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Parpola Istar

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LA DÉESSE ISHTAR

Les sources mésopotamiennes nous présentent une image


déconcertante et apparemment contradictoire de la déesse Ishtar. D'un
côté, elle était l'auguste Reine des Cieux assise sur un trône avec une
bordure d'étoiles [photo-1] et était appelée “Ishtar des Étoiles", la Reine
des reines, la Dame des dames, la Déesse des déesses, la Très-Haute, et la
Maîtresse des pays. Elle était la Créatrice des dieux et de toute l'humanité,
la Mère des hommes, la Mère compatissante de celles qui donnent
naissance. Elle était la Pure, la Sainte, l'Innocente, la Sage et la Fille
vierge de la Lune ou “Ishtar de la Sagesse", une épousée voilée, dont la
caractéristique primaire était la pureté, la chasteté, la prudence, la sagesse
et la très grande beauté. Depuis les temps les plus anciens, ses épithètes
constantes étaient "Sacro-sainte" et "Vierge". Elle était associée à la
planète Vénus et sa représentation symbolique la plus courante était
l'étoile à 8 branches. Dans l'iconographie assyrienne, elle est souvent
représentée comme une figure féminine entourée par une forte luminosité
[photo-2].

Par ailleurs, elle apparaît aussi comme une sorcière, une prostituée
et une maquerelle à la tête d'un troquet ou d'un bordel. Dans la VIe
tablette de l'Épopée de Gilgamesh, elle est à la tête d'une armée de
prostituées et approche Gilgamesh en femme séductrice, charnelle, brûlant
pour le beau héros. Ailleurs, elle est comparée à la démone Lilith et au
vent démoniaque du Sud [photo-3]: elle est aussi dite troubler l'Apsû,
l'eau cosmique du savoir, en présence de Ea son père.
On doit souligner, cependant, qu'une image aussi négative de la
déesse est totalement absente des inscriptions royales assyriennes, qui
soulignent chaque fois sa sainteté, son caractère noble et ses aspects

–1–
maternels tout en nous la présentant comme une vierge belliqueuse qui
court sus aux ennemis du roi assyrien, comme dans le passage suivant des
inscriptions d'Assurbanipal [photo-4]:

«En Ab, le mois de l'apparence de l'Étoile de l'Arc et de la fête de


la Dame vénérable, … alors que je me trouvais dans son Arbèles chérie
pour adorer sa grande divinité, on me rapporta une attaque des Élamites…
A cause de cette insolence, … je me tournai vers Ishtar, la Très-Haute. Je
me tins devant elle, pliai le genou devant elle et adressai une prière à sa
personne divine, en répandant des larmes:
“[Te'umman] aiguise ses armes pour envahir l'Assyrie. Tu es la
plus héroïque des divinités; répands-le comme (le contenu d')un sac au
milieu de la bataille; fais se lever un violent vent destructeur contre lui."
Ishtar entendit mes soupirs de désespoir. Elle me dit: “Ne crains point!" et
m'encouragea, disant: "Je ressens de la compassion pour la prière que tu
as faite et les larmes dont sont emplis tes yeux."
La nuit même où je lui adressai une prière, un voyant se coucha et
eut un rêve. À son lever, il me relata la vision nocturne qu'Ishtar lui avait
fait voir.
"La déesse qui habite Arbèles entra. Des carquois pendaient à sa
droite et à sa gauche. Elle tenait un arc dans sa main et elle avait dégainé
une épée pointue pour combattre. Vous vous teniez devant elle, pendant
qu'elle vous parlait comme une mère à son fils. Ishtar, la plus haute des
divinités, vous parlait, vous donnant telles instructions: “Tu as décidé de
faire la guerre — Je suis en route pour là où tu veux aller." Vous lui avez
dit: “Où que tu ailles, j'irai avec toi", mais la Dame des dames vous a dit:
"Tu resteras ici, là où est ta demeure! Mange, bois du vin, esbaudis-toi et
loue ma tête divine, tandis que j'irai accomplir ta tâche et te faire obtenir
le désir de ton cœur. Tu ne feras pas longue mine, ton pied ne tremblera
pas et tu n'essuieras pas ta sueur dans le gros de la bataille!"
Elle t'abrita dans ses doux bras, protégeant ton corps tout entier. Le
feu brillait sur sa face et elle partit en colère et impétueusement pour

–2–
défaire son ennemi, marchant contre Te'umman, roi d'Élam, qui l'avait
grandement irritée".

Selon ce passage, l'épithète la plus commune de la Déesse dans les


inscriptions royales était "la Dame de la bataille et du combat".
Elle est souvent représentée debout sur un lion ou une panthère
[photo-5] et est dénommée "la lionne" ou "la vache sauvage qui donne un
coup de corne à l'ennemi".
Femme, elle était aussi mâle et elle est occasionnellement
représentée avec une barbe [photo-6]. En assumant un caractère
androgyne, elle était comme la planète Vénus, qui était feminine en tant
qu'Étoile du soir mais mâle, en tant qu'Étoile du matin, et elle possédait
le pouvoir de changer les femmes en hommes et les hommes en femmes.
Ses symboles et attributs étaient multiples et incluaient la
tourterelle, l'arc, la conque [photo 7], l'utérus, la tour-ziggourat, l'arc en
ciel, l'étoile à 8 branches, le croissant et la pleine lune, la vache qui
allaite, la vache sauvage à cornes, le cerf, le lion, le palmier, la grenade et
plusieurs autres.
À la période impériale, toutes les déesses étaient mises en
équivalence avec elle, et elle recevait de nombreux noms et avait un culte
dans de nombreux endroits. Ses nombreux noms étaient des appellatifs qui
évoquaient des aspects spécifiques ou des variétés de cette déesse
universelle. Elle pouvait être appelée Zarpanitu, Belet-ili, fieru'a ou Gula,
Nintinugga, Nanshe, Ninkarrak, Baba, Ninsun et Mullissu dans le même
texte. Son nom de Mullissu la notait comme la Reine des Cieux et Mère de
tous les êtres vivants; elle était Gula, comme la grande Guérisseuse
[photo-8], Kubbaba comme l'Ishtar de Carkémish, Urkittu comme l'Ishtar
d'Uruk; Taßmetu comme la chaste Fiancée de Nabû; Banîtu comme la
Créatrice; Nikkal comme la pleine Lune, et Nanaya comme la magnifique
Fille voilée de An.
La multiplicité et la nature controversée d'Ishtar était déjà
complètement réalisée dans l'Antiquité et était partie intégrale et

–3–
intentionnelle de son image. Un hymne louant la déesse en tant que
Nanaya commence avec ces mots:

Sage fille de Sin, bien-aimée sœur de Shamash, je suis la Puissante


à Borsippa;
je suis l'Hiérodule à Uruk, j'ai une lourde poitrine à Daduni,
j'ai une barbe à Babylone, mais je suis (en fait) Nanaya.

L'hymne passe en revue alors les plus importantes villes de


Babylonie, en strophes de la sorte, mettant en équivalence toutes les
différentes formes locales d'Ishtar et ses titres variés avec Nanaya. Un
colophon montre que ce texte a été composé en Assyrie à l'ordre du roi
Assurbanipal, et il termine par une malédiction:

"Quiconque retire ce texte ou [altère] son inscription, qu'Aßßur


[détruise] son nom et sa descendance [du pays].

Que faire d'une déesse si pleine de contradictions? Les manuels


modernes et les présentations pour un large public de la religion
mésopotamienne la définissent comme une "déesse de la guerre, de la
fécondité et de la sexualité". De telles définitions sont, en un sens,
techniquement correctes — Nous avons certes vu qu'Ishtar était "la Dame
de la bataille" et la "Dame de l'amour" — mais ils ratent totalement
l'essence même de la déesse et n'expliquent pas son image contradictoire.
Comme l'a observé Rivkah Harris, "[Inanna-Ishtar] incarnait en elle des
polarités et des contraires, et par là même, les transcendait.… Elle était
beaucoup plus que simplement la déesse de la fertilité, de l'amour et de la
guerre, et l'étoile Vénus".

Sa figure complexe, qui combine les traits de la Madone avec ceux


de la prostituée et d'un guerrier, a été correctement caractérisée par Harris
comme un "paradoxe et une coïncidence de contraires".

–4–
Le rôle d'Ishtar dans la prophétie assyrienne

La clef de l'essence de la Déesse se trouve dans le petit corpus des


oracles prophétiques assyriens, où on lui voit jouer deux rôles, en
apparence distincts mais en relation étroite: celui de la mère céleste du roi
assyrien et celui de la déesse oraculaire assyrienne par excellence.

Ishtar, en tant que mère et protectrice du roi assyrien

Dans les prophéties, le roi est présenté comme le fils de la déesse


Mullissu/Ishtar, un être semi-divin, en partie humain, en partie dieu. Dans
un oracle, la déesse déclare:

"Je suis ton père et mère; je t'ai élevé entre mes ailes".

La relation mère-enfant entre la déesse et le roi, implicite dans


chaque oracle du corpus, est élaborée à travers un ensemble d'images et de
métaphores qui soulignent la totale dépendance du roi de sa mère divine et
l'ardent désir de cette dernière pour son enfant. De façon plus banale, le
roi est représenté comme un enfant, élevé, chouchouté et protégé par la
déesse, qui tantôt apparaît comme sa mère, tantôt comme sa nourrice, et
qui l'appelle tendrement "mon petit veau" ou "mon roi", tandis qu'elle
attaque férocement ses ennemis.

Il y a toutes raisons pour croire que cette imagerie de mère/enfant


n'était pas que simple métaphore. Nous savons que les princes assyriens
étaient confiés, encore enfants, aux temples d'Ishtar, presque certainement
pour être allaités et élevés par des hiérodules qui incarnaient les aspects
maternels de la Déesse. L'arrière-plan idéologique de cette pratique est
fourni par le mythe de la création, Enªma elîß, selon lequel Marduk, le
futur roi des Dieux, a têté dans son enfance le sein des Déesses et possédait
une nurse divine. Un texte assyrien ésotérique en relation avec le culte
d'Ishtar traite des Déesses en question. Nous apprenons que la nourrice de

–5–
Marduk était Ishtar de Ninive, tandis que sa nourrice sèche était Ishtar
d'Arbèles. Ce sont exactement les mêmes déesses qui figurent dans les
prophéties et autres textes contemporains comme nourrices du roi. En
outre, la déesse Mullissu, qui apparaît dans les prophéties comme la Mère
divine à la fois d'Esarhaddon et d'Assurbanipal, apparaît jouer le même
rôle également dans des inscriptions royales et des hymnes contemporains.
Il est ainsi clair que la distribution des rôles des déesses n'était pas fortuit
mais avait une base doctrinale bien établie partagée par les prophéties
contemporaines, le mysticisme et l'idéologie royale.

Ainsi, lorsque Assurbanipal dans son hymne à Aßßur proclame


"qu'il ne connaissait ni père ni mère et a grandi sur le sein des déesses" et
lorsque il se désigne comme "un produit de l'Emaßmaß et de
l'Egalkalamma" (les temples fameux d'Ishtar de Ninive/Mullissu et
d'Ishtar d'Arbèles), il savait bien ce qu'il disait. Il faut comprendre qu'il
a été séparé de ses père et mère physiques dans son enfance et élevé dans
les temples d'Ishtar à Ninive et Arbèles. Nourri par des hiérodules et
éduqué par des initiés dans les mystères sacrés, il a "vraiment grandi dans
le giron des Déesses" et a "été élevé parmi leurs ailes" [photo-9].

Du même coup, lorsque le roi fait à plusieurs reprises référence à lui


comme à une "création des Dieux" ou à Mullissu comme "la Mère qui m'a
donné naissance", ces affirmations doivent être prises au sérieux. Cela fait
référence au dogme qu'il a été miraculeusement perfectionné pour sa tâche
dans le sein de sa mère, comme le légendaire Gilgamesh, le prototype du
parfait roi.

La Mère divine du roi, Mullissu, était Ishtar sous son aspect de


Reine des Cieux, la Créatrice des Dieux et des êtres vivants. Son nom
signifie à l'origine "Enlil-femelle" mais, à l'époque impériale, elle a
certainement été réinterprétée comme "Celle qui sanctifie". Un hymne
d'Assurbanipal loue sa sainteté et sa luminosité mais de façon

–6–
remarquable, aussi son caractère androgyne, s'adressant à elle comme au
palmier et à la tour d'un temple [photo-10].

"ˆ Palmier, Dame de Ninive, Cerf des pays! Elle est glorieuse, très
glorieuse, la plus sainte des Déesse!
ˆ inclyte Emaßmaß, résidence d'Ishtar, Reine de Ninive! Tel Aßßur,
elle a une barbe et elle est revêtue de brillance! La couronne sur sa tête
brille comme les étoiles; les disques solaires sur sa poitrine brillent
comme le soleil!
ˆ Ziggourat, orgueil de Ninive, entourée par les nuages! Le 16 (du
mois) de Tebet; Elle illumine l'Emaßmaß. La Dame des pays sort, Reine
Mullissu qui habite à [Ninive]."

Comme l'a observé Irene Winter "les choses qui sont saintes, ou
rituellement pures, sont décrites en termes de lumière [dans les textes et
l'art de la Mésopotamie] et si le sacré se manifeste par sa luminosité, dès
lors, ce qui est sacré doit briller".
Ainsi la prééminence donnée à la luminosité de la Déesse dans
l'hymne que je viens de citer et dans les arts assyriens, souligne sa sainteté
et sa pureté. De ce point de vue, la barbe de la déesse ne peut pas avoir été
un symbole de virilité ou un caractère martial mais doit avoir souligné son
caractère androgyne, conçu comme un état de pureté sublime et de
perfection, comme dans le Gnosticisme et le Christianisme primitif.

Dans beaucoup d'inscriptions royales assyriennes, Mullissu porte


l'épithète de "Vache sauvage". Cette épithète la marque comme la mère du
roi assyrien attaquant férocement les ennemis de son fils, mais l'associait
aussi avec la mère de Gilgamesh, la sage et sainte Ninsun, qui portait la
même épithète. Au même moment il la mettait en relation (du fait des
cornes de la vache) avec le croissant lunaire, et l'identifiait ainsi avec la
chaste et virginale "Fille de la Lune", "l'aspect lunaire d'Ishtar aussi
connue comme "Ishtar de la Sagesse". De là, sagesse, sainteté, chasteté et
virginité étaient les caractéristiques fondamentales de la Mère divine du

–7–
roi, et son rôle dans la naissance miraculeuse du roi est en complet
parallèle avec celui de l'Esprit saint dans l'Immaculée Conception du
Christ. Créé par la Déesse dont le nom même connotait la sainteté, le roi
assyrien était assurément un homme "conçu par l'Esprit Saint" ou le
"Verbe fait Chair" au sens de Jean 1: 13, où "Verbe" signifie l'Esprit
Saint comme créateur du monde.

Dans beaucoup d'oracles, la déesse appelle tendrement le roi "mon


petit veau". Cette figure de style évoque l'image d'une vache léchant et
allaitant son veau [photo 11], une représentation qui n'est nullement
limitée aux prophéties assyriennes mais qui est familière par tout le
Proche-Orient ancien, y compris la prophétie biblique. En tant que motif
iconographique, il est attesté en Mésopotamie et en Égypte déjà au IIIe
millénaire avant le Christ et, plus tard, aussi en Syrie-Palestine et en
Crète, souvent en association avec l'arbre sacré [photo-12]. En Égypte, la
vache qui allaite son veau représente Hathor, l'équivalent égyptien de
Mullissu. Comme Mullissu, elle était Reine des Cieux et Déesse de
l'amour, la Mère des Dieux et la Créatrice de toutes choses vivantes, et,
comme Mullissu, elle était la nourrice et la mère du Pharaon et une
divinité oraculaire décrite comme une vache sauvage portant la lune entre
ses cornes [photo 13]. De façon remarquable, l'équivalent cananéen de
Mullissu, la déesse Asherah, avait aussi des rapports avec la prophétie
extatique et apparaît comme l'arbre sacré dans l'iconographie de la fin du
IIe millénaire et du début du ier [photo 14]. Dans l'Israël du VIIIe siècle,
elle était la parèdre de Yahweh.

Le motif assyrien de "la vache et du veau" avait aussi une variante


"brebis et agneau" [photo 15], qui rappelle l'"Agneau de Dieu" chrétien
de Jean I: 37, etc. Dans une empreinte de sceau du XIIIe siècle provenant
d'Assur, le brebis allaitant l'agneau est identifiée comme Ishtar grâce à
l'étoile à 8 pointes qui est représentée sur elle.

–8–
Le rôle d'Ishtar comme la Mère divine du roi lui dispensant
sainteté, sagesse et perfection et le protégeant farouchement contre ses
ennemis, voilà qui explique beaucoup de son imagerie contradictoire et de
son iconographie, comme le fait qu'elle soit représentée sous les traits
d'une reine barbue du ciel, ou comme un buffle sauvage et agressif, une
lionne féroce, ou une vache léchant et allaitant son veau. Toutes ces
diverses images sont corollaires de la relation "mère/enfant" qui existe
entre la Déesse et le roi. Son rôle martial n'est pas différent de celui de la
Madone, la "Sainte Vierge", comme palladium des armées chrétiennes à
l'époque médiévale. Les guerres qu'elle menait étaient des "guerres
saintes" contre les forces du Mal, de la Ténèbre et du Chaos et elles étaient
alors gagnées parce que la Déesse elle-même allait devant le roi et
"inspirait" son armée.

"Dans le cours de ma campagne, j'atteignis Dur-Undasi, la cité


royale de Ummanaldas. Quand les troupes virent la rivière Idide (dans
son) flot violent, elles furent effrayées à l'idée de la traverser. Mais la
Déesse (Ishtar) qui réside à Arbèles fit voir à mes troupes un rêve dans la
nuit et leur parla comme suit: “Je vais aller devant Assurbanipal, le roi
qu'ont créé mes mains!" Mes troupes eurent confiance en ce rêve et
traversèrent la rivière sans dommage".

Ishtar comme esprit prophétique

Reconnaître en Mullissu/Ishtar l'équivalent assyrien du Saint-Esprit


aide à comprendre son rôle éminent comme déesse oraculaire dans la
prophétie assyrienne; comme le Souffle de Dieu donnant vie à toute la
création et animant tous les êtres vivants; elle était aussi l'Esprit de Dieu
résidant dans les prophètes et autres personnes sacrées et parlant par leur
bouche.

Le concept de l'Esprit de Dieu était bien attesté dans les noms


propres assyriens, comme Îab-ßar-ili «Bon est l'Esprit de Dieu∞, Îab-

–9–
ßar-Aßßur «Bon est l'Esprit d'Aßßur∞, Îab-ßar-Issar «Bon est l'Esprit
d'Ishtar∞, Îab-ßar-Mullissu «Bon est l'Esprit de Mullissu∞, Îab-ßar-
Arbail "Bon est l'Esprit d'Arbèles∞ ou Ina-ßar-Aßßur-allak = «Je vais
dans l'Esprit d'Assur∞, Ina-ßar-Bel-allak «Je vais dans l'Esprit du
Seigneur∞, Ina-ßar-Nabû-allak «Je vais dans l'Esprit de Nabû. Il vaut la
peine de noter que, outre le mot assyrien pour "Dieu", ilu, les seuls dieux
qui figurent dans ces noms sont le dieu suprême Assur, la déesse Ishtar qui
personnifie son souffle, son lieu de culte, Arbèles, aussi bien que son fils
Nabû, le gardien de la "tablette des destins" qui parfois coïncide avec sa
mère. Le mot assyrien pour "souffle, esprit" est l'exact correspondant
sémantique de l'hébreu rªah, "vent, souffle, esprit [de Dieu]" et du grec
pneuma, "esprit (prophétique)".
Le rôle central joué par la prophétie extatique dans le culte d'Ishtar
rend en fin de compte possible de comprendre pourquoi elle était
représentée comme une prostituée, un rôle diamétralement opposé à celui
de la Reine des Cieux. Ces deux rôles contradictoires de la déesse étaient
fondamentaux pour le culte d'Ishtar et son fondement doctrinal, le mythe
de La Descente d'Ishtar aux Enfers, que nous allons maintenant examiner
en détails.

La Descente d'Ishtar et l'ascension de l'âme

Le mythe commence avec le départ d'Ishtar de sa demeure céleste


en direction des Enfers, "le Pays du non-retour". À chacune des portes des
Enfers elle abandonne un de ses habits ou parures [photo-16].

"Le portier la laissa passer par la première porte, il l'ouvrit grande,


mais prit la grande couronne de sa tête – Pourquoi, portier, as-tu pris la
grande couronne de ma tête? – Entre ma dame, telles sont les lois de la
Dame des Enfers.
Il la laissa passer par la seconde porte, mais lui prit les anneaux de
ses oreilles.

– 10 –
Il la laissa passer par la troisième porte, mais il lui prit les perles
autour de son cou.
Il la laissa passer par la quatrième porte, mais il lui prit les épingles
d'attache de sa poitrine.
Il la laissa passer par la cinquième porte, mais il lui prit la ceinture
aux "perles de naissance" de sa taille.
Il la laissa passer par la sixième porte, mais il lui prit les anneaux de
ses mains et de ses pieds.
Il la laissa passer par la septième porte, mais il lui prit le pagne qui
recouvrait son corps."

À la fin, elle arrive complètement nue devant sa sœur Ereshkigal,


reine des Enfers. Dépouillée de ses habits et de ses pouvoirs, elle
succombe devant Ereshkigal et meurt. Elle est sauvée, toutefois, grâce à
son père Ea, dieu de la sagesse. Ayant appris la situation critique d'Ishtar
par un messager en larmes, il crée un androgyne, créature sans sexe,
l'assinnu, pour assouvir Ereshkigal. Ishtar est aspergée d'eau de vie, renaît
et est libérée. Repassant par les portes des Enfers, elle obtient ses habits
dans un ordre qui reflète celui de leur enlèvement, jusqu'à ce qu'elle
retourne aux Cieux retrouver l'amour de sa jeunesse, Tammouz, lequel,
par décret des Dieux, elle doit livrer aux Enfers comme sa rançon. Le
mythe se termine par le cri angoissé de la déesse pleurant sa perte, mais
aussi par une promesse de salut.

"Lorsque Tammouz se lèvera, le tuyau de lapis-lazuli et l'anneau de


cornaline se lèveront avec lui!
Les lamentateurs mâle et femelle se lèveront avec lui! Que les morts
de lèvent et respirent l'encens!"

Pour comprendre correctement ce mythe énigmatique, il est


essentiel de réaliser qu'il n'a rien à voir avec la "fertilité" ou "la
croissance et le déclin saisonniers", mais qu'il aborde fondamentalement la
question du salut de l'homme d'entre les liens de la matière. La descente

– 11 –
d'Ishtar est l'archétype de l'âme humaine. La première partie du mythe
souligne l'origine divine de l'âme et sa chute, la seconde partie décrit son
chemin de salut au moyen de la repentance, du baptême et de l'ascension
graduelle vers la perfection originelle.
En haut, dans le Ciel, l'âme est la chaste et sage "Fille de la Lune",
pure et innocente comme une fiancée voilée. Mélangée à la matière,
cependant, elle perd peu à peu son caractère divin et devient une prostituée
nue et pécheresse, semblable à "Ereshkigal, Reine des Enfers". La Déesse
du mythe est ainsi une entité à deux faces. Sa descente représente le
souffle de Dieu entrant dans la prison du corps; son ascension représente
la prostituée repentante dont les prières obtiennent pardon et salut. Ce
double rôle explique la figure mythologique contradictoire, qui combine
l'image d'une vierge sainte avec celle d'une prostituée.
Le mythe fonctionne à 2 niveaux: un premier, littéral, qui s'adresse
au vulgum pecus, et l'autre, allégorique, qui s'adresse aux initiés du culte
d'Ishtar. Les deux sont intrinsèquement liés et également importants pour
comprendre le mythe. À un premier niveau superficiel, les Enfers du
mythe sont une localité cosmique, le séjour des morts, mais au niveau
allégorique, il s'agit du monde physique des humains compris comme une
prison et comme la tombe de l'âme.

Le culte d'Ishtar

Dans son essence, le culte d'Ishtar peut être défini comme un culte
ésotérique à mystères promettant à ses dévots un salut par transcendance et
une vie éternelle. Comme le Tantrisme de Shakta, le culte extatique de la
déesse mère hindoue, il a une cosmogonie sophistiquée, une théosophie,
une sotériologie et une théorie de l'âme, qui étaient cachés aux gens
exotériques par le voile des symboles, métaphores et énigmes qui n'étaient
expliqués qu'aux initiés, lesquels étaient astreints au secret par serment.

Un texte d'Assur relatif au culte d'Ishtar des Cieux termine de la


sorte:

– 12 –
"Le prêtre bénit les initiés en disant:
“Que parle bellement de vous l'Ishtar céleste [à …]!
De même que cette torche est brillante, qu'Ishtar décrète pour vous
brillance et prospérité!
Gardez la parole et les secrets d'Ishtar! Si vous laissez échapper la
parole d'Ishtar, vous ne vivrez pas! Si vous ne gardez pas ses secrets, vous
ne prospérerez pas!
Ishtar garde votre bouche et votre langue!"

Le mythe de La Descente d'Ishtar aux Enfers était le pilier de la


doctrine du culte du Salut. Une composante majeure de cette doctrine était
le concept de l'Homme céleste Parfait envoyé pour la rédemption de
l'humanité, matérialisé dans l'institution de la royauté. Dans La Descente
d'Ishtar, le rôle rédempteur du roi est exprimé par l'image du berger-roi,
Tammouz, livré comme un substitut d'Ishtar aux Enfers, c'est-à-dire le
monde matériel. L'image correspond au rôle du roi en tant que
représentant terrestre de Dieu et trouve une autre expression dans l'image
du roi comme "Soleil des gens" (irradiant une brillance céleste à la
Ténèbre du monde) et en tant qu'incarnation du Dieu Sauveur, Ninurta, le
vainqueur du Péché, de la Ténèbre et de la Mort.

Le symbole central du culte était l'Arbre sacré qui reliait le Ciel et


la Terre, qui contenait la clef secrète pour l'aventure psychique de
l'Homme Parfait et, ainsi, pour la vie éternelle. L'orientation à 2 niveaux
du mythe (âme cosmique = âme humaine) correspond à celle de l'Arbre
sacré qui symbolisait à la fois le Cosmos et l'Homme Parfait.
L'association de l'Arbre avec Ishtar ne laisse pas de doute qu'il jouait un
rôle important comme objet de méditation dans son culte, comme l'arbre
Asherah cananéen [photo 17], ou "l'arbre séfirote" de la Kabale extatique
[photo 18].

– 13 –
D'autres symboles importants étaient la Ziggourat à sept étages,
l'Arc-en-ciel, la Lune, pleine, déclinante ou croissante, l'Étoile à huit
branches, la Vache allaitant son veau et la Mère nourrissant son enfant, la
Vache sauvage à cornes, le Cerf, le Lion, la Prostituée, la Grenade, etc.
Tous ces différents symboles servaient à visualiser les aspects doctrinaux
fondamentaux du culte tout en les celant en même temps aux gens
extérieurs et ainsi, équivalant à un code secret, un "langage dans le
langage" encourageant la méditation et dominant l'imagerie et la réflexion
des dévots.

Outre une méditation transcendante, le culte de la Déesse incluait un


extrême ascétisme et mortification de la chair, qui – combinés avec les
pleurs et d'autres techniques extatiques – pouvaient aboutir à des
altérations de la personnalité, des visions et des prophéties inspirées.

Le messager en larmes qui apporte la nouvelle de la mort d'Ishtar


aux Cieux symbolise les prières désespérées de l'âme pénitente. L'assinnu
émasculé créé pour son secours est un dévot de la Déesse, un instrument
de Dieu qui apporte à l'âme harassée un mot de réconfort et la
connaissance de la voie du Salut. On peut postuler que les assinnu jouaient
un rôle important dans le culte d'Ishtar comme "aides" des novices du
culte, les encourageant par des mots de réconfort et des promesses de
salut. Il est probable qu'ils les conduisaient au sacrement du "Mariage
sacré", qui ne doit pas être mé-compris comme un acte sexuel physique
mais comme la propagation d'un savoir ésotérique relatif à l'ascension de
l'Âme, c'est-à-dire la restauration de l'unité originale de l'âme avec Dieu,
qui était envisagée en termes de noces célestes.

En somme, il semble certain que La Descente d'Ishtar contenait le


texte de base d'un culte à mystère extatique promettant aux croyants
l'absolution des péchés, la renaissance spirituelle et la résurrection d'entre
les morts. Ces récompenses étaient disponibles pour ceux qui étaient prêts
à suivre le chemin de la Déesse depuis la prostitution et la souffrance

– 14 –
jusqu'aux Noces dans les cieux. Selon les termes du document gnostique
Tonnerre:

Je suis le Premier et le Dernier;


Je suis l'Honoré et le Méprisé;
Je suis le Prostitué et le Saint;
Je suis l'Épouse et la Vierge;
Je suis la Mère et la Fille…
Je suis la Voix dont le son est multiple
Et le Logos qui a plusieurs images…
Je suis la Honte et l'Orgueil…
Je suis la Guerre et la Paix…
Je suis l'Union et la Séparation.
Je suis Celui qui est dessous et vers moi ils monteront;
Moi, je suis le Sans fautes et (pourtant) je suis la Racine du mal;
Faites donc attention, auditeurs,
Car nombreuses sont les apparences douces qui existent dans les
nombreux péchés et incontinences, et passions disgracieuses,
Et plaisirs fugitifs qu'embrassent les gens,
Jusqu'à ce qu'ils deviennent sobres et montent vers leur lieu de
repos.
Et ils me trouveront là,
Et ils vivront et ne mourront plus!

Le chemin vers les Cieux du dévot était esquissé dans le mythe,


mais il était représenté de façon codée dans l'Arbre sacré, médiation sur
lequel certainement jouait une importante partie du culte. Le tronc de
l'Arbre, représenté comme un palmier stylisé, symbolisait Ishtar comme le
pouvoir de jeter un pont sur l'Abîme qui séparait les Cieux de la Matière.
La somme des nombres mystiques de la couronne (1) et de la base (14)
équivaut au chiffre mystique d'Ishtar (15), et sa représentation comme un
nœud au milieu du tronc, rappelle une des définitions par St Augustin de

– 15 –
l'Esprit Saint comme "l'amour mutuel du Père et du Fils, le lien
consubstantiel qui les unit."

Le symbolisme des habits d'Ishtar

Le chiffre mystique d'Ishtar, 15, correspond au chiffre de la pleine


lune dans le calendrier lunaire mésopotamien. Assurément, le disque
brillant, immaculé de la pleine lune était un parfait symbole pour l'aspect
céleste d'Ishtar, la radieuse Reine des Cieux et la "Fille sans reproche de la
Lune". De manière correspondante, la perte graduelle de luminosité de la
lune déclinante à la conjonction symbolisait sa mort, et l'augmentation
progressive de luminosité après la conjonction, son ascension et le retour à
son état originel de perfection.

L'ordre dans lequel Ishtar perd ses habits et parures reflète la


structure de l'Arbre sacré. À la première porte, elle perd sa couronne; à la
deuxième porte, ses boucles d'oreilles; à la troisième porte, son collier; à
la quatrième porte, son pectoral; à la cinquième porte, sa ceinture; à la
sixième porte, ses bracelets et à la septième porte, son pagne. Notez la
progression constante du haut vers le bas et l'alternance des pièces uniques
et de celles qui vont par paires d'habillement. La couronne enlevée
correspond à la couronne de palmettes de l'Arbre, ses colliers, ceinture et
pagne aux trois nœuds du tronc et ses boucles d'oreilles, pectoral et
bracelets aux cercles qui entourent le tronc. De façon correspondante, les
différents habits et ornements peuvent être identifiés avec les pouvoirs
divins des "Grands Dieux" constituant l'Arbre. Dans le précurseur
sumérien du mythe, La Descente d'Inanna, ils sont en fait explicitement
appelés "pouvoirs divins".

En référence à l'âme humaine, les "habits" et les "parures" d'Ishtar


doivent donc être compris comme une allégorie pour les pouvoirs divins
ou vertus, dont la présence ou l'absence dans l'âme résultait en salut ou
perdition. Fondés sur les fonctions et attributs des "Grands Dieux", ces

– 16 –
pouvoirs peuvent être définis comme autorité ou dignité (Porte 1 = Au),
sagesse et prudence (Porte 2 = Ea et Sîn), raison (porte 3 = Mummu),
jugement et compassion (Porte 4 = Shamash et Marduk) amour (Porte 5 =
Ishtar); honneur et Fierté (Porte 6 = Adad et Nabû) et Vergogne (porte 7
= Nergal). L'Arbre sacré peut ainsi être vu comme une représentation
symbolique de l'Âme parfaite et non souillée dans sa gloire céleste,
revêtue de tous ses pouvoirs divins — en d'autres mots, une image de
Mullissu, l'Ishtar céleste. Regagner ces vertus dans l'ordre où elles avaient
été perdues devait ainsi restituer l'âme à son état primitif, céleste, et
restaurer son immortalité.

Ishtar en tant que Ziggourat

L'idée était aussi implicite dans un autre symbole central du culte,


la Tour du temple mésopotamien, la Ziggourat, qui figurait comme un
attribut d'Ishtar dans l'hymne d'Assurbanipal, cité ci-dessus. Les sept
étages et la forme en montagne de cette structure l'associaient à la
descente et à la montée en sept paliers de la Déesse [photo-19]. Des restes
de coloriage sur la Ziggourat de la capitale assyrienne Dur-fiarru-kin
montrent que chacun de ces étages était peint d'une couleur différente, la
séquence des couleurs correspondant au coloriage des sept murs
concentriques d'Ecbatane dans Hérodote I 98 (blanc, noir, pourpre, bleu,
orange, or, argent). Ce coloriage symbolisait sans doute les sept sphères
planétaires de Vénus, Saturne, Mars, Mercure, Jupiter, le Soleil et la
Lune. La descente en sept paliers depuis le toit couleur argent de la
Ziggourat, associé à la Lune, devait symboliser le passage à travers les
sept portes des Enfers et le déshabillage, tandis que le fait de les remonter
devait signifier le retour aux Cieux dans les brillants habits et les parures
de la Déesse. Une telle imagerie se trouve probablement derrière
l'ascension mithraïque de l'âme décrite dans le Contra Celsum [= Contre
Celse] d'Origène, où l'initié grimpe "un escalier avec sept portes"; la
première (de plomb) associée à Saturne, la seconde (d'étain) à Vénus, la
troisième (de bronze) à Jupiter, la quatrième (de fer) à Mercure, la

– 17 –
cinquième (d'électrum) à Mars, la sixième (d'argent) à la Lune et la
septième (d'Or) au Soleil. Dans cette imagerie, l'ascension vers le Ciel est
liée à la ré-acquisition de pouvoirs divins perdus, représentés par les
couleurs, dont la séquence complète représentait la gloire céleste de
l'Âme.

Ishtar en tant que l'Arc-en-ciel

Du fait de son association aux couleurs de la Ziggourat, Ishtar était


aussi associée à l'Arc-en-ciel, un autre important symbole relatif à
l'ascension de l'Âme [photo 20]. La convergence du spectre complet des
couleurs dans l'arc-en-ciel symbolisait l'origine céleste d'Ishtar comme
fille d'Anu, dans lequel convergeaient les identités de tous les Dieux,
tandis que la forme en arc la représentait comme l'Arc de Dieu contre le
Péché et la Mort.

Dans l'Enªma elîß, Marduk fabrique un arc, le désigne comme son


arme, et défait Ti'amat par son moyen; plus tard, Anu, le levant,
l'embrasse et l'appelle "ma fille" et en fait une constellation dans le ciel.
La constellation en question, “l'Étoile de l'Arc", notre Canis Major [
Alpha du Chien], est bien connue des textes assyriens où elle est mise en
équivalence avec Ishtar comme "Fille de An" et "Fille de la Lune". Par
conséquent, elle était l'arme avec laquelle Marduk a vaincu Ti'amat.
Ailleurs, dans l'Enªma elîß, cette arme est appelée "Déluge", allusion au
rôle bien connu d'Ishtar qui apporte le déluge dans Gilgamesh X. L'"Arc-
Déluge", qui se trouve déjà dans la mythologie sumérienne comme arc de
Ninurta, n'est bien sûr pas autre chose que l'arc-en-ciel, qui se trouve
comme un nom d'Ishtar dans la liste des noms de dieux assyrienne. De
plus, à la fois "Étoile de l'Arc" et "Étoile de l'Arc-en-ciel" se trouvent
comme noms de Vénus et sont mises en équivalence avec la constellation
de la Vierge dans les textes astrologiques. Divisé en ses éléments, le
sumérogramme pour "arc-en-ciel", ∂tir-an-na signifie "Arc de Anu" ou
"Arc du Ciel".

– 18 –
Avec son "Arc-Déluge", Dieu détruit les méchants mais sauve les
justes. Dans La Descente d'Ishtar, l'ascension de l'Âme a pour condition
l'abandon de Tammouz comme substitut de la Déesse dans les Enfers.
C'est une allégorie pour l'institution de la royauté divine sur la terre et
une étiologie pour la "mort rédemptrice" du roi. En matérialisant l'idée de
"l'Homme Parfait" dans le roi humain, Dieu a donné à l'humanité un
exemple à suivre et un Berger pour le guider sur le chemin du salut.
Tammouz, le Berger-Roi mésopotamien, est le roi comme un "arbre
planté par Ishtar"; le Fils de Dieu qui devait advenir au monde, prend une
forme humaine, meurt et ressuscite pour pourvoir l'humanité d'un
exemple vivant de la perfection requise pour le salut.

Tammouz qui meurt et ressuscite doit donc être compris comme un


des pôles mythologiques les plus centraux du roi, le Rédempteur sacrifié
pour l'amour de l'Homme. Tandis que Ninurta est le roi en tant que
Sauveur victorieux qui triomphe de la Mort et de la Maladie, retourne à
son père en triomphe et voit sa gloire exaltée dans le Ciel, Tammouz est le
berger qui meurt pour son troupeau, l'arbre abattu, dont la mort est
amèrement déplorée. En faisant d'Ishtar la responsable pour la mort de
son “fils" bien aimé, le mythe présente ce sacrifice comme un acte
d'amour divin comparable à Jean 4:9, "Car Dieu est Amour, et Son
amour nous a été révélé par ce fait qu'il nous a envoyé Son Fils unique en
ce monde pour nous procurer la Vie." Cette idée semble être encodée dans
le motif du "Dieu qui tire à l'Arc" [photo 21], une image bien connue
mais énigmatique dans l'art impérial assyrien, qui peut être interprétée
comme une représentation symbolique du "Dieu, le Père, envoyant son
Fils au Monde". Le Dieu qui envoie la flèche dans la cible symbolise
Enlil/Marduk, le roi divin; la "flèche" symbolise son fils, Ninurta/Nabû,
le Vainqueur du péché; l"Arc" symbolise Mullissu/Ishtar, et le "Monstre"
touché par la flèche symbolise le monde comme lieu du Péché, de la
Ténèbre et de la Mort. Il doit être noté qu'à la fois Assur et Ishtar

– 19 –
partagent dans les sources assyriennes l'épithète de "ami de (toute)
l'humanité".

La trinité assyrienne

Nous avons ainsi dans le roi assyrien la parfaite contrepartie


doctrinale du Sauveur Chrétien un Verbe de Dieu devenu Chair, un
Agneau de Dieu sacrifié pour l'amour de l'Homme. Ce qui est plus, sa
relation à Dieu est définie exactement en termes de la doctrine trinitaire
("une substance - trois personnes") dans son élaboration augustinienne, où
l'Esprit Saint est "l'amour mutuel du Père et du Fils, le Lien
consubstantiel qui les unit".

Le retour triomphal de Ninurta vers sa demeure céleste, dont on a


parlé dans la leçon précédente, trouve une représentation graphique dans
une triade divine chevauchant à l'occasion le disque solaire ailé d'Assur
planant au dessus de l'Arbre sacré [photo 22]. La figure centrale, levant sa
main dans un geste de bénédiction, peut être identifié comme
Enlil/Marduk; la figure sur la droite, recevant sa bénédiction, comme
Ninurta/Nabû, et la figure sur la gauche, également levant la main dans un
geste de bénédiction; comme Mullissu/Ishtar.

Dans quelques représentations, les figures à main droite et main


gauche sont réduites à de purs cercles ou volutes émergeant de la figure
centrale [photo 23]; souvent une volute simple prend la place des trois
figures [photo 24]. Cela suggère qu'ils étaient compris comme trois
hypostases d'Assur, une véritable "trinité en unité", Père-Mère-Fils, dans
le sens chrétien et néoplatonicien du concept. Le disque ailé étant le
symbole primaire d'Assur et la volute ou la triade divine apparaissant dans
virtuellement toute représentation de lui, la conclusion semble inévitable:
cet antécédent de la doctrine trinitaire doit avoir joué un rôle central dans
la religion impériale assyrienne.

– 20 –
Comment tout cela peut-il se concilier avec le tableau
fondamentalement monothéiste de la religion assyrienne que j'ai brossé
dans la leçon précédente?

Nous avons vu que Ishtar représente fondamentalement l'Âme


Cosmique sortie de Dieu et animant toutes les créatures vivantes. Tous ses
divers noms, attributs, symboles et traits mythologiques sont des tentatives
pour exprimer l'idée de base et décrire symboliquement les œuvres de
l'Âme Cosmique. Pour cette raison, la multiplicité apparente de déesses
femmes en Assyrie est pure illusion, car elles n'étaient toutes que les noms
et les descriptions de la Déesse sous ses différents aspects. Reflétant cela,
les textes assyriens font fréquemment référence au monde divin comme
"les Dieux et Ishtar", le singulier impliquant qu'il n'y en avait en fait
qu'une, pas plusieurs divinités féminines.

Mais Ishtar ne faisait pas que subsumer toutes les déesses. Sous son
aspect céleste de Reine du Ciel et progénitrice des Dieux, elle englobait
aussi tous les dieux mâles et leurs pouvoirs. L'idée sous-tend tout le récit
métaphorique du déshabillage et du rhabillage de La Descente d'Ishtar et
elle se présente dans d'autres symboles centraux de la Déesse, tel l'Arc-en-
ciel, qui la décrivait comme la convergence des couleurs des sept dieux
planétaires, et l'Arbre sacré, qui symbolisait l'Âme Parfaite comme une
somme des pouvoirs de l'Arbre. Son symbole le plus commun, l'Étoile à
huit branches, la représentait comme la "Porteuse de tous les pouvoirs",
ses huit branches correspondant aux huit dieux mâles qui l'entouraient
dans le schéma triadique de l'assemblée divine, qui était sous-jacent à
l'Arbre sacré [photo 25]. En tant que nœud central de l'Arbre, elle tenait
ensemble toute l'assemblée et en accord avec cela on parle souvent d'elle
comme de Celle qui tient tous les pouvoirs divins, "la Présidente de
l'Assemblée" ou "Celle qui rassemble les pouvoirs divins" dans les textes
assyriens. Il n'est donc pas accidentel que l'Arbre fût un des attributs
principaux de la Déesse et, de fait, peint à l'occasion de façon
anthropomorphique comme la Déesse elle-même [photo 2].

– 21 –
On se souviendra que l'Arbre symbolisait fondamentalement la
multiplicité des dieux comme la manifestation d'Assur dans l'univers
physique. Nous pouvons maintenant le comprendre comme le Souffle de
Vie sortant du Dieu transcendant envahissant l'univers toute entier pour
lui donner une âme — un Arbre de vie cosmique au sens littéral du terme.

Issu du Dieu transcendant, il était partie de son ineffable essence


divine, comme les rayons du soleil issus de leur source inépuisable. En
analyse finale, Ishtar n'était ainsi pas autre chose qu'Assur lui-même
manifesté sous son aspect de Mère, le divin Amour sous-tendant toute
existence.

Cela explique les nombreux points de contact de la religion


assyrienne avec le Christianisme, le Judaïsme, la Gnose et le
Néoplatonisme. Ces systèmes religieux et philosophiques ont perpétué les
idées théologiques fondamentales qui ont pris forme dans l'empire
assyrien et ont été propagées de façon efficiente vers l'ensemble du
Proche-Orient pendant plus de 700 ans.

Ce serait fascinant de décrire dans le détail la diffusion, la continuité


et la transformation des idées religieuses assyriennes dans ces derniers
systèmes. Mais c'est un travail qui ne peut être entrepris ici, car il ne
demanderait pas une simple leçon mais toute une série pour être
adéquatement accompli.

– 22 –

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