement parce qu'il se
présente comme une nécessité, celui du progrès. Non seulement les découvertes scienti~
fiques en physique, en physiologie, en médecine, sont nombreuses mais elles sont
mieux connues grâce à l'alphabétisation de la société et au développement de la presse à
gros tirages. De la théorie ondulatoire de Fresnel aux travaux sur l'hérédité ou la folie,
de la généralisation progressive du transport en chemin de fer à l'essor des banques et
des grands magasins, la science semble se confondre avec l'avenir, comme le soulignera
Ernest Renan (1823-1892) dans un texte célèbre. Sa légitimité est étayée sur le positi-
visme philosophique d'Auguste Comte (1798-1857): sa théorie des trois états, qui pré-
.sente dans un continuum l'évolution de la société, de l'état '<théologique» à l'état
,<scientifique», en passant par un état «métaphysique t>, invite à tout envisager, y compris
la littérature et l'art sous un angle scientifique ou du moins sérieux. Une sorte de
religion positiviste naît, qui voit dans la science la clé de l'action sociale et politique.
Cette quête de la vérité scientifique inscrite dans le réel et le contemporain réunit assez
facilement tous ceux que les promesses trahies de 1830 et surtout de 1848 n'ont pas
fait fuir dans <d'art pour l'art». Après l'échec des utopies, après le reniement anti-
démocratique, en 1850, de la Il' République qui se trahit elle-même, redonne de l'allant
aux notables et fait place nette pour le coup d'État de Louis Napoléon Bonaparte,
l'illusion lyrique de la grande génération romantique est retombée. On la ressent
comme un mensonge. Le réel, appréhendé «ici et maintenant», relègue les rêves, les
«ailleurs» du romantisme et la mythologie du passé dans le vaste sous-sol des espoirs
déçus. Champfleury résume très bien cet état d'esprit en acceptant plutôt qu'en reven-
diquant l'étiquette <'réaliste», dans la préface (1857) à un recueil d'articles intitulé
précisément Le Réalisme, qui résonne comme un manifeste :
«Que veut la génération actuelle? Le sait-elle? Peut-elle le savoir au milieu des tourmentes
sociales à travers lesquelles elle a fait une rude éducation?
Qu'il naisse tout à coup quelques esprits qui, fatigués des mensonges versifiés, des entêtements
de la queue romantique, se retranchent dans l'étude de la nature, descendent jusqu'aux da~ses
les plus basses, s'affranchissent du beau langage qui ne saurait être en harmonie avec les su;ets
qu'ils traitent, y a-t-il là les bases d'une école?>>
2. «Faire de l'art vivant»
Si aucun texte théorique n'annonce le mouvement, il impose, comme souvent, sa pré-
sence par un scandale: celui accompagnant l'exposition indépendante, en 1855, en
marge du salon officiel de la peinture, des œuvres du peintre Gustave Courbet ( 1819-
1877). Il est déjà connu pour son Enterrement à Ornans (1849), une toile qui présente
sans aucune référence à un modèle académique une scène «concrète de la vie». Le
catalogue de l'exposition réclame la liberté pour l'artiste de concentrer son art sur des
'<objets v}sibles » et sur des << choses réelles et existantes». Immédiatement étiqueté par
les tenants de la tradition académique comme '<chef de file de l'école du laid»,
Courbet comme Champfleury, en qui Baudelaire voyait une incarnation du roman-
tisme, subit plus qu'il ne choisit d'être réaliste. Mais le scandale donne corps au mou-
vement: c'est dans l'atelier de Courbet, au cafe Mornus ou à la brasserie Andler, que se
réunissent, entre 1848 et 1850, les adeptes du réalisme.
C'est dans les milieux de la bohème littéraire dont Henry Murger (1822-1861) a décrit
les dérives, dans ses premières Scènes de la vie de bohème (1848) de façon concrète,
mais sans éviter l'emphase et le pathos, qu'on trouve les sympathisants du réalisme.
Champfleury reprend le thème de la bohème, en refusant tous les effets de style, dans
Les Aventures de Mademoiselle Mariette ( 1853 ), et poursuit dans d'autres récits, bourrés
de détails, son observation d'un quotidien sans relief dont il ne dissimule pas la
médiocrité. En 1856, son ami Edmond Duranty (1833-1880) fonde la revue Le Réalisme
qui le transforme en théoricien. Mais, s'il défend, par exemple, les peintres impres-
sionnistes, ses romans ne donnent pas d'épaisseur au mouvement. En tant que
groupe, le réalisme éclate rapidement. Le procès intenté, à cause de son «réalisme»
jugé immoral, en 1857, à Flaub_ert, instruit la même année et par le même procureur
que celui de Baudelaire, ajoute un vrai scandale aux résistances de la bourgeoisie bien-
pensante, qui refuse de voir s'étaler dans le roman sa médiocrité triomphante et
injuste. Champfleury n'apprécie pas la morbidité des thèmes choisis par les frères
Goncourt et le mouvement s'essouffle autour de 1865 non sans avoir affirmé quelques
principes, appelés à durer.
Après Balzac et avant Zola, les grandes fictions reflètent un certain nombre de choix
communs qui ne sont d'ailleurs pas présentés comme des contraintes mais répondent à
une volonté et à des refus. De plus en plus, les intrigues congédient le romanesque au
bénéfic~ d'un vraisemblable donné pour réel. Le souci de faire une œuvre objective
appelle une documentation et une méthode rigoureuses, soutenues éventuellement par
une caution scientifique dans le contenu ou dans la démarche, même si on est encore loin
du roman à thèse. D'ailleurs, Duranty et sa revue conseillent à l'écrivain réaliste de préfé-
rer la description de microStructures sociales qu'il connaît bien à la peinture de grandes
fresques sur le mode bJlzacien. Niais Duranty peine à définir une écriture réaliste: il pré-
conise un style .simple, sans aucune recherche, refuse le lyrisme mais joue sur les émo-
tions et lès sentiments d'un large public pour transmettre sa vision du réeL Dans ce flou,
c'est en dehors du mouvement que le réalisme sera à la fois absorbé et surmonté.
121
Flaubert, ou l'art
de surmonter le réalisme
Sans le procès qui suivit la publication de son roman ,Madame_ Bov~ry, :a
question du ,, réalisme» de Flaubert ne se serattpeut-etre Jamms pos~e: s z:
travaille le même matériau que les romaneters realtstes, son umvers reszste a
toute étiquette.
122
2. l'écriture comme tral'lsfigural:iol'l du réel
C'est sans enthousiasme et pour répondre à une nécessité que Flaubert choisit un sujet
emprunté à la médiocrité du quotidien tel que les affectionnent les romanciers réalistes.
Il recourt à leurs méthodes pour explorer le mal dont il veut restituer la profOndeur à
travers son personnage féminin : il prend appui, après Stendhal, sur au moins un fait
divers, sans doute deux; il se déplace sur le terraln normand du roman à construire, lit
des ouvrages scientifiques et recueille une énorme documentation. Cependant, sa visée
est bien différente de celle du groupe: s'il s'agit d'observer le monde<' comme les
myopes, jusque dans les pores du réel», Flaubert est peut-être réaliste. Mais, si le réa-
lisme désigne une représentation mimétique du monde, attentive jusqu'à la fascination
au misérable et au morbide, et se veut plus une science qu'un art, il s'en sépare absolu-
ment Car là où le romancier réaliste et naturaliste fait du document le socle de son récit
et privilégie le détail exceptionnel et frappant, Flaubert trie sa matière, la sélectionne et
réorganise son projet au fil des scénarios, des plans, des carnets et des brouillons, pour
qu'elle se fonde dans le style sans être vue. Peu à peu, la description, la variété des points
de vue, la retenue du style, la caractérisation subtile des situations, des décors et des
personnages prennent le pas sur l'histoire : la tragédie d'une femme qui a trop lu et pas
assez vécu, dans les coulisses d'une morne province. L'adultère se cache derrière la
description d'un comice agricole ou d'une promenade en calèche, tuant le romantisme
des âmes en le ramenant à la médiocrité de la vie bourgeoise en province. Malgré cette
économie de moyens, le seul événement exceptionnel décrit sans concession par le
roman, le suicide de l'héroïne, suffit à déclencher les foudres de l'opinion conservatrice.
Quelques mois avant de faire condamner Baudelaire, les explications de texte du
procureur Pinard au cours du procès intenté à Flaubert tentent de persuader le public de
l'immoralité de l'ouvrage. La polémique enfle mais le romancier est acquitté et .les
lecteurs, enthousiastes. Grâce ~1 son écriture, l'œuvre surmonte la médiocrité de son
sujet. Emma Bovary devient un type et la malédiction, féminine, mais surtout univer-
selle, qui la ronge, accède à l'éternité artistique sous le nom de« bovarysme».
Avant d'être revendiqué comme le maître des grands romanciers des siècles suivants,
Flaubert, qui a mis cinq ans à écrire Madame Bovary, consacre autant d'efforts à L'É'du-
cation sentimentale. Son antihéros y incarne une <' génération perdue», celle dont les
rêves se sont enlisés en 1848. L'échec public du roman n'enlève rien à sa puissance: le
temps s'y dilate à la dimension des ambitions et des rêves déçus. Le style fait revivre, avec
ce qu'il faut d'ironie et de distance, dans les frémissements étouffés du style indirect lîbre,
le grand amour de Flaubert
Dès la genèse de Madame Bovary, la correspondance de Flaubert nous permet de le
situer par rapport au mouvement réaliste, qu'il n'a ni méprisé, ni soutenu. Il affirme
qu'« il faut partir du réalisme pour aller jusqu'à la beauté l> et écrit, le 30 octobre 1856,
à Edma Roger cles Genettes:
«On me croit épris du réel tandis que je l'exècre; car c'est en haine du réalisme que j'ai entrepris
ce roman. Mais je n'en déteste pas moins la fausse réalité dont nous sommes bernés par le
temps qui court.>>
Le roman moderne dont Flaubert a créé le paradigme est donc l'héritier, bien éman-
cipé, des deux grands courants du XIXc siècle: le romantisme et le réalisme.
123
L'œuvre et l'influence
des frères Goncourt
Malgré le rôle important qu'ils ont joué dans la vie littéraire de leur temps, on
ne lit pratiquement plus les œuvres des frères Goncourt. Entre réalisme et
naturalisme, ils ont cependant compris les pouvoirs du roman mais leur projet
d'« écriture artiste>> est un échec.
124
~~Le peuple, la canaille a pour moi l'attrait de populations inconnues et non découvertes,
quelque chose de l'exotique que les voyageurs vont chercher dans les pays lointains.»
Contrairement à Zola plus tard, la passion des frères Goncourt pour la physiologie ne
débouche sur aucune ambition scientifique et ne vise pas les progrès de la société. Leur
goùt pour les« choses vues» est sans rapport avec le messianisme hugolien et ne préfi-
gure pas la générosité de Zola.
125
la naissance du naturalisme
et le premier zola {1865-1875)
Courant clairement défini par plusieurs textes théoriques, le naturalisme
manque singulièrement d'aura dans l'histoire littéraire: le principal mérite
reconnu à Émile Zola, qui en a rédigé la théorie, appliqué les règles et porté le
mouvement, est d'avoir échappé, dans sa maturité, à son propre credo.
126
étant posées, le phénomène ne peut pas ne pas se produire», donne sa base à la vision
naturaliste du monde. On y retrouve également le pessimisme d'Arthur Schopenhauer
(1788-1860), qui inscrit l'homme dans un mouvement du monde qui l'englobe, le
dépasse et limite son libre arbitre.
2. un mouvement miltant
C'est grâce à l'action de Zola qui, par sa curiosité scientifique et ses lectures, va
d'abord· créer des liens entre réalistes et naturalistes que naît le groupe, hors de tout
manifeste fondateur. Tout en publiant ses romans, il engage de vigoureuses campagnes
de presse et constitue peu à peu les bases théoriques du mouvement. Après des années
de tâtonnements, le succès de scandale d'un de ses premiers chefs-d'œuvre,
l'Assommoir (1877) fait entrer le mouvement dans son âge d'or (1876-1880). Plus tard
(1880-1893), l'élan créatif des débuts se transformera en un système perturbé par les
divisions d'un groupe longtemps solidaire et la prééminence de Zola qui publie ses
œuvres à un rythme impressionnant. Mais dans un premier temps, le futur auteur des
Rougon-Macquart qui se cherche alors comme écrivain, trouve dans la préface de
Germinie Lacerteux un écho à son attente d'une écriture en phase avec le progrès. Dès
1865, il donne au Salut public de Lyon un article favorable au roman des Goncourt,
suivi de plusieurs autres parus dans le recueil Mes Haines ( 1866). Il établit le lien avec
le milieu de la peinture dans un autre recueil de critique d'art, Mon Salon, publié la
même année. Grâce à son éclectisme de journaliste partiellement autodidacte, Zola,
rudement formé chez Hachette, connaît déjà le pouvoir de la presse et en proclamant
que la servante Germinie, à la double vie sulfureuse, est <<fille de notre siècle», il fait
du bruit. La parution de son premier roman, Thérèse Raquin (1867), qui affirme déjà
des visées scientifiques, suscite la polémique dans le prolongement du soutien que
Zola apporte à Manet, attaqué pour sa toile Olympia (1863).
Ces prises de position courageuses l'introduisent auprès d'écrivains reconnus. Il
rencontre Paul Alexis, qui deviendra un des plus fidèles membres du groupe et dîne
chez les frères Goncourt. Parallèlement, la lecture des études sur l'hérédité de méde-
cins comme les docteurs Lucas, Morel ou Moreau l'aide à construire un projet d'« his-
toire naturelle ct sociale d'une famille sous le Second Empire» qui veut concurrencer
La Comédie humaine de Balzac: à partir d'un personnage initial fou, il entreprend
d'écrire la destinée, dans tous les milieux, des deux branches de cette famille. Le but de
Zola est d'illustrer le double déterminisme exercé sur ses personnages par les lois de
l'hérédité et les mécanismes d'une société dont il a, pendant une jeunesse pauvre et diffi-
cile, ressenti la variété ct la complexité. Le premier des vingt volumes de cet ensemble
qui illustre dans les figuies d'une combinatoire entre innéité et hérédité la théorie ini-
tiale, La Fortune des Rougon, sort en 1871: il rencontre alors Flaubert, qui apparaît
comme la figure tutélaire, lointaine et bienveillante du groupe, et publie La Curée
(1872), Le Ventre de Paris (1873), La Conquête de Flassans (1874). Au groupe des cinq
auteurs ~ Flaubert, Daudet, Tourgueniev, Goncourt - qui se réunissent au café Riche
s'ajoute celui des dîners du Bœuf nature, où se retrouvent d'autres écrivains amis
comme Numa Coste, François Coppée, Philippe Solari. Le mouvement conquérant
semble dominer tout un domaine de la production littéraire, celui de la fiction en prose.
127
le triomphe
du naturalisme
Avec la publication de L'Assommoir, l'énergie productrice de Zola et son sens
de la publicité fédèrent le mouvement qui séduit les jeunes talents en quête de
nouveauté et de reconnaissance. Les manifestations publiques et les textes
théoriques se succèdent avant d'aboutir au recueil des Soirées de Médan, un
florilège du naturalisme.
Î28
mœurs parisiennes (1878), est déjà fort connu: il choisit des sujets contemporains et les
traite en styliste. C'est plus un ami qu'un véritable membre du groupe. Quant à Jules
Vallès (1832-1885), il n'est proche de Zola et des naturalistes que par sa révolte contre
la société. Son observation du monde n'a rien de neutre ou de scientifique. L'élan qui
pousse Vallès vers le peuple se nourrit des échecs de sa vie personnelle et d'une amer-
hune qui le rapproche, un temps, de Baudelaire. Journaliste et critique, il fonde sa
propre feuille, Le Réfractaire, qui ne vivra que le temps de trois numéros. Ce titre
résume les choix de ce combattant de la Commune qui publie, en plein essor du
naturalisme, le premier volume de sa trilogie autobiographique, L'Enfant (1879),
Le Bachelier (1881) et L'Insurgé (1886).
129
Du Roman expérimental
à la suprématie de Zola
Obsédé par le désir d'affiner une théorie qu'il sera le seul à mettre en pratique,
Zola éclipse dès 1880 les autres membres du groupe naturaliste par sa capacité
de travail et ses succès. Mais san œuvre échappe à san ambition théorique
pour créer de grands mythes.
131
Les crises du naturalisme:
dissidences et critiques
Si Huysmans manifeste un désir légitime d'auteur, celui d'« ouvrir les fenêtres)), ce
sont des querelles moins nobles qui se trament ailleurs, sans doute du côté des cercles
respectifs d'Edmond de Goncourt et d'Alphonse Daudet. Tous deux sont proches
d'une bourgeoisie aux goüts conservateurs, attachée à la poésie classique et scandalisée
par sa découverte des mœurs populaires: jaloux de la suprématie de Zola, ils encouragent
discrètement une rébellion des jeunes auteurs. L'attaque est suscitée par la parution de
La Terre. Le 18 août 1887, Paul Bonnetain, Lucien Descaves, Gustave Guiches, Paul
Margueritte et J.-H. Rosny, qui ne passeront pas à la postérité, publient dans Le Figaro
132
une charge violente, en forme de pamphlet, contre le roman et son auteur. Après avoir
exprimé une « déception profonde et douloureuse>), ils précisent:
«Non seulement l'observation est superficielle, la narration commune et dépourvue de
caractéristiques, mais la note ordurière est exacerbée encore, descendue à des saletés si basses
que, par instants, on se croirait devant un recueil de scatologie. Le Maître est descendu au
fond de l'immondice. >)
Au-delà du prétexte fourni- le roman est loin d'être un des meilleurs du cycle-, la
conclusion du texte scelle la fin de 1' « aventure» et la rupture avec Zola.
2. le naturalisme en procès
En réalité, tout exposait le mouvement à de violentes critiques: la personnalité de
Zola, l'adhésion du groupe à l'idée de Progrès comme à la République qui est loin de
faire l'unanimité dans la bourgeoisie d'affaires et la noblesse mondaine, et la notion
même de littérature utile et tournée vers le peuple. Les premières attaques viennent de
la plume polémique et brillante de Jules Barbey d'Aurevilly (1808-1889), figure du
dandysme et romancier atypique, qui raille sans pitié un projet étranger à sa vision des
lettres. Dès 1882, Ferdinand Brunetière (1849-1906), critique et professeur, pionnier
de l'histoire littéraire qu'il structure entièrement autour de l'idéal classique, condamne
Zola et le naturalisme dans des études intitulées Le Roman naturaliste. Déjà très sévère
à l'égard de la modernité baudelairienne et de «l'art pour l'art)>, ce maître exerce une
grande influence: son cours à la Sorbonne est très suivi, y compris par les femmes de
la noblesse et de la grande bourgeoisie, et sa condamnation précoce ne contribue pas
peu à transformer Zola en auteur sulfureux. Pour lui,« [si] M. Zola manque de goût et
d'esprit, comme il manque de finesse psychologique, c'est que M. Zola manque de
sens moral>>. Ce jugement lapidaire donne 1e ton du procès: on ne critique pas ce qui est
littérairement contestable dans !e naturalisme, c'est -à-dire la primauté absolue accordée
à la fiction au détriment de la poésie, l'idée que l'art et la littérature peuvent obéir
comme les sciences au mouvement du progrès, on intente au mouvement et surtout à
son chef un procès en immoralité. On reproche au naturalisme d'avoir dévoilé l'arrière-
cour de la société bourgeoise, l'envers de la vie d'artiste, la sujétion des femmes, la réa-
lité du monde ouvrier. L'analyse des névroses que certains auteurs naturalistes abordent
avec complaisance dérange l'ordre moral: au moment où Zola, impavide face aux cri-
tiques, poursuit le cycle des Rougon-Macquart, le public mondain se passionne pour les
romans d'évasion exotique de Pierre Loti (1850-1923) comme Aziyadé (1879) ou
Madame Chrysanthème ( 1887), puis pour les romans dit d'« analyse psychologique» de
Paul Bourget (1852-1935) comme Un crime d'amour (1886).
La critique du naturalisme s'inscrit surtout dans le contexte politique d'une
IIIe République qui prolonge l'ordre moral et tente de se réconcilier avec l'Église pour
se légitimer dans des milieux qui lui sont traditionnellement hostiles. Rejeter le natu-
ralisme revient plus largement à liquider le positivisme, à en finir avec l'influence
d'Auguste Comte et de Taine, à discréditer le scientisme et tous les matérialismes. Il
s'agit de réhabiliter le sacré, de favoriser l'équilibre entre le pouvoir politique et le pou-
voir religieux. Mais, malgré la vigueur des attaques, le courant naturaliste continue à
s'exprimer jusqu'à la fin du siècle, même si le symbolisme peut apparaître comme une
réaction spirituelle et formelle au mouvement.
133
Maupassant
et l'illusion réaliste
D'abord fils spirituel de Flaubert, Maupassant (1850-1893) doit sa célébrité à
la famille naturaliste, dont il ne partage pas l'idéologie. Entre réalisme et
naturalisme, il énonce une conception mesurée du roman, dégagée de
l'emprise naturaliste.
1. Un conteur prolifique
Réfractaire par nature à tout embrigadement dans une école, Guy de Maupassant vient
à la littérature par des voies diverses: fils malheureux d'un couple désuni, élève rebelle,
il bénéficie de la protection des écrivains amis de son oncle maternel Alfred Le
Poittevin, Louis Bouilhet et surtout Flaubert. Malgré des débuts dans la vie difficiles,
marqués par la défaite de 1870, qu'il subit dans l'armée, puis par un emploi de commis
au ministère de la Marine (1872- 1880), il écrit dans tous les domaines et publie facile-
ment dans les journaux dès 1875 des textes brefs, étiquetés sans distinction contes ou
nouvelles, dans lesquels il manifeste une efficacité narrative, un sens du rythme et de
l'oralité propre à l'art du conte. Ses thèmes sont empruntés à son univers familier -la
Normandie et ses paysans, le milieu déprimant des ronds-de-cuir fréquenté profes-
sionnellement, le demi-monde des viveurs et des filles faciles, et l'univers des cano-
tiers, qu'il rejoint chaque dimanche pour naviguer sur la Seine et dépenser une énergie
mal employée. Si les sujets qu'il traite le rapprochent du naturalisme, ses premiers
essais incitent Flaubert à le faire travailler: dans la préfa_ce de Pierre et jean (1887),
Maupassant évoque ses rendez-vous hebdomadaires avec le maître, qui le stimule par
ses critiques et lui conseille de délaisser le théâtre et la poésie.
Grâce au succès triomphal de <<Boule-de-Suif))' le meilleur texte des Soirées de Médan,
Maupassant se consacre entièrement à la littérature sans se lier vraiment au groupe
naturaliste. Sa production est impressionnante : plus de 300 contes et nouvelles jalon-
nent une carrière aussi courte que brillante, soutenue par le succès constant de ses
œuvres, mais minée par la syphilis, les obsessions, la quête amoureuse jamais achevee
et un pessimisme profond et viscéral. Plus encore que le groupe naturaliste, il est
influencé par le déterminisme pessimiste de Schopenhauer: il ne croit ni à la famille, ni
à la société, ni à la religion, qu'il peint avec un détachement féroce. Lamour se réduit
pour lui à l'instinct sexuel, vu comme un leurre de la nature, destiné à perpétuer
l'espèce humaine. Au cœur de toutes ses intrigues, on trouve 1' argent et l'intérêt qui
entretiennent bassesse, hypocrisie, intolérance, et assurent le triomphe des médiocres.
Mais le narrateur qui fait entendre sa voix dans des récits enchâssés et observe ses per-
sonnages d'un regard cruel souligne aussi l'ironie de la vie, ses malentendus et ses fugi-
tifs instants de bonheur dont le souvenir peut habiter toute une vie comme dans Une
partie de campagne (1881) ou la détruire totalement, comme dans La Parure (1892).
L'originalité d'un style qui refuse l'artifice de l'écriture artiste mais s'impose une trans-
parence exigeante et flaubertienne donne vie à ses personnages par des emprunts
savamment dosés au dialecte normand, qui reflète un certain fatalisme.
134
2. Maupassant et l'art du roman
Maupassant publie ses contes et nouvelles au rythme d'un recueil par an de 1881 à
1890 mais n'oublie jamais de rappeler, dans ses Chroniques, sa dette envers les
«maîtres» que sont pour lui Haubert, Zola et Edmond de Goncourt. Il aborde cepen-
dant le roman, genre dont tout écrivain attend alors la consécration, sans référence
directe à ses modèles: habitué à saîsir sur le vif ce qui l'intéresse dans des milieux qu'il
connaît bien, indifférent à toute ambition scientifique et sans aucune préoccupation
sociale, il ne se fonde sur aucune documentation autre que son observation. En 1882, il
écrit danS le journal Le Gaulois :
«Et d'abord, en principe, je déclare que je croîs tous les principes littéraires inutiles. L'œuvre
seule vaut quelque chose, quelle que soit la méthode du romancier.))
Les personnages et les intrigues de se.<; romans amplifient, avec un traitement habile de
la narration, du temps et de la description, la thématique de ses nouvelles: mensonges
et trahisons familiales et amoureuses, désillusion fataliste ou rouerie chez les femmes,
arrivisme et cynisme chez les hommes. Le destin pathétiquement végétatif et banal de
l'héroïne d'Une vie (1883) est détaillé par étapes et ciselé au scalpel. Le succès de ce
premier roman est partiellement dû au scandale créé par le refus de tout jugement
moral chez le narrateur. Bel-Ami (1885) décrit l'ascension sociale d'un sous-officier
sans scrupules dans les milieux de la presse, de la banque et de la politique. Mais, si la
trajectoire du héros Georges Duroy ressemble à celle de Julien Sorel ou d'Eugène de
Rastignac, il s'agit d'un homme fait et son parcours calculé n'est plus un apprentissage.
C'est dans une longue préface à une de ses œuvres les plus personnelles, Pierre et jean,
que Maupassant formule son art du roman. À la recherche de la vérité il oppose le
souci de faire vrai, persuadé que« chacun de nous [ ... ] se fait une illusion du monde,
illusion poétique, sentimentale, mélancolique, sale ou lugubre suivant sa nature. Et
l'écrivain n'a d'autre mission que de reproduire cette iUusion avec tous les procédés
d'art qu'il a appris et dont il peut disposer)) avant de conclure que «les Réalistes de
talent devraient s'appeler plutôt des Illusionnistes)),
Il serait d'autant plus imprudent d'enrôler Maupassant sous la bannière du natura-
lisme qu'une part importante de son inspiration relève d'une veine fantastique et
macabre, esquissée très tôt dans ses nouvelles. Sous la forme d'un journal intime,
Le Horla (1887), un récit entre nouvelle et roman, restitue la dépossession d'un homme
progressivement détruit et condamné au suicide par la présence d'un être imaginaire
qui se substitue à lui. Cette interrogation sur sa propre identité, qui préfigure la
démence dans laquelle Maupassant, interné après un suicide manqué, achèvera sa vie,
donne un ton nouveau au fantastique, annonçant le développement de ce registre au
xxe siècle. Enfin, dernière preuve de la souplesse d'un écrivain, aujourd'hui fréquem-
ment adapté au cinéma, ses deux derniers romans, fOrt comme la mort ( 1889) et
Notre cœur ( 1890), recourent à l'analyse psychologique pour aborder respectivement le
thème du vieillissement de l'artiste et celui d'une passion amoureuse avortée entre
deux êtres trop dissemblables.
le naturalisme au théâtre
et le déclin du mouvement
D zola et le théâtre
En dépit d'échecs partagés avec ses amis du« Groupe des Cinq» (voir fiche 48), Zola a
consacré beaucoup d'énergie au théâtre. Critique dramatique lui-même, îl attache
énormément d'importance, entre 1873 et 1888, à l'adaptation de ses grands romans au
théâtre comme Thérèse Raquin, L'Assommoir, Nana ou Germinal. Son obstination
s'explique par l'importance du théâtre dans la vie sociale et culturelle de son temps et
sa volonté d'imposer la modernité en ce domaine. Dans le recueil de ses articles dra-
matiques regroupés sous le titre Le Naturalisme au théâtre (1880), il réaffirme que le
naturalisme« est l'expression du siècle et, pour qu'il périsse, il faudrait qu'un nouveau
bouleversement transformât notre monde démocratique>>. Conscient du caractère
désuet des conventions en usage, il plaide pour une adaptation du genre à son époque,
c'est-à-dire à la ii passion du vrai et du réel>> qui s'inscrive dans les sujets, les décors, les
costumes et la mise en scène. Il écrit:
«Je me demande [ ... ] si un auteur ne saura pas tourner les conventions scéniques, de façon
à les modifier et à les utiliser pour porter sur la scène une plus grande intensité de vie >1.
137
• Symbolisme
.Décadence
(1880- 890)
De l'esprit décadent
au symbolisme
Avant que le symbolisme ne se reconnaisse dans une véritable théorie, l'esprit
décadent se manifeste contre le naturalisme et en marge du Parnasse. Ces deux
tendances correspondent à une vision de la civilisation et de l'art qui
s'épanouit dans la conjoncture <<fin de siècle>>.
1. le mythe de la décadence
Sous l'influence du positivisme, la seconde moitié du xrxc siècle voit dans le progrès le
signe d'un mouvement continu et civilisateur de l'Histoire, omniprésent dans le cou-
rant naturalîste. Mais cette thèse trouve, dès le début du siècle, ses contradicteurs.
Dans une vision cyclique de l'Histoire, l'historien anglais Gibbon, reprenant une idée
de Montesquieu (voir fiche 23), a consacré un long ouvrage, Histoire de la décadence et
de la chute de l'Empire romain, traduit en 1828 par François Guizot, à une théorie des
civilisations: Rome devient le modèle mythique de la grande civilisation qui, après avoir
renoncé à ses vertus «républicaines;;, a opprimé le peuple en abandonnant le pouvoir
à une dynastie d'empereurs tyranniques et dégénérés. La perte de la discipline militaire
et celle de l'énergie civilisatrice de Rome ont alors, selon Montesquieu et Gibbon,
ouvert les frontières aux invasions barbares. Cette représentation de la décadence diffuse
ainsi, à la fin d'un siècle mouvementé, la vision d'un monde en pleine déliquescence,
asservi à des plaisirs corrupteurs. Le peintre académique Thomas Couture ( 1815-1879),
fidèle au goût de l'ordre bourgeois, obtient un grand succès, en 1847, au moment oü
l'effervescence romantique retombe, pour une immense composition, Les Romains de
la décadence, qui joue sur les fantasmes appelés à devenir les poncifs du thème: cou-
leurs flamboyantes, ramollissement des mœurs, primauté des plaisirs, orgies, repli
individualiste sur les arts et les lettres envisagés dans un raffinement extrême. La
débâcle de Sedan en 1870 et la chute du Second Empire raniment évidemment ce
mythe dans un siècle finissant qui ne se remet pas de ses débuts glorieux. Le mythe de
la décadence semble mettre en scène l'envers du progrès, l'échec de la modernité, le
prix à payer pour une fièvre scientiste qui a fini par lasser et la confusion des valeurs.
Le mot «décadence», doublet linguistique du mot «déchéance;>, formé sur la racine
qui signifie «chute>> en latin, revêt alors une connotation péjorative dont quelques
écrivains et artistes s'emparent pour transformer cette idée d'épuisement en catégorie
esthétique. L'image de la confusion cède la place à celle de la profusion. Contre la
rigueur des systèmes, le déclin d'une civilisation offre une abondance de sensations: il
s'agit de jouir en artiste des plaisirs raffinés et mélancoliques qu'inspire un monde en
train de disparaître, pour mieux refuser la modernité et la société industrielle. Cet
esprit<< fin de siècle» s'exprime d'abord dans la peinture: on se tourne vers la repré-
sentation nostalgique des villes mythiques déchues de leur gloire, Byzance et Babylone,
et des empires disparus comme celui d'Alexandre, qui inspire le peintre Gustave
Moreau (1826-1898). Dans cette atmosphère qui traverse l'Europe culturelle, on fait
140
revivre la figure symbolique de l'empereur romain Héliogabal (293-222 apr. ).-C.),
mort jeune après avoir concentré sur sa personne, mais avec élégance, tous les vices
prêtés aux dynasties dévoyées, de Caligula à Commode. Sa variante féminine,
Hérodiade, inspirera Mallarmé. Pour les artistes décadents, le jeune roi Louis II de
Bavière et, en France, le marquis de Montesquiou, incarnent cette figure de l'« esthète
excentrique» qui caractérise l'esprit «fin de siècle». Robert de Montesquiou, avant de
devenir un des modèles de Proust, pourrait bien, dit -on, avoir été celui de l'antihéros
Des Esseintes, paradigme du personnage décadent conçu par Huysmans.
141
les origines
du symbolisme
142
symbolique des peintres qu'il aimait et que, le premier et le seul en France, il comprit
le sens de la musique de Wagner. Son influence sur le symbolisme est évidente: là où il
privilégie l'image et la comparaison, ses héritiers déclarés utilisent le symbole.
143
une musique symboliste:
verlaine
Par l'habileté avec laquelle elle absorbe les courants venus d'ailleurs, la poésie
de Verlaine se tient à l'écart, mais sans hostilité, de toutes les écoles. Fidèle à sa
musique, le poète se nourrit des audaces de Rimbaud, son cadet de dix ans,
avant d'influencer à son tour les symbolistes.
144
2. un «art poétique» plus verlainien que symboliste
~ Le tournant de jadis et Naguère
Par une sorte de malentendu, la parution en pleine fièvre décadente, du recueil Jadis et
Naguère (1884) a fait apparaître le poème «Art poétique)) comme une sorte de bré-
viaire du symbolisme naissant. Or, ce texte a été composé en 1874, au lendemain de
l'équipée tragique avec Rimbaud dont Verlaine a tiré non pas une théorie mais une
définition de ses moyens d'expression personnels. En choisissant «de la musique avant
toute cliose », il refuse l'évidence d'un lexique démonstratif. La préférence accordée à
des mots choisis «non sans quelque méprise>> le situe dans la proximité des symbo-
listes puisque, selon Philippe Van Tieghem, «c'est dans le halo d'un mot d'apparence
inexacte que réside la puissance poétique>> du symbolisme. L'écart reste mesuré
puisque Verlaine se tient à distance des extrêmes: il rejette aussi bien le trivial et le gro-
tesque occasionnellement prisés par Rimbaud que la rhétorique emphatique. Enfin,
cet art poétique défini en ennéasyllabes, vers de 9 syllabes, privilégie le choix du mètre
impair, «plus vague et plus soluble dans l'air>> qui se décline en pentamètres ou en
hendécasyllabes (Il syllabes): car Verlaine refuse aussi le carcan de l'orthodoxie
métrique remise à la mode par le Parnasse. Cet« art poétique>> érige en fait en principe
ce que le poète a toujours manifesté par intuition: le goût de «l'Indécis» joint au
«Précis» dans le lent adagio d'une «chanson grise>>: les paysages y sont voilés et les
personnages esquissés comme des silhouettes, dans un univers brouillé que la sensibilité
du poète fait accéder à la profondeur.
145
La quête
de Mallarmé
Stéphane Mallarmé travaille depuis des années à la construction de son propre
langage poétique lorsque Verlaine et Huysmans célèbrent en lui l'incarnation
de la poésie nouvelle. La parution du Manifeste de 1886 confirme son rayon-
nement sans interrompre une quête radicale et sans fin.
146
2. la quête infinie de l'Idée et du mot
C'est au moment où sa poésie devient de plus en plus hermétique que Mallarmé, ins-
tallé à Paris depuis 1869, accède à une véritable notoriété et anime dans son salon de la
rue de Rome, à partir de 1877, une réflexion poétique, élégante et généreuse, qui
constitue le socle du mouvement symboliste. Professeur malgré lui, il récusera plus
tard toute autorité de <<chef d'école t>, arguant de son seul intérêt <<pour les idées des
jeunes gens», et il affirme alors ce que sa poésie suggère:
<<Pour moi, le cas d'un poète, en cette société qui ne lui permet pas de vivre, c'est le cas d'un
homme qui s'isole pour sculpter son propre tombeau.»
Tandis que, pour rendre hommage à ses maîtres, Mallarmé renoue avec le genre du
«tombeau» poétique, c'est sans doute cette réclusion ascétique qui permet à
Huysmans de le citer comme la figure << la plus consommée et la plus exquise,, de
l'esthétisme décadent, s'exprimant dans une «langue adhésive, solitaire et secrète"·
C'est de cette dissolution du réel comparé dans le comparant poétique que naîtra la
poésie du _xxe siècle.
L'esthétique
symboliste
La date de 1886, arbitraire pour désigner une aspiration portée pendant deux
décennies par les héritiers de l'Idéal baudelairien, permet de faire le point: le
Manifeste de Moréas structure le mouvement. La même année, le Traité du
verbe de René Ghil dégage une synthèse théorique.
De l'influence parnassienne il retient le goût d'un langage recherché et suggestif qui tra-
duise en images la réalité du monde des Idées. Comme Mallarmé, îl récuse les néolo-
gismes farfelus chers aux décadents et retient comme référence la langue française pré-
classique. Il préconise un style libre mais riche en ellipses et anacoluthes (ruptures de
construction). Il préconise une grande variété dans le rythme et l'harmonie, mais fon-
dée sur les ressources canoniques de la métrique, « dans un désordre savamment
ordonné». Comme Verlaine, il affiche une préférence pour les mètres impairs de 7, 9,
Il et 13 syllabes.
Spécialiste des «manifestes,,, Moréas devait, quinze ans plus tard, revenir, dans un autre
texte paru dans Le Figaro, sur certaines propositions à l'origine d'une école «romane)),
rattachée aux sources gréco-latines de la littérature. En 1886, son initiative débouche sur
une floraison de revues: Le Symboliste ne fera paraître que quatre numéros, La Vogue,
trente et un. Les symbolistes s'expriment aussi dans La Cravache et, à partir de 1889,
Le Mercure de France, pérennise leur élan. Malgré les accusations d'obscurité venues des
cercles conformistes dominés par l'influence de Paul Bourget, l'esthétique symboliste
rassemble assez largement ceux qui verraient bien la suprématie de la poésie rivaliser
avec l'empire du roman et non le supplanter: car le symbolisme répond aussi bien aux
attentes des naturalistes qui souhaitent exprimer une sensibilité qu'à celles des poètes
qui ne dédaignent pas d'observer le réel.
148
2. Le Traité du verbe
t De l'ambition au système
Le rôle de René Ghil (1862-1925) dans l'évolution du mouvement est paradoxal.
Entouré de l'aura flatteuse de l'Avant-dire de Mallarmé, son Traité du verbe (1887)
élabore une théorie de 1' écriture symboliste. Mais il s'écarte et de son maître et du sym-
bolisme lorsqu'il veut, dans En méthode à l'œuvre (1904), justifier la doctrine, au point
de conc~voir la poésie comme une science et le poète comme le futur manipulateur de
machines phonétiques.
La postérité a surtout retenu les formules de Mallarmé dans l'Avant-dire, qui affirme
l'autonomie, la singularité de la parole poétique qui échappe au poète:
«Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme
incantatoire, achève cet isolement de la parole.»
Et, dans le même texte, il donne l'exemple, demeuré célèbre, du mécanisme par lequel un
«fait de nature» devient «notion pure [... ] sans la gêne d'un proche ou concret rappel":
«Je dis: une fleur! et, hors de l'oubli où ma voix relègue aucun contour en tant que quelque chose
d'autre que les calices sus, musicalement se lève, idée rieuse ou altière, l'absente de tous bouquets. >>
souvent d'une phosphorescence pour surmener les paroxysmes; en la plénitude des ovations,
les cuivres sont rouges ».
Enfin, il élabore une théorie selon laquelle la versification et les différentes formes de
mètres ne font pas l'objet d'un choix mais participent aussi d'un grand Rythme uni-
versel: le vers se déploie en périodes inégales, condensées ou espacées en fonction de
l'Idée ou de l'émotion à transmettre. Si cette idée annonce les grands «versets" de
Claudel ou Saint-John Perse au xxe siècle, les prétentions «scientifiques >t de Ghil
résistent mal à la critique.
149
En marge
du symbolisme
t les excentriques
Dissonants plutôt que révoltés, quelque peu complaisants avec l'esprit «fin de siècle»
et l'image de "poète maudit» que l'époque affectionne, Charles Cros (1842-1888) ct
Tristan Corbière (1845-1875) combinent provocation et dérision avec une élégant:e
héritée de leurs amis du Parnasse. Charles Cros, fondateur du club des Hydropathes, et
grand ami des Zutistes, célèbre pour le monologue .du «Hareng saur t>, ~ui co?fine au,
canular, joue avec brio de la variété des formes poétiques dans son recueil Le Coffret dt
santal (1873) entre ironie, mélancolie et onirisme. Les Amours jaunes (1873) d<.:
Tristan Corbière se veulent délibérément parodiques. Le ton est plus sombre, la
démolition des urands élans romantiques se veut plus iconoclaste et la forme est nette·
ment plus décalée au point de valoir à l'auteur la double reconnaissance de Huysmans
dans A rebours et de Verlaine dans Les Poètes maudits.
150
~ les névrosés
Les poèmes de Maurice Rollinat (1846-!903) et Germain Nouveau (1851-1920)
poussent jusqu'à la caricature la langueur intellectuelle propre à l'esprit décadent.
Dans Les Névroses (1883), Rollinat, également membre du club des Hydropathes,
réécrit les Fleurs du mal en reproduisant les étapes de son modèle mais en forçant le
trait: de la première section, «Les Âmes», à la dernière, «De Profundis», l'itinéraire
esthétique et spiritualiste de Baudelaire se transforme en galerie des pathologies déca-
dentes. Affecté par des névroses, réelles cette fois, Germain Nouveau subit l'influence
de Rimbaud, dont il ne semble pas se remettre, puis celle de Verlaine. Alors qu'il est
interné' en 1891, ses poèmes ne paraîtront que plus tard: Savoir aimer (1904) et les
Valentines (posthume, 1922) sont dominés par une religiosité associée au goût de
l'étrange. Dans un contraste entre des images sereines et un rythme plus obsédant, il
ne parvient pas à se dégager de l'emprise de ses trois inspirateurs, Baudelaire,
Rimbaud et Verlaine.
151
deuxième génération
La
symboliste
La <<crise de vers» suscitée par la première génération symboliste a libéré des
talents peu connus aujourd'hui mais célèbres en leur temps. Ils attestent la
vigueur du mouvement et ses liens avec l'Europe et le Nouveau Monde.
~ un regroupement artificiel
Seul Maurice Du Plessys (1864-1924) a, avec Moréas, véritablement tenté de relever le
pari de cette «école romane » éphémère. De son Premier Livre pastoral ( 1892) à ses
Études lyriques (1896), il tente de se placer dans la tradition du poète grec Pindare
(v. 518-v. 438 av. J.-C.) et on retrouve aussi chez lui l'empreinte de Vigny. Les autres
adeptes de l'école, Frédéric Amouretti, Ernest Raynaud, Raymond de La Tailhède,
Lionel des Rieux, ont été vaguement regroupés autour d'un idéal d'ordre fondé sur
l'héritage gréco-latin et méditerranéen érigé en modèle. Le poète provençal Frédéric
Mistral, amoureux d'Homère et fondateur du Félibrige, un mouvement régional de
retour aux origines linguistiques de la Provence, est proche du mouvement qui va être,
en quelque sorte, récupéré par Charles Maurras (1868-1952): cet intellectuel positi-
viste adhère au mouvement par haine du romantisme, qu'il attaque d'une plume
habile. Son tempérament polémique et la suite de sa carrière passée de la poésie à la
politique - nationaliste, monarchiste, antidreyfusarde puis compromise avec le
fascisme - vont abusivement contribuer à «étiqueter» péjorativement une «école
romane» avant tout artificielle car sans réel projet.
Le poème en prose
et le roman poétique
Le symbolisme aura été, comme un écho dissonant à l'hégémonie déclarée du
roman réaliste et naturaliste, un mouvement essentiellement poétique. Sa
fécondité n'en a pas moins bénéficié à d'autres genres mal définis ou encore
mineurs qui acquièrent une véritable identité: c'est le cas du poème en prose.
Au-delà de cette vision spiritualiste de la prose poétique, le genre dans toutes ses
variantes, du fragment au conte, ne pouvait que séduire les symbolistes.
S'ils n'ont pas atteint un large public, les poèmes en prose de Mallarmé, les Strophes
artificielles (1888) de Rodolphe Darzens, les Reliques de Jules Tellier (1890 ), ont suffi-
samment brouillé les repères entre prose et poésie pour briser les cloisons étanches qui
séparaient les grands genres.
155
Le roman entre surnaturalisme
et spiritualisme
156
Pétri d'idéalisme, chrétien trop peu orthodoxe pour être catholique, il porte sur la réa-
lité un regard de refus et transmet au siècle suivant un peu de la quête d'absolu héritée
du romantisme allemand.
157
Théâtre et symbolisme
à l'orée du .xxe siècle
158
influent qu'îl est devenu en tant que secrétaire de La Nouvelle Revue française, l'impor-
tance du symbolisme (Introduction à Miracles, d'Alain-Fournier, 1922) :
«Je ne sais s'il est possible de faire comprendre ce qu'a été le Symbolisme pour ceux qui l'ont
vécu. Un climat spirituel, un lieu ravissant d'exil, ou de rapatriement plutôt, un paradis. 'lOu tes
ces images et ces allégories qui pendent aujourd'hui, pour la plupart flasques et défraîchies,
elles nous parlaient, nous entouraient, nous assistaient ineffablement [ ... ]. Nous ne
connaissions encore ni Mallarmé, ni Verlaine, ni Rimbaud, ni Baudelaire. C'était dans un
monde plus vague et plus artificiel construit par leurs disciples que nous nous mouvions, sans
soupçonner qu'il n'était qu'un décor qui nous cachait la vraie poésie».
159
Dadaïsme et surréalisme,
modernités dissidentes
Apollinaire, précurseur
du mouvement
Après le romantisme et le symbolisme, le mouvement surréaliste ne prétendra
pas seulement imposer un art mais aussi changer le monde: parmi les précur-
seurs qu'il revendique, il a salué en Guillaume Apollinaire le créateur inspiré
du mot« surréalisme)).
162
la culture classique et divers modes ou mouvements - une exaltation du monde
contemporain qui célèbre la poésie comme le lieu «du courage, de l'audace et de la
révolte». Signé par une pléiade de talents, le manifeste vante la violence et le progrès
technique associés à un éloge inattendu de la force et de la guerre.
2.
Dans l'immédiat avant-guerre, le projet d'Apollinaire rassemble les éléments épars
d'un art. poétique et d'une esthétique. En 1913, .il fait paraître L'Antitradition futuriste et
l'ensemble de ses textes critiques sous le titre Les Peintres cubistes, méditations ~sthétiques.
La même année, il réorganise son parcours poétique avec le recueil Alcools, dont
l'architecture complexe reflète son itinéraire personnel et sa maturation poétique.
Entre des unités thématiques repérables et des séries «éclatées», le poète déroule
autour d'un fil rouge lié à l'amour déçu et à la trahison un nouveau lyrisme et une
ambition conquérante. Du poème liminaire «Zone», fondé sur le choc déstructurant
de la modernité, à l'élan cosmique de «Vendémiaire», Apollinaire entraîne son lecteur
dans une géographie poétique étrange où l'ancien dialogue avec le nouveau, l'unité
avec la déchirure. Il use abondamment de la métaphore in absentia, qui stimule l'ima-
gination du lecteur. Le mouvement du recueil et les poèmes du feu évoquent la mort et
la renaissance du phénix, tandis que, presque par hasard, une poétique révolutionnaire
s'esquisse. Mots rares et noms propres, allusions culturelles multiples, bestiaire fan-
tastique, figures de la rue et nature romantique, mirage de la technique et du monde
urbain s'entrechoquent dans une grande variété métrique. Vers régulier et vers
libre, majestueux alexandrins et octosyllabes élégiaques, alertes comptines et brèves
complaintes suggèrent un univers divisé que le poète signe par l'ultime audace que
reprendront les surréalistes: la suppression de toute ponctuation.
Accédant à la notoriété sans renoncer à la dérision, le poète soutient le mouvement
l'« Esprit nouveau)), qui explore les virtualités poétiques du cinéma et de la photogra-
phie dans des registres inédits cosmopolites et cocasses. Engagé dès 1914, auréolé par
l'« étoile de sang» posée sur son front par une blessure et une trépanation, il approfon-
dit ses recherches formelles: il utilise le terme «surréalisme» dans une pièce bouf-
fonne, Les Mamelles de Tirésias, représentée en 1917. Avant d'être redéfini par André
Breton ( 1896-1966), le mot permet à Apollinaire de désigner une attitude poétique qui
transcende et multiplie le réel sans le masquer derrière le symbole. Dans une lettre à
Paul Dermée de mars 1917, il explique son choix placé sous le signe des grands voyants
poétiques, les romantiques allemands et Rimbaud:
<<TOut bien examiné, je crois en effet qu'il vaut mieux adopter surréalisme que surnaturalisme
que j'avais d'abord erriployé. Surréalisme n'existe pas dans les dictionnaires, et il sera plus
commode à manier que surnaturalîsme déjà employé par MM. les Philosophes.))
163
L'unanimisme
et fe groupe de l'Abbaye
Comme pour prouver que le XX' siècle serait <<poétique», deux tentatives de
regroupement s'opèrent entre la vague symboliste et la révolution surréaliste.
Beaucoup plus modestes et nettement moins durables, elles s'inspirent des
grands thèmes de la modernité, l'espace urbain, la modernité technologique et
la fragilité humaine, mais dans une veine spiritualiste.
~ La Vie unanime
Déjà auteur d'un Poème du métropolitain, Jules Romains exprime, dans La Vie unanime
(1908), sa fascination pour les lieux puissants, gares, théâtres, usines, moyens de transport
devant lesquels l'homme, fragile et solidaire, s'imprègne du« sentiment de la vie qui
nous entoure et nous dépasse)). Il écrit:
«Et le mélange de nos âmes identiques
Forme un fleuve divin où se mire la nuit.
Je suis un peu d'unanime qui s'attendrit.
Je ne sens rien sinon que la rue est réelle,
Et que je suis très sûr d'être pensé par elle.»
Entre utopie et poésie, l'unanimisme prétend créer entre les hommes une communion
spirituelle qui concurrence, dépasse et remplace la présence de Dieu. C'est ce que sug-
gèrent son Ode à la foule (1909) et, surtout, Un être en marche (1912) où la flânerie
dans Paris le conduit à guetter tous les signes de cette âme collective. Cet élan envers
les foules, célébré sur le mode incantatoire et lyrique, aboutit à un Manuel de déification
164
(1910) peu convaincant mais qui traduit sur le mode pacifique une idéologie du
groupe dangereuse. Ses préoccupations sont proches de celles de partisans d'une poé-
sie sociale qui s'expriment dans Les Cahiers d'aujourd'hui (1912-1914) et celles des
écrivains populistes comme Charles-Louis Philippe ou Octave Mirbeau.
~ le rêve du phalanstère
Par un hasard qui confirme ce dynamisme de la poésie utopique, La Vie unanime,
manifeste de ce petit mouvement, est publié aux éditions de 1' Abbaye, du nom de la
communauté phalanstérienne, installée près de Créteil en 1906, qui a imprimé le livre
sur ses propres presses. Le groupe, réuni autour de Georges Duhamel (1884-1966),
étudiant en médecine, a choisi son nom en souvenir de l'utopie rabelaisienne de
l'Abbaye de Thélème: on y trouve Charles Vildrac (1882-1971) et René Arcos (1880-
1959), ainsi que des peintres et des musiciens. Le programme, résolument utopique et
sans contours esthétiques réellement définis, veut célébrer la vie sous toutes ses formes
et s'exprime dans une revue éphémère, justement nommée La Vie. La communauté,
d'abord soudée par le désir de constituer un<< groupe fraternel d'artistes», adhère à l'idée
d'un être collectif. Les membres permanents de ce phalanstère sont peu nombreux mais
ils accueillent des «adhérents externes>>, au premier rang desquels Jules Romains.
165
Tristan Tzara
et les manifestes dada
Sans le mouvement anarchiste dada, le surréalisme qui le croise sans vraiment
lui succéder n'aurait connu ni sa radicalité légendaire, ni sa vitalité euro-
péenne: l'élan donné par Tristan Tzara, nihiliste par essence, n'était pas des-
tiné à durer mais il donne le souffle initial.
166
les moyens rejetés jusqu'à présent par le sexe pudique du compromis commode et de la
politesse: dada; abolition de la logique, danse des impuissants de la création: dada; de toute
hiérarchie et équation sociale installée pour les valeurs par nos valets: dada J>.
Î67
André Breton et les deux
<<manifestes>> du surréalisme
Le groupe surréaliste, qui ne fut officiellement dissous qu'en 1969, doit sa lon-
gévité à l'action d'André Breton. Après avoir scandé par deux <<manifestes>>
retentissants l'essor de la pensée surréaliste, il est le seul poète à avoir sacrifié
jusqu'au bout son œuvre personnelle à la vitalité du mouvement.
168
2. le «pape du surréalisme>>
En qualifiant le surréalisme d'« automatisme psychique», Breton restreint volontaire-
ment l'acception du mot, qui renvoie en fait à une vision du monde, à une méthode
d'exploration de l'inconscient: une solution radicale pour fédérer autour d'une pra-
tique, l'« écriture automatique», les membres d'un groupe agité et menacé très tôt par
les querelles et les dissidences. Et c'est en exigeant de tous une fidélité aveugle aux
engagements du texte fondateur que Breton a pu apparaître comme le «pape>> du
mouvet_nent. Il a surtout été le seul, avec Benjamin Péret ( 1899-1.959), à rester« surréa-
liste» jusqu'au bout, en refusant notamment d'entrer dans le jeu social et de pour-
suivre une carrière ii personnelle''· Pour lui, l'accès à la ii liberté, l'amour, la poésie» et
à la subversion permanente représente une ascèse à laquelle tous ses compagnons ne
sont pas prêts: s'il excommunie certains d'entre eux, il en laisse partir d'autres, sou-
cieux de conserver au mouvement sa fraîcheur et sa dimension positive. C'est ce qu'il
affirme dans la formule célèbre du Man~feste i< J'ai découvert que je tenais à la vie»: il
pressent parfaitement, en effet, les dangers mortifères - perte d'identité et tentation
suicidaire - que recèle l'expérience onirique et les opérations magiques propres au
mouvement. Tfès sensible à l'échec de ses ii grands astreignants >J, celui de Rimbaud,
qui abandonna la poésie, celui de Lautréamont, réduit au silence, ou celui de son ami
Pierre Reverdy (1889-1960), retiré dans une abbaye, il réaffirme, dans le second
Manifeste (1930), les principes du mouvement. Ce texte, d'allure plus pamphlétaire
que le précédent, a un double but: resserrer les ii troupes» en jetant l'anathème sur
tous ceux qui se laisseraient tenter par la récupération dans les cercles littéraires tradi-
tionnels et ouvrir de nouvelles voies. Il constate les dérives mécaniques et les poncifs
qui dénaturent l'écriture automatique et suggère, inspiré par sa propre expérience avec
Nadja ( 1928 ), que le surréalisme peut produire des romans, genre condamné par le
premier Manifeste, à condition qu'ils soient inachevés.
Tandis qu'il se rapproche, par admiration pour le marxisme, du Parti communiste,
qu'il quittera en 1935, brouillé avec l'idée d'un art officiel, et qu'il rompt avec plusieurs
compagnons, son univers littéraire s'élargit: après le recueil Poisson soluble (1924),
Nadja, L'Union libre (1931) et L'Amour fou (1937) éveillent dans sa poésie une sorte
d'ii attente lyrique»; le hasard qui préside, sur fond d'onirisme, aux rencontres amou-
reuses transforme la femme en médiatrice vers l'univers difficilement accessible de la
surréalité. Ce thème, dans lequel l'amour exclusif renouvelle une tradition littéraire,
tout en rejetant la scission judéo-chrétienne entre l'amour charnel et l'amour spirituel,
tout comme le libertinage, inspire ses plus grands textes. L'amour fou devient le
moyen privilégié de réunir le communicable et l'incommunicable. Mais, malgré la
beauté de ces œuvres, Breton consacre l'essentiel de son énergie à des essais qui assu-
rentla vie du groupe surréaliste, comme Le Surréalisme et la Peinture (1928), Les Vases
communicants (1932), Position politique du surréalisme (1935). Après la défaite de
1940, poursuivi par Vichy pour son Anthologie de l'humour noir (1940), il s'exile aux
États-Unis. Il y fait vivre la pensée surréaliste autour des peintres comme Duchamp,
Max Ernst ou Yves Tanguy. Et, après la guerre, c'est surtout par des critiques et des
réflexions sur ses écrivains de prédilection qu'il fait entendre sa voix jusqu'en 1966.
169
Le programme
de la révolution surréaliste
De façon beaucoup plus radicale que le romantisme et avant l'existentialisme, le
surréalisme veut changer la vie. Dans ce but, il confond sa vision de la littérature
et de l'art avec celle de l'homme. Il en est surtout resté une effiorescence d'œuvres
poétiques poussant à l'extrême les pouvoirs de l'imagination et ceux du langage.
ENCYCL. Philos. "Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines
formes d'associations négligées jusqu'à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de
la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se
substituer à eux dans la résolution des problèmes principaux de la vie".))
Le but clairement affiché est bien de réussir là où des génies pourtant admirés ont
échoué, c'est-à-dire d'imposer la supériorité de l'imagination sur la raison, de mettre
fin au conflit entre rêve et réalité, entre bien et mal. Pour accéder à la surréalité, il faut
susciter chez le poète et l'homme un émerveillement perpétuel, proche de l'état
d'enfance. L'homme surréaliste doit briser, pour poursuivre sa quête, toutes les fron-
tières intellectuelles, sociales et morales, en ne conservant que l'héritage des «voyants»:
la fameuse litanie, dans le premier Manifeste, des vingt et un écrivains jugés surréalistes
avant la lettre accompagne, comme un viatique, le voyage du groupe «au fond de
l'inconnu pour trouver du nouveau». Il rappelle aussi implicitement que le surréalisme
a d'abord une ambition littéraire.
170
et des rêves recueillis sous hypnose, pratique dangereuse qui sera rapidement abandon-
née. Le principe des jeux surréalistes relève du même impératif d'ouverture au hasard et
à l'arbitraire qui condamne le réel et accorde une large place au merveilleux. De cette
méfiance à l'égard de la réalité, de l'institutionnel, du rationnel, procède le comporte-
ment iconoclaste du groupe à l'égard des valeurs littéraires consacrées.
De cet arbitraire de l'image découlent la puissance des images surréalistes, tel le vers
d'Éluard «La terre est bleue comme une orange», ou le déroulement des métaphores
dans L'Union libre de Breton, qui commence par <<Ma femme à la chevelure de feu de
bois>>. L'image surréaliste ne songe pas à embellir le réel, elle crée le surréel.
171
Vie et querelles
du mouvement surréaliste
Réfractaire à tout ordre social, le groupe surréaliste a pourtant constitué une
«famille» conflictuelle et vécu paradoxalement la poésie comme une religion
avec ses débats, ses schismes, ses anathèmes, ses excommunications et ses
réconciliations.
172
2. l'ère des querelles et de la dispersion
Signe de la montée des périls, le 3 décembre 1930, des commandos fascistes interrom-
pent la projection du film L'Âge d'or, dans lequel le peintre Salvador Dalî et le cinéaste
Luis Buftuel (1900-1983) ont exprimé à l'écran toute la force subversive du surréa-
lisme. Parallèlement, à partir de 1930, dans une Europe déchirée par les conflits en
forme de prélude au deuxième embrasement mondiat de la guerre du Rif à la guerre
civile espagnole, l'engagement communiste achève de faire éclater le noyau historique
du mouvement : en 1930, après un voyage en URSS, Aragon radicalise son apparte-
nance au Parti. 11 rompt en 1932 avec le groupe qui admet mal sa soumission au stali-
nisme. Breton, lui, prend ses distances : il est troublé par le suicide du poète
Maïakovski (1893-1930), puis exclu, en !933, du Parti, en même temps qu'Éluard et
Crevel. Comme pour avertir le mouvement que son élan et sa mystique de la liberté
sont menacés de dissolution dans la politique, Crevel se suicide alors qu'il préparait le
Congrès international des écrivains pour la défense de la culture, auquel Breton n'est pas
invité. Choqué par les procès de Moscou, il rédige avec Trotski, rencontré au Mexique
en 1938 et qui sera assassiné deux ans après, le Manifeste pour un art révolutionnaire
indépendant (1938). Il ne cessera plus alors de dénoncer le stalinisme. La guerre
d'Espagne achève de radicaliser les tensions. Puis Breton, mobilisé comme médecin,
tente de reconstituer un groupe surréaliste à Marseille, où il s'est réfugié après la
défaite de 1940, avec Brauner, Ernst, Masson et Péret. Mais la réalité du régime de
Vichy, qu'il perçoit vite, le pousse à prendre le dernier bateau pour l'Amérique, tandis
que Péret s'exile au Mexique: le groupe surréaliste a éclaté.
Si l'esprit surréaliste persiste chez ceux qui y ont adhéré et fascine de jeunes auteurs, le
groupe, séparé par la guerre et l'exil, ne peut survivre à des engagements inconci-
liables. À New York, Breton a retrouvé Marcel Duchamp: ensemble, ils font vivre
l'esprit surréaliste autour de peintres et de la revue VVV. En Espagne, Salvador Dalî
semble tenté par le franquisme. En France, Éluard et Aragon, qui ont choisi la résis-
tance et écrit des poèmes patriotiques souvent très beaux, ont définitivement rompu
avec l'indépendance du surréalisme pour devenir les poètes officiels du Parti commu-
niste: Péret le leur reprochera avec violence dans le pamphlet Le Déshonneur des poètes
(1945). Malgré l'activité de Breton, qui, à son retour, publie dans Arcane 17 son point
de vue sur l'alchimie, anime plusieurs revues et recueille l'adhésion de jeunes poètes
enthousiasmés par son Ode à Charles Fourier (1947), le surréalisme n'est plus un mou-
vement fortement constitué: il n'en subsiste que les braises, comme l'Exposition inter-
nationale du surréalisme (1947). Fidèle à lui-même, Breton devient la mémoire du
mouvement en accordant de nombreux entretiens théoriques, puis a le temps, dans un
dernier acte collectif et retentissant d'insoumission, de participer à la rédaction du
Manifeste des 121 (1960), qui recommande la désertion aux soldats appelés à une
guerre atroce et injuste en Algérie. Et c'est Jean Schuster qui décrétera en 1969,
trois ans après la mort de Breton, la dissolution officielle du groupe dont l'utopie
traverse toute la littérature et l'art du xxe siècle.
173
les voix rebelles
du surréalisme
La quête surréaliste n'a pas abouti au monde nouveau dont elle rêvait, mais
elle a libéré ceux qui ont quitté le groupe des modèles révolus de la littérature.
La poésie de Paul Éluard et l'œuvre d'Aragon, de dimension hugolienne, en
ont toujours conservé l'empreinte.
174
d'Elsa Triolet (1896-1970): après avoir, dès 1958, abandonné le réalisme socialiste dans
La Semaine sainte, Aragon déconstruit sa propre image et avoue dans ses derniers
romans sa stratégie du'' mentir-vrai». La Mise à mort (1965), Blanche ou l'Oubli (1967)
et Théâtre/Roman (1974) témoignent de sa fidélité à l'imagination, "souveraine des
rêves » surréalistes.
175
le surréalisme
et les arts
Plus encore que le romantisme, le surréalisme a trouvé dans la relation avec les
autres arts le moyen d'exercer un ascendant durable: la force subversive de
l'image surréaliste marquera toute une génération de son empreinte. Membres
ou sympathisants du groupe, les peintres surréalistes l'ont enrichi de leurs
apports et de leurs critiques tandis que la photographie et le cinéma y trouvent
l'inspiration qui donne à ces techniques naissantes un véritable statut artistique.
176
Et il précise que, dans cette opération, la matière utilisée s'efface progressivement
devant l'obsession à restituer, qui devient alors d'une «précision inespérée».
177
En marge
du surréalisme
Strictement encadré par les principes édictés par Breton dans les deux mani-
festes et les pratiques collectives, le surréalisme n'a pas rassemblé toutes les
énergies poétiques nées au début du XX' siècle dans le sillage d'Apollinaire et
de l'« Esprit nouveau »: parmi les dissidents, il faut relever deux individus et
un groupe, celui du Grand jeu.
178
avant-gardes auxquelles de grands poètes cosmiques comme Paul Claudel ou Saint-
john Perse (1887 -1975) restent indifférents.
2.
En pleine effervescence dada et tandis que se constitue le groupe surréaliste, la jeune
génération qui n'a pas fait la guerre exprime son désir rimbaldien de rupture sous
différentes formes. La société secrète des « Phrères simplistes», fondée à Reims et à
l'âge du lycée par René Daumal (1908-1944), Roger Gilbert Lecomte (1907-1943), Roger
Vailland (1907-1965) et Robert Meyrat (1907-1997), prétend, comme les surréalistes,
effacer les frontières entre le visible et l'invisible, le réel et le rêve, dans une perspective
violemment anti-rationaliste. Fascinés par l'occultisme et tentés par la drogue et les
pratiques sataniques, René Daumal et Roger Gilbert Lecomte élargissent le groupe où
entrent le peintre Joseph Sima, André Rolland de Renéville, le dadaïste Georges
Ribemont-Dessaignes (1884-1974), alors très proche du groupe surréaliste, ainsi que
l'éditeur Léon Pierre-Quint. Celui-ci va donner à cette petite société l'occasion de fonder
la revue Le Grand ]eu (1928). Trois numéros paraissent jusqu'en 1930, qui suffisent à
éveiller la méfiance de Breton, pendant les tensions qui précèdent la parution du second
Manifeste: soupçonnés de tiédeur révolutionnaire, ils restent à distance du surréalisme.
Attachés à la destruction du monde ancien comme tous les groupes d'avant-garde, les
jeunes mystiques d'un «grand jeu» qui, selon Roger Gilbert Lecomte, est « irrémé-
diable>> et "ne se joue qu'une fois» tentent de concilier deux exigences difficilement
compatibles. Leur quête métaphysique passe par la spiritualité orientale, l'hindouisme
pour Daumal, l'attente d'une «grâce» qui leur sera donnée par l'expérience des
limites. Mais ce mysticisme reste extérieur à toute croyance et à toute religion officiel-
lement constituée. Parallèlement, ils adhèrent totalement à la dynamique révolution-
naire du moment. Les distances prises avec les surréalistes apparaissent dans la Lettre
ouverte à André Breton, que René Daumal publie dans le dernier numéro de la revue: il
remet en question notamment le côté «fabriqué» des techniques surréalistes. Les
poètes du Grand ]eu ne sont pas tous prêts, par ailleurs, à suivre le militantisme poli-
tique de Breton et son orientation au service du matérialisme marxiste. Les tensions
aboutissent à la dissolution du groupe. Roger Gilbert Lecomte publie des poèmes inti-
tulés La Vie, l'Amour, la Mort, le Vide et le Vent (1933). René Daumal s'engage pour
longtemps sur la voie de l'ésotérisme après sa rencontre avec un adepte des théories
ésotériques de Georges Gurdjieff (1877-1949), qui prétendent réconcilier l'individu
avec l'ordre cosmique, dans une démarche initiatique de type sectaire. Sa production
poétique est cependant féconde et reconnue: Contre-ciel ( 1935) reçoit le prix Jacques-
Doucet. Mais, comme Gilbert Lecomte, il meurt jeune de tuberculose et sans doute
aussi des séquelles de ses expériences hallucinogènes. Le seul membre du groupe à
avoir connu une deuxième vie littéraire est Roger Vailland: journaliste grâce à Desnos,
il s'oppose à Breton dès 1929, en revendiquant cette activité qu'il pratiquera toute sa
vie. Après une participation active à la Résistance et un engagement à vie au Parti
communiste, devenu un romancier à succès dans les années 1960, il garde de son aven-
ture de jeunesse une forme de révolte qui se traduit par l'éloge du libertinage dans
l'esprit du XVIW siècle. On trouve dans son roman La Loi, prix Goncourt 1957, un
écho des pratiques surréalistes: le jeu de la vérité.
179
Les héritiers
indépendants
Il serait vain de chercher à repérer les traces de l'esprit surréaliste chez tous les
écrivains ou artistes qui, de façon plus ou moins directe y ont trouvé un élan,
une source d'inspiration ou, au contraire, l'occasion d'un refus. Deux écrivains
majeurs du XX' siècle ont pourtant assumé cet héritage tout en s'écartant des
contraintes du mouvement.
180 \
beauté et l'amitié rencontrées dans la lutte dandestine. Dans son inlassable« recherche
de la base et du sommet >i, la poésie de Char crée, dans sa gravité> des images familières
et garde toute l'énergie insufflée par l'élan surréaliste.
Avec une rare intuition du potentiel et des limites de tout courant littéraire, Gracq,
ami d'André Breton, auquel il consacre un essai, mais émancipé plus tard de toute
influence, précise que, contrairement au romantisme, «le surréalisme, lui, s'est heurté,
non à une arrière-garde vermoulue, mais à une pléiade d'écrivains dans la pleine force
de leur talent, qui prolongeaient superbement le dix-neuvième siècle et qui s'appe-
laient, par exemple, Proust, Valéry, Gide, Claudel». Et, après avoir noté que le mouve-
ment était condamné à l'agressivité pour pouvoir simplement exister, Gracq conclut à
propos des «contaminations qui rendent presque impossible la trace à suivre: «Le sur-
réalisme ne m'a pas tracé de chemin. Il me semble m'être incorporé une bonne partie
de ses apports, puis, à partir de là, n'en avoir fait qu'à rna guise».
Effectivement, Gracq, qui choisit le genre souple et protéiforme du roman, conserve de
l'apport surréaliste l'idée que, si le roman n'est pas un «Songet>, il devient un «men-
songe». Dans une atmosphère où se croisent d'autres influences, notamment celles de
la mythologie allemande et de Wagner, le premier roman de Gracq, Au château d'Argol
(1938), est le seul qui soit totalement imprégné de l'onirisme surréaliste. Avec Le Rivage
des Syrtes (prix Goncourt 1951, refusé par l'auteur), il trouve une voie unique. Dans un
univers qui a banni toute analyse psychologique et toute concession au romanesque
traditionnel, la vraisemblance apparente des personnages et du récit - souvent inscrit
dans l'Histoire - est constamment frappée d'indécision: l'écriture classique, recherchée
parfois, est enveloppée par un halo poétique qui transporte les descriptions à la lisière
du fantastique. Sa géographie imaginaire dans Un balcon en forêt (1958) et La Presqu'île
(1970) crée des lieux où des personnages imprécis qui se meuvent dans un temps immo-
bile. Du surréalisme Gracq a peut-être hérité aussi le refus, discret, policé, mais obstiné,
du jeu social et mondain de la littérature, tout en communiquant par des essais et des
fragments une expérience de lecteur qui fait de lui un critique littéraire exceptionnel.
181
Existentialismes
et littératures
de l'absurde
(1 - 9 5)
Les philosophies
de l'existence
À partir de 1945, le surréalisme qui répondait par la révolte aux horreurs de la
guerre de 14-18 se voit concurrencé par un phénomène étonnant: l'associa-
tion, dans un courant de pensée très flou et fabriqué par la critique, d' écri-
vains français qui, sans chercher à se regrouper, ont vulgarisé un concept de la
philosophie allemande. L'écho inattendu de l'« existentialisme» dans la France
à peine libérée correspond à une interrogation profonde sur l'homme et lesta-
tut du sujet.
184
le premier fait de cette conscience d'être-là (dasein) et de l'angoisse qui en découle le
signe révélateur de «l'Être» : l'homme doit alors devenir le «berger de l'Être», dans un
inlassable questionnement, et se rapprocher de lui par la parole et notamment la poé-
sie. Sartre infléchit sa réflexion du côté de la liberté.
2. l'existentialisme en france
L'originalité de la pensée d'Husserl et d'Heidegger est presque inconnue en France.
M.ais elle séduit immédiatement plusieurs jeunes normaliens germanophones lorsque
Jean-Paul Sartre découvre ces penseurs en Allemagne en même temps que son cama-
rade Maurice Merleau-Ponty (1908-1961). Dans des objectifs et des registres très diffé-
rents, tous deux vont vulgariser cette pensée et se l'approprier: Merleau-Ponty dans une
voie classiquement philosophique quoique très ouverte à toutes les formes d'art, Sartre,
par les moyens conjugués de la littérature et des textes théoriques. n faut noter, par
ailleurs, que, dans le sillage de l'Allemand Karl jaspers (1883-1969), un courant existen-
tialiste chrétien se manifeste en France. Il est représenté par Gabriel Marcel (1889-1973),
qui, dès 1927, se pose dans son Journal métaphysique la question du déchirement du
sujet face au mystère de l'être. Cette tendance chrétienne de l'existentialisme est contem-
poraine des premiers travaux de Sartre mais elle s'inspire directement de Kierkegaard.
Bien que Gabriel Marcel ait refusé l'acception «existentialisme>>, ce courant de pensée
chrétien n'en est pas éloigné: il dénonce les systèmes qui transforment l'homme en
objet et le privent de sa responsabilité face à l'inconnaissable, alors que le mystère
angoissant de son être, en perpétuel devenir, donne un sens à sa foi et à sa liberté.
Le succès ambigu de !'«existentialisme» qui ne procède ni d'un mouvement ni d'une
école, ni d'une doctrine constituée, est dû d'abord à son mode d'expression: la littéra-
ture. Le théâtre et le roman ont ainsi ouvert à un public élargi une réflexion jusqu'alors
réservée aux cénacles philosophiques. Il tient aussi à un contexte. Comme on a pu le
montrer, toutes les composantes pessimistes des tendances littéraires qui vont se mani-
fester après-guerre existent déjà dans les années 1930: obsession de la chute et de
l'enlisement chez Beckett, pensée de l'absurde pour Camus, «nausée» sartrienne. Au
moment où montent les périls qui aboutissent à la défaite de 1940, la philosophie et la
pensée ont déjà privilégié des concepts négatifs: ceux de sursis, de fin, de souci, d'être-
pour-la mort. En définissant l'homme par son existence, sa solitude et sa liberté, l'exis-
tentialisme d'après-guerre, surtout athée, achève de systématiser le pessimisme
ambiant. Mais l'écho qu'il rencontre au lendemain de la Seconde Guerre mondiale est
démultiplié: l'existentialisme traduit littérairement le désarroi des générations fou-
droyées par des révélations insupportables sur un conflit où la frontière entre l'humain
et l'inhumain a disparu. 'Le regard porté rétrospectivement sur la réalité monstrueuse
des comportements collectifs et individuels ne pouvait que remettre en question tous
les essentialismes, qu'ils se fondent sur une origine divine de l'homme ou simplement,
dans la pensée matérialiste, sur son appartenance à une «nature humaine». 11 faut
donc parler non d'un existentialisme mais d'un ensemble de philosophies de l'exis-
tence: l'après-guerre retient avant tout la dimension tragique d'une philosophie à bien
des égards dynamique et libératrice. Et c'est en s'exprimant par le roman et au théâtre
que l'existentialisme sartrien a créé une mode et, malgré lui, un mouvement influent
mais bref et sans postérité.
185
l'existentialisme
sartrien
Le retentissement imprévisible et spectaculaire que connurent, en 1980, les
obsèques de jean-Paul Sartre, pourtant mort au moment où ses engagements
étaient rudement mis à mal, donne la mesure de son influence. Sans l'avoir ni
cherché, ni rejeté, cet écrivain abîmé dans le travail a donné un visage et un
climat littéraires à l'existentialisme, comme pour faire vérifier par le public la
validité de son œuvre philosophique.
186
!..'humanisme existentialiste et le piège de l'engagement
Venu tard à la Résistance, Sartre assoit sa notoriété dans le climat intellectuel et politique
tendu de l'épuration, dans un pays en quête de héros et d'un idéal capable de mobiliser
la jeunesse. Son pessimisme est fortement critiqué: dans une conférence intitulée
L'existentialisme est un humanisme (1946), et qui fera date, il précise alors sa pensée de
façon schématique. Pour justifier le préalable athée de l'existentialisme et le primat
accordé à la subjectivité et à la liberté individuelle, il définit alors les valeurs issues de
l'existentialisme : la liberté qui lui est reconnue a pour conséquence de «faire reposer sur
[l'homme] la responsabilité totale de son existence», ce qui le conduit à des choix collectifs:
"Quand nous disons que l'homme se choisit, nous entendons que chacun d'entre nous se
choisit, mais par là nous voulons dire aussi qu'en se choisissant il choisit tous les hommes.''
De cette affirmation résulte l'idée d'engagement qui oriente moralement les choix de
l'individu identifié à ses actes. Et l'obligation de s'engager va alors cristallîser toute
l'œuvre littéraire de Sartre et envahir sa vie.
L'histoire de la revue qu'il fonde en 1945 avec Simone de Beauvoir, Les Temps
modernes, reproduit en effet l'évolution personnelle de Sartre: l'engagement le
rapproche pour un temps de Camus, qui, journaliste, a effectivement contribué à
l'action clandestine dans la Résistance. Un certain nombre d'intellectuels le rejoignent
et favorisent l'essor de la revue, qui, d'abord littéraire, s'oriente progressivement vers
des analyses politiques et révolutionnaires.
C'est au théâtre que Sartre se consacre essentiellement, traitant de sujets politiques: la
Résistance dans Morts sans sépult-ure ( 1946), le racisme américain dans La Putain
respectueuse ( 1946), la brûlante question des compromis moraux à effectuer pour assu-
rer !e succès de la révolution dans Les Jvlains sale5 (1948), la question du bien et du mal
face à l'action dans Le Diable et le Bon Dieu (1951), la culpabilité et l'impossible juge-
ment de l'Histoire dans Les Séquestrés d'Altona (1959). «Compagnon de route» du
communisme, longtemps aveugle aux dérives du système soviétique, Sartre, qui n'a
jan1ais cherché à renouveler formellement les genres littéraires et se montre peu sen-
sible au style, semble abandonner la littérature. Il se brouille avec Camus dans une
querelle d'idées (voir fiche74) qui semble d'abord tourner à son avantage. Mais, tandis
qu'il poursuit son œuvre philosophique et produit des textes de critique littéraire
importants, son magistère politique omniprésent agace. Sa rupture avec les commu-
nistes en 1956, après l'écrasement sanglant de la révolution hongroise, le conduira au
militantisme d'extrême gauche. L'existentialisme dont les extensions ~~mondaines»
l'ont toujours irrité lui paraît être alors entré dans l'histoire des idéologies. Et sa der-
nière grande œuvre rnon~re à quel point le talent protéiforme de cet écrivain et de cet
homme généreux et indulgent dépasse toute réduction à un courant d'idées: dans une
brillante autobiographie, Les Mots (1964), fondée sur la névrose responsable, selon lui,
de sa vocation d'écrivain, il revient sur ses contradictions avec distance et humour, et
se livre à un éloge de la littérature: elle a cessé d'être une « épée» et demeure un
«produit de l'homme; il s'y projette, il s'y reconnaît», elle lui offre un miroir où se
reflètent, enfin sereinement, la liberté et la solitude humaines.
187
Albert camus
et l'absurde
Parce qu'il fut proche de Sartre, un des premiers à reconnaître son talent,
Albert Camus, dont la séduction naturelle attirait la lumière, a vu, malgré ses
dénégations réitérées, sa pensée et une partie de son œuvre étiquetées << existen-
tialistes>>. Au-delà de ce contresens, sa représentation de l'<< absurde>> entre
pleinement en résonance avec le pessimisme des années 1930-1950.
188
2. De la révolte à la pensée c.le midi
Face à l'hostilité d'un monde dépourvu de sens, Camus, qui, dans Le Mythe de Sisyphe,
invalidait de justesse la solution du suicide au profit d'une liberté exercée dans l'art,
s'interroge ensuite sur le champ d'action concédé à l'homme face à la relativité de la
vie et à la menace du nihilisme. Au théâtre, Les Justes (1949) pose la question du prix à
payer en victimes innocentes pour assurer le succès de la révolution. Dans L'Homme
révolté (1951), Camus, qui semble avoir retiré de son expérience de militant clandestin
et de journaliste, témoin des excès de l'épuration, une sourde inquiétude à l'égard de
l'action révolutionnaire, oppose la révolte à la révolution. Méditant sur la radicalité de
l'action révolutionnaire et les dérives totalitaires, alors palpables mais peu ressenties en
France, des régimes communistes, il prend ses distances avec un «sens de l'Histoire»,
générateur de terreur au service des monstres froids que représentent les idéologies.
Dans le milieu intellectuel des années 1950, acquis aux idées communistes et à l'action
révolutionnaire, le livre est très mal reçu (voir fiche 74), alors que la différence entre
l'existentialisme sartrien et la pensée de Camus était pourtant, et depuis longtemps,
perceptible. Auréolé par sa gloire d'écrivain, Camus est isolé et victime d'une cam-
pagne très parisienne qui cherche à le discréditer comme philosophe. Sa création litté-
raire en est profondément modifiée.
Malade, tourmenté, victime de terribles pannes d'écriture, Camus traduit son pessi-
misme dans un recueil de nouvelles, L'Exil et le royaume (1957): le thème obsédant de
l'exil y devient la métaphore de sa solitude d'artiste «solitaire et solidaire» comme le
peintre Jonas. Entre dérision cynique et nostalgie de paradis perdu, La Chute ( 1956)
instruit, dans un style éblouissant, le procès de l'homme moderne divisé entre son
apparence et sa vérité intérieure. Dans le même temps, l'écrivain est pris à la gorge par
la guerre d'Algérie: après avoir été l'un des seuls journalistes à dénoncer la répression
sauvage par l'autorité coloniale de la révolte de Sétif (1945), il est, en tant que pied-
noir, désarçonné par la radicalité de l'insurrection et la volonté d'indépendance des
Algériens. Moqué par le dan sartrien, plus distancié et sans doute plus lucide, qui pré-
conise l'indépendance et soutient le FLN, il échoue dans son projet de trêve et dans
son espoir de réunir la communauté algérienne et la communauté française dans un
régime enfin juste. Aspirant à une «pensée de midi» comme à un équilibre entre le
tragique de la condition humaine et sa capacité de solidarité, il s'exprime discrètement
dans des Carnets et des articles réunis sous le nom d'Actuelles III (1958) et se consacre
comme metteur en scène et directeur de troupe à sa passion pour le théâtre. Si l'attri-
bution du prix Nobel en 1957 aggrave le malentendu avec les sartriens et les intellec-
tuels de gauche, son discours de Stockholm précise sa vision de l'engagement: le
devoir pour l'artiste de parler au nom de ceux qui n'ont pas de voix pour résister à
l'oppression. Il travaille alors à la première partie d'un grand roman, Le Premier
Homme, dont 1.' ébauche, très avancée et publiée en 1994, atteste nne inspiration forte,
rnùrie, renouvelée. Ultime paradoxe, malgré la mort précoce qui l'a enfermé, en
France uniquement, dans son mythe et le purgatoire dans lequel les philosophes ont
essayé en vain de le reléguer, Camus est certainement l'écrivain français du xxe siècle le
plus étudié dans le monde et celui qui a suscité le plus de recherches universitaires,
comme si son œuvre inachevée était inépuisable.
189
l
i
La querelle
sartre-camus
La querelle Sartre-Camus à propos de L'Homme révolté, qui eut un écho
au-delà des cercles intellectuels où elle s'est déclarée et envenimée, mérite
d'être rappelée comme un exemple des extrapolations et des approximations
induites par la notion de mouvement, d'école ou de doctrine littéraire. Elle
atteste aussi, dans les années 1950, la surdétermination de la vie intellectuelle
et littéraire par les prises de position politiques.
190
l'expérience. Son adhésion au marxisme va de soi dans le cadre d'un système matéria-
liste, et elle est peu attentive aux conséquences concrètes de la révolution. Plus intuitif,
Camus a vécu la tension entre les réseaux communistes et les partis traditionnels pen-
dant la Résistance. Il porte un regard inquisiteur de journaliste sur les régimes socia-
listes mis en place, dans des conditions opaques, dans les pays de l'Est.
191
Simone de Beauvoir,
existentialisme et féminisme
Surnommée «le Castor>> par un ami normalien de Sartre, parce que «les
castors vont en bande et ont l'esprit constructeur», Simone de Beauvoir a
laissé une œuvre d'une impressionnante cohérence philosophique, longtemps
méconnue. Et elle a, par ses actes, donné sens à sa pensée: l'émancipation défi-
nitive des femmes, une des révolutions majeures du XX' siècle, doit presque
autant à son combat qu'à sa pensée.
1. De l'existentialisme au féminisme
L'année où Sartre est reçu premier à l'agrégation de philosophie en 1929, Simone de
Beauvoir (1908-1986), quant à elle, est classée deuxième. Celle qui s'est liée avec lui
pendant ses études, opiniâtrement conduites malgré la résistance d'une famille catho-
lique et conformiste, sera, une grande partie de sa vie, considérée comme une simple
auxiliaire du philosophe: non seulement on néglige son travail personnel, mais les
attaques portées contre la liberté d'une vie privée conduite à deux se concentrent
essentiellement sur elle, étiquetée «Notre-Dame de Sartre». Si elle choisit d'abord de
s'exprimer par le roman, c'est que, écrit-elle:
"Je rêvais d'être ma propre cause et ma propre fin. [Je pensais] que la littérature me permettrait
de réaliser ce vœu».
192
parution de thèses américaines beaucoup plus radicales, au service du féminisme. Car,
dans les années 1950, Simone de Beauvoir croit encore que la révolution socialiste
aboutira logiquement à l'égalité des sexes.
2. Mémorialiste et militante
Seize ans après la parution de La Nausée, le roman Les Mandarins (1954), pour lequel
Simone de Beauvoir reçoit le pr.ix Goncourt, apparaît comme un bilan de la mouvance
existentialiste. Partiellement roman à clés, l'ouvrage retrace les débats qui ont agité le
milieu intellectuel encore dominant, tiraillé malgré tout entre le dynamisme des États-
Unis et le modèle que représente pour eux alors J'URSS. Le titre, métaphorique, compare
les intellectuels, pris au piège d'une autorité morale sans issue politique, aux mandarins
de la Chine ancienne. D'une certaine manière, ce roman, qui élargit sa notoriété et son
influence, annonce l'extinction proche de l'existentialisme en tant que mouvement. II
confirme aussi le rapport rigoureux, voire ascétique, de Simone de Beauvoir à l'écriture:
elle refuse d'embellir son propos avec les beautés de la littérature et use parfois de clichés
caricaturaux, ce qui lui vaut de très rudes critiques sur la platitude de son style, son
manque de distance et d'humour ou son sérieux d'institutrice desservie dans les médias
audiovisuels en plein essor par une voix sèche et métallique. Mais l'authenticité de cette
voix quand elle prend la parole à la première personne, dans les Mémoires d'une jeune
fille rangée (1958), lui permet de dépasser ce handicap: histoire d'une émancipation
difficile mais réussie dans un contexte défavorable, ces Mémoires lucides, qui portent
sur les années 1908-1929, nuancent considérablement l'image d'intellectuelle froide et
péremptoire véhiculée par ses détracteurs. Dans la suite de son œuvre autobiogra-
phique, La Force de l'âge ( 1960), consacrée aux années 1929-1944, la Force des choses sur
les années 1945-1963, Simone de Beauvoir se transforme en historiographe de la
«famille» existentialiste. Elle porte sur le monde un regard toujours méditatif et critique.
Constamment solidaire de la démarche philosophique sartrienne et de ses engagements
politiques d'extrême gauche, Simone de Beauvoir, dont l'existentialisme peut apparaître
aussi comme un individualisme, s'engage seule dans le combat féministe. Elle le relate
dans le dernier volume de ses Mémoires, Tout compte fait ( 1972). Cette action s'inscrit
dans une analyse des phénomènes sociaux qui la conduit à publier une étude La
Vieillesse (1970), dont la pertinence s'impose encore aujourd'hui. Cette même année,
dix ans après avoir préfacé un ouvrage important sur le planning familial, elle est solli-
citée par le Mouvement de libération des femmes (MLF) pour soutenir la mise en place
difficile des lois sur la maîtrise de la ftcondité et la dépénalisation de l'avortement. Elle
signe le !vfanifeste dit des 343, préside l'association Choisir et témoigne au procès de
Bobigny qui met en évidCnce l'urgence de promulguer une loi. La loi est votée en 1974,
mais Simone .de Be~uvoir ne relâche pas son action pour le respect du droit des femmes,
insensible aux critiques contre le militantisme féministe. Elle assiste Sartre, devenu
aveugle pendant les cinq dernières années de sa vie, dans la mise au point de ses publica-
tions et de ses Entretiens radiophoniques et filmés. Malgré la dureté visible de l'épreuve,
elle s'impose, après la mort du philosophe, la même exigence de lucidité qu'auparavant
pour relater dans La Cérémonie des adieux (1981), ses dernières années. En plein reflux
du ftminisme militant, le cortège qui accompagne ses propres obsèques, quelques
années après celles de Sartre, témoigne de l'influence qui lui est reconnue aujourd'hui.
193
Les impasses
de la littérature engagée
Entre les deux guerres et après 1945, la littérature d'idées a connu un essor
sans précédent et ouvert un débat sur la notion même de littérature. Devenu
presque obligatoire dans les années 1950, l'engagement de l'écrivain a posé de
nombreux problèmes à des créateurs parfois détournés de leur projet esthé-
tique par leur obéissance à la ligne politique d'un parti.
195
Vers le « théâtre
de l'absurde»
Au début du XX' siècle et en dépit des audaces ponctuelles d'Alfred ]arry, aucun
courant fédérateur ne semble devoir réunir les inventeurs dans le domaine du
théâtre: de grands dramaturges créent une œuvre dans le cadre des formes
traditionnelles mais la double influence du surréalisme et de l'existentialisme
va faire éclater les conventions au bénéfice d'un nouveau langage théâtral.
~ un calme trompeur
Après la rupture des codes provoquée par le romantisme, le langage théâtral semble
avoir été épargné par les grandes secousses qui ont transformé la poésie et durable-
ment modifié le roman. Au début du siècle, le théàtre symboliste n'a pas fait école et
l'univers de Paul Claudel, s'il pratique le mélange des genres devenu banal, reste
unique. Le succès d'un Feydeau (1862-1921) ou d'un Courteline (1858-1929) semble
consacrer le genre populaire, apparemment inoffensif, du théâtre de boulevard, dont
les situations ridicules et le délire verbal produisent pourtant des dissonances intéres-
santes. I:Ubu roi (1896) d'Alfred jarry (1873-1907), qui parodie, dans la mouvance de
l'esprit nouveau et sur le mode farcesque, à la fois J'Œdipe roi de Sophocle et le
Macbeth de Shakespeare, ouvre la voie à un autre langage théâtral sans être vraiment
compris: l'œuvre est perçue comme un canular ou un brùlot anarchiste, et le succès
phénoménal du Cyrano de Bergerac (1897) de Rostand (1868-1918), qui semble
réconcilier les Français divisés par l'affaire Dreyfus, résonne comme un hommage à la
tradition. Entre les deux guerres, le théâtre reste le royaume des auteurs tout-puissants
tandis que l'invention se situe du côté des metteurs en scène: après Lugné-Poe et
Antoine, Jacques Copeau au Vieux-Colombier, vise le dépouillement et les membres
du Cartel- Charles Dullin, Georges Pitoëff, Gaston Baty- s'orieritent, avec Louis
Jouvet, dans des voies différentes, vers une esthétique du théâtre qui permet à la
représentation non pas d'illustrer mais d'interroger le texte.
196
nouveau théâtre, porteur à la scène de son langage propre. Dans Le Théâtre et son
double (1938), il défend l'idée d'un "théâtre de la cruauté, dont les audaces visuelles
et verbales créent un rapport différent avec le public.
Il découvre également la tradition orientale du théâtre, à Bali, notamment, dans
laquelle la parole et surtout le sens des mots ne jouent pas le premier rôle. Et il écrit:
«Une vraie pièce de théâtre bouscule le repos des sens, libère l'inconscient comprimé, pousse
une sorte de cri de révolte virtuelle.»
197
samuel Bed<ett
et le langage disloqué
1.
~ Roman et t11éàtre
De nationalité irlandaise, Beckett parle couramment le français et écrit dans les deux
langues. S'il connaît le succès pour ses pièces écrites en français, ce va-et-vient entre
deux langues peut- mais pouvons-nous l'affirmer, voire l'expliquer?- avoir joué un
rôle dans l'évolution de son rapport existentiel et esthétique au langage. Ses premiers
romans suggèrent l'influence de James Joyce (1882-1941), qu'il rencontre après des
études classiques à Paris et dont il devient le collaborateur. Après Murphy (1938),
histoire d'une quête achevée par un suicide, Beckett, dans les pas de 1' auteur d'Ulysse
(1932), va de plus en plus loin dans la remise en question des codes romanesques.
Moins picaresque, moins baroque, Watt (publié en français en 1968) ressemble à une
fable à la manière de Kafka. L'ensemble, souvent qualifié de «trilogie)}, Molloy ( 1951),
Maione meurt(l952),L'Innommable (1953), rédigé entre 1947 et 1949 et publiés tout
d'abord en français, met en place les thèmes de toute l'œuvre: l'errance, l'attente, la
mort à l'œuvre dans la vie même, la déformation et le rétrécissement des lieux, la
confusion du personnage avec sa parole qui est souvent celle du souvenir. Parallèlement,
Beckett écrit En attendant Godot et d'autres œuvres en anglais, comme Premier Amour
(1946) ou les Nouvelles et Textes pour rien (1946-1950). I:effacement du personnage
198
qui endosse la déffoque du clochard, de l'errant, de l'infirme, du maniaque accroché à
ses souvenirs, le rejet de toute psychologie ont déjà créé- en refusant de le structurer-
le monde de Beckett.
~ le langage en lambeaux
Le monologue syncopé de Winnie dans cette pièce, une des plus jouées de Beckett,
tout en monosyllabes et silences, correspond en fait à une nouvelle étape dans le lan-
gage de l'écrivain. Au théâtre, les œuvres sont de plus en plus brèves avec un seul per-
sonnage comme dans La Dernière Bande (1959). Le roman Comment c'est (1961) a
déjà réduit l'apparence du personnage qui n'existe plus que par sa voix et renoncé à
l'utilisation classique de la syntaxe. Aux grands monologues répétitifs et circulaires
succèdent des« pavés» de texte coupés de silences. Comme« pas à pas jusqu'au dernier»,
la disparition et la mort envahissent l'univers de Beckett dans des textes de plus en plus
courts dont les titres sont explicites: de Têtes-mortes (1967)à Pas moi (1973). Le per-
sonnage de cette dernière. pièce dit son étonnement d'être né, son désarroi par rapport
au langage qu'il prononce, sa stupéfaction d'avoir survécu, dans un langage où
comique et tragique restent intimement mêlés: face à l'insoutenable, la voix humaine
réagit par un bégaiement «innommable>>. Le tragique de l'univers bcckettien est
d'ailleurs amplifié par les réactions de l'écrivain devant la gloire littéraire qui est la
sienne: dans les années 1970, Beckett, prix Nobell969 malgré lui, laisse son éditeur
Jérôme Lindon aller chercher le prix et, avant une séance de photos, suggère au photo-
graphe Jerry Bauer, qui cherche un cadre pour son cliché, un tas de poubelles au
milieu desquelles il s'assied avec un parfait natureL Faut-il ajouter que, si sa vision du
monde se rapproche de l'absurde, elle exclut a priori celle de tout engagement?
199
Le monde déréglé
de Ionesco
Grâce au pouvoir de la représentation et à la volonté inventive des metteurs en
scène, le « nouveau théâtre» des années 1950-1966 recouvre bien un mouve-
ment sans être une école: jeu sur le langage que l'impossible relation entre les
êtres rend délirant, procès du conformisme et des ridicules quotidiens de la vie
sociale, le théâtre de Ionesco marque durablement son époque.
200
2. Du délire quotic:liel'l ii l'absurdité du monde
Malgré le soutien de Jean Paulhan, de la NRF, et même celui de Jean Anouilh (1910-
1987), dont l'œuvre à succès, noire mais réaliste, est aux antipodes de la sienne, le
théâtre de Ionesco réunit un public relativement confidentiel et initié jusqu'au
moment où ses pièces se rallongent. Elles esquissent une certaine unité de temps,
ébauchent une action, comme Amédée ou comment s'en débarrasser (1954): autour
d'un cadavre impossible à éliminer et qui prend des proportions monstrueuses, le
décor s'élargit, les personnages se structurent et quelques passages lyriques leur donnent
un peu d'épaisseur. En fait, le personnage d'Amédée préfigure celui de Bérenger, qui
apparaît successivement dans quatre pièces, Tueur sans gages ( 1958), Rhinocéros (1960),
Le roi se meurt (1962), Le Piéton de l'air (1963). Cette conscience à la fois naïve,
enthousiaste et critique joue, sur la scène élargie au théâtre du monde, le rôle d'un
Candide qui dévoile sans le vouloir toute une série d'horreurs. C'est ce qui se passe dans
Rhinocéros, métaphore de la montée du fascisme en Roumanie dans les années 1930,
une pièce qui résonne symboliquement comme une dénonciation de tous les totalita-
rismes. Avec cette œuvre qui connaît un succès mondial, Ionesco quitte l'avant-garde,
ce qui n'est pas sans lui créer des difficultés. Car «l'activité littéraire n'est plus un jeu,
ne peut plus être un jeu)>. Ennemi farouche du théâtre à thèse influencé par la vision
de Bertolt Brecht, Ionesco craint alors de devenir un écrivain engagé. Résolument
antimarxiste à l'époque où la majorité du milieu intellectuel se rapproche du commu-
nisme, il est aussi extrêmement méfiant à l'égard des metteurs en scène novateurs: il
leur reproche d'infléchir par la dramaturgie le sens de pièces qui, selon lui, n'appartient
qu'à leur auteur.
Réapparu sous les traits d'un roi coiffé, comme un histrion, d'une couronne de carton,
Bérenger devient le protagoniste d'une pièce appelée à devenir rapidement un
classique, Le roi se meurt. Sans renoncer à l'arsenal de la dérision, et tout en parodiant
un topos de Shakespeare, la déchéance et la mort d'un roi, la pièce combine la satire
mordante de toutes les apparences et les attributs du pouvoir avec un vrai lyrisme: une
cérémonie des adieux oü la cour se réduit peu à peu autour du roi agonisant, inégale-
ment assisté par ses deux épouses et tourmenté par un médecin «chirurgien, bactério-
logue, bourreau et astrologue à la coun>. Cette pièce qui semble exprimer l'angoisse
métaphysique de son auteur apparaît comme une consécration. Ensuite, le dramaturge
utilise son langage heurté et délirant pour se lancer dans une apparente quête d'iden-
tité. Avec La Soif et la Faim (1966), Ionesco fait son entrée au répertoire de la
Comédie-Française dont l'acteur emblématique, Robert Hirsch, crée le rôle d'un nou-
veau Bérenger, devenu Jean. Dans une mise en scène spectaculaire, la dérision voisine
avec la fantasmagorie, le personnage est livré à ses démons, sans consolation ni
lyrisme. Après feux de massacre (1970), Ionesco, qui a succédé à Jean Paulhan à
l'Académie française, perd quelque peu la faveur du public et ses dernières pièces, une
parodie de Macbeth, Macbett (1972), et des œuvres d'inspiration plus autobiogra-
phique, sont moins jouées. La crise d'identité ouverte avec Rhinocéros peut avoir per-
turbé une écriture rattrapée par la gravité après l'avoir refusée :jusqu'à sa mort,
Ionesco écrit surtout des articles et des textes théoriques tout en défendant les dissi-
dents des régimes de l'Est.
201
Les avant-gardes
au théâtre
La puissance créatrice et le succès public reconnus aux œuvres majeures de
Beckett et Ionesco ne sauraient dissimuler la vigueur, dans les années 1950 et
1960, d'un théâtre «nouveau>>: les auteurs et les metteurs en scène de cette
époque ont tous été, à des degrés divers, en connivence avec le surréalisme,
l'existentialisme et l'absurde.
202
distinguer le réel et l'imaginaire, et situe ses provocations dans une esthétique baroque
et une poésie du mal, ce qui ne 1' empêche pas de renoncer à 1' écriture pour l'action
politique radicale après 1961.
203
«Nouveau roman»
ou mort du roman?
Au carrefour
des influences
Plus on avance dans le XX' siècle, plus la notion de courant littéraire devient
problématique: il est impossible d'opposer les tendances en les classant sous
l'angle de la «rupture>> ou de la <<continuité>>. Néanmoins, les auteurs de<< nou-
veaux romans>> qui ont refusé pour la plupart d'être réunis dans une <<école»
ont, eux, indiscutablement contesté une tradition séculaire, mais ils n'ont été ni
les seuls, ni les premiers. C'est en Europe et aux États- Unis que l'élan est né.
206
une portée littéraire véritable -, il influencera les romanciers «nouveaux>> beaucoup
plus longtemps et tardivement qu'ils ne l'ont avoué. À l'opposé, grâce à la traduction de
Sanctuaire ( 1931) et à une préface élogieuse d'André Malraux, le roman faulknérîen est
un modèle reconnu et admiré. Après Camus, qui reconnaît son impact sur l'écriture de
L'Étranger et adapte au théâtre Requiem pour une nonne, le «nouveau roman >> identifie
ses origines dans cet art de créer une atmosphère qui disloque le cadre temporel,
démonte son déroulement narratif et brouille l'identité des personnages.
2. le roman en question
Avant que le «nouveau roman» ne revendique comme siennes certaines innovations,
le modèle balzacien reproduit par des disciples sans souffle et surtout le genre du
roman réaliste ont été critiqués. La dimension commerciale prise par l'édition et à
laquelle Zola a largement contribué incite les romanciers à appliquer des recettes et à
décrire indéfiniment une société au lieu de l'interroger et de l'interpréter dans une
vision personnelle. Après André Gide (1869-!951) et Marcel Proust (1871·1922) qui,
avant -guerre, ont ouvert le débat sur les liens du roman avec la pensée, Julien Gracq
estime, dans une conférence célèbre de 1960, que« la littérature respire mal >t. Au lende-
main de la guerre, Gide est au faîte de sa gloire avant d'entrer dans un long purgatoire
et Proust n'occupe pas encore la place souveraine qui lui est reconnue aujourd'hui.
Pourtant, ils ont déjà relevé le défi d'un roman différent, sinon nouveau: A la recherche
du temps perdu (1913-!927) apparaît déjà comme l'« aventure d'une écriture»
puisqu'elle est le récit d'une vocation littéraire. Proust fait éclater, sans le dire, le cadre
du roman et y fond, «dans les anneaux d'un beau stylet>, essai et roman, pastiche,
mémoires et critique littéraire: une page célèbre du Temps retrouvé (1927) permet ainsi
au narrateur de convoquer ses modèles, Nerval et Chateaubriand, et la cible de ses
critiques, le plat réalisme des frères Goncourt, tandis que Proust déclare avoir inscrit
son projet dans une« recherche de la vérité». C'est aussi vers une œuvre <<totale>>,
capable de donner au roman une nouvelle ambition, que semble avoir voulu s'orienter
Gide: à travers d'autres genres- récîts, confession lyrique, soties, etc.-, il s'achemine vers
Les Faux-Monnayeurs (1925), son ouvrage le plus ambitieux et le seul qu'il ait intitulé
«roman>>. Allant au bout de ce qu'il appelle la «mise en abyme>>, Gide y introduit un
romancîer que l'on voit ouvertement tirer les ficelles, dissocier ou renouer des intrigues
enchevêtrées, contrôler la disparition et la réapparition des personnages.
Alors que Gide et Proust - qui n'en avaient pas besoin - n'ont pas suscité de mouve-
ment, le «nouveau roman» a-t-il artificiellement rhabillé de quelques nouveautés un
modèle existant? On ne saurait le dire: curieusement, cette «collection d'écrivains»
semble avoir voulu rappeler que le roman, menacé de confusion avec une littérature de
délassement, était une affaire sérieuse qui ne reproduisait pas des «recettes» mais obéis-
sait à une pensée. En se réunissant autour d'exigences, voire d'impératifs formels, les
adeptes du «nouveau roman>> ont peut-être organisé, avec un succès mitigé, tme stratégie
de défense de la littérature qui voit s'ajouter à sa rivalité séculaire avec la philosophie, la
concurrence des sciences humaines: le récit Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss
(1908-2009), qui change le visage de l'anthropologie grâce à son écriture littéraire,
paraît en 1955, au moment où la littérature de fiction se cherche une nouvelle identité.
207
Le << nouveau roman >> :
un courant improvisé
Aucun manifeste, aucun programme n'annonce l'apparition du <<nouveau
roman>>: ce regroupement d'auteurs a peut-être été fabriqué malgré lui par une
critique d'emblée hostile. Incités à répondre aux attaques, quelques romanciers
ont défini théoriquement des tendances encouragées par une stratégie éditoriale.
208
est invité comme dans le théâtre de Brecht à une forme de distanciation qui brise les
codes de l'univers romanesque.
209
La disparition
de l'intrigue
Engagés dans une recherche permanente, les auteurs de «nouveaux romans>>
ont eux-mêmes formulé dans des textes théoriques leurs modes de contestation
du roman traditionnel. Ce sont certainement ces écrits qui a posteriori et au-
delà de leurs contradictions éclairent ce qui fut réellement innovant chez eux,
et, d'abord, le démantèlement de l'intrigue.
Dans ces conditions, il fait remonter à Flaubert la remise en question du récit conçu
comme un «ordre naturel» lié «à tout un système rationaliste et organisateur, dont
l'épanouissement correspond à la prise de pouvoir par la classe bourgeoise». Et il ajoute :
«Tous les éléments techniques du récit- emploi systématique du passé simple et de la troisième
personne, adoption sans condition du déroulement chronologique, intrigues linéaires, courbe
régulière des passions, tension de chaque épisode vers une fin, etc. -, tout visait à imposer
l'image d'un univers stable, cohérent, continu, univoque, entièrement déchiffrable.»
Puis il conclut: «Raconter est devenu proprement impossible» et définit ses principes
d'écriture par ce qu'il refuse. C'est ainsi que le lecteur de ses romans se voit proposer plu-
sieurs récits qui se croisent et se répètent en proliférant. Dans Les Géorgiques (1981) de
Claude Simon, trois intrigues sont ((tressées» correspondant à trois moments de l'histoire.
r; effacement de la vraisemblance temporelle fait partie de la stratégie de brouillage des
codes romanesques traditionnels. Pour Alain Robbe-Grillet, le temps du (( nouveau
roman», contrairement à celui du roman classique, qui, pour le héros, «s'accomplis-
sait et était l'agent et la mesure de son destin», perd cette efficacité: « on dirait que le
temps se trouve coupé de sa temporalité. Il ne coule plus. Il n'accomplit plus rien». Le
présent est donc le temps grammatical dominant, en alternance avec le passé composé.
Dans son roman La marquise sortit à cinq heures, dont le titre reprend un cliché cité par
Paul Valéry comme un exemple d'usure du genre, Claude Mauriac décrit tout ce qui se
passe au carrefour de Buci, à Paris, en l'espace d'une heure, dans une dilatation du
210
temps qui en mine la vraisemblance. Les romans de Michel Butor jouent sur la confu-
sion entre le passé et le présent racontés en même temps et sans distinction, dans un
espace qui se prête à une construction « simultanéiste »: Passage de Milan raconte les
événements qui se produisent dans chacun des appartements d'un immeuble parisien.
Le stage d'un an que fait le personnage de L'Emploi du temps dans la petite ville
anglaise de Bleston amène le narrateur à superposer le récit du présent immédiat, le
passé récent et son commentaire de ce télescopage. Dans La Modification, le trajet
ferroviaire Paris-Rome sert de support à un monologue intérieur.
211
La crise
du personnage
Commun au «nouveau roman» et au «nouveau théâtre», l'effacement du
personnage dans des univers romanesques parfois artificiellement rapprochés
apparaît comme un des éléments les plus durables dans la poétique de
l'après-guerre.
212
2. une stratégie littéraire
Dans l'univers illisible et cassé du« nouveau roman», où les villes sont des labyrinthes,
oü s'agitent dans un temps simultané des créatures à la silhouette indéterminée, le per-
sonnage n'a plus sa place. C'est Nathalie Sarraute qui, dans une démarche antérieure et
constamment singulière par rapport au groupe dit du «nouveau roman», a défini très
tôt l'effacement du personnage comme une nécessité. Le titre de son essai L'Ère du
soupçon paraphrase une formule de Stendhal, «Le génie du soupçon est venu au
monde:», pour débusquer derrière les conventions du roman balzacien des« techniques
périméës »qui ont perdu leur pouvoir de persuasion. Les découvertes récentes sur le
fonctionnement de la conscience et les traces qu'y laisse constamment l'inconscient
rendent caduque, pour elle, la notion classique de personnage. <<Le soupçon naît du
moment où les œuvres sont envahies par "un je anonyme qui est tout et qui n'est rien
et qui n'est le plus souvent qu'un reflet de l'auteur lui-même". " Nathalie Sarraute
attribue ce soupçon à Dostoïevski et à Kafka, qui ont déjà enlevé au type romanesque
«ses propriétés et ses titres de rente, ses vêtements, son corps, son visage, ce bien
précieux entre tous, son caractère qui n'appartenait qu'à lui, souvent jusqu'à son nom»
et formule son hypothèse: si le romancier doit accéder aux <<mouvements indéfinis-
sables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience:», le personnage
est, finalement, un gêneur. Et elle précise:
« Il faut donc empêcher le lecteur de courir deux lièvres à la fois, et puisque ce que les
personnages gagnent en vitalité facile et en vraisemblance, les états psychologiques auxquels ils
servent de support le perdent en vérité profonde, il faut éviter qu'il disperse son attention et la
laisse accaparer par les personnages, et, pour cela, le priver le plus possible de tous les indices
dont, malgré lui, par un penchant naturel, il s'empare pour fabriquer des trompe-l'œil.»
Sans avoir tous la même ambition que Nathalie Sarraute, les adeptes du «nouveau
roman» ont généralisé des outils formels d'annulation du personnage qui, pour cer-
tains, ont survécu à ce moment de l'histoire littéraire. Pour Robbe-Grillet, sa fonction
est d'« être là» et non d'« être quelque chose:>>. L'invasion des lieux et des objets esca-
mote sa présence: il est un élément parmi d'autres dans la syntaxe du roman, désigné
par la lettre A, dans La Jalousie, roman dont le titre connote d'abord un point de vue,
celui d'une fenêtre en forme de «jalousie» et ensuite le sentiment de jalousie dont est
victime une conscience floue. Le brouillage des marques de l'énonciation et des points
de vue devient systématique. La succession des monologues et des dialogues perturbe
le jeu des voix narratives. Non seulement le point de vue omniscient est exclu mais un
glissement d'une personne grammaticale à une autre introduit le doute chez le lecteur
invité à circuler entre deux consciences mal définies. À lui de décider, avec ses propres
critères de choix, «qui.parle:» à ce moment du texte où il est privé d'indices et de
repères. Dans le roman sans doute le plus reconnu, La Modification, Michel Butor
met les cartes sur la table. Il confie dans tout le roman à une deuxième personne du
plurielle soin de la narration et indique clairement le rôle actif qu'il assigne au
lecteur. Mais ce grand spécialiste de Balzac n'est pas dupe: le personnage de roman
n'est pas mort et le «Hussard:» de Giono ou le « Solal :» de Cohen en administrent, au
même moment, une preuve éclatante.
213
Le « nouveau roman >>
a-t-il été une école?
Certaines encyclopédies présentent imprudemment le « nouveau roman >>
comme un «mouvement littéraire>>: il a surtout mis en lumière, en les réunis-
sant un moment, au moins deux ou trois sensibilités littéraires et des indivi-
dualités qui ont ensuite quitté ce carrefour pour reprendre leur propre route,
sans avoir fixé d'orientations communes.
214
2. Des défil'liticms contre~stées
Les deux écrivains qui ont placé le «nouveau roman>> au centre de leur recherche en
ont donné des définitions différentes. Tous deux appartiennent plutôt à la famille for-
maliste. Mais Robbe-Grillet se refuse à inscrire dans des principes son point de vue sur
le roman et préfère en rester à la formule célèbre: «Le "nouveau roman" n'est pas une
théorie, c'est une recherche.» Il illustrera d'ailleurs cette prise de position en déplaçant
assez rapidement son intérêt du côté du cinéma, tandis que Butor abandonnera le
roman pour d'autres aventures littéraires. Conscient que d'autres, plus grands, ont
déjà niis en question le roman classique, Robbe-Grillet, chef de file du «nouveau
roman)), admire chez ses contemporains Sartre et Camus une prise de distance avec le
personnage, mais, contrairement à eux, il refuse de refléter l'incohérence du monde
sur le mode tragique. Peu enclin à la gravité, refusant l'engagement et l'humanisme,
Robbe-Grillet veut transformer la littérature en un vaste jeu dont 1' organisateur se
donne constamment à voir. Il affiche un goût pour les genres mineurs en parodiant
le roman policier, le feuilleton centré sur l'adultère et le roman de mœurs dans
La Jalousie, ou le roman d'aventures dans Le Labyrinthe, par exemple, avec une désin-
volture calculée. Ce faisant, et c'est certainement de ce point de vue-là que l'effet de
groupe aura été le plus créateur, il invite le lecteur à quitter une sorte de révérence
passive à l'égard du romancier en entrant dans le jeu. Le système de répétitions et de
variations qu'il propose frappe d'indécision le contenu du texte et incite le lecteur à
rester soupçonneux. Comme le note plaisamment un commentateur: «L'ère du soup-
çon est celle d'un soupçon infiniment entretenu.»
Dès lors, et c'est un acquis de l'époque, le lecteur actif peut se permettre de mettre en
doute l'originalité du romancier, qui, à son tour, multiplie les intrusions et les com-
mentaires: il montre ainsi qu'au fond il a choisi une possibilité parmi d'autres pour
donner forme à un matériau puisé dans l'imaginaire collectif, le mythe d'Œdipe dans
Les Gommes, celui du .Minotaure et de la descente aux Enfers dans L'Emploi du temps et
La Modification de Butor ou des thèmes encore plus vastes dans les œuvres de Claude
Simon, comme la guerre. Dans ce jeu, la composition qui est de règle accorde une
place importante à l'aléatoire: c'est le cas de Robert Pinget, qui déclare, à propos de
Passacaille (1969), avoir voulu brouiller puis annuler la piste policière dans une compo-
sition dont le titre évoque une partition musicale.
Contrairement à Robbe-Grillet, Jean Ricardou a eu une ambition théorique que l'on
retrouve dans les trois essais qu'il a consacrés au «nouveau roman>>. Parti d'une ana-
lyse descriptive très précise de tous les moyens à mettre en œuvre pour se détacher du
récit classique, il inspire certainement une partie des recherches du groupe à la fin des
années 1960. En même temps, proche du groupe Tel quel, intéressé par les débats sur la
«nouvelle critique», qui aboutissent à un colloque important en 1966, i1 ne propose
que trois rOmans qu'il commente abondamment et qui apparaissent comme des
illustrations quelque peu gratuites de ses écrits théoriques. Très influentes en leur
temps, ses analyses ne suffisent plus à rendre compte de ce que fut le «nouveau roman)),
qui ne rassembla peut -être une poignée d'écrivains que pour leur permettre de tracer
plus librement un chemin individuel.
215
Michel Butor
ou le mouvement perpétuel
Ce n'est qu'en apparence que les trois premiers romans de Michel Butor refu-
sent de dire le monde: l'aventure du << nouveau roman >> qui le rend célèbre
n'est que la première étape d'une œuvre très importante. L'écrivain ne quitte le
roman en 1960 que pour mieux enrichir et métamorphoser son œuvre.
t un explorateur de la littémture
Auteur d'une quantité importante d'ouvrages dont lui-même déclare ne pas connaître le
nombre, Michel Butor est aujourd'hui, paradoxalement, celui qui s'est émancipé le plus
tôt de l'influence du «nouveau roman»- en abandonnant le genre romanesque- mais
aussi le plus célèbre des survivants du groupe et un des seuls à avoir atteint le grand
public, dès cette époque, avec La Modification. On ne peut d'ailleurs comprendre la
féconélité de son œuvre si l'on oublie la polyvalence de ses talents. Après des études de
philosophie - il est formé par Gaston Bachelard -, complétées par une formation à la
peinture et à la musique, Michel Butor, grand lecteur, a enseigné depuis 1950 dans diffé-
rentes universités de par le monde. Cette expérience lui inspire de nombreux essais qui
constituent autant de clés pour lire ses propres écrits. Explorateur de l'espace et du
temps, il intitule Le Génie du lieu, I (1958), un de ses premiers livres et consacre toujours
beaucoup de temps à travailler avec les peintres. Dans ce parcours, le passage par le
roman n'est qu'une étape et les liens avec le« nouveau roman» un épisode.
216
:epèr;s spati~ux et un ré~it simultané des événements, qui, dans L'Emploi du temps, va
JUsqu au vertige, dans le JOurnal de Jacques Revel. L'inanité désordonnée d'un monde
où ~es. personna?es occupés par des enjeux dérisoires se déplacent sans comprendre
les md1ces mythtques qm donneraient sens à leur parcours apparaît pleinement et
B~tor pla~e tous le~ effet_s qui le relient au <{nouveau roman» - mise en abyme,
el.hpses, deconstructwns chverses- sous le signe de la vitesse et de l'adresse au lecteur
concrétisée par l'usage du pronom{< vous». '
t la création en liberté
À l'image du labyrinthe semble succéder alors celle d'un chaos organisé où la mémoire
littéraire et l'esprit cr~ate~r de l'écrivain se rencontrent: dans 6 810 000 Litres d'eau par
seconde (1966), les Cllatwns du texte fameux de Chateaubriand sur les chutes du
Niagara débouchent sur une « étude stéréophonique» à deux voix. Puis il écrit un
Dialogue avec 33 variations de Ludwig Van Beethoven ( 1971) sur une sonate de Diabelli.
Dans une perpétuelle recherche, l'écrivain explore tout ce que les techniques nouvelles
comme la vidéo peuvent apporter à la littérature tout en sollicitant constamment la
collaboration du lecteur._ Après Les Mots dans la peinture (1969), la complicité de
M1~hel B~tor avec les pemtres s'intensifie non seulement par une réflexion critique
m~1s aussi par un~ collaboration permanente aux livres d'artistes: plus de mille
pemtres ont travaillé avec lui. Il écrit de nouveau de la poésie et publie Travaux
d'approche (1972), Envois (1980), Exprès (1983). Son travail critique continue avec les
CI~q volumes de Répertoires et les brillantes études sur ses auteurs préférés, comme
~I~b~ud. Balzac lui inspire trois volumes d'Improvisations ( l998), qui attestent son
mt1m1té avec le maître du roman classique. L'inventeur de nouvelles formes reste un
découvreur qui révèle dans les œuvres d'hier un pouvoir pour le lecteur d'aujourd'hui.
217
Les tropismes
de Nathalie sarraute
L'œuvre de Nathalie Sarraute a été plutôt révélée qu'inspirée par le<< nouveau
roman''· Son projet littéraire, ambitieux, est d'une extrême cohérence. Il
combine un souci d'exploration du langage avec une sensibilité littéraire très
riche qui s'approprie de façon créative de grandes influences.
C'est donc sur une vision tragique de l'existence, minée par l'échec de la communica-
tion, que se construit l'univers de Nathalie Sarraute. Cette quête obstinée de ce qui se
situe avant le langage et qu'elle nomme «sous-conversation» ne récuse pas la psycho-
logie mais recherche la saisie vivante de ce qui est réellement vécu. Elle l'oppose aux
états d'âme fabriqués sur mesure pour les types romanesques du roman traditionnel.
Née russe, élevée en France mais bilingue, Nathalie Sarraute revendique l'influence de
Dostoïevski et celle de Kafka et se sent très proche des romancières anglaises.
218
favo~ise ~lors s~ reconnaissanc~ comme é~rivain sans modifier ses partis pris: elle
contmue a travmller sur le psychisme humam. Le Planétarium ca1·t .11• · • d'
• • , • ,. • , , ,. , A t; ' ns1 emerger une
esqmsse d mtngue reahste- une querelle d mterets dans une fam 1'!!e 1 · •
. . . . . , . . - es presupposes,
les mesq umenes, les confhts et les nvahtes qm agitent cette f,01· 5 no 1 1 1
. . npusaseue
consCience du narrateur mats celle de tous les protagonistes.
~ l'art du détournement
C'est, paradoxalement, à la suite d'une commande qu'elle accepte d'honorer que
Nathalie Sarraute devient dramaturge alors que son écriture porte essentiellement sur
ce que la parole filtre. La sous-conversation se transforme alors en un «pré-dialogue))
qui se distingue du dialogue en se jouant à partir des expressions les plus banales,
locutions, noms propres et noms communs dont les intonations se chargent de sous-
entendus. La création du Silence et du Mensonge ( 1967) est confiée à Jean- Louis Barrault
à l'Odéon. Puis, grâce au metteur en scène Claude Régy, C'est beau (!975) ou Elle est là
(1980) ajoutent, sur scène, à sa voix «écrite)) une tonalité humoristique que l'on
retrouve dans Pour un oui ou pour un non (1982) et qui fait pendant à son ironie natu-
relle. De façon encore plus inattendue, Nathalie Sarraute s'essaie, pour partiellement le
détourner, au genre qui semble le plus opposé à son univers et aux principes du« nou-
veau roman», l'autobiographie: car il symbolise la réécriture artificielle et mensongère
d'une vie fictive par une conscience truquée. Enfance (1983) tente de résoudre le pro-
blème du mensonge autobiographique. Au «je» qui s'exprime en s'attardant sur des
scènes et des expériences arrachées au passé répond constamment une voix seconde qui
interroge) met en doute, réclame des précisîons et des corrections à une narratrice
hésitante. Et ce dialogue qui lève le voile sur les douze premières années d'une enfance
déchirée entre la France et la Russie, bilingue comme celle de Beckett, apparaît comme
le point d'orgue sensible d'une œuvre consacrée aux failles du langage.
219
La mémoire fragmentée
de claude Simon
~ constructions et coii~Jges
La Bataille de Pharsale ( 1969), dont le titre évoque les versions latines de son enfance, a
été surnommée par certains la<< bataille de la phrase». Claude Simon s'engage à ce
moment dans une série de recherches formelles non pas gratuites mais toujours liées, à
partir de ses thèmes obsédants, au travail du temps et à ses résonances: variations
autour d'une œuvre de Poussin dans Orion aveugle (1970) ou collages dans Les Corps
conducteurs (1971), Triptyque (1973) et Leçon de choses (1975). Le texte cherche sa
place à côté de matériaux divers comme des photos, des images diverses, des affiches,
des extraits de films, des manuels, des textes non littéraires. Claude Simon déclare
d'ailleurs: <<J'écris mes livres comme on ferait un tableau. Tout tableau est d'abord
une composition.>> Les Géorgiques (1981) évoqueraient plutôt une composition sym-
phonique. Le titre est emprunté à Virgile, qui, dans son poème du même nom, évoque
le mythe d'Orphée convoqué indirectement par le récit contemporain. La guerre,
thème privilégié de Claude Simon, habite les trois histoires qui se croisent ct se heur-
tent dans la quête archéologique de trois figures : celle d'un général de la Révolution et
de l'Empire, celle d'un combattant de la guerre d'Espagne, celle d'un officier de cavale-
rie pendant la« drôle de guerre». Des images obsédantes de l'univers simonien, comme
celles des chevaux, restituent le « magma de mots et d'émotions)) à l'origine du texte et
scandent le travail de recréation du passé. Le mouvement du récit est entraîné par une
phrase dominée par le participe présent qui fait vivre l'instant et le suspend.
~ Reconnaissance et reviviscences
L'œuvre de Claude Simon suscite à l'étranger, plus encore que le <<nouveau roman»,
beaucoup d'in,térêt et de nombreux travaux universitaires. Elle n'est pas achevée alors
et ne le sera jamais. Récompensé par le prix Nobel, l'écrivain a rappelé ce que, selon
lui: la littérature pouvait faire: «Non plus démontrer, donc, mais montrer, mais pro-
dmre, non plus exprimer, mais découvrir.>) Et c'est dans le tréfonds d'une mémoire
qui s'avoue douloureuse que puisent ses deux derniers grands livres, L'Acacia (1989),
récit plus personnel et puissamment poétique, et Le Jardin des Plantes ( 1997), sorte de
bilan en forme de puzzle d'une vie d'écrivain, hantée par une «mémoire inquiète)> à
jamais privée de son« temps retrouvé».
221
Marguerite Duras,
une voix venue d'ailleurs
Aimés ou détestés dès la première ligne, les écrits de Marguerite Duras entre-
tiennent des liens, involontaires mais indéniables, avec le <<nouveau roman>>.
Mais l'impulsion de départ d'une œuvre polymorphe et tardivement reconnue
l'apparenterait plutôt au surréalisme.
1. Atte!"'te et ressassement
Parce qu'elle tente de restituer le chaos du monde en niant l'ordre classique du roman
et en explorant les failles de la parole, l'œuvre de Marguerite Duras (1914-1996) entre
en résonance avec le« nouveau roman», bien qu'elle ait toujours refusé cette assimila-
tion. Parce qu'elle est habitée, sous toutes ses formes, par la quête impossible de
l'amour fou, elle est étrangère au formalisme affiché par ce groupe et semble fidèle à
l'esprit du surréalisme. Le motif récurrent qui traverse son univers romanesque,
dramatique et cinématographique est conjugué avec celui de la mort, celui de l'attente:
un des seuls biens communs au surréalisme et au{< nouveau roman>>. !viais sa voix sin-
gulière a mis longtemps à se faire entendre: entre son chef-d'œuvre, Le Ravissement de
Lol V Stein (1964), et L'Amant (1984), qui lui vaut, à soixante-dix ans, le prix
Goncourt, une carrière d'écrivain, opiniâtre, voire obstinée, s'est construite autour de
quelques obsessions, l'amour, la mort, le souvenir traumatique, la trahison. Et dans
son dés_ir de parvenir à exprimer l'indicible, elle rejoint Georges Bataille et Maurice
Blanchot, dont elle sera proche dans les années 1950, plutôt que les néo- romanciers.
Après deux romans classiques, Duras commence à rechercher dans sa propre vie la
matière de récits constamment réorganisés autour d'un roman familial tragique dont ses
détracteurs lui reprocheront, curieusement pour une œuvre de fiction, les déformations
ct les mensonges. Dans Un barrage contre le Pacifique (1950), elle commence à romancer
son enfance en Indochine et la tentative de sa mère, institutrice française en conflit avec
l'autorité administrative coloniale, pour sauver des vagues du Pacifique le lopin de terre
qu'elle a acquis. Tandis que se profile> dans cette œuvre, l'attente de l'amour fou chez les
enfants de l'héroïne, Le Marin de Gibraltar (1952) module la quête d'un autre amour,
disparu ici. Une fois ses thèmes dévoilés, Marguerite Duras, qui a vécu l'Occupation
d'abord comme employée du régime de Vichy, ensuite comme agent de liaison dans
la Résistance pendant la déportation de son mari, Robert Antelme, trouve sa voix
personnelle. C'est Moderato cantabile (1958), publié aux éditions de Minuit, qui
attire l'attention sur un tournant de son écriture. Elle refuse- contrairement aux néo-
romanciers- de «cadrer!> un texte qui, selon elle, doit s'écrire dans l'urgence sans distin-
guer l'écrit de l'oral. Elle privilégie le temps grammatical du présent, et, dans une
approche moins systématique et plus poétique, se situe dans le registre de la «sous-
conversation», définie par Nathalie Sarraute. Tantôt monocorde, tantôt haché et haletant>
tout en ellipses, en silences, en ruptures de construction, en répétitions caractéristiques>
en dialogues brefs, épurés, décalés, le principe du ressassement, que quelques amuseurs, à
l'heure de sa gloire, se firent une joie de pasticher, orchestre la musique Jurassienne.
222
2. l'infil'lie dédi!"'aisol'l de l'amour fou
Histoire d'amour impossible entre deux personnages socialement incompatibles, égarés
dans une quête hantée par l'obsession de la mort et la dérive de l'alcool, Moderato
cantabile est porté à l'écran en 1960 par le metteur en scène de théâtre Peter Brook.
Entre-temps, on s'est fort peu arrêté sur le rôle déterminant joué par le scénario écrit
par Marguerite Duras dans la réalisation d'un film exceptionnel qui fait entrer le
cinéma dans la modernité: Hiroshima mon amour (1959), d'Alain Resnais. Tous les
thèmes de runivers durassien y apparaissent, amplifiés par le cinéaste jusqu'à l'incan-
descence. Ainsi, le réveil d'une ancienne blessure est provoqué par un événement trau-
matique: la mémoire du bombardement d'Hiroshima. A travers une liaison amoureuse
avec un Japonais, une jeune Française répète son amour impossible vécu avec un soldat
allemand sous l'Occupation. La folie, la réclusion, suggérées par des scènes obsédantes
préfigurent l'atmosphère envoûtante que crée son roman majeur, Le Ravissement de Loi
V. Stein: dans une quête impossible, suivie par un narrateur qui entre dans le jeu et crée
une situation triangulaire en devenant son amant, le personnage de Lol V. Stein revit un
choc émotionnel, le double <'ravissement» qui l'a plongée dans la stupeur lorsque, au
cours d'un bal, elle a vu une femme maléfique lui «ravir» son amant. Hantée jusqu'à la
folie par ses obsessions, Lol V. Stein finit par s'endormir dans un champ de blé. La
séductrice vénéneuse, Anne-Marie Stretter, personnage récurrent réapparaît dans Le
Vice-Consul (1965) et dans India Song (1973, adaptation cinématographique 1975).
Comme l'a montré un examen récent des archives de l'écrivain, Le Ravissement de Lol
V. Stein aurait aussi pu être un film. Car Marguerite Duras a souvent porté à la scène
ou à l'écran une seconde version d'un texte initial : Les Viaducs de la Seine-et-Oise
(1959) se métamorphosent en un roman puis en une pièce intitulés L'Amante anglaise
( 1967). Des journées entières dans les arbres ( 1954) deviennent une pièce en J 968 et un
film en 1977. Après avoir été scénariste et coréalisatrice pour La Musica (1966), l'écri-
vain se consacre à la réalisation de films comme Baxter, Vera Baxter (1976), Son nom
de Venise dans Calcutta désert ( 1976) ou Le Camion ( 1977). Considérée avec méfiance
comme le symbole d'un intellectualisme excessif, l'écrivain, malgré la maladie et la
dépendance à l'alcool, écrit Savannah Bay (1982), puis La Maladie de la mort (1982).
Avec L'Amant qui, dans un mouvement circulaire, réécrit en changeant de personnage
principal et de point de vue Un barrage contre le Pacifique, elle attire, grâce au prix
Goncourt, un large public. L'histoire> autobiographique, est centrée, dans un jeu énon-
ciatif complexe, sur la liaison scandaleuse, et dont on ne sait trop si elle fut subie ou
choisie, d'une adolescente avec un Chinois. Ventretien impressionnant avec le journa-
liste Bernard Pivot, réalisé la même année, livre à ce moment-là une partie des clés de
l'œuvre: tandis que la voix sourde, coupée de silences, de Marguerite Duras fait
entendre son écriture, les deuils qui habitent son œuvre, comme celui d\m de ses
frères, affleur~nt malgré le poids des années, justifiant un cheminement littéraire qui
n'a rien d>artificiel. La Douleur (1985) évoque l'interminable attente de Robert
Antelme, déporté et sauvé de justesse de la mort, tandis que Duras poursuit jusqu'à la
fin ses recherches d'écriture et ses variations. Mécontente de l'adaptation à l'écran de
L'Amant (1991) par Jean-jacques Annaud, elle réécrit le scénario dans L'Amant de la
Chine du Nord ( 1991 ), dans une ultime «répétition».
223
Les voisinages
du « nouveau roman >>
En dépit de sa légitimité incertaine, le «nouveau roman>> a eu le mérite,
comme le souligne le parcours de Marguerite Duras, d'attirer l'attention sur le
potentiel esthétique du cinéma. Encore méprisé dans les années 1920, alors qu'il
adapte déjà des œuvres littéraires, le septième art fascine les néo-romanciers qui
collaborent avec les cinéastes avant de s'essayer eux-mêmes à la mise en scène.
Dans le même temps, «nouveau roman>> et cinéma accompagnent sans les
influencer les débuts de deux grands romanciers.
224
mais ses membres vont très vite produire des œuvre personnelles et différentes : celle
de François Truffaut, pas forcément fidèle à son modèle américain, reste un hommage
permanent à la littérature. Mais le moment très bref qu'a constitué la «nouvelle
vague)) favorise la consécration esthétique du septième art et sa collaboration en
forme de recréation avec la littérature: Ors on Welles adapte, en France, Le Procès
(1962), de Kafka, et Luchino Visconti, assistant de Jean Renoir sur le film d'avant-
guerre Partie de campagne, magnifie dans Le Guépard (1963) le chef-d'œuvre roma-
nesque de Tomaso di Lampedusa.
225
L'OuLiPo,
du jeu à la création
( )
Des origines
lointaines
Comme la plupart des mouvements littéraires du XX' siècle, l'Oulipo (OUvroir
de Littérature POtentielle) a refusé d'être considéré comme une école: ce
joyeux groupe qui veut faire de la littérature un jeu fondé sur des contraintes
en présente pourtant toutes les caractéristiques. Et sa représentation de la
littérature remonte à une très ancienne tradition.
1. littérature et contraintes
~ un vieux G!ébat
L'histoire littéraire s'est constituée essentiellement, depuis la Défense et illustration de
la langue française de Du Bellay, autour de querelles nées de la transgression par
quelques audacieux de règles souvent mal définies à partir du modèle fondateur, le trio
des genres hérité d'Aristote. C'est par le déplacement des conventions, le refus d'inter-
dits généralement non formulés, que les inventeurs se sont exprimés: les poètes de la
Pléiade contre la tradition scolastique, les romantiques contre le carcan des genres,
tandis que l'assomption classique de la règle répondait à un idéal esthétique et poli-
tique. Le débat autour du formalisme des conventions est pourtant vieux comme la lit-
térature: éminent représentant de l'Oulipo, Marcel Bénabou, qui a également enseigné
l'histoire romaine à l'université, aî.me à rappeler que la poésie est devenue un art exi-
geant et savant dès le lW siècle av. J.-C.: les poètes alexandrins, influencés par la rhéto-
rique, ont joué avec les formes fixes, comme le genre de l'éloge. Les Hymnes de
Callimaque et les Bucoliques de Théocrite ont été construits à partir d'un schéma
numérique rigoureux, fondé sur le nombre 9. Rome, comme toujours, reproduit le
modèle, et, sous l'Empire, l'élégie érotique d'Ovide, Tibulle ou Properce, comme l'a
montré Paul Veyne, devient un pur jeu mondain. On voit même le poète Martial
(44-103 apr. ).-C.) se plaindre de la prolifération des contraintes. Cette tradition se
perpétue en France avec les grands rhétoriqueurs du Moyen Âge, comme Guillaume
Crétin et Jean Molinet, ou les poètes baroques, comme Marc de Papillon de Lasphrise
(1555-1599). Des oulipiens revendiquent même comme ascendant Racine, obsessîon-
neHement attaché aux règles de la tragédie, et, plus près de nous, les formalistes russes.
228
vise une déconstruction ludique et créative du langage. Et c'est dans la période de
toutes les rebellions - deuxième vague du surréalisme, existentialisme, premières
apparitions du «nouveau roman>}- qu'est solennellement fondé le Collège de pata-
physique, le 11 mai 1948. Vouée à« étudier les lois qui régissent les exceptions», la
pataphysique a hérité d'f1picure la théorie du « clinamen », un principe de déviance
créateur qu'a repris Rabelais et que l'Oulipo annexera. Les futurs oulipîens sont
d'ailleurs nombreux parmi les membres et les «grands dignitaires» du Collège de
pataphysique, où ils voisinent avec les surréalistes: Raymond Queneau (1903-1976) et
François Le Lionnais ( 190 l -1984) y côtoient Max Ernst, Marcel Duchamp, Joan Mir ô,
jacques Prévert (1900-1977) ou Michel Leiris (1901-1990),
2. Règles ou contraintes
~ un inspirateur, Raymond Roussel
La redécouverte de Raymond Roussel (1877-1933), contemporain de la crise du roman
à la fin de l'empire naturaliste, a fait de lui l'ancêtre mythique de l'Oulipo, même si les
surréalistes- qui ne s'en sont pas privés- et le «nouveau roman» sont tout aussi fon-
dés à l'ériger en figure tutélaire. En effet, cet écrivain, inspiré par les clichés de son
époque, les transpose parodiquement dans ses Impressions d'Afrique (1909). Et dans
cette œuvre comme dans La Poussière des soleils (1926), il s'impose des contraintes
techniques qui lui semblent suffisamment productives pour qu'il les expose dans un
livre devenu sacré pour les oulipiens, Comment j'ai écrit certains de mes livres (1935). Il
explique que ces contraintes fonctionnent sur <<deux mots pris dans deux sens diffe-
rents, deux sens qu'un récit est chargé de rapprocher et de justifier». Dans l'exemple
qu'il cite, les mots «blanc» et «bandes>> donnent ainsi du sens propre au sens figuré,
deux expressions cocasses, «les lettres du blanc sur les bandes du billard>> face à «les
lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard», qui jouent sur la polysémie des mots.
229
L'OUvroir de Littérature
POtentielle
L'Oulipo a, semblable en cela à tous les courants littéraires de son temps,
instruit le procès de l'« inspiration>> mythique de l'écrivain pour condamner
cette vision romantique de la littérature. Mais il est le seul à avoir atteint une
telle longévité: cinquante ans d'existence.
1. le moment fol'ldateur
230
Albert-Marie Schmidt (1901-1966), spécialiste des grands rhétoriqueurs, et Jacques
Bens (1931-2001), intronisé secrétaire définitivement provisoire du début. La longévité
du groupe tient beaucoup à la diversité de ses membres, tous engagés dans des activités
personnelles et qui se réunissent une fois par mois.
~ Un enrichissement permanent
Contrairement aux surréalistes, agités p-ar diverses querelles et par les rappels
obsessionnels de .Breton à l'orthodoxie, les oulipiens ·organisent très vite leur travail
collectif: ils ouvrent, par cooptation, le ·groupe à de nouveaux talents, et non des
moindres . .Jacques Roubaud, poète et mathématicien, directeur d'études à l'École des
hautes études en sciences sociales, arrive en 1966, rejoint en 1967 par Georges Perec
(1936-1982). Marcel Bénabou, entré en 1969, en même temps que Luc Étienne (!908-
1984), cumule, depuis 2003, la fonction de secrétaire définitivement provisoire avec celle
de secrétaire provisoirement définitif 1972 voit l'arrivée de Paul Fournel. Le brassage et
le renouvellement des générations sont assurés par la cooptation de Jacques Jouet et
François Caradec en 1983, celle de Pierre Rosenstiehl et d'Hervé Le Tellier en 1992, de
Michelle Grangaud et du linguiste Bernard Cerquiglini en 1995, enfin, de Ian Monk en
1998. Au XXle siècle, l'Oulipo a coopté deux mathématiciens, Olivier Salon en 2000 et
Michèle Audin en 2009. Anne F. Garréta (née en 1962) en 2000 et, trois ans plus tard,
Valérie Beaudouin (née en 1968), mathématicienne de formation, auteur d'une thèse
sur l'alexandrin, contribuent, avec les correspondants étrangers, à la formation d'un
atelier étonnant de vitalité. Ce rayonnement est soutenu par une reconnaissance rapide
de la communauté universitaire- qui publie des travaux sur l'Oulipo dès 1986- et la
cré_ation d'associations proches qui appliquent les principes oulipiens dans des
domaines comme la psychanalyse, le roman policier, la bande dessinée ou le cinéma. La
plus ancienne est celle que fondèrent ensemble, en 1980, le «disparate» Paul Braffort et
Jacques Roubaud, Alamo (Atelier de littérature assistée par la mathématique et les ordi-
nateurs). Enfin, seul mouvement à avoir pris cette initiative, l'Oulipo a diffusé sa méthode
dans des ateliers d'écriture pour les particuliers, puis s'est fait reconnaître en milieu
scolaire: ses techniques les plus accessibles participent à l'apprentissage de l'écriture.
231
La contrainte
comme programme
Comme le suggère son nom, l'Oulipo est un atelier permanent. Son
programme ne vise donc pas à laisser une trace en termes d'idées ou
d'œuvres, mais à proposer constamment de nouvelles contraintes d'écriture.
1. un catalogue de contraintes
~ Affiner des contmintes existantes
Il est impossible de recenser rapidement toutes les contraintes définies par l'Oulipo
depuis ses débuts. Marcel Bénabou a cependant défini trois types de contraintes: celles
qui ont précisé des usages existants, celles qui inventent des jeux sur les lettres et celles
qui déterminent ou enrichissent des formes fixes. Parmi les premières, la plus célèbre
tient au principe de transformation d'un texte intituléS + 7: il consiste à «remplacer,
dans un énoncé donné, chaque substantif par le septième qui le suit dans un diction-
naire donné ». Défini par Jean Lescure, il inspire à Raymond Queneau le poème «La
Cimaise et la fraction» qui détourne une fable de La Fontaine, «La Cigale et la
fourmi>!, tandis qu'Italo Calvino, Jacques Jouet et François Caradec y ont ajouté des
variantes. L'amplification permet d'étoffer indéfiniment un texte: on en extrait une
courte phrase qui va subir une série d'expansions. «La marquise sortit à cinq heures>>
est suivi de:
'<Elle montait.
Elle montait une jument.
Elle montait une splendide jument.
Elle montait ce jour-là une splendide jument alezane.
Elle montait ce jour-là une splendide jument alezane dont le blanc immaculé etc."
232
~ le renouvellement et l'invention de formes fixes
Preuve de son attachement au panthéon littéraire qu'il veut enrichir, l'Oulipo a consa-
cré beaucoup de temps à travailler sur une forme ancienne, la« sextine »,qui avait déjà
fasciné Aragon. C'est un poème à forme fixe composé de six sixains sur deux rimes
(avec six mêmes mots revenant à la rime, dans un ordre différent pour chaque
strophe) et d'un tercet. Dans Bâtons, chiffres et lettres (1950), Raymond Queneau défi-
nit ainsi le modèle fourni par Pétrarque :
((Particulièrement potentielle me paraît la sextine. Elle se compose de six strophes de six vers
et .d'une demi-strophe de trois vers [ ... ].La sextine s'écrit de préférence en alexandrins [ .. ].
La sextine remonte, paraît-il, à Arnaut Daniel (1180? - 1210) ».
C'est donc dans la lignée d'un troubadour médiéval qui apparaît dans l'Enfer de Dante
que Queneau inscrit son travail et crée collectivement la« quenine ». Perec et Rou baud
introduisent le principe de la sextine dans certains de leurs romans. La Bibliothèque
oulipienne dévoile d'autres inventions et on doit à Raymond Queneau deux référen-
tiels baptisés «tables de Queneleieff », «l'une consacrée aux objets linguistiques,
l'autre aux objets sémantiques», précise Marcel Bénabou.
233
Raymond Queneau
virtuose de la langue
S'il doit beaucoup à François Le Lionnais, érudit et jongleur de mots et de
chiffres, l'Oulipo n'aurait jamais existé ni duré sans son autre cofondateur,
Raymond Queneau. Créateur d'un groupe qui ne se reconnaissait que dans des
textes, Queneau, déjà auteur d'une œuvre, composée avant et pendant l'Oulipo,
y a joué un rôle éminent.
Ce quatrain, extrait de L'Explication des métaphores, traduit à lui tout seul l'agilité de
Raymond Queneau et l'ambiguïté de son talent: il cherche avant tout à exploiter les
ressources de la langue classique pour mieux la bouleverser en lui restituant sa vigueur
créative. En même temps, la légèreté voulue du propos cache une inquiétude, celle
d'un homme et d'un écrivain polymorphe et polygraphe qui ne s'inféode à aucune
école avant de créer avec l'Oulipo le lieu de toutes les inventions. Né avec le xxe siècle,
Queneau (1903-1976) s'est trouvé soumis à toute une série d'influences: c'est un bon
élève et un écrivain précoce qui a déjà écrit, à treize ans, des romans et des poèmes
tout en subissant durement le choc de la Première Guerre mondiale qui assombrit sa
jeunesse. Fin 1924, Queneau subit le choc surréaliste, rencontre, à partir de 1927,
Breton et ses amis, notamment Jacques Prévert, Yves Tanguy et Marcel Duhamel, et
découvre l'écriture automatique. Bien qu'il ait, et avec lui l'Oulipo, rejeté ce passé et
cette technique «qui n'a jamais produit soit que des élucubrations d'une répugnante
banalité, soit que des "textes" affligés dès leur naissance des tics du milieu qui les pon-
dit~>, la rencontre avec le surréalisme libère en lui une capacité de création qui va se
tourner vers le travail sur la langue. Après sa rupture avec Breton, dont il a épousé la
belle-sœur, il est sensible à une autre influence, celle de Georges Bataille.
~ Queneau romancier
Alors que son passage par le surréalisme l'encourage à se dégager de la hiérarchie et du
cloisonnement des genres, Queneau raconte avoir éprouvé, au cours d'un voyage en
Grèce, en 1932, une révélation: dépasser la scission communément admise entre la
langue écrite et la langue parlée pour créer un langage plus riche lui apparaît comme
une voie de création. Il écrit alors Le Chiendent ( 1933). Sans être véritablement
reconnu autrement que par le prix des Deux Magots, créé pour lui par quelques amis, il
écrit alors des romans de facture traditionnelle dans une veine pers.onnelle et sombre
234
où domine le spectre de l'échec. Pendant qu'il fait une cure psychanalytique, le roman
Odil~ (_1937) .~;vient sous forme métaph?riqu~ sur la. déception laissée en lui par le
surrealisme. C est dans cette œuvre que s expnme clairement un aspect fondamental
de son esthétique: le refus de l'inspiration et de l'abandon à l'inconscient. ll écrit:
«Le vrai poète n'est jamais "inspiré": il se situe précisément au-dessus de ce plus et de ce
moins, identiques pour lui, que sont la technique et l'inspiration.>)
• De zazie à l'Oulipo
Tandis que la Petite Cosmogonie portative (1950) confirme l'orientation ludique et
inventive de sa poésie, Queneau publie Bâtons, chiffres et lettres (1950), véritables pro-
légomènes à l'Oulipo, et connaît un succès ambigu avec Zazie dans le métro (1959),
exemple de« néo-français)), riche en provocations: l'orthographe, les bonnes manières
et la comédie sociale y sont malmenées, caractéristique amplifiée par l'adaptation
cinématographique réalisée par Louis Malle. Le projet initial, renouveler la langue, est
confondu avec un anarchisme gratuit. La fondation de l'Oulipo donne à l'écrivain
1' occasion d'approfondir ses recherches et de publier en poésie, après les Cent 1\1ifle
Milliards de poèmes, une sorte de trilogie, Battre la campagne (1968), Fendre les flots
(1969) et Morale élémentaire (1975), ainsi que deux romans, Les Fleurs bleues (1965) et
Le Vol cJ>[care (1968). Queneau, qui cultive avec talent de nombreuses passions,
comme le cinéma pour lequel il écrit des dialogues, sera hanté jusqu'à la fin de sa vie
par des préoccupations spirituelles et existentielles qui s'expriment dans Histoire
modèle (1966) et dans son Journal (posthume, 1986-1996). Le fondateur de l'Oulipo,
qui, contrairement à Céline, a choisi de taire sa vision pessimiste du monde dans les
créations de son langage inventif, n'en a pas moins réalisé une œuvre ... mettant ainsi
en question ses propres principes et ceux de l'Oulipo. De lui Roland Barthes a écrit:
«Il assume le masque littéraire, mais en même temps ille montre du doigt.>>
235
Georges Perec,
du jeu à l'abîme
La vocation littéraire de Georges Perec et son goût pour les jeux du langage
ont précédé son adhésion à l'Oulipo, mais c'est dans le cadre du groupe qu'il
écrit un chef-d'œuvre et que s'épanouit une écriture secrètement marquée par
une douleur existentielle vertigineuse.
236
roman lipogrammatique, La Disparition, Georges Perec est coopté par les oulipiens,
auxquels _il va apporter, disent-il, leurs lettres de noblesse. En 1983, Jacques Bcns,
membre fondateur d'un groupe soupçonné de futilité, écrit, en hommage posthume à
Perec, qui se considérait <<à 97 o/o comme un produit de l'Oulipo» :
«Mais ce que nous lui devons le plus, c'est d'avoir offCrt à l'Oulipo une œuvre indiscutable[ ... ].
On avait enfin la preuve que les procédés d'écriture proposés par les amis de Queneau et de
François Le Lîonnais pouvaient soutenir la comparaison avec les grands modèles classiques».
237
. . .
Les ecr~vaans
de l'Oulipo (1)
C'est à la littérature que cet esprit scientifique souhaite appliquer l'art maitrisé du
"disparate"· Ingénieur chimiste de formation, amené par hasard à devenir maître de
forges, il doit à son talent de joueur d'échecs et de rédacteur d'une revue internationale
spécialisée en ce domaine le privilège de rencontrer, au début des années 1930,
Raymond Roussel, puis un peu plus tard Marcel Duchamp, qui adhérera à l'Oulipo en
1962. Mathématicien amateur brillant, François Le Lionnais n'est pas seulement un
joueur: membre du réseau de résistance du musée de l'Homme, il est déporté au camp
de Dora. Conseiller à la Direction des musées de France, il travaille à l'Unesco et
apporte surtout à l'Oulipo son infatigable énergie.
~ Au service de l'Oulipo
C'est à l'action collective du groupe, et, notamment, à la rédaction de ses textes
programmatiques, comme à 1' animation des réunions, que François Le Lîonnais se
consacre. C'est lui qui, dans le Premier Manifeste de l'Oulipo, fixe un cadre d'où est
exclu l'immobilisme d'une certaine tradition. Il écrit ainsi:
"L'humanité doit-elle se reposer et se contenter de faire sur des pensers nouveaux des vers
antiques? Nous ne le croyOns pas.).)
Mais il insiste sur la nécessité de renouveler les formes- hors de tout arbitraire:
«Ce que certains écrivains ont introduit dans leur manière avec talent, voire avec génie [ ... ],
l'Ouvroir de littérature potentielle entend le faire systématiquement et scientifiquement >>.
238
Rédacteur des trois manifestes (1963, 1973, 1985), il crée les sous-groupes de l'Oulipo-
Oulipopo (littérature policière), Oupeinpo (peinture), et suggère à Noël Arnaud l'idée
de l'Oucuipo (cuisine).
~ un inventeur de poésie
Dans son hommage de 1983 à l'auteur de La Vie, mode d'emploi, jacques Bens rappelle
que George Perec a été le premier, mais pas le seul, à offrir une œuvre au groupe et il
cite celle, toujours en mouvement, de Jacques Roubaud. En effet, ce professeur qui a
choisi l'étude des mathématiques non sans avoir publié, sous la direction du poète
Yves Bonnefoy, une thèse sur La Forme du sonnet français, de Marot à Malherbe.
Recherche de seconde rhétorique, est un passionné de haïkus. Il partageait la passion de
Perec pour le jeu de go au point de rédiger avec lui et Pierre Lusson un Petit 1faité invi-
tant à la découverte de l'art subtil du go (1969). Il fut" recruté" par Queneau, éditeur de
son premier recueil de poèmes qui porte le titre d'un symbole mathématique, E en
théorie des ensembles, et propose 361 textes qui sont les 180 pions blancs et les
180 pions noirs d'un jeu de go qui peuvent être lus de quatre manières. Trente et Un au
cube ( 1973) correspond à une composition de trente et un poèmes, chacun de trente et
un vers de trente et une syllabes, dont la lecture est complexe et comporte de très
nombreuses contraintes. Mais la recherche formelle qui s'inscrit dans une vaste explo-
ration du langage n'enlève rien à «l'unité de ce long poème, long dialogue où se
mêlent sous forme de citations, de traductions et d'échos, les voix de poètes, de
peintres et de musiciens de toutes les époques et de tous les pays '' (B. Vercier,
j. Lecarme, La Littérature en France depuis 1968).
Profondément engagé dans la vie du groupe, Jacques Rou baud participe à la constitution
de la Bibliothèque de l'Oulipo et publie, avec Harry Mathews, un roman, 53 ]ours.
239
; e •
Les ecr1va1ns
de l'Oulipo (2)
L'Oulipo n'est pas le seul mouvement à s'être constitué comme une société
secrète attachée à ses rituels. Les règles qu'il s'est données assurent la vitalité de
l'inspiration oulipienne et la pérennité du groupe.
240
2. les oulipiens d'aujourd'hui
Il est impossible, dans une présentation du groupe, d'examiner l'ensemble des textes
produits par les membres actuels de l'Oulipo: leur site officiel recense régulièrement
une importante activité. On citera, parce que leurs écrits ont atteint un vaste public ou
qu'ils s'attachent à la diffusion de leurs travaux, trois exemples d'écrivains oulipîens.
241
Les oulipiens
d'ailleurs
Le rayonnement de l'Oulipo à l'étranger fait partie de ses paradoxes: mouve-
ment formaliste dont les origines remontent à l'ancienne rhétorique, il n'en
rencontre pas moins les préoccupations de tous les écrivains du XX' siècle.
1. De la traduction au jeu
242
sous d'autres formes avant de participer à la démarche collective des 0 , 11· · . . ·
, ,. . . lpita'> . a p;utJr
de 1973 et a lmsttgatwn de Perec. D'abord poète, proche de l'«École ~
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a fondé avec Kenneth Koch et James Schuyle la revue Locus Sol us. Sa francophilie. le
conduit à participer à la Paris Review, dont il dirige la branche par 1·51·en
, , . . . . · ne d ans les
annees 1980. C est son premier roman, Converswns (1962), qui attire l'attention de
Perec, en 1970 : le récit tourne autour d'un testament et de trois énigmes que l'héritier
inattendu d'un savant original doit résoudre avant de bénéficier de son legs. Le climat
et la struc,ture de l'œuvre se res.s~~tent, d.e l'înfl~ence de Jules Verne et de Raymond
~o.us:~l, d autant plus qt~e la, trmstem_e .~mg~e n est pas re~olu~, ce qui sollicite la par-
tlCipa~wn du Ie~.teur. Grace a. son amitie et a sa collaboratiOn littéraire avec Perec, qui
traduit le deux1eme de ses s.tx romans, Les Verts Champs de moutarde d'Afghanistan
(1975), il participe à la constitution de la Bibliothèque oulipienne. Il fait aussi découvrir
à Perec les I remember de Joe Brai nard: il produit Vingt Lignes par jour, écrit directe-
ment en français Le Verger (1986), inspiré par la mort de Perec, sur le modèle de je me
souviens. Il produit des fascicules sous contraintes, comme Écrits français et Le Savoir
des rois, en soulignant combien cette fOrmule stimule sa capacité d'écriture en langue
étrangère. Tout en poursuivant une œuvre non oulipienne, il fait connaître les travaux
du groupe par son enseignement dans les universités américaines à partir de 1978: il y
anime notamment des ateliers d'écriture, pratique courante aux États-Unis. En 1998,
Harry Mathews publie, avec Alastair Brotchie, l'Oulipo Compendium, inventaire ency-
clopédique et analyse du groupe, de ses membres, de ses proches et de ses ramifications.
243
ltalo calvino,
oulipien d'Italie
L'Oulipo, souvent accusé de se situer entre la confidentialité d'une société
savante et la futilité d'un club de joueurs d'échecs, a eu une influence impor-
tante sur l'œuvre d'Italo Calvino: l'écrivain italien y trouve des convergences
avec son art en plein épanouissement.
1.
~ Wbyrillthes et arborescences
Tandis qu'il publie Marcovaldo ( 1956) et continue à faire paraître des Contes populaires,
l'univers de Calvino est déjà « oulipien t> : dès son premier roman, le motif du réseau, de
l'enchevêtrement apparaît. Dans son roman en forme d'apologue, Le Baron perché, le
héros, Côme Laverse du Rondeau, qui incarne l'esprit des Lumières, rompt avec ses
parents pour s'installer dans une yeuse et circuler à la recherche de la sagesse dans le
labyrinthe des arbres, en surplombant la comédie sociale. Dans Le Chevalier inexistant,
on peut repérer un autre talent oulipien puisque ce récit peut être lu comme une paro-
die du roman de chevalerie. En 1978, Roland Barthes cite, parmi les trois qualités
essentielles de Calvino, le développement de l'imagination, le «combat-jeu>> avec le récit
et une forme particulière d'« humanité» : «Une sorte de charme tendre, de charme
élégant. La sensibilité réunie avec une sorte de vide.» Ces caractéristiques s'affirment
dans les années 1960.
244
2. calvino et l'Oulipo
~ «Ermite ti Paris»
Selon Jacques Jouet, qui a consacré un article à Calvino, c'est dans une œuvre de 1965
Cosmrcomics, que l'identité oulipienne de Calvino apparaît. Il écrit: '
« Ch.ez t~ut écrivain oulipien, il y a, me semble-t-il, une figure du catalogue formel qui lui est
parttcuherement personnelle et nodale, une figure potentielle·- c'est-à-dire une contrainte_
qu~, plus ou moins consciemment, son œuvre entier se charge d'actualiser: il s'agit de contester
l'arbitraire de cette contrainte formelle, non pas en lui faisant porter du sens, mais en la faisant
devenir sens suprême. Qfwfq est le personnage central de Cosrnicomics, celui qui, de conte en
conte, dit, raconte, se souvient, s'exclame, confirme, commente ... Son nom est un palindrome,
c'est--à-dire qu'il est lisible, lettre à lettre, de gauche à droite ou de droite à gauche. C'est un
pe,rsonnage qui ramasse enlui-même l'expérience du monde la plus vaste qui soit, puisqu'il
a eté de tous les temps et de tous les espaces possibles, même du temps et de J'espace qui
n'étaient pas encore. Cette figure, qui permet à Calvino de libérer les potentialités narratives
d'énoncés scientifiques, lui fait aussi dessiner la silhouette d'une sorte de témoin par lequel
passent, ont passé, passeront tous les phénomènes réels.
Qfwfq est un bon exemple de l'axiomatique des inventions calviniennes. Un personnage
intéressant, un personnage révélateur sera un personnage contraint, au sens où la contrainte
qui s'exerce sur lui parait à première vue un handicap, une limitation des possibles, mais
paradoxalement se révèle féconde de par l'énergie nécessaire à compenser le handicap lui-même.>>
245
le xxe siècle, tombeau
des courants littéraires ?
Le vieux débat engagé sur la durée, les limites temporelles, l'authenticité et,
surtout, l'influence réelle des courants de pensée, des mouvements et des écoles,
a été engagé dès l'apparition de l'histoire littéraire.
1. la littérature en question
Le XIXe siècle, contemporain de l'essor, universitaire, puis scolaire, de la discipline 2
nommée histoire littéraire, qui est née au XVIW siècle, peut être considéré comme l'âge
d'or des courants et des mouvements littéraires. Quelle que soit la dénomination rete-
nue pour ces «phénomènes littéraires», nul ne remet en question le choc du roman-
tisme, l'importance du Parnasse et du symbolisme, la toute-puissance du naturalisme.
Au siècle suivant, la situation se complique, la notion devient problématique: on ne
relève d'abord qu'un seul «mouvement» constitué, le surréalisme. Des trois autres
courants suffisamment durables pour être étudiés, existentialisme, « nouveau roman»
et Oulipo, les deux derniers ont, à l'origine, une orientation formelle, voire rhétorique,
au sens large du terme, tandis que le premier, qui chevauche l'histoire des idées, ne
compte pratiquement que des membres improbables, réticents, parfois honteux. Cet
ouvrage ne traite, par ailleurs, ni de phénomènes plus restreints dans leur durée et leur
influence, comme le roman des Hussards dans les années 1950 ou l'École de Rochefort
en poésie, ni du groupe Tel quel, associé à des enjeux qui dépassent la littérature. Force
est de constater, cependant, que cette méfiance des écrivains à l'égard des classements,
pour n'être pas nouvelle, n'en demeure pas moins spectaculaire. Il faut, bien sûr, la rat-
tacher au double procès intenté à la littérature d'abord par Sartre (voir fiche 76), puis
par Roland Barthes dans Le Degré zéro de l'écriture (1953) et par la<< nouvelle critique>>,
largement inspirée par les méthodes des sciences humaines. En effet, si l'on oppose à
l'originalité ou au génie supposé d'un auteur, maître et architecte de son projet littéraire
dans un temps donné, la simple écriture d'un texte travaillé par une série d'influences
conscientes et inconscientes, l'idée de programme ou de principes perd de sa pertinence.
De même, le classement chronologique des écrits en œuvres individuelles mues par un
élan collectif n'a plus de sens quand la littérarité d'une production se définit à partir de
critères formels, quand le théâtre de l'absurde conteste l'existence du texte.
Un autre constat s'impose à propos de ce «malaise dans la culture>> qui caractériserait
la littérature du xxe siècle. Le siècle précédent pouvait voir glisser certains grands écri-
vains d'un courant à un autre, de façon plus ou moins chronologique: la souveraineté
de l'écrivain, «sacré>> depuis le x:vrne siècle, autorisait cette circulation ou ce survoL La
littérature du xxe siècle à travers le «nouveau roman», la nouvelle critique et l'Oulipo,
crée des stratégies d'écriture connexes, des appartenances fugitives, des révolutions à peine
perceptibles. La notion de périodisation s'en trouve ébranlée, comme celle de modèle:
Michel Butor aurait pu être oulipien si, après le «nouveau roman», il n'avait fait son
chemin seul, et ailleurs. Le parcours de Raymond Queneau jusqu'à la fondation de
246
l'Oulipo frôle de très près le surréalisme, lui-même extraordinairement divers. La
plupart des oulipiens auteurs d'une œuvre n'ont rencontré le mouvement qu'à mi-
parcours. Le nombre d'écrivains majeurs irréductibles à tout courant est particulière-
ment élevé: Paul Valéry, pourtant héritier de Mallarmé et premier inspirateur de Breton,
Marcel Proust, Louis Ferdinand Céline, mais aussi Henri Michaux ou Yves Bonnefoy
en poésie, Albert Cohen et Jean Giono pour le roman, et plusieurs autres sont absents
de notre étude. Pourtant, face à l'œuvre dense d'un écrivain doté d'une belle longévité,
le démon de la périodisation se réveille chez le critique, qui distingue parfois le Giono
homérique et panthéiste à ses débuts de 1' écrivain stendhalien de ses derniers romans,
en se fondant sur une évidence commune à tous les écrivains: il fut, comme nombre
de ses pairs, un grand lecteur.
247
Œuvres théoriques et <<manifestes" fondateurs
des mouvements littéraires
Chapitre l :Humanisme et Renaissance 1866: Zola, Mes Haines (fiche 45).
1534: Rabelais, Prologue de Gargantua (fiche 4). 1867: Zola, Préface de Thérèse Raquin (fiche 47).
1546: Rabelais, Prologue du Tiers Livre (fiche 4). 1871 Zola, Préface générale des Rougon-Macquart (fiche 47).
1549: Du Bellay, Défense et illustration de la langue française 1880; Zola, Le Roman expérimental (fiche 47).
(fiche 5).
1881: Zola, Les Romanciers naturalistes (ftche 47).
Chapitre 2: Baroque et classicisme 1888 ·Maupassant, Préface de Pierre et jean (fiche 49).
1627: Malherbe, "Commentaires>> sur Desportes (fiche 15).
Chapitre 6: Symbolisme et Décadence
1647 Vaugelas, Remarques sur la langue française (fiche 17).
1871: Rimbaud, Lettre à PaullJemeny, seconde lettre
1657 Abbé d'Aubignac, La Pratique du théâtre (fiche 18).
du voyan1 (fiche 52).
1660: Corneille: TroL,Discourssur le poème dramatique (fiche 18).
1884: Verlaine, Les Poètes maudits (fiche 51).
1663: Molière, L'Impromptu de Versailles (fiche 18).
1886: Jean Moréas," Un manifeste littéraire» (fiche 55).
1670: Racine, Préface de Bérénice (fiche 18).
1887: Mallarmé, Avant-dire au Traité du verbe de René Ghil
1672 Ménage, Observations sur la langue française (fiche 17).
(fiche 55).
1674: Boileau, Art poétique, chant III (fiche 17).
1687: Perrault, Poème sur le siècle de Louis le Grand (fiche20). Chapitre 7: Dadaïsme et surréalisme, modernités dissidentes
1693: La Bruyère, Discours de réception à l'académie française. 1909: Filippo Tommaso Marinetti, Le Manifeste du _{1Jturisme
(fiche 61).
Chapitre 3: Lumières et critiques des Lumières
1918 Tristan Tzara, les Manifestes dada (fiche 63).
1750: Diderot, Prospectus sur l'Encyclopédie (fiche24).
1924. Breton, le premier Manifeste (fiches 64 et 65).
1751 D'Alembert, DL<;eours préliminaire de l'Encyclopédie (fiche24).
Aragon, Une Vague de rêves (fiche 64).
Dumarsais, article ({Philosophe J> de l'Encyclopédie
(fiche22). Aragon,<' Avez-vous déjà giflé un mort?,,, (fiche 55)
1757: D'Alembert, article'' Genève >J de l'Enqclopédie (fiche24). 1928: Breton, Le Surréalisme et la peinture (fiche 64).
Diderot, Entretiens avec Dorval sur le fils naturel (fiche 28). 1930: Breton, le second Manifeste (fiches 64, 66 et 69).
1758: Diderot, Discours sur la poésie dramatique (fiche 27). Chapitre 8: Existentialismes et Littératures de l'absurde
Rousseau, Lettre à d'Alembert sur les spectacles (fiche 28). 1942: Camus, Le Mythe de Sisyphe (fiche 71 ).
Chapitre 4: Romantisme et Parnasse 1943; Sartre, L'Être et' le néant (fiche 72).
1800: M"'" de Staël, De la Littérature considérée dans 1945 · Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception (fiche??).
son rapport avec les institutions sociale5 (fiche 30 ).
1946: Martin Heidegger, Lettre sur l'humanisme à Jean Beaufret
1802 Chateaubriand, Le Génie du christianisme (fiche 31 ). (fiche 71).
1810: M'"" de Staël, De l'Allemagne (fiche 30). Sartre, L'existentialisme est un humanisme (fiche 72).
1823 : Stendhal, Racine et Shakespeare, '' Qu'est ~ce 1948: Sartre, Qu'est~ce que la littérature? (fiche 76)
que le romantisme?)) (fiches 17 et 34).
1951: Camus, L'Homme révolté (fiche 73).
1826 ·Hugo, Préface des Odes et ballades (fiche 35).
1957 Camus, Discours de Stockholm (fiche 73).
1827: Hugo Préface de Cromwell (fiche 34).
1835 Théophile Gautier, Préface de Mademoiselle 1962: Ionesco, Notes et Contre-notes (fiche 79).
de Maupin (fiche 38). Chapitre 9: '<Nouveau roman l> ou mort du roman?
1859: Baudelaire, L'Art romantique (fiche 52). 1956: Nathalie Sarraute, L'Ère du soupçon (fiche 83).
1863: Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne (fiche40). 1960: Michel Butor, Répertoire I (fiche 83).
Chapitre 5: Réalisme et naturalisme 1963: Alain Robbe-Grillet, Pour un Nouveau Roman (fiche 83).
1842: Balzac, Avant-propos de La Comédie humaine 1967: Jean Ricardou, Problèmes du Nouveau Roman (tlche 83).
(fiches 37 et 41).
1853: Flaubert, Iettre à Louise Colet (fiche 43). Chapitre 10: L'OuLiPo, du jeu à la création
1857: Jules Champfleury, Préface au Réalisme (fiche 42). 1963: François Le Lionnais, premier Manifeste (fiche 96).
1865 : Edmond et jules de Goncourt: Préface de Germinie 1973: François Le Lionnais, deuxième Manifesle (fiche 96).
Lacerteux (fiche 44). 1985: François Le Lionnais, troisième }vfanifeste (tïche 96).
248
Bibliographie critique
1. ouvmges généraux
111 Sur les problèmes posés par l'histoire littéraire et son enseignement
·Armand, A., L'Histoire littéraire, théories et pratiques, Bertrand:..Lacoste, CRDP Midi-Pyrénées, 1993 .
·Compagnon, A., La Troisième République des Lettres, Seuil, 1983.
• Fraisse,.L., L'Histoire littéraire :ses méthodes et ses résultats. Mélanges offerts à Madeleine Bertaud,
réunis par Luc Fraisse, Droz, 2001.
• Lanson, G., Essais de méthode, de critique et d'histoire littéraire, textes réunis et préfacés par H. Peyre,
Hachette, 1965.
·Roh ou, J., L'Histoire littéraire: objets et méthodes, Nathan, colL<< 128 ll, 1996.
m Sur la littérature française
• Bersani, J., Autrand, M., Lecarme, J., Vercier, B., La Littérature en France depuis 1945, Bordas, 1974.
·Van Tîeghem, Ph., Les Grandes Doctrines littéraires en ]~'rance de la Pléiade au surréalisme, PUF,
coll. '< Quadrige ll, 1990.
• Vercier, B., Lecarme, J., La Littérature en France depuis 1968, Bordas, 1982.
• Vîart, D., Vercier, B., l,a Littérature française au présent, Bordas, 2" édition, 2008.
249
• Raimond, M., Le Roman depuis la Révolution, Armand Colin, 1967.
• Raymond, M., De Baudelaire au surréalisme, José Corti, 1969.
• Rincé, D., Baudelaire et la modernité poétique, PUE 1983.
250
Index des auteurs
Les numéros indiqués renvoient aux fiches.
251
Céline (Louis-Ferdinand), 4, 72 Dermée (Paul), 61
Cendrars (Blaise), 58, 69 Desbordes-Valmore (Marceline), 33,35
Cervantès (Miguel de), 14 Descartes (René), 19, 20,22
Césaire (Aimé), 66 Descaves (Lucien), 48
Chambers (Ephraïm), 24 Deschamps (Émile), 33, 34
Chambers (Ross), 98 Desnos (Robert), 66, 68, 69, 76
Champfleury ~ voir Husson Desportes (Philippe), 11, 15
Chapelain (Jean), 18 Diderot (Denis), 21, 22, 24- 31, 45
Chapman (Stanley), 98 Diogène, 4
Char (René), 52, 66, 67, 68, 70, 76 Dolet (Étienne), 1
Chassignet (Jean-Baptiste), 11 Dorat (Jean), 5, 7, 8
Dostoïevski (Fedor Mikhaïlovitch), 84, 87
Chateaubriand (François René de), 4, 7, 29,
Drieu La Rochelle (Pierre), 76
31-36,41,81,86
Du Bellay (Guillaume), 4, 7
Chénier (André), 29
Du Bellay (Jean), 4, 7
Chennevière (Georges), 62
Du Bellay (Joachim), 5-8, 91
Choderlos de Lados (Pierre Ambroise
Dubillarcl (Roland), 80
François), 26
Ducasse (Isidore, dit comte de Lautréamont),
Cicéron, 3
56,64,68
Cioran (Emil), 78, 79
Duhamel (Georges), 62
Claretie (Jules), 50 Dujardin (Édouard), 51, 8 l
Claudel (Paul), 55, 56, 60, 66, 69, 70, 77 Dumarsais (César Chesneau), 22,24
Cohen (Albert), 83, 84 Dumas (Alexandre), 33, 34, 36
Coleridge (Samuel Taylor), 32 Duranty (Edmond), 42, 44
Comte (Auguste), 42, 45,48 Duras (Marguerite), 76, 85, 89,90
Condillac (Étienne Bonnot de), 27
Condorcet (Nicolas de Caritat, marquis de), 23 E
Constant (Benjamin), 30, 39 Echenoz (Jean), 85
Coppée (François), 39, 45, 50 Eliade (Mircea), 79
Corbière (Tristan), 53, 56 Éluard (eugène Émile Paul Grinde!, dit Paul),
Corneille (Pierre), 3, 14, 17-19, 25 63, 65-68, 70, 76
Corneille (Thomas), 18 Épicure, 91
Coste (Numa), 45 Épinay (Louise d', dite Mme d'), 27
Couin (l'abbé), 16 Érasme, l-4, 10
Courteline (Georges), 77 Eschyle, 17
Crétin (Guillaume), 91 hsope, 19
Crevel (René), 66 Euripide, 18, 20
Cros (Charles), 39, 51, 56,58
F
D Farigoule (Louis) ;. voir Romains
Damilaville (Étienne Noël), 24 Faulkner (William), 73, 81, 82
Daniel (Arnaut), 93 Fénelon (François de Salignac de La Mothe-
Dante (Durante Alighieri, dit), 5, 60, 93 Fénelon, dit), 20,21
Dacier (Anne), 20 Feydeau (Georges), 77
Daudet (Alphonse), 43, 45, 46, 48 Ficin (Marsile), 1, 8
Daumal (René), 69 Flaubert (Gustave), 35, 36,41-49,65,83,84
Darwin (Charles), 45 Fontenelle (Bernard Le Bouyer de), 20-22,28
Darzens (Rodolphe), 58 Forneret (Xavier), 38
Deffand (Marie de Vichy-Chamrond, marquise Fort (Paul), 57,60
du, dite Mm~ du), 22 Foucault (Michel), 84
Defoe (Daniel), 29 Fournel (Paul), 92, 97, 99
Delille (Jacques, abbé), 26,29 France (Anatole), 50, 65, 66
Demeny (Paul), 52 Fréron (Élie), 28
252
Freud (Sigmund), 63,65 Huret (Jules), 50, 51,60
Furetière (Antoine), 17 Husserl (Edmund), 71
Husson (Jules, dit Champfleury), 42,44
Huysmans (Joris-Karl), 44, 46, 48, 50, 51, 54,
Galien, 4 56,58,59
Galland (Antoine), 36
Gandillac (Maurice de), 79
Garréta (AnneE), 92, 97 Ibsen (Henrik), 50
Gautier (Théophile), 33, 34, 38, 39, 52, 53 Ionesco (Eugène), 77, 79,80
Genet (Jean), 76,80
Geoffrin (Marie-Thérèse Rodet), 22 J
Ghelderode (Michel de), 77 jarry (Alfred), 77,91
Ghil (René), 51, 54,55 jaspers (Karl), 71
Gibbon (Edward), 51 Jaucourt (Louis de, dit chevalier de), 23,24
Gide (André), 57, 70, 76, 81 Jeanson (Francis), 74
Giono (Jean), 76, 83, 84, 100 jodelle (Étienne), 5, 8
Goethe (Johann Wolfgang von), 30, 32, 38, 91,98 jouet (Jacques), 92, 93, 97,99
Gombauld (Jean Ogier de), l3 jouffroy (Alain), 66
Goncourt (Edmond de), 42-46,48-50 Jouve (Pierre Jean), 62
Goncourt (Jules de), 42-46, 50, 81 joyce (James), 78, 81, 84, 95, 98
Gourmont (Rémy de), 54, 57, 58, 60, 81
Gracq (Louis Poirier, dit Julien), 66, 70, 81,83 K
Grangaud (Michelle), 92, 97 Kafka (Franz), 80, 81, 84, 87, 90, 95
Gray (Thomas), 32 Kahn (Gustave), 57,58
Guéhenno (Jean), 76 Kant (Emmanuel), 21, 22
Guez de Balzac (Jean), 15 Kateb Yacine, 85
Guiches (Gustave), 48 Keats (John), 32
Guilleragues (Gabriel de), 19 Kierkegaard (Seifen), 71
Guizot (François), 34, 36, 51 K\eiste (Heinrich von), 32
Gurdjieff (Georges), 69 Koltès (Bernard-Marie), 80
H l
Hardy (Alexandre), 14 Labé (Louise), 8
Haugure (Reine), 97 La Boétie (Étienne de), 10
Hegel (Georg \Nïlhelm Priedrich), 71 La Bruyère (jean de), 18-20
Heidegger (Martin), 71 La Ceppède (Jean de), 13
Heinsius (Daniel), 17 La Fayette (Marie-Madeleine Pioche de la Vergne,
Helvétius (Claude~ Adrien), 23, 24, 28 comtesse de, dite M""' de), 14, 16, 17, 19
Hennique (Léoll), 46, 50 La Fontaine (Jean de), 13, 16, 19, 20, 26, 93
Henriot (Émile), 82 Laforgue (Jules), 51, 56, 57, 60,67
Héraclite, 70 Lagarce (Jean-Luc), 80
Heredia (José Maria de), 39, 57 Lamartine (Alphonse de), 29, 30, 33, 35, 36
Hippocrate, 4 La Ménardière (Hippolyte-Jules Pilet de), 18
Hoffman (Ernst Theod.or), 40 Lamennais (Félicité Robert de), 10, 33, 37
Holbac (Paul!Ienri Thiry), 22, 24, 27, 28 La Mothe Le Vayer (François de), 19
Hülderlin (Friedrich), 32 Lampedusa (Giuseppe Tomasi di), 90
Homère, 5, 17, 56,57 La Pérouse (Jean-François de Galaup,
l·{orace, 5, 6, 9, 13, 17, 18 comte de), 21
Houdar de La Motte (Antoine), 20 La Péruse (Jean de), 5, 8
Hugo (Abel), 33 La Ramée (Pierre de), 20
Hugo (Victor), 31, 33-39,41,47, 52, 53, 56, 60, La Rochefoucauld (François de), 16, 17, 19
64,67 La Tailhède (Raymond de), 57
253
"autréamont (comte de)~ voir Ducasse Martial, 91
"e Breton (André), 24 Martin du Gard (Roger), 76
"e Brun (Philippe-Alexandre), 26 Mathews (Harry), 92, 96-98
~e Clézio (Jean Marie Gustave), 90 Matthieu (Pierre), 13
~ecomte (Roger Gilbert), 69 Maupassant (Guy de), 46, 49, 50
~econte (Charles Marie, dit Leconte de Lisle), Mauriac (Claude), 82, 83,85
39,50,52 Maurras (Charles), 57
_.efèvre d'Étaples (Jacques), 1 Maynard (François), 13
~efranc de Pompignan (Jean-Jacques), 26 Melville (Herman), 95
~,eibniz (Gottfried 'Wilhelm), 25 Ménage (Gilles), 17
Leiris (Michel), 66, 74, 91 Mendès (Catulle), 39
l.e Lionnais (François), 91, 92,94-96 Méré (Antoine Gombaud, chevalier de), 16, 19
l-emaître (Jules), 50 Mérimée (Prosper), 36
Lenclos (Anne, dite Ninon de), 16 Merleau-Ponty (Maurice), 7 J
Léonard (Nicolas Germain), 29 Merrill (Stuart), 57
Le Poittevin (Alfred), 49 Meyrat (Robert), 69
Lescure (Jean), 92,93 Michaux (Henri), 100
Lespinasse (Julie de), 22, 29 Michelet (Jules), 36
Le Tellier (Hervé), 92,97 Mirbeau (Octave), 50, 60,62
Lévi-Strauss (Claude), 66, 81,84 Mistral (Frédéric), 57
L'Hermite (Tristan), 13 Modiano (Patrick), 90
Limbour (Georges), 66 Molière (Jean-Baptiste Poquelin, dit), 4, 14,
Lîngendes (Jean de), 13 16-19,28
Locke()ohn),20,21,25 Molinet (Jean), 91
Lorrain (Jean), 60 Monk (lan), 92, 97,98
Loti (Pierre), 48 Montaigne (Michel de), 1, 9, lü, 11, 20, 22
Lucain, 9 Montesquieu (Charles-Louis de Secondat,
Lucien, 3 baron de), 3, 21-26,51
Lucrèce, 9 Montgaillard, 13
Lusson (Pierre), 96 More (Thomas), 2, 3
Luther (Martin), 1, 2 Moréas (Jean), 50, 51, 54,57
Motin (Pierre), l3
Mounier (Emmanuel), 76
Machiavel (Nicolas), 3 Murger (Henry), 42
Macpherson (James), 32,36 Musset (Alfred de), 33-37, 53
Maeterlinck (Maurice), 60
Maïakovski (Vladimir), 66
Mairet (Jean), 14,18
Nadeau (Maurice), 63,68
Maistre (Joseph de), 28
Nerval (Gérard de), 33, 36, 38, 58, 64, 68,81
Malherbe(François de), 13, 15, 17
Nicole (Pierre), 17, 18
Mallarmé (Stéphane), 39, 50, 51,53-60
Nietzsche (Friedrich), 69
Malleville (Claude de), 16
Nizan (Paul), 76
Malraux (André), 76,81
Nodier (Charles), 33, 37, 38
Mandiargues (André Pieyre de), 66
Nouveau (Germain), 56
Marbeuf (Pierre de), 13
Novalis (Friedrich Freiher von Hardenberg, dit),
Marcel (Gabriel), 71
Marguerite (Paul), 48, 50 32,64
Marinetti (Filippo Tommaso), 61,62
Marivaux (Pierre Carlet de Chamblain de), 22,
26,29,37,41 Obaldia (René de), 80
Marlowe (Christopher), 60 Ollier (Claude), 82,85
Marmontel (Jean-François), 24 O'Neddy (Philothée), 33, 38
Marot (Clément), 4, 5, 6, 8 Ovide, 5, 7, 9, 91, 99
254
p Reverdy (Pierre), 64, 65
Palissot (Charles), 28 Ribemont-Dessaignes (Georges), 66,69
Ricard (Louis Xavier de), 39
Papillon de Lasphrise (Marc), 11,91
Ricardou (Jean), 82, 85
Parny (Évary de), 29
Richardson (Samuel), 26, 32
Pascal (Blaise), 9, 17, 19, 25, 71
Richelet (César-Pierre), 17
Pastîor (Oskar), 98
Richter (Jean-Paul), 38
Paulhan (Jean), 67, 76, 79
Rieux (Lionel des), 57
Péladan (Joséphin, dit Sâr Mérodack), 60
Rimbaud (Arthur), 52, 53,56-58,60,61, 63, 64,
Peletier du Mans (Jacques), 5, 6, 7, 8
70,86
Perec (Georges), 92, 93,95-99
Rivière (Jacques), 60
Péret (Benjamin), 64-67
Robbe-Grillet (Alain), 82-85, 90
Perrault (Charles), 19, 20,26
Rodenbach (Georges), 58
Pétrarque, 5, 7, 8
Rolland (Romain), 76
Phèdre, 19
Rollinat (Maurice), 56
Philippe (Charles-Louis), 62
Romains (Jules), 62
Picabia (Francis), 63
Ronsard (Pierre de), 5-8, Il, 12, 15
Pic de La Mirandole (Jean), 1, 2
Rosny (Joseph Henri, dit Rosny aîné), 48, 50
Pichette (Henri), 77
Rostand (Edmond), 77
Pindare, 5, 6
Rotrou (jean de), !4
Pinget (Robert), 82,85
Roubaud (Jacques), 92, 93, 96, 97, 99
Platon, 1, 3, 8, 10, 17, 22,23
Rousseau (Jean-Jacques), 10,22-32,82
Plessys (Maurice du), 57
Roussel (Raymond), 91, 95, 96, 98
Plotin, 1
Plutarque, 1, 2, 9, 10
Poe (Edgar Allan), 40, 54, 59
s
Ponge (Francis), 83 Sade (Donatien Alphonse François, comte de,
dit le marquis de), 26,70
Pope (Alexander), 29
Saint-Amant (Marc-Antoine Girard de), 13, 38
Prévert (Jacques), 66, 68, 91,94
Sainte-Beuve (Charles-Augustin), 33, 35, 37
Prévost (Antoine François Prévost d'Exiles,
Saint-Évremond (Charles de), 20
dit l'abbé), 22, 26, 29, 37,41
Saint-Gelais (Mellin de), 6
Properce, 91
Saint-John Perse (Alexis leger, dit), 55,69
Proudhon (Pierre-Joseph), 43
Saint-Lambert (Jean-François de), 24
Proust (Marcel), 31, 43, 51, 59, 70, 81,87
Saint-Pol Roux (Paul Pierre Roux, dit), 50,66
Prudhomme (Sully), 39
Saint-Réal (César Vic hard de), 19
Pure (l'abbé de), 16
Saint-Simon (Louis de Rouvroy, duc de), 21
Pyrrhon, 9
Sand (George), 37
Sarasîn (Jean-François), 16, 18
Sarraute (Nathalie), 82-85,87, 88
Queneau (Raymond), 66, 76,91-100 Sartre (Jean-Paul), 71-77,80,82,85, 87, lOO
Quesnay (Fraùçois), 24 Scarron (Paul), 13, 14, 16,38
Scève (Maurice), 8
R Schêlandre (Jean de), 14
Rabelais (François), 2-5, 7, 10,91 Schelling (Friedrich Wilhelm Joseph von), 40
Racan (Honorat de Bueil, dit marquis de), 13-15 Schlegel (Friedrich), 17, 32, 34,36
Racine (Jean), 17-20, ~5, 26,31:,91 Schlumberger (Jean), 76
Rapin (René), 17 Schopenhauer (Arthur), 45,49
Raynaud (Ernest), 57 Schuster (Jean), 66
Régnier (Henri de), 57,60 Schwob (Marcel), 58
Régnier (Mathurin), 13 Scott (Walter), 36
Renan (Ernest), 42, 45 Scudéry (Georges de), 18
Renard (Jules), 50, 54 Scudéry (Madeleine de, dite Mile de), 16
Renéville (André Rolland de), 69 Sébillet (Thomas), 5
Restif de La Bretonne (Nicolas Edme), 41 Sebond (Raymond), 9
255
Segalen (Victor), 69 Valla (Lorenzo), 2
Segrais (Jean Regnault de), 19 Vallès (Iules), 46
Senancour (Étienne Pivert de), 30,32 Vaugelas (Claude Favre de), 17
Sénèque,9, 15 Vauthier (Jean), 80
Sévigné (Marie de Rab utin-Chantal, Vega (Lope de), 14
dite marquise de ou Mm• de), 16 Veil (Simone), 75
Shakespeare (William), 14, 17, 30, 34, 60, 64, Vercors (Jean Bruller, dit), 76
77, 79, 88 Verhaeren (bmile), 58,62
Shelley (William), 32, 60 Verlaine (Paul), 39, 50, 51,53-58,60
Simon (Claude), 82, 83, 85, 88, 90 Veyne (Paul-Marie), 91
Solari (Philippe), 45 Vian (Boris), 74, 98
Sophocle, 1, 77 Viau (Théophile de), 13, 14, 38
Sorel (Charles), 14 Viélé-Griffin (Francis), 57, 58
Soupault (Philippe), 63-67 Vigny (Alfred de), 33-37, 57
Spinoza (Baruch), 20, 21 Vildrac (Charles), 62
Sponde (Jean de), 11, 13 Villiers de L'Isle Adam (Auguste), 39, 59
Staël (Germaine de, dite M'"e de), 17, 30, 31, 32, Virgile, 5, 9, 17, 88
36,40 Vitrac (Roger), 66, 77
Stendhal (Henri Beyle, dit), 11, 17, 33, 34, 37, Voiture (Vincent), 16
Volney (Constantin- François Chasse bœuf
41,43,84
de la Giraudais, dit comte), 29
Stern (Daniel) ~ voir Agoult
Voltaire (François Marie Arouet, dit), 3, 9, 17,
Strindberg (Johan August), 50, 80
19,2!,22,24-28,34,39
Swedenborg (Emanuel), 40, 52
Swinburne (Algernon), 57
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Dépôt légal: novembre 2010- 8010012/01- No d'impression: 010355
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