Prise en Charge de L'adulte Demandeur de Rééducation de Déglutition Dysfonctionnelle
Prise en Charge de L'adulte Demandeur de Rééducation de Déglutition Dysfonctionnelle
Prise en Charge de L'adulte Demandeur de Rééducation de Déglutition Dysfonctionnelle
Isabelle Eyoum
Résumé
La prise en charge de ce trouble dysfonctionnel concerne habituellement l’enfant plus que
l’adulte. Pourtant il est moins rare qu’on pourrait le penser d’avoir une demande de soins
pour l’adulte.
La demande émane de l’orthodontiste ou bien du dentiste qui suivent l’adulte consultant
pour des problèmes dentaires (déchaussement, déplacements secondaires à une déglutition
dysfonctionnelle). Pourtant souvent l’adulte vient de son propre chef pour savoir s’il y a
encore quelque chose à faire pour corriger sa gêne. Sa motivation peut-être une gêne fonc-
tionnelle, une anomalie de prononciation mal vécue ou une raison esthétique, liée à un tra-
vail où le visage et le sourire ont une importance sociale : hôtesse d’accueil, commercial(e),
instituteur(rice), professeur. Le plus souvent ce sont des femmes qui consultent. Elles sont
plus assidues à la rééducation, investissent pleinement le travail à faire à la maison et, en
général, elles ont la ténacité voulue pour mener à bien un long travail de maîtrise de leur
déglutition.
Mots clés : déglutition dysfonctionnelle, adulte, rééducation, motivation, psychologie.
Isabelle EYOUM
Orthophoniste
Chargée de cours à Paris VI
et à l’université de Besançon
11 rue de Saint-Quentin
94130 Nogent-sur-Marne
L
a prise en charge de la déglutition dysfonctionnelle de l’adulte est parti-
culière. Elle nécessite patience et psychologie. En effet, c’est une réédu-
cation de longue durée car le patient adulte a « imprimé » un mauvais
mécanisme pendant de nombreuses années qui s’est automatisé au fil du temps.
Il va falloir « casser » ce conditionnement pour le remplacer par le déroule-
ment correct des processus de la fonction de déglutition.
La rééducation sera longue (environ 24 mois) et la répétition des exer-
cices peut s’avérer fastidieuse pour le patient. Il faut donc pouvoir le motiver
jusqu’à l’obtention du geste correct permettant une déglutition fonctionnelle.
Parmi les adultes ayant suivi une rééducation de ce type, les trois cas pré-
sentés dans cet article m’ont paru les plus représentatifs du travail de l’ortho-
phoniste dans cette prise en charge si spécifique.
♦ P r é s e n t a t i o n d e t ro i s c a s d ’ a d u l t e s
P re m i e r c a s
Madame Patricia P., âgée de 48 ans, consulte le 14 /02/ 2001, envoyée par
son orthodontiste qui lui a posé des bagues pour la deuxième fois consécutive.
Un premier traitement orthodontique avait été pratiqué en 1998. L’appareillage
avait été déposé en 1999 et replacé 6 mois plus tard, en raison d’une récidive,
objectivée par la réapparition du diastème initial des incisives centrales supé-
rieures. Le praticien n’avait apparemment pas remarqué de déglutition dysfonc-
tionnelle lors de la première pose de bagues et se demande si cette récidive est
la conséquence d’un mouvement d’appui lingual.
Le bilan orthophonique révèle :
– une béance latérale supérieure gauche et un diastème incisif,
– des lèvres peu toniques,
– un filet lingual très court gênant l’ascension linguale,
– des buccinateurs asymétriques et peu fonctionnels,
– une ventilation de type buccal,
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la main vers la bouche, etc. A la maison, elle s’est rendue compte que c’est en
regardant la télévision que l’onychophagie était la plus intense. Elle s’est égale-
ment rendue compte que si ses mains étaient occupées, elle se rongeait moins
les ongles. Nous avons donc alterné à la maison, soit le port de gants, soit le fait
de tricoter ou de broder un canevas pour tenter un déconditionnement.
En Juillet 2002, nous avons pris d’un commun accord la décision d’arrê-
ter la prise en charge. L’articulé dentaire n’avait pas bougé depuis 8 mois, date
de dépose des bagues, et elle se sentait capable de maîtriser ses impulsions
« onychophagiques ».
Deuxième cas
Madame Marie-Claude F., institutrice, âgée de 46 ans, vient consulter en
janvier 2003, envoyée par son orthodontiste. La béance antérieure supérieure est
telle que la fermeture buccale est incomplète, les lèvres ne peuvent se toucher.
Les incisives centrales supérieures se détachent en avant et sont encadrées des
deux autres incisives voisines légèrement plus en retrait. Elle se plaint surtout
d’un trouble de prononciation, encore plus que de l’aspect esthétique. En effet,
elle a quitté sa classe de CP pour enseigner en CM 1 et les élèves se moquent
d’elle ouvertement, ce qu’elle ne peut plus supporter.
Le passage de la langue entre les mâchoires qui ne la contiennent plus
provoque un déplacement des points d’articulation sur le /s/, le /t/, (moins sur le
/n/ et le /d/). De plus, on voit sortir l’apex lingual, même au repos. Cette dame
est très motivée actuellement. Pourtant, à 18 ans, elle avait déjà été suivie pour
un trouble de l’articulé dentaire, on lui avait fait passer des radios panoramiques
montrant, dit-elle, que « ses mâchoires n’étaient pas dans l’axe habituel ».
Devant le coût de l’opération annoncée, elle avait décidé de repousser dans le
temps l’appareillage proposé.
Le bilan orthophonique révèle :
– une béance antérieure très marquée,
– une prognathie avec proalvéolie supérieure, déviation des incisives en
avant et vers le haut,
– un chevauchement des canines,
– au repos, la langue est largement étalée en position interdentale, l’apex sor-
tant légèrement sous les incisives centrales relevées,
– la fermeture labiale n’est pas complète même à l’effort,
– lors de la déglutition, le sillon naso-labial est tendu,
– la houppe du menton est contractée, en accord avec la compensation lors
de la fermeture pour déglutir,
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après son décès. J'ai donc commencé à consulter, il y a 8 ans environ, pour un
trouble qui a été longtemps identifié comme une pathologie liée à cet événe-
ment douloureux ou au stress. Les médecins généralistes que je consultais
m'ont prescrit du Magnésium, du Rivotryl, du Lexomil, du Myolastan ou
d'autres neuroleptiques de ce genre pendant quelques années. La douleur s'ins-
tallait, le sommeil devenait difficile, la vie en société se compliquait, je fuyais
par principe les rencontres, les dîners entre amis, voire les rendez-vous profes-
sionnels et toute tentative d'expression orale nécessitant des efforts considé-
rables. Je commençais à déprimer sérieusement. Pendant les trois années qui
ont suivi, j'ai tenté d'autres pistes sur conseil médical : extraction des 4 dents
de sagesse, 2 acupuncteurs, 1 magnétiseur, 1 médecin kinésiologue et même un
psychothérapeute, tout cela sans succès. Il y a 5 ans, ces troubles devenant
chroniques et entraînant des crispations faciales extrêmement douloureuses, je
décidais de consulter une neurologue parisienne qui ne sut que préconiser l'in-
jection de toxine botulique pour tenter de me soulager. Cette aventure entraîna
des complications car une paralysie de la lèvre supérieure droite ajouta, à mes
maux, un handicap supplémentaire pendant quelques semaines. Le spasme était
toujours là et cette expérience m'a éloigné de la voie médicale traditionnelle.
Mon horizon, bien trouble, commença à s'éclaircir avec la rencontre d'une
ostéopathe remarquable, spécialisée dans le traitement des douleurs faciales
(Elisabeth Roux). Pendant toutes ces années de galères, elle a été la partenaire
de mes soulagements ponctuels, elle m'a offert en me soulageant quelques
heures, des moments de répit après chaque séance et me préparait pour les
réunions importantes (car je dirige une entreprise d'une vingtaine de per-
sonnes, ce qui n'autorise pas les pauses médicales longues). Ces troubles per-
sistant et s'aggravant, j'explorais une voie nouvelle, celle de l'orthodontie. Tout
le monde sait que les dents sont un acteur majeur de notre équilibre, et me
voilà parti pour un traitement de 14 mois avec un accompagnement toujours
aussi soutenu de mon ostéopathe. Au cours du traitement, j'ai ressenti une amé-
lioration sensible mais j'étais encore très loin de la solution. Il faudra, grâce à
mon orthodontiste (le Dr Laurence de Maistre) que je rencontre tout d'abord
une orthophoniste (Isabelle Eyoum) qui, consciente du chemin jusque là par-
couru, pressent un conflit vasculo-nerveux. Elle m'envoie donc vers un chirur-
gien de Caen, spécialisé en chirurgie maxillo-faciale, le docteur Daniel Labbé,
qui me prescrit une IRM pour rechercher l'éventuelle présence d'un conflit vas-
culo-nerveux, et là « BINGO ! » l'examen pratiqué en pleine crise, révèle
l'origine certaine de tous mes maux. Je peux mettre un nom sur ma maladie :
un spasme hémi-facial. Mais voilà les spécialistes sont ra res, et le Dr Labbé,
spécialisé dans la chirurgie réparatrice, m'oriente vers un autre spécialiste,
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♦ C o n c lusion
Ces trois études de cas tenteraient de montrer que la prise en charge de
l’adulte ayant une déglutition dysfonctionnelle ne se résume pas simplement à
une rééducation d’une bonne position linguale mais à une prise en compte des
parafonctions (cas 1 et 2) comme l’onycophagie de Mme P. ou la pulsion lin-
guale de Mme F. Par contre, pour M.V., il s’agissait de poser un diagnostic
orthophonique différentiel qui l’orienta alors vers la nécessité d’une intervention
chirurgicale.
L’intérêt de la prise en charge de patients adultes ayant une plainte de
dysfonction linguale permet, une fois encore, de réfléchir à notre champ de
compétence, à la fois sur le versant anatomo-fonctionnel en relation avec un
traitement orthodontique et, d’autre part, à la nécessité de pouvoir orienter le
patient souffrant de douleurs oro-faciales vers des thérapeutes compétents spé-
cialisés dans ce domaine.
Contrairement à l’enfant, l’adulte a une plainte spécifique. Il ne s’agit pas
de le convaincre de l’utilité d’une prise en charge et d’une rééducation mais de
répondre à la gêne ou aux douleurs qu’il vit au quotidien. C’est pour cela que la
prise en charge est certainement plus longue mais moins souvent sujette à la
récidive.
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REFERENCES
CHAUVOIS A., FOURNIER M., GIRARDIN F. – Rééducation des fonctions dans la thérapeutique
orthodontique, Editions SID, Nantes, 1991, pp 75-181
MAURIN N.- Rééducation de la déglutition, L’Ortho-Edition, Isbergues, 1988, 159 p.
MOUTON L. – Dysfonction neuro-musculaire de la cavité buccale, Glossa, 1993, 36, pp 40-43
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