Formulation Bap
Formulation Bap
Formulation Bap
autoplaçants
Philippe Turcry, Ahmed Loukili
RÉSUMÉ. La formulation des bétons autoplaçants se fait, dans la plupart des cas, de manière
empirique, alors qu’il existe des approches plus rationnelles. On présente ici une
comparaison de trois méthodes de formulation récurrentes dans la littérature. La première
est une méthode à la fois forfaitaire, pour le dosage des granulats, et expérimentale, pour le
dosage en eau et en adjuvant. La deuxième approche propose deux critères pour minimiser le
volume de pâte. La troisième approche est basée sur l’optimisation du squelette du béton ; il
s’agit d’un logiciel compilant un modèle d’empilement granulaire et des modèles
rhéologiques. Dans le cadre de la norme P18-305, différents BAP, sans agent de viscosité,
ont été formulés avec ces méthodes, puis caractérisés à l’aide des essais préconisés par
l’AFGC. Cette étude de faisabilité permet de dresser différents niveaux pour une formulation
scientifique des BAP ; elle permet également d’envisager de nouvelles possibilités pour le
formulateur. Une étude de l’incidence de la formulation sur les propriétés à l’état durci a
également été menée par comparaison avec un béton ordinaire.
ABSTRACT. No general method is available in France to optimise SCC composition, and
therefore design requires a lot of trials in laboratory or in most of cases directly in plant.
However more rational approaches can be found in recent publications. The aim of this
paper is to compare three of the most recurrent methods. The first one is a very simple mix
design: coarse and fine aggregates contents have fixed values, and superplasticizer and
water proportions are determined by mortar tests. The second method proposes two criteria
to minimise paste volume. The third approach is based on the packing and on several models
describing the properties of the fresh SCC. According to the French Standard P18-305,
different SCC have been designed, without viscosity agents, by these methods, and their
properties at the fresh state have been characterised with tests advised by the AFGC. The
experimental results provide new solutions for SCC designers in an industrial context. A
study of the effect of mix design on harden state properties is provided too.
MOTS-CLÉS : bétons autoplaçants, formulation, état frais, état durci.
KEYWORDS: self-compacting concrete, mix design, fresh state properties, hard state properties.
1
426 Revue française de génie civil. Volume 7 – n° 4/2003
1. Introduction
1.1. Contexte
Les fabricants français de bétons se sont lancés ces dernières années dans la
vente de nouveaux bétons, caractérisés par une mise en place sans vibration, les
bétons autoplaçants (BAP). Inspirés par le concept japonais du béton fluide, leur
développement a été initié par les fabricants d’adjuvants qui proposaient à l’époque
une nouvelle génération de superplastifiants à fort pouvoir défloculant. Si la
production reste minime (1 % à 4 % du volume total), leur utilisation n’est pas
uniquement limitée aux grands ouvrages. De fait, ils séduisent de plus en plus
l’industrie du bâtiment, qui y voit un moyen de supprimer les problèmes, techniques
et parfois environnementaux, liés à la vibration.
Les bétons autoplaçants sont toutefois encore marginaux. Leur composition est
en effet beaucoup plus complexe que celle des bétons dits ordinaires (BO), dont ils
se distinguent par leurs propriétés à l’état frais. Formuler un BAP, c’est trouver
l’arrangement optimal – souvent du point de vue économique – entre au moins six
constituants différents (gravillons, sables, ciment, additions, eau, adjuvants)
permettant l’obtention des propriétés suivantes : grande fluidité, capacité à s’écouler
en milieu confiné sans blocage, et caractère autonivelant. Il s’agit également de
garantir l’absence de ségrégation et de ressuage. La plupart des formules de BAP
sont conçues actuellement de manière empirique ; les méthodes classiques ne sont
pas en effet adaptées à la formulation d’un béton fluide contenant additions et
adjuvants. On a donc recours à de grands principes de formulation. L’optimisation
des formules est réalisée par des essais en laboratoire ou, bien souvent, en centrale à
béton. Le nombre d’essais à réaliser dépend de la justesse de la formule de départ ;
on comprend dès lors le caractère difficile et fastidieux de la formulation des BAP.
2
Formulation des bétons autoplaçants 427
Les bétons sont fabriqués avec un ciment CEM II/A 42,5 R PM contenant 92 %
de clinker et de surface spécifique égale à 3760 cm2/g. L’addition minérale est un
filler calcaire de surface spécifique égale à 3970 cm2/g et de répartition
granulométrique proche de celle du ciment (figure 1). La défloculation des fines est
assurée par l’ajout d’un superplastifiant polycarboxylate polyoxyde, dont la
compatibilité avec le ciment a été vérifiée au cône de Marsh [LAR 00].
100
80
Passant (%)
60 Ciment
Filler 0-100
40 Sable 0-3
Gravillon 6-10
20
Gravillon 10-14
0
0,001 0,01 0,1 1 10 100 1000
Tamis (mm)
gravillons utilisés, 6/10 mm et 10/14 mm, sont concassés avec forme très anguleuse
(aplatissement supérieur à 15 %). Leurs masses volumiques sont respectivement de
2950 kg/m3 et 3050 kg/m3. La figure 1 montre la discontinuité entre le sable et les
éléments fins ainsi que l’aspect monogranulaire des gravillons.
Les bétons sont fabriqués par gâchée de 40 litres dans un malaxeur Couvrot d’une
contenance maximale de 70 litres. La procédure de malaxage est la suivante : malaxage
à sec des constituants solides pendant une minute, ajout progressif de l’eau pendant une
minute, ajout du superplastifiant, et malaxage du mélange pendant trois minutes.
L’ouvrabilité du béton est caractérisée par les essais recommandés par l’Association
Française de Génie Civil [AFG 99]. Leur procédure est décrite ci-après.
A la fin du malaxage, dix litres de béton sont versés dans un seau et placés en
attente pendant 15 minutes. On réalise pendant ce temps l’essai d’étalement au cône
d’Abrams, qui donne une indication sur le seuil de cisaillement du béton et donc sa
capacité à « s’autocompacter » en milieu non confiné. Vient ensuite l’essai à la boîte
en L (figure 2). La partie verticale de la boîte est remplie de béton ; après une
minute, la trappe est levée permettant l’écoulement à travers les armatures. Le taux
de remplissage final H2/H1 renseigne sur la mobilité du béton en milieu ferraillé.
armature φ14
H2
H1
Figure 2. Boîte en L
4
Formulation des bétons autoplaçants 429
Etalement De 60 à 75 cm
H2/H1 ≥ 0,8
Laitance ≤ 15 %
Après gâchage, différentes éprouvettes sont coulées puis conservées dans une
ambiance à 20 °C et 95 % d’humidité relative. Les résistances à la compression et à
la traction par fendage sont mesurées sur éprouvettes 11 x 22 cm à plusieurs
échéances (1, 3, 7, 14, 28 et 90 jours).
Le module d’élasticité dynamique est déterminé sur éprouvettes 11 x 22 cm au
moyen d’un appareil de mesure non destructif, le Grindosonic, qui permet de
mesurer la fréquence d’une vibration créée par un choc léger sur l’éprouvette ; le
calcul du module est déduit de cette fréquence à partir du modèle développé par
Spinner et Tefft [SPI 61].
Des éprouvettes 7x7x28 cm, équipées de plots métalliques à chaque extrémité,
sont démoulées à 24 heures puis placées dans une salle climatisée à 20 ± 1 °C et
50 ± 5 % d’humidité relative pour la mesure du retrait total.
Le dispositif schématisé sur la figure 3 est utilisé pour mesurer le retrait
plastique, c’est-à-dire les déformations libres dues au séchage avant et pendant la
prise. Le béton est coulé juste après la fabrication dans un moule 7 x7 x 28. Sa
surface supérieure est soumise à un séchage à 20 °C et à 50 % d’humidité relative.
Aux extrémités de l’éprouvette, des capteurs « laser » suivent les déformations du
béton par l’intermédiaire de deux plaques réfléchissantes. Les mesures commencent
trente minutes après le coulage.
Capteur Capteur
LASER LASER
Téflon
5
430 Revue française de génie civil. Volume 7 – n° 4/2003
Dans cette partie, sont présentés le principe détaillé des différentes approches et
leur application au cas de nos constituants. Pour chaque méthode, nous avons
formulé deux bétons différents par la taille du gros granulat : BAP 0/10 et BAP 0/14.
La masse de ciment est prise supérieure ou égale à 350 kg/m3, afin de respecter la
norme P18-305.
été réalisés à l’aide d’un entonnoir et d’un cône à mortier, dont les dimensions sont
la moitié de celles d’un cône d’Abrams. La figure 4 présente le résultat des essais de
recherche du couple « eau/superplastifiant ». L’étalement normalisé D optimal
(équation [1]) est égal à 10 et le temps d’écoulement relatif T optimal (équation [2])
est égal à 1.
d 2 − d 02
D= , où d : diamètre de la galette, d0 : base du cône (cm) [1]
d 02
10
T= , où t : temps d’écoulement (s) [2]
t
2,5
Ecoulement relatif (s-1)
2
1,5
1 Sp/L=1%
0,5 Sp/L=0,8%
0
0 5 10 15 20 25
Etalement normalisé
3.2. Formulation par minimisation du volume de pâte [TAN 95, PET 96, VAN 99]
Le béton est considéré ici comme un mélange biphasique, avec une phase solide
(granulats) et une phase liquide (pâte = eau + liant + adjuvants). Les auteurs
supposent que la phase liquide joue deux rôles dans un BAP. D’abord, elle fluidifie
le matériau en limitant les frottements entre les granulats. Elle écarte ensuite
suffisamment les gravillons pour éviter la formation de voûtes contre les armatures,
responsables d’un éventuel blocage de l’écoulement. Les auteurs font de plus
l’hypothèse qu’il existe un volume minimum de pâte permettant de remplir chacune
de ces deux fonctions. Ils proposent les deux critères suivants.
7
432 Revue française de génie civil. Volume 7 – n° 4/2003
(1 − Vvide )
Vf min i = 1 − [3]
Ce
∑ (m i × d i )
3
e
C e = min i + 1 et D moyen = [4]
D moyen ∑ mi
où Dmoyen est le diamètre moyen des granulats (mm) ; di est le diamètre du tamis i
(mm) ; mi est la masse de granulats sur le tamis i (kg) ; emini est la distance moyenne
minimale entre les granulats pour fluidifier le béton (mm).
La détermination de emini se fait de manière expérimentale. Des bétons avec des
volumes de pâte décroissants sont confectionnés ; on considère que le volume limite
de fluidité est atteint lorsque l’étalement du béton est inférieur à 65 cm ou lorsqu’il y
a ségrégation. Au final, on obtient des courbes donnant la distance emini en fonction
de Dmoyen pour différents rapports massiques eau sur fines (E/(C+F)) et pour
différents diamètres maximaux du gravillon. On notera que les auteurs n’ont choisi
que trois paramètres pour décrire emini (E/(C+F), Dmoyen, Dmax) au détriment, par
exemple, du dosage en superplastifiant. Ils expliquent ce choix par un souci de
simplicité du modèle.
8
Formulation des bétons autoplaçants 433
Vbi
0,84
A
yA
e/di
1 2,6 15
Vi
R=∑ [5]
i Vbi
ρ g + (ρ s − ρ g ) × N g
Vb min i = 1 −
p gi × N g × ρ s ( )
p si × 1 − N g × ρ g
[6]
∑ +∑
Vb i Vb i
9
434 Revue française de génie civil. Volume 7 – n° 4/2003
390
370
Volume de pâte (L)
350
290
270
0,8 0,9 1 1,1 1,2
G/S
10
Formulation des bétons autoplaçants 435
3.3. Formulation par optimisation du squelette granulaire [SED 99a, SED 99b,
LAR 00]
3.3.1. Principe
La formulation des bétons passe d’ordinaire par une optimisation de la porosité
du système formé par les grains solides, du ciment aux gravillons [BAR 96]. Il est
connu, par exemple, que la résistance à la compression augmente avec la compacité
de la pâte. L’ouvrabilité est, elle aussi, tributaire de l’arrangement du squelette
granulaire. Les nombreuses études consacrées aux suspensions de grains solides
montrent en effet qu’il existe une relation directe entre la viscosité du mélange et le
rapport entre concentration solide φ et compacité de l’empilement « sec » des grains.
Forts de ces constatations, les chercheurs du LCPC ont essayé de modéliser le
comportement du béton à l’état frais à partir du calcul de la compacité de son
squelette granulaire. Le modèle de calcul (Modèle d’Empilement Compressible) fait
intervenir les deux notions décrites ci-après.
– La compacité virtuelle γ correspond à la compacité maximale que pourrait
prendre l’empilement si tous les grains étaient rangés de manière optimale. Dans un
mélange de n classes granulaires, la compacité virtuelle partielle γi des grains de
diamètre di s’écrit :
βi
γi = [7]
i −1 1 n β
1 − ∑ y j 1 − β i + b i, jβ i 1 − − ∑ y j 1 − a i, j i
j=1 β j j=1+i β j
yi
βi
K ' = ∑ K ' i = ∑
n n
[8]
i =1 i =1 1 1
−
φ γi
11
436 Revue française de génie civil. Volume 7 – n° 4/2003
.
τ = τ0 + µ γ [9]
φ
µ = exp A × * − B [10]
φ
(
τ 0 = exp a 0 + a c K 'c + a f K 'f + a s K s' + a S K S' + a g K 'g + a G K 'G ) [11]
Plus l’indice K’i est élevé, plus les grains de diamètre di sont proches les uns des
autres ; donc, plus l’indice K’i est élevé, plus les frottements entre ces grains sont
12
Formulation des bétons autoplaçants 437
Tableau 3. Cahier des charges d’un BAP et simulations des propriétés rhéologiques
des formules BAP 0/10 et BAP 0/14
3.3.2. Application
Nous avons d’abord déterminé les propriétés de nos constituants nécessaires à la
formulation d’un BAP (caractérisé uniquement par ses propriétés à l’état frais), à
savoir : la compacité du sable et des gravillons, la demande en eau du ciment et du
filler en présence de superplastifiant, le dosage à saturation du superplastifiant.
En appliquant le cahier des charges précédent, le calcul ne converge pas vers une
solution satisfaisante. Certaines propriétés se contredisent ; la viscosité diminue
principalement par ajout d’eau, alors que K’p, indicateur de résistance à la
ségrégation, augmente par réduction du rapport E/L. Néanmoins, en relâchant la
contrainte sur la viscosité (maximum autorisé à 350 Pa.s-1), la contradiction est
levée. Les propriétés simulées des deux formules sont proposées dans le tableau 3.
On trouvera les formules établies par le logiciel dans le tableau 4.
13
438 Revue française de génie civil. Volume 7 – n° 4/2003
Le tableau 5 donne les résultats des essais de caractérisation. Tous les bétons
testés présentent un étalement supérieur à 65 cm, soit une grande fluidité. Aucune
couronne de laitance ou de mortier n’a été remarquée en périphérie du béton après
étalement. Cette absence de ségrégation est confirmée par les résultats de l’essai au
tamis (même si la formule « japonaise 0/14 » atteint la limite préconisée). Les deux
bétons composés avec la deuxième méthode ont bloqué dans la boîte en L.
14
Formulation des bétons autoplaçants 439
5. Analyses
Il est difficilement envisageable d’utiliser cette méthode à la lettre, car les bétons
formulés ainsi ne sont pas viables du point de vue économique. Le prix de revient de
telles formules est supérieur de 10 à 20 % par rapport à celui des BAP utilisés
actuellement en France. Par ailleurs, les essais de l’AFGC (qui ont tous ici été
validés) ne mettent pas en évidence le caractère très visqueux, voire collant, des
bétons obtenus. Qu’en est-il par exemple de la qualité des parements qu’on
obtiendrait avec des bétons contenant plus de 420 l de pâte ?
La démarche présente cependant beaucoup de pistes à explorer. D’abord, la
masse de gravillon, fixée en prenant son volume égal à la moitié de la compacité, est
proche de la masse de gravillon employée dans les BAP en France (de l’ordre de
850 kg/m3). De plus, la compacité du gravillon est fonction directement de sa forme :
un gravillon anguleux ou plat a une compacité plus faible qu’un gravillon arrondi. Or
de la forme dépendent, en partie, la fluidité et le risque de blocage du béton. Il est
dès lors judicieux de doser le gravillon à partir de sa compacité. En pratique, il est
facile d’évaluer grossièrement cette grandeur, par exemple par piquage des
gravillons secs dans un cylindre [SED 00].
L’autre intérêt de la méthode réside dans sa manière d’envisager l’optimisation
des dosages en eau et en superplastifiant par des essais sur mortiers. Il existe en effet
une bonne corrélation entre les comportements à l’état frais du BAP et de son
mortier, en particulier lorsque l’on fait varier les masses d’eau et d’adjuvant. C’est
un résultat qui est mis en avant dans quelques publications [BILL 99]. La méthode
des Mortiers de Bétons Equivalents (MBE) développée récemment lors d’un projet
national en France en est une autre illustration [SCH 00]. Par ailleurs, des essais sur
mortiers en laboratoire sont beaucoup moins lourds à réaliser que des essais sur
bétons, en centrale à béton.
15
440 Revue française de génie civil. Volume 7 – n° 4/2003
0,8
H1/H2 (cm)
0,6
0,4
0,2
0
350 375 400 425
Volume de pâte (L)
Le logiciel BétonlabPro2 donne les résultats les plus satisfaisants des trois
méthodes, du point de vue à la fois technique et économique. Les formules obtenues
sont-elles pour autant optimales ? La question se pose en fait face aux masses de
fines importantes trouvées par le calcul (plus de 620 kg/m3).
Il est à noter dans un premier temps que les matériaux utilisés dans notre étude
sont désavantageux pour la formulation d’un BAP. Les gravillons, en particulier,
sont très denses et anguleux ; la demande en pâte est donc grande pour stabiliser le
béton et le faire s’écouler sans blocage. Il faut ensuite reconnaître que la précision du
calcul dépend de la justesse des mesures des propriétés des constituants. Si les
mesures de compacité sont reconnues comme fiables, il n’en est pas de même de la
détermination du dosage à saturation du superplastifiant. Elle se fait en effet sur pâte,
ou même sur mortier, avec un rapport E/L fixé, différent de celui du béton.
16
Formulation des bétons autoplaçants 441
Enfin, la formule calculée est le résultat d’un cahier des charges indicatif. Dans le
but d’évaluer ce dernier, les formules obtenues avec les trois méthodes ont été
simulées à l’aide du logiciel. Les simulations font ressortir la bonne concordance
entre seuil de cisaillement calculé et étalement mesuré (figure 8), et entre indice de
non-blocage K’G et essai à la boîte en L (tableau 6). En revanche, aucune corrélation
n’a été trouvée entre l’indice de ségrégation K’p et le pourcentage de laitance
récoltée lors des essais de stabilité au tamis (figure 9). Les formules « japonaises »
par exemple ont les indices K’p les plus élevés, donc sont théoriquement les plus
stables, alors qu’elles présentent les plus forts pourcentages de laitance. On peut
néanmoins s’interroger sur la pertinence de l’essai de stabilité au tamis pour des
bétons contenant plus de 400 l de pâte. L’absence de corrélation entre simulations et
mesures trouve peut-être son explication dans le fait que la valeur limite de l’indice
K’p a été déterminée par une mesure directe de la ségrégation sur éprouvette 16x32
fendue après durcissement, et non par le biais de l’essai au tamis. Il n’en demeure
pas moins que cette valeur limite semble sévère.
78
76
Etalement (cm)
74
72
70
68
66
64
250 300 350 400 450 500
Seuil BL (Pa)
20
15
laitance (%)
10
5
0
2,6 3 3,4 3,8 4,2 4,6 5 5,4
K'p
Formule BO kg/m3
Gravillon 10/14 940
Gravillon 6/10 195
Sable 800
Ciment 390
Eau efficace 170
Superplastifiant 0,65
calcaire sur la compacité du squelette solide des BAP. Ces deux paramètres de
formulation ne semblent cependant pas influer sur la cinétique d’hydratation du
ciment puisque l’évolution du rapport fcj/fc28 est identique pour les trois bétons
(figure 11).
80
Résistance à la compression
60
(MPa)
40
BAP J
20 BAP Bl
BO
0
0 14 28 42 56 70 84 98
Age (jours)
0,8
0,6
fcj/fc28
0,4 BAP J
BAP Bl
0,2 BO
0
0 4 8 12 16 20 24 28 32
Age (jours)
19
444 Revue française de génie civil. Volume 7 – n° 4/2003
Résistance à la traction 6
(MPa)
4
BAP J
2 BAP Bl
BO
0
0 14 28 42 56 70 84 98
Age (jours)
L’autre propriété importante des bétons durcis est le module d’élasticité. Dans
cette étude, nous avons suivi l’évolution du module à l’aide du Grindosonic, qui
donne un module dynamique (figure 13). Malgré une résistance plus grande, les
BAP ont un module inférieur ou égal à celui du béton ordinaire. Les trois bétons
ayant été confectionnés avec les mêmes granulats, cette différence est due au volume
de pâte plus élevé pour les BAP. On peut penser qu’à résistances égales, un BAP,
formulé avec une forte quantité de pâte, sera plus souple qu’un béton ordinaire.
D’autres études sur le module des BAP, couplées à la quantification de l’énergie de
fissuration, sont nécessaires pour statuer sur la question.
60
Module dynamique (GPa)
50
40
30
BAP J
20
BAP Bl
10 BO
0
0 7 14 21 28 35
Age (jours)
20
Formulation des bétons autoplaçants 445
7. Déformations libres
Par définition, nous appelons retrait plastique la déformation libre du béton avant
la fin de prise. C’est la conséquence du retrait d’autodessiccation, dû aux réactions
d’hydratation, et du retrait lié au séchage à la surface du béton. Sa mesure n’est pas
standardisée et dépend du type de dispositif utilisé : volumique ou linéique
[BAR 99]. Si l’essai volumique est facilement réalisable sur pâte ou sur mortier
[LOU 00], il est en revanche délicat sur béton, à cause des granulats et du risque de
ressuage [JUS 93]. De plus, il ne permet pas d’apprécier l’effet du séchage sur
l’amplitude du retrait plastique. Pour cette étude, nous avons donc choisi de
quantifier le retrait plastique des bétons avec le dispositif présenté sur la figure 3, qui
a l’avantage pratique de mesurer les déformations dès la naissance d’une cohésion.
On montre ainsi que les deux BAP ont un fort retrait avant et pendant la prise,
comparé à celui du béton ordinaire (figure 14). Leur importante quantité de fines,
associée à un faible rapport eau sur fines, est à l’origine de cette différence
[RAD 94]. La grande amplitude du retrait plastique des BAP est également favorisée
par le retard de prise, engendré par le superplastifiant. Des études plus approfondies
sont actuellement en cours pour mieux identifier les phénomènes physiques
responsables de ces déformations et sur les moyens pour les limiter. Pour l’heure,
une cure efficace est à prévoir dès que le béton autoplaçant est susceptible de sécher
pendant sa prise (dalles, tabliers, etc.), d’autant que le risque de fissuration semble
accru pour un retrait plastique dépassant 1 mm/m [HOL 00].
1600
Défomations (10-6m/m)
1200
BAP J
800
BAP Bl
400
BO
0
0 4 8 12 16 20 24
Age (heures)
21
446 Revue française de génie civil. Volume 7 – n° 4/2003
200
Défomations (10-6m/m)
150
100 BO
BAP J
50
BAP Bl
0
0 20 40 60 80 100 120
Age (jours)
600
Défomations (10-6m/m)
500
400
BAP Bl
300
BO
200
100 BAP J
0
0 20 40 60 80 100 120
Age (jours)
8. Conclusions
8.1. Formulation
Cette étude a permis de faire le point sur trois méthodes de formulation des BAP
et de comparer expérimentalement les caractéristiques rhéologiques obtenues. Bien
que les résultats soient issus d’un nombre limité d’essais, nous pouvons d’ores et
déjà dresser les conclusions suivantes :
– toutes les méthodes testées demandent un certain nombre d’essais pour
caractériser les matériaux ou leurs interactions. Une mesure de la compacité des
granulats est nécessaire dans chaque méthode. Les essais en laboratoire sont donc
pratiquement indispensables à une formulation scientifique des BAP ;
– le béton formulé par l’approche japonaise est très visqueux et renferme un
volume de pâte trop important. Déduire le volume de gravillons d’une mesure de la
compacité peut cependant être un élément intéressant pour rationaliser l’approche
actuelle de la formulation ;
– étant donné le grand nombre d’équations à résoudre, l’utilisation de moyens
informatiques ne semble pas superflue pour formuler un BAP. La programmation
dans un tableur du critère de non-blocage de la méthode de minimisation de la pâte
peut être un premier pas d’une informatisation de la formulation ;
– le logiciel Bétonlab Pro2 est certainement l’outil informatique, et pédagogique,
le plus performant à l’heure actuelle pour la composition des BAP, puisque au
moyen de simulations il permet d’appréhender l’influence de chaque constituant sur
le comportement du béton. Néanmoins, si une bonne corrélation a été trouvée entre
l’étalement et le seuil de cisaillement calculé, cela n’a pas été le cas entre l’indice de
ségrégation et les résultats des essais au tamis. La valeur limite de non-ségrégation
proposée dans Bétonlab Pro 2 est, d’après nos essais, sévère ;
– dans chaque méthode, quelques inconnues subsistent, par exemple le rapport
addition/ciment. Le choix devra se faire sur des critères mécaniques, économiques
ou de durabilité.
Le tableau 8 récapitule d’un point de vue pratique les principales différences
entre les trois approches. Envisagée de cette manière, la composition des BAP
présente un besoin d’équipements, informatiques ou de laboratoire, a priori absents
chez la plupart des producteurs de bétons prêts à l’emploi ; une telle rationalisation
de la formulation doit s’accompagner d’une acquisition de nouveau matériel.
La mise au point d’une formule théorique n’est à elle seule pas suffisante. Quelle
que soit la méthode utilisée, la formule du béton doit être aussi testée, si possible en
centrale à béton, à l’aide des essais de l’AFGC. Il manque à ce jour un document
officiel proposant des techniques d’ajustement d’une formule de BAP, comme en
avait proposées T. Sedran dans sa thèse [SED 99].
23
448 Revue française de génie civil. Volume 7 – n° 4/2003
Optimisation du
Minimisation de Vpâte
Approche japonaise squelette granulaire
(Critère de non-blocage)
(Bétonlab Pro)
– Répartition – Répartition
Inconnues entre les gravillons entre les gravillons, G/S
à fixer – (Masse de ciment)
– Masse de ciment – Masse de ciment
a priori
– (Volume de sable) – Eau et adjuvant
– Ajustement
Essais – Vérification – Vérification
de la formule (dosage
en aval de la formule de la formule
du superplastifiant…)
– Bétonlab Pro
– Malaxeur à mortier
– Malaxeur à mortier
Matériel – Cylindre 16x32
– PC – Mesure compacités
nécessaire
(pour la mesure
– Cône de Marsh
de la compacité)
– PC
Les bétons autoplaçants testés dans cette étude ont des volumes de pâte élevés
(supérieurs à 385 l/m3). Le rapport entre leur résistance à la compression et leur
module d’élasticité a donc été logiquement trouvé supérieur à celui du béton
ordinaire. Malgré leur différence de volume de pâte, bétons autoplaçants et béton
ordinaire présentent un même retrait total. En terme de durabilité, ces résultats
peuvent se traduire par une sensibilité des bétons autoplaçants vis-à-vis de la
fissuration due à un empêchement des déformations libres au plus égale à celle du
béton ordinaire. Une étude plus complète, avec des essais de retrait empêché, doit
être menée pour confirmer cette idée.
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