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Rapport de La Mission D'information Sur La Gestion de L'épidémie de Covid 19

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N° 1399

______

ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le xx xxxxx 2020.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D’INFORMATION (1)

relative à l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses


dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19,

(DOTÉE DES POUVOIRS D’ENQUÊTE)

ET PRÉSENTÉ PAR

M. JULIEN BOROWCZYK, Président,

ET

M. ERIC CIOTTI, Rapporteur,

Députés.

——

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.


— 3 —

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION ........................................................................................................... 11

PREMIÈRE PARTIE : UN PAYS MAL PRÉPARÉ FACE À UNE CRISE


MAJEURE ........................................................................................................................ 15
I. LE DÉLAISSEMENT PROGRESSIF DE LA PRÉPARATION AU RISQUE
PANDÉMIQUE ET LA RÉDUCTION DES STOCKS STRATÉGIQUES ............. 15
A. L’AFFAIBLISSEMENT DE LA PRÉPARATION AU RISQUE
PANDÉMIQUE ......................................................................................................... 15
B. UNE RÉDUCTION DES STOCKS STRATÉGIQUES ENGAGÉE, À BAS
BRUIT, DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES ............................................................. 20
1. Une réduction des stocks stratégiques de l’État entre 2012 et 2020, en raison
d’évolutions doctrinales supposées et d’une gestion critiquable ........................... 20
a. L’exclusion des soignants du périmètre des stocks stratégiques de masques sur la
base d’une interprétation discutable .................................................................... 21
i. L’interprétation discutable de la doctrine relative à la responsabilité des employeurs en
matière de masques ............................................................................................ 21
ii. En conséquence, la disparition des stocks de masques FFP2 et une participation à la
pénurie en masques chirurgicaux ......................................................................... 24
iii. L’absence d’information délivrée aux professionnels de santé .................................. 27
b. Le passage à un stock tampon de masques chirurgicaux n’a pas suffisamment
pris en compte l’hypothèse d’une rupture d’approvisionnement .......................... 29
i. La péremption du stock a été insuffisamment anticipée.............................................. 30
ii. Le passage à un stock tampon aurait dû s’accompagner de davantage de garanties
s’agissant des capacités des fournisseurs à abonder le stock stratégique en cas de crise
....................................................................................................................... 31
c. Un stock stratégique de médicaments antiviraux considérablement réduit
reposant sur des capacités de commande sujettes à interrogation ......................... 36
2. L’absence de supervision des ministres et des cabinets sur le contenu de ces
stocks ? ................................................................................................................... 38
a. Une évolution constante des stocks à la baisse depuis 2012 .................................. 38
b. Une évolution qui semble s’être opérée dans l’indifférence du pouvoir politique .. 40
— 4 —

II. L’APPROVISIONNEMENT EN ÉQUIPEMENTS DE PROTECTION


INDIVIDUELLE : UNE CRISE LOGISTIQUE MAJEURE ...................................... 42
A. SPF : UN OUTIL QUI S’EST RÉVÉLÉ INADAPTÉ ET SOUS-
DIMENSIONNÉ ....................................................................................................... 43
1. L’intégration de l’EPRUS à Santé publique France : la perte d’un opérateur
logistique efficace .................................................................................................. 44
2. La mise en place indispensable d’une cellule logistique pour suppléer Santé
publique France ...................................................................................................... 46
B. DES COMMANDES MASSIVES VERS L’ASIE QUI ONT ÉTÉ PASSÉES
AU PRIX FORT........................................................................................................ 48
1. Des premières commandes limitées et qui interviennent dans un marché
international déjà tendu .......................................................................................... 48
2. Des commandes finalement massives mais passées au prix fort ............................ 51
a. Une mobilisation des capacités de production nationale limitée en raison du
démantèlement de la filière ................................................................................. 51
b. Le coût de l’impréparation : des commandes passées en Chine à des prix élevés
à acheminer par un pont aérien............................................................................ 55
i. Des commandes importantes pour faire face aux besoins mais qui ont subi une forte
augmentation des prix ........................................................................................ 55
ii. L’acheminement par un pont aérien monté dans l’urgence ........................................ 58
C. UNE DISTRIBUTION CHAOTIQUE ORGANISÉE PAR UN OPÉRATEUR
EN SURCHAUFFE.................................................................................................. 60
1. Une distribution chaotique qui a perturbé l’activité des personnels soignants à
l’hôpital ou en ville ................................................................................................ 60
2. L’impossibilité pour Santé publique France d’assurer une distribution efficace ... 66
a. Des capacités de stockage inadaptées ................................................................... 66
i. Une plateforme nationale sous-capacitaire ............................................................... 67
ii. Une répartition des stocks inefficace ...................................................................... 68
b. Une « libération » des produits trop lente ............................................................. 69
c. Des sous-effectifs chroniques qui traduisent une capacité logistique insuffisante .. 71
d. Une incapacité à assurer le suivi du stock............................................................. 71
3. Le recours trop limité aux préfets et aux capacités logistiques des sapeurs-
pompiers et de l’armée ........................................................................................... 73
D. LA CONFUSION ET LES MESSAGES CONTRADICTOIRES SUR LE
PORT DU MASQUE GRAND PUBLIC ................................................................ 75
E. LA PRÉPARATION LOGISTIQUE SATISFAISANTE DE LA SECONDE
VAGUE DOIT ÊTRE PROLONGÉE..................................................................... 78
1. La reconstitution des stocks d’EPI.......................................................................... 78
2. L’adaptation du schéma logistique ......................................................................... 80
— 5 —

DEUXIÈME PARTIE : UNE GESTION DE CRISE QUI A SOUFFERT


DE L’ABSENCE DE PILOTAGE UNIFIÉ ET D’UNE DÉCLINAISON
TERRITORIALE COMPLEXE .................................................................................. 83
I. AU NIVEAU NATIONAL, L’ABSENCE DE PILOTAGE UNIFIÉ ET LA
MULTIPLICATION DES INSTANCES ONT ENTRAÎNÉ CONFUSION ET
PERTE D’EFFICACITÉ ............................................................................................... 83
A. UNE REACTION DÉCALEE PAR RAPPORT À LA PERCEPTION
PRÉCOCE DES ALERTES ................................................................................... 83
B. UNE GESTION TROP LONGTEMPS INSUFFISAMMENT
INTERMINISTÉRIELLE.......................................................................................... 85
1. Une gestion assurée par le ministère en charge de la santé et de ce fait
principalement abordée sous le prisme sanitaire .................................................... 85
2. L’activation tardive de la CIC, restée à l’écart du processus décisionnel .............. 87
C. L’ABSENCE DE PILOTAGE UNIFIÉ A ÉTÉ SOURCE DE CONFUSION ..... 90
1. La multiplication des instances décisionnelles et consultatives ............................. 90
2. La difficulté d’identifier un pilote unique ............................................................... 92
D. LE RISQUE DE PARALYSIE DE L’ACTION PUBLIQUE PAR LA
JUDICIARISATION ................................................................................................. 93
1. Le cadre général de la responsabilité des élus en cas d’infraction non
intentionnelle .......................................................................................................... 93
2. Une première étape, nécessaire, a été franchie par la loi du 11 mai 2020 .............. 94
3. Les enjeux d’une réflexion globale ......................................................................... 95
E. DES EXEMPLES ETRANGERS DE GESTION DE CRISE .............................. 96
1. L’anticipation des pays asiatiques : facteur clé de la réussite de la réponse........... 96
2. La gouvernance de la crise en Allemagne : le fédéralisme et son adaptabilité ont
permis une organisation générale efficace des pouvoirs publics ........................... 98
II. LA NÉCESSITÉ DE TERRITORIALISER LES DISPOSITIFS DE GESTION
DES CRISES SANITAIRES ........................................................................................ 99
A. LA GESTION DE CRISE A RÉVÉLÉ LES LIMITES INHÉRENTES AUX
ARS ........................................................................................................................... 99
1. Des agences paradoxalement centralisées et déconnectées de leur environnement
territorial ................................................................................................................. 99
2. La compétence des ARS en matière de gestion des crises sanitaires doit être
revue ....................................................................................................................... 102
B. UNE DÉCONCENTRATION ET UNE DÉCENTRALISATION
INDISPENSABLES DES POLITIQUES DE SANTÉ ......................................... 105
1. L’échelon départemental doit redevenir la tête de proue de l’État déconcentré ..... 105
2. Faire des collectivités territoriales de véritables acteurs en matière sanitaire ........ 106
C. POURTANT EN PREMIÈRE LIGNE, LE RÔLE JOUÉ PAR LES
COLLECTIVITÉS LOCALES N’A PAS ÉTÉ RECONNU À SA JUSTE
VALEUR.................................................................................................................... 107
— 6 —

1. La mobilisation, exemplaire, à tous les niveaux, des collectivités territoriales ...... 107
2. Le binôme maire-préfet doit être consolidé ............................................................ 108
III. LE RETARD INITIAL EN MATIÈRE DE TESTS VIROLOGIQUES A
CONDUIT À UNE STRATÉGIE INCERTAINE : CELLE D’UN RATTRAPAGE
PRÉCIPITÉ .................................................................................................................... 109
A. ENTRE JANVIER ET AVRIL, L’ABSENCE DE DÉPLOIEMENT D’UNE
STRATÉGIE DE DIAGNOSTIC ET DE DÉPISTAGE AMBITIEUSE .............. 110
1. Le développement des techniques de dépistage en France : un bon départ
rapidement gâché ................................................................................................... 110
2. Une mobilisation des laboratoires qui n’a rien eu de « remarquable » dans les
premiers temps de la crise sanitaire ....................................................................... 111
a. Une montée en charge des laboratoires hospitaliers progressive mais qui est
restée limitée ...................................................................................................... 111
b. La participation des laboratoires de ville freinée par des lourdeurs administratives
........................................................................................................................... 112
c. Un retard difficile à justifier concernant les laboratoires publics ........................... 113
3. Les conséquences de quatre mois de tâtonnements ................................................ 115
a. Entre janvier et avril, les incertitudes stratégiques ont affaibli la lutte contre
l’épidémie........................................................................................................... 115
i. Une stratégie dépendante des capacités de tests ........................................................ 115
ii. Quel rôle pour les tests sérologiques ? .................................................................... 116
b. En comparaison avec l’Allemagne, un retard initial dans la capacité de tester
fortement préjudiciable ....................................................................................... 117
B. DE MAI À SEPTEMBRE, LA STRATÉGIE DE DÉCONFINEMENT EST
PROGRESSIVEMENT MISE EN PÉRIL ............................................................. 120
1. Les fondations fragiles du pilier numéro un de la stratégie de déconfinement ...... 120
2. Fallait-il massifier brusquement le dépistage ? ....................................................... 122
a. Cette décision peut s’expliquer par les retards initiaux ......................................... 122
b. Des conséquences non anticipées sur le dispositif ................................................ 123
3. L’embolie du mois du septembre ............................................................................ 125
a. Impréparée, la massification du dépistage s’est avérée incompatible avec la
stratégie de déconfinement .................................................................................. 125
b. L’embolie du dispositif de dépistage s’est répercutée sur la lutte contre l’arrivée
de la deuxième vague .......................................................................................... 127
4. Un nouvel élan dans la stratégie de dépistage ........................................................ 130
IV. LA LUTTE CONTRE LA CIRCULATION DE L’ÉPIDÉMIE AURAIT DÛ
PASSER PAR UN CONTRÔLE RENFORCÉ DES FRONTIÈRES ..................... 131
1. Une gestion désordonnée n’a pas permis de freiner l’arrivée du virus ................... 131
2. L’organisation des contrôles sanitaires a été installée dans une certaine confusion
................................................................................................................................ 132
— 7 —

V. UNE SOUS-ESTIMATION DU RISQUE DE SECONDE VAGUE : DES


MESURES INSUFFISAMMENT RESTRICTIVES À L’ÉTÉ ? .............................. 134

TROISIÈME PARTIE : UN SYSTÈME DE SOINS FORTEMENT


ÉPROUVÉ PAR LA CRISE ....................................................................................... 137
I. L’HOSPITALO-CENTRISME A ÉTÉ UN FACTEUR AGGRAVANT DE LA
SITUATION CRITIQUE DE HÔPITAL ...................................................................... 138
A. UN DISPOSITIF DE CRISE CENTRÉ SUR L’HÔPITAL .................................. 138
1. Un dispositif de crise qui a reposé sur le 15 et les numéros
d’urgence avec le risque de leur saturation .............................................. 138
2. La médecine de ville a été largement écartée de la première réponse
à la crise............................................................................................................... 140
a. Des patients dissuadés de se rendre dans les cabinets médicaux............................ 141
b. Un empêchement majeur : des praticiens dépourvus d’équipements de protection
individuelle ......................................................................................................... 142
i. La course aux masques .......................................................................................... 142
ii. Le recours à la téléconsultation.............................................................................. 143
c. La reconnaissance du rôle de la médecine de ville pour faire face la deuxième
vague épidémique ............................................................................................... 144
3. Le temps perdu dans le recours au secteur hospitalier privé .............. 145
a. Des établissements hospitaliers privés difficilement impliqués dans le dispositif
de gestion de crise au démarrage de l’épidémie ................................................... 145
b. Une implication progressive ................................................................................ 146
B. UNE RÉPONSE À LA CRISE MENÉE AUX DÉPENS DE LA CONTINUITÉ
DES SOINS ET DE LA PRISE EN CHARGE DE NOS AÎNÉS ...................... 148
1. Un recul des soins aux lourdes conséquences ........................................ 148
a. La lutte contre l’épidémie a été menée aux dépens de la continuité des soins ........ 148
i. Un recul des soins préoccupant durant le confinement ............................................... 148
ii. Une déprogrammation massive des activités chirurgicales non urgentes indifférenciée
sur l’ensemble du territoire ................................................................................. 151
b. Des conséquences préoccupantes en termes de santé publique.............................. 154
i. À court terme, un rattrapage des soins problématique dans un contexte de reprise
épidémique ....................................................................................................... 154
ii. À plus long terme, des conséquences préoccupantes du recul des soins sont à craindre . 155
2. Au cœur de la crise, l’accès à l’hôpital et en service de réanimation
des personnes âgées en question................................................................ 156
a. Les difficultés rencontrées pour l’accès des résidents à l’hôpital au pic de la crise
........................................................................................................................... 157
b. L’accès des personnes âgées en services de réanimation en question .................... 158
i. Le constat : une baisse de la part de personnes âgées de plus de 75 ans admises en
services de réanimation pendant la crise ............................................................... 158
— 8 —

ii. Des données qui doivent conduire à se poser la question de l’admission des personnes
âgées en réanimation .......................................................................................... 161
II. UN SYSTÈME DE SOINS ÉPROUVÉ PAR L’ÉPIDÉMIE ..................................... 164
A. LE SYSTÈME HOSPITALIER FRAGILISÉ, A PRIS DE PLEIN FOUET LA
CRISE SANITAIRE ................................................................................................. 164
1. Une situation critique face à l’ampleur et à la gravité de l’épidémie ..................... 164
a. Des régions en grande tension .............................................................................. 164
b. Une première vague marquée par un nombre d’admissions à l’hôpital et en
services de réanimation extrêmement important .................................................. 165
c. Le personnel soignant n’a pas été épargné par la crise épidémique ....................... 167
2. Une crise intervenue sur un système de soins fragilisé........................................... 167
B. DES MESURES D’URGENCE POUR PRENDRE EN CHARGE LES
MALADES GRAVES............................................................................................... 170
1. L’augmentation des capacités d’accueil à l’hôpital et en services de réanimation
................................................................................................................................ 170
2. Le transfert de patients vers d’autres régions pour soulager la saturation
hospitalière ............................................................................................................. 173
3. Le recours tous azimuts à des renforts en personnels soignants ............................. 174
C. LES DIFFICULTÉS DE LA RÉORGANISATION DU SYSTÈME DE SOINS
.................................................................................................................................... 177
1. Des besoins en respirateurs pour la réanimation..................................................... 177
a. Un nombre de respirateurs insuffisant pour prendre en charge l’ensemble des
patients en réanimation ....................................................................................... 177
b. Des commandes lancées rapidement mais qui n’ont pas toujours répondu aux
besoins................................................................................................................ 178
2. Un manque de personnel soignant que la réserve sanitaire n’a pas été en mesure
de pallier ................................................................................................................. 179
a. Face à l’ampleur de la crise, la réserve sanitaire n’a pas été un outil suffisamment
opérationnel ........................................................................................................ 179
b. La crise a exacerbé des difficultés de personnel qui sont structurelles................... 181
3. De très fortes tensions s’agissant des médicaments nécessaires à la réanimation .. 182
a. Un risque de pénurie de médicaments lié à une consommation très importante et
à l’explosion de la demande mondiale pour certaines molécules .......................... 182
b. Un plan d’action mis en place par l’État pour un approvisionnement sur le fil du
rasoir .................................................................................................................. 183
D. LA PERSISTANCE DES TENSIONS PENDANT LA DEUXIÈME VAGUE
TÉMOIGNE DE DIFFICULTÉS STRUCTURELLES ......................................... 186
1. Le Ségur de la Santé traduit une prise conscience de la nécessité d’un
investissement dans le système de soins ................................................................ 186
a. Les mesures à destination des personnels soignants .............................................. 186
b. Des investissements supplémentaires dans le système de soins............................. 188
— 9 —

2. Des tensions qui témoignent néanmoins de la persistance de problématiques


structurelles ............................................................................................................ 189
a. La seconde vague épidémique place de nouveau l’hôpital en situation critique ..... 189
b. Le manque structurel de personnels soignants, demeure la principale limite à
l’augmentation du nombre de lits de réanimation et de soins critiques ................. 190
III. LES EHPAD ET LES SERVICES D’AIDE À DOMICILE, LES OUBLIÉS DE
LA PREMIÈRE VAGUE DE L’ÉPIDÉMIE ................................................................ 193
A. UNE RÉPONSE QUI A TARDÉ À S’ORGANISER MALGRÉ UNE
SITUATION CRITIQUE .......................................................................................... 194
1. Les résidents des établissements pour personnes âgées ont été les premières
victimes de l’épidémie ........................................................................................... 194
a. Ces établissements ont payé un très lourd tribut à la crise ..................................... 194
b. Un comptage des décès d’abord défaillant............................................................ 196
2. Le retard dans l’accompagnement fourni aux EHPA et aux services à domicile
pour lutter contre l’épidémie .................................................................................. 198
a. Le retard dans la prise de conscience de la gravité de la situation et dans les
premières mesures .............................................................................................. 198
b. Des manques avérés en matériel de protection dans les établissements et les
services d’aide à domicile ................................................................................... 199
i. Un manque d’approvisionnement en équipements de protection individuelle et en
particulier en masques ........................................................................................ 199
ii. Les services d’aide à domicile ont particulièrement pâti de ce manque........................ 201
c. Un recours aux tests diagnostiques dans les EHPA qui aurait dû être dès le début
prioritaire ............................................................................................................ 202
3. Des consignes complexes à mettre en place dans les établissements ..................... 205
a. Des directives évolutives et parfois inadaptées à la situation des établissements
et de leurs résidents ............................................................................................. 205
b. Des décisions qui ont posé des questions éthiques importantes ............................. 207
B. L’INSUFFISANTE MÉDICALISATION DES EHPAD DANS UN CONTEXTE
DE CRISE SANITAIRE .......................................................................................... 209
1. Une prise en charge complexe des malades de la Covid-19 en établissement ....... 209
a. Des établissements insuffisamment médicalisés pour prendre en charge les
patients Covid ..................................................................................................... 209
b. La mise en place, à partir de la fin mars, d’astreintes gériatriques et d’équipes
mobiles de gériatrie pour soulager les établissements .......................................... 211
2. La crise a mis en lumière les limites du modèle des EHPAD ................................ 212
a. Vers la fin d’un modèle ? ..................................................................................... 212
b. La nécessité d’une plus grande médicalisation de ces établissements.................... 212

PROPOSITIONS ............................................................................................................ 215


ANNEXES ........................................................................................................................... 219
— 11 —

INTRODUCTION

À la fin du mois de novembre 2020, l’épidémie de Covid-19 avait causé le


décès de plus de 50 000 personnes dans notre pays. Si l’on rapporte ce chiffre à la
population, la France est le quatrième pays le plus touché de l’Union européenne où
près de 240 000 morts sont à déplorer. Était-il possible d’éviter ce bilan
particulièrement lourd ? Si les statistiques doivent être maniées avec précaution
– la situation épidémique fut loin d’être uniforme entre les pays – elles font
néanmoins apparaître des écarts qui interpellent : alors que la moyenne des vingt-
sept pays membres de l’Union européenne fait état de 532 décès pour un million
d’habitants, le bilan de la France est de 727 alors qu’il est réduit à 170 en Allemagne.

À cette même période, le 22 novembre 2020, la France confinée célébrait le


cent-trentième anniversaire de la naissance du Général de Gaulle qui servit, en son
temps, de boussole à notre pays lorsque le doute, la défaite et la crise obscurcissaient
l’horizon national.

Lorsqu’il s’est adressé aux Français le 16 mars 2020, le Président de la


République a lui-même filé la métaphore guerrière pour qualifier la menace à
laquelle la France était confrontée : « Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire,
certes : nous ne luttons ni contre une armée, ni contre une autre Nation. Mais
l’ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. Et cela requiert notre
mobilisation générale. » La crise qui bouleverse notre pays depuis le début de
l’année 2020 est inédite par sa violence, notamment parce qu’elle ne s’est pas
cantonnée à une dimension sanitaire. Son caractère total et l’ampleur de ses
conséquences sont en effet, à bien des égards, sans précédent depuis la seconde
guerre mondiale, la dernière que la France ait connue sur le territoire métropolitain,
et malgré toutes les réserves historiques que cette comparaison impose.

À l’heure de dresser un premier bilan de la gestion de l’épidémie, un voile


d’incertitude continue de recouvrir certains de ses aspects. D’aucuns diront qu’il est
trop tôt pour savoir ; d’autres, à juste titre, qu’avant de savoir, on ne sait pas ;
certains enfin qu’on ne saura jamais parce que personne ne savait. De telles mises
en garde doivent être écoutées et inciter à la prudence : cette crise a été marquée par
de nombreuses inconnues scientifiques qui se sont muées en hésitations pour parfois
aboutir à de vives controverses. Cette donnée n’a pas facilité la prise de décision
publique qui, pour sa part, était soumise à un impératif d’urgence. Cet enjeu ne
saurait cependant faire obstacle au travail légitime d’analyse et de compréhension
qu’attendent nos concitoyens.

Créée par la Conférence des présidents du 17 mars 2020 au premier jour du


confinement, la mission d’information sur la gestion et les conséquences dans toutes
ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid19 a pris une nouvelle
dimension le 3 juin dernier lorsqu’elle s’est dotée des prérogatives d’une
— 12 —

commission d’enquête. Ce rapport, fruit de six mois de travaux et de 56 auditions,


entend pointer les forces et les faiblesses d’un système dans son ensemble, même
si, malheureusement, les faiblesses sont apparues nombreuses. Il n’a pas pour objet
de mettre en cause tel ou tel alors que l’engagement constant et le travail acharné
de tous ceux qui ont eu à lutter contre cette crise, y compris les agents publics quels
que soient leur niveau de responsabilité et leur ligne de front, forcent le respect.

Lors de l’une de ces auditions, Mme Roselyne Bachelot rappelait qu’en


« matière de santé publique, il n’existe pas de demi choix. Sinon, on est dans
l’attitude de la ligne Maginot, où l’on pense que l’ennemi n’attaquera qu’à certains
endroits. » Avons-nous réagi suffisamment vite et de façon adéquate dans la guerre
menée contre le virus aux mois de janvier et février ; étions-nous organisés pour
affronter une crise sanitaire majeure ; nos positions défensives, que ce soit en
première ligne dans les hôpitaux ou, en soutien, dans la gestion des stocks
stratégiques nous permettaient-elles d’affronter l’ennemi ?

Pour être combattue efficacement, l’épidémie de la Covid-19 nécessitait des


choix contraignants, cohérents et interdépendants qui avaient été dessinés en 2009
pour faire face à la pandémie de grippe A. Une succession d’impréparations, de
pesanteurs et sans doute d’hésitations ont conduit, à un constat dont on ne peut se
satisfaire.

C’est d’abord celui du désarmement de l’État face à l’émergence d’une telle


crise sanitaire. Ce constat, qui résulte d’une lente évolution au cours de la
précédente décennie pendant laquelle d’autres priorités ont peu à peu affaibli la
préparation aux crises sanitaires, a abouti à la réduction des stocks stratégiques qui
s’est illustrée, au pire moment, par la pénurie majeure en équipements de protection
et en particulier en masques.

C’est ensuite celui d’une organisation nationale et territoriale de la gestion


de la crise, et notamment de son pilotage, qui n’ont pas fonctionné aussi
efficacement que souhaité en raison notamment de lourdeurs bureaucratiques et
administratives. Celles-ci ne sont pas propres au secteur sanitaire, mais ont entravé
les capacités d’adaptation et d’agilité qu’exigeait cette crise majeure. Ce constat
s’est notamment illustré sur la question des tests ou encore de la gestion des
frontières.

Enfin c’est celui d’un système de soins que l’on pensait solide et qui s’est
retrouvé démuni, et a conduit à gérer dans l’urgence le risque de débordement de
ses capacités face à l’ampleur de l’épidémie. Certes, ainsi que l’a rappelé Édouard
Philippe en audition, « aucun système de santé au monde n'a été construit, pensé,
dimensionné pour faire face à ce que nous vivons, à une vague de cette ampleur ».
Pour autant, le dispositif de réponse à la crise, a été marquée par un important
hospitalo-centrisme, qui a contribué à aggraver des tensions déjà exacerbées par
l’affaiblissement structurel du système de santé. Si « l’hôpital a tenu », grâce à un
immense effort de réorganisation et de mobilisation, on ne peut ignorer le fait que
ceci n’a été possible qu’au prix de la déprogrammation généralisée des soins non
— 13 —

urgents et de la question de la prise en charge de nos aînés en particulier dans les


établissements pour personnes âgées, fortement éprouvés par l’épidémie.

Sur la base de ces constats, le présent rapport entend également dégager des
recommandations et formuler des propositions afin de contribuer à une meilleure
appréhension, à l’avenir, des crises sanitaires d’ampleur. Cela passerait par la
création d’un ministère délégué, auprès du Premier ministre, à l’anticipation des
crises, la restauration de la souveraineté sanitaire de la France ou encore la
départementalisation des agences de santé et le transfert de la compétence
territoriale de la gestion des crises sanitaires aux préfets de département.

Il reste que les inconnues sur l’épidémie sont encore nombreuses : les
raisons de l’ampleur de la deuxième vague, les perspectives concernant les vaccins
ou encore les conséquences à moyen et long terme de la déprogrammation médicale.
Le travail entamé par la mission d’information le 17 mars 2020 continue. Après le
rapport remis par le Président Richard Ferrand le 3 juin dernier, celui-ci, élaboré
après que la mission d’information a été dotée de pouvoirs d’enquête marque une
nouvelle étape mais n’en constitue pas l’achèvement. Qu’il soit néanmoins permis
à votre rapporteur d’espérer pour les Français une sortie la plus rapide possible de
cette crise.
— 15 —

PREMIÈRE PARTIE : UN PAYS MAL PRÉPARÉ FACE À UNE CRISE


MAJEURE

I. LE DÉLAISSEMENT PROGRESSIF DE LA PRÉPARATION AU RISQUE


PANDÉMIQUE ET LA RÉDUCTION DES STOCKS STRATÉGIQUES

Lorsqu’émerge l’épidémie de covid-19, la France se retrouve désarmée,


faute d’avoir suffisamment anticipé et préparé une possible crise de cette nature. La
concrétisation la plus visible de ce manque de préparation s’incarne dans la question
des masques : l’État ne dispose, en février 2020, que de stocks qui se sont réduits
au fil des années, et son opérateur désigné pour en assurer la gestion est, depuis la
réorganisation des agences sanitaires, largement sous-dimensionné pour faire face
aux enjeux d’une crise majeure.

A. L’AFFAIBLISSEMENT DE LA PRÉPARATION AU RISQUE PANDÉMIQUE

Un plan de prévention pandémique n’est pas fait pour être appliqué à la


lettre, mais c’est une boîte à outils qui aide à la prise de décision et qui met en place
une organisation de crise permettant une réaction rapide.

C’est la raison pour laquelle, après les craintes qu’avait fait naître
l’épidémie de grippe H5N1 arrivée en Europe, en 2005, depuis l’Est de l’Asie, la
France, comme ses voisins européens, s’était armée d’un plan « pandémie
grippale ». De leur côté, préfets et forces de sécurité intérieure ont l’habitude de
réagir aux catastrophes par des réponses bien rodées.

Pourtant, comme l’a indiqué M. Édouard Philippe lors de son audition par
la mission d’information, lorsque les premiers cas de covid-19 sont identifiés sur le
sol français, « nous ne disposions pas exactement des instruments adaptés en
matière de planification et de programmation ».

Nul ne contestera que les caractéristiques de l’épidémie de la covid-19 et


les inconnues qu’elle recelait ne pouvaient être facilement anticipées (besoins et
durée des réanimations, cas asymptomatiques, modes de transmission, absence de
vaccin, etc.). D’ailleurs le plan pandémie s’est avéré inadapté et les pouvoirs
publics se sont finalement appuyés sur le plan Orsan-REB (organisation de la
réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles pour le risque
épidémique et biologique) qui a été déclenché à la mi-février.

Il n’empêche, alors qu’une forte priorité avait été donnée, dans les années
2000, à la préparation au risque sanitaire au travers du plan pandémie grippale, force
est de constater que cette préparation s’est progressivement émoussée à compter des
années 2010, plus encore à partir de 2015 comme le montre le fait que ce plan,
élaboré en octobre 2004, puis régulièrement actualisé (en 2006, 2007 et 2009),
ne l’a plus été depuis 2011.
— 16 —

Les exercices « pandémie » régulièrement organisés dans les années


2000, se sont quant à eux progressivement espacés. Ainsi après les quatre
exercices de crise menés en 2005, 2006, 2008 et 2009 (soit un rythme presque
annuel) pour tester le plan « pandémie grippale » dans ses différentes versions,
complétés par un exercice supplémentaire en 2013 pour tester la dernière version
datant de 2011, plus aucun exercice spécifique aux pandémies grippales n’a été
réalisé à partir de 2013. Si un exercice, programmé en 2017, a finalement été
organisé en décembre 2019, il a été transformé en exercice « variole », d’ailleurs
certainement indispensable. Mme Claire Landais, SGDSN de 2018 à 2020,
entendue par la mission, a regretté cette évolution, ces exercices étant
indispensables pour percevoir les éventuelles failles de certains dispositifs, mais
aussi pour entretenir une culture de la prévention, développer des réflexes, et former
les responsables en exercice aux outils qui seront, le cas échéant, mis à leur
disposition.

L’on peut également regretter la suppression, en décembre 2017, du Conseil


national de la sécurité civile, qui aurait pourtant permis de soutenir la préparation,
notamment logistique, aux crises sanitaires (1).

Il ne faut pas sous-estimer dans cette évolution, l’effet des polémiques qui
ont suivi l’action des responsables politiques dans la gestion de la grippe H1N1
en 2009, qui aurait entraîné des dépenses excessives, pour un risque finalement plus
faible qu’anticipé (2) : elles auraient conduit les ministres successifs à penser « qu’il
y avait moins de risque pour un politique à en faire moins qu’à en faire trop » (3).

M. Didier Houssin, directeur général de la santé en 2009-2010, estime que


celles-ci ont joué un rôle majeur dans l’affaiblissement en France de la préparation
au risque pandémique comme il l’a fait valoir lors de son audition : « Au lieu d’être
félicités pour avoir limité le nombre de décès, nous avons été critiqués pour avoir
trop dépensé. Dix ans ont passé. La violente critique de 2010 a, selon moi, joué un
rôle majeur dans l’affaiblissement en France de la préparation au risque
pandémique. Affaiblissement qui s’est révélé de façon dramatique, fin janvier 2020.
Notre défaut de préparation est l’une des raisons de ces graves conséquences ».

(1) M. François Baroin, président de l’association des maires de France : « Le Conseil national de la sécurité
civile a été supprimé sous l’autorité du précédent Président de la République. Ne pas l’avoir restauré est une
faute. Si le ministère de l’intérieur avait été désigné, comme cela aurait paru logique aux élus locaux, pilote
de cette partie logistique de la crise – car il s’agissait d’un problème d’acheminement –, on aurait gagné du
temps », audition par la mission
(2) M. Xavier Bertrand, ministre chargé de la santé de 2005 à 2007 et de 2010 à 2012, audition par la mission :
« Après l’épisode de la grippe H1N1, à l’issue duquel Roselyne Bachelot a été injustement vilipendée, y
compris dans cette assemblée, on a eu le sentiment qu’on en avait trop fait et que cela avait coûté bien cher :
on s’est dit que le moment était venu de faire des économies ».
(3) M. Francis Delon, SGDSN de 2004 à 2014, audition par la mission.
— 17 —

Une absence de préparation financière pour faire face aux situations sanitaires
exceptionnelles
L’absence de cadre financier permettant la prise en compte des situations sanitaires
exceptionnelles doit être soulignée. Cette alerte a été portée par le directeur général de
la Santé, M. Benoit Vallet, dans une note au directeur de cabinet du ministre de la santé
datée du 19 juillet 2016, regrettant l’inexistence d’un cadre financier pour les frais
variables générés par la gestion d’une situation sanitaire exceptionnelle (évoquant
un « réel vide juridique »). La note recensait les principaux postes de dépenses hors
programmation qui nécessitaient l’identification de vecteurs de financement ad hoc :
compensation de la déprogrammation d’activités, financement de la mobilisation des
professionnels de santé, acquisition d’équipements et produits complémentaires, actions
de prophylaxie collective (campagnes de dépistage), financement de la recherche en
situation d’urgence, autant de postes de dépense qui ont dû faire l’objet de financements
d’urgence pendant la première vague de la crise sanitaire. Cette note a été suivie d’une
seconde, en date du 18 août 2016, à destination de la ministre des solidarités, qui
proposait d’abonder le fonds national d’urgence pour le financement des actions
nécessaires à la préservation de la santé de la population en cas de menace sanitaire grave,
prévu à l’article L. 3131-5 du code de la santé publique. Ce fonds, dont la gestion aurait
été confiée à Santé publique France et mobilisé à la demande du ministre chargé de la
santé, aurait été financé par l’Assurance maladie. Cette proposition a fait l’objet d’un
arbitrage défavorable dans le cadre de la préparation du projet de loi de financement de
la sécurité sociale pour 2017.
Une nouvelle proposition conjointe de la DGS et du secrétariat général des ministères
chargés des affaires sociales, portant sur la constitution d’une enveloppe de 4 millions
d’euros pour couvrir tout ou partie du financement des urgences sanitaires
exceptionnelles supportées financièrement par les ARS a aussi fait l’objet d’un arbitrage
défavorable du cabinet, sur l’avis de la direction de la sécurité sociale estimant que la
grande majorité des situations d’urgence étaient déjà couvertes par d’autres vecteurs de
financement.
Ainsi, alors que pour l’année 2020, la dotation de l’assurance maladie à Santé publique
France est de 151 millions d’euros, stable par rapport aux années précédentes, cette
dotation a dû être abondée à plusieurs reprises à partir de mars par l’assurance maladie
pour un total de 4,8 milliards d’euros. Ceci doit permettre à Santé publique France, d’une
part, de disposer des moyens budgétaires et financiers indispensables à la mise en œuvre
des dépenses nécessaires à la lutte contre l’épidémie de covid-19, et, d’autre part,
d’abonder un fonds de concours versé par Santé publique France sur le programme 204
de l’État (pour un montant de 700 millions d’euros, dont 446 millions d’euros de crédits
de paiement ont été dépensés à ce jour) (1).

En parallèle, d’autres risques ont émergé, au premier rang desquels la


menace terroriste devenue critique sur le territoire national à partir de 2015. Ils ont
fait légitimement glisser l’attention prioritaire des pouvoirs publics. Comme l’a

(1) Ce fonds de concours « Participations diverses aux politiques de prévention, de sécurité sanitaire et d’offre
de soins » a pour finalité de permettre au Ministère des Solidarités et de la Santé de prendre en charge
directement sur son budget, en complément ou subsidiarité de Santé publique France, certaines typologies
de dépenses, notamment des marchés interministériels sur le transport de marchandises, les achats de
réactifs, ou encore de matériel pour les tests de dépistage. Les principales dépenses ont concerné les masques
(160 millions d’euros) en autorisations d’engagement, les tests (106 millions d’euros), ou les respirateurs
(62 millions d’euros).
— 18 —

indiqué Mme Claire Landais devant le Sénat : « il est vrai que, à partir de 2015, il
y a eu évidemment une focalisation très forte, pendant au moins trois ou quatre ans,
sur le terrorisme. On peut le regretter, bien sûr, et, moi aussi, je me dis que l’on
aurait forcément été mieux préparé si, dans les quatre années précédentes, on avait
pu faire beaucoup d’exercices de pandémie, même grippale ». Et si le risque
sanitaire était envisagé, il l’était surtout sous l’angle d’une attaque bioterroriste (1).
Pourtant, le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 a identifié
clairement le risque sanitaire : « En matière sanitaire, la circulation des personnes et
des marchandises, la concentration de populations dans des mégalopoles et la
défaillance des systèmes de santé dans certaines zones favorisent la survenue de crises
majeures. Le risque existe notamment d’une nouvelle pandémie hautement pathogène
et à forte létalité résultant, par exemple, de l’émergence d’un nouveau virus
franchissant la barrière des espèces ou d’un virus échappé d’un laboratoire de
confinement ». Cette menace est, également, présente dans la revue stratégique de
défense et de sécurité nationale de 2017, selon des termes proches.
On ne peut donc pas dire que la conscience du risque épidémique en elle-
même aurait diminuée au fil du temps, mais paradoxalement, une évolution des
priorités et la survenue régulière de crises sanitaires finalement maîtrisées a pu
faussement laisser penser que l’État était toujours bien armé pour y faire face.
Finalement, la situation dans laquelle s’est trouvée la France en 2020
procède en partie d’un défaut de préparation, tant dans la planification que dans
la répétition d’exercices interministériels, résultant, d’une part, d’un faux sentiment
de sécurité et d’un souci d’économies budgétaires face à une situation que l’on
croyait maîtriser après l’épisode de la grippe H1N1, et, d’autre part, d’une
mobilisation des ressources sur le risque terroriste devenu critique.

Votre rapporteur formule deux propositions à cet égard :


– reprendre les exercices de crise de type « pandémie » à un rythme
régulier ; le cas échéant, ne procéder qu’à des exercices partiels sur certains aspects
du plan ;
– élaborer un plan « pandémie » générique (et non uniquement grippale),
adapté à une plus large variété de situations et mobilisable rapidement, faisant l’objet
d’actualisations régulières ; lui conférer un volet capacitaire établissant les ressources
critiques nécessaires et leur volumétrie, en équipements et en ressources humaines.

(1) Mme Claire Landais, SGDSN de 2018 à 2020, audition par la commission de la défense nationale et des
forces armées de l’Assemblée nationale, 30 avril 2020 : « au cours de la décennie 2000, nous étions surtout
préoccupés par les acteurs malveillants à la suite des attaques terroristes, et il est vrai que nous imaginions
d’abord le risque sanitaire sous cet angle. »
— 19 —

Proposition : reprendre les exercices de crise à un rythme régulier; le cas échéant,


ne procéder qu’à des exercices partiels sur certains aspects du plan.
Proposition : Élaborer un plan « pandémie » générique, non uniquement grippale,
adapté à une plus large variété de situations et mobilisable rapidement, faisant l’objet
d’actualisations régulières ; lui conférer un volet capacitaire établissant les ressources
critiques nécessaires et leur volumétrie, en équipements et en ressources humaines.

Plus largement, votre rapporteur souhaite, pour mieux répondre aux


exigences de préparation et de coordination des actions, que soit institué un ministre
délégué, placé auprès du Premier ministre, qui serait chargé de l’anticipation des
crises, qu’elles soient sanitaires ou d’une autre nature. Il disposerait des services du
SGDSN et de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises.

Lui reviendraient notamment :

– l’organisation de la planification de la réponse aux différents risques ;

– l’élaboration de la liste des produits et équipements devant figurer dans le


stock stratégique, reconnus comme produits et équipements d’importance vitale,
ainsi que la doctrine d’emploi de ces stocks stratégiques et le contrôle de leur gestion
qui serait confiée à une structure dédiée du type de l’EPRUS (voir B) ;

– l’organisation de la formation à la gestion de crise et la diffusion d’une


culture de prévention des risques dans la société ;

– la coordination des politiques de relocalisation des filières de production


des équipements, produits et services d’importance vitale, celles-ci devant permettre
de couvrir a minima 50 % des besoins nationaux en temps de crise (cf. II. B) ;

Cette préoccupation a eu un précédent : la délégation interministérielle à la


lutte contre la grippe aviaire, la DILGA, sur un champ de compétences plus étroit
et investie d’un niveau de responsabilité moindre. Son action a montré la nécessité
d’un organe d’impulsion et de coordination de la préparation aux crises dont tous
s’accordent à penser que nous y serons de plus en plus régulièrement confrontés.

La création d’un ministère délégué donnerait à cette action une dimension


supplémentaire indispensable à la restauration de la souveraineté nationale en
matière de réponse aux crises. Son positionnement auprès du Premier ministre lui
assurerait l’autorité et la dimension interministérielle nécessaire à l’exercice de ses
missions.
— 20 —

Proposition : Instituer un ministre délégué, placé auprès du Premier ministre, chargé


de l’anticipation des crises, sanitaires ou d’une autre nature, disposant des services du SGDSN
et de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises et responsable :

– de l’organisation de la planification de la réponse aux différents risques ;

– de l’élaboration de la liste des produits et équipements devant figurer dans le stock


stratégique, reconnus comme produits et équipements d’importance vitale, ainsi que le
contrôle de ces stocks stratégiques ;

– de l’organisation de la formation à la gestion de crise et de la diffusion d’une culture


de prévention des risques dans la société ;

– de la coordination des politiques de relocalisation des filières de production des


équipements, produits et services d’importance vitale, celles-ci devant permettre de couvrir a
minima 50 % des besoins nationaux en temps de crise.

B. UNE RÉDUCTION DES STOCKS STRATÉGIQUES ENGAGÉE, À BAS


BRUIT, DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES

La question des stocks stratégiques de l’État, de leur contenu, de leur


utilisation et de leur gestion a brutalement émergé au début de la crise sanitaire
quand les équipements de protection individuels (EPI) et les masques, ont fait défaut
et que l’État a dû s’approvisionner rapidement, sur un marché international à un
moment extrêmement tendu, pour fournir d’abord les personnels de santé.

Cette situation, qui est le résultat d’une répartition des responsabilités entre
l’État, les hôpitaux, les agences régionales de santé et les employeurs,
particulièrement confuse – confusion dont les conséquences sont aggravées par le
brusque changement d’échelle de l’utilisation des masques – a participé de
l’absence de ceux-ci en quantité à la veille de la crise, chacun semblant imputer
cette responsabilité à autrui.

1. Une réduction des stocks stratégiques de l’État entre 2012 et 2020, en


raison d’évolutions doctrinales supposées et d’une gestion critiquable

L’instruction du 2 novembre 2011 prise par le ministère de la santé à


l’intention des ARS nouvellement créées, rappelle que l’État constitue des stocks
dits « stratégiques » de produits destinés à apporter une réponse aux risques
biologiques, chimiques ou radiologiques, aux risques accidentels de radio-
contamination ou aux menaces épidémiques de grande ampleur. Ces stocks, de
dimension importante, peuvent venir en renfort de stocks dits « tactiques »,
positionnés dans certains établissements de santé pour assurer une réponse précoce
dans l’attente de leur mobilisation si nécessaire (1).

(1) Instruction du 2 novembre 2011 relative à la préparation de la réponse aux situations exceptionnelles dans
le domaine de la santé.
— 21 —

Stocks stratégiques et stocks tactiques


L’instruction du 2 novembre 2011 relative à la préparation de la réponse aux situations
exceptionnelles dans le domaine de la santé prévoit de distinguer les moyens de réponse
aux situations sanitaires exceptionnelles selon deux catégories :
– les stocks tactiques : il s’agit des équipements principalement positionnés dans les
établissements de santé sièges de SAMU ou de SMUR selon une répartition élaborée par
les ARS, pour assurer une réponse précoce aux situations sanitaires exceptionnelles. Ces
moyens, positionnés au plus près du terrain, sont financés par les établissements de santé,
dans le cadre de leurs missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation
(MIGAC), dont le financement est défini à l’article L. 162-22-13 du code de la sécurité
sociale. Les stocks tactiques comportent notamment les postes sanitaires mobiles (PSM)
de niveau 1 positionnés auprès des SAMU et de niveau 2 auprès des CHU, constitués de
lots de produits de santé, de matériels et d’équipements permettant la prise en charge
respectivement de 25 et de 200 victimes, de respirateurs mobiles et d’unités de
décontamination pour les événements de type NRBC. Il n’y a pas de masques dans les
stocks tactiques. Comme l’indique la DGS, « il s’agit principalement de matériels et
d’équipements dont les établissements de santé n’ont pas l’usage courant dans leur
activité mais dont la disponibilité en quelques heures est essentielle pour assurer la prise
en charge des victimes en cas de situation sanitaire exceptionnelle » ;
– les stocks stratégiques : il s’agit des stocks acquis et gérés par l’État pour maintenir une
capacité d’intervention en relais des stocks tactiques si nécessaire. Ces équipements,
gérés par l’EPRUS depuis 2007, puis par Santé publique France depuis 2016, sont
positionnés sur une plateforme de stockage nationale ainsi que sur des plateformes
zonales.

a. L’exclusion des soignants du périmètre des stocks stratégiques de


masques sur la base d’une interprétation discutable

Les stocks stratégiques sont constitués sous la responsabilité du ministère


chargé de la santé, et gérés par l’établissement public administratif Santé
publique France (SpF) , dont il assure la tutelle. Aux termes de l’article L. 1413-
1 du code de la santé publique, SpF assure, pour le compte de l’État, la gestion
administrative, financière et logistique de la réserve sanitaire et de stocks de
produits, équipements et matériels ainsi que de services nécessaires à la protection
des populations face aux menaces sanitaires graves. En application de l’article
L. 1413-4, c’est à la demande du ministre chargé de la santé que l’agence procède
à l’acquisition, la fabrication, l’importation, le stockage, le transport, la distribution
et l’exportation des produits et services nécessaires à la protection de la population
face aux menaces sanitaires graves. C’est également à elle qu’il revient d’assurer
leur renouvellement et leur éventuelle destruction.

i. L’interprétation discutable de la doctrine relative à la responsabilité des


employeurs en matière de masques

À la suite de la pandémie liée au virus H1N1 en 2009-2010, plusieurs


réflexions sont menées sur le bon dimensionnement du stock stratégique de l’État.
Il en est résulté la décision implicite d’exclure progressivement la prise en charge
— 22 —

des personnels soignants par les stocks stratégiques de masques en cas de crise
sanitaire.

Cette décision repose sur la doctrine publiée par le SGDSN, datée du


16 mai 2013, relative à la protection des travailleurs face à un virus hautement
pathogène à transmission respiratoire. Cette doctrine établissant qu’il revient aux
employeurs d’évaluer l’opportunité de constituer des stocks de masques pour
protéger leurs salariés en cas d’apparition d’un virus hautement pathogène à
transmission respiratoire, il en est déduit par la direction générale de la santé (1), les
deux ministres ayant précédé M. Olivier Véran (2), ainsi que par M. Louis Gautier,
ancien SGDSN (2014-2018) entendu par la mission le 15 septembre 2020, qu’il
revient désormais aux établissements hospitaliers, publics comme privés, mais
également aux professionnels de santé libéraux et aux établissements médico-
sociaux, ainsi qu’aux officines de pharmacie ou aux laboratoires de biologie, qui
sont des employeurs, de constituer des stocks de masques – FFP2 et chirurgicaux –
pour le cas d’une crise sanitaire, le stock de masques de l’État se recentrant sur la
seule protection des personnes malades et de leurs contacts.

L’interprétation faite de cette doctrine est toutefois discutable.

Pour deux anciens secrétaires généraux de la défense et de la sécurité


nationale auditionnés par la mission, M. Francis Delon, en poste au moment de
l’élaboration de la doctrine (2004-2014), et Mme Claire Landais, en poste au
moment de la crise sanitaire (2018-2020), ce texte n’avait pas vocation à
s’appliquer au secteur de la santé, dont les personnels devaient continuer à
relever du stock stratégique de l’État pour leur protection.

Selon les précisions apportées par M. Francis Delon, l’objectif de la doctrine


était uniquement de rappeler aux employeurs, en particulier publics, notamment les
administrations et les opérateurs d’importance vitale, leur responsabilité de
prévention et de protection, pour garantir la continuité de la vie administrative et
économique de la Nation en cas de crise sanitaire.

En tout état de cause, la doctrine, non contraignante, ne pouvait trouver à


s’appliquer aux établissements et structures privées (cliniques, laboratoires de
biologique, médecins libéraux, etc.) pour lesquels seul un texte de loi aurait pu fixer
une obligation ferme.

(1) Réponse au questionnaire écrit : « Cette doctrine replace donc l’employeur et les travailleurs indépendants
en responsabilité pour leur équipement de crise. Elle ne prévoit pas d’exception, y compris pour les
professionnels ou établissements de santé ».
(2) Mme Marisol Touraine, ministre chargée de la santé de 2012 à 2017, audition par la mission : « Il revient
donc aux hôpitaux de constituer leurs stocks de masques chirurgicaux et FFP2, mais ces masques ne font pas
partie des stocks stratégiques ».
Mme Agnès Buzyn, ministre chargée de la santé de 2017 à 2020, réponse écrite : « Les masques FFP2 pour
le personnel soignant ne sont plus du ressort du stock stratégique de l’État depuis le changement de doctrine
de 2013 par le SGDSN qui remet les employeurs en responsabilité […]. Le 13 mai 2013, le SGDSN, sur la
base de l’avis du HCSP de 2011, revoit la doctrine des stocks tactiques et stratégiques et remet aux
employeurs privés et publics (cela concerne donc les hôpitaux EHPAD et indépendants) la responsabilité de
constituer un stock pour protéger leur personnel ».
— 23 —

S’agissant de la fonction publique hospitalière, M. Francis Delon comme


Mme Landais estiment que l’esprit de la doctrine était bien, sans aucun changement
par rapport au fonctionnement antérieur, de continuer à faire protéger les personnels
en cas de crise grâce aux moyens des stocks stratégiques de l’État constitués sous
la responsabilité du ministère de la santé (1) (2), comme en témoignent d’ailleurs
explicitement les fiches techniques annexées au plan « Pandémie grippale » dans sa
version de 2009 comme dans sa version de 2011.

Plans Pandémie Grippale


Fiche mesure G4, 2009 : « Acquisition des appareils de protection respiratoire et des
masques chirurgicaux. […] Le principe adopté est que l’organisme utilisateur est le
payeur. À noter cependant que, pour tous les professionnels du monde de la santé, les
stocks constitués par le ministère chargé de la santé seront distribués gratuitement, en
situation de pandémie, à tous les professionnels libéraux, hospitaliers et assimilés
notamment les sapeurs-pompiers intervenant dans la prise en charge des malades. »
Fiche mesure OD5/1, 2011: « la décision d’acquérir des produits de santé, des dispositifs
médicaux ou des équipements de protection individuelle pour la prise en charge des
personnes malades, des sujets contact et la protection des professionnels de santé, relève
du ministre en charge de la santé et est mise en œuvre par l’établissement public de
préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). »

En outre, en application de l’article 1142-8 du code de la défense, le ministre


de la santé est responsable de la préparation du système de santé à une crise
sanitaire : « Le ministre chargé de la santé est responsable de l’organisation et de
la préparation du système de santé et des moyens sanitaires nécessaires à la
connaissance des menaces sanitaires graves, à leur prévention, à la protection de
la population contre ces dernières, ainsi qu’à la prise en charge des victimes », et
ce même si l’article L. 1413-4 du code de la santé publique précise que Santé
publique France « procède à l’acquisition, la fabrication, l’importation, le
stockage, le transport, la distribution et l’exportation des produits et services
nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves ».

Votre rapporteur considère que l’interprétation qui a été faite de cette


doctrine pour supprimer les stocks de masques destinés à la protection des
personnels soignants en cas de pandémie liée à un virus à transmission
respiratoire est totalement erronée et que « cette doctrine ne pouvait pas être

(1) M. Francis Delon, SGDSN de 2004 à 2014, audition par la mission : « La distribution de masques aux
personnels de santé est faite à partir du stock stratégique constitué par le ministre de la santé […]. Les choses
sont claires : il existe un stock stratégique destiné aux malades et aux personnels de santé. La doctrine de
2013 a un tout autre objet […] elle ne concerne ni les malades ni les personnels de santé […]. Elle
s’applique aux employés, qu’ils soient publics ou privés, qui doivent travailler en cas de pandémie ».
(2) Mme Claire Landais, SGDSN de 2018 à 2020, audition par la mission : « Les règles propres au monde de la
santé ne figurent pas dans cette doctrine ». La doctrine de 2013 « ne porte pas sur les stocks stratégiques
destinés aux malades, aux cas contacts et aux professionnels de santé […]. D’ailleurs, demander au SGDSN
de décrire comment les professionnels de santé devaient être équipés en masques aurait été une erreur, car
ce n’est pas son travail et il n’a pas les compétences techniques pour le faire. Il est donc logique que cette
doctrine ne se saisisse pas du sujet de l’équipement des professionnels de santé, qui est traité par le ministère
de la santé ».
— 24 —

raisonnablement lue comme signifiant à l’État qu’il n’aurait plus à préparer le


système de santé » selon les termes mêmes de la SGDSN Claire Landais lors de son
audition.

ii. En conséquence, la disparition des stocks de masques FFP2 et une


participation à la pénurie en masques chirurgicaux

L’interprétation erronée de la doctrine de 2013 a, rétroactivement,


servi de justification au manque d’anticipation et à la disparition des stocks de
masques FFP2.

Cette évolution a été renforcée par la lecture, également discutable, de l’avis


du Haut conseil de la santé publique de juillet 2011, qui limite l’usage des masques
FFP2 (cf. encadré).
— 25 —

L’avis du Haut conseil de la santé publique de juillet 2011


Alos que la doctrine qui prévaut entre 2006 et 2009 est fondée sur l’utilisation généralisée
des masques FFP2, la pandémie grippale de 2009 conduit à reconsidérer ce choix, le port
du masque FFP2 s’étant avéré peu fréquent et incommode.
Le HCSP rend un avis à ce sujet le 1er juillet 2011, qui a souvent été présenté comme
justifiant la réduction des stocks de masques FFP2 des stocks stratégiques d’État. Cet
avis, en effet, ne recommande dans le cas général le port de masques FFP2 qu’aux seuls
soignants réalisant des actes particulièrement invasifs, justifiant que le stock stratégique
de l’État, une fois recentré sur les seules personnes malades et leurs familles, se limite à
des masques chirurgicaux. Ainsi, M. Jérôme Salomon indique que, « s’agissant des
masques, les recommandations du HCSP n’ont pas été modifiées : des masques de soins
pour les patients symptomatiques ; en milieu hospitalier, des masques de soins dès
l’entrée en chambre d’une maladie, et des masques FFP2 pour les soins intensifs ».
Cette recommandation vaut toutefois, selon le HCSP, dans le cadre de « situations de
prise en charge courante présentant un risque élevé », et non dans le cadre de la
circulation d’un virus hautement pathogène à transmission respiratoire. En effet, ce même
avis, qui recommande d’ailleurs que « le stock État de masques respiratoires soit
constitué de masques anti-projections et d’appareils de protection respiratoire » (masques
de type FFP2), précise qu’en cas d’agent respiratoire « hautement pathogène », le
port du masque pour les soignants doit être envisagé pour toute situation exposant
à un risque de transmission aérienne, notamment « en cas d’entrée dans une pièce où
se trouve un cas suspect ou confirmé potentiellement contagieux et ce, quel que soit le
mode d’exercice (hospitalier ou libéral) et le lieu d’exercice (hôpitaux, cliniques, Ehpad,
établissements pour handicapés, cabinets médicaux...) ». La principale modification
apportée par cet avis consiste donc à recommander, pour les salariés autres que les
professionnels de santé, au contact du public (métiers de guichet), le port de masques
chirurgicaux de préférence aux masques FFP2, sur la base de plusieurs arguments,
notamment l’observance potentiellement supérieure pour le port du masque chirurgical
et l’absence d’efficacité inférieure démontrée chez les professionnels de santé du masque
chirurgical par rapport à un appareil de protection respiratoire (APR) dans le contexte de
la circulation d’un agent pathogène « courant ». À cet égard, la doctrine du SGDSN de
2013 est, s’agissant des employeurs des secteurs non-sanitaires, effectivement cohérente
avec l’avis du HCSP de 2011.
Ceci aurait dû suffire à justifier le maintien d’un stock élevé de masques FFP2 pour les
personnels soignants, masques dont la nécessité en cas d’épidémie d’un virus à
transmission respiratoire explique l’achat en urgence lancée par la ministre Agnès Buzyn
à la fin du mois de janvier 2020

La lettre de saisine de la DGS à l’EPRUS, en date du 22 juillet 2013


mentionne la doctrine du SGDSN et précise que « la déclinaison de cette doctrine
sur le secteur de la santé impliquera probablement un redimensionnement des
stocks stratégiques de l’État » en particulier pour ce qui concerne le renouvellement
des masques FFP2 à partir de 2015 et le maintien de l’acquisition de masques
chirurgicaux en 2014. Mme Agnès Buzyn a indiqué, dans des réponses écrites à un
questionnaire, que « du fait de ce changement de doctrine, le stock d’État de
masques FFP2 se périme au milieu des années 2010 et semble régulièrement détruit
par l’EPRUS après péremption comme le prévoient ses missions ».
— 26 —

Aussi, alors que les stocks stratégiques de l’État comportaient, jusqu’en


2014, plus de 300 millions d’unités de masques FFP2, destinés essentiellement à la
protection des soignants, plusieurs millions de ces masques arrivés à péremption ont
été détruits et non renouvelés après cette date, portant le stock à un niveau nul à la
veille de la crise sanitaire.

ÉVOLUTION DU STOCK DE MASQUES FFP2 GÉRÉS PAR L’EPRUS PUIS PAR SPF

(en millions d’unités)

600

483
500

380
400
308
300
233

200

102
100 71 75 75
47 0,036 détruits
0 détruits 0,68 détruits
0,72 0,72 0,036 300 0
0
2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020

stock de masques FFP2 destructions de masques FFP2

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

C’est bien l’absence totale de masques FFP2 dans les stocks de l’État au
début de l’année 2020 (1), qui au moment des premières alertes relatives à
l’émergence d’un virus à transmission respiratoire, a conduit la ministre de la santé
Agnès Buzyn à demander qu’une commande soit passée pour 1,1 million de
masques FFP2 fin janvier, puis pour 28,4 millions supplémentaires, le 7 février.
Comme l’a expliqué la ministre, devant la mission : « Je ne vois pas pourquoi
j’aurais anticipé une commande de masques FFP2 alors que cela ne relevait plus
des stocks stratégiques ».

L’interprétation stricte de la doctrine dans la lecture retenue par le


Gouvernement conduit aussi l’État à ne pas prévoir, de manière automatique, la
distribution aux personnels de santé de kits de masques FFP2 comme cela avait été
le cas lors de la pandémie de grippe en 2007 puis au cours de la pandémie de H1N1
en 2009. S’il est, tout de même, décidé de distribuer de tels kits, cela résulte d’une
demande du DGS en date du 6 février, qui fait l’objet d’un accord de la ministre le
7 février.

(1) La note du directeur général de la santé du 6 février 2020 au cabinet de la ministre des solidarités et de la
santé le rappelle : « il n’y a pas, actuellement, de stock d’État constitué de masque FFP2 conformément à la
doctrine du SGDSN qui prévoit que chaque employeur détermine l’opportunité de constituer des stocks de
masques pour protéger son personnel ».
— 27 —

Enfin, l’interprétation faite de la doctrine de 2013 a, également, contribué à


la pénurie de masques chirurgicaux : le stock, destiné aux seuls patients malades et
à leurs foyers, n’a pas été dimensionné pour tenir compte des professionnels de
santé, qui s’en sont trouvés pénalisés lorsque l’utilisation de masques chirurgicaux
a été rendue nécessaire, notamment faute de masques FFP2.

C’est d’autant plus le cas que le stock de masques chirurgicaux n’était pas
même constitué à la hauteur de ce qu’il aurait dû être pour couvrir les patients
malades. L’intégration explicite du secteur de la santé au sein des bénéficiaires du
stock stratégique de masques aurait, au contraire, conduit à un dimensionnement
plus élevé du stock de masques chirurgicaux pour tenir compte de leurs besoins en
temps de crise.

iii. L’absence d’information délivrée aux professionnels de santé

Cette interprétation est d’autant plus dommageable qu’elle ne s’est pas


accompagnée des mesures destinées à garantir que les établissements de santé et
professionnels libéraux l’avaient bien comprise et l’appliquaient de manière
satisfaisante.

Votre rapporteur reconnaît l’ambiguïté de textes successifs sur le point


précis de leur application aux professionnels de santé – les SGDSN eux-mêmes ne
s’accordant pas entre eux sur ce point – et en particulier à la fonction publique
hospitalière. Ce point aurait dû être rendu plus explicite, l’information mieux
diffusée et des contrôles organisés sur les stocks constitués par les
établissements.

Cette ambiguïté a été soulevée par le directeur général de Santé publique


France dans un courrier adressé au directeur général de la santé le 26 septembre
2018, dans lequel il estime important qu’une doctrine claire soit établie et
communiquée ce qu’il a rappelé lors de son audition.(1).

Il reste que le ministère de la Santé considérant que la doctrine s’appliquait


au secteur de la santé – ce qui, s’agissant d’une simple doctrine, apparaît bancal
pour ce qui concerne le secteur privé – ne s’est pas assuré que l’information a été
bien reçue et bien appliquée par les établissements et par les professionnels de santé
et qu’ils ont bien constitué des stocks de masques, non pour un fonctionnement
courant, mais pour une utilisation en cas d’épidémie à transmission respiratoire. Si
la fédération hospitalière de France indique en avoir eu connaissance (2), les

(1) M. François Bourdillon, directeur général de Santé publique France de 2016 à 2019, audition par la
mission : « Il y avait besoin d’une doctrine, parce qu’on hésitait trop entre, d’un côté, les masques pour la
population et, de l’autre, des masques pour les professionnels. Cette question taraudait tout le monde ».
(2) M. Frédéric Valletoux, président de la fédération hospitalière française, audition par la mission : « Tous les
directeurs, tous les établissements, ont reçu la circulaire de 2013 qui instaurait un changement dans la
gestion des stocks de masques, créant un stock stratégique et renvoyant aux établissements la responsabilité
de stocks qui ne sont pas des stocks courants, mais doivent néanmoins être considérés comme tels, c’est-à-
dire des stocks plus importants qu’au jour le jour, mais qui ne sont pas non plus des stocks en cas de pics
d'épidémie d'ampleur inédite et historique ».
— 28 —

établissements de santé privés (1), les établissements médico-sociaux (2), les


laboratoires de biologie médicale (3), les médecins libéraux (4) ou encore les
officines (5) ont indiqué n’avoir jamais été officiellement informés de l’existence de
cette doctrine et de leurs obligations à son égard. La DGOS l’indiquait elle-même
dans ses réponses écrites : « à notre connaissance, il n’y a pas eu de circulaire
d’application ou d’instruction pour les professionnels de ville ».

Le niveau de constitution effectif des stocks dans les établissments est


recensé en janvier 2020. Selon la note du 6 février 2020 adressée par le directeur
général de la santé au cabinet de la ministre de la santé, qui fait état des remontées
des ARS quant à la disponibilité de masques dans les établissements de leur ressort,
ces stocks sont faibles : trois régions, le Grand-Est, la Guadeloupe et la Martinique
signalent des stocks de masques en très forte tension, inférieurs à quinze jours. La
région Hauts-de-France possède entre quinze et trente jours de stocks, et les autres
régions plus de trente jours. Une majorité de professionnels, dans le secteur
ambulatoire, ne disposent pas d’un stock minimum de masques FFP2. Aussi,
M. Grégory Emery, conseiller sécurité sanitaire d’Agnès Buzyn le reconnaît : « La
seule conclusion que je peux tirer de la lecture de la note du 6 février 2020 est que
la doctrine n’est pas connue des acteurs ».

Alors que l’État se reposait désormais sur ces professionnels, en particulier


les établissements de santé, pour assurer la protection des personnels soignants en
cas de crise, comment expliquer qu’aucun contrôle de la constitution effective de
ces stocks n’ait été organisé, notamment par les ARS ?

(1) Mme Christine Schibler, déléguée générale de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), audition
par la mission : « le changement de doctrine de mai 2013 sur les masques n’a pas donné lieu, à notre
connaissance, à la diffusion de circulaires ou de textes. On ne peut pas dire qu’elle était appliquée puisqu’elle
n’a pas été suivie d’une campagne de diffusion, voire de contrôles des établissements de santé – j’ignore ce
qu’il en a été dans d’autres secteurs ».
M. Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), audition par la mission :
« Bien entendu, si j’avais eu l’obligation ou même seulement eu connaissance d’une obligation formelle de
constituer un stock de masques pour protéger mes salariés et mes patients, je l’aurais fait. Un stock de
50 000 masques permet de passer une semaine ou un mois de pandémie pour un montant de 50 000 euros.
Cette somme n’est pas rédhibitoire au regard du chiffre d’affaires et de l’ensemble des dépenses de pharmacie
à usage unique. D’évidence, nous l’aurions fait ».
(2) Mme Odile Reynaud-Lévy, vice-présidente de l’association nationale des médecins coordonnateurs et du
secteur médico-social, audition par la mission : « Enfin, s’agissant des EPI, je suis désolée mais j’ignore la
doctrine de 2013. Peut-être aurait-on dû poser la question à nos directeurs d’établissement ». Mme Nathalie
Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en
EHPAD, audition par la mission : « Nous non plus, nous ne connaissions pas cette doctrine ».
(3) M. François Blanchecotte, président du syndicat des biologistes : « Concernant la doctrine de 2013, nos
laboratoires n’étaient pas du tout avertis de l’obligation de rééquipement et d’achat de masques en quantité
suffisante ».
(4) M. Philippe Vermesch, président du syndicat des médecins libéraux, audition par la mission: « À aucun
moment les médecins libéraux n’ont été avertis du prétendu changement de doctrine concernant la gestion
des masques. À aucun moment, ils n’ont reçu directement ou indirectement la consigne selon laquelle il leur
appartenait désormais de constituer leur propre stock ».
(5) M. Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, audition par la
mission : « Nous avons appris le changement de doctrine de 2013 au cours des auditions que vous avez
menées. Jamais personne ne nous a dit que nous étions chargés de nous approvisionner en masques ».
— 29 —

Selon la DGS, les stocks de masques détenus par les établissements de santé
ne sont pas contrôlés par les ARS car ils ne font pas partie des moyens tactiques
financés par la MIG. En tout état de cause il n’ y a pas eu d’instructions relatives au
contrôle de ces stocks (1). M. Aurélien Rousseau, directeur de l’ARS Île-de-France
le reconnaît: « Aujourd’hui, même si nous n’avions pas d’instructions spécifiques,
je dirais que nous aurions dû vérifier régulièrement le niveau et la nature de ces
stocks ».

Enfin, comment justifier que l’État n’ait eu aucune visibilité en temps


réel des volumes de masques acquis et stockés par les établissements, alors
même que la capacité du système de santé à répondre à une crise sanitaire en
dépendait ? Si un système d’information de gestion des moyens tactiques des
établissements de santé a été développé à partir de 2015 (SIGESSE), il ne prévoyait
qu’une faculté pour ces établissements de renseigner leur stock de masques, sur une
base volontaire (ces masques n’étant pas compris dans les moyens tactiques).

C’est pourquoi, votre rapporteur souhaite que soit explicité le fait que la
protection des personnels de santé en cas de crise sanitaire majeure
(pandémique ou autre) relève des stocks stratégiques constitués par le
ministère de la Santé, qui doit prévoir une distribution de produits à leur
intention si nécessaire. En effet, si les établissements de santé peuvent gérer un
stock courant lié à leurs besoins de fonctionnement, éventuellement majoré pour
tenir compte d’événements imprévus de courte durée, leur mission doit demeurer le
soin et non la logistique ou la prévention.

Proposition : redéfinir la liste des produits et équipements devant


figurer dans les stocks stratégiques et leur dimensionnement sous l’autorité du
ministre délégué chargé de l’anticipation des crises ; clarifier la doctrine
d’emploi des stocks stratégiques en matière de santé et l’étendre explicitement
à la protection des personnels de santé en cas de crise sanitaire majeure
(pandémique ou autre) ; informer les différents acteurs de leurs responsabilités
dans la constitution de stocks tactiques ou de stocks de sécurité le cas échéant
et contrôler à échéances régulières la constitution effective de ces stocks.

b. Le passage à un stock tampon de masques chirurgicaux n’a pas


suffisamment pris en compte l’hypothèse d’une rupture
d’approvisionnement

Pour les raisons qui viennent d’être explicitées, à compter de 2013, le stock
stratégique de masques est recentré sur des masques chirurgicaux destinés à assurer
la protection des malades et de leurs contacts en cas de pandémie.

(1)M. Jean Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013, « Concernant le contrôle, les ARS n’ont
reçu aucune instruction sur le suivi des stocks dans les établissements de santé ou médico-sociaux, du moins
pas à ma connaissance, ni à mon niveau », audition par la mission.
— 30 —

Ce stock a, toutefois, été également considérablement réduit au fil des


ans, en raison du non-renouvellement des masques périmés lié au passage
d’une doctrine de stock « dormant » à une doctrine de stock « tampon ».

i. La péremption du stock a été insuffisamment anticipée

Alors que le stock de masques chirurgicaux s’élevait à un milliard d’unités


avant le début de la pandémie de grippe H1N1, il s’est stabilisé entre 730 et
760 millions d’unités jusqu’en 2018, avant de chuter brutalement autour de
100 millions d’unités disponibles et utilisables (hors masques périmés et non-
conformes) en 2019 et 2020.

En effet, une grande partie des masques commandés dans les années 2003
à 2005 n’affichaient pas de date de péremption, celle-ci n’ayant été rendue
obligatoire que par une modification de norme européenne intervenue en 2014.
C’est pourquoi, dans un courrier du 19 avril 2017, le directeur général de la santé,
Benoît Vallet, demande au directeur général de Santé publique France qu’une
évaluation de la qualité des masques sans date de péremption (soit 613 millions de
masques sur les 713 millions de masques adultes que compte alors le stock national)
soit réalisée « afin d’évaluer, en sus de leur efficacité, leur adaptation aux normes
chirurgicales et de tester la qualité de leurs élastiques ».

Cette évaluation, menée par le cabinet belge Centexbel, révèle en


septembre 2018 que la majorité des masques des lots analysés (références
représentant 78 % du total des masques concernés) s’avèrent défectueux par rapport
aux exigences prévues par la nouvelle norme EN14683, certains en raison d’échec
aux tests de respirabilité, d’autres en raison d’échec aux tests de filtration
bactérienne.

En conséquence, dans un courrier du 3 octobre 2018, le directeur général


de Santé publique France, M. François Bourdillon, recommande au directeur
général de la santé, qui a succédé à M. Vallet, M. Jérôme Salomon, la destruction
de l’ensemble des lots acquis dans les années 2000 et ne présentant pas de date de
péremption (y compris ceux non analysés), soit 613 millions de masques
chirurgicaux adultes, portant le stock utilisable à 99 millions. Ces destructions
débutent en 2018 (19,6 millions de masques détruits) et se poursuivent en 2019
(232,9 millions de masques détruits).

362 millions de masques restaient à détruire au début de l’année 2020. Cette


valeur élevée s’explique par l’interruption de la campagne de destruction en
septembre, en raison de l’incendie de l’usine Lubrizol, proche duquel se situe le site
d’incinération, ce qui a finalement permis qu’une partie de ces masques soit
réutilisée en masques non sanitaires …
— 31 —

ii. Le passage à un stock tampon aurait dû s’accompagner de davantage


de garanties s’agissant des capacités des fournisseurs à abonder le stock
stratégique en cas de crise

En parallèle, une réflexion est menée depuis plusieurs années sur le passage,
d’un stock « dormant », constitué de produits immobilisés jusqu’à leur utilisation,
et détruits une fois passée leur péremption, à un stock « tournant », géré de manière
dynamique. Cette réflexion, accentuée après la crise sanitaire liée au virus H1N1, et
les problèmes de stockage de trop grande ampleur qui se sont ensuite posés, figure
déjà dans le rapport du Haut conseil de santé publique de juillet 2011, qui évoque
« la constitution d’un stock tournant impliquant la libération (par exemple vers les
hôpitaux pour l’usage en soins courants) et la reconstitution régulières d’une partie
du stock, et ce compte tenu des durées de péremption de ces masques ». Il s’agit
alors d’éviter que l’ensemble du stock n’arrive à péremption à une date unique,
imposant une commande massive de produits qui, à nouveau, arriveront à
péremption simultanément s’ils ne sont pas utilisés.

L’avis d’experts relatif à la stratégie de constitution d’un stock de contre-


mesures médicales face à une pandémie grippale, dirigé par le professeur Stahl, et
remis à la DGS en 2018, évoque aussi « un stock minimal à renouveler, l’objectif
étant que ce stock puisse tourner pour être utilisé dans les établissements de santé
et médico-sociaux un an avant leur péremption ». Enfin, elle est également
envisagée par M. Jean-Yves Grall, ancien directeur général de la santé, qui évoque
pour sa part « la cible d’un stock tournant de 1 milliard avec un renouvellement
lissé de 100 millions par an selon les dates de péremption » (1).

La définition du stock tournant repose sur des entrées et sorties permanentes


du stock : les masques les plus anciens seraient, à l’approche de leur péremption,
distribués aux établissements de santé, pendant que de nouvelles livraisons seraient
organisées, maintenant le stock à un niveau constant, avec des dates de péremption
échelonnées dans le temps.

Un autre modèle de dynamisation du stock semble toutefois avoir été retenu


par le ministère de la santé, reposant sur la constitution d’un stock minimal, dit
« tampon », de faible dimension donc facile à suivre et à renouveler, complété de
réservations de capacités de production chez des fournisseurs, nationaux ou
internationaux, capables de venir abonder le stock en cas de crise. Ainsi, une note
du directeur général de l’EPRUS au directeur général de la santé du 7 août 2015
relative à la dynamisation de la gestion du stock stratégique national propose
plusieurs orientations pour une « dynamique fondée sur les flux », notamment celle
de la réservation de stocks potentiels chez les producteurs, qu’il estime
particulièrement pertinent lorsque l’usage du produit n’est pas immédiat (par
exemple pour des vaccins pandémiques qui ne peuvent être développés avant
l’identification de la souche à combattre). C’est également l’option évoquée par le

(1) « Entre 2011 et 2013, j’ai passé une commande de 100 millions de masques chirurgicaux, dans l’objectif de
parvenir au milliard et dans l’optique d’un lissage des acquisitions – afin d’éviter de se retrouver en rupture
du jour au lendemain – et de la constitution d’un stock tournant, afin que ces masques puissent être utilisés ».
— 32 —

directeur général de la santé, M. Benoît Vallet dans son courrier du 19 avril 2017
au directeur général de Santé publique France (1). Une telle proposition figurait
également dans le rapport du sénateur Delattre de 2015 s’agissant, cependant,
uniquement des produits instables, les produits stables devant continuer à faire
l’objet d’un stock physique (2) : « Recommandation n° 5 : afin de réduire les coûts
d’acquisition et de stockage, poursuivre le développement de la réservation de
capacités de production de produits de santé, tout en maintenant des stocks
physiques pour les produits stables et, en particulier, pour les comprimés d’iode ».

Mme Marisol Touraine a indiqué, lors de son audition devant la mission


d’information, avoir refusé cette évolution lorsqu’elle était ministre : « Lorsque je
suis arrivée, il y avait eu un changement de doctrine en 2011. Je me suis alors
demandé si elle était bonne et adaptée. Dans des discussions informelles, j’ai appris
qu’il existait une alternative : le passage à des stocks tampons. Cela consiste à
diminuer les quantités en stock, tout en s’assurant de pouvoir monter en puissance
rapidement, si nécessaire. La question a donc été débattue avec la DGS et les
équipes spécialisées. Je n’ai jamais accepté de changement de doctrine et j’ai
maintenu qu’il fallait disposer de stocks importants – et pas uniquement pour les
masques. C’est la raison pour laquelle le stock s’élevait à 754 millions de masques
à la fin de mon mandat ».
La dynamisation du stock guide, par la suite, l’orientation des objectifs fixés
à Santé publique France, dans le contrat d’objectif et de performances 2018-2022,
conclu entre l’agence et le ministère de la santé, avec l’aval de la ministre,
Mme Agnès Buzyn en 2017, sans qu’il n’y soit toutefois explicitement fait mention
d’un stock « tampon » et de capacités de réservation : il y figure la simple mention
de l’« utilisation efficiente des stocks stratégiques et tactiques » (3), déjà évoquée
dans le cadre du « dossier-ministre » qui avait été remis à Mme Buzyn à son arrivée
au ministère, lequel indique, comme l’ont précisé M. Jérôme Salomon, directeur
général de la santé, et M. Grégory Emery, conseiller « sécurité sanitaire » que
« pour les stocks stratégiques, il est nécessaire de questionner l’intérêt du recours
systématique à des stocks physiques, pour aller vers des modèles plus agiles
(exemple : réservation de doses) afin de gagner en efficience ».
Ceci figure de manière plus précise dans le cadre d’emploi des stocks
stratégiques, publié en janvier 2018 par le ministère de la Santé.

(1) « La stratégie globale d’acquisition nécessite également d’être actualisée en tenant compte, notamment, de
la doctrine gouvernementale de 2013. Dans cette perspective, mes services vont (…) apprécier l’opportunité
de redimensionner le stock pour en faire un stock tampon ».
(2) Rapport d'information de M. Francis Delattre, fait au nom de la commission des finances du Sénat, n° 625,
L'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), juillet 2015
(3) Mme Agnès Buzyn, ministre chargée de la santé de 2017 à 2020, audition de la commission : « À mon arrivée
au ministère en 2017, je rédige, avec le directeur général de la santé, un nouveau contrat d’objectifs et de
performance (COP) pour Santé publique France, qui sera signé début 2018 pour la période 2018-2022. Je
demande alors à l’agence de me proposer une doctrine plus efficiente de gestion des stocks, tenant compte
du fait que ceux-ci ont besoin de tourner et d’être contrôlés – tout cela fait partie des missions et des
orientations stratégiques que donne la ministre à une agence de santé publique chargée de la réponse aux
risques sanitaires ».
— 33 —

Cadre d’emploi des stocks stratégiques


« Dans le cas des événements à cinétique lente nécessitant une mise à disposition des
produits de santé dans un délai maximal de 24 à 48 heures, les stocks sont dans la mesure
du possible, mis au point selon une logique de précaution :
– Soit d’une fraction physique réservée à un usage en « tampon » permettant de répondre
à une éventuelle hausse de la demande ne pouvant être couverte dans les délais escomptés
par les circuits classiques ;
– Soit d’une fraction virtuelle réservée à un usage de « réserve » : l’activation de ces
marchés de réservation n’est activée qu’au début de l’événement afin de pouvoir être en
capacité de pallier des difficultés progressives d’approvisionnement ;
– Soit des 2 fractions le cas échéant ».

Comme l’a indiqué M. Jérôme Salomon lors de son audition devant la


mission, « nous avons considéré avec Santé publique France que l’option d’un
stock de masques dormant n’était pas nécessairement la meilleure solution et que
l’on avait davantage intérêt à fonctionner avec des stocks régulièrement renforcés,
rénovés ou remplacés […]. Le choix a été fait de disposer de stocks tampons et de
capacités de commande rapides ».

Aussi, en réponse à l’information qui lui parvient le 26 septembre 2018 du


directeur général de Santé publique France, faisant état de la péremption de la
majorité des stocks de masques chirurgicaux, le directeur général de la santé ne
donne l’ordre que d’une commande de 50 millions de masques, éventuellement
de 50 millions supplémentaires en fonction de marges dégagées sur la procédure
d’acquisition de vaccins pandémiques, dont la livraison est prévue entre
octobre 2019 et mars 2020. De même, le compte rendu d’une réunion tenue le
12 septembre 2019 entre la DGS et Santé publique France établit qu’il est décidé de
ne pas « renforcer à ce jour le stock stratégique en masques mais de prévoir un
lissage de 20 millions de masques par an dès 2021 », pour atteindre une cible
désormais fixée à 100 millions de masques (compte tenu de la péremption, fin 2024,
des 100 millions de masques acquis en 2019).

Finalement, au 31 décembre 2019, le stock stratégique d’État est composé


de 64 millions de masques chirurgicaux pour adultes et de 33 millions de
masques pédiatriques, soit 97 millions de masques. Au total, le volume stocké
sur les différentes plateformes représente plus de 500 millions de masques, si on y
inclue les 75,1 millions de masques périmés au cours de l’année 2019 et les 362
millions de masques datant des années 2003-2005, déclarés non conformes, mais
non encore détruits en raison du retard pris dans la campagne de destruction.

En février 2020, ce sont 118 millions de masques chirurgicaux adultes


qui sont immédiatement disponibles, 54 millions supplémentaires des 100
millions commandés en octobre 2018 ayant été livrés en début d’année. S’y ajoutent
44 millions de masques pédiatriques.
— 34 —

Ce faible stock conduira à mobiliser une partie des 75 millions de masques


périmés en 2019 et des 362 millions de masques non-conformes datant des années
2003-2005 : leur non-destruction et leur recyclage, après évaluations, en masques
sanitaires pour les premiers, en masques non-sanitaires pour les seconds, ont
représenté une circonstance favorable ayant permis d’atténuer la pénurie que le seul
stock directement utilisable aurait rendue plus sévère encore.

ÉVOLUTION DU STOCK DE MASQUES CHIRURGICAUX GÉRÉS PAR L’EPRUS PUIS PAR SPF

Masques pédiatriques et adultes, en millions d’unités, au 31 décembre de chaque année

1000,0 933,2

730,0 729,6 757,9 734,2 754,5 754,4


754,2 734,7
800,0
534,5
600,0

400,0
196,4 232,9
200,0 121,7
47,7 63,1
0,0 0,3 2,2 0,0 19,6 97,3
0,0
2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019

Stocks de masques
Stocks de masques hors périmés et non-conformes
Destructions de masques

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

La volonté de dynamiser la gestion des stocks n’est pas contestable en tant


que telle, la constitution de stocks « dormants », immobilisés, arrivant tous à
péremption à une date unique pouvant poser de grandes difficultés (1).

Toutefois, cette stratégie impose de s’assurer que les fournisseurs


identifiés sont effectivement en mesure de venir abonder le stock rapidement
en cas de besoin, avec un préavis court et pour des volumes potentiellement
importants. Le dimensionnement du stock minimal « tampon » doit prendre en
compte ces capacités de production complémentaires, pour permettre d’assurer
une première réponse de suffisamment longue durée et éviter toute pénurie.

Ainsi, le Haut conseil de la santé publique, dans son avis du 11 juillet 2011
relatif au stock stratégique de masques, préconisait « d’évaluer auprès des
fabricants les capacités de fabrication et d’approvisionnement en période
épidémique, dans un contexte où la demande internationale pourrait être élevée ;
en fonction de celles-ci, de définir une durée minimale que le stock permanent devra
couvrir en attente d’approvisionnement complémentaire ». Le rapport du groupe
d’experts présidé par M. Jean-Paul Stahl indique qu’en cas de pandémie,
« l’importance du stock [minimal] est à considérer en fonction des capacités

(1) M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, audition par la mission d’information : « Cela n’était
nullement incompatible avec la doctrine et permettait d’éviter d’avoir à jeter régulièrement des quantités
importantes de masques ».
— 35 —

d’approvisionnement garanties par les fabricants » et que la situation actuelle


n’avait pas été anticipée (1).

Ces préconisations ont-elles été suivies ?

En tout cas, l’hypothèse d’une rupture d’approvisionnement liée à une


demande mondiale simultanée et massive a manifestement été sous-estimée. Il
n’a pas été indiqué à la mission à quelle durée minimale le stock permanent
« tampon » fixé comme cible, devait correspondre, ni même si un tel calcul avait
été opéré. Enfin, s’agissant des fournisseurs identifiés, lesquels auraient dû être
majoritairement français (les fournisseurs internationaux ayant par exemple, dans
le courant de la crise, avancé la « préférence nationale » pour procéder, de manière
inédite, à des reprises de commande), leur stabilité et l’entretien de leur capacité
de production auraient dû être soutenus par la passation de commandes
régulières, ce qui n’a pas été le cas (aucune commande n’ayant été passée entre
octobre 2018 et janvier 2020).

Si la question est posée, en 2018, aucune réponse n’y est apportée alors que
les stocks restent faibles. Comme l’indique la DGS, « une évaluation des capacités
de production et d’approvisionnement en France de masques chirurgicaux a été
menée en 2019 en lien avec le SNITEM, qui s’est avéré peu compétent en la matière
(seule l’entreprise 3M a répondu) et n’a pas permis d’apprécier la réactivité du
marché traditionnel et en urgence ».

En revanche, des considérations budgétaires ont sans doute présidé à ce


choix d’un stock tampon, permettant des économies considérables sur les coûts
d’achat, de stockage et de destruction. Comme indiqué par M. Xavier Bertrand lors
de son audition, la pénurie et le souci d’économies budgétaires ont dicté la doctrine
plus que la doctrine n’a présidé au dimensionnement du stock (2).

Faute d’avoir défini un stock minimal suffisamment important pour


assurer la protection des personnes malades et de leurs contacts (et moins
encore des personnels soignants, qui auraient pourtant dû être pris en charge par les
stocks stratégiques), faute d’avoir anticipé l’hypothèse d’une rupture
d’approvisionnement généralisée, et faute d’avoir assuré la disponibilité des
capacités de production françaises par des commandes régulières, le stock

(1) M. Jean-paul Stahl : « En ce qui concerne le stock de masques, nous avons écrit « en fonction des capacités
d’approvisionnement », confiant aux logisticiens la tâche de définir la hauteur du stock en fonction de leur
capacité d’approvisionnement, parce que nous n’envisagions pas – à tort –, que les usines arrêteraient de
produire. Un stock minimal pouvant être renouvelé par un réapprovisionnement rapide nous semblait
suffisant pour faire face au premier moment d’une pandémie de grippe. Nous avons chiffré un besoin et non
une recommandation de stock. Il s’est incontestablement produit quelque chose que nous n’avions nullement
anticipé », audition par la mission
(2) M. Xavier Bertrand, ministre chargé de la santé de 2005 à 2007 et de 2010 à 2012 « Disons les choses
clairement : tout est une question d’argent, du début à la fin. Les masques coûtent cher, on ne s’en sert qu’en
cas de crise, ils ne sont pas éternels… Une logique d’économies s’est imposée au fil des années, et c’est la
pénurie de masques, qui a fini par fixer la doctrine publique. S’il y a eu pénurie, c’est parce que les masques,
il faut s’en occuper et les acheter. C’est un problème de vigilance et de moyens budgétaires », audition par
la mission.
— 36 —

stratégique de masques chirurgicaux, particulièrement faible au début de la


crise, n’a pu jouer son rôle de « tampon » dans l’attente de livraisons
complémentaires rapides, mais a constitué l’intégralité des moyens qu’il a fallu
mettre prioritairement à disposition des personnels soignants et des malades pendant
plusieurs jours voire plusieurs semaines.

c. Un stock stratégique de médicaments antiviraux considérablement


réduit reposant sur des capacités de commande sujettes à interrogation

Le dimensionnement du stock d’antiviraux repose sur l’avis du Haut


Conseil de la santé publique du 4 mars 2011 relatif à la stratégie d’utilisation des
antiviraux et au dimensionnement des stocks stratégiques nationaux d’antiviraux
dans le cadre d’une pandémie grippale. Cet avis recommande la constitution d’un
stock soit pour 20 à 30 % de la population (option n° 1), soit pour une proportion
de sujets à traiter plus faible (10 % de la population) doublé d’un stock
complémentaire adapté aux besoins (option n° 2).

Fin 2015, le stock comprenait, conformément à l’option n° 1 retenue,


303 millions d’unités d’antiviraux.

Dans un courrier du 14 novembre 2016 au directeur général de Santé


publique France, le directeur général de la santé constate qu’une partie substantielle
du stock arrivera à péremption à la fin de l’année 2017. Il charge SpF de lui
transmettre des scénarios d’évolution du stock, et notamment de considérer la
possibilité de mettre en œuvre l’option n° 2 permettant son resserrement.

Le rapport du groupe d’expert présidé par le professeur Stahl, remis en


septembre 2018 en réponse à la saisine de SpF, ne modifie pas la recommandation
consistant à couvrir 30 % de la population en antiviraux, comme le HCSP
auparavant. Or, à cette date, 95 % des médicaments antiviraux stockés sont déjà
périmés (1).

Le directeur général de la santé fait alors le choix, dans son courrier du


30 octobre 2018, de retenir « l’option 2 », consistant à disposer de stocks permettant
de traiter 10 % de la population, complété par des capacités de production
permettant de traiter 20 % de la population supplémentaires. Il est demandé à Santé
publique France d’atteindre dès 2019 un stock de 6,7 millions de traitements (soit
un nombre d’unités de médicaments supérieur) correspondant à la couverture cible
de 10 %. Il est également demandé à Santé publique France de préparer, en 2019,
une étude de marché auprès des laboratoires fabricants et, en cas de résultat positif,
de lancer un marché de réservation et d’acquisition permettant la couverture
complémentaire de 20 % de la population, soit un total de 13,3 millions de
traitements réservés.

(1) Selon Santé publique France, ce taux s’explique par la présence, dans les stocks, de volumes importants
d’Oseltamivir PG 30 mg, fabriqué par la pharmacie centrale des armées entre 2009 et 2012, ayant dépassé
la date de péremption.
— 37 —

Or, la défection des deux seuls fabricants présents sur le marché français,
Teva et Roche (1) va rendre impossible d’atteindre la cible visant à obtenir une
capacité de réservation pour 30 % de la population (2). Dès lors, il est décidé de
« prévoir chaque année une enveloppe complémentaire permettant de couvrir
l’équivalent de 5 % de la population en nombre de traitements d’antiviraux entre
2020 et 2023 ».

Si le traitement par antiviraux n’a pas été requis dans le cadre particulier de
la covid-19, il convient toutefois de souligner que les stocks disponibles auraient,
si tel avait été le cas, été inférieurs aux besoins en début d’année 2020, le choix
de recourir, ici encore, à un stock minimal complété de capacités de
production, n’ayant pas été assorti, en amont, de suffisamment de garanties
permettant la mobilisation effective, dans les délais requis, de ces capacités de
production.

ÉVOLUTION DU STOCK DE MÉDICAMENTS ANTIVIRAUX

350
303
300

250 224
198
200

150

100
51
37
50
4 0,2 13,9 13,9
7,8
0
31.12.2015 31.12.2016 31.12.2017 31.12.2018 31.12.2019

quantité hors périmés (millions d'unités) destruction (millions d'unités)

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

(1) Teva ayant annulé une commande importante en 2019, Santé publique France est amené à « douter de la
fiabilité d’un tel fournisseur » ; le laboratoire Roche a, finalement, exprimé son opposition à une telle
procédure, contrairement à ses premières déclarations.
(2) Compte-rendu du 12 septembre 2019 entre la direction générale de la santé et Santé publique France
— 38 —

Proposition : mettre fin à la doctrine du stock « tampon » pour instaurer un


véritable stock « tournant », dans lequel les commandes sont lissées en fonction de
la durée de validité des produits et les produits arrivant à péremption distribués aux
établissements de santé, tout en maintenant un stock minimal élevé (un milliard de
masques chirurgicaux).

2. L’absence de supervision des ministres et des cabinets sur le contenu


de ces stocks ?

La réduction des stocks stratégiques de l’État semble s’être opérée dans


l’indifférence ou l’ignorance du pouvoir politique, qu’il s’agisse des ministres de la
santé ou de leurs cabinets et, en tout état de cause, n’a jamais été portée dans le
débat public.

a. Une évolution constante des stocks à la baisse depuis 2012

Au total, alors que le stock stratégique comprenait 1,5 milliard d’unités


d’une grande variété de produits (1) d’une valeur totale de 297 millions d’euros en
2015, il n’était plus doté que de 794 millions d’unités d’une valeur totale de
158 millions d’euros en 2019 laissant la France dans un état d’incapacité à faire
face à une crise sanitaire de l’ampleur de celle que nous avons connue.

Ce stock avait déjà consédérablement diminué entre 2010 et 2014 pour


passer d’une valeur maximale de 992 millions d’euros à la fin de l’année 2010,
à 472 millions d’euros fin 2014 (2).

(1) Médicaments (antibiotiques, antiviraux, antidotes), vaccins, aiguilles et seringues, consommables, certains
équipements de protection individuelle (essentiellement destinés à faire face à des menaces radiologiques),
mais également des masques chirurgicaux.
(2) Rapport d'information de M. Francis Delattre, fait au nom de la commission des finances du Sénat, n° 625,
L'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) : comment investir dans la
sécurité sanitaire de nos concitoyens ? 15 juillet 2015.
— 39 —

ÉVOLUTION DES STOCKS STRATÉGIQUES EN VOLUME ET EN VALEUR ENTRE 2015 ET 2020

1 600 350

Millions d'unités

Millions d'euros
1 400 300

1 200
250
1 000
200
800
150
600
100
400

200 50

0 0
2015 2016 2017 2018 2019
volume total hors périmés 1 516 653 0701 289 392 7271 065 242 9421 009 295 234 794 671 623
valeur totale hors périmés 297 050 117 216 994 942 147 748 258 151 898 322 158 533 028

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

ÉVOLUTION DES STOCKS DE CERTAINS PRODUITS EN VOLUME ENTRE 2015 ET 2020

1600
Millions

1400

1200

1000

800

600

400

200

0
2015 2016 2017 2018 2019
volume total hors périmés 1516653070 1289392727 1065242942 1009295234 794671623
antibiotiques hors périmés 86224858 15641310 15896072 10407288 12912063
antiviraux hors périmés 303403560 198346375 13929990 13917990 51180130
antidotes hors périmés 141567451 145249556 106003325 75944188 96784373
FFP2 hors périmés 75803630 719500 719500 36300 300
masques chirurgicaux hors périmés 734155300 754453600 754188150 734683300 459313900

Note de lecture : les valeurs des stocks de masques chirurgicaux ne tiennent pas compte des masques déclarés non-conformes
(613 millions à l’été 2018, dont 362 millions restent à détruire au 31 décembre 2019)
Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France
— 40 —

L’évolution du financement des stocks stratégiques


Le cadre financier de la gestion des stocks stratégiques a évolué à plusieurs reprises et
témoigne d’une certaine instabilité.
Alors que, jusqu’en 2017, le financement des stocks stratégiques était partagé entre l’État
et l’Assurance-maladie au travers du financement paritaire de l’EPRUS, la loi de finances
pour 2017 organise le financement de SpF uniquement par l’État, via une subvention pour
charge de service public prélevée sur le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire
et offre de soins ». Puis, en sens inverse, la loi de financement de la sécurité sociale pour
2020 transfère finalement ce financement à la seule assurance maladie, par une dotation
du régime obligatoire à SpF.
Si pour certains, ce transfert du financement avait pour objet de sanctuariser le budget de
l’agence et d’éviter les financements croisés (1), pour votre rapporteur, au contraire, il
traduit un désengagement de l’État, contestable au regard du caractère régalien que
recouvre la préparation au risque de crise sanitaire. Ainsi, en 2015, le rapport précité
du Sénateur Francis Delattre consacré à l’EPRUS recommandait d’appliquer « le principe
de cofinancement à parité par l’État et l’assurance maladie à la future agence nationale
de santé publique, afin de maintenir un niveau de participation critique de l’État en
matière de sécurité sanitaire et de prévention ».

b. Une évolution qui semble s’être opérée dans l’indifférence du pouvoir


politique

Au moment de la création de l’EPRUS et de l’élaboration des plans de lutte


contre une pandémie grippale, la question des stocks stratégiques paraissait un enjeu
central, sur lequel les ministres eux-mêmes se sont engagés et, en tout état de cause,
tenus informés.

Ainsi, M. Xavier Bertrand décidait-il, par exemple, d’organiser une filière


de production nationale de masques en 2005 pour consolider le stock stratégique et
sa capacité à être mobilisé rapidement en cas de crise, puis adressait en 2007 au
Premier ministre un tableau récapitulatif des besoins de chaque ministère en
masques FFP2, avant de s’investir personnellement pour préserver les moyens de
l’EPRUS.

(1) M. François Bourdillon, directeur général de Santé publique France de 2016 à 2019, audition par la mission
d’information : « J’ai beaucoup plaidé, avant mon départ, pour que l’agence soit financée exclusivement par
l’assurance maladie, en lieu et place de l’État, afin de protéger l’emploi et, de manière générale, l’institution.
L’assurance maladie a en effet la santé dans ses gènes et dispose des moyens de fonctionner ».
Mme Marisol Touraine, ministre chargée de la santé de 2012 à 2017, audition par la mission d’information :
« On peut s’interroger sur la double dotation de l’État et de la sécurité sociale – les cofinancements sont
toujours compliqués. J’ai donc suivi une recommandation et fait basculer le financement de l’EPRUS du côté
de la sécurité sociale, plutôt que de celui de l’État, afin de le sanctuariser […]. J’ai pensé que cette décision
permettrait de protéger les financements de l’EPRUS ».
— 41 —

Mme Roselyne Bachelot a estimé également, lors de son audition, qu’un


ministre devait être informé de l’état des stocks régulièrement et, qu’en tout état de
cause, la politique des masques relevait de sa responsabilité (1). M. Georges-
François Leclerc, son directeur de cabinet, l’a confirmé : « le stock stratégique était
constitué des deux catégories de masques, chirurgicaux et FFP2. Il m’en était fait
scrupuleusement rapport et j’en informais tout aussi scrupuleusement mon ministre
[…]. J’étais, en qualité de directeur de cabinet, tenu informé à la fois par le
directeur général de la santé et par le directeur général de l’EPRUS de l’état
stratégique des stocks qui était concentré entre les mains de l’établissement ».(2)

Qu’en a-t-il été par la suite ? Pour quelle raison ce sujet n’a-t-il plus
semblé intéresser les ministres ou leurs cabinets ?

Ainsi, alors qu’une réunion de sécurité sanitaire rassemble, chaque semaine,


le cabinet du ministre chargé de la santé, la direction générale de la santé et
l’ensemble des agences sanitaires, notamment Santé publique France, Mme Agnès
Buzyn et les membres de son cabinet ont affirmé n’avoir jamais reçu la
moindre alerte relative à la question des stocks stratégiques.
Comme l’a indiqué Mme Agnès Buzyn : « C’est une réunion très
importante où remontent toutes les alertes sanitaires ; or il n’y en a pas eu » [sur
le stock stratégique]. Son conseiller sécurité sanitaire à compter d’octobre 2018 le
confirmait : « il est très clair qu’entre octobre 2018 et janvier 2020, rien de
particulier n’est remonté au cabinet de la ministre concernant les stocks
stratégiques gérés par Santé publique France », pensant que cela résultait du fait
que ce dossier « ne faisait pas l’objet d’un niveau d’alerte prioritaire, pas plus en
octobre 2018 qu’en octobre 2017 ». Il indiquait n’avoir été alerté ni ne s’être enquis
du sujet : « ai-je personnellement, sur la période courant d’octobre 2018 à
janvier 2020, cherché à m’enquérir de la situation des stocks stratégiques de
masques ou des autres stocks ? La réponse est non. Ai-je reçu une alerte ? La
réponse est non ».

Ceci paraît d’autant plus surprenant que la non-conformité de la majorité


du stock de masques et de médicaments antiviraux en 2018 aurait dû constituer
une information notable portée à la connaissance de la ministre pour requérir
son arbitrage sur les mesures à prendre. Pour le DGS, cette information ne
constituait pas une « alerte » justifiant d’être remontée au niveau de la ministre :
« Pour être très clair, la réponse de François Bourdillon annonçant ces centaines
de millions de masques périmés constituait à mes yeux, non pas une alerte, mais
une très mauvaise nouvelle pour tous les acteurs concernés par la réponse aux
crises » (audition par la mission du 28 octobre 2020).

(1) Mme Roselyne Bachelot, ministre chargée de la santé de 2007 à 2010 : « un ministre doit être informé. Il ne
s’agit pas de recevoir, tous les matins, une note sur les stocks, bien entendu. Mais la politique des masques
relève de la décision du ministre […]. Donc, un ministre s’inquiète à intervalles réguliers, que ce soit parce
que vous recevez le directeur de l’EPRUS qui vient vous informer de ce qui se passe dans son
administration… » , audition par la mission.
(2) Audition du 23 septembre 2020.
— 42 —

Le passage à un stock tampon, qui, bien qu’évoqué depuis plusieurs


années, se concrétise à partir de 2018, n’a pas davantage fait l’objet d’une
information précise de la ministre ce qu’elle explique par l’absence d’arbitrage
à rendre, comme elle l’a indiqué par écrit : « J’ai appris depuis grâce aux archives
que des réunions et des échanges de courriers avaient eu lieu entre la DGS et Santé
publique France, aux cours desquelles il a été décidé de mettre en œuvre la doctrine
de stock tampon tournant et de diversification des achats prévus dans le contrat
d’objectifs et de performance (COP) que j’ai signé en 2018 […] (1). Aucun arbitrage
n’est remonté à mon cabinet et à moi-même directement, ce qui me conduit à penser
que la DGS et SpF étaient d’accord à l’issue de ces échanges. Je ne peux pas
imaginer qu’un arbitrage n’aurait pas été demandé, si un désaccord avait subsisté
sur un point considéré comme stratégique par l’une ou l’autre partie […]. La DGS
et SpF selon moi mettaient déjà en œuvre de concert cette demande de stock minimal
tournant et de diversification des sources d’achat lors de la commande d’octobre
2018. L’un et l’autre n’ont pas sollicité d’arbitrage du cabinet ».

Le rapporteur considère que la question des stocks stratégiques ne saurait


être ignorée du Gouvernement, et notamment du ministre de la santé à qui il
incombe de préparer le système de santé à une crise sanitaire. Si la gestion
quotidienne des stocks relève de Santé publique France, l’agence agit à la demande
du ministre chargé de la santé, pour l’acquisition, la fabrication, le stockage, ou
encore la distribution des produits de santé, lequel ne saurait en ignorer les
évolutions notables, y compris hors temps de crise, pour être en mesure d’opérer les
choix stratégiques qui s’imposent.

Proposition : formaliser dans le cadre de la discussion du projet de loi de


financement de la sécurité sociale un débat sur le volume et l’état des stocks
stratégiques.

II. L’APPROVISIONNEMENT EN ÉQUIPEMENTS DE PROTECTION


INDIVIDUELLE : UNE CRISE LOGISTIQUE MAJEURE

Les premières semaines de la crise sanitaire ont été marquées par des images
de soignants équipés parfois de moyens de fortune et déplorant le manque
d’équipements de protection, alors qu’ils étaient les plus exposés et risquaient eux-
mêmes d’être des vecteurs de contamination.

Les stocks en EPI constitués par les établissements de santé et les


professionnels libéraux, lorsqu’ils existaient, n’avaient en effet vocation qu’à
assurer quelques semaines de fonctionnement courant, permettant éventuellement
de faire face à une difficulté ponctuelle d’approvisionnement, mais aucunement à
gérer une situation pandémique sur longue durée, et ce d’autant plus que du fait de
l’épidémie la consommation de masques et d’EPI a augmenté massivement.

(1) Le COP ne parle toutefois pas spécifiquement de stock tampon mais de « gestion optimale des stocks », de
manière imprécise.
— 43 —

Très vite, la crise sanitaire est donc devenue une crise de logistique, en
l’absence de stocks stratégiques d’État constitués : comment se procurer dans
l’urgence et en quantité considérable des masques, des blouses, des charlottes et des
gants. Comment les acheter, les acheminer, les stocker, les distribuer rapidement et
au plus près des besoins ?

Cette mission est celle de Santé publique France, en application de l’article


L. 1413-4 du code de la santé : « À la demande du ministre chargé de la santé,
l’agence procède à l’acquisition, la fabrication, l’importation, le stockage, le
transport, la distribution et l’exportation des produits et services nécessaires à la
protection de la population face aux menaces sanitaires graves ». C’est la raison
même qui a présidé à la création de l’EPRUS, chargé d’assurer ce rôle logistique
avant qu’il ne soit repris par la nouvelle agence.

Toutefois, des problèmes manifestes d’anticipation, de


dimensionnement et d’organisation de l’agence ont contraint l’État à se
tourner vers des solutions alternatives pour se procurer et distribuer des EPI
en urgence.

Des équipements ont pu être fournis aux établissements de santé grâce au


dispositif monté dans l’urgence, mais aussi aux dons, à la réutilisation de masques
périmés conservés de l’épisode H1N1, à l’utilisation rigoureuse des stocks
disponibles et aux premières livraisons qui leur ont été prioritairement affectés. Des
situations de tensions fortes ont cependant existé dans les établissements des
premières régions touchées. Et la pénurie de masques a également affecté, plus
fortement encore, les professionnels libéraux et les établissements médico-sociaux,
non prioritaires dans les premières livraisons des masques du stock d’État.

Enfin, au-delà des professionnels, la distribution de masques au grand


public a également été complexe en raison de messages contradictoires liés à
l’évolution des connaissances scientifiques quant à leur utilité, mais également de
la nécessité de réserver ces masques aux professionnels de santé.

A. SPF : UN OUTIL QUI S’EST RÉVÉLÉ INADAPTÉ ET SOUS-DIMENSIONNÉ

La crise a mis en avant l’absence d’anticipation par l’État des implications


logistiques d’une crise sanitaire de grande ampleur, telle que l’épidémie de covid-
19 l’a été. Elle a, en effet, exposé un véritable déficit logistique, l’opérateur
désigné, Santé publique France, étant manifestement sous-dimensionné en
compétences et en effectifs, et trop peu préparé à faire face.

Comme l’indiquait Mme Claire Landais, ancienne SGDSN, « collectivement,


nous avons péché au fil des ans dans le sentiment que l’intendance suivrait, alors que
la logistique apparaît éminemment stratégique lors d’une pandémie ».
— 44 —

Cette situation a conduit à difficultés particulièrement importantes


s’agissant de l’acheminement des masques aux professionnels de santé,
présenté comme l’un des principaux points noirs de la crise.

1. L’intégration de l’EPRUS à Santé publique France : la perte d’un


opérateur logistique efficace

La capacité logistique de réponse aux crises sanitaires a été affaiblie par


l’intégration de l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires
(EPRUS), créé en 2007, dans la nouvelle agence nationale de santé publique, Santé
publique France, en 2016.

Alors que l’EPRUS, créé de manière très consensuelle après une succession
de crises sanitaires (épidémie de SARS-CoV-1 en 2002-2003, canicule en 2003,
épidémie de chikungunya à La Réunion en 2005-2006, épisode de grippe aviaire en
2006, etc.) pour gérer la réserve sanitaire d’une part et les stocks stratégiques de
l’État d’autre part, avait fait ses preuves lors de la crise H1N1 en 2009 (1) en ayant
permis de mettre en place une gestion « fiable » des stocks, sa fusion au sein de
Santé publique France a conduit à diluer ses compétences propres en matière
de logistique au sein d’un établissement aux missions bien plus larges, et qui
paraît s’être prioritairement centré sur la veille épidémiologique.

Créé par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de


santé, ce nouvel établissement avait vocation à rassembler plusieurs agences pour rationaliser
l’organisation sanitaire et assurer une forme de « continuum » cohérent, allant de la prévention
à la réponse aux crises en passant par la veille. L’agence ainsi créée, nommée Santé publique
France, est alors dotée de six missions : l’observation épidémiologique et la surveillance de
l’état de santé des populations ; la veille sur les risques sanitaires menaçant les populations ;
la promotion de la santé et la réduction des risques pour la santé ; le développement de la
prévention et de l’éducation pour la santé ; la préparation et la réponse aux menaces, alertes et
crises sanitaires ; le lancement de l’alerte sanitaire.

L’EPRUS était composé d’une trentaine d’agents fin 2014, avant son
intégration à Santé publique France, notamment de militaires issus du service de
santé des armées, dotés de compétences spécifiques en matière de logistique et
d’approvisionnement. Lors de la fusion des organismes, ces agents ont peu pesé au
sein des quelque 600 agents de Santé publique France, majoritairement des
chercheurs issus de l’Institut national de veille sanitaire. Ce risque était redouté par
le sénateur Francis Delattre dans son rapport de 2015 sur l’EPRUS (2), qui
recommandait alors que les fonctions de réponses aux crises sanitaires

(1) Ainsi, la Cour des comptes estimait, dans un rapport de 2010 (Les comptes et la gestion de l’établissement
de préparation et de réponse aux urgences sanitaires depuis sa création, septembre 2010) que l’EPRUS avait
su « répondre pour l’essentiel en bon ordre de marche aux tâches qui lui ont été confiées à partir de la mi-
2009 dans la gestion de la campagne contre la grippe H1N1, qui a constitué pour lui un « baptême du feu »,
s’agissant en particulier de sa capacité à constituer un stock important et varié de produits et à en gérer
les approvisionnements et la distribution »
(2) Rapport d'information de M. Francis Delattre, Sénat, n° 625, 15 juillet 2015. Il y est évoqué : « une crainte,
légitime, que l’EPRUS ne soit « noyé » dans la future structure d’environ 500 personnes, et ne devienne
incapable de répondre à des situations d’urgence dans des délais extrêmement courts ».
— 45 —

auparavant assumées par cet organisme conservent une certaine autonomie au


sein de Santé publique France.

Cette appréciation a été confirmée par M. William Dab, ancien directeur


général de la santé (2003-2005) : « Intégrer l’EPRUS dans Santé publique France
n’était pas déraisonnable. Le problème, c’est son rôle de variable de régulation ou
d’ajustement budgétaire. Il fallait sanctuariser ces missions ».

De surcroît, cette fusion a entraîné une réduction des effectifs globaux


(- 20 % depuis 2010, sur l’ensemble du périmètre de l’agence) (1), qui, si elle n’a
pas conduit à une réduction des effectifs sur le périmètre de l’EPRUS (2), n’a pas
permis de compenser le sous-dimensionnement de l’établissement
pharmaceutique, chargé de la gestion des stocks. Cette faiblesse du
dimensionnement de l’établissement pharmaceutique a été soulignée par François
Bourdillon, directeur général de SpF de 2016 à 2019.

En définitive, l’absorption de l’EPRUS par Santé publique France a


nui à la capacité de l’agence à constituer et à gérer les stocks stratégiques, mais
également à sa réactivité face à la crise et à son caractère opérationnel, ce cœur
de métier de l’EPRUS s’étant dilué dans une entité aux missions étendues.
L’établissement, qui n’avait jamais eu l’occasion de se confronter au terrain, est
apparu désarmé, à toutes les étapes où son intervention était nécessaire –
commandes, acheminement, stockage, distribution, traçabilité, etc. – et ce, alors
même que le contrat d’objectifs et de performances (COP) qui le lie à l’État et le
code de la santé lui assignent la mission de répondre aux crises sanitaires avec
l’objectif « d’assurer de façon optimale la préparation et la réponse aux menaces,
alertes et crises sanitaires » (objectif n° 3 du COP). L’article R.1413-1 du code de
la santé publique confie de même à Santé publique France la mission de
« contribuer à la préparation et à la gestion des situations de crise et à la mise en
œuvre des plans de réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires, notamment en
fournissant à l’État une expertise logistique et en mobilisant les moyens dont elle
dispose ».

Aussi, votre rapporteur appelle à la création d’un EPRUS renouvelé,


d’un établissement responsable de la seule gestion des stocks stratégiques. Cet
établissement devrait être placé sous le contrôle du ministre délégué auprès du
Premier ministre chargé de l’anticipation des crises pour disposer de l’autorité
nécessaire à l’exercice de ses missions et garantir son prisme interministériel.

(1) M. François Bourdillon, directeur général de Santé publique France de 2016 à 2019, audition par la
mission : « Enfin, une fusion entraîne une réduction de l’emploi – je ne suis pas naïf. Comme dans beaucoup
de fusions, on m’a demandé de réduire les effectifs de 10 %, ce que j’ai fait. Puis j’ai découvert qu’il y avait
déjà eu 10 % de réduction entre 2010 et 2014. L’agence a ainsi perdu 20 % de ses effectifs dans ses trois
périmètres – INPES, InVS et EPRUS. Cela a des conséquences s’agissant des personnels, qui sont des
scientifiques de haut niveau : une personne en moins, ça compte ».
(2) 34 personnes au total pour ce qui concerne l’unité de coordination « Alerte et crise », l’établissement
pharmaceutique et la réserve sanitaire, ainsi que leur direction commune « Alerte et crise » en 2019. Ces
effectifs étaient de 34 au moment de la fusion en mai 2016, de 27 en 2017 et de 29,8 en 2018.
— 46 —

Proposition : Confier la gestion des stocks stratégiques à un opérateur dont


cela constituerait la mission principale, placé sous le contrôle du ministre délégué
auprès du Premier ministre chargé de l’anticipation des crises.

2. La mise en place indispensable d’une cellule logistique pour suppléer


Santé publique France

Les commandes, passées dans l’urgence, et l’ensemble de la logistique


associée, ont requis la mise en place d’une organisation nouvelle pour suppléer
les équipes de Santé publique France, manifestement sous-dimensionnées pour
assurer l’ensemble des missions indispensables à l’approvisionnement en
équipements de santé : l’identification des fournisseurs potentiels (sourcing), les
négociations des marchés, ou encore l’organisation de l’acheminement puis de la
distribution.

Ainsi, à compter de début mars, une cellule logistique interministérielle


est constituée, la cellule de coordination interministérielle logistique et moyens
sanitaires (CCIL-MS). Ses moyens humains ont varié entre sa constitution et sa
dissolution début octobre 2020, entre 20 et 50 personnes, avec les effectifs les plus
importants entre avril et juillet.

Pôles organisés au sein de la CCIL-MS


– un pôle sourcing, composé d’acheteurs publics de la direction des achats de l’État, de
centrales d’achats publics, du programme PHARE de la DGOS et d’établissements, qui
avait pour mission de recenser les offres de fournisseurs, de négocier les conditions
d’acquisition des produits pour le stock de l’État et de transmettre ces éléments à SpF
pour la conclusion du marché après validation par le cabinet du ministre de la santé
(jusqu’à juillet) ou du directeur général de la santé (à partir de juillet) ;
– un pôle amont et approvisionnement, qui avait pour mission de programmer le transport
et de cadencer les arrivées dans les entrepôts de Santé publique France ;
– un pôle aval, qui passait les ordres de distribution chaque semaine à Santé publique
France (en précisant les quantités et les destinataires) et organisait les distributions avec
Geodis. D’éventuelles priorisations étaient arbitrées par le ministre.

Les missions de SpF ont pour l’essentiel été limitées, dans la crise, à la
passation de commande dont les ordres formels lui parvenaient de la DGS,
ainsi qu’à la réception des produits dans ses plateformes et à l’organisation des
contrôles qualité.
— 47 —

SCHÉMA DES MISSIONS DE LA CCIL-MS

Source : direction générale de la santé, réponse au questionnaire.

La CCIL-MS a ainsi constitué une cellule indispensable sans laquelle


SpF n’aurait pas été en mesure d’assurer la réponse à la crise sanitaire
s’agissant de l’équipement des professionnels de santé et de la population.

Le sourcing assuré par la CCIL-MS a, en effet, permis d’aboutir à la


signature de contrats fermes de commande de 4,71 milliards de masques
(3,59 milliards de chirurgicaux et 1,07 milliard de masques FFP2) et de l’équivalent
de 500 millions d’euros en équipements de protection individuelle.

Toutefois, la répartition des rôles entre les deux structures semble avoir
été source de coûts de coordination importants, en raison de la complexité des
échanges et du partage d’information alors qu’un suivi fin de l’état des stocks en
temps réel était indispensable, de la complexification des processus de validation,
et, de manière générale, de la segmentation d’une chaîne logistique habituellement
unifiée sous l’égide d’un seul acteur disposant d’une vue d’ensemble.
— 48 —

B. DES COMMANDES MASSIVES VERS L’ASIE QUI ONT ÉTÉ PASSÉES AU


PRIX FORT

1. Des premières commandes limitées et qui interviennent dans un


marché international déjà tendu

L’information sur l’existence d’une forme nouvelle de coronavirus circulant


dès la fin du mois de décembre, SpF conformément à sa mission de veille et de
prévention, élabore, le 26 janvier 2020, à la demande de la ministre de la santé
formulée la veille, plusieurs scénarios épidémiques possibles.

L’agence estime alors que le scénario le plus probable est celui d’une
pandémie qui toucherait le territoire national avec des « impacts sanitaires et
sociaux significatifs, avec persistance de ce nouveau virus qui nous ferait entrer
dans une vague pandémique » (1).

Le ministère de la santé ne passe toutefois une commande, le 30 janvier,


que pour 1,1 million de masques FFP2, commande très largement sous-
dimensionnée pour faire face aux besoins du système de santé, et ce d’autant
plus que l’absence de masques FFP2 dans le stock stratégique est connue et que des
distributions bien plus importantes avaient eu lieu au cours de la crise pandémique
entre 2009 et 2010 : 93 millions de masques FFP2 avaient alors été délivrés aux
professionnels de santé (2). Cette commande est complétée le 7 février par une
commande additionnelle elle aussi très limitée de 28,4 millions de masques FFP2.

Au ministère de la santé, ministre comme DGS estiment avoir ainsi agi


précocement compte tenu de la propagation effective de l’épidémie encore très
réduite début février, comme en témoignent les auditions de Mme Agnès Buzyn et
de M. Jérôme Salomon (3) par la mission.

Votre rapporteur considère cependant qu’à cette date le risque d’une


propagation sur le territoire national était clairement identifié et que les
commandes de masques produits en Asie passées par d’autres États étaient
déjà très importantes, mettant l’acheminement de ces commandes tardives vers la
France en difficulté. Comme l’a indiqué Mme Buzyn lors de son audition, « lorsque
nous lançons des commandes, le 30 janvier, le 7 février, il n’y a plus moyen
d’obtenir les produits. Le trafic aérien est arrêté, l’acheminement par bateau prend
un mois. Nous sommes face à une situation inédite qui nous montre que nous

(1) Note du 6 février 2020 du Directeur général de la santé au cabinet de la ministre Agnès Buzyn. SpF identifie
trois scénarios, dont selon les propos de sa directrice générale : un scénario du type SRAS et deux scénarios
de type pandémique, l’un avec un impact sanitaire et sociétal significatif, l’autre avec un impact sanitaire et
sociétal majeur.
(2) Santé publique France, réponse au questionnaire
(3) M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, audition par la mission : « Dès le 6 février, j’ai demandé
la mise en place d’un stock d’État de masques P2 et j’en ai passé commande le 7 février, pour 28 millions
d’unités. Nous avons donc réagi assez vite, à un moment où il n’y avait pratiquement pas de cas en France
[…]. Nous avons donc plutôt fait preuve d’anticipation et passé des commandes de manière précoce. On peut
toujours dire a posteriori qu’on aurait pu faire plus ou mieux, mais ces mesures ont été déployées avant même
la découverte du cluster des Contamines-Montjoie »
— 49 —

n’avons pas pris la mesure de la centralisation de la production en Chine, qu’il


s’agisse des produits finis ou des matières premières ». Ceci a été confirmé par
M. Grégory Émery lors de son audition : « dès fin janvier et en février, des
commandes de masques FFP2 sont passées par Santé publique France, qui
rencontre des difficultés liées à l’état du marché et à sa reconcentration : tous les
pays, à l’époque, cherchent à acquérir ce type de masques. Des échanges ont lieu
avec la DGS et Santé publique France indique qu’elle ne pourra recevoir que d’ici
à fin avril 7 millions de masques FFP2 et identifie une phase critique ».

Le rapporteur souligne, d’ailleurs, que le risque de dépendance à l’égard de


la production chinoise – qui s’est traduit de manière particulièrement forte dans la
mesure où la région de Wuhan, première touchée par l’épidémie, est un site de
production important d’EPI – était identifié depuis l’épidémie de H5N1 en 2005 (cf.
infra) et dès les premières semaines de la crise (1).

Or ce n’est que le 25 février qu’une commande massive de


170,5 millions de masques FFP2 est passée.

La situation est la même s’agissant des masques chirurgicaux, destinés


initialement aux personnes malades, mais finalement attribués aux soignants : la
ministre Agnès Buzyn estimait, le 26 janvier dans une interview diffusée sur la
chaîne BFMTV qu’à cette date, il n’y avait « aucune indication à acheter des
masques pour la population française, nous avons des dizaines de millions de
masques en stock. En cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà
programmées ». Le 24 février, le ministre Olivier Véran déclarait encore, lors d’un
point de situation sur la crise du coronavirus, que « la France dispose de stocks
massifs de masques chirurgicaux si nous avions besoin d’en distribuer », tandis que
M. Salomon affirmait le 26 février, devant la commission des affaires sociales du
Sénat que « Santé publique France détient des stocks stratégiques importants de
masques chirurgicaux. Nous n’avons pas d’inquiétude sur ce plan. Il n’y a donc
pas de pénurie à redouter, ce n’est pas un sujet ».

Une première commande est passée le 26 février, pour seulement 4 millions


de masques chirurgicaux. Les premières commandes massives n’interviendront
que le 9 mars, pour 200 millions de masques chirurgicaux, suivies d’une
commande, le 13 mars, de 200 millions de masques (FFP2 et chirurgicaux
confondus) et d’une commande le 24 mars de 655 millions de masques
chirurgicaux.

En parallèle, le ministre annonce, le 26 février, avoir demandé le déstockage


de 15 millions de masques chirurgicaux (anti-projection) présents dans les stocks
stratégiques pour qu’ils soient distribués dans les pharmacies, les hôpitaux, aux
professionnels de santé et aux personnes à risque, revenant de zones à risque ou cas

(1) Mme Agnès Buzyn, ministre chargée de la santé de 2017 à 2020, réponse écrite : « Nous apprenons le mardi
28 janvier par SpF que beaucoup de la production des EPI vient de Wuhan et que nous allons probablement
faire face à des problèmes d’approvisionnement ».
— 50 —

contact (1). Par courrier du 30 mars au directeur général de la santé, le ministre de la


santé, M. Olivier Véran, demande également que les lots dont la date de péremption
est expirée au cours de l’année 2019 (72,1 millions de masques chirurgicaux), qui
étaient réputés détruits, puissent être mobilisés au bénéfice des professionnels de
santé, sous réserve d’une vérification de leur conditionnement, de leur apparence et
de la solidité des élastiques.

L’État a également procédé par trois décrets successifs (2) à la


réquisition de l’ensemble des masques FFP2 détenus par des personnes
morales, publiques ou privées, ainsi que des masques chirurgicaux détenus par
des entreprises qui en assurent la fabrication ou la distribution, puis à la
réquisition potentielle des masques importés dépassant le seuil de 5 millions
d’unités par trimestre et par personne morale, afin de les distribuer aux
personnels soignants. Selon les informations fournies par Santé publique France,
le nombre total de masques réquisitionnés s’est élevé, au 31 mai, à 44 millions
d’unités, pour un montant de 55,34 millions d’euros. Une entreprise française
produisant en Chine est également tombée sous le régime de la réquisition, pour
58,8 millions de masques représentant 33,87 millions d’euros. Ces réquisitions ont
cependant créé localement des tensions pour l’utilisation par les professionnels
de santé de masques pourtant disponibles ou pour leur approvisionnement
auprès de leurs fournisseurs habituels (3).
La réquisition ou les dons de masques au profit des personnels soignants les
ayant rendus indisponibles pour d’autres professions exposées au contact potentiel
de personnes malades – caissiers, salariés d’opérateurs d’importance vitale (énergie,
transport, etc.) – il est décidé de mener une nouvelle analyse des 362 millions de
masques acquis dans les années 2003-2005, déclarés non conformes en 2018,
mais non encore détruits, pour évaluer leur potentiel de réemploi à des fins non
sanitaires. Cette étude, commandée par la DGS le 27 mars 2020, a été menée par
la direction générale de l’armement qui conclue, le 7 avril, à la possibilité de
reclasser certains de ces masques (deux références) en masques à usage non
sanitaire, aux fins de les rendre utilisables par des personnels non médicaux en
contact avec le public.

(1) Point de situation du 26 février : https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/maladies/maladies-


infectieuses/coronavirus/etat-des-lieux-et-actualites/article/points-de-situation-janvier-fevrier-mars-2020
(2) Décrets n° 2020-190 du 3 mars 2020 et décret n° 2020-247 du 13 mars 2020 relatifs aux réquisitions
nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19 ; décret n° 2020-281 du 20 mars 2020 modifiant
le décret n° 2020-247 du 13 mars 2020 relatif aux réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le
virus covid-19
(3) M. Frédéric Valletoux, président de la fédération hospitalière de France : « Nous avions interrogé dès le
28 février les fournisseurs habituels sur leur capacité à faire face à un besoin croissant de masques : les
réponses que nous avions obtenues étaient qu’« à ce jour, les titulaires des marchés Resah – Réseau des
acheteurs hospitaliers, une des centrales d’achat des hôpitaux – ne livrent plus sur ordre du ministère de la
santé qui va prioriser les commandes. Les établissements auront donc un retour directement du ministère de
la santé ou de leur ARS ». Donc, dès fin février, les établissements qui cherchaient à savoir auprès de leurs
fournisseurs habituels, s’ils pouvaient reconstituer leurs stocks, recevaient pour réponse qu’on ne pouvait
rien leur dire et que désormais il fallait voir avec le ministère : circulez, il n’y a rien à voir ».
— 51 —

Au 16 juillet 2020, Santé publique France indique que 108 millions de


masques déclarés non conformes ont été reclassés pour un usage non-sanitaire (1).

2. Des commandes finalement massives mais passées au prix fort

a. Une mobilisation des capacités de production nationale limitée en raison


du démantèlement de la filière

La filière nationale de production de masques sanitaires a été la


première mobilisée. Ainsi, la lettre de saisine du 7 février de la DGS pour une
commande de 28,4 millions de masques FFP2 demande à Santé publique France de
prendre sans attendre l’attache des quatre producteurs français historiques de
masques, identifiés par le SGDSN (Boye, Macopharma, Valmy et Kolmi) pour
mettre en œuvre avec eux une procédure accélérée d’achat.

La France a cependant, en quelques années, perdu son indépendance


stratégique en matière de production de masques (cf. encadré), devenant
vulnérable aux aléas de l’approvisionnement international et n’étant plus en mesure
de répondre seule aux besoins de son système de santé.

Cette filière de production a, en effet, été affectée par des fermetures de sites
de production comme l’usine Bacou-Dalloz (devenue Sperian Protection) de
Plaintel (Côtes d’Armor) en 2018, et ne peut répondre à l’augmentation de la
demande.

Les capacités de production des producteurs existants réduites à 3,5


millions de masques par semaine (cf encadré) ont, certes, été renforcées (passage
à une production de à 10 millions de masques par semaine en avril) et complétées
par la mobilisation de quatre nouveaux producteurs (production de 10 millions de
masques supplémentaires par semaine à partir de mai) grâce à l’action menée
notamment par la ministre déléguée à l’industrie (2), mais leur montée en puissance
progressive a été tardive par rapport à la cinétique de la crise. La fourniture
française en masques est donc restée faible par rapport aux besoins en période de
crise (consommation de 40 millions de masques chirurgicaux par semaine pour le
seul secteur hospitalier), témoignant de la dépendance à l’égard de la production
asiatique.

(1) Réponse au questionnaire


(2) Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’Économie, des finances et de la
relance, chargée de l’industrie, a été chargée d’une mission de mobilisation (renforcement, reconversion ou
réactivation) des chaînes de production industrielles françaises pour la production de masques et
d’équipements de protection individuelle.
— 52 —

ACQUISITIONS DE MASQUES SANITAIRES AUPRÈS DU SECTEUR INDUSTRIEL FRANÇAIS

(en millions d’unités)

11 9 9 9 11
8
6 6 6 6
4

Du 2 au 8 Du 9 au Du 16 au Du 23 au Du 30 au Du 6 au Du 13 au Du 20 au Du 27 au Du 4 au Du 11 au
Mars 15 Mars 22 Mars 29 Mars 5 Avril 12 Avril 19 Avril 26 Avril 3 Mai 10 Mai 17 Mai

Source : CCIL-MS

L’affaiblissement de la capacité de production de masques en France :


le cas Bacou-Dalloz
Alors qu’entre 2005 et 2010, une véritable filière française de production de masques, en
particulier de masques FFP2 avait été organisée, celle-ci s’est peu à peu été rétrécie,
réduisant considérablement les capacités de production à la veille de la crise.
Il avait, en effet, décidé, en 2005, de constituer une industrie française de la production
de masques FFP2, en raison du risque suscité par le virus H5N1 et de la prise de
conscience de la dépendance de la France à l’égard des importations. Le risque de
rupture des approvisionnements en cas de pandémie mondiale – arrêt des
exportations et préférence nationale opposée par les producteurs – est alors
nettement identifié. M. Xavier Bertrand, lors de son audition par la mission indique que :
« s’agissant des masques, lorsque je prends conscience de notre dépendance vis-à-vis de
la Chine et des autres pays d’Asie, je propose au Président de la République de créer une
force de production nationale. Nous prenons la décision de passer des commandes très
importantes de masques auprès d’usines françaises : certaines existent déjà et
s’adjoignent cette spécialité ; d’autres sont créées de toutes pièces ».
Un accord est signé avec l’entreprise Bacou-Dalloz, sise à Plaintel, dans les côtes
d’Armor, le 26 décembre 2005, dont le préambule précise que « devant le risque avéré
de survenue d’une pandémie grippale, le gouvernement a décidé la constitution des
stocks d’équipements nécessaires à la protection des personnes particulièrement
exposées de par leur profession, au premier rang desquels les professionnels de santé.
Dans cette optique, l’approvisionnement en quantité massive de masques de type FFP2
doit être assuré. Cela exclut de dépendre massivement d’importations qui se
trouveraient interrompues dans un contexte de pandémie. C’est pourquoi, il est
demandé aux industriels du textile technique non tissé d’installer sur le territoire national
des ateliers de production de masques FFP2 », la réalisation de cette opération étant
attendue « dans les plus brefs délais possibles ».
Aux termes de cet accord, l’entreprise doit organiser « une filière d’approvisionnement
permettant de garantir une production de masques en grande quantité, soit 180 millions
par an » et prendre l’engagement de « réserver prioritairement sa production aux
acheteurs désignés par l’État ou l’union des groupements d’achats publics (UGAP) dans
la période prépandémique », ainsi que d’assurer « la gestion d’un stock tampon, dont le
volume sera fixé à 10 millions de masques, soit 10 % de la production annuelle hors
situation de pandémie, et garantir pour les besoins de l’État sa pérennité au moyen d’une
rotation dans le cadre du volume des ventes à sa clientèle privée ».
— 53 —

L’État s’engage, de son côté, à commander 30 millions de masques en 2006, 140 millions
en 2007 et 30 millions en 2008. Le prix de vente du masque pliable est fixé à 35 centimes.
L’article 11 de l’accord indique que l’État assurera le renouvellement de son stock arrivé
à péremption.
L’entreprise est pourtant fermée en 2018 et les chaînes de production détruites. Après son
rachat en 2010 par un groupe américain, les effectifs avaient déjà été réduits de 140 à 38
salariés sur la période, la production de masques, délocalisée en Tunisie, passant d’une
capacité de 180 millions par an à une production effective de 8 millions par an. Son
ancien dirigeant, M. Roland Fangeat, l’expliquait ainsi : « de janvier 2009 à
septembre 2010, nous avons livré 160 millions de masques FFP2 à l’État. Puis, il y a eu
un désengagement de l’État, la chute des commandes a été catastrophique pour
l’usine » (1). En l’absence de commandes de l’État entre 2011 et 2017, le site est
devenu déficitaire.
Si M. Xavier Bertrand estime que le contrat avait été signé pour 5 ans et que l’entreprise
aurait dû chercher d’autres clients pour ne pas reposer sur les seules commandes de l’État (2),
son ancien dirigeant indique qu’en application de l’accord, l’État aurait dû renouveler par de
nouvelles commandes le stock arrivant à péremption, ce qui n’a pas été le cas.
Quoi qu’il en soit, la filière française de production de masques s’est affaiblie, faute de
commandes régulières de l’État. À la veille de la crise sanitaire, la capacité de
production était de 3,5 millions de masques par semaine, ce qui est évidemment très
insuffisant en situation de pandémie. M. Roland Fangeat alertait pourtant dès 2005, dans
une audition devant l’Assemblée nationale (3), sur l’importance du maintien d’une
capacité de production française, en des termes qui ont été vérifiés par les faits : « par
rapport aux besoins actuels du marché, la capacité de production est largement
suffisante. Mais on peut prévoir qu’en période de crise, la demande mondiale serait
multipliée au moins par dix et que des problèmes se poseraient […]. Si une pandémie se
déclarait aujourd’hui, il est évident que toutes les sociétés spécialisées du monde
fabriqueraient d’abord pour les pays où elles sont implantées, et donc pas pour la
France. Chaque pays devant se contenter de sa production nationale, le nôtre n’aurait
pas les moyens de s’équiper. D’où une réflexion nécessaire sur l’implantation, en France,
d’autres unités de fabrications ».

En outre, les approvisionnements en masques d’origine française ont


été affectés par des retards de production. Ainsi, alors que 228 millions de
masques produits ou mis à disposition par des distributeurs français en France
étaient attendus début juillet, seuls 181 millions avaient été réceptionnés, cet écart
s’expliquant, selon Santé publique France, « soit par des problématiques de
maintenance sur certaines machines pour certains fournisseurs, soit par des

(1) Entretien à Radio France, 3 avril 2020.


(2) M. Xavier Bertrand, ministre chargé de la santé de 2005 à 2007 et de 2010 à 2012, audition par la mission :
« l’idée, c’était que l’entreprise diversifie ensuite sa production pour trouver d’autres clients que l’État
français. En effet, une fois l’objectif-cible atteint, il n’y avait pas de raisons de renouveler le protocole. Les
dates et les montants commandés sont parfaitement connus, mais l’usine de Plaintel était censée chercher
des clients supplémentaires dans le secteur privé, par exemple dans l’industrie agroalimentaire, très présente
en Bretagne, ou à l’export. Macopharma, à Tourcoing, a trouvé beaucoup de clients à l’étranger qui lui ont
permis de perdurer ».
(3) Mission d’information sur la grippe aviaire, audition du 16 novembre 2015.
— 54 —

problèmes de disponibilité de matières premières ou bien encore de retards pris


dans l’obtention des certificats de conformité » (1).
En définitive, selon un rapport de l’Inspection des affaires sociales (2), au
15 juin 2020 les masques commandés en France ont représenté 30 % des
volumes (1,15 milliard de masques) et 28 % des coûts (793 millions d’euros), la
majorité des masques (pour 2,67 milliards d’unités et 1,99 milliard d’euros) ayant
été commandés en Chine (3).
Ceci apparaît d’autant plus dommageable que, comme le rapporte l’IGAS,
Santé publique France estime que les masques produits en France sont de
meilleure qualité globale (avec une moindre hétérogénéité) et moins chers –
sans même tenir compte des coûts de transport – compte tenu de leur durée de vie
plus longue.
Pour les mois qui viennent, les commandes ont été poursuivies auprès des
producteurs français pour contractualiser la production et prévoir l’achat, au total,
de plus d’1 milliard de masques fabriqués en France, progressivement livrés jusqu’à
la fin de l’année 2020 (la majorité, 846 millions de masques, devant être livrés entre
mai et décembre) auprès des quatre producteurs historiques et des quatre nouveaux
producteurs. Au total, la capacité de production des masques sanitaires en France
devrait être multipliée par 30, passant de 3,5 millions avant la crise à 100 millions
par semaine en décembre 2020, avec un décollage prévu à partir de la fin de l’été et
un pic au mois d’octobre (4).
Cette évolution à la hausse des capacités de production françaises de
masques doit impérativement être pérennisée et accompagnée par des commandes
régulières de l’État, dans le cadre de la mise en œuvre d’un stock tournant.

(1) Santé publique France, réponse au questionnaire transmis par la mission.


(2) Inspection générale des affaires sociales, contrôle de la gestion 2020 des stocks stratégiques de l’État de
masques sanitaires par Santé publique France, juillet 2020 (M. Jean Debeaupuis, M. Axel Essid, Mme Valérie
Gervais).
(3) Santé publique France précisait, en réponse au rapport de l’IGAS, qu’une commande de 32 millions de
masques passées auprès d’Intermarché portait la valeur des commandes françaises à 808,6 M€ et 29 % des
coûts.
(4) Annonces de Mme Pannier-Runacher dans la presse.
— 55 —

De plus, alors que la fermeture de l’usine de Plaintel n’a pas fait l’objet d’une
information particulière du SGDSN, il apparaît que les entreprises productrices de
masques sanitaires doivent impérativement bénéficier du statut d’opérateurs
d’importance vitale, ce statut garantissant une vigilance particulière de l’État,
s’agissant notamment des opérations d’investissement ou de cessions.

Proposition : consolider les capacités de production françaises d’équipements de


protection individuels et en particulier de masques sanitaires pour garantir la souveraineté et
l’indépendance française en la matière, y compris en temps de crise ; garantir une production
au moins égale à 50 % des besoins en temps de crise sur le territoire national ; reconnaître aux
usines de production de masques sanitaires le statut d’opérateurs d’importance vitale et aux
produits et services concernés celui de produits et services d’importance vitale.

b. Le coût de l’impréparation : des commandes passées en Chine à des prix


élevés à acheminer par un pont aérien

i. Des commandes importantes pour faire face aux besoins mais qui ont
subi une forte augmentation des prix

Les commandes de masques auprès de fournisseurs étrangers se sont


intensifiées, à partir de la fin du mois de février s’agissant des masques FFP2, et de
la fin du mois de mars s’agissant des masques chirurgicaux.
ÉVOLUTION DES SAISINES DU MINISTÈRE DE LA SANTÉ EN MASQUES CHIRURGICAUX
(en millions de masques)

Note de lecture : la commande du 13 mars porte sur 200 millions de masques, chirurgicaux et FFP2 confondus sans détail de
la répartition, ici comptabilisée comme masques chirurgicaux.
Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.
— 56 —

ÉVOLUTION DES SAISINES DU MINISTÈRE DE LA SANTÉ EN MASQUES FFP2

(en millions de masques)

1400 1287

1200
948
1000 888
771 791
800 693

600
338
400
200
200
1,1 29,5
0

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

Au total, ces commandes ont représenté un volume important,


indispensable pour faire face aux besoins, mais également un coût
particulièrement élevé.

Selon les données transmises par SpF :

- au 28 mai 2020, l’agence avait procédé à l’acquisition de 3,42 milliards de


masques, pour 2,55 milliards d’euros (dont 2,4 milliards de masques chirurgicaux
pour 1,14 milliard d’euros) ;

- au 8 octobre, l’agence indiquait avoir commandé depuis le début de la crise


sanitaire 4,6 milliards de masques, dont 3,6 milliards de masques chirurgicaux.

S’y ajoute une commande passée directement par la DGS, le 20 mars 2020,
pour acquérir 39 millions de masques FFP2 pour 119,74 millions d’euros et
32 millions de masques chirurgicaux pour 28,1 millions d’euros. Cette commande
a été passée afin d’épauler Santé publique France qui devait passer dans le même
temps un nombre important d’autres marchés similaires.

S’agissant des EPI, au 28 mai 2020, 443 millions d’euros avaient été
engagés par Santé publique France et 430 millions d’euros restaient à engager pour
l’acquisition de blouses, charlottes et gants. Au 8 octobre 2020, 1,2 milliard de gants
avaient été commandés, ainsi que 630 millions de surblouses et tabliers, 40 millions
de surchaussures, charlottes et lunettes.

Ces commandes se sont heurtées à plusieurs difficultés, qui ont été


amplifiées par une préparation insuffisante :

– la difficulté à trouver des fournisseurs, en particulier pour certains


EPI. Une contractualisation a pu être opérée pour l’approvisionnement en charlottes
à hauteur de 800 000 par semaine pour les semaines 17 à 19 (20 avril-10 mai), alors
que le besoin estimé était de 1,2 million par semaine ; de même, une
— 57 —

contractualisation a été opérée pour l’approvisionnement en surchaussures à hauteur


de 1 million par semaine pour les semaines 18 à 23 alors que le besoin estimé était
de 4,5 millions (1) ;

– l’augmentation du coût des produits : alors que les masques


chirurgicaux étaient vendus autour de 3 centimes TTC l’unité avant la crise, ils
ont été vendus au prix moyen de 27 centimes au 25 mai 2020 s’agissant des
masques produits en France, et de 45 centimes (hors coût de transport)
s’agissant des masques produits à l’étranger (2), soit un coût moyen de
0,41 centime pour l’ensemble des masques chirurgicaux. Le tarif des gants a,
également, fortement augmenté, de 111 % pour les gants en vinyle (passant de
4,50 euros la boîte de 100 gants en mars à 9,50 euros en septembre) et de 66 % pour
les gants en nitrile (passant de 5,99 euros en novembre à 9,94 euros en juillet)

Les prix négociés par le ministère de la santé pour les masques chirurgicaux
ont atteint 0,75 euro HT l’unité à la mi-mars pour redescendre à 0,50 euro HT en
avril, puis 0,40 euros HT en mai (hors transport), puis 0,20 euros TTC en juin
(transport compris). Depuis le mois de septembre, les prix sont de l’ordre de
0,06 euro à 0,10 euro TTC selon les quantités commandées, soit un prix qui s’est
rapproché de ce qu’il était avant la crise (3).

Le Conseil d’administration de Santé publique France a autorisé des


achats jusqu’à 90 centimes pour les masques chirurgicaux et 3,65 euros pour
les masques FFP2 ou équivalent (4) ;

– la perte du pouvoir de négociation : si les premières acquisitions de


masques ont été réalisées via le grossiste répartiteur Alliance Healthacare, auprès
duquel SpF a souscrit un accord-cadre relatif à la fourniture de produits
pharmaceutiques signé en 2016, cet accord cadre s’est avéré insuffisant pour
répondre aux volumes d’acquisition demandés par le ministère des solidarités et de
la santé, les fournisseurs référencés n’étant pas nécessairement en mesure de
répondre aux quantités demandées ou ayant des exigences non permises par
l’accord-cadre. SpF a donc été conduite à lancer des procédures d’achat sans
publicité ni mise en concurrence, avec un caractère confidentiel, sur le fondement
de la procédure d’urgence impérieuse définie à l’article R.2122-1 du code de la
commande publique (5). La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire
face à l’épidémie de covid-19, ainsi que l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars
assouplissent, en outre, les règles de passation, de procédure ou d’exécution des

(1) Données de la CCIL-MS.


(2) Rapport de l’IGAS précité.
(3) Données de la CCIL-MS.
(4) Rapport de l’IGAS précité.
(5) « L’acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsqu’une urgence
impérieuse résultant de circonstances extérieures et qu’il ne pouvait pas prévoir ne permet pas de respecter
les délais minimaux exigés par les procédures formalisées. »
— 58 —

marchés publics (1). En définitive, les contrats de fourniture de masques négociés


dans l’urgence l’ont été à des conditions entraînant l’augmentation du risque
financier par l’obligation imposée par les fournisseurs de verser une avance
importante (jusqu’à 60 % de la prestation due), le raccourcissement des délais de
paiement (de 30 à 7 jours) et l’achat de produits de qualité moindre ou de durée
de vie plus courte. Selon la CCIL-MS, « les engagements d’achats devaient
s’adapter aux conditions du marché : le paiement d’avance et l’achat de masques
avec une durée de péremption courte ont fait partie des contraintes connues par
l’ensemble des acheteurs de masques en France et dans le monde ». Selon la DGS,
ces nouvelles règles ont permis de faciliter la négociation des contrats publics avec
les fournisseurs chinois.

ii. L’acheminement par un pont aérien monté dans l’urgence

Au coût des commandes s’est ajouté celui de la mise en place, en urgence,


d’un pont aérien pour l’acheminement des produits acquis.

Le ministère des solidarités et de la santé a, ainsi, conclu à la fin du mois de


mars un marché de transport avec l’entreprise Geodis – déjà titulaire d’un
marché avec la direction des achats de l’État – pour l’organisation du transport
exceptionnel d’un milliard de masques sur 14 semaines en provenance de
Chine par la mise en place d’un pont aérien. Le premier vol, contenant
8,5 millions de masques, est arrivé de Shenzhen à Paris-Vatry le lundi 30 mars.

Selon les données transmises par Geodis, au 31 octobre, 119 vols ont été
réalisés – majoritairement via les compagnies Volga et Air France – permettant
l’acheminement de 873 millions de masques, pour un coût total de 90,6 millions
d’euros. Le groupe Geodis indique avoir dégagé une marge brute de 8,9 % sur ces
opérations, intégrant la rémunération des 40 collaborateurs mobilisés sur le sujet.

Les données transmises par la DGS font état d’un total de 132 vols (ainsi
que de réservation de volume dans 10 autres vols), ayant permis d’acheminer
817 millions de masques, 9,5 millions de blouses, 46,8 millions de gants,
5 millions d’écouvillons, 100 000 tests ainsi que des médicaments et d’autres
équipements de protection individuelle.

Au 15 octobre, le coût total du pont aérien s’élève pour le prestataire


Geodis, ainsi qu’un autre prestataire mobilisé (CEVA), à 102 547 187 euros.

Le pont aérien a été complété, à partir du mois de mai, par la mise en


place d’un pont maritime, plus lent mais moins coûteux, également opéré par
Geodis. À ce jour, 38 navires sont arrivés en France, acheminant 1,2 milliard de
masques, pour un coût total de 12,4 millions d’euros selon Geodis. La DGS fait état,
au 15 octobre, d’un total de 36 navires sur 42 rotations prévues (6 restant à

(1) L’article 5 de l’ordonnance prévoit que les acheteurs peuvent accorder des avances à un montant supérieur
à 60 % du montant du marché ou du bon de commande et qu’ils ne sont pas tenus d'exiger la constitution
d'une garantie à première demande pour les avances supérieures à 30 % du montant du marché.
— 59 —

effectuer), pour un total d’1,17 milliard de masques acheminés ainsi que 57 millions
de blouses, 139 millions de gants ou encore 75 millions de tabliers, pour un coût
de 12,4 millions d’euros. Les dernières arrivées de containers sont attendues en
janvier 2021.

Cet acheminement s’est heurté à d’importantes difficultés, liées à la


délocalisation d’une partie des contrôles qualité en Chine. Comme l’indique la
CCIL-MS, « compte tenu de la situation du marché, il s’est avéré que des fabricants
peu scrupuleux fournissaient une marchandise dont la qualité laissait grandement à
désirer. Jusqu’à 30 % des masques se sont révélés parfois impropres lors des
contrôles qualités réalisés par Santé publique France. Afin d’éviter de découvrir ces
problématiques une fois la marchandise en France, il a été décidé de mettre en place
en Chine, avant la montée dans l’avion, un contrôle qualité pour pouvoir rendre la
marchandise et procéder à des échanges plus facilement ». La délocalisation du
contrôle qualité est également liée à la mise en œuvre du transport par voie maritime,
le contrôle à destination étant trop tardif pour débloquer les fonds dans des délais
compatibles avec les exigences des fournisseurs. À partir du 7 mai, Santé publique
France a fait appel à l’entreprise QIMA pour effectuer ces contrôles.

Il ressort toutefois des échanges entre la CCIL-MS et la DGS que la mise


en œuvre de ce contrôle qualité, quoi que nécessaire, a été la source
d’importants délais, conduisant à un engorgement important.

Le manque de préparation et de préavis, ainsi que des consignes trop strictes


auraient contraint Geodis à fermer ses entrepôts de Shanghai et de Shenzhen une
semaine entière début juin. L’engorgement, résorbé un temps, s’est ensuite recréé
du fait d’un délai trop long entre le contrôle qualité opéré par la société QIMA et
l’accord pour l’embarquement délivré par Santé publique France, sans lequel la
CCIL-MS et Geodis ne peuvent agir.

Pour SpF, l’accélération de l’admission dépendait surtout, fin mai, de


Geodis, afin que l’entreprise lui transmette toutes les informations nécessaires à la
bonne planification des contrôles qualité. L’agence indique également avoir mis en
place des procédures de « contrôle dégradé » permettant de libérer des
marchandises pour le transport maritime, les vérifications complémentaires
(notamment documentaires) permettant d’identifier la marchandise étant alors
réalisées avant le débarquement en France. Selon la CCIL-MS, « la durée des
contrôles sur de tels volumes, qui devaient être validés par SpF, a induit des retards
sur le planning prévisionnel d’acheminement, sans tarir le flux du pont aérien, et
abouti temporairement à une situation d’engorgement des entrepôts en Chine,
occupés par la marchandise qui devait être récupérée par les fournisseurs car
déclarée impropre et devant accueillir en permanence de nouveaux arrivages pour
les contrôles ». Cet engorgement résulte également d’une augmentation des
quantités produites par les fournisseurs chinois.

En conséquence, des retards ont été notés dans les arrivées effectives des
produits en France, liés aussi à une forte proportion de lots non-conformes.
— 60 —

Selon Santé publique France, alors qu’1,84 milliard de masques étaient attendus
début juillet, seuls 861 millions avaient été réceptionnés en France à cette date.

Au total, les premières importations sont arrivées tardivement en


France, alors que certaines régions connaissaient déjà un pic épidémique.

IMPORTATIONS DE MASQUES SANITAIRES

140
96 106
85 85
68
54
28
0 0 0 0

Du 2 au Du 9 au Du 16 Du 23 Du 30 Du 6 au Du 13 Du 20 Du 27 Du 4 au Du 11 Du 18
8 Mars 15 Mars au 22 au 29 au 5 12 Avril au 19 au 26 au 3 10 Mai au 17 au 24
Mars Mars Avril Avril Avril Mai Mai Mai

Source : CCIL-MS.

À ce jour, une partie des produits commandés en Asie restent encore à livrer,
les approvisionnements devant s’échelonner jusqu’au milieu de l’année 2021. Selon
les données transmises par la DGS, les dernières commandes massives de masques
ont été passées en juillet ; des commandes de gants sont, en revanche, toujours en
cours de négociation.

C. UNE DISTRIBUTION CHAOTIQUE ORGANISÉE PAR UN OPÉRATEUR EN


SURCHAUFFE

Une fois arrivés en France, les masques ont fait l’objet d’une distribution
aux différents bénéficiaires, qui a semblé imprévisible et parfois incohérente,
témoignant de l’incapacité de Santé publique France à assurer une logistique de
crise.

1. Une distribution chaotique qui a perturbé l’activité des personnels


soignants à l’hôpital ou en ville

À partir du 16 mars, le Gouvernement organise la distribution de masques


aux professionnels de santé par deux flux :

– l’un vers les 136 groupements hospitaliers de territoire (GHT), chargés


ensuite de doter les 14 000 établissements de santé, EHPAD et autres établissements
médico-sociaux dans leur zone de responsabilité, ainsi que les services à domicile
et les transporteurs sanitaires ;

– l’autre vers les 21 000 pharmacies d’officine, chargées de doter les


professionnels de santé du secteur libéral (médecins, infirmiers, sages-femmes,
kinésithérapeutes, etc.) et assimilés (aides à domicile, accueillants familiaux, etc.).
— 61 —

Le ministère envoyait alors les ordres de distribution en fin de semaine N- 1,


pour une distribution en semaine N.

La quantité de masques distribués, ainsi que les types de bénéficiaires,


ont évolué au cours de la crise sanitaire en fonction des ressources disponibles
et de la situation.

Jusqu’à la semaine du 30 mars, la distribution a porté sur environ


25 millions de masques par semaine, avant de s’élever à 40 millions de masques à
compter de la première semaine d’avril pour atteindre enfin 100 millions de
masques par semaine du 11 mai au 15 juin environ.

Du 15 juin au 17 août, les volumes du flux à destination des établissements


sont restés stables (de l’ordre de 50 millions de masques par semaine), mais les
volumes du flux à destination des pharmacies d’officine, basés sur leurs commandes
en raison du passage au « flux tiré » (1) ont été plus faibles que prévus (de l’ordre
de 10 à 15 millions par semaine), soit une distribution hebdomadaire de 60 à 65
millions de masques.

À partir de la fin du mois d’août, avec la reprise épidémique, les commandes


des pharmacies ont à nouveau augmenté (30 millions par semaine), portant la
distribution à un volume de 80 millions de masques.

Ces distributions se sont achevées au 8 octobre 2020, à l’exception des


gants.

Livraison d’EPI au 4 novembre 2020 (source DGS)


1,7 milliard de masques chirurgicaux ont été livrés et 215 millions de masques FFP2,
dont :
– 1,1 milliard de masques chirurgicaux et 147 millions de masques FFP2 pour les GHT
(ainsi que 166 millions de gants, 100 millions de surblouses et 375 000 lunettes) ;
– 552 millions de masques chirurgicaux et 63,4 millions de masques FFP2 pour les
officines ;
– 9,3 millions de masques chirurgicaux et 1,3 million de masques FFP2 pour les flux
spécifiques et urgences (pompiers, dépannages ponctuels), ainsi que 18,4 millions de
gants, 4,4 millions de surblouses, 102 000 lunettes.
En outre, 35,3 millions de masques chirurgicaux, 3 millions de masques FFP2, 1,2 million
de gants, 670 000 surblouses, 69 000 charlottes et 31250 lunettes ont été livrées outre-
mer.

(1) Par opposition au « flux poussé » des livraisons déclenchées par l’État, en flux « tiré » les officines
commandent directement à leurs grossistes répartiteurs des masques chirurgicaux du stock d’État.
— 62 —

DISTRIBUTION DE MASQUES PAR RÉGION MÉTROPOLITAINE DU 16 MARS AU 6 JUILLET

200
Millions

180

160

140

120

100

80

60

40

20

Total CHIR Total FFP2 Total CHIR PED

Source : DGS.

DISTRIBUTION DE MASQUES PAR TYPE DE BÉNÉFICIAIRE DU 16 MARS AU 3 JUILLET

(en millions, hors masques pédiatriques)

400 363,9
350
300
250
200
150 114
78,1 89,7 92,9 91,9
100 58,7
50 7,10,26 11,780,14 19,9
0

Chir FFP2

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

Si les valeurs peuvent sembler importantes, ces masques et EPI sont,


d’une part, arrivés tardivement et, d’autre part, ont fait l’objet d’une
distribution opérée dans la confusion, en particulier pendant la phase de
confinement. La porte-parole du Gouvernement, Mme Sibeth Ndiaye,
reconnaissait elle-même, le 18 mars, des « difficultés logistiques » dans la
— 63 —

fourniture de masques aux soignants, tout en indiquant que ces masques arriveraient
rapidement.

Tous les secteurs ont été affectés par cette désorganisation.

Les officines présentent ainsi la distribution comme le principal point


noir de la crise : elles n’ont pas reçu les masques correspondant à leurs besoins
effectifs (ceux des professionnels libéraux de leur ressort), ont parfois reçu des
masques en mauvais état, et ont été dans l’impossibilité de connaître l’état des stocks
en temps réel, faute de traçabilité (1). Dans un communiqué du 3 avril 2020 cosigné
par plusieurs organisations, la fédération des syndicats pharmaceutiques de France
(FSPF) indiquait que « les syndicats de professionnels libéraux de santé […] sont
arrivés au bout de leur patience au regard des promesses non tenues concernant
les livraisons de masques issus du stock de l’État. À titre d’exemple, les 8 millions
de masques promis pour le milieu de cette semaine par le Premier ministre et le
ministre de la Santé lors de leur conférence de presse, samedi 28 mars, sont arrivés
de façon très hétérogène et de nombreuses officines ne sont toujours pas livrées
aujourd’hui vendredi 3 avril. Les syndicats signataires de ce communiqué
dénoncent une gestion inefficace du stock et de la livraison des masques par
l’État ».

En conséquence, la médecine de ville a souffert également de ce manque


d’organisation, étant dépendante des livraisons aux officines (2).

Les établissements de santé en ont également fait les frais, en particulier


s’agissant des EPI. Ainsi, selon M. Frédéric Valletoux, président de la fédération
hospitalière de France, les stocks de masques dont disposaient les établissements de
santé au début de la crise « ont filé très vite sans qu’il y ait effectivement de réponses
précises quant à la suite. Pour les équipements de protection individuelle, du point
de vue d’un médecin de base, cela a été pour nous – pardonnez-moi l’expression –
un foutoir sans nom. Entre les différentes chaînes logistiques de l’État, l’ARS, Santé
publique France, les départements, les régions, les municipalités, nous ne savions
jamais quand, combien, réceptionner et à qui donner ces masques ».

Les EHPA, quant à eux, n’ont reçu de masques de manière significative


qu’à compter du 16 mars (500 000 par jour, soit 5 par lit et par semaine) comme
l’indiquait Mme Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des

(1) M. Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, audition par la
mission : « Nous avions deux problèmes. Premièrement, certaines officines avaient trop de masques quand
d’autres n’en avaient pas du tout : l’attribution a été gérée sans qu’on nous demande notre avis.
Deuxièmement, nous n’avons pas été en mesure de mettre en place un système de traçabilité, et ne le pouvons
toujours pas, d’ailleurs, alors que l’assurance maladie était censée disposer d’un tel système ».
(2) M. Lannelongue, directeur de l’agence régionale de santé de la région Grand Est de 2016 à 2020, audition
par la mission : « Pour la ville, nous n’avons aucune information sur le circuit de distribution de masques
avant le 26 mars ; jusqu’à ce jour, l’ARS n’est jamais informée de ce qui est livré dans la région, dans une
pagaille totale. Les officines reçoivent des paquets, souvent ouverts, sans savoir à qui les donner ; aucune
liste de professionnels n’est disponible, et la distribution a des airs de foire d’empoigne. Des petits malins
viennent se servir plusieurs fois pour se constituer des stocks, alors que la plupart des médecins et des
professionnels de ville continuent à exercer sans masque.
— 64 —

établissements hospitaliers et d’aide à la personne privée non lucratif : « Je voudrais


redire à quel point l’approvisionnement a été compliqué entre le moment où l’on a
décidé cinq masques par semaine et par place et l’arrivée de ces masques dans
chaque structure médicosocial – et je ne parle pas du domicile ! D’ailleurs, le
dispositif a évolué, on a commencé par les officines, puis par les GHT, considérant
que la distribution serait plus rapide. Un long temps s’est écoulé entre la réalité de
la décision et la concrétisation sur le terrain ».

Alors même que des masques étaient disponibles, et ont été livrés aux
professionnels dans les différentes régions, dès la mi-mars, la perception de la
distribution est très négative.

DISTRIBUTION DE MASQUES CHIRURGICAUX DANS TROIS RÉGIONS

25000 000 u

20000 000 u

15000 000 u

10000 000 u

5000 000 u

0u
12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28

Grand Est Hauts-de-France Île-de-France

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

DISTRIBUTION DE MASQUES CHIRURGICAUX SELON LES BÉNÉFICIAIRES

50 u
Millions

40 u
30 u
20 u
10 u
0u

EHPAD Autres Médico-Social et Domicile HAD


Personnes à très haut risque Professionnels de santé libéraux Urgences

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.


— 65 —

DISTRIBUTION DE MASQUES FFP2 DANS TROIS RÉGIONS

2
Millions

0
12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28

Grand Est Hauts-de-France Île-de-France

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

DISTRIBUTION DE MASQUES FFP2 SELON LES BÉNÉFICIAIRES

0u
Millions

0u
0u
0u
0u
0u
0u
0u
0u
0u
1208 4551 4489 4495 4505 4502 4496 4496 5455 5689 3859 2732 5277 4321 6304 6385 5391
500 u 000 u 500 u 000 u 500 u 500 u 100 u 100 u 450 u 900 u 850 u 400 u 250 u 200 u 550 u 650 u 950 u

EHPAD Urgences DROM-COM

Source : mission d’information, à partir des données de Santé publique France.

La distribution auprès des officines par Geodis


Pour l’approvisionnement des 21 000 officines pharmaceutiques, le Gouvernement a
d’abord eu recours à la chambre syndicale de la répartition pharmaceutique
(CSRP) et au principal dépositaire pharmaceutique (1), CSP, pour assurer la livraison
ponctuelle des officines en masques à la fin du mois de février et au début du mois de
mars (pour un premier stock d’amorce de 10 millions de masques).
À compter de la mi-mars, lorsque la distribution est passée à une plus grande échelle, le
dispositif d’approvisionnement a été modifié en fonction de deux priorités énoncées par
Santé publique France :
– l’adaptation des quantités livrées dans chaque département selon son niveau
d’épidémie ;
– la rapidité des livraisons en urgence dans un délai de 24 à 48 heures des officines des

(1) Les dépositaires pharmaceutiques assurent la distribution de médicaments dont ils ne sont pas propriétaires.
Ils peuvent ainsi agir pour le compte d'un ou de plusieurs fabricants. À l’inverse, les grossistes répartiteurs
sont propriétaires de leur stock. Ils achètent, stockent et « répartissent » des médicaments sans les
transformer.
— 66 —

zones les plus touchées, avec un délai de 24 heures supplémentaires pour les autres
territoires.
Il a été décidé de recourir à Geodis, avec lequel SpFdisposait déjà d’un accord cadre
pour l’acheminement de produits de santé. Geodis a, ainsi, préparé les colis que le
groupe a acheminés aux officines par son réseau de distribution expresse, à partir du
17 mars. Cette opération de livraison a fait l’objet de nombreuses critiques,
notamment de la part d’officines indiquant n’avoir pas été livrées dans les temps ou dans
des quantités inférieures à ce qui avait été prévu. Les syndicats de pharmaciens
d’officines pointent, en particulier, la méconnaissance par Geodis du réseau des
officines, qui aurait conduit à des retards importants dans les livraisons. La livraison des
17 et 18 mars s’est ainsi, finalement, étalée jusqu’au 24 mars. Geodis évoque, en
revanche, des listes de distribution incomplètes et un nombre de colis par palette
inférieur aux normes annoncées par le ministère de la Santé, ainsi qu’une grande
complexité induite par la nécessité de déconditionner et reconditionner les produits
pour les allotir par officine, ce qui n’avait pas été anticipé.
SpF fait valoir que, « cette livraison a atteint les objectifs de délais et d’adaptation aux
zones les plus touchées par l’épidémie ». Toutefois, l’agence reconnaît des « problèmes
de qualité de livraison (colis ouverts ou abîmés) » et indique qu’ « après cette opération,
de nouveaux échanges entre le ministère de la chambre syndicale de la répartition
pharmaceutique ont permis de revenir à un modèle de livraison plus standard pour les
officines, via CSP et les grossistes répartiteurs ».
Une semaine plus tard, le circuit classique faisant intervenir les dépositaires et les
grossistes répartiteurs était effectivement remis en place.

2. L’impossibilité pour Santé publique France d’assurer une distribution


efficace

De manière générale, les difficultés importantes survenues dans la


distribution des masques et EPI aux professionnels de santé résultent de
l’organisation et du sous-dimensionnement de Santé publique France, dont la
« surchauffe » pendant la crise a fait courir des risques de rupture de la chaîne
d’approvisionnement, alors même que le COP conclu avec l’État lui assigne pour
mission d’« assurer de façon optimale la préparation et la réponse aux menaces,
alertes et crises sanitaires ».

Ceci apparaît d’autant moins acceptable que, quand les approvisionnements


sont devenus suffisamment importants, la distribution a été principalement
responsable du manque persistant d’équipements.

Plusieurs éléments sont en cause : l’inadaptation des capacités de stockage


de Santé publique France pour faire face à des flux de volumes et de fréquence
exceptionnels, la lenteur du processus de contrôle des stocks avant distribution, les
sous-effectifs ou encore la difficulté à suivre l’état des stocks en temps réel.

a. Des capacités de stockage inadaptées

Le réseau logistique de Santé publique France a été revu en 2015, pour


passer d’une multitude de sites de stockage (38 en 2010) à une plateforme nationale
— 67 —

de volume important, située à Marolles-Vitry et à 7 plateformes de zone


correspondant aux sept zones de défense, dont la gestion est sous-traitée à des
prestataires. La plateforme nationale représentait, en 2019, plus de 85 % de
l’ensemble des stocks disponibles sur le territoire national (en volume). Selon
Mme Marisol Touraine, ministre au moment de cette réorganisation, dont le coût
s’est élevé à 30 millions d’euros, « la création des entrepôts de Vitry-le-François a
constitué un élément décisif de la stratégie appliquée entre 2012 et 2017 pour
concentrer, rationaliser et sécuriser le maintien de stocks de natures différentes ».

i. Une plateforme nationale sous-capacitaire

Malgré la refonte récente, les capacités des plateformes de stockage de


Santé publique France ont été rapidement dépassées, contraignant l’agence à
ouvrir plusieurs superstructures de stockage dans le cadre de l’urgence impérieuse,
par la conclusion de marchés pour la réception, le stockage et la distribution. Au
total, 22 plateformes sont désormais ouvertes (soit 14 plateformes additionnelles,
jusqu’au 31 décembre 2020, SpF demandant que les marchés soient prolongés
jusqu’au 31 mars 2021).

La difficulté principale tient au fait que la plateforme nationale, la plus


importante, a été conçue dans une logique de stocks de longue durée, et non de
flux. Comme le souligne le rapport de l’inspection générale des affaires sociales de
juillet 2020 : « la conception mise en œuvre début 2016 est celle d’une très
importante plateforme nationale dédiée à un stockage de longue durée et hautement
sécurisée, aucunement destinée à des flux logistiques intenses et permanents […].
Chaque emplacement de palette est double, la palette du fond n’étant accessible
qu’après avoir enlevé la palette de devant. Cette conception, rarissime en
logistique, est adaptée au stockage de masse mais pas aux flux rapides, car elle n’a
prévu que des accès limités ». Les mouvements de masques (entrées et sorties) ont
d’ailleurs été très faibles entre la création du site et le début de la crise sanitaire.

Cette plateforme a, très vite, atteint ses limites capacitaires : s’y


croisaient en effet les flux des arrivées du pont aérien, les flux de départ vers les
plateformes zonales, les flux des masques pédiatriques destinés au ministère de
l’éducation nationale, les flux des masques périmés, sur un entrepôt déjà encombré
par les lots en quarantaine.

Plusieurs solutions ont été mises en œuvre de manière combinée par le


ministère de la Santé, notamment les tractions directes vers les plateformes de zone
ou encore l’entreposage dans les locaux de stockage de l’aéroport d’arrivée des
masques du pont aérien. Santé publique France a, également, pris des mesures pour
optimiser les flux en spécialisant et en transformant le rôle de certaines plateformes
zonales.

La situation n’en a pas moins été extrêmement complexe et gérée dans


l’urgence, témoignant de l’absence de préparation de l’agence pour participer
à la réponse à une crise sanitaire.
— 68 —

ii. Une répartition des stocks inefficace

La centralisation des stocks de masques sur la seule plateforme de


Marolles a contribué aux difficultés rencontrées pendant la crise. SpF avait
pourtant alerté sur ce risque, plus d’un an avant la survenance de la crise.

Ainsi, par courrier du 19 septembre 2018, la DGS demande à Santé publique


France d’étudier la faisabilité technique et l’impact budgétaire d’une éventuelle
relocalisation des masques chirurgicaux et antiviraux sur la plateforme nationale de
Marolles. Les stocks sont alors répartis à 90 % sur la plateforme nationale et à 10 %
sur les 7 plateformes zonales (soit 2 900 palettes).

Dans sa réponse du 3 octobre 2018, le directeur général de Santé publique


France alerte sur les risques qu’une centralisation de l’ensemble des masques sur la
plateforme de Marolles ferait courir, pour des gains budgétaires faibles :
« L’organisation d’une logistique de distribution des produits de santé impose
de disposer de ressources humaines avec une expertise dans le domaine des transports.
Actuellement, seul un ingénieur gère cette mission au sein de Santé publique France,
avec un ou deux renforts internes possibles. La compétence logistique est une
compétence rare au sein de Santé publique France et du ministère en charge de la
santé qui sera extrêmement mobilisée au cours d’une crise majeure. Un renforcement
externe peut difficilement être envisagé du fait de la rareté du profil sur le marché de
l’emploi et de l’impératif de maîtriser préalablement les dispositifs de stockage et
distribution et les procédures imposées par les marchés publics.
Par ailleurs, seuls deux collaborateurs de Santé publique France travaillent
au sein de la plateforme de stockage nationale ce qui implique également de disposer
de renforts par des intérimaires en cas de déstockage important. Ainsi, la capacité de
chargement et déchargement est limitée à 150 palettes/semaine avec un intérimaire.
En cas de survenue de crise, les 2 900 palettes [de produits alors stockés
sur les plateformes nationales, 2 550 palettes de masques et 350 palettes
d’antiviraux] devraient alors être renvoyées sur les plateformes zonales ce qui
mobiliserait pleinement Santé publique France pendant trois mois et ne
permettrait pas de préparer efficacement le reste de la distribution induisant une
situation de crise pourtant évitable ».

Pourtant, fin 2019, les plateformes zonales ne stockaient toujours que


2,68 millions de masques sur 534 millions détenus par Santé publique France
(1,7 million de masques sont positionnés en outre-mer), soit moins de 1 % des
stocks, 3 % environ si l’on considère les seuls 97 millions de masques distribuables
à la fin de l’année 2019.
— 69 —

RÉPARTITION DES STOCKS DE MASQUES AU 31 DÉCEMBRE 2019

SITE DE STOCKAGE Nombre de masques chirurgicaux


ALLOGA - AMIENS 278 400
ALLOGA - Lyon 310 400
EURODEP - MITRY-MORY 880 000
GEODIS - St Cyr en Val 310 400
GEODIS - Vatry 235 200
LAPHAL Industries - Allauch 310 400
LOGIPHARM BLANQUEFORT 350 400
Plateforme Mayotte de LONGONI 171 200
GPG - GUADELOUPE 600 000
LABOREX - SAINT MARTIN 40 500
CGS MANGOT VULCIN 856 000
SPG - GUYANE 96 000
EPRUS - Marolles 530 070 700
Total général 534 509 600
Note de lecture : les lignes 2 à 8 du tableau correspondent aux sept plateformes zonales. Les lignes 9 à 13 correspondent aux
stocks positionnés outre-mer. La ligne 14 correspond au stock situé sur la plateforme nationale.
Source : Santé publique France

Cette répartition a joué défavorablement sur la capacité de distribution des


produits de santé.

b. Une « libération » des produits trop lente

La mise sur le circuit de distribution des produits arrivés sur les sites
de Santé publique France a, également, été trop lente, pour deux raisons :

– le fort taux de « repalletisation » (de 30 à 100 % selon les fournisseurs)


a ralenti la mise à disposition de ces masques, ce qui, dans le cadre d’une gestion
en flux tendu et sans stock tampon, a rendu Santé publique France très vulnérable
aux aléas (notamment aux annulations d’avion). Des moyens supplémentaires pour
la repalletisation ont été positionnés à Marolles et Vatry, pour une capacité
hebdomadaire de reconditionnement de 1 000 palettes, mais trop tardivement. Le
ministère de la santé est également intervenu pour autoriser SpF à avoir recours, à
la sous-traitance, à l’intérim, ou à diverses prestations pour rendre la marchandise
distribuable ;

– la lenteur des procédures de contrôle de la qualité des stocks en raison


d’un dispositif sous-dimensionné.

Au 24 mai, 39 % des masques chirurgicaux reçus avaient été mis en


quarantaine à réception, dont 71 % restaient à contrôler ou pour lesquels le contrôle
devait être finalisé. 57 % des masques FFP2 avaient été mis en quarantaine à
réception, dont 81 % restaient à contrôler ou pour lesquels le contrôle devait être
finalisé (1).

(1) Santé publique France, Conseil d’administration restreint du 28 mai 2020.


— 70 —

Ces mises en quarantaine ont, ponctuellement, pu générer


d’importantes difficultés : cela a été le cas d’un lot de la marque Girodmédical de
130 millions de masques, mis en quarantaine dans les premiers jours du
déconfinement, suite à des observations de certaines ARS concernant l’extrême
fragilité des élastiques, les odeurs de moisissures ainsi que des réactions allergiques
de certains soignants. Le stock disponible pour être distribué n’était alors plus que
de 26 millions de masques (chirurgicaux et FFP2) pour les GHT et 44 millions pour
les officines, 156 millions de masques étant en quarantaine dans l’attente de
résultats d’analyses et 130 millions de masques Girodmédical étant bloqués dans
les entrepôts de Santé publique France, menaçant les capacités de distribution des
semaines 19 et 20. La CCIL-MS indique cependant que « la mise à disposition de
100 millions de masques par semaine à compter de la semaine 19 n’a pas été mise
en péril ».

L’incertitude a perduré : une semaine après le déconfinement, il existait


encore une inquiétude que les quantités de masques importées par le pont aérien
(80 millions de masques par semaine en moyenne) ne permettant pas d’alimenter
les flux de distribution (100 millions de masques par semaine) compte tenu des
règles de contrôle à l’arrivée encore appliquées dans l’attente de la montée en
puissance du contrôle en Chine et de la suspicion de non-conformité appliquée par
défaut par SpF, ainsi que de la lenteur des flux de contrôle par le laboratoire national
de métrologie et d’essais (LNE).

Mi-mai, le directeur général de la santé demandait un plan d’action (à


remettre sous 24 heures) à la directrice générale de SpF pour que l’agence « se
mette en situation de remplir la mission de distribution » qui lui incombe, en
revenant sous 15 jours à des niveaux de stocks distribuables suffisant pour permettre
l’application stricte de la politique de distribution de 100 millions d’unités par
semaine.

Ce plan visait à :

– accélérer l’admission en stock distribuable des masques arrivés de Chine ;

– obtenir urgemment les résultats d’analyses confiées au LNE ;

– appliquer autant que possible un principe de validation par défaut de lots


provenant de fabrications connues (au niveau de l’usine et non de l’importateur),
libérer les produits bénéficiant du marquage CE, et si nécessaire, concentrer les
efforts d’analyse sur les lots les plus volumineux en priorité ;

– trouver des méthodes de validation plus sommaires sous réserve de les


assortir de précautions telles que la distribution vers des destinataires en mesure de
pratiquer des tests plus poussés en cas de doute.

La seule nécessité de demander un tel plan d’action en pleine crise


sanitaire témoigne de l’inadéquation de la réponse de l’opérateur.
— 71 —

c. Des sous-effectifs chroniques qui traduisent une capacité logistique


insuffisante

En 2019, les effectifs affectés à l’établissement pharmaceutique,


responsable au sein de Santé publique France de l’acquisition et de la distribution
du stock stratégique en produits de santé, étaient de 10,4 équivalents temps plein
travaillé (ETPT), sept personnes travaillant à la manutention logistique sous
l’autorité d’un pharmacien responsable.

Ces effectifs, qui peuvent sembler suffisants en « temps de paix », ont été
dépassés par le changement d’échelle de la problématique logistique, qui n’avait
pas été anticipé, et ce d’autant plus que l’organisation des équipes a semblé
inadaptée : des échanges entre la CCIL-MS et le ministère de la santé mi-mai
soulignent le fait que seuls quelques personnels d’astreinte travaillent les week-ends
et les ponts, nombreux au mois de mai.

Si des renforts ont été employés, ils l’ont été dans l’urgence, sans qu’une
telle montée en puissance des effectifs n’ait été prévue ou organisée en
amont (1). De plus, majoritairement recrutés en mai, ces renforts n’ont été
opérationnels qu’une fois que la première vague se retirait. Santé publique France
en réponse aux demandes de la DGS sur ce point a accru ses moyens logistiques.

Renforts logistiques à compter du mois de mai


-au siège : nouveau responsable de la cellule logistique à compter du 18 mai, 4 opérateurs
arrivés entre le 11 et le 25 mai, maintien de prestation de consultants ;
-sur la plateforme de Marolles : prise de fonctions d’un responsable d’exploitation et
d’une gestionnaire de stocks le 11 mai en renfort des deux titulaires ; équipe de 5
intérimaires chargés de la repalettisation des dons et pour lecontrôle qualité : prise de
fonction le 18 mai de deux pharmaciens et d’un ingénieur qualité en renfort des équipes
actuelles ; recrutement d’un second pharmacien et de quatre renforts.

De manière générale, la situation traduit l’absence de ressources


internes au sein de Santé publique France pour gérer la réponse à une crise
sanitaire et la persistance d’une organisation qui n’anticipe pas un changement
d’échelle logistique.

d. Une incapacité à assurer le suivi du stock

Santé publique France n’a pas toujours pu, dans le cours de la crise,
produire en temps réel un état des stocks fiable, pourtant indispensable pour
assurer une distribution efficace aux différentes entités à livrer et connaître les
besoins à chaque instant.

(1) Selon le rapport de l’IGAS, une lettre du DGS à Santé publique France du 9 juin 2020 porte à 58 ETPT le
plafond des renforts pour 2020, dont environ un quart, soit une quinzaine de personnes, pour l’établissement
pharmaceutique.
— 72 —

Le système d’information de la plateforme de Marolles, calibré pour


assurer le suivi de flux dormants selon une logique d’inventaire, n’était pas
adapté à une situation de crise de grande ampleur, faisant intervenir des
mouvements particulièrement importants en volume et en fréquence. Des
difficultés liées aux remontées d’informations des plateformes zonales sur l’état de
leur stock, non automatisées et hétérogènes, ont également été notées. Si des outils
de reporting ont été conçus dans l’urgence, ils n’ont, selon le rapport de l’IGAS
précité, pas permis de remontée d’information fiable en temps réel.

Globalement, selon l’IGAS, les informations relatives à l’état des stocks, à


leur statut (disponible ou non), aux mouvements et aux prévisions sont bien
produites par Santé publique France, « mais de façon insuffisamment coordonnée,
immédiate et fiable en l’état ». En outre, « elles ne sont pas mises en projection, à
partir des hypothèses de doctrine venant du ministère, pour permettre
d’appréhender avec suffisamment de visibilité les quantités à distribuer, les voies
d’acheminement, les relations avec les établissements professionnels et les ARS ».

Ceci a conduit le cabinet du ministre de la santé à demander, à la fin du


mois d’avril, à Santé publique France que l’agence soit en mesure de donner
un visuel stabilisé et exact des stocks, partagé avec la CCIL-MS, à des
fréquences compatibles avec les travaux de prévision et de planification
conduits par la cellule.

Un nouvel outil informatique, fluid-e, a été déployé à compter du 18 mai,


qui devait permettre d’avoir une visibilité deux fois par jour des stocks de
l’ensemble des sites de stockage et de piloter l’ensemble des flux, de l’arrivée des
avions jusqu’à la livraison aux GHT. Le rapport de l’IGAS estime toutefois que ce
système, monté dans l’urgence, ne pourrait constituer une solution pérenne.

La fédération nationale des dépositaires pharmaceutiques, LOGsanté pointe


trois difficultés qui paraissent résumer la situation :

– « la coordination difficile avec Santé publique France par manque de


clarté des informations apportées, accentuée par la multiplicité et le changement
des interlocuteurs ;

– le manque d’informations logistiques fiables et en mouvances


permanentes, nécessitant une adaptation de nos outils, de nos infrastructures et de
nos ressources humaines quotidiennement ;

– la qualité aléatoire de la palettisation des masques ne permettant pas une


optimisation du traitement logistique de masse ».

Pour votre rapporteur, ce n’est pas tant l’action de Santé publique France
pendant la crise qui est en cause que son manque de préparation, d’outils de
réponse et de moyens alloués en amont pour y faire face qui doit interroger,
l’agence ayant semblé désarmée, sous-dotée pour assurer une mission logistique qui
s’est avérée cardinale.
— 73 —

Il est donc, aujourd’hui, indispensable de repenser le rôle de Santé publique


France dans la logistique de crise et, le cas échéant, de lui allouer les moyens
humains et financiers nécessaires pour lui permettre d’être en capacité de répondre
à la mission qui lui incombe. Davantage de compétences en logistique sont
nécessaires, en termes de ressources humaines et de ressources informatiques, ainsi
qu’une revue du réseau et de la configuration des plateformes de stockage. Des
procédures de réponse à une crise de cette nature doivent également être anticipées
et formalisées, pour mobiliser, par exemple, des moyens de contrôle qualité adaptés
aux temps de crise ou permettre une augmentation ponctuelle rapide des effectifs.

Proposition : repenser le rôle de Santé publique France dans la logistique de crise et,
le cas échéant, adapter le réseau des sites de stockage ; anticiper et planifier des procédures de
réponse à une crise sanitaire par Santé publique France dans sa dimension logistique,
s’agissant notamment de la montée en puissance des effectifs ou de l’adaptation des
procédures ; garantir un suivi en temps réel des stocks, notamment en cas flux importants en
fréquence et en volume.

3. Le recours trop limité aux préfets et aux capacités logistiques des


sapeurs-pompiers et de l’armée

Alors même que Santé publique France apparaissait dans l’incapacité


d’assurer de manière autonome la gestion de la distribution, il est regrettable que le
schéma logistique retenu n’ait pas fait davantage de place à l’autorité préfectorale
d’une part, mais également aux sapeurs-pompiers ou à l’armée d’autre part.

En effet, les modalités de distribution retenues ont laissé peu de marge


de manœuvre aux préfets, alors même que la circulaire du ministre de l’intérieur
et du ministre de la santé du 21 août 2013 (1) leur donne un rôle central dans la
distribution du stock stratégique en temps de crise. Cette circulaire a eu pour objectif
de « disposer de circuits de distribution pouvant être mobilisés localement ou à
l’échelle nationale pour répondre à un évènement NRBC-E (ex : antibiotiques pour
un grand nombre de personnes), une pandémie de grippe (mise en place d’une
campagne de vaccination, mise à disposition d’antiviraux), ou faire face à tout
autre évènement sanitaire nécessitant une distribution de produits de santé à la
population à partir des stocks stratégiques de l’État (masques de protection, etc.) ».

Elle prévoit, en cas de situation exceptionnelle d’ampleur importante,


nécessitant l’administration de produits de santé à un grand nombre de
personnes dans des délais restreints, la mobilisation d’un circuit de
distribution exceptionnelle par l’approvisionnement de sites pré-identifiés de
distribution à la population au niveau des communes, ainsi que des sites de rupture
de charge au niveau du département pour les alimenter (stockage intermédiaire entre
les stocks zonaux et les sites de distribution à la population).

(1) Circulaire du 21 août 2013 relative au dispositif de stockage et de distribution des produits de santé des
stocks stratégiques de l’État pour répondre à une situation sanitaire exceptionnelle.
— 74 —

Les préfets sont chargés de définir un plan de distribution qui liste les
sites de rupture de charge et les sites de distribution à la population pour préétablir
les dotations nécessaires si possible (en lien avec les ARS et les communes
concernées). C’est également aux préfets qu’il revient d’assurer
l’approvisionnement des sites de distribution en produits de santé à partir des sites
de rupture de charge, en s’appuyant sur les moyens de transport locaux disponibles
(moyens des collectivités territoriales, moyens d’associations agréées de sécurité
civile, moyens privés, etc.).

Si cette organisation de crise semble davantage adaptée à la distribution de


produits à la population qu’aux professionnels de santé, il n’en reste pas moins que
l’autorité préfectorale, qui aurait pu être mobilisée pour assurer
l’approvisionnement des sites de distribution à la population si le choix en avait
été fait, apparaît comme le bon interlocuteur et dispose des moyens et des
compétences pour assurer une telle mission logistique sur son territoire.

En région Grand Est, par exemple, face à une situation de la distribution


particulièrement critique, une organisation alternative a été mise en place sous
l’égide de la préfecture de région comme l’a exposé M. Christophe Lannelongue,
ancien directeur de l’agence régionale de santé en poste jusqu’au 8 avril 2020, lors
de son audition : « Le 20 mars, nous décidons avec la préfète de région de mettre
en place une nouvelle organisation […]. La logistique était entièrement pilotée par
Santé publique France, au niveau national. Je le redis : les pouvoirs publics
auraient dû faire davantage confiance aux préfectures et aux ARS. Pour ce qui me
concerne, j’ai fait confiance aux préfectures de la région pour organiser la
distribution de masques, sous l’égide de la préfète de région, également préfète de
zone. La préfecture de zone a des spécialistes de ces questions, des militaires par
exemple ».

De la même manière, les sapeurs-pompiers, qui disposent pourtant de


l’expérience et des moyens adéquats, ont été sous-employés s’agissant de la
distribution. En particulier, les établissements de soutien opérationnels et
logistiques (ESOL) de la direction de la sécurité civile ont été trop peu exploités.

De fait, dans les territoires où les préfets et sapeurs-pompiers ont été


mobilisés, la logistique a, semble-t-il, été assurée. Le colonel Grégory Allione,
président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, l’a fait valoir
à la mission : « Quand l’autorité préfectorale s’est vue confier, avec les moyens
dont elle dispose – notamment les gendarmes et les pompiers – les opérations de
logistique, elle n’a jamais failli, il n’y a jamais eu de délai d’attente, de réception
et de conditionnement. Les stocks ont été sécurisés grâce aux forces de police et de
gendarmerie, la distribution a été réalisée grâce à la mobilisation de l’ensemble
des sapeurs-pompiers, notamment lors de la phase de confinement, pendant
laquelle les sapeurs-pompiers volontaires étaient tous disponibles ».

Enfin, s’il a été fait recours à l’armée, dans le cadre de l’opération


Résilience, pour apporter un concours aux autorités civiles dans le domaine
— 75 —

logistique, via le transport de fret aérien, terrestre, ou maritime, la mise à disposition


d’emprises, l’affectation d’experts logistiques auprès des autorités civiles et
sanitaires ou encore la protection de sites sensibles de production et de stockage de
matériel sanitaire, cette coopération aurait gagné à être davantage anticipée et
organisée en amont pour qu’elle soit aussi efficace que possible.

Ainsi l’indiquait notamment M. François Baroin, président de l’association


des maires de France : l’armée « n’a pas été assez sollicitée pour la distribution et
l’accompagnement, à mon sens. Cela s’est fait au coup par coup, ce qui est
dommage. Le Président de la République avait proposé de mettre l’armée à la
disposition de la nation, ce qui n’a été fait que de manière parcimonieuse et pas
assez coordonnée. En revanche, quand elle est intervenue, elle l’a fait de manière
remarquable, et cela a eu un effet psychologique très positif sur la population. Cela
doit nous faire réfléchir – je ne parle pas seulement des hôpitaux de campagne mais,
plus généralement, du savoir-faire en matière de logistique, de distribution, de la
problématique du dernier kilomètre ».

Proposition : accroître le rôle des préfets dans l’organisation logistique de la


distribution de produits sanitaires en cas de crise ; définir en amont le rôle de la sécurité civile,
des sapeurs-pompiers et de l’armée, dont les moyens et les compétences doivent être largement
employés, dans la distribution de produits sanitaires en cas de crise.

D. LA CONFUSION ET LES MESSAGES CONTRADICTOIRES SUR LE PORT


DU MASQUE GRAND PUBLIC

L’utilité des masques pour le grand public a fait l’objet de messages


contradictoires, certes, dépendants de l’évolution des connaissances scientifiques
sur les modes de transmission – notamment s’agissant de la possibilité de
contamination par une personne asymptomatique, puis de la persistance du virus
dans les aérosols – mais également déterminés par l’état des stocks pouvant
effectivement être mis à la disposition du grand public.

Si le ministre Olivier Véran déclare, le 24 février, que « le port du masque


pour la population non malade et n’ayant pas voyagé dans une zone à risque n’est
pas recommandé car son efficacité n’est pas démontrée », plusieurs scientifiques
recommandent au contraire, relativement tôt, le port du masque, notamment
M. Antoine Flahault, dès fin janvier (1), comme c’est, en outre, le cas dans un certain
nombre de pays asiatiques.

La Chancelière allemande, Angela Merkel, préconise également le port du


masque dès le 15 avril en faisant preuve d’un grand pragmatisme et en incitant les

(1) M. Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève, audition par la
mission : « J’ai tweeté le 26 janvier une vidéo publiée par un de mes collègues de Wuhan qui, étant donné
la pénurie de masques, avait décidé d’en fabriquer lui-même avec un mètre de papier toilette et un petit
élastique, et qui montrait comment procéder. Je ne comprenais pas pourquoi on ne préconisait pas le port du
masque à ce moment-là, en France et en Suisse, dans les maisons de retraite, les écoles et tous les lieux où
on aurait pu le promouvoir ».
— 76 —

citoyens à porter en l’absence de masque, à tout le moins, une écharpe. Cette


obligation sera instaurée entre le 16 et le 27 avril dans les différents Länder, dans
les transports en commun mais également dans les commerces. De même, en
République tchèque, le Gouvernement annonce l’obligation du port d’une
« protection respiratoire, quelle qu’elle soit », dès le 19 mars, et incite les
particuliers à les fabriquer eux-mêmes, faute de stocks suffisants pour pouvoir les
distribuer.

La communication sur le port du masque en France a empêché cette


stratégie. Au contraire, alors que l’Académie de médecine recommande, dès
début avril, que le port d’un masque alternatif (les masques sanitaires étant à
réserver prioritairement aux soignants) soit rendu obligatoire pour toute sortie
nécessaire durant le confinement (1), celui-ci ne l’est qu’à partir du 20 juillet
dans les lieux publics clos, avant qu’il ne soit permis aux préfets d’en imposer le
port en extérieur, dans les zones de circulation active du virus à partir du mois
d’août.

Au-delà de la question de doctrine, la distribution de ces masques au public


a rencontré de plusieurs difficultés.

● S’agissant des masques chirurgicaux du stock État

Les dotations du stock stratégique de l’État distribués aux officines


ayant été, dans un premier temps, exclusivement réservées aux soignants et aux
professionnels, le 31 mars, puis le 5 avril deux instructions interministérielles
précisent que « les équipements de protection individuelle […] ne doivent pas être
commercialisés à destination des consommateurs ». Le 8 avril, un message « DGS-
urgent » précise que les masques ne doivent pas être délivrés sur prescription
médicale, interdisant aux pharmaciens de délivrer des masques du stock d’État aux
patients et les plaçant en grande difficulté, face à l’incompréhension de malades de
la covid-19 pourtant munis d’une ordonnance : le fait que la mise à disposition des
masques ait été limitée au personnel soignant, au sein des officines qui sont des
repères de proximité pour le grand public, a entrainé une grande confusion. Comme
l’a indiqué Mme Karine Lacombe lors de son audition par la mission, « fin février
et début mars, [les masques] ont manqué en pharmacie quand nous avons voulu en
prescrire aux patients que l’on renvoyait chez eux avec un diagnostic de
SARS CoV 2. Cela a été l’un des éléments les plus représentatifs du discours qui a
pu décrédibiliser nos institutions à l’occasion de cette crise ».

Ce n’est qu’à partir du 5 mai que les pharmaciens peuvent délivrer des
masques du stock État aux patients malades, à leurs contacts et aux personnes
fragiles.

(1) Pandémie de Covid-19 : mesures barrières renforcées pendant le confinement et en phase de sortie de
confinement », Académie nationale de médicine, 2 avril 2020
— 77 —

● S’agissant des masques chirurgicaux du stock privé des officines et de la


grande distribution

Si rien n’empêche juridiquement les officines de vendre les masques de leurs


propres stocks, importés depuis le 20 mars (1), à la population, les représentants de la
profession recommandent toutefois jusqu’à la fin avril aux pharmaciens
d’officine de réserver ces masques aux professionnels éligibles tant que leur
quantité restera insuffisante. La complexité de la gestion différenciée d’un stock
public et d’un stock privé a également pu peser dans cette décision. À compter du
29 avril 2020, dans la mesure où les stocks disponibles en masques chirurgicaux ont
été augmentés et à l’approche de la date du déconfinement, l’Ordre national des
pharmaciens et les syndicats représentatifs de l’officine invitent les pharmaciens à
vendre les masques chirurgicaux de leur propre stock avec discernement, en les
délivrant en priorité aux personnes fragiles ou à risque.

En parallèle, l’Ordre national des pharmaciens a exprimé son


incompréhension à la suite des annonces de la grande distribution fin avril de
mettre en vente, dès le 4 mai, un nombre important de masques grand public
(en tissu et réutilisables) et de masques à usage unique de leurs propres
réserves.

L’Ordre s’interrogeait, en particulier, sur la constitution de « stocks » par la


grande distribution, en prévision d’une commercialisation à venir, alors que les
personnels soignants s’étaient trouvés démunis pendant plusieurs semaines. Il
regrettait que l’autorisation de vente ait été donnée à la grande distribution sans
qu’ils n’en aient été informés, eux qui avaient dû refuser la vente de masques
pendant plusieurs semaines. (2) La FSPF a également demandé, dans une lettre
ouverte au ministre de la santé du 30 avril de réquisitionner les masques importés
massivement par la grande distribution afin que ces derniers soient remis
prioritairement aux publics en ayant le plus besoin, professionnels de santé
notamment.

Les représentants de la grande distribution, entendus par la mission,


ont démenti la constitution de stocks cachés, indiquant que les chiffres avancés
représentaient des commandes en cours, et non des stocks physiquement présents
dans leurs magasins, ces commandes ayant été engagées après la demande qui leur
avait été adressée par le Gouvernement de participer à la distribution de masques au
grand public à la fin du mois d’avril.

(1) Le décret n° 2020-281 du 20 mars 2020 modifiant le décret n° 2020-247 du 13 mars 2020 relatif aux
réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19 autorise les importations : seules
les importations dépassant le seuil de 5 millions d’unités de masques par personne morale et par trimestre
peuvent faire l’objet d’une réquisition.
(2) M. Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), audition par la
mission : « Pendant des mois, nous avions dû expliquer aux patients que nous n’avions pas le droit de délivrer
ni de vendre des masques au grand public, en application des consignes du ministère de la santé, qui
s’appuyaient sur une instruction interministérielle. Et voilà que le ministère de l’économie se met d’accord
avec les grandes et moyennes surfaces et publie avec elles un communiqué annonçant qu’une bonne solution
a été trouvée, et que grâce à la grande distribution, tout le grand public – pas uniquement les patients – aura
désormais accès à des masques ! Ce dysfonctionnement est très choquant ».
— 78 —

● S’agissant des masques alternatifs en textile

Plusieurs difficultés sont notables :

– alors que l’Ordre national des pharmaciens et les syndicats


représentatifs exprimaient le souhait que les pouvoirs publics prennent les
mesures nécessaires pour permettre aux pharmaciens de distribuer des
masques alternatifs non sanitaires (en tissu) à la population (1), ce n’est que le
25 avril qu’est publié l’arrêté les autorisant à le faire ;

– alors qu’un très grand nombre d’entreprises se sont lancées dans la


confection de ces masques textiles (2), elles sont aujourd’hui confrontées à des
sur stocks qu’elles n’arrivent pas à écouler, les employeurs fournissant désormais
des masques, souvent à usage unique, à leurs salariés.

E. LA PRÉPARATION LOGISTIQUE SATISFAISANTE DE LA SECONDE


VAGUE DOIT ÊTRE PROLONGÉE

1. La reconstitution des stocks d’EPI

Les difficultés d’approvisionnement rencontrées lors de la première


vague paraissent avoir été résolues s’agissant de l’équipement des personnels
soignant et de la population en masques et en équipements de protection
individuelle.

En effet, l’été a été consacré à la reconstitution progressive des stocks, pour


atteindre une valeur cible élevée en septembre, permettant d’affronter une
éventuelle recrudescence de l’épidémie. Les commandes passées auprès des
producteurs français, notamment, ont été importantes.

(1) Deux propositions étaient faites : intégrer les masques alternatifs à la catégorie des « équipements de
protection individuelle respiratoire » que les officines peuvent vendre, ou faire évoluer la liste des
marchandises pouvant être commercialisées en officine pour y ajouter ce produit. Il s’agissait, selon eux, de
pouvoir répondre aux attentes de la population en fournissant des masques répondant aux normes de qualité
en vigueur.
(2) Dès le début du mois d’avril, 88 entreprises, en particulier de la filière « mode et luxe », avaient développé
171 prototypes validés par la DGA. Par la suite, selon l’Union des industries textiles, 250 confectionneurs et
150 fabricants de tissus se sont mobilisés au sein de la plateforme « Savoir faire ensemble », montée par le
Comité stratégique de filière (CSF) des industries de la mode et du luxe. Du 30 mars au 5 avril, 3,9 millions
de masques filtrants textiles ont été produits. Les prévisions de capacités de production des industriels
français étaient ensuite d’un volume de 15 millions de masques textiles par semaine à partir de la fin du mois
d’avril, réutilisables entre 5 et 20 fois selon les produits.
— 79 —

PROJECTION DES STOCKS DE MASQUES CHIRURGICAUX ET FFP2 ÉTABLIE PAR LA CCIL-


MS AU 19 AOÛT 2020

Note de lecture : les lignes horizontales correspondent au stock stratégique théorique : 200 millions de masques FFP2 et
800 millions de masques chirurgicaux, portant le stock stratégique total à un milliard de masques. Le stock stratégique
est atteint en semaine 37 pour les masques FFP2 et en semaine 40 pour les masques chirurgicaux.
Source : CCIL-MS.

PROJECTION DES STOCKS D’ÉQUIPEMENTS DE PROTECTION INDIVIDUELLE ÉTABLIE


PAR LA CCIL-MS AU 19 AOÛT 2020

Source : CCIL-MS.

Ainsi, selon les données communiquées par la direction générale de la


santé, au 4 novembre, 1,321 milliard de masques sont stockés sur le territoire
français, dont 973 millions de masques chirurgicaux et 348 millions FFP2. Ce
stock est, pour l’instant, statique, les distributions qui se sont arrêtées au 6 octobre
n’ayant pas repris. Il est « prêt à être remobilisé » et de nouvelles commandes sont
prévues en 2021 pour en organiser la rotation.
— 80 —

Des consignes claires ont été données aux établissements de santé, à qui
il a été demandé de constituer des stocks de sécurité en masques, gants, surblouses
et tabliers, charlottes, lunettes correspondant à 3 semaines de consommation en
période de crise épidémique. Une application, EPI-Stock, permettant de centraliser,
d’harmoniser et de systématiser la veille sur les stocks des établissements sanitaires,
sociaux et médico-sociaux a été conçue et a fait l’objet d’une communication du
ministère auprès des établissements de santé. Il a, par ailleurs, été demandé aux ARS
de veiller à ce que les établissements de santé mettent à jour, de façon
hebdomadaire, les stocks disponibles pour chaque type d’équipement.

Toutefois, la fin de la distribution en « flux poussé » à partir de la


première semaine d’octobre (semaine 40) pose des questions qui devront être
résolues, en particulier s’agissant de l’accompagnement financier des
structures de santé pour constituer un stock, et, par conséquent, de leur
constitution effective.

Les entreprises ont également été incitées à constituer des stocks d’EPI,
pour un dimensionnement correspondant à dix semaines d’activité (1).

2. L’adaptation du schéma logistique

Par ailleurs, face aux difficultés manifestes et reconnues de la chaîne


logistique, le schéma a été revu, dès le mois de juillet, pour être mise en place
au mois de septembre.

Selon une note du ministère de la santé du 23 juillet, Santé publique France


serait ainsi chargée de l’approvisionnement et de la distribution sur les canaux des
officines, des laboratoires et des 250 principaux établissements publics et en
complément un consortium serait mis en place pour les autres établissements de
santé et médico-sociaux.

(1) Note conjointe des ministres chargés de la santé et du travail et de la ministre déléguée à l’Industrie du
23 juillet 2020. La situation d’approvisionnement s’étant améliorée, il est indiqué aux employeurs qu’il leur
faut « veiller collectivement à disposer, dans la durée, des équipements nécessaires à la protection des salariés
pour assurer la continuité de l’activité » pour pouvoir faire face à une résurgence de l’épidémie. Plus
précisément, il leur est recommandé « d’évaluer le stock en prenant en compte les situations dans lesquelles
le respect de la distanciation physique d’un mètre entre deux personnes ne peut être garanti ».
— 81 —

Organisation d’un nouveau dispositif logistique


En complément des actions de SpF, un consortium, spécialiste de l’approvisionnement
des établissements de santé et de la distribution serait mis en place.
Il gérerait la distribution auprès des 27 000 autres établissements de santé et médico-
sociaux : l’approvisionnement (sourcing, commande, transport) serait réalisé par Santé
publique France, soit directement par ses équipes, soit avec le soutien des équipes du
consortium ; la distribution serait assurée grâce à une plateforme de commande pour les
établissements, développée par le consortium et propriété du ministère de la santé,
paramétrable pour le contingentement et le pilotage ; le consortium distribuerait à partir
d’espaces de stockage réservés, au sein de plateformes logistiques fonctionnant hors
temps de crise.
Le consortium envisagé allierait des spécialistes de l’achat pour les établissements de
santé et médico-sociaux (réseau des acheteurs hospitaliers Resah, Union des hôpitaux
pour les achats UniHA) et un professionnel de la distribution du dernier kilomètre, y
compris sur de faibles volumes et de fortes fréquences : La Poste.
Il devait être conçu entre juillet et septembre, pour un fonctionnement en octobre,
« compte tenu de l’objectif d’anticiper un rebond épidémique, par hypothèse au
1er octobre 2020 ». Le coût de l’opération est estimé entre 13 et 16 millions d’euros,
notamment pour la mise en place d’un portail de commande et d’espaces de stockage.

La DGS a indiqué que « le dispositif logistique nouveau, en lien avec le


consortium, n’a pas encore été activé […]. Toutefois, le dispositif est opérationnel
et pourra être activé si le pic épidémique correspond à nouveau à une tension
forte des approvisionnements en masques et EPI ».

Une réflexion sur un nouveau modèle logistique au-delà de 2021 est en


cours. Celle-ci devra, nécessairement, intégrer les réflexions évoquées.
— 83 —

DEUXIÈME PARTIE : UNE GESTION DE CRISE QUI A SOUFFERT DE


L’ABSENCE DE PILOTAGE UNIFIÉ ET D’UNE DÉCLINAISON
TERRITORIALE COMPLEXE

I. AU NIVEAU NATIONAL, L’ABSENCE DE PILOTAGE UNIFIÉ ET LA


MULTIPLICATION DES INSTANCES ONT ENTRAÎNÉ CONFUSION ET
PERTE D’EFFICACITÉ

S’il n’est aucunement question de contester l’engagement total des


responsables politiques et administratifs à tous les niveaux, il n’en demeure pas
moins que des failles sont apparues dans l’organisation mise en place.

Alors que la dimension interministérielle aurait dû primer dès les premières


semaines, la gestion de la crise, jusqu’au début du confinement, a été confiée au
ministère de la santé. Il en est résulté une moindre prise en compte d’aspects non-
sanitaires essentiels et ceci s’est répercuté sur la déclinaison territoriale de la
réponse. Par ailleurs, la multiplication des cellules de crise, doublée de la création
d’instances consultatives nouvelles, a brouillé le pilotage et rendu difficile, pour les
acteurs de terrain, de disposer d’une information fiable et d’un interlocuteur
identifié.

A. UNE REACTION DÉCALEE PAR RAPPORT À LA PERCEPTION PRÉCOCE


DES ALERTES

Les signaux faibles de la crise ont été perçus tôt, et ont donné lieu à une
vigilance particulière dès le début du mois de janvier.

Ainsi, alors que la notification de l’OMS sur les 27 cas de pneumonie


inexpliqués en Chine est faite le 31 décembre, la direction générale de la santé
décide d’un suivi quotidien à compter du 7 janvier. Le 9 janvier, le DGS alerte
formellement la ministre de la santé et, à partir du 10 janvier, lui adresse une note
quotidienne. Le 10 janvier, de premiers messages sont également adressés aux ARS
et aux sociétés savantes pour identifier les cas et leur indiquer la conduite à tenir,
ainsi qu’à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle concernant les avions français en
provenance de Wuhan.

La séquence du virus est publiée le 11 janvier. Le 14, le premier message


d’urgence aux professionnels de santé libéraux et le premier message d’alerte rapide
aux établissements de santé sont diffusés pour préciser la conduite à tenir et la
définition des cas.

Le 17 janvier, le centre européen de prévention et de contrôle des maladies


estime qu’il n’y a « pas de notion de transmission interhumaine » et évalue à
« faible » le risque d’importation dans l’Union européenne faible. Le 21 janvier,
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alors que 282 cas sont recensés en Chine, et qu’un cas probable est en cours
d’exploration en France, la ministre donne sa première conférence de presse. Le
cabinet du Premier ministre en est informé par le cabinet de la ministre de la santé.
Le ministère de la santé demande à la DGS un point sur les stocks stratégiques et
décide l’organisation d’une conférence de presse quotidienne.

Le 22 janvier, bien que l’OMS ne déclare pas l’urgence de santé publique


de portée internationale, la ministre active le niveau 2 du centre opérationnel de
régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (CORRUSS). Le
24 janvier, 3 cas sont détectés en France et la ministre en informe le Président de la
République et le Premier ministre. Le tracing et l’isolement des contacts de ces trois
patients sont organisés, de même que l’organisation de réunions à Matignon, des
services et cabinet le samedi 25 janvier et des ministres le dimanche 26 janvier.

Le 26 janvier, Santé publique France remet à la ministre une note dans


laquelle l’agence estime que le scénario le plus probable est celui d’une
pandémie touchant le territoire français avec impacts sanitaires et sociétaux
significatifs. Le 27 janvier, le ministère de la santé active son centre de crise. Le
28 janvier, une première commande de masque est lancée. Le 30 janvier, l’OMS
déclare l’urgence de santé publique de portée internationale.

Cette réactivité est à souligner, et ce d’autant plus que les informations en


provenance de Chine pouvaient être sujettes à caution (1).

Il apparaît toutefois que, malgré ces alertes et cette vigilance, les décisions
se sont, elles, échelonnées au long du mois de février. Du retard a été pris, qui
a joué sur la cinétique de propagation de l’épidémie.

Pourtant, les autorités françaises avaient sous les yeux la situation italienne.
Alors que le pays connaît une vague épidémique qui précède celle de la France de
10 à 12 jours, les premières mesures de confinement y sont instaurées dans une
dizaine de villes dès le 21 février, quand la France ne sera confinée que le 17 mars,
soit 24 jours plus tard (2). Pendant que l’Italie se confine, le salon de l’agriculture,

(1) M. Jean-François Delfraissy, audition par la mission : « Moi-même, j’ai réagi relativement tard, autour du
20 février. Quatre éléments m’ont alors alerté. Tout d’abord, lors de la réunion à l’OMS à Genève, à laquelle
j’assistais en ma qualité de président du Comité consultatif national d’éthique, j’ai été frappé de constater
que les Chinois ne répondaient à aucune question de façon sérieuse, alors que soixante experts mondiaux des
situations de crise étaient rassemblés […]. Effectivement, il existe une pénurie de médicaments destinés aux
malades atteints du Covid en réanimation, des patients atteints de pathologies lourdes nécessitant des
semaines de ventilation, caractéristiques particulières que les Chinois ne nous ont pas décrites à l’OMS ».
Mme Agnès Buzyn, audition par la mission : « Il nous a paru étonnant que cet homme [le premier malade sur
le territoire français], qui avait passé deux jours seulement dans une ville de 12 millions d’habitants où on
dénombrait cinquante cas de pneumonie, ait attrapé cette maladie, alors même qu’il ne s’était pas rendu sur
le marché où elle était née. À ce moment-là, mon inquiétude est montée d’un cran. Le lendemain, le 25 janvier,
j’ai compris que le discours des autorités chinoises n’était pas cohérent et j’ai mis en branle tout le système
sanitaire français ».
M. Jérôme Salomon, audition par la mission : « Nous avancions sur la base des informations chinoises selon
lesquelles l’épidémie ne sortirait pas de Chine ».
(2) Des premières mesures restrictives sont, localement, mises en œuvre autour des premiers clusters, notamment
dans l’Oise, à la fin du mois de février et au début du mois de mars.
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qui accueillera jusqu’au 1er mars 483 000 visiteurs et 1050 exposants, est maintenu.
Fin février, la France a pourtant déjà enregistré plusieurs clusters (1), qui, certes, ont
été maîtrisés.

Participe de ce constat le retard dans les commandes massives de masques


(Cf Première partie) ou encore la mise à disposition de tests en nombre qui ne suit
pas : pendant les premières semaines de la crise le nombre de test qu’il est possible
d’effectuer reste très limité (cf. III ci-dessous).

Enfin, c’est dans l’urgence le 16 mars que le confinement est annoncé, alors
que la situation semble avoir basculé dès le 6 mars, date de déclenchement du plan
blanc permettant la déprogrammation des interventions non-urgentes dans les
hôpitaux.

De manière générale, tout au long des premières semaines de la crise


sanitaire, les Français ont assisté à une succession précipitée de décisions prises au
pied du mur, alors qu’elles étaient indispensables.

B. UNE GESTION TROP LONGTEMPS INSUFFISAMMENT


INTERMINISTÉRIELLE

1. Une gestion assurée par le ministère en charge de la santé et de ce fait


principalement abordée sous le prisme sanitaire

Pendant près de deux mois, le pilotage de la gestion de crise repose


exclusivement sur le ministère de la santé. À l’issue de la réunion
interministérielle tenue le 26 janvier, en présence des ministres de l’économie et des
finances, des armées, de la santé, du secrétaire d’État aux transports et du directeur
de cabinet du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, il est en effet décidé
que la conduite en interministériel de la crise lui serait confiée.

Aussi, le centre de crise sanitaire (CSS) du ministère de la santé, qui est


activé le lendemain, le 27 janvier, trois jours après l’identification d’un
premier patient contaminé en France, demeure, jusqu’au 17 mars, la seule
instance de coordination. Le 10 mars, une note du DGS précise encore que « le
pilotage interministériel de la crise liée au nouveau coronavirus Covid-19 a été
confié au ministère des solidarités et de la santé » et identifie les missions de la
direction de crise, structurée autour de trois axes : la définition de la stratégie, la
réponse institutionnelle et la réponse sanitaire. Le CCS est également chargé de
définir la stratégie de communication et d’élaborer les outils nécessaires à sa mise
en œuvre.

À l’appui de cette organisation, le caractère prépondérant de la dimension


sanitaire de la situation dans les premières semaines est avancé. Pour Mme Claire

(1) Le 8 février, 5 ressortissants britanniques sont diagnostiqués positifs aux Contamines-Montjoie ; le


27 février, 20 cas positifs sont identifiés, notamment à Creil (Oise).
— 86 —

Landais, alors SGDSN, cette décision apparaît la plus logique comme elle l’a
indiqué lors de son audition.

Le caractère interministériel de la crise était pourtant manifeste très


tôt et a bien dû être pris en compte, comme en témoignent les nombreuses
réunions interministérielles organisées dès la fin du mois de janvier ou
l’organisation de Conseil des ministres consacré à cette seule question (1). Si une
taskforce, animée par un préfet, et dans laquelle sont représentés l’ensemble des
ministères est créée en février, dans le but de traduire les différentes décisions dans
les champs hors sanitaires et d’impliquer les autres acteurs non sanitaires, comme
le précise Claire Landais, elle reste placée auprès de M. Jérôme Salomon, DGS et
directeur de crise.

Le plan pandémie grippale, dans sa version de 2009, prévoit pourtant


l’activation de la cellule interministérielle de crise (CIC) en cas de pandémie, dès la
présence de cas humains isolés sur le territoire français (2) : pourquoi ne s’y est-on
pas référé ?

Cette organisation a entraîné des conséquences importantes :

– la moindre prise en compte des dimensions non-sanitaires de la crise :


avec le risque d’un « effet tunnel », le ministère de la santé n’ayant pas forcément
un recul suffisant pour apprécier l’ensemble du spectre (3) ni les moyens nécessaires
pour y apporter les réponses.

En particulier, la crise s’est avérée, dès les premières semaines, soulever de


considérables problèmes de logistique qui certes portaient sur des produits de santé
et devait impliquer Santé publique France dont l’autorité de tutelle est la DGS, mais
pour laquelle le ministère de la santé n’était sans doute pas la structure décisionnelle
ou organisationnelle la plus adaptée.

Comme l’a indiqué M. François Baroin, « Qui sont les professionnels de la


logistique en France ? C’est normalement la sécurité civile, le ministère de
l’intérieur, éventuellement associé au ministère de la défense – une partie

(1) Mme Claire Landais, SGDSN de 2018 à 2020, audition par la mission : « Dès la fin du mois de février, le
SGDSN a réuni les hauts fonctionnaires de défense adjoints. J'ai également organisé une dizaine de réunions
avec les secrétaires généraux des ministères, qui sont hauts fonctionnaires de défense en titre, pour régler
avec eux les problèmes transverses aux départements ministériels, mais qui relèvent du champ du SGDSN :
réflexion autour des plans de continuité d'activité (PCA), gestion du télétravail, questionnements autour du
droit de retrait, équipement en masques des agents des ministères, puis, plus tard, sujet de la reprise
d'activité […]. Le 21 février ont lieu les premières réunions sur le champ économique de la crise, avec les
premières réflexions sur les aides à mettre en place ».
(2) Situation dite « 3B », correspondant à la situation 3 dans la graduation de l’OMS : « Infection(s) chez
l’homme due(s) à un nouveau sous-type, mais pas de transmission interhumaine, ou tout au plus quelques
rares cas de transmission à un contact proche »..
(3) M. Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, audition par la
mission : « En gestion de crise, on parle de l’« effet tunnel » pour décrire le phénomène psychologique qui
se manifeste : à un moment donné, on ne voit plus l’ensemble des paramètres, on s’enferre dans les
paradigmes auxquels on est habitué, on se focalise sur la recherche de la lumière, au bout du tunnel, en
occultant tout le reste ».
— 87 —

importante de la logistique s’effectue en général avec l’armée […]. Il n’a pas été
acté que c’était au ministère de l’intérieur de gérer la crise, qui est une crise de
logistique […]. Nous avons été nombreux à dire qu’il y a eu un effondrement de
l’État – aucun territoire n’a échappé à l’effondrement de la logistique. Si le
ministère de l’intérieur avait été désigné, comme cela aurait paru logique aux élus
locaux, pilote de cette partie logistique de la crise – car il s’agissait d’un problème
d’acheminement – on aurait gagné du temps » ;

– des répercussions sur la gestion de crise au niveau local : la crise


n’étant pas, au niveau central, pilotée par le ministère de l’intérieur, les préfets n’ont
pas été considérés comme des interlocuteurs naturels et la déclinaison territoriale
des plans de réponse a relevé des ARS, mal outillées pour l’assurer dans toutes ses
dimensions. Ceci a été regretté par le Président de l’Association des régions de
France, Renaud Muselier : « c’est la première fois qu’une crise est gérée par le
ministère de la santé – et non par le ministère de l’intérieur –, ce qui a privé les
préfets des éléments d’information au profit des ARS, qui ne sont pas conçues pour
faire de la gestion de crise. Tout l’appareil de l’État – préfets, sécurité, sécurité
civile – a été mis sur la touche, et le système hospitalier s’est débrouillé seul ».

2. L’activation tardive de la CIC, restée à l’écart du processus décisionnel

L’activation de la cellule interministérielle de crise n’a lieu,


formellement, que le 17 mars, soit à une date particulièrement tardive compte
tenu de l’évolution de la situation. Comme l’indique Mme Claire Landais, « c’est
à ce moment-là que les autorités politiques ont considéré que la polarisation du
sujet, même si les déterminants étaient d’abord sanitaires, avait un impact sur la
vie de la société tout entière » : alors que 67 millions de Français sont confinés, que
les écoles sont fermées, tout comme les magasins non essentiels, cette considération
apparaît, somme toute, à la fois particulièrement évidente et très anachronique…

La non-installation précoce de la CIC apparaît d’autant plus surprenante que


la circulaire du 2 janvier 2012 relative à l’organisation gouvernementale pour
la gestion des crises majeures, qui attribue au Premier ministre la direction
politique et stratégique des crises majeures, venait d’être actualisée en
juillet 2019, sous la signature de M. Édouard Philippe.

Cette circulaire a pour objet d’améliorer « l’action gouvernementale et le


bon fonctionnement de la coordination interministérielle ». Elle rappelle que la
direction politique et stratégique des crises majeures est assurée par le Premier
ministre en liaison avec le Président de la République, le ministre de l’intérieur étant
chargé de la conduite opérationnelle des crises sur le territoire et de la transposition
et de l’application au niveau déconcentré des plans gouvernementaux. Surtout, cette
circulaire précise que « la décision de constituer la CIC peut être prise dès la
survenance d’une crise ou lors de son développement. La CIC peut également être
activée en prévision d’un événement majeur en fonction des informations
recueillies sur l’ampleur ou les désordres attendus. Selon son intensité, une crise
en peut effet être qualifiée de majeure dès son apparition ou pendant son
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développement. L’État doit être en mesure d’anticiper cette évolution et de se


préparer à la montée en puissance progressive de son dispositif de réponse ».

Il y est ajouté que la dimension interministérielle doit être anticipée dès les
premiers développements d’une crise et que la CIC doit être activée
suffisamment en amont, dès lors que l’extension de la crise à plusieurs secteurs
est envisagée, afin de pouvoir monter en puissance et exercer au mieux la capacité
d’anticipation (1).

Sa non-activation avant le 17 mars le cadre de la crise de la covid-19


s’explique difficilement, et est d’autant plus regrettable que M. Louis Gautier,
ancien SGDSN (2014-2018) l’indiquait en connaissance de cause, « plus tôt on
forme une cellule interministérielle de crise, mieux on mobilise les responsables
ministériels, mieux on fait remonter les informations du terrain, des préfets, des
agences régionales de santé (ARS), des recteurs […]. Cet outil est mieux à même
de s’adapter aux crises complexes, car plus une crise est complexe, plus
l’information vient de sources diverses, plus il est facile de se tromper […]. Qui
plus est, la cellule interministérielle de crise peut être activée et désactivée en tant
que de besoin » (2). M. Didier Houssin, ancien DGS, l’a confirmé : « alors que
l’unité d’action reste une règle de la gestion de crise, il a fallu attendre de longues
semaines pour qu’un centre interministériel de crise unique gère la situation liée
au covid-19. Une préparation plus active et la répétition d’exercices dans les
années précédentes auraient peut-être permis d’éviter cela »,

Des précédents existent pourtant, le ministère de l’intérieur ayant été le


pilote de la crise H1N1. La nouvelle direction de planification de sécurité nationale
(DPSN) en assurait le secrétariat et organisait les travaux de la cellule
interministérielle de crise (CIC), activée de manière précoce, soit cinq jours après
la déclaration par l’OMS de l’urgence de santé publique de portée internationale (3).

La CIC, une fois installée sous l’autorité du Premier ministre et, en


particulier, de son directeur de cabinet M. Benoît Ribadeau-Dumas, quoique placée
au ministère de l’Intérieur et armée par des agents de la direction générale de la
sécurité civile et de la gestion de crise, a eu une activité dense et mené, sur la période
de crise, quatre réunions quotidiennes. Elle a pourtant semblé peiner à assurer
véritablement le caractère interministériel qui lui incombait.

(1) La circulaire précise que « la crise devient majeure lorsqu’elle affecte plusieurs secteurs ministériels et
impose en conséquence une réponse globale de l’État. L’intensité d’une crise est évaluée à l’aune des critères
suivants :
- ses conséquences sur l’intégrité physique et la sécurité de la population ;
- sa dimension politique et médiatique ;
- l’atteinte qu’elle porte aux intérêts vitaux de la nation ;
- ses conséquences sociales, économiques et environnementales ;
- son ampleur territoriale voire internationale.
Plusieurs de ces critères ont été remplis bien avant l’installation de la CIC.
(2) M. Louis Gautier, SGDSN de 2014 à 2018, audition par le Sénat.
(3) Le 25 avril 2009, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare l’urgence de santé publique de portée
internationale après l’apparition au Mexique, en mars 2009, d’un virus de souche H1N1.
— 89 —

En effet, à sa création, elle ne supplante pas le centre de crise sanitaire


du ministère de la santé (CCS) qui continue à exister de manière parallèle. Qui
plus est, « il a été fait le choix de placer le CCS sur le même plan que la CIC et non
sous sa coordination » , en raison de la nature principalement sanitaire de la crise.
En conséquence, la CIC a été principalement perçue comme la cellule de crise
du ministère de l’intérieur et mise dans l’incapacité de rendre des arbitrages par
l’absence du ministère de la santé à ses réunions ou l’envoi de profils « junior » (1).

Les échanges d’information entre les deux structures ont été complexes, et
ont eu lieu principalement au travers de la réunion de synthèse quotidienne menée
par le directeur de cabinet du Premier ministre, ceci ne pouvant suffire à assurer une
communication fluide.

Ces dysfonctionnements apparaissent de manière très nette dans la lettre de


mission adressée au Préfet Denis Robin par le Premier ministre Édouard Philippe,
lui confiant la responsabilité de la direction d’une nouvelle instance, le centre
interministériel de crise, qui se substitue à la CIC à partir de la fin du mois de mai.
Cette lettre précise que le Premier ministre « souhaite que cette nouvelle phase soit
accompagnée par une réorganisation du pilotage de la crise permettant d’en
unifier la conduite et de l’inscrire sur la durée. En effet, l’organisation actuelle
repose sur la mobilisation quasi-permanente de mon directeur de cabinet et de celui
du ministre de l’intérieur qui doivent, tout en continuant à rendre très régulièrement
les arbitrages nécessaires, pouvoir déléguer la conduite quotidienne de la crise à
une personnalité qualifiée, expérimentée et dotée d’une légitimité interministérielle
lui permettant de prendre les décisions relevant de ce niveau de conduite.
L’organisation actuelle fait de l’instance dite CIC-synthèse le seul lieu de la
coordination entre le champ santé et les autres champs. Enfin, la CIC n’est que
partiellement interministérielle et ne comporte aucune dimension inter-
institutionnelle ».

Une plus grande intégration entre le ministère de la santé et le ministère de


l’intérieur était recherchée, l’instance nouvelle devant devenir l’unique coordinateur
de la réponse de l’État à la crise, intégrant les cellules des ministères de l’intérieur
et de la santé et associant systématiquement les préfets et les directeurs généraux
des ARS.

(1) Rapport de la mission relative au contrôle qualité de la gestion de crise sanitaire, par M. Richard Lizurey,
général d’armée (2s) rappelé à l’activité, juin 2020.
— 90 —

SCHÉMA D’ORGANISATION GOUVERNEMENTALE DE CONDUITE DE CRISE DU 17 MARS AU


20 MAI 2020

Source : Rapport de la mission relative au contrôle qualité de la gestion de crise sanitaire, par M. Richard Lizurey, général
d’armée (2s) rappelé à l’activité, juin 2020.

C. L’ABSENCE DE PILOTAGE UNIFIÉ A ÉTÉ SOURCE DE CONFUSION

1. La multiplication des instances décisionnelles et consultatives

À la dualité CCS/CIC s’est ajoutée la multiplication des instances


consultatives et décisionnelles, entraînant une grande confusion et, pour les acteurs
de terrain, des difficultés à identifier le « pilote ».

Ainsi, dès le début de la crise, la nécessité pour le Gouvernement de


s’entourer d’une expertise scientifique et médicale est apparue nettement. Toutefois,
alors qu’il aurait pu s’appuyer sur des instances existantes, reconnues comme
indépendantes et qualifiées, comme le Haut conseil de la santé publique qui
compte, parmi ses missions, celle de fournir aux pouvoirs publics, en lien avec les
agences sanitaires, l’expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires ou la
Haute autorité de santé (1), le Gouvernement a fait le choix de les doubler par des

(1) Créée par la loi du 13 août 2004 relative à l’Assurance maladie, la Haute Autorité de la Santé (HAS) est une
autorité indépendante à caractère scientifique, dont la principale vocation est d’assurer la qualité et la
pérennité du système de santé.
— 91 —

organes créés ex nihilo, dont la légitimité a pu être discutée s’agissant


notamment de leur composition (1).

Le Conseil scientifique est ainsi institué à partir du 11 mars et reconnu par


la loi du 23 mars 2020. Composé de 11 membres, il a pour mission d « éclairer la
décision publique dans la gestion de la situation sanitaire liée au coronavirus ». Il
a produit vingt avis et six notes dont l’accès est public, dont le premier au lendemain
de sa nomination, alertant l’État sur le risque sanitaire en préalable à la décision de
fermeture des écoles puis de confinement.

Les avis du conseil scientifique ont été une tentative d’asseoir la légitimité
de la décision publique en en publiant les éléments scientifiques qui l’ont éclairée.
Le Gouvernement a pu, parfois, donner l’impression de s’appuyer sur le Conseil
scientifique pour justifier des décisions de nature politique, comme l’illustre la
présence de son président, M. Delfraissy, au côté du Premier ministre lors de
l’annonce du maintien du premier tour des élections municipales le 15 mars 2020,
deux jours avant l’entrée en vigueur du confinement. L’avis du conseil scientifique
du 12 mars précise cependant que « cette décision, éminemment politique, ne
pouvait lui incomber » et que « si les élections se tenaient, elles devaient être
organisées dans des conditions sanitaires appropriées ».

Les multiplications des prises de parole ont pu aussi avoir un effet inverse
et contribuer à une certaine décrédibilisation de celle-ci, alors qu’ont émergé, en
parallèle, et en nombre considérable des figures médicales médiatiques. Comme l’a
indiqué l’ancien Premier ministre Édouard Philippe lors de son audition, « nous ne
sommes pas parvenus, dans cette crise sanitaire, à avoir un débat public ordonné
sur les questions médicales et scientifiques. J’ignore comment il faut faire pour
corriger cela, mais je suis profondément convaincu que ce climat d’invectives et de
critiques violentes et permanentes, sur des questions si complexes et si incertaines
qu’elles méritent probablement un peu de mise en perspective, a considérablement
nui à la façon dont nos concitoyens ont appréhendé la part du combat qui dépendait
de nous […]. Cette question en soulève une autre, relative à notre organisation
administrative : comment organiser une parole médicale légitime ? ».

Le 24 mars est également créé le Comité analyse, recherche et expertise


(CARE) Covid-19, composé de douze chercheurs et médecins, présidé par
Mme Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine. Ce comité est
principalement destiné à faire des recommandations sur des aspects de science
fondamentale ainsi que sur des essais cliniques et thérapeutiques. Si un seul avis est
publié sur le site du ministère de la santé, il aurait rédigé plusieurs avis sur des
projets de recherche ainsi que des notes stratégiques.

(1) M. Patrick Bouet, président du conseil national de l’ordre des médecins, audition par la mission : « Dès sa
création, j’ai demandé au ministre pourquoi le conseil scientifique ne comptait aucun candide. Je comprenais
que l’État ait besoin d’un éclairage scientifique, mais il était clair que les problèmes qui allaient se poser
déborderaient le cadre scientifique : il faudrait aussi mettre en œuvre des décisions. Dans une conférence de
consensus, il y a des candides, et nous pensions qu’il devait y en avoir aussi au sein du conseil scientifique :
à la fois des usagers de santé et des professionnels. Lorsque j’ai proposé que l’ordre des médecins y soit
représenté, on m’a répondu qu’il n’y avait pas sa place et qu’il s’agissait d’un cénacle de scientifiques ».
— 92 —

En parallèle, des instances plus politiques de réflexion stratégique ont


également été conçues, au premier chef desquelles la mission de préfiguration du
déconfinement confiée à M. Jean Castex et directement rattachée au Premier
ministre, à partir du 2 avril. En outre, les cellules de crise ministérielles, notamment
celle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères consacrée au lien avec les
Français de l’étranger, ont été maintenues, et une cellule interministérielle
complémentaire sur le sujet de la logistique des moyens sanitaires a été instituée (cf.
infra).

Enfin, si la CIC assure la gestion opérationnelle de la crise et prépare les


arbitrages, c’est en Conseil de défense et de sécurité nationale, sous l’autorité du
Président de la République, que sont prises les principales décisions. Selon le
rapport du Général Lizurey, cette instance, qui entraîne un formalisme lourd et subit
une forte pression médiatique a, toutefois, « parfois privilégié l’information au
détriment de [son] rôle de décision », ce qui s’est avéré très chronophage. De plus,
le rapport précise que « certains acteurs ont pu exercer indistinctement plusieurs
niveaux de responsabilité, mélangeant notamment rôle stratégique et conduite
opérationnelle. Cela soulève le risque que la conduite ait parfois pris le pas sur la
stratégie pour les acteurs en charge de cette dernière, et que le niveau responsable
de la conduite se soit trouvé en partie déresponsabilisé ».

De manière générale, cette multiplication des structures, éphémères, alors


que des instances permanentes auraient pu en assumer les missions, a brouillé la
gestion de crise et engendré des complexités dans le partage de l’information
regrettables.

2. La difficulté d’identifier un pilote unique

Pour les acteurs de terrain, cette situation a rendu impossible l’identification


du « pilote » ou, à tout le moins, de l’interlocuteur compétent pour répondre à leurs
questions ou faire remonter leurs difficultés, ceci étant renforcé par le caractère
mouvant des organigrammes eu égard à la rotation des personnels (contaminés par
la covid-19 ou rappelés pour nécessité de service dans leur administration
d’origine).

Cela a contribué à donner l’image d’une gestion de crise hors-sol, trop


éloignée des réalités et des besoins exprimés sur le terrain, les échanges étant
complexes et, de fait, rares.

Ainsi l’indiquait M. Philippe Besset, président de la Fédération des


syndicats pharmaceutiques de France, « les acteurs de terrain doivent savoir qui
sont les responsables de la gestion de crise », ce que confirmait M. Gilles
Bonnefond, président de l’Union syndicale des pharmaciens d’officine : « un autre
problème a été la coordination entre les organes de décision et les opérateurs que
nous étions : nous n’avons jamais su à qui nous adresser pour obtenir des
modifications dans la gestion du système. Était-ce à Chorus, à Santé publique
France, aux différentes cellules de crise, à la direction générale de l’offre de soins
— 93 —

(DGOS), à la direction générale de la santé (DGS), au cabinet du ministre de la


santé ou à celui du Premier ministre ? J’ai fini par interpeller le Président de la
République à la télévision pour demander des réponses […]. Il a fallu que nous
envoyions à Olivier Véran une lettre ouverte commune pour avoir enfin, au milieu
de la crise, une ou deux réunions téléphoniques avec la cellule de crise ; ensuite, la
communication a cessé à nouveau. Il faut dire qu’elle était d’autant plus difficile
que les interlocuteurs changeaient : au bout de vingt jours ils étaient épuisés,
passaient à d’autres dossiers et étaient remplacés, ce qui fait que nous n’arrivions
jamais à avoir un véritable suivi et des contacts réguliers ».

Dans un point de situation daté du 30 mars, le Général Lizurey


recommandait ainsi, notamment, de « clarifier l’organisation de la CIC afin de
préciser les points de contacts dans les différents domaines thématiques » en
précisant que c’était « URGENT ».

D. LE RISQUE DE PARALYSIE DE L’ACTION PUBLIQUE PAR LA


JUDICIARISATION

1. Le cadre général de la responsabilité des élus en cas d’infraction non


intentionnelle

Si le premier alinéa de l’article 121-3 du code pénal dispose qu’il n’y a pas
de crime ou de délit sans intention de le commettre, les troisième et quatrième
alinéas de ce même article distinguent néanmoins deux régimes d’engagement de
la responsabilité d’un élu pour une infraction non intentionnelle, selon que la
faute commise soit directe ou indirecte.

● En application du troisième alinéa, il y a délit, lorsque la loi le prévoit, en


cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation
de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

La loi du 13 mai 1996 (1) est venue encadrer l’appréciation de cette faute
directe en précisant qu’il doit être établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les
diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de
ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il
disposait.

● Le quatrième alinéa a été introduit par la loi « Fauchon » du 10 juillet


(2)
2000 . Il vise les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le
dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la
réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de
l’éviter.

(1) Loi n° 96-393 du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d’imprudence ou de
négligence.
(2) Loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.
— 94 —

L’appréciation de cette faute indirecte est elle aussi encadrée. Ces personnes
ne sont responsables pénalement que s’il est établi qu’elles ont :

– soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de


prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ;

– soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une
particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

Dans un rapport de 2019, l’Observatoire de la société mutuelle d’assurance


des collectivités locales estime pour les années 2014 à 2020 à 1 634 le nombre de
poursuites d’élus locaux, en hausse de 28 % par rapport au mandat 2008-2014, et à
672 le nombre de condamnations. 2,63 % de ces poursuites concernent des faits
involontaires. Pour M. Luc Brunet, responsable de l’Observatoire,
31 condamnations ont été comptabilisées depuis 2000 pour homicides et violences
involontaires (1).

2. Une première étape, nécessaire, a été franchie par la loi du 11 mai 2020

La préparation du déconfinement a placé les maires en première ligne, et ce


afin d’organiser notamment la réouverture des écoles.

Pour leur donner les marges de manœuvre nécessaires pour agir malgré le
contexte sanitaire incertain et propre à l’épidémie de Covid-19, la discussion
parlementaire de la loi du 11 mai 2020 (2) a abordé la question de leur responsabilité,
ainsi que celles des chefs d’établissements, en cas de faute non intentionnelle
pouvant être commise dans le cadre du processus de déconfinement et pouvant
conduire, notamment, à des contaminations.

L’Assemblée nationale et le Sénat se sont accordés sur une disposition (3)


permettant au juge d’apprécier la manière dont il doit être fait application de
l’article 121-3 du code pénal dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire.

Le président Richard Ferrand explique, dans le rapport d’étape de la mission


d’information en date du 3 juin 2020, la portée du nouvel article L. 3136-2 du code
de la santé publique que : « Pour répondre à la question de la responsabilité
juridique des exécutifs locaux et des chefs d’établissement, le Parlement a adopté,
dans le cadre de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire,
une disposition prévoyant que l’engagement de la responsabilité pénale au titre de
l’article L. 121-3 du code pénal devait tenir compte des compétences, du pouvoir
et des moyens dont les personnes disposaient dans la situation de crise ayant
justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de leurs missions ou de
leurs fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur. »

(1) Dalloz actualité, « Responsabilité pénale des élus et calinothérapie de l’État », Pierre Januel, 4 juin 2020.
(2) Loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
(3) Il s’agit de l’article L. 3136-2 introduit au sein du chapitre VI du titre III relatif aux menaces et crises
sanitaires graves du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique.
— 95 —

Cette disposition, qui a été saluée par les associations d’élus locaux (1),
constituait le préalable indispensable à la bonne organisation du déconfinement.

La réflexion plus globale qui doit s’engager, à l’aune des leçons qu’il faudra
tirer de la crise, n’a pas vocation à remettre en cause les fondements de
l’article 123-1 du code pénal : il apparaît préférable de préserver un régime de la
responsabilité non intentionnelle des élus. Celui-ci a fait preuve d’une grande
stabilité depuis vingt ans et la loi du 11 mai 2020 ne le modifie d’ailleurs pas.

Dans l’immédiat, si le nouvel article L. 3136-2 du code de la santé


publique vise notamment les autorités locales et les employeurs, cette précision
n’est pas limitative : cet article s’applique à l’ensemble des décideurs publics.

3. Les enjeux d’une réflexion globale

Ainsi l’a expliqué le Premier ministre Édouard Philippe lors de son audition
par la mission : « comment gérer une crise sanitaire, avec des échelons de décision
très dispersés, quand le risque pénal est immédiat ? Si vous voulez que les échelons
administratifs ou politiques soient moins réactifs, associez à chaque élément de
décision ou à chaque jour passé un risque pénal. Ainsi, entre le moment la décision
a été prise d’intégrer les laboratoires vétérinaires dans le circuit des tests et celui
où cela s’est effectivement fait, il s’est passé du temps, parce que, en matière
sanitaire, quand, pour aller plus vite, vous voulez passer outre une norme écrite,
qui a été définie dans le but de protéger les gens, vous vous exposez
immanquablement à un risque pénal ».

M. Christophe Castaner l’a confirmé lors de son audition par la mission :


« le risque pénal peut générer de l’inhibition. Au niveau du Président de la
République comme du Premier ministre je n’ai jamais vu ce risque d’inhibition
empêcher une décision – même avec le risque que cette décision ne soit pas la
bonne. C’est le propre de la nature des décisions politiques que nous devons
prendre […]. En revanche, je pense qu’il peut y avoir une forme d’hésitation, de
blocage ou d’inhibition notamment dans nos administrations, qui sont très souvent
poursuivies aussi, ce qu’il ne faut pas négliger. Je suis d’ailleurs descendu, et je
l’assume, à un niveau d’instruction écrite que nous n’aurions pas forcément eu en
d’autres temps, pour protéger l’administration et peut-être aussi parce que je
sentais qu’elle en avait besoin pour bien exécuter les orientations du ministre ».

En témoignent, notamment, les perquisitions et les informations judiciaires


ouvertes par le Parquet de Paris, contre X des chefs d’abstention volontaire de
combattre un sinistre et les plaintes reçues par la CJR visant spécifiquement certains
membres du Gouvernement.

Le temps de la gestion de crise et le temps de la justice ne doivent pas


être confondus.

(1) Auditions des 13 mai et 28 octobre 2020.


— 96 —

S’il est, évidemment, nécessaire de faire la lumière sur la gestion de la crise


par le Gouvernement ou l’administration, sans les exempter de leur responsabilité,
ceci ne saurait intervenir au plein cœur de la crise sanitaire qu’ils ont encore à gérer
et sur laquelle leurs ressources doivent pouvoir être entièrement mobilisées, ni
conduire à annihiler toute capacité de décision.

E. DES EXEMPLES ETRANGERS DE GESTION DE CRISE

1. L’anticipation des pays asiatiques : facteur clé de la réussite de la


réponse

Les pays d’Asie ont, pour certains, pu apporter une réponse efficace
dans la lutte contre la propagation de l’épidémie, en raison de leur préparation
à une crise de cette nature, héritée notamment des retours d’expérience de
l’épidémie de SRAS de 2002-2003.

Ainsi, plusieurs États ont donné l’alerte avant même qu’un premier cas
ne soit détecté sur leur sol, et ont pris des mesures restrictives de manière
particulièrement précoce. Dès le 4 janvier, Hong-Kong déclenche l’alerte
sanitaire, alors que le premier cas ne sera identifié sur le territoire que le 23 janvier.
Deux jours plus tard, le 25 janvier, l’alerte maximale est déclenchée et les écoles
fermées. Singapour met en place un contrôle aux aéroports dès le 2 janvier, par le
contrôle de la température, alors que le premier cas ne sera détecté que 3 semaines
plus tard. En Corée, des mesures de dépistage et de quarantaine sont imposées à
toute personne arrivant de Wuhan à partir du 3 janvier. À Taïwan, la présidente fixe
un plan d’action dès le 31 décembre 2019 ; le Gouvernement reconnait la covid-19
comme une maladie infectieuse transmissible le 15 janvier, soit 5 jours avant la
Chine, ce qui permet d’appliquer des mesures d’isolement et de traçage des
individus (1).

Ces États ont également pour caractéristique d’avoir des institutions


spécialisées et une planification fine, qui ont permis d’apporter une réponse
efficace à la crise sanitaire : en Corée du Sud, l’organisation repose sur le centre
coréen de contrôle et de prévention des maladies (KCDC), créé en 2004 à la suite
de la crise du SRAS, et dont les pouvoirs ont été accrus et en 2015 à la suite de
l’épisode de MERS. Affilié au ministère de la santé, il jouit cependant d’une
certaine indépendance compte-tenu de son expertise, et a notamment pu imposer
ses recommandations au ministère des affaires étrangères s’agissant de la gestion
des frontières (2). La planification est également élaborée : la loi sur le contrôle et la
prévention des maladies infectieuses de 2010, révisée en 2015, prévoit l’élaboration
d’un plan de prévention et de contrôle des maladies infectieuses par le ministère de
la santé tous les cinq ans, qui doit fixer la répartition des responsabilités, les mesures
de contrôle, etc. Un bureau du ministère de l’intérieur est, par ailleurs, consacré à la

(1) Institut Montaigne, l’Asie orientale face à la pandémie, avril 2020.


(2) Audition de M. M. Jong-Moon Choi, ambassadeur de Corée du Sud en France, par le Sénat.
— 97 —

coordination avec le ministère de la santé en cas de crise sanitaire : le bureau des


crises sanitaires. De surcroît, les 17 provinces ou métropoles sont également
chargées de définir un plan de gestion de crise ainsi qu’un plan spécifique de
prévention des maladies infectieuses (1). Cet ensemble constitue l’un des points-clés
de la réponse de la Corée du Sud, comme l’indique l’ambassadeur de France,
M. Philippe Lefort : un des atouts, « c’est l’existence d’une véritable structure
d’état-major prépositionnée, montée en puissance au moment de la crise, avec un
plan d’escalade préétabli. De façon générale, la gestion d’une crise se passe
toujours à peu près de la même façon, et le modèle est foncièrement militaire : cela
repose d’abord sur le renseignement et l’information, ensuite sur l’analyse, puis
sur le commandement, et, enfin, sur l’échelle d’exécution » (2).

À Taïwan, le traumatisme de l’expérience du SRAS a dicté la réponse à la


crise. Comme l’indique le représentant de Taïwan en France, M. François Chih-
Chung Wu, « nous avons su tirer les leçons du passé. Taïwan a été l’un des pays
les plus touchés par l’épidémie de SRAS en 2003. À l’époque, 346 personnes ont été
infectées et 81 sont décédées, soit un taux de plus de 20 % de létalité. Par manque
de coordination entre le gouvernement central et local, un hôpital municipal de
Taïpei a été confiné, causant la mort de 7 professionnels et des suicides. Des images
apocalyptiques de personnes confinées voulant forcer la ligne de confinement et la
directrice municipale de la santé portant une combinaison spatiale pour rentrer à
l’hôpital ont traumatisé la population de Taïwan » (3). Le Centre de commandement
central des épidémies (CECC), créé à la suite de cette épidémie, est activé le 20
janvier. Cette structure temporaire est dotée d’un pouvoir exécutif et dispose d’une
capacité de réponse rapide : sous la responsabilité du ministre de la santé, elle
dispose de toutes les ressources de l’exécutif, y compris du recours à l’armée si
nécessaire. Son fonctionnement en trois piliers est directement inspiré du monde
militaire : le renseignement, pour disposer d’informations précises ; le combat, qui
recouvre notamment les mesures restrictives ; la logistique, qui recouvre
l’équipement médical, mais également l’administration, les affaires juridiques ou la
communication. Par ailleurs, le Centre de contrôle des maladies a joué un grand
rôle, dans la formulation des politiques de contrôle des maladies infectieuses, dans
la collecte d’information en temps réel, notamment sur la propagation de
l’épidémie, et dans la mise en œuvre des mesures de contrôle (4).

Ces pays, en outre, avaient des stocks stratégiques de matériel


importants et des stratégies préétablies de stockage, d’approvisionnement, de
production d’urgence et de distribution de matériel pour faire face à une crise
de grande ampleur. Si des tensions sur les approvisionnements ont pu être notées,
ils ont pris très tôt des mesures pour sécuriser la production, notamment en prenant
le contrôle des filières nationales de production.

(1) Benchmark international sur la gestion de la crise du COVID-19, Ernst&Young, juillet 2020.
(2) Audition par le Sénat.
(3) Audition par le Sénat.
(4) Institut Montaigne, L’action publique face à la crise du Covid-19, juin 2020.
— 98 —

2. La gouvernance de la crise en Allemagne : le fédéralisme et son


adaptabilité ont permis une organisation générale efficace des pouvoirs
publics

L’organisation de la gestion de crise en Allemagne a paru garantir un


équilibre entre la centralisation nécessaire des décisions au niveau du gouvernement
fédéral et les marges de manœuvre laissées aux Länder, traditionnellement
compétents en matière de santé pour l’organisation de l’offre de soin, la gestion des
crises sanitaires ou encore les politiques de prévention. L’interministérialité a été
organisée, la parole scientifique canalisée au sein d’un organe reconnu comme
légitime, et les compétences propres du secteur privé, notamment en matière
logistique pleinement exploitées.

Ainsi, l’organisation de la gestion de la crise en Allemagne a reposé sur la


loi sur la protection contre les infections (Infektionsschutzgesetzt) qui est en vigueur
depuis le 1er janvier 2001. Cette loi est principalement mise en œuvre par les seize
Länder qui sont compétents pour instaurer les mesures de mise en quarantaine, de
couvre-feu et d’état d’urgence en cas de menace épidémique.

Comme l’indique l’ambassade de France en Allemagne dans ses réponses


écrites, le gouvernement fédéral allemand ne dispose initialement pas de tous les
outils de supervision utiles pour une gestion de crise sanitaire, notamment pour ce
qui concerne les tensions d’approvisionnement de médicaments, le taux
d’occupation des lits de soins intensifs (qu’il ne supervisera qu’à partir du 17 avril)
ou les stocks de matériels de protection, dont les masques, gérés aux niveaux
régional et local.

Pour pallier ces difficultés, l’Allemagne a instauré des mécanismes de


coordination entre l’État fédéral et les Länder. Ainsi, au début de la crise, le
Gouvernement fédéral et les Länder se sont accordés sur les mesures de
distanciation sociale à adopter, par ordonnances et dans chaque Land, pour faire
face à l’épidémie. Seuls les Länder de Bavière, de Berlin, de Sarre et de Saxe ont
instaurés des mesures de couvre-feu. Ceci n’exclut pas toutefois quelques
désaccords, s’agissant par exemple du port obligatoire du masque ou du calendrier
du déconfinement.

En outre, dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, la loi sur la protection


contre les infections a été modifiée, le 25 mars, dans le but de permettre au
Bundestag de déclarer « l’état d’épidémie d’importance nationale » (epidemische
Lage von nationaler Tragweite). Du fait du caractère national de l’épidémie, la loi
a autorisé le ministre fédéral de la santé à prendre des mesures, par voie
réglementaire, concernant l’organisation du système de santé. Le pays a, également,
adopté des ordonnances renforçant les compétences de l’État fédéral, notamment du
ministère fédéral de la santé, en cas de situation épidémique d’ampleur nationale
(contrôle des voyages transfrontaliers, introduction d’obligations de déclaration
pour le transport par rail et par bus, obligations de déclaration et de tests, mesures
visant à assurer l’approvisionnement de base en médicaments, etc.).
— 99 —

Comme l’explique une note de l’Institut Montaigne (1), le caractère national


de cette crise a conduit à renforcer la compétence de l’échelon fédéral au sein d’un
système de santé qui accord généralement une place prépondérante aux Länder.
Tout au long de la crise, la chancelière Angela Merkel a néanmoins souhaité mettre
en avant sa proximité et sa relation constante avec les Ministre-Présidents des
Länder ainsi que la cohésion et l’opérationnalité de son gouvernement. Ainsi, une
interministérialité a été mise en place, notamment par la réunion des principaux
ministres concernés par la crise (santé, intérieur, affaires étrangères, économie et
finances et défense) chaque semaine auprès de la chancelière, en amont du Conseil
des ministres (le Corona-Kabinett).

Durant cette période, l’Institut Robert Koch, l’établissement fédéral fondé


en 1891 en charge du contrôle et de la lutte contre les maladies, a joué un rôle majeur
en matière d’action et de veille. Son action se positionne au croisement des missions
de l’Institut Pasteur et de Santé Publique France dans notre pays. Il a, notamment,
assuré le suivi centralisé des données épidémiologiques et la publication des
recommandations scientifiques.

S’agissant de la logistique, alors que l’État, en France, réquisitionnait les


masques des stocks privés des entreprises et centralisait l’ensemble des commandes
entre le 3 mars et le 20 mars, l’Allemagne a fait le choix de demander à ses grandes
entreprises importatrices de mettre leur force de frappe au profit de la logistique de
crise, pour acheminer des masques vers le territoire allemand. Ont ainsi contribué
les entreprises BASF, Volkswagen ou Lufthansa, pour l’acheminement de plusieurs
centaines de millions de masques.

II. LA NÉCESSITÉ DE TERRITORIALISER LES DISPOSITIFS DE GESTION DES


CRISES SANITAIRES

A. LA GESTION DE CRISE A RÉVÉLÉ LES LIMITES INHÉRENTES AUX ARS

1. Des agences paradoxalement centralisées et déconnectées de leur


environnement territorial

Les agences régionales de santé (ARS) ont été créées, au 1er avril 2010, par
la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux
patients, à la santé et aux territoires (HPST). Elles se sont substituées à sept
organismes, dont les agences régionales de l’hospitalisation (ARH), la direction
régionale et les directions départementales de l’action sanitaire et sociale (DRASS
et DDASS) et l’union et les caisses régionales d’assurance maladie (URCAM et
CRAM).

Les ARS ont un statut administratif particulier : ce ne sont pas des services
déconcentrés de l’État mais des établissements publics administratifs qui sont
placés sous la tutelle du ministère chargé de la santé. Elles établissent avec

(1) Institut Montaigne, L’action publique face à la crise du Covid-19, juin 2020.
— 100 —

celui-ci une relation contractuelle qui se manifeste par la signature d’un contrat
pluriannuel d’objectifs et de moyens.

Comment expliquer les critiques qui sont adressées aux agences et qui
pointent le caractère centralisé de celles-ci alors qu’il s’agit pourtant d’institutions
régionales ? Comment a-t-on pu en arriver à une telle situation pour qu’une
personne auditionnée déclare que « les ARS sont hors sol, n’écoutent pas ce qui se
passe sur le terrain, ne savent pas, ne veulent pas entendre » (1) ?

Le paradoxe d’agences n’ayant un caractère régional que dans leur titre était
pourtant assumé dès la préfiguration de ces agences : le préfet honoraire Philippe
Ritter indiquait, dans son rapport sur la création des ARS, remis en janvier 2008,
que celles-ci permettraient la mise en place d’un « pilotage unifié et responsabilisé
du système territorial de santé ».

L’écart dénoncé entre les ARS et les acteurs d’un territoire de santé a
certainement été accentué par la réduction, le 1er janvier 2016, du nombre d’ARS
– de vingt-six à dix-sept puis à dix-huit (2) – consécutive au redécoupage des
régions métropolitaines opéré par la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à
la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant
le calendrier électoral dont les conséquences non anticipées continuent, cinq ans
plus tard, de produire des effets négatifs.

Lors de son audition par la mission d’information le 1er juillet 2020,


Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports au
moment de porter la loi HPST en 2008, a déclaré « regretter que la désastreuse
réforme territoriale de 2015, de réduction du nombre des régions (…) ait porté un
coup fatal [aux ARS], obligeant cette administration adolescente à se
reconfigurer ».

(1) Mme Clotilde Cornière, secrétaire nationale de la CFDT santé sociaux, audition du 7 juillet 2020.
(2) Le 1er janvier 2020, l’ARS Océan Indien a été scindée entre l’ARS de La Réunion et l’ARS Mayotte.
— 101 —

Les ARS et leur environnement territorial


Si les ARS sont décrites comme isolées de leur environnement territorial, à savoir des
préfets de département, des élus locaux et des professionnels du secteur médical et
médico-social, elles n’en demeurent pas moins liées à celui-ci par l’intermédiaire d’une
nébuleuse de structures ou d’interactions organisées par le code de la santé publique.
– une conférence régionale de la santé et de l’autonomie, où sont notamment représentés
les collectivités territoriales, les usagers et associations, les conseils territoriaux de santé
ou les professionnels du système de santé, est chargée de participer, par ses avis, à la
définition des objectifs et des actions de l’agence dans ses domaines de compétences
(art. L. 1432-1).
– trois commissions de coordination des politiques publiques de santé (prévention et
accompagnement de la santé, prises et charge et accompagnements médico-sociaux et
organisation territoriale des soins), qui peuvent être fusionnées, associent les services de
l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements et les organismes de sécurité
sociale (art. L. 1432-1).
– le conseil territorial de santé est notamment composé des députés et sénateurs élus dans
le ressort du territoire concerné, de représentants des élus des collectivités territoriales
(art. L. 1434-10).
– les communautés professionnelles territoriales de santé, constituées par les
professionnels de santé, peuvent élaborer un projet de santé avec l’ARS (art. L. 143412).
– dans chaque département, les élus sont concertés sur l’organisation territoriale des soins
au moins une fois par an par le directeur général ou par le directeur de la délégation
départementale de l’ARS (art. L. 1434-15).
– le projet régional de santé est élaboré par l’ARS après une large consultation et en
concertation avec les acteurs du territoire.
– seize cellules régionales de Santé publique France, placées auprès des ARS, sont
compétentes en matière de veille, de surveillance et d’alerte sanitaires, d’observation de
la santé et d’évaluation de programme pour l’aide à la décision des politiques de santé
régionales.

Il n’est pas question ici de nier l’engagement personnel et la mobilisation


tout au long de la crise des personnels des ARS à tout les niveaux. Ils ont eu à
affronter brutalement dans certaines régions et dans l’urgence dans toutes, les défis
considérables posés au système de soins par l’épidémie. On doit, au contraire s’en
féliciter, ceci n’empêche pas de regretter des problèmes organisationnels.

La principale faiblesse des ARS est apparue, à l’aune de la crise


sanitaire, au niveau départemental : c’est cet échelon, et non celui des grandes
régions, qui constitue l’échelle de relation pertinente avec le préfet de département
et avec la plupart des élus locaux – notamment les maires, mais aussi les présidents
de département, également compétents sur les sujets médico-sociaux.
L’article L. 1432-1 du code de la santé publique dispose simplement que les ARS
« mettent en place des délégations départementales ». La présence des ARS dans
les départements est en réalité trop variable en termes de moyens et de
— 102 —

personnels pour constituer un véritable acteur sanitaire sur le territoire et un


interlocuteur direct pour les autres institutions.

De fait, les critiques formulées devant la mission d’information envers les


délégations départementales des ARS ont été récurrentes :

– M. Frédéric Valletoux, président de la Fédération Hospitalière de France,


le 8 juillet 2020 : « Le fonctionnement des ARS est également à améliorer,
notamment dans les départements des très grandes régions où le siège de l’ARS
s’est beaucoup éloigné des territoires. On a souvent évoqué les problèmes de
coordination entre l’appareil d’État, côté sécurité civile intérieure qui est organisé
au niveau des départements, et les ARS organisées au niveau des régions. La
faiblesse des ARS dans leurs représentations départementales a été mise en lumière
lors de cette crise. »

– M. Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux


français, le 9 juillet 2020 : « Le problème des ARS et de leurs délégations
territoriales se pose très clairement. Il faudra avoir le courage d’analyser pourquoi
nombre d’ARS et de délégations territoriales ont constitué des obstacles et des
freins à ce que l’on essayait de mettre en place sur le terrain. »

– Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé entre


2012 et 2017, le 1er juillet 2020 : « L’échelon départemental constitue leur
principale faiblesse : si la direction générale des ARS est très solide, les
compétences des directeurs et directrices départementaux sont plus variables. »

2. La compétence des ARS en matière de gestion des crises sanitaires doit


être revue

Jusqu’en 2010, la veille et la sécurité sanitaires relevaient des directions


régionales et départementales des affaires sanitaires qui étaient placées sous
l’autorité des préfets de département. Elles s’appuyaient sur les cellules
interrégionales d’épidémiologie, copilotées par l’Institut de veille sanitaire en lien
avec la direction générale de la santé. Depuis la loi HPST, en application de
l’article L. 1431-2 du code de la santé publique, les ARS « contribuent, dans le
respect des attributions du représentant de l’État territorialement compétent et, le
cas échéant, en relation avec le ministre de la défense, à l’organisation de la
réponse aux urgences sanitaires et à la gestion des situations de crise sanitaire ».

Les conséquences du transfert de la compétence de gestion des crises


sanitaires du préfet de département, qui relève du ministère de l’intérieur, à des
agences régionales placées sous l’autorité du ministère chargé de la santé avaient
clairement été posées en 2008 lors des travaux de préfiguration des ARS. Devant la
mission d’information conduite par le député Yves Bur, le secrétariat général du
ministère de l’intérieur avait pointé les risques de placer auprès des ARS les
activités de veille et de sécurité sanitaires du fait de leur caractère régalien et
de leur « cinétique rapide ».
— 103 —

Afin de ménager les marges de manœuvre de préfets pour gérer les crises
tout en organisant le transfert de cette compétence aux ARS, un compromis s’est
dessiné pour permettre aux préfets de mobiliser les moyens des ARS dans la
gestion des crises sanitaires. Le code de la santé publique prévoit cette
collaboration sur plusieurs niveaux :
– pour l’exercice de ses compétences dans les domaines sanitaires et de la
salubrité et de l’hygiène publiques, le représentant de l’État territorialement
compétent dispose à tout moment des moyens de l’agence (art. L. 1435-1) ;
– les services de l’agence sont placés pour emploi sous l’autorité du
représentant de l’État territorialement compétent lorsqu’un événement porteur d’un
risque sanitaire peut constituer un trouble à l’ordre public (art. L. 1435-1) ;
– dans les zones de défense, le préfet de zone dispose, pour l’exercice de ses
compétences, des moyens des ARS de la zone de défense. Leurs services sont placés
pour emploi sous son autorité lorsqu’un événement porteur d’un risque sanitaire
peut constituer un trouble à l’ordre public au sein de la zone (art. L. 1435-2).

Dans les faits, et ainsi que l’indique le rapport du Général Lizurey, les
dispositions de l’article L. 1435–1 du code de la santé publique n’ont pas été
appliquées, aboutissant à une imbrication partielle et inaboutie des services
déconcentrés de l’État et des ARS qui s’est traduite par une organisation
asymétrique.

Au niveau zonal, la cellule zonale d’appui (CZA) mise en place par l’ARS
de zone est le pendant du centre opérationnel de zone (COZ) instaurée sous
l’autorité du préfet de zone. En revanche, le centre opérationnel départemental
(COD) que dirige le préfet de département n’a pas de correspondant sanitaire à son
niveau, même si des représentants de l’ARS siègent au COD. Entre le niveau zonal
et le niveau départemental, les ARS sont également les seules intervenantes au
niveau régional pour mettre en œuvre la cellule régionale d’appui et de pilotage
sanitaire.
— 104 —

SCHÉMA DE L’ORGANISATION DE LA RÉPONSE AUX CRISES SANITAIRES

Source : ministère des solidarités et de la santé.

Le décalage qui a pu apparaître entre les ARS et les préfets a été patent dans
certains territoires, conduisant à la mise en place d’une double chaîne de
commandement distincte entre les ARS et les préfets. Le colonel Grégory Allione,
président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), a
estimé, le 21 juillet 2020, devant la mission d’information, que « la façon de
procéder a été très éloignée des principes guidant habituellement la gestion des
crises », à savoir la mise en place d’un commandement unique qui s’appuie sur
une déclinaison territoriale revenant aux préfets et sur la mobilisation de la
totalité des forces locales. Pour le président de la FNSPF, « la crise a été plus
administrée que gérée, et ce pour une seule et unique raison : le choix a été fait de
confier le déroulement des opérations à celles et ceux qui, certes, administrent la
santé au quotidien, notamment les ARS, mais qui n’ont pas pour habitude de gérer
des crises ».

Si l’action des ARS dans la gestion de la crise de la Covid-19 a connu des


succès incontestables en matière d’augmentation des capacités de réanimation ou
de transferts des patients notamment, elles ont aussi participé de l’approche
hospitalo-centrée qui a caractérisé l’organisation de la réaction à la crise, en
focalisant leur action sur l’urgence du moment, c’est-à-dire le risque de saturation
des hôpitaux, sans doute au détriment des acteurs du médico-social, par exemple,
qui ont pu se trouver sans interlocuteurs.

Et leur action est parfois jugée bureaucratique et insuffisamment réactive (1).


Au cours de ses travaux, la mission d’information a pu constater que la gestion de

(1) Le 8 juillet 2020, le président de la Fédération hospitalière de France, M. Frédéric Valletoux, dénonçait ainsi
la bureaucratisation et le manque de coordination de l’institution.
— 105 —

la crise par les ARS dépendait pour une large part de la personnalité de leurs
directeurs généraux et de leur capacité à travailler en confiance avec le préfet :
le travail de certains a été salué pendant que d’autres faisaient l’objet de vives
critiques.

Ce constat d’une importante disparité de gestion qui a pu exister d’une


région pose la question du statut de leur directeur : les ARS sont dirigées par un
directeur général, nommé en conseil des ministres, souvent qualifié de
« superpréfet sanitaire ». Il rend compte au conseil de surveillance (1) qui est
présidé par le préfet de région mais dont les pouvoirs restent limités (2). Malgré la
profusion des instances de coordination, le directeur général et les services de
l’ARS qu’il dirige bénéficient en réalité d’une large autonomie dans leur
action, y compris vis-à-vis du conseil de surveillance.

Mais en période de crise, partout sur le territoire les ARS doivent pouvoir
fonctionner avec efficacité et tous les acteurs de santé pouvoir compter sur leur
action.

B. UNE DÉCONCENTRATION ET UNE DÉCENTRALISATION


INDISPENSABLES DES POLITIQUES DE SANTÉ

1. L’échelon départemental doit redevenir la tête de proue de l’État


déconcentré

Votre rapporteur préconise de mettre fin au mouvement qui a abouti, dans


l’organisation territoriale de l’État, à affaiblir les marges de manœuvre et l’autorité
du préfet de département au profit de technostructures trop larges qui n’ont pas de
prise avec la réalité des territoires.

La crise sanitaire doit être l’occasion d’engager une refonte systémique de


l’organisation de notre politique de santé dans les territoires. Celle-ci ne pourra
se faire avec le maintien des ARS dans leur forme actuelle, quand bien même leurs
unités territoriales seraient renforcées. M. Xavier Bertrand l’indiquait à la mission
d’information, le 2 juillet 2020 : « les ARS ont un problème de structure : elles sont
trop grandes et s’occupent de trop de choses ».

C’est pourquoi la départementalisation des agences régionales de santé


constitue le préalable indispensable aux préconisations formulées par votre
rapporteur. Cette mesure permettre en effet restaurer la compétence du préfet de

(1) En application de l’article L. 1432-3 du code de la santé publique, le conseil de surveillance est notamment
composé de représentants de l’État, de membres des conseils et conseils d’administration des organismes
locaux d’assurance maladie, de représentants des collectivités territoriales et de représentants des patients,
des personnes âgées et des personnes handicapées, ainsi qu’au moins d’une personnalité choisie à raison de
sa qualification dans les domaines de compétence de l’agence.
(2) Le conseil de surveillance approuve le budget et le compte financier et émet un avis sur le projet régional de
santé, sur le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens de l’agence et sur les résultats de l’action de
l’agence.
— 106 —

département en matière de gestion des crises sanitaires et d’engager un véritable


mouvement de décentralisation des politiques sanitaires.

Dans les faits, l’échelle régionale des ARS ne serait conservée qu’aux fins
de coordonner le réseau des agences départementales. Celles-ci seraient néanmoins
placées sous l’autorité hiérarchique des préfets de département.

Proposition : Instaurer des agences départementales de santé sous l’autorité


hiérarchique des préfets afin de faire de ces agences de véritables acteurs sanitaires de
proximité.

En parallèle, les compétences de principe en matière de gestion des crises


doivent être réattribuées aux préfets de département, au-delà du dispositif mis
actuellement en place par le code dela santé publique et qui a montré ses limites. Ils
disposeront d’un interlocuteur immédiat grâce aux agences départementales de
santé sur lesquelles ils disposeront d’une pleine autorité en cas de crise.

Les préfets ont la compétence et l’expérience pour gérer les crises, ils
doivent devenir les décideurs uniques lorsque la situation l’exige afin de renforcer
la lisibilité et l’efficacité de l’action. Il est indispensable d’instaurer ce pilotage
unique qui a fait défaut pendant la crise sanitaire.

Proposition : Pour mettre fin à la dualité de la chaîne de commandement qui a été


préjudiciable dans la gestion de la crise sanitaire, rendre aux préfets de département la
compétence de la gestion des crises sanitaires.

Afin de mieux préparer et anticiper les crises sanitaires, il apparaît


également indispensable que les préfets puissent disposer d’un droit de regard sur
les stocks stratégiques positionnés au niveau zonal et gérés par Santé publique
France.

Proposition : Donner un droit de regard aux préfets sur les stocks stratégiques
positionnés au niveau zonal.

2. Faire des collectivités territoriales de véritables acteurs en matière


sanitaire

L’implication des départements dans la crise sanitaire, du fait de leurs


compétences dans le secteur médico-social, a été importante, notamment en
direction des établissements d’hébergement pour personnes âgées. Néanmoins, du
fait de la cotutelle exercée avec les ARS dans ce secteur, les relations se sont avérées
complexes, incohérentes selon les territoires et inadaptées aux enjeux territoriaux
de la crise qui exigeaient notamment une grande proximité et une meilleure
réactivité.
— 107 —

Lors de son audition par la mission d’information le 28 octobre 2020,


M. Dominique Bussereau, président de l’Association des départements de France,
mentionnait le cas, dans le département de la Charente-Maritime, d’un EHPAD qui
a eu à déplorer quatorze décès : « ni le maire de la commune, ni le président du
département – co-autorité de tutelle de l’EHPAD – ni le préfet, ni la préfète de
région, ni le cabinet du ministre n’étaient au courant. Nous avons appris cette
nouvelle par la presse, parce qu’un journaliste local avait eu l’information. Aucun
de nous n’a pu jouer un rôle dans la crise de l’établissement. »

Le bilan de la crise dans les EHPAD plaide pour un sursaut collectif


afin que la situation sanitaire dramatique qui s’y est produite ne se reproduise
pas.

C. POURTANT EN PREMIÈRE LIGNE, LE RÔLE JOUÉ PAR LES


COLLECTIVITÉS LOCALES N’A PAS ÉTÉ RECONNU À SA JUSTE
VALEUR

1. La mobilisation, exemplaire, à tous les niveaux, des collectivités


territoriales

Au cœur de la crise, les collectivités locales se sont positionnées en première


ligne pour pallier l’absence de l’État, notamment en matière de commande et de
distribution des masques de protection.

Les auditions conduites par la mission d’information ont notamment mis en


lumière les difficultés pour assurer la logistique du dernier kilomètre. Dans la
mesure où les ARS ne disposaient pas des réseaux de proximité suffisants, ce sont
les communes, les intercommunalités, les départements et les régions qui ont
souvent pris le relais.

Surtout, les carences de l’État ont été aggravées par une mobilisation
insuffisante des moyens de la sécurité civile. Sous l’autorité de la direction
générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’intérieur,
ceux-ci sont pourtant adaptés aux situations de crise et s’avèrent particulièrement
utiles lorsqu’ils sont employés. Le colonel Grégory Allione regrettait notamment
que les capacités offertes par les quatre établissements de soutien opérationnel et
logistique (ESOL) en termes de projection et de logistique n’aient pas été employées
pendant la crise (1) alors qu’ils ont justement pour mission d’assurer un soutien
logistique aux moyens terrestres de la Direction générale de la sécurité civile et de
la gestion des crises (DGSCGC) et peuvent répondent directement aux demandes
ponctuelles en renfort logistique exprimées par les préfectures et les États-majors
de zone.

(1) Audition du 21 juillet et rapport de synthèse des sapeurs-pompiers de France sur la gestion de la première
phase de la Covid-19 du 12 novembre 2020.
— 108 —

Ce constat a également été partagé par M. François Baroin, président de


l’Association des maires de France, qui a fait part à la mission d’information, le
28 octobre 2020, de son sentiment d’avoir assisté à un « effondrement de l’État »
au cours de la crise.

Dans ce contexte, les collectivités locales ont prouvé leur complémentarité


et leur utilité pour maintenir ouverts les services publics de proximité – ce fut
notamment le cas des communes dans le cadre du déconfinement – et assurer des
commandes et des distribution de masques complémentaires. Si les débuts ont été
quelque peu chaotiques – des commandes de masques de collectivités territoriales
ont été réquisitionnées par le représentant de l’État le 5 avril 2020 à l’aéroport de
Bâle-Mulhouse au profit des hôpitaux du Grand-Est – les relations entre les
pouvoirs publics ont néanmoins fini par s’organiser en bonne intelligence (1).

2. Le binôme maire-préfet doit être consolidé

Les maires, au moyen de leur pouvoir de police municipale conféré par le


code général des collectivités territoriales (2), ont joué un rôle prépondérant, sur le
terrain pour maintenir les services municipaux et lutter contre la propagation de
l’épidémie. Ce pouvoir s’est exercé en parallèle et dans le respect du pouvoir de
police spéciale confié aux préfets dans le cadre l’état d’urgence sanitaire instauré
par la loi du 23 mars 2020.

Après la période particulière du premier confinement qui a imposé que


l’État prenne des décisions rapides et immédiates, les relations qui se sont établies
entre les maires et les préfets dans le cadre de la préparation du déconfinement et
de la reprise de l’activité se sont caractérisées par leur souci d’efficacité et de
proximité et ont concerné la réouverture de marchés, de plages ou de lieux culturels.
L’action des maires a également été soutenue et protégée par loi du 11 mai 2020
afin que leur responsabilité ne soit pas engagée de manière dilatoire.

Néanmoins, il est manifeste que certaines intuitions des maires ont été
freinées alors qu’elles étaient fondées et utiles d’un point de vue sanitaire. C’est le
cas des mesures de couvre-feu au début du premier confinement qui ont été
contestées avant d’être reprises par les préfets. Surtout, le maire de Sceaux a eu
raison avant tout le monde en imposant le port du masque dans sa commune pour
préparer le déconfinement : il a vu son arrêté contesté puis annulé par le Conseil
d’État.

La lutte contre la reprise épidémique a surtout montré les limites du


mouvement de concertation qui avait été initié par l’État avec les élus locaux dans

(1) M. Renaud Muselier, président de Régions de France, a indiqué que le conseil régional de Provence-Alpes-
Côte d’Azur « a distribué 13,2 millions de masques, exclusivement par le biais de l’ARS – avec laquelle nous
avons de très bonnes relations et travaillons main dans la main », audition du 28 octobre 2020,
(2) En application du 5° de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, la police
municipale, qui a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, comprend
notamment le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des
secours nécessaires, les maladies épidémiques ou contagieuses.
— 109 —

le cadre du déconfinement, qu’il se soit agi de la limitation des horaires d’ouverture


des bars et restaurants à la fin de l’été ou encore de la fermeture des commerces de
détail dans le cadre du reconfinement. Il apparaît que le cadre de l’état d’urgence
sanitaire rend difficile la conciliation des mesures qui doivent être prises de
manière uniforme au niveau national – et ce afin d’être lisibles et efficaces – et
leur adaptation à la situation sanitaire locale.

La reprise en main par le ministère de l’intérieur et par les préfets de la


gestion de la crise, préconisée par votre rapporteur, devrait néanmoins permettre de
mieux appréhender cette question.

III. LE RETARD INITIAL EN MATIÈRE DE TESTS VIROLOGIQUES A CONDUIT


À UNE STRATÉGIE INCERTAINE : CELLE D’UN RATTRAPAGE PRÉCIPITÉ

Dans une allocution liminaire, le 16 mars 2020, lors d’un point presse sur la
Covid-19, le directeur général de l’OMS, Dr Tedros Adhamon Ghebreyesus, a
déclaré : « Nous avons un message simple pour tous les pays : testez, testez, testez ».

Auditionné le mardi 16 juin 2020 par la mission d’information, le directeur


général de la Santé affirmait que « les propos du directeur général de l’OMS relatifs
aux tests ne visaient pas la France, mais les nombreux pays qui n’avaient pas
encore accès aux tests et n’étaient pas équipés de laboratoires de référence ». Et
selon M. Jérôme Salomon, la France a « répondu à la demande de l’OMS par une
mobilisation remarquable des laboratoires – laboratoires hospitaliers,
laboratoires d’analyses de biologie médicale, laboratoires départementaux,
laboratoires vétérinaires et laboratoires de recherche ».

Or, les travaux de la mission d’information ont montré que malgré la mise
au point très rapide par l’institut Pasteur d’un test de diagnostic, le déploiement des
capacités de tests s’est avéré laborieux : il s’est, en effet, étalé sur près de deux
mois et demi entre le 24 janvier et le 5 avril 2020. Les tâtonnements et les
pesanteurs administratives sur cette question pourtant décisive ont pesé sur les
stratégies suivies, sur la capacité à identifier les malades, en particulier les
asymptomatiques et, finalement, sur le contrôle de l’épidémie. Le Président de la
République l’a reconnu, le 28 octobre 2020, en indiquant que la France aurait « pu
aller plus vite, au début sur les tests ».

Si les ratés initiaux en matière de développement des tests sont


regrettables, il s’avère aussi qu’après les premières semaines de maîtrise réussie de
la propagation du virus à la sortie du confinement, les limites du dispositif de
testing et de traçage à la fin de l’été et au début de l’automne ont affaibli la
lutte contre la reprise épidémique alors que l’enjeu du dépistage avait été
justement mis au cœur de la stratégie de déconfinement.
— 110 —

A. ENTRE JANVIER ET AVRIL, L’ABSENCE DE DÉPLOIEMENT D’UNE


STRATÉGIE DE DIAGNOSTIC ET DE DÉPISTAGE AMBITIEUSE

1. Le développement des techniques de dépistage en France : un bon


départ rapidement gâché

La France, grâce aux moyens du centre national de référence (CNR) pour


des virus des infections respiratoires de l’Institut Pasteur, a été en mesure de détecter
le virus de la covid-19 par la technique de réaction en chaîne par polymérase après
transcription inverse, dite RT PCR, dès le 24 janvier 2020. Cette grande réactivité
de la recherche française doit être saluée.

Cette technique de diagnostic virologique par prélèvement naso-pharyngé


n’a néanmoins pas été conçue pour être utilisée à grande échelle, les industriels
devant par la suite prendre le relais pour fournir les laboratoires en kits de
diagnostic, et permettre la généralisation des tests, au moyen de leur
commercialisation.

Or, au cours du mois de février 2020, des obstacles ont entravé le passage
de relais entre les secteurs publics et privés, contribuant à freiner la montée en
puissance du déploiement des tests en France.

Il faut tout d’abord souligner les difficultés liées à la disponibilité et à la


logistique de livraison de certains matériaux de prélèvement, notamment les
écouvillons, ou de diagnostic, tels que les réactifs (1), dans un contexte mondial où
la demande était forte, les capacités de transport limitées. Sur ce marché en
tension (2) notre pays est arrivé tardivement et insuffisamment organisé du fait de
l’absence, à ce moment-là, d’un dispositif de pilotage unique.

Dans ce contexte international critique, la France a été pénalisée par la


faiblesse de son industrie du réactif et par sa dépendance aux importations pour
satisfaire ses besoins. Sur ce point, le rôle des ambassades, et notamment celle de
France en Chine, a été précieux (3). Cette question qui s’inscrit dans celle, plus large,
de l’indépendance de la France sur des produits essentiels en matière de santé, pose
la question de la relocalisation d’une partie de cette production.

(1) Le 7 février, le CNR relaie une alerte européenne sur des réactifs contaminés.
(2) Une alerte de la DGS est transmise le 21 mars au comité interministériel de crise et au conseil de défense à
propos de tensions d’approvisionnement de plus en plus aiguës.
(3) Audition, le 2 novembre 2020, de M. Laurent Bili, Ambassadeur de France en Chine et de M. Olivier
Guyonvarch, Consul général de France à Wuhan.
— 111 —

PRINCIPAUX PAYS D’ORIGINE DES CONSOMMABLES


ET DES MATIÈRES PREMIÈRES CRITIQUES

Source : Direction générale de la santé.

Proposition : Engager la relocalisation en France de l’industrie du diagnostic in vitro


afin de ne plus être dépendant des importations mondiales et retrouver une réelle souveraineté
sanitaire.

Il reste que la transition nécessaire entre la mise au point du test par


l’Institut Pasteur et le déploiement des techniques de test dans l’ensemble du
pays n’a pas été mise en œuvre dans des délais suffisamment rapides pour être
efficace. Les causes sont diverses et toutes ne sont pas imputables à l’action du
Gouvernement, néanmoins, l’absence de pilotage dédié pour conduire cette
transition a incontestablement manqué pour lever certains obstacles et
insuffler une réelle dynamique. La mise en place, à compter du 30 mars, de la
cellule interministérielle de test au sein du ministère des solidarités et de la santé
qui a permis de se doter des moyens changer de dimension en matière de testing est
intervenue à un moment où le retard pris par la France sur les tests virologiques était
déjà considérable.

2. Une mobilisation des laboratoires qui n’a rien eu de « remarquable »


dans les premiers temps de la crise sanitaire

a. Une montée en charge des laboratoires hospitaliers progressive mais qui


est restée limitée

La technique de diagnostic mise au point par le CNR a, dans un premier


temps, été déployée dans les établissements de référence disposant de laboratoires
classifiés en type 3. Le 26 février, la liste des laboratoires autorisés à mettre en
œuvre cette technique a été étendue aux laboratoires de niveau de type 2. Tous
n’étaient cependant pas, à cette date, en mesure d’utiliser la technique du CNR. Le
nombre de laboratoires hospitaliers en mesure de réaliser un test virologique par RT
PCR a, de fait, lentement évolué : il est passé de 6 au 31 janvier, à 20 le 21 février,
à 38 le 28 février et à 43 le 7 mars.
— 112 —

Aux mois de février et mars 2020, le déploiement des tests virologiques


en France a été limité au secteur hospitalier et à des fins essentiellement de
diagnostic des patients et non de dépistage de la population en dehors des
hôpitaux.

Une structure a cependant mis en œuvre une large stratégie de dépistage de


la population dès le début de l’épidémie : l’Institut hospitalo-universitaire (1) (IHU)
en maladies infectieuses de Marseille dirigé par le professeur Didier Raoult. Cet
institut a déployé rapidement des capacités de dépistage importantes pour permettre
l’accès aux tests au plus grand nombre, en testant les personnes qui s’y présentaient,
au rebours des consignes nationales.

Le fait qu’un tel dispositif n’ait pu être déployé dans aucune autre structure
hospitalière est une question qui doit être posée. Dans la perspective de la
préparation des prochaines crises pandémiques, il serait essentiel de pouvoir
compter, dans chacune des zones de défense, sur une structure réactive et spécialisée
en matière de maladies infectieuses.

Proposition : Déployer un réseau d’IHU en maladies infectieuses sur l’ensemble du


territoire national couvrant chaque zone de défense afin d’être mieux préparé à l’avenir et de
réagir plus vite en cas de nouvelle pandémie.

b. La participation des laboratoires de ville freinée par des lourdeurs


administratives

Initialement limitée au secteur hospitalier, la détection du génome du


SARS-CoV-2 par RT PCR n’a été inscrite sur la liste des actes et prestations pris en
charge par l’assurance maladie (2) que le 8 mars. Il s’agissait pourtant de la
condition indispensable à la réalisation des tests par les laboratoires de biologie
médicale, dits « de ville », conformément à l’avis de la Haute autorité de santé rendu
le 6 mars (3). Lors de leur audition par la mission d’information le 22 juillet, les
syndicats de biologistes médicaux libéraux ont déploré cette mobilisation
tardive.
Elle a, par ailleurs, été rendue complexe en raison du faible nombre de
techniques de diagnostic autorisées et commercialisées début mars : seulement six
kits de diagnostics étaient alors autorisés sur le marché français. En amont de leur
introduction sur le marché, les tests virologiques, comme tous les dispositifs

(1) Le programme « IHU » a été initié dans le cadre des investissements d’avenir décidés par le président Nicolas
Sarkozy en 2009. Il en existe aujourd’hui six spécialisés dans les maladies génétiques, la chirurgie mini
invasive guidée par l’image, les maladies infectieuses, le cardiométabolisme et la nutrition, les neurosciences
transitionnelles et la rythmologie, et la modélisation cardiaque.
(2) Arrêté du 7 mars 2020 portant modification de la liste des actes et prestations mentionnée à l’article
L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale (inscription de la détection du génome du SARS-CoV-2 par RT
PCR).
(3) Avis n° 2020.0020/AC/SEAP du 6 mars 2020 du collège de la HAS relatif à l’inscription sur la LAP
mentionnée à l’article L. 162-1-7 du CSS, de la détection du génome du coronavirus SARS-CoV-2 par
technique de transcription inverse suivie d’une amplification.
— 113 —

médicaux de diagnostic in vitro, doivent faire l’objet d’une déclaration obligatoire


à l’Agence nationale de sécurité du médicament et respecter les exigences de la
directive européenne 98/79/CE. S’il remplit ce dernier critère, le fabricant engage
sa responsabilité en établissant lui-même le marquage dit « CE » du test.

Si elle est n’est pas obligatoire, la procédure d’évaluation des performances


du kit de détection réalisée par le CNR (1) constitue néanmoins une phase essentielle
de l’introduction d’un dispositif sur le marché car elle apporte la garantie, aux
laboratoires appelés à réaliser d’importants investissements, que les tests sont
performants. Lors de son audition du 24 juin 2020, le professeur Didier Raoult a
cependant qualifié cette procédure d’archaïque : « Il est tout à fait ridicule que les
CNR aient eu à se prononcer sur la valeur des tests qui sont passés au marquage
CE (conformité européenne) et FDA (Food and Drug Administration) ». Cette
procédure, n’a pas favorisé une commercialisation rapide des kits de diagnostic en
France.

Un temps d’adaptation a enfin été nécessaire pour que les kits commerciaux
de prélèvement introduits sur le marché par les industriels puissent être utilisés, dans
les laboratoires, sur leurs appareils d’analyses qui sont, le plus souvent pour des
raisons commerciales, vendus en système fermé et ne sont donc pas toujours
adaptables à de nouveaux kits. Les laboratoires ont dû soit adapter leur matériel ou
acquérir d’autres appareils, soit attendre que l’offre commerciale se diversifie.

c. Un retard difficile à justifier concernant les laboratoires publics

La participation des laboratoires dits « publics » quant à elle témoigne d’un


manque de réactivité des autorités sanitaires qui, en l’espèce, s’avère
particulièrement préoccupant, car elle n’a pu intervenir qu’au début du mois
d’avril, soit presque trois semaines après le début du confinement, c’est-à-dire
au moment où la situation sanitaire est particulièrement grave.

Il est ici question :

– des soixante-quinze laboratoires départementaux d’analyse agréés, qui


dépendent des départements et sont spécialisés dans l’analyse du contrôle des eaux,
de l’hygiène alimentaire ou de la santé animale ;

– des laboratoires accrédités suivant la norme ISO/CEI 17025 (les


laboratoires de la police scientifique et de la gendarmerie et les laboratoires
vétérinaires privés) ;

– et des laboratoires de recherche publics, notamment dans le domaine


scientifique.

À partir du milieu du mois de mars, des présidents de conseils


départementaux, l’association française des directeurs et cadres de laboratoires

(1) Le CNR a pour rôle l’évaluation des performances des tests commerciaux, évaluation distincte de la
validation des tests qui est de la responsabilité des autorités de santé.
— 114 —

vétérinaires publics d’analyses, l’Académie de médecine ou encore des chercheurs


de laboratoires publics ont alerté le Gouvernement et les autorités sanitaires sur la
disponibilité des laboratoires pour participer au déploiement des capacités de
diagnostic du virus, alors encore très limitées, ce que ne leur permettait pas la
réglementation existante. En effet, en application de l’article L. 6211-18 du code de
la santé publique, la phase analytique d’un examen de biologie médicale ne peut
être réalisée – sauf exceptions non pertinentes dans le cas de l’épidémie de Covid-19
– que dans un laboratoire de biologie médicale.

La procédure reste cependant complexe. Lorsque la phase analytique de


l’examen n’est réalisée ni dans un laboratoire de biologie médicale, ni dans
l’établissement de santé dont relève ce laboratoire, une convention doit être signée,
pour prévoir notamment l’articulation de la phase analytique avec celle qui la
précède (à savoir le prélèvement) et celle qui lui succède (à savoir la transmission
des résultats) qui continuent de relever du laboratoire de biologie médicale.

La loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19


a rapidement donné les outils nécessaires au Gouvernement pour agir efficacement
dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (1). Il a néanmoins fallu attendre le
5 avril pour qu’un décret et qu’un arrêté permettent d’avancer sur cette question au
moyen de deux instruments confiés aux préfets de départements :

– la possibilité de réquisitionner des laboratoires, autres que de biologique


médicale, leurs équipements et leurs personnels, afin de réaliser l’examen de
détection du virus (2) ;

– la possibilité d’autoriser les laboratoires utilisant des équipements et des


techniques de biologie moléculaire à réaliser la phase analytique de l’examen, en
lien avec un laboratoire de biologie médicale qui réalise le prélèvement et en délivre
le résultat (3).

Une fois ces outils juridiques mis en place, à partir du 8 avril et jusqu’au
10 juillet, date à laquelle a pris fin le premier état d’urgence sanitaire, quarante-
neuf arrêtés d’autorisation ont été publiés dans vingt-cinq départements et
quinze arrêtés de réquisition de laboratoires ont été pris par douze préfets.

(1) Notamment, le 7° de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique autorise le Premier ministre à ordonner
la réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe
sanitaire et l’article L. 3131-16 permet au ministre chargé de la santé de prescrire toute mesure
réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé. En application de
l’article L. 3131-17, les préfets peuvent être habilités à prendre toutes les mesures d’application de ces
dispositions.
(2) Décret n° 2020-400 du 5 avril 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les
mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d'urgence
sanitaire (VII de l’article 12-1).
(3) Arrêté du 5 avril 2020 complétant l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de
fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de
l’état d'urgence sanitaire (article 10-3).
— 115 —

L’enjeu de la mobilisation de la filière vétérinaire n’a rien eu


d’anecdotique. Outre les capacités d’analyse conséquentes qu’apportent les
laboratoires vétérinaires départementaux, estimées entre 150 000 et 300 000 tests
par semaine, la participation de l’industrie vétérinaire à la production et à la
commercialisation de kits de dépistage a également été décisive. Les capacités de
production des trois principaux fabricants sur le marché français – Biosellal, IDvet
et IDEXX – ont été estimées à 120 000 kits par semaine dans la perspective du
déconfinement.

Elle s’est néanmoins aussi heurtée, initialement, à un autre obstacle


juridique : l’impossibilité d’introduire sur le marché des dispositifs non marqués
« CE », marquage dont ne peuvent bénéficier les techniques de diagnostic
vétérinaire. Un arrêté du 14 avril 2020 (1) a permis à l’ensemble des laboratoires
réalisant l’examen de détection de la Covid-19 de recourir à des dispositifs ne
disposant pas d’un marquage CE mais devant néanmoins être validés par le CNR.

3. Les conséquences de quatre mois de tâtonnements

Les difficultés posées par la covid 19 sont multiples : une période


d’incubation particulièrement longue, le fait que la contagiosité précède l’apparition
des symptômes et, enfin, le nombre important de porteurs asymptomatiques du
virus. Sur ces points, l’avancée des connaissances scientifiques n’a été que
progressive chacun le sait, ce qui a conduit à une adaptation constante du dispositif.
Celui-ci est resté cependant fortement contraint par une capacité de tests limitée.

a. Entre janvier et avril, les incertitudes stratégiques ont affaibli la lutte


contre l’épidémie

i. Une stratégie dépendante des capacités de tests

Lors de la première phase épidémique, en janvier et février, alors que les


autorités sanitaires considèrent que le virus ne circule pas sur le territoire national,
la stratégie de diagnostic s’appuie sur le dépistage systématique des cas possibles et
probables, par exemple les personnes présentant des symptômes et revenant d’une
zone de circulation active du virus – notamment Wuhan en Chine – ou ayant été en
contact avec un malade avéré.

En l’absence d’une connaissance complète du virus, la définition des cas


repose sur des critères partiels, définis et actualisés régulièrement par Santé
publique France. À partir du 28 février, une nouvelle phase d’action a pour
conséquence d’élargir ces critères à un nombre plus important de syndromes
respiratoires, et ce afin de renforcer la stratégie diagnostique.

(1) Arrêté du 14 avril 2020 complétant l’arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de
fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de
l’état d'urgence sanitaire.
— 116 —

La définition d’une doctrine de diagnostic médical ciblée n’a cependant


pas été couplée avec une doctrine plus large de dépistage, à la fois précoce et
ambitieuse car le pays n’en avait pas les capacités : elle aurait pourtant permis
d’identifier les zones de circulation initiale du virus et de protéger les personnes
vulnérables, notamment dans les établissements d’hébergement pour personnes
âgées (EHPAD) (1).

Or, le 14 mars 2020, l’épidémie passe en stade 3 (objectif d’atténuation de


la vague épidémique sur le territoire) ce qui conduit à un arrêt du dépistage
systématique et à la priorisation de la réalisation des tests biologiques aux patients
présentant un tableau clinique évocateur du Covid 19.

Le coordinateur de l’action interministérielle en matière de tests


virologiques et sérologiques, M. Nicolas Castoldi, a indiqué à la mission
d’information que c’était « à la fin du mois de mars [que] s’engage un virage, en
France comme dans les autres pays : à l’usage de diagnostic s’ajoute la finalité de
dépistage » (2).

En effet, ce n’est qu’à partir du 24 mars, lorsque la circulation active du


virus sur le territoire est constatée, qu’une doctrine plus large est amorcée en
définissant et hiérarchisant les publics prioritaires (3). Elle est néanmoins
fortement contrainte par des capacités de test très limitées. Le 9 avril 2020, une
circulaire du ministre des solidarités et de la santé et du ministère de l’intérieur
relative définit comme prioritaires les populations suivantes : les personnels
soignants, les personnels et résidents des établissements médico-sociaux, et en
particulier des EHPAD, les détenus et les personnels de l’administration
pénitentiaire, les personnes accueillies dans les structures collectivités
d’hébergement d’urgence et les équipes critiques des opérateurs d’importance
vitale.

Dans le même temps, et en l’absence de traitement unanimement reconnu


scientifiquement, les personnes dont les symptômes sont légers ne sont plus
nécessairement testées. Cette absence de dépistage systématique et la réalisation des
tests virologiques priorisée vers les patients présentant un tableau clinique évocateur
de la Covid-19, a pour conséquence de laisser des malades dans l’incertitude et
d’empêcher un suivi épidémiologique précis.

ii. Quel rôle pour les tests sérologiques ?

Un suivi épidémiologique fin de la circulation du virus aurait pu être permis


par la définition d’une stratégie concernant l’utilisation des tests sérologiques,
une fois ceux-ci disponibles dans le courant du mois d’avril.

(1) Dès le 30 mars, le Conseil scientifique estimait que les tests disponibles devaient être prioritairement orientés
vers ces établissements.
(2) Audition du mercredi 29 juillet 2020.
(3) Cette définition se base notamment sur l’avis du Haut conseil de la santé publique du 31 mars relatif à la
prévention et à la prise en charge des patients à risque de formes graves de COVID-19 ainsi qu’à la
priorisation des tests diagnostiques.
— 117 —

Dès le 27 mars, le Conseil scientifique avait préconisé, dans une note non
rendue publique, le déploiement d’une stratégie de sérodiagnostic à grande échelle.
Le 1er mai 2020, la Haute autorité de santé (HAS) soulignait dans son rapport
d’évaluation relatif à la place des tests sérologiques dans la stratégie de prise en
charge de la maladie Covid-19 la « place dans la surveillance épidémiologique »
qu’étaient appelés à prendre ces tests.

La faiblesse du suivi épidémiologique a été aggravée, pendant le


confinement et avant la mise en place de SIDEP, par l’absence de système centralisé
de remontée des tests réalisés et surtout de leurs résultats, faisant de l’indicateur de
la disponibilité des lits de réanimation la seule boussole des autorités sanitaires.

b. En comparaison avec l’Allemagne, un retard initial dans la capacité de


tester fortement préjudiciable

La France est entrée en confinement, le 17 mars 2020 à midi, en ayant


effectué seulement 13 000 tests (1), c’est-à-dire vingt fois moins que l’Allemagne
qui, à la même date, en avait réalisé plus de 250 000.

Pendant le confinement, seulement 574 000 tests ont été réalisés (2) alors
que la politique de tests se poursuit en Allemagne pour atteindre le nombre de
2,9 millions. Il y a été très tôt affiché un objectif de 200 000 tests par jour,
considérant que cette politique de tests généralisés à l’ensemble des cas suspects –
et ensuite étendue à tous – permettrait en partie de maintenir le nombre des décès à
un niveau relativement bas.

(1) Il s’agit du chiffre fourni par le directeur général de la santé lors de son audition par la mission d’information
le 16 juin. L’estimation du nombre de tests réalisés les premières semaines, basée sur les données transmises
sur le réseau privé 3-Labos et les laboratoires hospitaliers, s’est cependant avérée partielle et incertaine. La
mise en place du système d’information Sidep, à partir de la semaine du 11 mai, a ensuite permis un relevé
exhaustif des tests réalisés.
(2) Source identique.
— 118 —

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE TESTS RÉALISÉS


EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE JUSQU’AU DÉCONFINEMENT

Semaine Allemagne Cumul Allemagne France Cumul France


02-mars 124 716 124 716
12 940 12 940
09-mars 127 457 252 173

16-mars 348 619 600 792

23-mars 361 515 962 307

30-mars 408 348 1 370 655

06-avr 380 197 1 750 852


574 000 586 940
13-avr 331 902 2 082 754

20-avr 363 890 2 446 644

27-avr 326 788 2 773 432

04-mai 403 875 3 177 307


Source : Direction générale de la santé et Institut Robert Koch.

Le 11 mai 2020, jour de son déconfinement, la France cumulait 26 643 décès


de la Covid-19 quand l’Allemagne en dénombrait 7 417. Rapportée à la population (1),
la mortalité du virus a été 4,4 fois supérieure en France qu’en Allemagne. Cette
différence majeure ne saurait s’expliquer uniquement par une réactivité différente en
matière de dépistage, mais elle doit nécessairement être prise en compte pour tenter
d’en éclaircir le constat. Pour le professeur Antoine Flahault, auditionné le mardi
15 septembre 2020 par la mission d’information, « le retard dans le dépistage […] a
été préjudiciable : les taux de létalité sont un très bon indicateur de l’efficacité
comparée des stratégies de testing et la France a connu, rapportée au nombre
d’habitants, une plus forte mortalité due au coronavirus que l’Allemagne ».

Le rapport d’étape de la mission d’information présenté en juin 2020 par le


président Richard Ferrand a montré comment la montée en puissance des capacités
de dépistage s’est progressivement organisée, notamment au moyen de l’achat, au
cours du mois d’avril, de vingt-et-un automates à haut débit qui ont été fournis
aux hôpitaux. Cette augmentation des capacités de dépistage s’est
incontestablement construite tout au long du déconfinement puisqu’elle a permis de
réaliser 232 000 tests la semaine du 18 mai.

Néanmoins, du temps a été perdu au début de la crise sanitaire : il a


surtout manqué aux autorités sanitaires, et notamment à la direction générale de la
santé, les capacités d’anticipation et de réaction qu’exigeait une politique
ambitieuse de déploiement des capacités de dépistage. Elles étaient nécessaires pour
sortir du mode de fonctionnement étanche et déconcentré (2) qui a entravé la
mobilisation des acteurs qu’il s’agisse des industriels, des différents types de

(1) L’Allemagne compte 83,02 millions d’habitants alors que la France en compte 66,99 millions.
(2) Pour M. Nicolas Castoldi, « une des caractéristiques du système français de biologie médicale est qu’il est
extrêmement fragmenté ».
— 119 —

laboratoires ou des autorités sanitaires. Les pesanteurs administratives ont, à tous


les niveaux, ralenti la prise de décision.

M. Nicolas Castoldi, coordinateur de l’action interministérielle en matière


de tests virologiques et sérologiques, a ainsi exposé, devant la mission
d’information, qu’il avait fallu « changer en profondeur, du jour au lendemain,
les manières de travailler avec les acteurs – les laboratoires, […] les experts
scientifiques et les acteurs industriels […] à rebours de toutes les normes imposées
au secteur de la santé depuis des décennies [et] passer, du jour au lendemain, d’une
logique d’État régulateur, à distance des intérêts privés, à une logique d’État
organisateur et planificateur d’un effort national qui engage aussi bien les acteurs
publics que les acteurs privés » sachant que « le paysage français dans lequel les
laboratoires hospitaliers, d’une part, et les laboratoires de ville, d’autre part,
constituent deux univers distincts et séparés, n’était pas celui où le basculement
était le plus aisé ».

Allemagne : les ressorts d’une mobilisation particulièrement efficace sur les tests
La réactivité initiale des chercheurs a été plus ou moins identique en France et en
Allemagne : la mise au point du premier dispositif de dépistage par RT PCR a été réalisée
le 17 janvier à l’hôpital de la Charité de Berlin et le 24 janvier à l’Institut Pasteur.
Par la suite, l’Allemagne a immédiatement fait la différence grâce à une doctrine claire
et large de dépistage – avant même le début de la crise épidémique sur son sol – et une
mobilisation immédiate, importante et intégrée de l’industrie pharmaceutique et des
laboratoires publics et privés, portée par un volontarisme public affirmé. Ainsi, il y a été
réalisé 124 000 tests dès la semaine du 2 mars et 348 000 tests par semaine à partir
du 16 mars.
Au 7 mars, 43 laboratoires hospitaliers étaient en mesure de réaliser le dépistage par RT
PCR en France alors que 90 laboratoires étaient déjà mobilisés en Allemagne. Au
24 mars, la France était en mesure de mobiliser 64 laboratoires publics et privés contre
152 laboratoires en Allemagne.
Ces capacités de dépistage ont été couplées à un suivi épidémiologique efficace qui a
permis d’identifier les zones du territoire où est arrivé le virus, notamment en Rhénanie-
du-Nord-Westphalie, dans le Bade-Wurtemberg et en Bavière, et d’y limiter précocement
sa circulation.
Par la suite le nombre de laboratoires mobilisés est resté stable en Allemagne, dans la
mesure où la plupart avaient été mobilisés dès le début de l’arrivée de l’épidémie
contrairement à la France où il a continué de croître, grâce à une organisation concentrée
qui a montré son efficacité.
— 120 —

B. DE MAI À SEPTEMBRE, LA STRATÉGIE DE DÉCONFINEMENT EST


PROGRESSIVEMENT MISE EN PÉRIL

Si la brutalité de l’arrivée de l’épidémie peut expliquer une partie du lent


démarrage constaté aux mois de février et mars derniers en termes de
développement des tests virologiques, un tel argument ne saurait faire oublier
certaines décisions prises depuis le mois de juillet.

Les prochains mois permettront d’éclairer les raisons pour lesquelles la


deuxième vague a touché aussi vite et aussi fort notre pays. Il apparaît néanmoins a
minima que la stratégie de déconfinement n’a pas permis de suffisamment lutter
contre son arrivée.

1. Les fondations fragiles du pilier numéro un de la stratégie de


déconfinement

Alors que la France est entrée dans le confinement sans stratégie claire ni
repères – ne serait-ce que quantitatifs : le pays testait peu et ne savait pas combien
de tests étaient réalisés – la préparation sérieuse et méthodique du déconfinement a
permis de mettre au premier plan l’enjeu du dépistage qui a fondé la stratégie de
l’après-10 mai. À cette fin, une mission « dépistage virologique et sérologique », a
été confiée à M. Nicolas Castoldi, directeur de cabinet de la ministre de
l’enseignement supérieur et de la recherche, au sein de la task force déconfinement.

L’allocution du Président de la République, le 13 avril, a amplifié cette


mobilisation dans la perspective du 11 mai : « L’utilisation la plus large possible
des tests et la détection est une arme privilégiée pour sortir au bon moment du
confinement. » Pour cela, le Président de la République a annoncé que les tests
seraient pratiqués en priorité sur les personnes âgées, les soignants et les plus
fragiles ainsi que sur toute personne présentant des symptômes.

Pour casser les chaînes de transmission, le plan de déconfinement prévoit


également que sera testé tout « cas contact », c’est-à-dire toute personne ayant été
en contact, avec un risque de transmission, avec une personne atteinte par le virus.
Cette stratégie est validée par le Conseil scientifique dans son avis du 20 avril
« Sortie progressive du confinement. Prérequis et mesures phares ». Le dépistage
constitue ainsi le premier pilier de la stratégie « Tester, tracer, isoler » définie
par le Gouvernement.

À la suite de l’annonce du Président de la République, la question du chiffrage


de l’objectif du nombre de tests à réaliser s’est posée. Elle a fait l’objet d’échanges
nourris, que le rapporteur de la mission d’information a pu consulter, entre Santé
publique France, la mission confiée à M. Castoldi et l’exécutif. Il en ressort que la
présidence de la République, puis Matignon, ont exprimé le souhait auprès de la
mission « dépistage » d’un chiffrage le plus haut possible, et ce afin d’encourager
l’accélération du déploiement des capacités de dépistage dans le pays.
— 121 —

Dans une note du 17 avril, Santé Publique France détaille son chiffrage :
le besoin en tests est estimé à 481 600 par semaine au déconfinement. Il se base
sur les travaux de l’équipe de l’Institut de modélisation des maladies infectieuses de
l’Institut Pasteur et de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique
Inserm-Sorbonne Université qui estime le nombre de nouvelles infections
quotidiennes lors du déconfinement à 2 000. Parmi ces nouvelles contaminations,
le nombre de personnes effectivement testées est estimé à 1 600. Sur une base de
30 cas contacts par personne infectée, le besoin hebdomadaire est donc estimé à
336 000. Il est augmenté à 481 600 (soit + 145 600) pour couvrir les autres besoins
(EHPAD, cas d’infections respiratoires), et arrondi in fine à 500 000. C’est ce
chiffre de 500 000 tests par semaine qui est annoncé par le Premier ministre
Édouard Philippe, le 19 avril, lors d’une conférence de presse.

Neuf jours plus tard, dans le cadre de la déclaration du Gouvernement


devant l’Assemblée nationale relative à la stratégie nationale du plan de
déconfinement dans le contexte de la lutte contre l’épidémie de covid-19, le même
Premier ministre indique : « Nous nous sommes fixé l’objectif de réaliser au moins
700 000 tests virologiques par semaine au 11 mai. Pourquoi 700 000 ? Parce que
le Conseil scientifique nous dit, à ce stade, que les modèles épidémiologiques
prévoient entre 1 000 et 3 000 cas nouveaux chaque jour à partir du 11 mai. Parce
qu’à chaque cas nouveau correspondra en moyenne le test d’au moins 20 à
25 personnes l’ayant croisé dans les jours précédents. 3 000 fois 25 fois 7, cela
donne 525 000 tests par semaine. 700 000 nous donne la marge qui nous permettra,
en plus des tests des chaînes de contamination de mettre en œuvre des campagnes
de dépistage comme nous l’avons déjà engagé pour les EHPAD notamment. »

Cette estimation, revue à la hausse, et qui retient le chiffre maximal de la


fourchette de nouvelles contaminations que le Conseil scientifique, dans son avis
du 20 avril précité avait évalué entre 1 000 et 3 000, a le mérite d’afficher un objectif
mobilisateur en termes de communication : celle de 100 000 tests à réaliser par
jour.

Dans les faits, il est rapidement apparu que les besoins pendant les
premières semaines avaient été surestimés – y compris par les scientifiques –
l’estimation de la fourchette basse fournie par le Conseil scientifique est celle qui
s’est approchée le plus de la réalité. Le nombre de nouvelles contaminations
quotidienne moyenne a en effet oscillé, dans les premières semaines du
déconfinement et grâce aux effets de celui-ci, autour de 500. Le seuil des
3 000 contaminations n’a été franchi que lors de la semaine du 24 août
(semaine 35).
— 122 —

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE NOUVEAUX CAS CONFIRMÉS (1)

7000

6000

5000

4000

3000

2000

1000

Source : Mission d’information, à partir des données publiées par SPF.

Lors de son audition par la mission d’information, M. Castoldi a expliqué


que cet écart trouvait également son origine dans la définition du nombre de cas
contacts par Santé publique France, qui « dans les semaines qui ont suivi le 11 mai,
[…] a été légèrement supérieur à deux » en raison du caractère limité de la reprise
de la vie sociale.

Or, cette estimation a eu comme effet collatéral de conduire à ouvrir


sans limite l’accès au dépistage, ce qui a finalement conduit à un engorgement
des laboratoires.

2. Fallait-il massifier brusquement le dépistage ?

a. Cette décision peut s’expliquer par les retards initiaux


Les premières semaines du déconfinement ont été marquées par une
stagnation du nombre de tests réalisés : le seuil des 300 000 tests n’a été franchi que
la semaine du 29 juin.
L’objectif élevé de 700 000 test par semaine qui a été retenu ensuite a
permis de donner un signal mobilisateur aux laboratoires privés appelés à réaliser
d’importants investissements pour s’équiper en appareils d’analyse. Sans ce
volontarisme politique, le déploiement des capacités de dépistage ne serait jamais
intervenu et la France n’aurait jamais rattrapé son retard en la matière : « c’était

(1) La moyenne du nombre de contaminations quotidienne a été établie pour chaque semaine.
— 123 —

impératif et l’on ne doit vraiment pas regretter d’avoir installé cette capacité » a
expliqué à la mission d’information le professeur Flahault (1).

En effet, il est ici nécessaire de dissocier la question des tests effectivement


réalisés de celle de l’augmentation des capacités théoriques des laboratoires :
pendant que le nombre de tests réalisés stagnait du fait de la faible circulation du
virus, les capacités de dépistage ont, quant à elles, continué de croître tout au long
du déconfinement progressif. Ainsi, au 11 mai, les capacités de dépistage étaient
estimées à 900 000 tests par semaine. Elles ont été portées à 1 million à compter
du 4 juin, date à laquelle 1 162 structures d’analyse, dont 258 centres hospitaliers et
centres hospitaliers universitaires et 827 laboratoires privés étaient en mesure
d’utiliser les 86 techniques de diagnostic par RT PCR disponibles sur le marché.

Néanmoins, la stagnation à un niveau bas du nombre de tests


effectivement réalisés a posé la question de la stratégie à suivre. Le rapport du
professeur Didier Pittet (2) laisse entendre que cette situation a provoqué la décision
de l’exécutif d’enclencher une massification du dépistage : « C’est finalement dans
le cadre de la préparation du déconfinement qu’un objectif de déploiement a été
fixé par les pouvoirs publics sur la base d’une évaluation de SPF de l’ordre de
700 000 tests hebdomadaires dans le cadre d’une stratégie de « tester, tracer et
isoler ». Ce besoin s’est révélé largement surestimé (seulement 250 000 tests
réalisés après le déconfinement), conduisant fin juillet à une ouverture plus large
des conditions d’accès (suppression de la prescription obligatoire). »

Alors que la prise en charge du dépistage était réservée aux personnes


symptomatiques sur une prescription médicale et aux cas contacts des personnes
diagnostiquées positives, le Président de la République a annoncé, le 14 juillet, avoir
demandé au Gouvernement d’élargir le dispositif de dépistage aux personnes
asymptomatiques (3) et de supprimer l’obligation de produire un certificat médical
pour y accéder (4). Le dépistage par RT PCR de la Covid-19 étant pris en charge à
100 % par l’Assurance maladie depuis le 5 mai (5), cette décision a permis un accès
gratuit et illimité de l’ensemble de la population au dépistage.

b. Des conséquences non anticipées sur le dispositif

Cette décision annoncée en semaine 29 a eu un effet accélérateur significatif


sur le nombre de tests effectués. À compter de la semaine 31, leur nombre n’a cessé
de croître. L’objectif des 700 000 tests a été franchi lors de la semaine du 17 août,

(1) Audition précitée.


(2) Mission indépendante nationale sur l’évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l’anticipation des
risques pandémiques, rapport d’étape publié le 13 octobre 2020.
(3) L’élargissement de la doctrine de dépistage trouve également sa justification par le fait qu’une large part
des personnes contaminées par ce virus sont asymptomatiques, notamment les jeunes.
(4) L’arrêté nécessaire a été publié le 24 juillet, en fin de semaine 30.
(5) Décret n° 2020-520 du 5 mai 2020 modifiant le décret n° 2020-73 du 31 janvier 2020 portant adoption de
conditions adaptées pour le bénéfice des prestations en espèces pour les personnes exposées au coronavirus.
— 124 —

près d’1,2 million de tests ont été réalisés à partir de la semaine du 7 septembre et
un pic de 1,9 million de tests a même été atteint lors de la semaine du 19 octobre.

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE TESTS RÉALISÉS CHAQUE SEMAINE

1 200 000

1 000 000

800 000

600 000

400 000

200 000

0
S21 S22 S23 S24 S25 S26 S27 S28 S29 S30 S31 S32 S33 S34 S35 S36 S37

Source : Mission d’information, à partir des données publiées par SPF.

Cette politique a eu un coût : 73,59 euros (1) par test pour l’Assurance
maladie. Au 31 octobre 2020, 15,8 millions de tests avaient été réalisés en
France pour un coût total supérieur à 1 milliard d’euros.

Au-delà de la question financière, il se trouve qu’elle a coïncidé avec la


reprise épidémique sur le territoire national. Le caractère fortuit de cette
concomitance ne saurait être questionné : après deux mois et demi de circulation
ralentie, la reprise épidémique a démarré et l’augmentation du nombre des tests a
permis de suivre avec précision son évolution. En testant plus, notamment les
personnes asymptomatiques, il est également logique diagnostiquer plus de cas
positifs. Néanmoins, en intervenant en plein contexte de reprise épidémique, la
massification du dépistage a eu pour conséquence immédiate l’engorgement du
dispositif.

(1) Remboursement du test : 54 euros ; remboursement de l’enregistrement dans SIDEP : 5,40 euros ;
remboursement du forfait pré-analytique : 4,59 euros et remboursement du prélèvement nasopharyngé par
un médecin biologiste : 9,60 euros.
— 125 —

ÉVOLUTION DU TAUX DE POSITIVITÉ DES TESTS

0
S21 S22 S23 S24 S25 S26 S27 S28 S29 S30 S31 S32 S33 S34 S35 S36 S37

Source : Mission d’information, à partir des données publiées par SPF.

3. L’embolie du mois du septembre

La préparation du déconfinement avait permis au Gouvernement de


proposer une stratégie claire, ambitieuse et efficace pour favoriser la reprise de
l’activité dans des conditions qui permettent de prévenir le risque de reprise
épidémique. Force est de constater que les préconisations qui fondaient cette
stratégie n’ont pas été suivies et que la fragilisation du dispositif de dépistage,
provoquée notamment par sa massification insuffisamment préparée, n’a pas permis
à la stratégie « Tester, tracer, isoler » de produire les effets escomptés pour lutter
contre l’accélération de la circulation du virus.

a. Impréparée, la massification du dépistage s’est avérée incompatible avec


la stratégie de déconfinement

Le rapport du coordinateur national à la stratégie de déconfinement, M. Jean


(1)
Castex a fait du dépistage l’enjeu du déconfinement : il s’agit en effet du premier
pilier de la stratégie « Tester, tracer, isoler ». Il est précisé dans le plan que : « la
mise en œuvre de ce dispositif suppose que soient mises en œuvre dans des délais
les plus rapprochés possibles les différentes étapes » que constituent :

– la prescription médicale (en vigueur jusqu’au 24 juillet) ;

(1) Plan de préparation de la sortie du confinement en date des 27 avril et 6 mai 2020.
— 126 —

– le prélèvement ;

– la transmission du résultat du test ;

– et l’identification des cas contact.

Selon ce rapport, « le succès du dépistage repose sur la capacité à


informer très rapidement chaque personne prélevée du résultat des analyses,
dans un délai inférieur à 24 heures ».

Dans une note non publiée en date du 2 mai 2020, le Conseil scientifique
est encore plus précis sur ce délai de vingt-quatre heures qui participe de la
stratégie de déconfinement : le prélèvement doit être accessible dans les six heures
après une demande de rendez-vous, le résultat du test doit être transmis dans les
douze heures suivantes (si besoin grâce à des outils numériques) et, enfin, la
personne positive doit être contactée dans les six heures afin que s’ouvre la phase
de contact et d’isolement. Pour le Conseil scientifique, le succès de la sortie du
confinement dépend en effet d’une organisation d’ensemble lisible, minutieuse et
réactive.

Deux jours avant la publication de l’arrêté du 24 juillet, la mission


d’information a organisé une table ronde réunissant des syndicats de biologistes
médicaux libéraux. Celle-ci a permis de mettre en lumière les difficultés posées par
l’annonce de massification du dépistage et l’incapacité, en l’état de la situation, des
laboratoires de ville d’absorber l’augmentation de la demande.

Les alertes exprimées par les biologistes furent très claires :

– « si on veut faire des dépistages massifs, il faut avoir un plan B


d’organisation de masse et employer les grands moyens » (1) ;

– « si le Gouvernement souhaite réaliser autant de tests, il faudrait nous


aider à en assurer la logistique administrative. Sinon, nous ne pourrons pas y
arriver. » (2) ;

– « en l’état, les laboratoires privés ne peuvent répondre individuellement


aux dépistages massifs qui leur sont demandés » (3).

Une forte sollicitation des laboratoires de ville a, en effet, été constatée à


partir du mois de juillet. Pour y faire face, les techniciens de laboratoires ont été
autorisés par arrêté, à compter 10 juillet, à effectuer la phase du prélèvement naso-
pharyngé, en plus des biologistes et des infirmiers. Cette mesure s’est néanmoins
avérée insuffisante pour alléger les contraintes logistiques chronophages de

(1) Dr François Blanchecotte, président du syndicat des biologistes.


(2) Dr Jean‑François Perotto, vice-président du syndicat des laboratoires de biologie clinique.
(3) Dr Julien Kimson Nguyen, membre du bureau du syndicat des jeunes biologistes médicaux.
— 127 —

prélèvement et d’enregistrement pesant sur les laboratoires. À partir du 24 juillet,


elle a donc été étendue à d’autres professionnels (1).

Puis au cours de l’été, la reprise épidémique s’est combinée avec une forte
hausse de la demande de tests. Les laboratoires de ville n’ont pu faire face à cette
situation qui a entraîné un accroissement des délais des phases de prélèvement
(l’obtention d’un rendez-vous dans un laboratoire) et d’analyse (la transmission des
résultats du test). Selon Santé publique France, le délai d’accès au dépistage a
atteint une moyenne de 3,8 jours lors de la semaine du 24 août. Lors de son
audition par la mission d’information le 4 novembre 2020, le ministre des solidarités
et de la santé a reconnu que ces délais s’étaient encore allongés à la rentrée scolaire.

Cette situation a provoqué une embolie du système de dépistage et


finalement une mise en échec de la stratégie gouvernementale « Tester, tracer,
isoler » alors que l’enjeu d’enserrer le dispositif de dépistage dans délais les
plus courts possibles était pourtant posé dès le mois de mai. Force est de
constater que les objectifs fixés pour le déconfinement n’ont pas été remplis.

Pour tenter limiter les conséquences épidémiques de l’engorgement du


système de dépistage, le Gouvernement a évoqué, au cours du mois d’août, l’idée
de définir de nouveau une priorisation dans l’accès aux tests. Cette intention a été
partiellement mise en œuvre, le Premier ministre, étant conduit à annoncer, le
11 septembre, un renforcement des circuits dédiés au dépistage sans pour autant
remettre en cause l’accès gratuit et sans condition au système.

Or, dès le 24 septembre, M. Olivier Véran reconnaissait que la priorisation,


mise en place de manière limitée et tardive, ne fonctionnait déjà plus dans la mesure
où « plus la pression sanitaire augmente, plus le public prioritaire s’accroît » (2).
Ce retard dans la prise de décision est d’autant plus critiquable que la situation
pouvait être anticipée, l’alerte ayant été donnée par les laboratoires dès le mois de
juillet.

b. L’embolie du dispositif de dépistage s’est répercutée sur la lutte contre


l’arrivée de la deuxième vague

La fragilisation du dispositif de tests s’est mécaniquement répercutée sur les


dispositifs de traçage et d’isolement. Comme cela a été dit, la réussite de la stratégie
d’isolement repose sur la nécessité de tester et de tracer dans des délais resserrés
afin de contenir la propagation de l’épidémie pour pouvoir isoler les cas qui le
nécessitent de façon efficace.

Or, les retards constatés pour réaliser les tests et les délais pour en
obtenir les résultats n’ont pas permis d’agir avec une vraie efficacité sur la

(1) Les infirmiers diplômés d’État, les étudiants en odontologie, en maïeutique et en pharmacie, les aides-
soignants, les sapeurs-pompiers, les marins-pompiers et les secouristes des associations agréées de sécurité
civile titulaires d’une formation adéquate aux premiers secours.
(2) Audition du 24 septembre 2020 devant la commission d’enquête sénatoriale pour l’évaluation des politiques
publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.
— 128 —

dynamique de l’épidémie. Cette situation a fragilisé notamment le travail des


brigades sanitaires, organisées par l’assurance maladie au sein de plateformes
départementales, dont le rôle est pourtant décisif.

Les 8 000 agents composant ces brigades ont effectué un travail


considérable qui mérite d’être salué : au 26 septembre, 380 000 patients zéro
avaient été contactés en moins d’un jour et un million de cas contact l’avaient été
dans les vingt-quatre heures suivantes.

● Deux facteurs contribué à affaiblir la stratégie de traçage malgré le


dispositif mis en place : d’une part la difficulté croissante pour les brigades
sanitaires à faire face à l’augmentation du nombre de cas et à identifier et à contacter
tous les cas contacts dans les délais nécessaires pour maîtriser la propagation de
l’épidémie et, d’autre part, l’absence de ciblage de la stratégie de traçage alors
même que les besoins devenaient exponentiels.

Le traçage des cas contacts de personnes contaminées par les brigades


sanitaires a rapidement été mis en difficulté par l’augmentation des nouvelles
contaminations détectées, au mois de septembre, et ce malgré l’annonce du Premier
ministre, le 11 septembre, d’un renfort de 2 000 agents au sein des caisses primaires
d’assurance maladie et des agences régionales de santé pour assurer cette tâche. Mi-
septembre, Santé publique France (1) reconnaissait « l’existence de nombreux cas
pour lesquels aucune personne-contact à risque n’est enregistrée » et s’inquiétait
du « faible nombre de nouveaux cas précédemment identifiés comme personnes-
contacts à risque (20 %) ». L’agence suggérait ainsi « l’existence de nombreuses
chaînes de transmission non identifiées et non rattachées à des clusters ».

Dès la fin de l’été, les épidémiologistes, dont le professeur Antoine


Flahault, ont non seulement mis en garde contre l’absence de ciblage des tests
mais aussi contre les risques d’un épuisement des équipes de traçage si une
stratégie efficace n’était pas mise en place, notamment pour identifier et casser
les principales chaînes de contamination. Il semble, en effet, que les capacités
propagatrices du virus varient considérablement d’une personne contaminée à
l’autre. Lors de son audition par la mission d’information le 15 septembre 2020,
le professeur a cité l’exemple japonais du traçage rétrospectif qui ne se concentre
« pas tant [sur] la recherche des contacts passés […] que [sur] la recherche de
tous les contacts qui risqueraient de « superpropager » la pandémie dans le
futur ». Le professeur Flahault insistait sur l’autre mérite que présentait le
développement d’une stratégie de traçage : celui de rationnaliser la tâche des
autorités sanitaires qui n’étaient de toute façon pas en mesure de « continuer
d’investiguer tous les cas de façon systématique ».

Le 28 octobre 2020, le Président de la République a en effet reconnu que


« si ce système peut être efficace avec quelques milliers de cas par jour », tel ne
peut être le cas lorsque 40 000 à 50 000 contaminations quotidiennes sont dépistées.

(1) Point épidémiologique du 17 septembre 2020.


— 129 —

Enfin, si le dispositif de traçage a reposé sur deux systèmes d’information


particulièrement efficaces – SIDEP et Contact-Covid – alors même qu’ils ont été
mis en œuvre dans des délais extrêmement contraints, il n’a pu compter sur les
bénéfices escomptés de l’application « StopCovid » dont l’inutilité sanitaire aura
été manifeste.

À cet égard, le développement de la nouvelle application


« TousAntiCovid » constitue une amélioration très sensible en termes d’ergonomie
et de fonctionnalités qui se traduit par des téléchargements en nombre bien
supérieur. Le 21 novembre 2020, l’application indiquait 9,3 millions
d’enregistrements nets – téléchargements et activations – pour 13 106 notifications.
À titre de comparaison, l’application allemande « Corona-Warn app » avait été
téléchargée par plus de 22 millions d’utilisateurs à la même date.

Le bilan de Stop-Covid
Lors de son audition devant la commission des Lois du Sénat, le 27 mai 2020,
M. Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique, a affirmé que « la participation
[gratuite] des organisations publiques et privées à la phase de développement […] a
permis de mettre au point « StopCovid » pour quelques milliers d’euros par mois ».
La première version de l’application a en effet été développée et mise à disposition du
ministère des solidarités et de la santé à titre gracieux par un consortium dirigé par l’Institut
national de recherche en sciences et technologies du numérique, qui a assuré la maîtrise
d’ouvrage, et associant les entreprises Lunabee, Orange, Cap Gemini, 3DS et Outscale.
Le coût total du développement est estimé à 2,5 millions d’euros TTC.
Les frais à la charge du ministère sont les suivants :
– exploitation : 1 128 000 euros TTC/an ;
– licences : 69 876 euros TTC/an ;
– support utilisateur : 720 000 euros TTC/an ;
– animation du déploiement : 432 000 euros TTC/an ;
– hébergement : 576 000 euros TTC/an.
Par ailleurs, 2 793 000 euros TTC ont été investis dans la campagne de communication
de lancement de l’application.
Le coût total estimé de Stop-Covid, sur ses cinq mois d’existence (du 3 juin au
22 octobre 2020), est donc de 6,5 millions d’euros TTC.
De juin à septembre, l’application a été installée 2,5 millions de fois pour 1 million de
désinstallations et 300 000 réinstallations. 5 553 tests positifs ont été scannés dans
l’application qui a émis seulement 346 alertes, dont 296 ont été effectivement transmises.

Sur l’enjeu déterminant du traçage, la Corée du Sud, a mis en place une


stratégie précoce, réactive et innovante mise. Ce choix déterminant s’est couplé
avec une politique de dépistage tout de suite opérationnelle qui est ensuite restée
assez stable. Le pays, qui compte 52 millions d’habitants, a rapidement atteint une
— 130 —

capacité de dépistage de 40 000 tests par jour qui avait été portée à 70 000 début
septembre, soit un peu moins de 500 000 tests par semaine (1).

Si l’utilisation qui est faite en Asie des outils numériques reste difficilement
transposable dans notre pays, l’adhésion de la population allemande à l’application
« Corona-Warn-App » montre qu’une stratégie numérique offensive peut être
esquissée en Europe tout en préservant les droits et libertés fondamentaux, incluant
le respect de la vie privée et la protection des données personnelles.

« Tracer » : synthèse des réussites identifiées dans les pays étrangers


– en Corée du Sud : une politique précoce, réactive et innovante pour traçer efficacement
les cas contacts
– au Japon : une stratégie de traçage ciblée pour identifier les super-propagateurs et
briser les chaînes de contamination
– en Allemagne : une application de tracing téléchargée par plus de 22 millions
d’utilisateurs

● Les difficultés posées par l’allongement des délais d’accès au dépistage


et de transmission du résultat des tests ont fragilisé la stratégie qui nécessite, pour
freiner la diffusion de l’épidémie, d’isoler les malades et les malades potentiels –
leurs cas contact – durant la période pendant laquelle ils sont contagieux.

Même si une meilleure connaissance du virus a conduit le conseil


scientifique à préconiser, à partir du 11 septembre, une réduction de la durée de
l’isolement de quatorze à sept jours dans l’objectif de mieux garantir son respect
effectif, l’enjeu d’une meilleure sensibilité des tests à la détection de la
contagiosité réelle d’une personne diagnostiquée positive se pose avec acuité,
dans l’hypothèse d’une persistance à moyen terme de la circulation du virus, afin de
ne pas imposer l’isolement, et ses conséquences, à des personnes qui bien que
positives ne seraient finalement pas contagieuses.

Proposition : Soutenir les travaux permettant de mieux apprécier et de prendre en


compte la contagiosité réelle d’une personne positive à la Covid-19 afin de mieux cibler la
stratégie d’isolement.

4. Un nouvel élan dans la stratégie de dépistage

Le déploiement des tests antigéniques dont les résultats, sont disponibles


immédiatement a renforcé utilement le dispositif de dépistage qui étant désormais
canalisé, permet de tester massivement et de répondre à la situation actuelle pendant

(1) Audition de M. Jong-Moon Choi, ambassadeur de la République de Corée en France par la commission
d’enquête sénatoriale pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de
la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, le 9 septembre 2020.
— 131 —

laquelle le nombre de tests réalisés se maintient à niveau très haut : 1,6 million de
Français se sont fait dépister pendant la semaine du 9 novembre.

Par arrêté du 15 septembre 2020, la réalisation des tests rapides


d’orientation diagnostique antigéniques a été autorisée mais seulement dans le cadre
d’opérations collectives de dépistage du SARS-CoV-2 ; c’est-à-dire qu’ils ne
s’adressent pas à ce stade aux personnes symptomatiques ou repérées comme cas
contact.

Le 17 septembre 2020, lors d’une conférence de presse, le ministre des


solidarités et de la santé annonçait l’acquisition de 5 millions de ces tests et leur
mise à disposition pour le début du mois d’octobre. C’est l’arrêté du 16 octobre
2020 (1), suivant l’avis favorable de la HAS en date des 24 septembre et 8 octobre
justifié par la sensibilité plus faible de ces tests, que leur prise en charge par
l’Assurance maladie a ouvert la voie à leur commercialisation pour les personnes
symptomatiques.

Le déploiement du dispositif se poursuit alors que les barnums se


multiplient, à même les rues, en face des pharmacies : le 12 novembre, le ministre
des solidarités et de la santé confirmait la commande de 12 millions de tests
supplémentaires.

IV. LA LUTTE CONTRE LA CIRCULATION DE L’ÉPIDÉMIE AURAIT DÛ


PASSER PAR UN CONTRÔLE RENFORCÉ DES FRONTIÈRES

1. Une gestion désordonnée n’a pas permis de freiner l’arrivée du virus

Les alertes en provenance de Chine concernant l’apparition puis la diffusion


de la Covid-19 n’ont pas conduit à la mise en place de dispositifs de contrôle
spécifiques en France. L’annonce de la ministre des solidarités et de la santé, à la
mi-janvier, de l’affichage de notices d’information dans les aéroports a été perçue
comme insuffisante au regard des enjeux sanitaires.

Le 1er février, ce sont tous les pays de l’espace Schengen, sauf la France,
qui suspendent les visas des ressortissants chinois et ferment donc leurs frontières
extérieures à ce pays. Alors qu’Air France avait annoncé la suspension de ses vols
à destination et en provenance de la Chine le 30 janvier, les compagnies aériennes
chinoises Air China, China Eastern et China Southern ont néanmoins maintenu leurs
liaisons avec la France.

Le confinement se traduit par la fermeture des frontières intérieures et


extérieures du pays à compter du 17 mars. Dans le but de limiter au strict minimum
les déplacements, y compris internationaux, tous les ressortissants de pays non
membres de l’Union européenne, de l’espace Schengen ou du Royaume-Uni qui

(1) Arrêté du 16 octobre 2020 portant modification de la liste des actes et prestations mentionnée à
l’article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale (inscription de l’acte de test diagnostic rapide dans le cadre
de la détection des antigènes du SARS-CoV-2).
— 132 —

n’ont pas de raison impérative de se rendre en Europe ou en France doivent s’en


voir refuser l’accès (1).

La frontière franco-espagnole pendant le confinement


L’Espagne a réintroduit ses contrôles aux frontières intérieures le 17 mars 2020, comme
la France, et les a maintenus jusqu’au 11 mai.
La frontière terrestre franco-espagnole compte trente-cinq points de passages autorisés
(PPA) terrestres et un PPA maritime. La France et l’Espagne ont procédé, d’un commun-
accord, à la fermeture de vingt-et-un PPA pendant le confinement.
Conformément aux recommandations formulées par la Commission européenne pour
garantir la continuité du transport de marchandises, cinq Green lanes ont été identifiées
et sont restées ouvertes à la circulation : Le Perthus sur l’A9), le pont du Roy à Melles,
Biriatou sur l’A63, le tunnel du Somport et Bourg Madame).

2. L’organisation des contrôles sanitaires a été installée dans une certaine


confusion

Les outils juridiques étaient à la disposition du Gouvernement pour


anticiper dès le début de l’été la reprise des déplacements transfrontaliers. Dès le
3 mai (2), les préfets ont été en mesure d’autoriser les laboratoires à prélever les
échantillons nécessaires à la réalisation de l’examen dans un autre lieu que le
laboratoire de biologie médicale, qu’un établissement de santé ou qu’au domicile
du patient. Il a néanmoins fallu attendre le 16 juillet pour que le préfet de police de
Paris prenne trois de ces arrêtés afin de mettre en place des dispositifs de dépistage
restreints et peu opérants dans les aéroports de Paris puisqu’ils n’étaient ni
généralisés, ni obligatoires.

Dans le cadre de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de


l’état d’urgence sanitaire, le législateur avait pourtant autorisé le Premier ministre,
en application du 4° du I de l’article 1er, à imposer aux personnes souhaitant se
déplacer par transport public aérien à destination ou en provenance du territoire
métropolitain ou de l’une des collectivités d’outre-mer de présenter le résultat d’un
examen biologique de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination
par la covid-19.

Après des semaines de confusion, le décret du 27 juillet 2020 (3) a


finalement mis en place, à compter du 1er août, un dispositif sur quatre
niveaux difficilement lisible :

(1) Instruction n° 6149/SG du 18 mars 2020 du Premier ministre sur les décisions prises pour lutter contre la
diffusion du covid-19 en matière de contrôle aux frontières.
(2) Arrêté du 3 mai 2020 complétant l’arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de
fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de
l’état d’urgence sanitaire.
(3) Décret n° 2020-911 du 27 juillet 2020 modifiant le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 prescrivant les
mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état
d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé
— 133 —

– les pays « verts » : leurs ressortissants ne font l’objet d’aucun contrôle ni


d’aucune mesure préventive dans la mesure où ils ne constituent pas, selon l’arrêté
du 10 juillet (1), une zone de circulation de l’infection. Il s’agissait, au 17 septembre
2020, des pays suivants : États membres de l’Union européenne, Andorre, Australie,
Canada, Corée du sud, Géorgie, Islande, Japon, Lichtenstein, Monaco, Norvège,
Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Rwanda, Saint-Marin, Saint-Siège, Suisse,
Thaïlande, Tunisie et Uruguay.

Alors que des mesures de réciprocité avaient été annoncées contre la


décision du Royaume-Uni d’imposer, à compter du 15 août 2020, une quarantaine
aux voyageurs rentrant de France, aucun dispositif n’a été mis en œuvre et le
Royaume-Uni a continué d’être considéré, en application de l’arrêté précité,
comme une zone où ne circule pas le virus alors que la reprise épidémique y a
été importante dès le mois de septembre.

– les pays « très rouges catégorie 1 » : leurs ressortissants doivent


obligatoirement présenter un test de dépistage virologique de moins de 72 heures
(États-Unis, Émirats arabes unis, Panama et Bahreïn).

– les pays « très rouges catégorie 2 » : leurs ressortissants doivent soit


présenter un test de moins de 72 heures, soit effectuer un test à leur arrivée à
l’aéroport (Afrique du Sud, Algérie, Argentine, Arménie, Bolivie, Bosnie-
Herzégovine, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Guinée équatoriale, Inde, Israël,
Kirghizstan, Kosovo, Koweït, Liban, Madagascar, Maldives, Mexique, Moldavie,
Monténégro, Oman, Pérou, Qatar, République dominicaine, Serbie, Territoires
palestiniens et Turquie). En cas de refus du test, l’étranger fait l’objet d’un arrêté de
placement en quarantaine.

– les pays « rouges » : les étrangers en provenance des autres pays sont
invités, lorsqu’ils n’ont pas réalisé de test PCR, à respecter une quatorzaine
volontaire. Ils peuvent solliciter un dépistage à leur arrivée à l’aéroport.

Sur les mois d’août et de septembre, ce dispositif sanitaire a permis le


contrôle de 300 000 passagers. À l’aéroport d’Orly, 17 000 tests PCR ont été
pratiqués sur cette période.

Les arrivées sur le territoire national ne se limitent cependant pas aux


déplacements aériens. Ce n’est que dans le cadre du deuxième confinement et du
décret du 29 octobre 2020 (2) que le dispositif de contrôle sanitaire aux frontières a
été étendu à l’ensemble des voies d’accès au territoire, qu’elles soient terrestres,
aériennes ou maritimes.

(1) Arrêté du 10 juillet 2020 identifiant les zones de circulation de l’infection du virus SARS-CoV-2.
(2) Décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à
l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
— 134 —

V. UNE SOUS-ESTIMATION DU RISQUE DE SECONDE VAGUE : DES


MESURES INSUFFISAMMENT RESTRICTIVES À L’ÉTÉ ?

Dresser un constat a posteriori de la préparation de la seconde vague de la


crise sanitaire est certes plus facile que d’adapter au fur et à mesure les décisions à
l’évolution de la situation épidémique.

La préparation de la seconde vague de la crise sanitaire semble toutefois, à


plusieurs égards, avoir été insuffisante. Si des leçons ont été tirées s’agissant des
masques et des EPI et des modalités de leur distribution, la chronologie des mesures
prises pour endiguer la reprise de l’épidémie conduit cependant à s’interroger sur
leur adéquation à la préparation d’une seconde vague épidémique. Celle-ci a
pourtant été annoncée par le conseil scientifique dès le 27 juillet : il était alors déjà
« hautement probable qu’une seconde vague épidémique soit observée à l’automne
ou hiver prochain. L’anticipation des autorités sanitaires à mettre en place
opérationnellement les plans de prévention, de prise en charge, de suivi et de
précaution est un élément majeur ».

M. Jean-François Delfraissy avait, en outre, alerté dès son audition devant


la mission, le 18 juin, sur le risque de deuxième vague et les nécessités de
l’anticipation : « compte tenu des particularités de ce virus, qui ressemble à un virus
grippal, l’ensemble du conseil scientifique estime que le risque d’une deuxième
vague venant de l’hémisphère sud et revenant vers l’Europe à la fin du mois
d’octobre, en novembre ou en décembre doit être considéré. Nous avons fait part
de cette position aux autorités politiques de notre pays. Il faut se préparer pour
éviter de se retrouver dans la même situation que le 12 mars […]. On peut
imaginer qu’un médicament de prévention sera mis au point d’ici là mais nous
n’aurons pas de vaccin, à cette période, contrairement à ce que nous entendons trop
souvent en ce moment […]. Notre rôle est d’exposer ce qui pourrait éventuellement
se passer. Il s’agit d’anticiper pour prendre toutes les dispositions nécessaires et
préparer les Français à ce type de situation […]. Le Gouvernement et les autorités
sanitaires doivent mettre noir sur blanc dès le début du mois de juillet ce qu’ils
prévoient pour le 6 septembre. Notre principal retour d’expérience, le voici : la
préparation pour lutter contre l’impréparation ».

M. Antoine Flahault l’a également dit lors de son audition, le 15 septembre :


« On sait que le virus circule très activement, en particulier dans les départements
du Sud de la France, avec l’augmentation des hospitalisations, notamment en
réanimation. Aussi n’est-on peut-être pas très loin, en effet, d’une augmentation de
la mortalité qu’il ne faudrait pas attendre les bras croisés mais à laquelle il faudrait
véritablement se préparer pour éviter l’engorgement du système de santé ». Il
précisait : « l’hypothèse selon laquelle le virus serait moins dangereux ne convainc
guère les scientifiques. Celui qui circule aujourd’hui en Europe est le même que
celui que circule au Pérou, en Colombie, au Texas, en Arizona, où il a pour
conséquence un fort taux de mortalité. Je ne parierais donc pas, aujourd’hui, sur
un virus beaucoup moins virulent. Il se pourrait que le virus, à force de muter
comme ils le font tous, finisse par s’atténuer légèrement mais je crains que l’on n’y
— 135 —

soit pas encore. Il a été question de saisonnalité et de chaleur. En réalité, la


saisonnalité des virus n’obéit pas qu’à la chaleur, comme on le voit en des lieux
très chauds d’Afrique et d’Amérique latine ».

Il faut également souligner que les contradictions de la communauté


médicale, s’agissant notamment de possibles mutations du virus, n’ont pas facilité
la prise de conscience collective et n’ont pas participé à une prise de décision
sereine.

En particulier, l’été a été une période de progressif relâchement des


mesures de prévention contre le covid-19, compréhensible s’agissant des
populations au regard des mois éprouvants écoulés, mais qui aurait dû faire
davantage l’objet d’une réponse précoce des pouvoirs publics. Cette période a,
en effet, été marquée par une très forte diffusion du virus chez de jeunes adultes,
l’épidémie restant cependant « silencieuse » et se traduisant par peu
d’hospitalisations. De nouveaux clusters ont également émergé, notamment en
Mayenne.

Le premier ministre a insisté devant la mission sur la persistance des


messages d’alerte pendant cette période et sur les mesures prises au cours des mois
d’été pour certaines villes particulièrement exposées, ayant fait l’objet d’une
réception très négative des élus et de la population.

On peut cependant relever que le port obligatoire du masque n’a été


imposé qu’à partir de la fin du mois de juillet dans l’ensemble des lieux clos, puis,
sur décision du préfet ou du maire, à partir du mois d’août en extérieur dans les lieux
fréquentés, alors qu’il l’était de manière plus précoce dans d’autres États
européens aussi peu acculturés que les Français à cette pratique (1).

M. Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux


français, alertait sur ce point dès le 9 juillet la mission : « depuis hier, la Catalogne
impose le port du masque dans tous les lieux confinés. Pourquoi ne le fait-on pas
en France ? Qu’attend-on ? Que les clusters se multiplient ? Il faut être clair vis-à-
vis des Français. Ce type d’instructions a manqué. Avec le déconfinement, tout le
monde oublie les gestes barrières. Nous sommes encore dans une situation sous
contrôle, mais il faut donner des instructions claires quant au port du masque et au
respect des mesures barrières, tout particulièrement dans les endroits confinés ».

Ensuite à la rentrée de septembre, un temps précieux n’a-t-il pas été


perdu ?

(1) Le décret 2020-860 du 10 juillet 2020 impose le port du masque dans certains établissements clos de
particulièrement grande taille : salles de conférences, établissements sportifs couverts, établissements de
culte, musées, bibliothèques, ainsi que dans les transports et les restaurants. Le décret n° 2020-884 du
17 juillet 2020 ajoute l’obligation de port du masque dans les marchés couverts, les magasins de vente et les
banques et administrations (à l’exception des bureaux). Le décret n° 2020-944 du 30 juillet 2020 précise que,
dans les cas où le port du masque n'est pas prescrit par décret, le préfet de département est habilité à le
rendre obligatoire, sauf dans les locaux d'habitation, lorsque les circonstances locales l'exigent. Le décret
n° 2020-1096 du 28 août impose le port du masque dans les bureaux partagés et les lieux de circulation en
entreprise.
— 136 —

Un conseil de défense et de sécurité nationale se tient le 11 septembre.


Il en résulte une communication du Premier ministre en conférence de presse,
qui malgré des constats clairs sur l’évolution de l’épidémie se limite à un rappel
de l’importance des gestes barrière qui apparaît bien disproportionné face à
l’ampleur du risque. Selon les mots mêmes du Premier ministre on connaît
pourtant à ce moment « une dégradation manifeste de la situation : le virus circule
de plus en plus en France. Le taux d’incidence est monté à 72 cas pour
100 000 personnes, contre 57 il y a une semaine. Le pourcentage des cas positifs
augmente » et pourtant, il est seulement rappelé aux Français : « nous devons
impérativement respecter les règles de distanciation physique, nous laver
régulièrement les mains, porter le masque, ce que l’immense majorité de nos
concitoyens fait, en application des dispositions que nous avons prises, et je les en
remercie ».

Certes l’acceptabilité des mesures est un élément déterminant de leur succès


et bien entendu toute règle restrictive pèse sur l’activité économique et sur des
professions qui ont déjà été mises en danger par le premier confinement, mais à la
mi-septembre toutes les raisons d’être inquiets étaient réunies et le rapporteur
considère que l’on aurait pu attendre de le part du Gouvernement des décisions plus
fermes qui, prises plus tôt, aurait été plus efficaces et ainsi levées plus tôt, voire
auraient peut-être permis d’éviter un deuxième confinement.
— 137 —

TROISIÈME PARTIE : UN SYSTÈME DE SOINS FORTEMENT


ÉPROUVÉ PAR LA CRISE

La prise en charge des malades de la Covid-19 a été rendue possible par la


mobilisation totale du système de santé. Les soignants ont fait preuve – et font
toujours preuve – d’un engagement total et prolongé, pour soigner, souvent dans
l’incertitude sur les caractéristiques de la pathologie et toujours dans l’urgence, les
malades graves qui dès les premières semaines de mars ont afflué dans les hôpitaux
des régions touchées par l’épidémie.

La situation critique qui en est résulté doit conduire à se poser la question


du choix du « tout hôpital » qui a structuré la gestion de l’épidémie dès ses prémices
et qui a participé du risque permanent de saturation auquel ont été confrontés les
services hospitaliers. « L’hôpital a tenu », se félicite le ministre des solidarités et de
la santé. Si on ne peut, bien entendu que s’en féliciter avec lui, on ne peut aussi
ignorer, outre la part de l’engagement des personnels dans ce résultat, le fait qu’il
n’a été possible qu’au prix de la déprogrammation généralisée des soins non urgents
et donc au prix du suivi des pathologies usuelles et chroniques. L’orientation des
malades par les seuls numéros d’urgence les a tenus éloignés de leur médecin, qui
aurait pourtant dû constituer un échelon essentiel dans le parcours de soins des
malades de la Covid-19 et permettre de soulager un hôpital public saturé. Il est trop
tôt pour évaluer en détail les conséquences sanitaires du report des activités
chirurgicales non urgentes, du renoncement aux soins et des retards de diagnostics,
mais elles pourront s’avérer coûteuses en termes de santé publique.

Si « l’hôpital a tenu », c’est aussi au prix d’une prise en charge d’une partie
des personnes âgées malades de la Covid-19 au sein des établissements dans
lesquels ils résidaient et de difficultés dans leur accès à l’hôpital et en services de
réanimation. En effet, la crise sanitaire a également particulièrement affecté les
établissements pour personnes âgées (EHPA) qui ont payé un lourd tribut à
l’épidémie. Malgré le déclenchement du plan bleu (1), le 6 mars, dans les
établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), nombre d’entre eux se sont
trouvés, comme les services d’aide à domicile, démunis face à l’épidémie. La
réponse apportée aux EHPA est apparue tardive et souvent inadaptée à la réalité de
ces établissements. La crise sanitaire a par ailleurs mis en lumière les limites du
modèle des EHPAD, établissements insuffisamment médicalisés pour affronter ce
type de crises.

(1) La rédaction systématique d’un plan bleu et son intégration dans le projet d’établissement ont été rendues
obligatoires par un décret en date du 7 juillet 2005. Ce plan, élaboré sous la responsabilité du directeur de
la maison de retraite, doit détailler les modalités d’organisation et les mesures à déployer dans
l’établissement en cas de crise sanitaire ou climatique.
— 138 —

I. L’HOSPITALO-CENTRISME A ÉTÉ UN FACTEUR AGGRAVANT DE LA


SITUATION CRITIQUE DE HÔPITAL

Les mesures de réorganisation hospitalière ont permis d’éviter qu’au pic de


la crise épidémique, la saturation du système hospitalier ne se transforme en un
débordement redouté de ses capacités d’accueil qui aurait été évidemment
préjudiciable à la santé des malades graves pris en charge à l’hôpital. Cette réponse
à la crise centrée sur l’hôpital et le dispositif d’urgence a cependant eu des
répercussions sur la prise en charge des malades dans leur ensemble, en particulier
en raison de la marginalisation des praticiens libéraux dans le dispositif du début de
crise.

A. UN DISPOSITIF DE CRISE CENTRÉ SUR L’HÔPITAL

L’ampleur de l’effort déployé pour prendre en charge les patients gravement


malades à l’hôpital est reconnu par tous. La situation de tensions extrêmes dans
laquelle s’est trouvé le système de soins pour affronter l’épidémie a néanmoins été
aggravée par un dispositif de crise centré autour de l’hôpital public.

En effet, alors que le secteur privé a été mobilisé avec un décalage par
rapport aux structures publiques, la réponse à la crise ne s’est par ailleurs pas
suffisamment appuyée sur les soins primaires qui auraient pourtant pu jouer un rôle
important dans le parcours de soins des malades de la Covid-19.

1. Un dispositif de crise qui a reposé sur le 15 et les numéros d’urgence


avec le risque de leur saturation

Le dispositif de gestion de crise s’est appuyé sur l’action des personnels des
services de secours d’urgence qui sont accoutumés aux situations de crises sanitaires
et dont la mobilisation exceptionnelle tout au long de l’épidémie a été indispensable.

Le choix de renvoyer l’ensemble des appels relatifs au Covid-19 au


numéro 15 portait néanmoins le risque d’engendrer une saturation des lignes
d’urgence. Les SAMU-centres 15 se sont trouvés confrontés tant aux demandes de
soins qu’aux demandes d’informations sur le virus.

Il ressort des auditions menées par la mission d’information la difficulté


d’établir avec certitude l’existence de pertes de chances pour des malades qui ne
seraient pas parvenus à joindre les urgences. Sur la base d’une enquête réalisée par
la DGOS, un pic d’appels inefficaces, c’est-à-dire d’appels n’ayant pas pu être
accueillis du fait d’un évènement instantané ou persistant (ex : saturation des lignes,
panne, etc.) a néanmoins été observé aux alentours du 12 mars, 60 000 appels
inefficaces étant recensés ce jour-là (1).

(1) Données DGOS, 31 juillet 2020.


— 139 —

ÉVOLUTION DU NOMBRE D’APPELS INEFFICACES AU SAMU AVEC PRÉCISION DES


VALEURS TOUS LES 1ER ET 15 DU MOIS

DGOS, 31 juillet 2020 (enquête réalisée sur 88/101 SAMU).

Le nombre d’appels inefficaces a diminué de manière significative à partir


du 14 mars et s’est stabilisé aux alentours du 22 mars. Cette baisse est liée à la
diminution globale du nombre d’appels à partir du 14 mars (voir infra) mais
également au renforcement des moyens techniques et humains au sein des
SAMU- centre 15 pour faire face au surcroît d’activité.

Pour répondre à l’état d’urgence sanitaire, les sapeurs-pompiers ont


également démontré une grande polyvalence et une capacité d’adaptation face à
l’urgence de la prise en charge de nombreux malades. Les coopérations nouées
localement entre les professionnels de santé hospitaliers et libéraux et les
sapeurs- pompiers, qui ont réalisé près de 100 000 interventions relatives au Covid-
19 (1) lors de la première vague de l’épidémie, sont apparues essentielles.

PROPORTION D’APPELS EFFICACES ET INEFFICACES SUR TOUS LES APPELS PASSÉS AU 15

Données fournies par la DGOS le 31 juillet (enquête réalisée sur 88/101 SAMU).

(1) Audition du colonel Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France
(FNSPF) et du médecin-colonel Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d’urgence aux personnes
et du service de santé et de secours médical, le 21 juillet 2020.
— 140 —

La centralisation des appels sur les numéros d’urgence a fait sauter un


échelon dans le dispositif de gestion de crise, qui aurait sans doute permis de
soulager un système sous tension extrême et d’améliorer la qualité globale de
l’accompagnement des malades de la Covid-19.

Les patients Covid nécessitent un suivi régulier de leurs symptômes, pour


surveiller l’évolution de leur état général et respiratoire et prévenir d’éventuelles
complications vitales. Des malades peuvent développer soudainement des
symptômes graves (essentiellement des problèmes cardio-respiratoires et
thrombo- emboliques) qui auraient peut-être pu être mieux anticipés s’ils avaient
fait l’objet d’un suivi médical plus resserré.

Une plus grande mobilisation des médecins de ville aurait contribué à


l’allègement de l’engorgement des hôpitaux par une meilleure coordination des
acteurs en matière de diagnostic et d’orientation du parcours de soins. Les
professionnels de santé de ville sont à même d’identifier les patients souffrant d’une
pathologie banale et les malades développant des symptômes alarmants nécessitant
une hospitalisation. Les médecins généralistes connaissent, par ailleurs, leurs
patients et leurs facteurs de risques.

Pourtant, partout où elle a été associée, la médecine de ville a démontré


utilité dans la gestion de crise. En Île-de-France par exemple, le dispositif Covidom
a permis aux médecins généralistes d’assurer, en lien avec l’hôpital, un suivi à
distance et à domicile de malades de la Covid-19 ne présentant pas de signes de
gravité. Déployé à partir du 9 mars dans les hôpitaux Bichat et La Pitié-Salpêtrière,
ce dispositif a permis de prendre en charge jusqu’à 60 000 patients (1). La création
de centres de consultations ambulatoires, temporaires ou adossés à des structures de
santé existantes, a également permis de prendre en charge des patients ayant des
symptômes évocateurs de la Covid-19 (2).

2. La médecine de ville a été largement écartée de la première réponse à


la crise

La gestion hospitalo-centrée de la crise-sanitaire, dans sa première phase, a


donné lieu à une dualisation du système de santé avec d’un côté, un hôpital public
sous une extrême tension et de l’autre, des médecins de ville disposant de ressources
et de capacités inutilisées. Lors de son audition par la mission d’information le
16 juillet, le Dr Patrick Bouet, président du Conseil national de l’ordre des médecins
a ainsi décrit une situation avec « d’un côté des acteurs hyper-engagés et hyper-
sollicités et de l’autre, des acteurs qui ne demandaient qu’à s’engager. »

Ces médecins de ville se sont sentis, en outre, démunis, face à la montée en


puissance de l’épidémie pour laquelle ils n’ont disposé au départ, ni d’équipements

(1) Audition de M. Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, le 6 juillet
2020.
(2) Communiqué de l’Agence Régionale d’Île de France du 30 mars 2020, en Île-de-France, plus de 150 centres
de ce type ont été créés fin mars.
— 141 —

de protection appropriés pour eux et pour leurs malades, ni de protocoles sanitaires


suffisamment adaptés.

Les représentants de la médecine libérale entendus par la mission ont ainsi


regretté des premières directives inscrites dans des protocoles excessivement longs
et inadaptés à la réalité de la prise en charge des patients en cabinet. Une
consultation des professionnels de santé sur la prise en charge en ville de l’épidémie
de Covid-19 publiée par la commission des affaires sociales du Sénat, le 14 avril,
montrait qu’un peu plus de la moitié des médecins interrogés (50,2 %) remettaient
en question la pertinence, la clarté et la cohérence des recommandations relatives
aux traitements susceptibles d’être administrés à leurs patients.

Mais le problème majeur, a été celui de la non fourniture aux médecins de


ville et aux autres professionnels de santé libéraux d’équipements de protection
comme cela avait été le cas lors d’épidémies précédentes.

a. Des patients dissuadés de se rendre dans les cabinets médicaux

La diffusion de messages de précaution sur le risque de transmission de la


Covid-19 a eu pour effet de dissuader les patients de se rendre chez leur médecin,
par peur de la contamination. Les recommandations officielles – notamment la
page « puis-je me rendre chez un professionnel de santé ? (1) » publiée le 20 mars
par le ministère des solidarités et de la santé – invitaient en effet les personnes
ressentant des symptômes évocateurs de la Covid-19 à ne pas se rendre dans
les cabinets médicaux, mais à passer par la téléconsultation ou l’appel au 15.

Ces messages ont pu à la fois dissuader des malades de consulter leur


médecin traitant, pour ne pas risquer de transmettre la Covid-19 – dans la mesure
où les symptômes de la Covid sont communs à de nombreuses pathologies – mais
également engendrer une peur de la contamination, pour les autres patients.

Le développement significatif de la télémédecine (voir infra) a pallié en


partie le recul des consultations en cabinet et a permis de ne pas interrompre
totalement la continuité des soins. Cet outil n’a néanmoins pas été pleinement
satisfaisant, d’une part, parce que les téléconsultations ne remplacent jamais
véritablement un examen clinique en présence du médecin et d’autre part, en raison
de la persistance de nombreux citoyens ne disposant pas des équipements
nécessaires à ce type de consultations.

Les représentants de la médecine de ville regrettent d’autant plus que la


population n’ait pas été informée, même après les premiers temps de la crise, des
précautions sanitaires prises par les cabinets médicaux. Un sondage réalisé à la
demande la Fédération de l’Hospitalisation Privée (FHP) a montré que début mai,

(1) https://www.gouvernement.fr/coronavirus-covid-19-puis-je-me-rendre-chez-un-professionnel-de-sante-
pendant-le-confinement
— 142 —

36 % des personnes interrogées craignaient encore de retourner en


consultation (1).

b. Un empêchement majeur : des praticiens dépourvus d’équipements de


protection individuelle

i. La course aux masques

Le manque d’équipements de protection individuelle et en particulier de


masques, pour eux-mêmes, leurs personnels et leurs malades a incontestablement
constitué la principale difficulté rencontrée par les praticiens libéraux pour la prise
en charge des patients dans le contexte de la crise sanitaire.

Au mois de février et alors que la montée en puissance de l’épidémie était


croissante, les professionnels de santé de ville ont dû compter sur les stocks usuels
qu’ils avaient constitué pour la prise en charge de risques infectieux (2).

Comme l’a précisé M. Jean-Paul Ortiz, président de la confédération des


syndicats médicaux français (CSMF) à la mission : « Il est normal que nous ayons
un petit stock de masques en permanence, mais en situation de crise, l’État a la
responsabilité de nous en fournir. Si chacun doit garder des stocks importants, la
question du financement se pose, et nous n’avons aucun accompagnement financier
pour l’instant. On ne peut pas demander à chaque cabinet médical de stocker des
cartons entiers de masques, c’est de la responsabilité de l’État ».

Lors de son audition le 2 juillet, M. Xavier Bertrand, ancien ministre de la


santé a ainsi évoqué en comparaison, la distribution en 2007 de kits de protection
à 400 000 professionnels de santé, dans le contexte de l’épidémie de grippe A
H1N1.

Or, n’étant pas prioritaires pour les premières livraisons de masques de


stock d’État, les médecins et autres praticiens ont tardé à voir arriver les commandes
d’équipements de protection qui leur ont pourtant été annoncées. En effet, à la
pénurie elle-même à l’amorce de la crise, se sont ajoutées des difficultés dans la
distribution qui les ont particulièrement pénalisés (cf première partie).

Ces questions d’accès aux masques pour les praticiens libéraux se sont
posées jusqu’à fin mars-début avril (3). L’enquête précitée réalisée par le Sénat
auprès des professionnels de santé de ville révèle ainsi que seuls 24,5 % des
médecins, 32,2 % des pharmaciens et 14 % des infirmiers s’estimaient mi-avril
convenablement équipés.

(1) Sondage réalisé par Viavoice pour la FHP par des interviews réalisées en ligne, du 5 au 8 mai 2020, auprès
d'un échantillon de 1 001 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, résidant
en France métropolitaine.
(2) Audition de M. Patrick Bouet, président du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), le 16 juillet.
(3) Lors de l’audition des médecins libéraux le 9 juillet, M. Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des
syndicats médicaux français ( CSMF) a ainsi déclaré « Nous avons constaté lors de nos points téléphoniques
journaliers que les problèmes de masques ont perduré jusqu’à fin mars et début avril. »
— 143 —

Les infirmiers libéraux, seule profession de santé libérale dont l’activité n’a
pas reculé durant le confinement (1), ont été eux aussi particulièrement pénalisés et
ont pour la plupart poursuivi leurs interventions dans des conditions ne leur
permettant pas une protection suffisante. Selon le syndicat national des
professionnels infirmiers (SNPI), sur la base d’une enquête en ligne menée auprès
de plus de 30 000 adhérents entre le 31 mars et le 4 avril, plus de la moitié d’entre
eux (53 %) a « constaté un manque » de masques chirurgicaux et plus des trois-
quarts (81 %) de masques FFP2.

D’autres professions comme les sages-femmes y ont aussi été confrontées


alors que comme les infirmiers elles étaient amenées à prendre en charge des
personnes à risque.

ii. Le recours à la téléconsultation

Les praticiens de ville se sont organisés pour pouvoir prendre en charge


leurs patients dans le contexte de l’épidémie grâce à un recours massif à la
télémédecine, mais également aux consultations par téléphone, pratiques dont
les conditions d’exercice et de remboursement ont été facilitées par mesures
réglementaires (2).

Le nombre de téléconsultations a considérablement augmenté dans le


contexte du confinement. Les téléconsultations réalisées par les généralistes de
ville sont ainsi passées de moins de 5 000 par semaine avant la crise à près
de 600 000 à 650 000 par semaine au plus fort du confinement.

À cette période, les téléconsultations des généralistes ont représenté jusqu’à


20 % de leur activité de consultation. S’agissant des médecins spécialistes, le
recours aux téléconsultations a été particulièrement important pour les
endocrinologues (jusqu’à 55 % de leurs consultations hebdomadaires), les
pneumologues (jusqu’à 48 %), les neurologues (jusqu’à 43 %), les dermatologues
(jusqu’à 29 %) et les psychiatres (jusqu’à 37 %) (3).

(1) Selon les données fournies par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) le 30 octobre, en
mars 2020, les postes de remboursements de soins ont connu une hausse d’activité de 2 % par rapport à
l’année précédente pour les infirmiers libéraux.
(2) Décret n° 2020-227 du 9 mars 2020 adaptant les conditions du bénéfice des prestations en espèces
d'assurance maladie et de prise en charge des actes de télémédecine pour les personnes exposées au covid-
19 assouplissant jusqu’au 30 avril les modalités de réalisation de la téléconsultation et Décret n° 2020-459
du 21 avril 2020 modifiant le décret n° 2020-73 du 31 janvier 2020 portant adoption de conditions adaptées
pour le bénéfice des prestations en espèces pour les personnes exposées au coronavirus.
(3) Données fournies par la Caisse nationale d’assurance maladie à la mission d’information, le 29 septembre.
— 144 —

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE TÉLÉCONSULTATIONS CHEZ LES PRATICIENS DE VILLE


DURANT LA CRISE SANITAIRE

Source : données fournies par la CNAM à la mission d’information le 29 septembre 2020.

Il faut cependant préciser que cette montée en puissance de la


téléconsultation a eu lieu durant la période du confinement. La téléconsultation
connaît depuis fin avril, une décroissance régulière.

c. La reconnaissance du rôle de la médecine de ville pour faire face la


deuxième vague épidémique

Dans le contexte de la montée en puissance d’une deuxième vague


épidémique, les directives et recommandations issues du ministère de la santé ont
évolué et témoignent de la prise de conscience du rôle essentiel de la médecine de
ville dans la prise en charge des patients Covid.

Le message DGS urgent de la direction générale de la santé (DGS) et de la


direction générale de l’offre de soins (DGOS) sur la stratégie d’adaptation de l’offre
de soins à la reprise épidémique, adressé aux professionnels de santé de ville le
15 octobre 2020, souligne ainsi l’importance de cette mobilisation et rappelle
l’enjeu « d’organiser simultanément, et pour les patients Covid et pour les patients
non-Covid, la filière médecine en lien étroit avec la ville, l’HAD et les EHPAD
d’une part et la filière de prise en charge de soins critiques, médecine et SSR d’autre
part. »

Il est clair que le fait que les médecins de ville disposent aujourd’hui
d’équipements de protection leur permettant d’exercer leur activité dans le respect
des conditions sanitaires requises est un facteur déterminant de cette évolution.

Votre rapporteur invite de manière générale à renforcer autant que possible


la coopération entre la médecine de ville et la médecine hospitalière et à renforcer
la confiance envers les acteurs des soins primaires qui jouent un rôle indispensable
en temps de crise sanitaire.
— 145 —

Proposition : renforcer les liens entre la médecine de ville et la médecine


hospitalière et développer des plans de de crise qui prévoient l’intégration des soins
primaires à la réponse sanitaire.

3. Le temps perdu dans le recours au secteur hospitalier privé

Dans le cadre des stades 1 et 2 du plan Orsan-REB (organisation de la


réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles-Risque
épidémique et biologique), respectivement déclenchés les 14 et 29 février, la
réponse à la crise a été centrée sur une « première ligne » d’établissements de santé
constituée par 38 établissements publics habilités Covid-19. Le guide
méthodologique de préparation au risque épidémique Covid-19, publié par le
ministère des solidarités et de la santé le 20 février précise ainsi que les
établissements de santé ne faisant pas partie de ces établissements de référence et
qui diagnostiqueraient un cas de Covid-19 doivent « organiser le transfert du
patient vers un établissement habilité pour le Covid-19 avec le SAMU centre 15. »

Une gestion de crise organisée en mobilisant l’ensemble du système de


santé, aurait pourtant pu permettre au secteur privé de se préparer plus
efficacement à la montée de l’épidémie. Lors de son audition par la mission
d’information le 8 juillet, le président de la FHP M. Lamine Gharbi déclarait ainsi
« dès le début de la pandémie, j’ai ressenti que les compétences de nos plateaux
techniques, de nos médecins, de nos salariés étaient laissées de côté. »

a. Des établissements hospitaliers privés difficilement impliqués dans le


dispositif de gestion de crise au démarrage de l’épidémie

Une demande de déprogrammation des activités chirurgicales non urgentes


a été adressée à l’ensemble des établissements publics et privés en application du
plan blanc déclenché le 6 mars et généralisé le 12, qui correspond au stade 3 du plan
Orsan-REB.

Sont alors entrés dans le processus de soins les quelque mille hôpitaux et
cliniques privés « médecine, chirurgie, obstétrique » (MCO), soins de suite et de
réadaptation (SSR) dans le but de soulager et désengorger les hôpitaux publics.
Selon la fédération de l’hospitalisation privée, ce secteur était alors en capacité de
mettre à disposition 4 000 lits en réanimation et soins critiques.

Alors que toutes les ressources médicales auraient dû être mobilisées en


urgence, le recours aux établissements privés a pris du temps pour s’organiser
particulièrement dans les régions en situation critique comme le Grand-Est. En
effet, les cliniques et les hôpitaux privés ont eux aussi engagé à partir du 14 mars,
la déprogrammation massive des soins non urgents – 100 000 opérations non
urgentes ont en tout été déprogrammées – mais il a fallu un temps d’ajustement pour
utiliser les capacités disponibles dans le secteur privé. Des lits sont restés
inoccupés quelques jours, voire quelques semaines. Ce retard a été
particulièrement mal perçu alors même qu’une opération d’évacuation sanitaire de
— 146 —

patients Covid de la région Grand- Est vers la région Provence- Alpes-Côte d’Azur
était organisée le 17 mars.

À cette date, le secteur privé recensait pourtant 70 places inoccupées en


service de réanimation (1) dans les villes de Strasbourg, Metz et Nancy. Le
22 mars, M. Lamine Gharbi lançait dans la presse (2) un appel solennel à la
réquisition des cliniques et des hôpitaux privés afin de soulager l’hôpital public. Le
même jour, la FHP déclarait dans un communiqué « Dans plusieurs régions y
compris parmi les plus touchées, des lits de réanimation et de soins critiques libérés
dans les cliniques restent vides ou sous-occupées. Les médecins et anesthésistes
libéraux des établissements privés sont peu sollicités alors que les capacités
hospitalières publiques sont ici ou là en passe d’être dépassées.».

La sous-mobilisation du secteur privé au début de l’épidémie est révélatrice


d’un système de soins qui tend à s’appuyer uniquement sur l’hôpital public en
temps de crise. Le recours au secteur privé n’apparaît que comme une solution
« d’ultime recours », envisagée lorsque l’hôpital public arrive à saturation (3) .

Il est vrai que la tradition de régulation médicale centrée sur l’hôpital


public ne fait qu’accentuer ce constat. Les habitudes de travail du service d’aide
médicale d’urgence (SAMU) et de la régulation médicale qui tendent à orienter les
patients vers le secteur public ont joué. Ces modes de fonctionnement ont pu être
observés au début de la crise, dans un contexte où les hôpitaux publics arrivaient
pourtant à saturation : comme indiqué par Mme Marie-Sophie Desaulle, présidente
de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privée non
lucratif (FEHAP) dans le Grand-Est, le document d’orientation du SAMU
demandait ainsi un transport exclusif des patients Covid vers les hôpitaux publics
alors même que le secteur privé indique qu’il disposait de lits de réanimation (4).

b. Une implication progressive

Après les difficultés rencontrées dans certaines régions, la participation


des hôpitaux et cliniques privés à la gestion de crise a néanmoins été
croissante : leur part dans la prise en charge des hospitalisations est ainsi passée de
19 % le 2 avril à 33 % au 30 avril.

La mobilisation du secteur privé a été rendue possible par l’activation du


dispositif d’autorisations exceptionnelles prévu à l’article L. 6122-9-1 du code de

(1) Le 17 mars, M. Lamine Gharbi indiquait ainsi sur la radio LCI, que 70 lits de réanimation étaient
mobilisables à Strasbourg, Metz et Nancy.
(2) Dans un entretien accordé au journal Le Huffington Post le 22 mars, il déclarait ainsi « Je demande donc
solennellement à ce que nous soyons réquisitionnés pour épauler l’hôpital public. Nos établissements y sont
préparés. »
(3) Lors de son audition devant la mission d’information le 8 juillet 2020, M. Jean-Marie Woehl, président de la
commission médicale d'établissement (CME) des hôpitaux civils de Colmar déclarait ainsi « En France, on
attend que les hôpitaux publics soient, sinon à la limite extrême, du moins proches de la saturation, avant de
basculer les patients vers l’offre privée. C’est ainsi qu'a été conçue la réponse dans le Grand-Est. »
(4) Audition du 8 juillet 2020.
— 147 —

la santé publique. Ce dispositif prévoit en effet qu’en cas de menace sanitaire grave
constatée par le ministre de la santé, le directeur général de l’agence régionale de
santé peut autoriser un établissement de santé à exercer pour une durée limitée, une
activité de soins autre que celle au titre de laquelle il a été autorisé (1). Selon les
données de la DGOS, le 31 juillet 2020, 119 établissements de santé ont bénéficié
de 131 autorisations exceptionnelles et 23 établissements de santé privés non
lucratifs ont bénéficié de 25 autorisations exceptionnelles jusqu’en juillet.

S’agissant des réanimations, la place du secteur public est demeurée


particulièrement importante, mais conforme à la répartition habituelle des
capacités de réanimation entre les établissements de santé publics et privés. Ainsi,
au 30 avril, 21 % seulement des patients admis en services de réanimation étaient
pris en charge dans le secteur privé, contre 79 % dans le secteur public, cette
proportion étant restée quasiment stable par rapport au 2 avril. Cette répartition des
places disponibles en services de réanimation reflète la prépondérance
structurelle de l’hôpital public pour ce type de soins : 84 % des lits de
réanimation avant la crise se trouvaient dans le secteur public, contre 11 % dans le
secteur privé non lucratif et 5 % dans le secteur privé lucratif.

Les chiffres observés au printemps témoignent dès lors d’une mobilisation


légèrement supérieure du secteur privé, en comparaison avec la tendance habituelle,
mais sont révélateurs d’un secteur privé en seconde ligne pour les soins de
réanimation.

PATIENTS ATTEINTS DE LA COVID-19, PRIS EN CHARGE AU TITRE DE


L’HOSPITALISATION DANS LE SECTEUR PUBLIC ET LE SECTEUR PRIVÉ

Source : direction générale de l’offre de soins.

(1) La délivrance d’autorisations exceptionnelles a ainsi été rendue possible par l’arrêté du 23 mars 2020
prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face
à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire qui a autorisé l’attribution de ces autorisations
exceptionnelles. La délivrance de ces autorisations a d’abord été prévue jusqu’au 15 avril, puis prolongée
jusqu’au 11 mai, puis jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire. L’arrêté du 10 juillet 2020 prescrivant les
mesures générales pour faire face à l’épidémie dans les territoires sortis de l’état d’urgence sanitaire et dans
ceux où il a été prolongé a abrogé l’arrêté du 23 mars, empêchant de fait la délivrance de nouvelles
autorisations dérogatoires.
— 148 —

B. UNE RÉPONSE À LA CRISE MENÉE AUX DÉPENS DE LA CONTINUITÉ


DES SOINS ET DE LA PRISE EN CHARGE DE NOS AÎNÉS

La nécessité de prendre en charge en urgence les malades de la Covid-19 a


été rendue possible par une réorientation du système de soins qui s’est faite au
détriment de la prise en charge des autres pathologies.

Au pic de l’épidémie, dans une situation de tensions extrêmes pesant sur le


système hospitalier, les établissements pour personnes âgées ont par ailleurs pu
rencontrer des difficultés pour faire admettre leurs résidents à l’hôpital. La baisse
du nombre de personnes âgées de plus de 75 ans en services de réanimation amène
par ailleurs à penser qu’une forme de régulation fondée sur l’âge a pu parfois être
réalisée pour l’accès à ces services.

1. Un recul des soins aux lourdes conséquences

a. La lutte contre l’épidémie a été menée aux dépens de la continuité des


soins

La première vague de l’épidémie de Covid-19 s’est accompagnée d’un recul


de l’activité médicale hors Covid. D’une part, un important renoncement aux soins
a été constaté durant la période de confinement ; d’autre part, une déprogrammation
des activités médicales non indispensables a été menée sur l’ensemble du territoire.

i. Un recul des soins préoccupant durant le confinement

Le recul du recours aux soins n’a clairement pas été suffisamment anticipé
au début de la première vague épidémique. Il a touché de nombreux champs de
l’activité médicale et a concerné tant le suivi des pathologies chroniques que les
actes de diagnostic et de prévention.

● À l’exception des infirmiers, la plupart des postes de remboursement de


soins de ville ont connu une baisse d’activité immédiate et significative pendant le
confinement (1).

– les médecins généralistes ont été confrontés à une importante baisse de


leur activité. En mars et en avril, les remboursements de soins pour la médecine
générale ont respectivement baissé de 15 % et 28 %, par rapport à l’année
précédente.

– la baisse d’activité a particulièrement touché les spécialistes, les


remboursements pour ce poste de soins ayant baissé de 34 % en mars et de 57 %
en avril, par rapport à l’année précédente.

– les dentistes et les kinésithérapeutes ont pratiquement cessé leur


activité. En avril, les remboursements de soins ont en effet baissé de 93 % pour les

(1) Données de la caisse nationale d’assurance maladie


— 149 —

dentistes et de 82 % pour les masseurs-kinésithérapeutes, par rapport à l’année


précédente.

ÉVOLUTIONS DES REMBOURSEMENTS PAR POSTE DE SOINS EN AVRIL 2020 (EN


COMPARAISON AVEC L’ANNÉE 2019)

Evolutions avril 2020 / avril 2019


+84%
dates de soins CJOCVS valeur
30%
20%
10% 2%
0%
-10%
-8%
-20% -14% -17%
-30%
-28% -28%
-40%
-50% -46%
-60%
-57%
-70%
-80%
-90% -82%
-100% -93%
Tot SDV

IJ

Médicaments

Infirmier

LPP

Dentistes

Laboratoires

Spécialistes

Generalistes

M. Kinés

Transports
Source : Caisse nationale d’assurance maladie

● La fréquentation des urgences a également connu un important recul


durant la période du confinement. Le nombre de passage quotidien aux urgences
a décru à partir de fin février. Il est en effet passé de 50 000 à 40 000 entre le
24 février et le 13 mars, date à laquelle il a décru beaucoup plus rapidement, jusqu’à
atteindre environ 21 000 passages aux urgences par jour le 22 mars, soit moitié
moins qu’un mois plus tôt. À l’inverse, cette période correspond à l’augmentation
très forte de la part d’activité de suspicion Covid dans l’activité totale des urgences
(voir infra).

La baisse du recours aux urgences, qui a évité un engorgement de ces


services qui aurait eu de graves conséquences, s’explique en partie par le recul des
besoins d’interventions en période de confinement (dû notamment au recul des
accidents corporels durant la période) mais aussi, au-delà de la peur de la
contamination, par la crainte de participer à l’engorgement du système de soins, en
particulier dans les services hospitaliers.

On constate ainsi, au début du confinement (semaines 12 et 13), une


diminution du nombre de passages aux urgences et d’hospitalisations pour des
pathologies cardio et neuro-vasculaires susceptibles de représenter des
urgences vitales et nécessitant une prise en charge immédiate (1).

(1) Covid-19 et continuité des soins : Continuer de se soigner, un impératif de santé publique, communiqué de
presse publié en commun par le ministère des solidarités et de la santé, l’Assurance maladie et Santé publique
France, le 7 mai 2020.
— 150 —

NOMBRE QUOTIDIEN DE PASSAGES TOTAUX AUX URGENCES CODÉS ET PART


D’ACTIVITÉ DE SUSPICION DE COVID DANS L’ACTIVITÉ TOTALE DES URGENCES

Données fournies par la DGOS à la mission d’information, le 31 juillet 2020.

● Parmi les actes les plus concernés par le recul des soins, figurent, en
particulier au mois d’avril, les dépistages. La CNAM a ainsi enregistré pour ce mois
une baisse de 86,5 % pour le cancer colorectal, de 86,2 % pour le cancer du
sein et de 43,9 % pour les frottis, par rapport à l’année précédente. Une faible
remontée s’est dessinée en mai même si les examens demeurent moins nombreux
que le même mois l’année précédente (– 59,6 % pour le dépistage du cancer
colorectal, – 53,6 % pour les mammographies, – 46,7 % pour les frottis). Ce retard
dans les actes de dépistages n’a pas été totalement rattrapé (1).

● Dans un rapport du 5 octobre (2), le GIS EPIPHARE (groupement


d’intérêt scientifique créé en 2018 par l’ANSM et la CNAM) constate une très forte
diminution de la délivrance et de l’utilisation de produits qui nécessitent une
administration par un professionnel de santé comme les vaccins et les produits
pour les actes diagnostiques médicaux. Selon cette étude, qui couvre la période
du 16 mars au 13 septembre, cet « effondrement » de la consommation sur la
période du confinement et après « ne fait pas l’objet d’un rattrapage à ce jour et le
retard ne pourra pas être comblé en 2020. »

(1) Données transmises par la CNAM le 29 septembre : En juin, on constate une remontée du dépistage du cancer
colorectal (activité double du même mois l’année précédente), un retour à la normale pour le cancer du sein
(activité comparable au même mois l’année précédente) mais le maintien d’une activité inférieure à la
normale pour les frottis.
(2) GIS EPIPHARE : Usage des médicaments de ville en France durant l’épidémie de la Covid-19 –Point de
situation jusqu’au 13 septembre 2020.
— 151 —

Données sur la baisse de la délivrance et de l’utilisation de produits nécessitant une


administration par un professionnel de santé

GIS EPIPHARE : étude sur l’usage des médicaments en ville en France durant
l’épidémie de Covid-19, publiée le 9 octobre
Sur la période du 16 mars au 13 septembre, on comptabilise -75 000 doses pour injections
intraoculaires d'anti VEGF dans la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) ou
dans l’œdème maculaire diabétiques (- 4 000 instaurations), -14 000 dispositifs intra-
utérins (stérilets) avec progestatifs, -250 000 préparations pour coloscopie, - 500 000
produits iodés pour scanner et -280 000 produits de contraste pour IRM.

Les vaccinations avaient effectivement connu un très fort recul pendant


la période du confinement. L’étude du 9 juin (1) évaluait le nombre de vaccins non
réalisés sur les huit semaines de confinement et à rattraper, à 44 000 pour les vaccins
destinés aux nourrissons âgés de 3 à 18 mois, 90 000 pour les vaccins anti-HPV,
123 000 pour les vaccins ROR et 450 000 pour les vaccins antitétaniques destinés
aux rappels des enfants, adolescents et adultes. Ce recul de la vaccination avait
conduit la Haute Autorité de Santé (HAS) à appeler à « reprendre d’urgence les
vaccinations, en particulier chez les nourrissons et les personnes fragiles », dans
un communiqué du 16 juin.

Ces données montrent que l’instauration de traitements pour de


nouveaux patients avait également fortement baissé pendant le confinement,
de près de 50 % pour les statines et les antidiabétiques par exemple et ce, malgré le
développement de la téléconsultation.

ii. Une déprogrammation massive des activités chirurgicales non urgentes


indifférenciée sur l’ensemble du territoire

Afin de pouvoir prendre en charge l’ensemble des patients Covid


nécessitant des soins à l’hôpital, le plan blanc, qui repose essentiellement sur la
déprogrammation de toute activité chirurgicale ou médicale non urgente, a été
déclenché le 6 mars dans les hôpitaux publics et les établissements privés et
généralisé sur tout le territoire le 12 mars (voir II-B).

● Si la quantification de l’ampleur des déprogrammations au niveau


national est difficile à établir de manière exhaustive compte tenu de l’hétérogénéité
des systèmes d’informations au sein des établissements, il est établi que l’arrêt de
l’activité chirurgicale a été massif, en particulier pour les mois de mars à mai.

(1) GIS EPIPHARE E : usage des médicaments de ville en France durant l’épidémie de la Covid-19 – point de
situation après les 8 semaines de confinement et une semaine de post-confinement (jusqu’au 17 mai 2020)
Étude pharmaco-épidémiologique à partir des données de remboursement du SNDS.
— 152 —

Un collectif international de chirurgiens CovidSurg a estimé dans une étude


publiée en mai (1), qu’environ 700 000 interventions programmées ont été
annulées ou repoussées en France pendant la première période épidémique de
douze semaines .

Une enquête récente (2), menée par la Fédération Hospitalière de France


(FHF) a mis en lumière la baisse significative du volume d’hospitalisations ou
d’opérations non liées à la Covid-19 entre début mars et fin août 2020, par rapport
à la même période en 2019. Selon cette étude, deux millions de séjours
hospitaliers n’ont pas été réalisés entre la mi-mars et la fin juin. Entre le 16 mars
et le 10 mai, la baisse d’activité a été évaluée à 58 % pour la chirurgie en
hospitalisation complète et a atteint 80 % pour les actes de chirurgie
ambulatoire.

ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS DE CHIRURGIE EN HOSPITALISATION COMPLÈTE, DU 1ER


JANVIER AU 31 AOÛT POUR LES ANNÉES 2019 ET 2020

La courbe rouge représente le nombre d’activités de chirurgie en hospitalisation complète pour les patients
non Covid entre le 1er et le 31 août 2019 ; la courbe violette représente l’évolution des mêmes activités pour
l’année 2020. Le différentiel d’activité est matérialisé par l’aplat rose. Source : enquête réalisée par la FHF.

Des enquêtes ont également été réalisées sur certaines activités opératoires.
Les résultats d’une enquête réalisée par le comité national « Covid et cancer (3) », et
analysés par l’Institut National du Cancer (INCa) présentent ainsi une estimation
de mi-mars à fin mai d’environ 44 000 séjours de chirurgie d’exérèse des

(1) Elective surgery cancellations due to the COVID‐19 pandemic: global predictive modelling to inform surgical
recovery plans, 12 mai 2020 (article publié dans le British Journal of Surgery). L’article estime qu’environ
58 708 opérations chirurgicales ont été annulées chaque semaine en France.
(2) S. Finkell, F. Séguret et C. Meunier, Estimation de l’impact à M7 de l’épidémie de COVID-19 sur l’activité
Hors Covid en France, Étude réalisée par la Fédérations Hospitalière de France (FHF), présentée lors d’un
séminaire des 18 et 19 novembre 2020 (résultats non consolidés).
(3) Comité national réunissant les acteurs de la lutte contre le cancer et la DGOS, se réunissant de manière
hebdomadaire depuis le 5 mai autour de la question de la reprise d’activité du traitement du cancer.
— 153 —

tumeurs annulées, soit – 59 % par rapport à l’activité de la même période en


2019 (1). De même, selon l’étude réalisée par la FHF, les hospitalisations pour
accidents cardio-vasculaires cérébraux (AVC) et pour infarctus du myocarde (IDM)
ont respectivement baissé de 17 % et de 24 % durant la période du confinement, en
comparaison avec l’année précédente.

● La déprogrammation des activités chirurgicales non urgentes menée


de manière indifférenciée sur l’ensemble du territoire apparaît discutable,
dans la mesure où certaines régions ont été significativement moins touchées
par l’épidémie.

Si elle a pu connaître des variations selon les régions – selon la FHF,


l’activité de chirurgie a par exemple baissé de 50 % en Bretagne contre 64 % dans
le Grand-Est – l’ampleur de la déprogrammation s’est ressentie sur l’ensemble du
territoire national (voir carte infra).

ÉVOLUTION DE L’ACTIVITÉ CHIRURGICALE PAR RÉGION PENDANT LE CONFINEMENT,


EN COMPARAISON AVEC L’ANNÉE PRÉCÉDENTE

Source : enquête réalisée par la FHF.

Des hôpitaux publics et privés ont été mobilisés entièrement pour faire face
à l’épidémie, alors même qu’ils n’ont eu peu de patients Covid à prendre en charge.
Il est vrai cependant que le report des actes non indispensables sur l’ensemble du
territoire a facilité l’envoi de renforts en personnes soignants des territoires les
moins touchées vers les régions les plus affectées par l’épidémie.

(1) Données fournies par la DGOS, le 31 juillet 2020.


— 154 —

Pour certains, il s’agit important « gâchis » en ressources humaines, en


matériel et équipements (1), alors même que les déprogrammations exigées
pourraient avoir des répercussions importantes en termes de santé publique.

b. Des conséquences préoccupantes en termes de santé publique

La baisse du recours aux soins risque de se traduire à court terme par un


effet de rattrapage, défi supplémentaire pour le système de santé également
confronté à la montée d’une « deuxième vague » épidémique (voir infra). À plus
long terme, le recul des soins pourrait avoir des conséquences lourdes en termes
de santé publique.

i. À court terme, un rattrapage des soins problématique dans un contexte de


reprise épidémique

L’annulation des activités médicales non urgentes prévues pour les mois de
mars, avril et mai a nécessité leur reprogrammation ultérieure. La reprise des
activités chirurgicales pose néanmoins de nombreuses difficultés dans le contexte
de la montée en puissance d’une deuxième vague épidémique. D’une part, les
protocoles sanitaires – l’utilisation de chambres à deux lits est par exemple rendue
plus difficile – ralentissent l’activité opératoire. D’autre part, la reprogrammation
des activités annulées constitue un défi supplémentaire pour le système hospitalier,
saturé par les besoins de prise en charge des patients Covid.

À partir du déconfinement, la reprise des soins programmés a été envisagée


de manière extrêmement prudente, prévoyant la réversibilité des lits dans un délai
rapide afin de pouvoir disposer de capacités de réanimation en cas de reprise de
l’épidémie. La fiche ARS sur les lignes directrices relatives à l’organisation
générale de l’offre de soins après déconfinement publiée par le ministère des
solidarités et de la santé le 6 mai prévoit ainsi que « tout désarmement de lits de
réanimation devra demeurer progressif et pouvoir être réversible très rapidement
(dans des délais de 24, 48 ou 72 heures selon les lits) pour faire face à un nouvel
afflux de patients ayant un besoin de prise en charge en réanimation. Cette notion
de réversibilité est essentielle pour faire face à toute évolution de l’épidémie. »

En complément de ces directives, un MINSANTE n°135 intitulé


« recommandations d’organisation des réanimations en prévision d’une nouvelle
vague de Covid-19 » a été publié le 17 juillet. Ce document recommande à chaque
région de disposer d’une stratégie élaborée par l’ARS avec les acteurs concernés
visant à mettre en place un plan d’augmentation du capacitaire en fonction des
besoins, de la disponibilité et de la capacité de réanimation et de soins critiques dans
la région, y compris en déprogrammant des soins et interventions non urgents.

De fait, des déprogrammations ont de nouveau lieu depuis mi-octobre et


soulèvent à nouveau la problématique des reports de soins. La stratégie actuelle

(1) Audition de M. Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FPH) et de


Mme Christine Schibler, déléguée générale, le 8 juillet 2020.
— 155 —

repose sur des déprogrammations par « paliers », décidées en lien avec l’ARS qui
assure la coopération régionale et l’adaptation aux tensions observées sur le
territoire (1).

Dans une lettre adressée le 28 octobre aux directeurs d’établissements de


santé, le ministre des solidarités et de la santé a néanmoins demandé à tous les
établissements de santé de déclencher les premiers paliers de la déprogrammation
et de déclencher le niveau 2 du plan blanc. S’agissant des établissements des régions
les plus touchées, il est demandé « d’activer sans attendre les piliers de
déprogrammation plus élevés, en déprogrammant toutes les activités chirurgicales
(y compris ambulatoires) et médicales pouvant l’être, dès lors qu’elles sont
consommatrices de ressources humaines et pourraient être utilement affectées dans
les services de soins critiques et de médecine prenant en charge les patients covid. »

Par ailleurs, le report des activités médicales non indispensables fait


craindre une aggravation de certaines pathologies. Certains gestes semi-urgents,
apparaissent aujourd’hui urgents et requièrent des soins plus importants (2).

ii. À plus long terme, des conséquences préoccupantes du recul des soins
sont à craindre

● Le retard de soins pour le suivi de certaines maladies – en particulier


les pathologies chroniques– pourrait se traduire par une aggravation limitant
les chances de guérison des patients concernés.

S’agissant des cancers par exemple, il est estimé que trois mois de retard
équivalent à une réduction des chances de guérison de 5 à 10 % sur le long terme (3).
Le retard de prise en charge de patients atteints de pathologies telles que la maladie
de Parkinson ou d’Alzheimer – par exemple en kinésithérapie ou orthophonie – ont
par ailleurs donné lieu à des dégradations, parfois irréversibles, sur le plan moteur
et psychique.

● Les conséquences sanitaires de la crise apparaissent particulièrement


préoccupantes s’agissant du retard de diagnostic. Au sortir du confinement, les
services d’urgence ont par exemple été confrontés aux conséquences lourdes du
refus de soins de certains patients, en particulier s’agissant de maladies cardio et
neuro-vasculaires. En semaine 17, une augmentation importante des
hospitalisations aux urgences pour ces mêmes pathologies a été observée (4). Lors
de son audition par la mission d’information le 15 juillet 2020, M. François Braun,
président de SAMU-urgences France a décrit une situation dans laquelle « dès le

(1) Fiche établissements de santé : Recommandations d’organisation pour les prises en charge non-covid en cas
de reprise épidémique de covid-19, publiée par le ministère des solidarités et de la santé le 14 septembre.
(2) Audition de M. Christophe Gautier, directeur général des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, le 6 juillet
2020.
(3) Audition du Pr Jean-Yves Blay, président du réseau UNICANCER, et de Mme Sophie Beaupère, déléguée
générale, le 23 septembre.
(4) Communiqué commun de l’Assurance maladie, du ministère des solidarités et de la santé et de Santé publique
France, publié le 7 mai 2020 (précédemment cité).
— 156 —

déconfinement, on a vu arriver des patients avec des infarctus datant d’une semaine
et déjà en insuffisance cardiaque, et des diabétiques déjà décompensés. »

Ces conséquences préoccupantes ont d’ailleurs conduit le ministère des


solidarités et de la santé, l’Assurance maladie et Santé publique France à alerter sur
la nécessité de continuer à se faire soigner par un communiqué en date du 7 mai
2020 (1).

S’agissant de la prise en charge des cancers, les retards de diagnostics


pourraient avoir de lourdes conséquences. Lors de son audition devant la mission
d’information le 23 septembre, le Professeur Jean-Yves Blay, président du réseau
UNICANCER indiquait ainsi que le nombre de diagnostics posés durant les huit
semaines ayant suivi l’annonce du confinement était en moyenne inférieur de 20 à
25 %. Suivant les estimations de la fédération UNICANCER se référant à une étude
menée sur neuf centres du réseau, les conséquences de ce retard de diagnostic à long
terme s’élèveraient à environ 5 000 à 10 000 décès. En effet, si les patients déjà
connus ont pu continuer à être suivis, la difficulté à prendre en charge les potentiels
nouveaux malades est restée entière.

Par manque de recul, il est aujourd’hui difficile de mesurer l’impact de ce


retard de diagnostic, en particulier pour les pathologies les plus graves. Votre
rapporteur appelle néanmoins à ce que les conséquences en termes de santé publique
du recul des soins et en particulier du retard de diagnostic observé durant la première
vague de l’épidémie soient impérativement étudiées.

Proposition : mener une enquête approfondie sur les conséquences en


termes de santé publique du recul des soins durant la première vague de
l’épidémie de Covid-19.

2. Au cœur de la crise, l’accès à l’hôpital et en service de réanimation des


personnes âgées en question

Le cadre sanitaire recommandé lors de la première flambée épidémique a


consisté à ne pas hospitaliser les personnes contaminées et atteintes de formes non
graves, vivant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
et à les prendre en charge au sein des établissements en créant des « zones
covid » qui permettent de les isoler du reste des résidents.

Le guide de préparation à la phase épidémique du 16 mars 2020 évoque


ainsi la nécessité « d’assurer dans la mesure du possible la prise en charge des
malades dans ces structures, en renforçant leur médicalisation en lien avec la
médecine de ville y compris par téléconsultation. Ces dispositions visent à prévenir
la saturation des établissements de santé. »

(1) Covid-19 et continuité des soins : Continuer de se soigner, un impératif de santé publique
— 157 —

Le contexte de tensions extrêmement fortes et de saturation des services


hospitaliers dans le cadre duquel cette doctrine a été prise, oblige à se poser la
question de ses conséquences et des difficultés d’accès à l’hôpital de certains
résidents d’EHPA dont l’état de santé aurait pu pourtant le justifier.

a. Les difficultés rencontrées pour l’accès des résidents à l’hôpital au pic


de la crise

Les représentants des établissements ont évoqué des délais très importants
pour joindre les services, en raison de la saturation des lignes (1). Le fait que les
EHPA aient dû passer par le numéro 15 et aient été soumis au même canal d’accès
que l’ensemble de la population a été problématique. Confrontés à des délais
importants et à l’inaboutissement de nombreux appels, plusieurs établissements se
seraient alors résignés à ne pas envoyer leurs résidents à l’hôpital (2). Cette question
a été résolue par la mise en place, le 23 mars, d’une ligne directe permettant aux
EHPAD de joindre le SAMU sans passer par le 15.

Au-delà de la difficulté de joindre les services, des directeurs d’établissements ont


également signalé s’être parfois vus refuser l’accès à l’hôpital pour leurs résidents,
dans le contexte de saturation des capacités. Des difficultés d’accès aux services
d’urgences au pic de l’épidémie – vers la mi-mars – ont été signalées aux représentants
du secteur des EHPA, en particulier dans la région Grand-Est (3).

Parmi les explications potentielles à ces refus, figure la possibilité que les
personnes résidentes en EHPAD accompagnées par un médecin coordonnateur
n’aient pas été considérées prioritaires dans la mesure où elles pouvaient bénéficier
d’un accompagnement médical en établissement.

Mme Odile Reynaud, vice-présidente de l’association nationale des


médecins coordonnateurs et du secteur médico-social a évoqué ces difficultés
d’accès : « En ce qui concerne l’accès à l’hospitalisation, dans la phase initiale de
l’épidémie, bien que les médecins coordonnateurs aient parfois obtenu l’accord
téléphonique du centre 15 pour le transfert de leurs résidents, ceux-ci ont été
renvoyés à l’EHPAD sans même avoir pu être admis aux urgences. Il est à noter
que les confrères qui nous ont fait remonter de tels événements ont déclaré que
ceux-ci avaient cessé dans la deuxième phase de l’épidémie. Toutefois, il en est
résulté une autocensure de certains médecins, qui ne prenaient plus contact avec

(1) Mme Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du (SYNERPA) : « Très vite, on nous rapporte des délais
d’accès au « 15 » supérieurs à cinq ou six heures : nous adressons alors des notes au plus haut niveau de
l’État pour demander à utiliser un autre canal. », audition du 22 septembre.
(2) Mme Annabelle Vêques-Malnou, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs
d’établissements et de services pour personnes âgées (FNADEPA) : « Les SAMU, je l’ai dit, étaient surchargés,
nos appels n’aboutissaient pas toujours et, après plusieurs jours ou plusieurs semaines, notamment début mars,
au pic de l’épidémie, certaines équipes se sont résignées. », audition du 28 juillet 2020.
(3) Lors de son audition le 22 septembre, Mme Florence Arnaïz Maumé, déléguée générale du SYNERPA indiquait
ainsi « des adhérents des régions de Strasbourg et de Mulhouse nous appellent à cette époque pour signaler des
problèmes de transfert (…) Les difficultés de transferts, qui n’ont pas été massives, ont eu lieu dans les zones
géographiques tendues qu’étaient la Bourgogne-Franche-Comté et le Grand Est, ainsi qu’en Île-de-France –
mais dans une moindre mesure – et autour de Lyon. Les tensions s’apaisent autour du 20 mars. ».
— 158 —

les services hospitaliers, pensant que plus aucun résident d’un EHPAD n’y serait
accueilli. »

Ces difficultés ont été soulevées pendant une période qui correspond au
pic de l’épidémie. Sur l’ensemble de la période du 1er janvier au 30 juin, la part de
personnes âgées admises dans les établissements de Médecine, Chirurgie et
Obstétrique (MCO) pour Covid s’est établie à 44 % des hospitalisations pour les
patients covid âgés de 70 ans et plus, dont 27 % ont concerné des patients Covid
âgés de 80 ans et plus (1).

b. L’accès des personnes âgées en services de réanimation en question

i. Le constat : une baisse de la part de personnes âgées de plus de 75 ans


admises en services de réanimation pendant la crise

Les données disponibles relatives au profil des patients admis en services


de réanimation durant la crise, mettent en évidence une baisse du pourcentage de
personnes âgées de plus de 75 ans admises en services de réanimation à partir du
début du mois de mars 2020.

● La proportion de personnes de plus de 75 ans en services de réanimation


est restée stable sur la période de début 2018 à 2020, oscillant entre 22 et 25 % (2) .
Elle a nettement baissé à partir du début du mois de mars 2020. Ainsi, au niveau
national, la part de patients âgés de plus de 75 ans sur l’ensemble des personnes
admises en réanimation est passée de 24 % au début du mois de mars à seulement
14 % lors de la semaine du 30 mars au 5 avril (période du pic de l’épidémie),
avant de se stabiliser à environ 17 % (10 à 20 % selon les régions).

(1) Analyse de l’activité de courts séjours hospitaliers liée à la COVID-19, données Fast Track du 3 juillet 2020
(2) Ces données de la DGOS sont issues du PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information
(PMSI). Le PMSI permet de décrire de façon synthétique et standardisée l’activité médicale des
établissements de santé (tous secteurs confondus). Il repose sur l’enregistrement de données
médico- administratives normalisées dans un recueil standard d’information.
— 159 —

PART DES PLUS DE 75 ANS SUR L’ENSEMBLE DES PERSONNES ADMISES EN SERVICES DE
RÉANIMATION, EN COMPARAISON AVEC LES DEUX ANNÉES PRÉCÉDENTES

Source : direction générale de l’offre de soins (DGOS), 31 juillet.

● Parmi les patients atteints de la Covid, les données disponibles (1)


montrent également une baisse particulièrement importante de la part des
personnes âgées de plus de 75 ans admises en services de réanimation.
La part des personnes de plus de 75 ans admises en services de réanimation
a décru jusqu’en semaine 14 pendant laquelle elle a été deux fois plus faible que les
niveaux observés en 2018 et 2019 pour les patients covid (11 % en semaine 14) et
30 % plus faible pour les patients non covid (17 % en semaine 14).
PART DES PATIENTS (COVID ET NON COVID) DE PLUS DE 75 ANS SUR L’ENSEMBLE DES
PATIENTS ADMIS EN RÉANIMATION PAR RAPPORT À LA PART DES PLUS DE 75 ANS ADMIS EN
RÉANIMATION LES DEUX ANNÉES PRÉCÉDENTES

Source : données issues de la DGOS, transmises par la DGCS le 14 octobre.

(1) Données fournies par la direction générale de l’offre de soins les 20 et 31 juillet. Les données fournies sont
issues de la base de données du programme démédicalisation des systèmes d'information de médecine
chirurgie obstétrique (PMSI-MCO), et sont donc dépendants de la qualité et de l’exhaustivité du codage des
actes dans les établissements. Il s’agit par ailleurs de données provisoires, les données étant encore en cours
de consolidation.
— 160 —

● La baisse du pourcentage de personnes âgées de plus de 75 ans


admises en réanimation (COVID et non COVID) est encore plus marquée dans
la région Île-de-France. Elle est en effet passée de 24 % lors de la première
semaine de mars à 6 % seulement lors de la semaine du 30 mars au 5 avril, avant de
se stabiliser autour de 10 % à la mi-avril.

PART DES PLUS DE 75 ANS SUR L’ENSEMBLE DES PERSONNES ADMISES EN RÉANIMATION
DANS LA RÉGION ÎLE DE FRANCE, EN COMPARAISON AVEC LES DEUX ANNÉES
PRÉCÉDENTES

Source : direction générale de l’offre de soins à la mission d’information, 31 juillet 2020.

● Parallèlement, l’âge médian d’entrée en services de réanimation a


nettement baissé. Situé autour de 66 ans au début de la crise, il s’est ensuite situé
autour de 63 ans la semaine du 30 mars au 5 avril, avant de remonter et
d’atteindre 64 ans mi-avril. Il est remonté aujourd’hui à 68 ans (1).

(1) Bilan épidémiologique de Santé publique France, en date du 5 novembre.


— 161 —

ÂGE MÉDIAN D’ENTRÉE EN SERVICES DE RÉANIMATION SUR LA FRANCE ENTIÈRE

Source : données transmises par la DGOS à la mission d’information le 20 juillet.

Les données SI-VIC (1) montrent que les patients COVID-19 âgés de plus
de 75 ans et déclarés par les établissements de santé en hospitalisation réanimatoire
(réa/SI/SC) représentent en moyenne 17,5 % du total des patients COVID-19
admis à l’hôpital sur la période du 2 mars au 31 mai 2020. Les proportions varient
cependant dans le temps, avec des données hebdomadaires comprises entre 13
et 30 %.

% DE PERSONNES ÂGÉES DE PLUS DE 75 ANS ADMISES EN RÉANIMATION POUR COVID DU


2 MARS AU 31 MAI

30-03 27-04
2-8 9-15 16-22 23-29 06-12 13-19 20-26 4-10 11-17 18-24 25-31
au Au
mars mars mars mars avril avril avril mai mai mai mai
05-04 03-05

Nombre
de plus
34 143 380 592 482 372 293 229 134 112 79 63 37
de 75
ans

% 28 % 27 % 17 % 13 % 13 % 18 % 22 % 26 % 24 % 27 % 29 % 30 % 25 %

Source : données issues du système d’information pour le suivi des victimes (SI-VIC), panel construction DGOS

ii. Des données qui doivent conduire à se poser la question de l’admission


des personnes âgées en réanimation

Ces données conduisent à s’interroger sur la possibilité effective pour les


personnes âgées et très âgées, et notamment celles hébergées en établissement,
d’être admises dans les services de réanimation au plus fort du pic épidémique et

(1) système d’information pour le suivi des victimes d’attentats et de situations sanitaires exceptionnelles utilisé
pendant la crise pour le suivi des hospitalisations de patients Covid.
— 162 —

pose la question d’un « tri » fondé, notamment, sur le critère de l’âge qui aurait été
opéré entre les patients.

Cette hypothèse a été réfutée, notamment par le directeur de l’ARS


d’Île- de-France, M. Aurélien Rousseau, et le ministre des solidarités et de la santé,
M. Olivier Véran, qui ont affirmé lors de leurs auditions (1), qu’aucune régulation
fondée sur l’âge n’avait été opérée pour l’accès en services de réanimation.

Deux raisons expliqueraient selon Aurélien Rousseau la baisse de la part


des personnes de plus de 75 ans dans les services de réanimation : d’une part, le
nombre de personnes admises en réanimation était au pic de l’épidémie de
Covid-19, beaucoup plus important que les années précédentes, ce qui rend difficile
toute comparaison (en Île-de-France par exemple, plus de 2 700 personnes étaient
hospitalisées en réanimation, contre moins de 1 200 à la même date l’année
précédente) ; d’autre part, la déprogrammation des activités chirurgicales non
urgentes a eu un effet sur le profil des patients, ainsi très différent de ce qu’il était
en 2019.

Le constat que votre rapporteur tire de cette situation est le suivant :

Il n’y a pas eu de doctrine ministérielle ou régionale officielle


recommandant d’opérer une régulation fondée sur l’âge, pour l’accès en
services de réanimation mais la baisse de la part des personnes âgées de plus
de 75 ans admises dans ces services au pic de la crise sanitaire, pose cependant
question.

● L’existence d’une doctrine recommandant d’opérer un tri entre les


patients fondés sur l’âge pour l’accès aux services de réanimation n’est pas avérée.
Le document intitulé : Décision d’admission des patients en unités de réanimation
et unités de soins critiques dans un contexte d’épidémie à Covid-19, publié par
l’Agence Régionale de Santé (ARS) Île-de-France le 19 mars, mentionne le fait que
« dans un contexte d’exception où les ressources humaines, thérapeutiques et
matérielles pourraient être ou devenir immédiatement limitées, il est possible que
les praticiens sur-sollicités dans la durée soient amenés à faire des choix difficiles
et des priorisations dans l’urgence concernant l’accès à la réanimation. » Ce
document rappelle néanmoins que la décision d’hospitaliser un patient en
réanimation est toujours une décision médicale, qui fait l’objet d’une analyse
bénéfices-risques pour les malades indépendamment de l’âge.

Aurélien Rousseau a précisé devant la mission qu’une doctrine dégradée,


dont il est fait état dans ce document, a bien été travaillée à la demande de l’ARS,
qu’elle l’a été dans une visée prospective, pour fournir aux réanimateurs des critères
de discernement si jamais le système était totalement débordé et que ces critères
n’ont pas été utilisés.

(1) Auditions en date du 23 juillet et du 4 novembre 2020.


— 163 —

● Même si plusieurs facteurs peuvent jouer sur ces chiffres, la baisse de la


part des personnes âgées de plus de 75 ans admises en service de réanimation est
néanmoins difficilement compréhensible. L’épidémie de Covid-19 se caractérise en
effet par la vulnérabilité particulière des personnes âgées, particulièrement sujettes
au développement de formes graves de la maladie. Il faut en effet rappeler que 93 %
des personnes décédées des suites de la Covid-19 ont plus de 65 ans.

On n’en retrouve pas l’effet dans les admissions en réanimation, même si


on admet que le profil des admissions a évolué par rapport aux années précédentes,
la part des personnes âgées qui sont les premières et les plus gravement atteintes,
n’aurait pas dû chuter de façon aussi significative.

Certes, en situation épidémique se traduisant par un nombre plus important


d’hospitalisations, le nombre absolu de malades âgés a évidemment augmenté par
rapport à une situation « normale ». L’âge médian qui baisse reste cependant
significatif d’une évolution de la répartition des malades vers des malades moins
âgés.

Les données issues des points épidémiologiques de Santé publique


France qui reposent sur la surveillance d’un réseau de services volontaires de
réanimation (1) montrent une évolution de l’âge moyen au cours des différentes
périodes de la crise : le 24 mars, l’âge moyen des patients admis en services de
réanimation depuis le 16 mars était de 65 ans (2). Cet âge moyen a baissé durant la
période la plus critique de la crise pour s’établir à 60 ans sur la période du 16 mars
au 5 avril (3).

En outre, il est aussi avancé que le refus d’envoyer des personnes âgées en
réanimation s’est fondé sur une analyse « bénéfices/risques » et sur la conclusion
que ces soins seraient trop lourds pour les patients très âgés compte tenu en
particulier de la durée des réanimations nécessaires des malades graves de la
Covid 19. Cette analyse bénéfices/risques est d’une application constante pour les
décisions d’envoi en réanimation. Elle n’a dès lors pas constitué un critère nouveau
dans la décision d’hospitaliser les patients en réanimation.

Les données présentées supra invitent à envisager qu’au pic de l’épidémie,


dans un contexte d’engorgement des services d’urgences et de tensions très fortes
en services de réanimation, une forme de régulation fondée sur le critère de l’âge a
parfois pu être opérée.

(1) Surveillance ayant pour objectif de documenter les caractéristiques des cas graves de Covid 19 admis en
réanimation et n’ayant pas vocation à dénombrer tous les cas graves de covid-19 admis en réanimation
(SpF).
(2) Point épidémiologique de SPF du 24 mars 2020.
(3) Point épidémiologique de SPF du 9 avril 2020.
— 164 —

II. UN SYSTÈME DE SOINS ÉPROUVÉ PAR L’ÉPIDÉMIE

Le système hospitalier s’est retrouvé, en l’absence de marge de manœuvre,


en situation critique face à une crise sans précédent qui a révélé les conséquences
de la baisse des dépenses consacrées à l’hôpital public depuis plusieurs années.

Malgré les engagements pris, l’arrivée d’une deuxième vague épidémique


ne se produit pas sur un terrain fondamentalement différent et soulève une nouvelle
fois, la persistance de difficultés profondes, au premier rang desquelles figure le
manque structurel de personnel, encore plus problématique en temps de crise.

A. LE SYSTÈME HOSPITALIER FRAGILISÉ, A PRIS DE PLEIN FOUET LA


CRISE SANITAIRE

1. Une situation critique face à l’ampleur et à la gravité de l’épidémie

a. Des régions en grande tension

Dans la première phase de l’épidémie, le nombre de personnes atteintes de


la Covid-19 a progressé de manière extrêmement rapide sur certains territoires.
Entre le 10 et le 15 mars, les services d’aide médicale d’urgence ont fait face à un
triplement, voire un quadruplement de leur activité en moins de 24 heures (1). Le
nombre initial de 5 050 lits de réanimation disponibles au début de la crise (2) est
devenu largement insuffisant. L’augmentation très importante du nombre de cas et
du nombre de patients développant une forme grave de la maladie a en effet
considérablement mis sous tension le système de soins et en particulier les capacités
disponibles en services de réanimation.

La situation a d’abord été critique dans la région Grand-Est, premier


territoire touché de plein fouet par l’épidémie à la suite du « cluster » apparu après
un rassemblement évangélique à Mulhouse qui s’est tenu du 17 au 24 février. Le
15 mars, le Samu-urgences de France est alerté par des responsables de Samu de
Mulhouse et de Colmar décrivant un flux incessant de patients présentant des
critères d’hospitalisation, un taux d’hospitalisation après passage aux urgences de
40 % et la saturation des lits de réanimation de la région (3). Le nombre de lits de
réanimation, fixé au départ à 471 dans l’ensemble de la région, s’est avéré
rapidement insuffisant (4). Dans la semaine du 23 au 29 mars, la région comptait
4 416 passages aux urgences pour suspicion de Covid-19 et la semaine suivante, le

(1) Audition de MM. François Braun, président de Samu-Urgences de France et chef du pôle urgences du centre
hospitalier régional (CHR) de Metz-Thionville, Pierre-Albert Carli, vice-président et chef de service des
urgences de l’hôpital Necker de Paris, et Jean-Emmanuel de la Coussaye, vice-président et chef de service
des urgences au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nîmes, le 15 juillet 2020.
(2) Enquête réalisée auprès des Agences Régionales de Santé (ARS) en mars 2020 dont les résultats ont été
transmis par la direction générale de l’offre de soins à la mission d’information le 31 juillet 2020.
(3) Audition de M. François Braun, président de Samu-Urgences France.
(4) Audition de M. Christophe Lannelongue, ancien directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS)
Grand Est le 22 juillet 2020.
— 165 —

8 avril, 4 819 personnes étaient hospitalisées, dont plus de 900 en réanimation.


Cette même semaine, la région a enregistré une surmortalité de 116 % par rapport à
la période comparable l’année précédente.

Alors que la région ne comptait que 1 150 lits de réanimation à l’amorce de


la crise, l’Île-de-France a également fait face à des tensions considérables. Le
25 mars, le directeur général de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)
lançait sur France Info un appel solennel aux pouvoirs publics et indiquait avoir
« une visibilité de trois jours » sur le nombre de places disponibles en réanimation.
Le 31 mars, les places disponibles dans ces services étaient parvenues à une
complète saturation (1). Le pic de patients en réanimation a été atteint le 8 avril, avec
2 681 patients hospitalisés en services de réanimation.

b. Une première vague marquée par un nombre d’admissions à l’hôpital et


en services de réanimation extrêmement important

● La première vague d’épidémie de Covid-19 s’est caractérisée par


l’ampleur du nombre de patients pris en charge à l’hôpital.

Du 1er janvier au 2 juillet 2020, près de 141 900 patients ont été
hospitalisés pour cause de Covid-19 en médecine chirurgie obstétrique (MCO),
dans le cadre d’une hospitalisation conventionnelle ou en soins critiques. Le nombre
de patients Covid-19 en MCO le plus élevé a été observé le 3 avril, date à laquelle
le nombre de 30 000 patients hospitalisés a été franchi (2).

Le nombre de personnes admises en services de réanimation a connu la


même évolution. Sur la période du 1er janvier au 30 juin on dénombre
15 300 hospitalisations en services de réanimation, soit une hospitalisation sur
dix. Le nombre maximal de patients présents en réanimation sur une journée a été
atteint le 8 avril 2020, avec 7 027 patients.

(1) Audition de M. Aurélien Rousseau, 23 juillet 2020.


(2) Analyse de l’activité de courts séjours hospitaliers liés à la Covid-19, données recueillies dans le cadre du
dispositif Fast Track (hospitalisations terminées à la date d’envoi des données, le 3 juillet 2020)
— 166 —

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE LITS DE RÉANIMATION OCCUPÉS PAR DES PATIENTS COVID


ENTRE MARS ET JUIN 2020

Source : recommandations d’organisation des réanimations en prévision d’une nouvelle vague de Covid-19, note publiée
par le ministère des solidarités et de la santé le 16 juillet

L’augmentation très importante du nombre d’hospitalisations depuis le


mois d’octobre témoigne de la montée en puissance d’une seconde vague
épidémique d’une ampleur au moins égale à la première, et s’étendant cette fois,
à l’ensemble du territoire.

L’analyse des données d’hospitalisation SI-VIC (1) datées du 25 octobre


montre que dans 10 régions sur 13, le nombre d’hospitalisations a doublé en moins
de 14 jours (2). Le 10 novembre, 31 505 personnes étaient hospitalisées pour
Covid-19, dont 4 750 en services de réanimations. L’observation d’une baisse de
la mortalité pour les patients hospitalisés pour Covid- 19 indique néanmoins des
progrès dans la prise en charge des malades. Une étude à laquelle a contribué
l’AP- HP (3) montre ainsi une baisse significative du taux de mortalité pour les
hospitalisations de patients Covid, passé de 42 % à 25 % entre février et mai.

● L’épidémie de Covid-19 se traduit par une mortalité conséquente.

Le nombre total de décès dus à la Covid-19 enregistrés depuis début mars


s’est établi à 50 237 le 24 novembre (4), dont 30 000 décès survenus pendant la
première vague, décès à l’hôpital mais également dans les établissements sociaux
et médico-sociaux et notamment dans les établissements pour personnes âgées
(EHPA). Le bilan épidémiologique de Santé publique France publié le 9 juillet 2020

(1) Système d’information pour le suivi des victimes d’attentats et de situations sanitaires exceptionnelles, utilisé
pour le suivi de la crise sanitaire.
(2) Note du Conseil scientifique COVID-19 du 26 octobre 2020 : une deuxième vague épidémique entraînant une
situation critique.
(3) Étude principalement française, Covid-ICU (Covid-19 infection in Intensive Care Unit, « unité de soins
intensifs ») réalisée sur 4 244 adultes présentant un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) lié à
une infection à SARS-CoV-2, qui ont été admis en réanimation entre le 25 février et le 4 mai dans
138 hôpitaux principalement en France, mais aussi en Belgique et en Suisse.
(4) Bilan épidémiologique de Santé publique France, publié le 12 novembre 2020.
— 167 —

fait état de 29 933 décès dus à la Covid-19 entre le 1er mars et le 7 juillet 2020 dans
ces établissements.

Plus de 17 000 décès de patients Covid-19 au cours d’une hospitalisation


MCO ont été enregistrés du 1er janvier au 30 juin, soit 13 % des séjours hospitaliers.
Sur cette même période, le quart des séjours en services de réanimation, s’est
terminé par un décès.

c. Le personnel soignant n’a pas été épargné par la crise épidémique

Au-delà de l’épuisement physique et moral causé par l’épreuve de la


première vague, les personnels d’établissements de santé ont payé un fort tribut à
l’épidémie de Covid-19 :

– du 1er mars au 2 novembre, 44 281 personnels d’établissements de santé


ont été déclarés infectés par le Covid-19 (1).

– à la date du 5 novembre, au moins 17 personnels d’établissements de


santé sont décédés des suites du Covid-19, dont 5 médecins, 4 aides-soignants,
2 professionnels de santé classés « autres » et 6 professionnels non soignants.

2. Une crise intervenue sur un système de soins fragilisé

La gravité de la Covid-19 a nécessité une hospitalisation pour environ 20 %


des personnes malades et un passage en réanimation pour 5 % d’entre elles.
Lorsqu’ils ont été nécessaires, les séjours en réanimation ont été particulièrement
longs. Pour la première vague de l’épidémie, la durée médiane d’un passage en
réanimation pour Covid-19 était en effet de 12 jours, ce séjour ayant été
généralement suivi de 10 jours d’hospitalisation conventionnelle en aval (2).

Or, cette épidémie est survenue dans un contexte de contraintes budgétaires


croissantes pesant sur l’hôpital public qui s’est traduit par la fermeture d’un nombre
important de lits (3). Les représentants du secteur hospitalier entendus par la mission
d’information ont souligné les conditions particulièrement difficiles dans lesquelles
l’hôpital public avait amorcé la crise, marquées en particulier par un manque
conséquent de personnels soignants et la persistance de difficultés à recruter. Pour
la seule AP-HP, son directeur général évalue le déficit en personnel à au moins un
millier de personnels soignants et autant de postes vacants (4).

En plus des problèmes récurrents de personnel, la réponse hospitalière dans


une situation de crise paie le prix d’une tendance longue au désinvestissement dans

(1) Bilan épidémiologique de Santé publique France, publié le 5 novembre 2020.


(2) Recommandations d’organisation des réanimations en prévision d’une nouvelle vague de covid-19, fiche
publiée par le ministère des solidarités et de la santé, 16 juillet 2020.
(3) M. Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF) souligne devant la mission
un montant de 9,4 milliards d’euros de coupes budgétaires imposées aux hôpitaux publics depuis 16 ans.
(4) Audition de M. Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, le 6 juillet
2020.
— 168 —

l’hôpital (un effort passé de 11 % à moins de 6 % des recettes entre 2009 et 2017
comme le montre le graphique suivant), par ailleurs grevé par un endettement
croissant. La dette des hôpitaux a en effet régulièrement augmenté depuis 2002,
pour atteindre aujourd’hui un montant d’environ 30 milliards d’euros.

ÉVOLUTION DE L’EFFORT D’INVESTISSEMENT DES HÔPITAUX PUBLICS DEPUIS 2002

Source : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statiques (DREES), La situation économique et
financière des hôpitaux publics, 2019

La baisse du nombre de lits d’hospitalisation complète constitue une tendance


ancienne. En 2017, les établissements de santé comptaient 400 000 lits
d’hospitalisation, soit 69 000 de moins qu’en 2003.
Depuis 2013, 17 500 lits d’hospitalisation complète (1) ont été fermés, soit
une baisse de 4,2 % en cinq ans dont 4 172 lits pour la seule année 2018, même s’il
ne s’agit pas de fermetures nettes : la réorientation des soins vers une prise en charge
en ambulatoire qui vise à faire sortir les malades de l’hôpital en privilégiant leur
suivi en ville s’est accompagnée de la création de 1 839 places d’hospitalisation
partielle (pour la prise en charge ambulatoire). Les capacités en hospitalisation à
temps partiel se sont développées pour atteindre un total de 75 000 places en 2017,
contre 49 000 en 2003 (2).

(1) Hospitalisation durant laquelle le patient est hébergé à l'hôpital et y passe au moins une nuit.
(2) Les établissements de santé, panorama de la DRESS, édition 2019.
— 169 —

Nombre de lits disponibles en hospitalisation complète : comparaison entre la


France et l’Allemagne
Selon la fédération des hôpitaux allemands, l´Allemagne disposait début février 2020 de
497 000 lits d’hospitalisation à temps complet (1), contre environ 400 000 pour la France
fin 2017 (2). L’Allemagne comptait en 2018, 8 lits pour 1000 habitants contre 6 lits pour
1000 habitants en France (3). Ce nombre élevé de lits d’hospitalisation s’explique en partie
par le fait que l’Allemagne n’a pas opéré un virage aussi important que la France vers les
soins ambulatoires. Il s’est révélé un atout important pour la prise en charge des malades
de la Covid-19.
S’agissant des lits adaptés à la prise en charge de patients atteints de formes graves de la
Covid-19, l’Allemagne disposait à l’amorce de la crise, de 28 000 lits en soins intensifs,
dont 20 000 équipés de respirateurs et selon la société allemande des hôpitaux, cette
capacité a pu être augmentée pour atteindre début avril, 40 000 lits de soins intensifs et
30 000 respirateurs (4).
La comparaison entre la France et l’Allemagne est complexe à établir dans la mesure où
comme l’a rappelé le ministre des solidarités et de la santé lors de son audition du 4
novembre, la France opère une distinction entre lits de réanimation, lits de soins intensifs
et lits de soins continus. En Allemagne et dans la plupart des pays étrangers, tout lit de
ce type est considéré comme un lit « intensive care » – « Intensivbett » en Allemagne – et
donc comme lit de réanimation. Le nombre de lits prévus pour la réanimation, les soins
intensifs et les soins continus s’établissait néanmoins en France à 19 318 en 2018 (5), ce
qui révèle une capacité de inférieure à l’Allemagne pour la prise en charge des formes
graves de la maladie.

La baisse du nombre de lits disponibles à l’hôpital et les tensions qui en


ont résulté ont conduit à ce que le Gouvernement fasse des risques de saturation
des lits de réanimation la seule boussole guidant la gestion de crise : aplatir la
courbe afin d’éviter la surcharge du système de santé.

(1) Chiffre également repris par le centre de compétences TRISAN dans son étude sur le secteur hospitalier en
France, en Allemagne et en Suisse, mai 2019.
(2) Panorama de la DRESS, les établissements de santé, édition 2019.
(3) Panorama de la santé 2019, les indicateurs de l’OCDE.
(4) Institut Montaigne : Les États face au coronavirus : l’Allemagne un modèle résilient, avril 2019.
(5) Nombre de lits de réanimation, de soins intensifs et de soins continus en France, fin 2013 et 2018, enquête
DRESS publiée le 8 avril 2020 : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-
statistiques/publications/article/nombre-de-lits-de-reanimation-de-soins-intensifs-et-de-soins-continus-en-
france
— 170 —

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE LITS ET DE PLACES DE 2013 À 2018

Source : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statiques (DREES), Études et Résultats, n° 1164,
septembre 2020.

B. DES MESURES D’URGENCE POUR PRENDRE EN CHARGE LES


MALADES GRAVES

La situation critique dans laquelle s’est trouvé le système de santé a


nécessité la mise en place de mesures d’urgences pour la prise en charge à l’hôpital
et en réanimation des malades de la Covid-19 nécessitant ce type de soins.

1. L’augmentation des capacités d’accueil à l’hôpital et en services de


réanimation

L’augmentation des capacités d’accueil à l’hôpital et en services de


réanimation pour les patients atteints de formes graves de la Covid-19 n’a été
possible que par la déprogrammation des activités médicales non urgentes engagée
dans les hôpitaux publics comme privés de l’ensemble du territoire national à partir
du 12 mars, dans le cadre du plan blanc (voir I-B). Cette déprogrammation devait
permettre d’augmenter les capacités de soins critiques, de prioriser l’accueil des
malades atteints de formes graves de Covid-19 et de mettre à disposition des
personnels les matériels nécessaires à la prise en charge de ces patients. L’objectif
était également de ne pas exposer les malades concernés à un risque de
contamination infectieuse.

Parallèlement, l’augmentation des capacités d’accueil des patients Covid a


nécessité une importante réorganisation des soins à l’hôpital et la conversion en lits
de réanimation de lits qui n’étaient au départ pas adaptés ni prévus pour la
réanimation.

Les ARS ont ainsi travaillé en lien étroit avec les établissements de
santé pour identifier les réorganisations les plus adéquates permettant d’augmenter
les capacités pour les prises en charge réanimatoires, notamment via la mobilisation
— 171 —

et « l’armement » d’autres lits (salles de surveillance post-interventionnelle, soins


intensifs, et surveillance continue notamment).

Selon les chiffres consolidés de la DGOS :

– la capacité en lits de réanimation adultes avant ré-organisations liées à


l’épidémie était de 5 050 lits ;

– la capacité installée à la date du 25 mars a été de l’ordre de 7 400 lits ;

Les ARS font état à cette date d’une augmentation complémentaires


possibles d’environ 2 465 lits supplémentaires (Annexe 16).

Les données disponibles dans le répertoire opérationnel des ressources


(ROR) des ARS, extraites et consolidées au niveau national ont permis d’établir
qu’au 15 avril 2020, 10 705 lits de réanimation adultes tous patients confondus
(covid et non covid) étaient installés (1).

CAPACITÉ EN LITS DE RÉANIMATION ADULTES : EXTRACTION DU FICHIER ROR ET DE


L’ENQUÊTE FLASH MENÉE AUPRÈS DES ARS

Source : DGOS. La notion de lits de réanimations adultes renvoie à tous les lits de réanimation, de type covid et non covid.
Elle intègre les lits dits « autorisés » et les lits dits « upgradés » pour prise en charge réanimatoire du fait de l’épidémie.

Mi-avril, la capacité en lits de réanimation adultes avait ainsi augmenté de


158 % dans la région Grand-Est, de 138 % en Île-de-France, de 250 % en Corse, de
121 % en Auvergne-Rhône-Alpes, de 97 % dans les Hauts-de-France et de 66 % en
Bourgogne-Franche-Comté depuis le début de la crise (2).

(1) Cette valeur n’inclut pas les capacités de réanimation en Guadeloupe et Mayotte, les données ROR n’étant
pas disponibles.
(2) Données fournies par la DGOS
— 172 —

Beaucoup de lits de réanimation créés durant la crise correspondent à des lits issus
de services proches de la réanimation, tels que les services de soins continus, qui ont été
« upgradés » pour pouvoir prendre en charge des patients en réanimation. Un nombre
conséquent des capacités nouvelles installées dans le contexte de la crise sanitaire
correspondent dès lors à une prise en charge en servies de réanimation en mode
« dégradé (1) ». Ainsi, s’agissant des lits de réanimation créés entre la mi-mars et la fin-
mars :
– 47 % proviennent de lits de surveillance continue transformés en lits de
réanimation ;
– 32 % ont été créés à partir d’emplacements de salle de réveil et de blocs
opératoires ;
– 13 % proviennent d’unités de réanimation qui n’étaient pas ouvertes par manque
de personnel en période pré-Covid ;
– 8 % sont issus d’unités d’hospitalisation et notamment des unités ambulatoires.

ORIGINE DES LITS DE RÉANIMATION SUPPLÉMENTAIRES COVID-19

Graphique issu de la note sur les Recommandations d’organisation des réanimations en prévision d’une nouvelle
vague publiée par le ministère des solidarités et de la santé le 17 juillet.

Un hôpital de campagne, doté de 27 lits de réanimation, a été installé dans


l’urgence en mars 2020 dans la ville de Mulhouse en raison de l’engorgement des
hôpitaux de la région et a permis d’accueillir 47 patients atteints de forme grave de
la Covid-19. Le service de santé des armées, à l’origine de cette installation, a fait
l’objet d’une mobilisation remarquable durant la crise sanitaire et a porté en tout, sa
capacité de lits disponibles en services de réanimation de 57 à 156. Ce service est
apparu particulièrement indispensable lors des nombreuses opérations de transfert
de patients (voir supra), où il a pu apporter son savoir-faire en termes de biosécurité
et de décontamination (2). Alors que le SSA a pu apporter une expertise essentielle

(1) Lors de son audition par la mission d’information le 8 juillet, M. Larmine Gharbi, président de la Fédération
de l’Hospitalisation Privée (FHP) évoquait ainsi la notion de « réa-like », c’est-à-dire des soins-continus
upgradés (équipés de respirateurs artificiels par exemple).
(2) Audition de Mme Maryline Gygax Généro, directrice centrale du service de santé des armées, et de M. Éric
Valade, médecin en chef, chef du département de biologie des agents transmissibles, le 16 septembre 2020.
— 173 —

dans le cadre de la crise sanitaire, on peut regretter la baisse de ses effectifs, à


l’œuvre depuis plusieurs années (1).

2. Le transfert de patients vers d’autres régions pour soulager la


saturation hospitalière

Face aux tensions critiques en lits de réanimation rencontrées dans les


régions les plus touchées par l’épidémie, des opérations de transferts de patients
vers des régions françaises ou de pays européens frontaliers disposant de capacités
disponibles ont été organisées à partir du 13 mars. Ces opérations ont notamment
été menées avec l’appui de l’opération Résilience qui a participé à l’évacuation de
patients par train médicalisé, par avion ainsi que par transports terrestres.

Entre le 13 mars et le 10 avril 2020, 660 patients ont ainsi fait l’objet d’une
évacuation sanitaire à partir des régions Île-de-France, Grand-Est,
Bourgogne-Franche-Comté et Corse.

Détail des opérations de transferts de patients vers d’autres régions durant la


première vague épidémique
– 327 patients ont été transférés à partir de la région Grand-Est (dont 121 vers
l’Allemagne, 88 vers la Nouvelle Aquitaine, 31 vers l’Occitanie, 28 vers la Suisse,
20 vers les Pays-de-la-Loire, 11 vers le Luxembourg et 3 en Autriche, notamment) ;
– 262 patients ont été transférés à partir d’Île-de-France (dont 76 vers la Bretagne, 47 vers
la Normandie, 47 vers la Nouvelle Aquitaine, 45 vers les Pays-de-la-Loire, 27 vers le
Centre-Val-de-Loire et 20 vers l’Auvergne-Rhône- Alpes) ;
– 56 patients ont été transférés à partir de la région Bourgogne-Franche-Comté (dont
41 d’entre eux vers la région Auvergne Rhône-Alpes, 10 vers la région PACA et 5 vers
la Suisse) ;
– 15 patients ont été transférés de la Corse (tous vers la région PACA).

Au total, 492 patients ont été transférés dans d’autres régions françaises et
168 vers d’autres pays d’Europe (Allemagne, Autriche, Suisse et Luxembourg)
durant la première vague de l’épidémie de Covid- 19.

Depuis la fin du mois d’octobre 2020, les opérations de transferts de


malades ont repris. À la date du 12 novembre, 120 évacuations sanitaires des
régions les plus touchées par l’épidémie vers des régions moins affectées et vers
l’Allemagne ont été menées (2). L’organisation de ces opérations de transferts de
malades entre régions françaises s’annonce néanmoins plus complexe, dans la
mesure où contrairement à la première vague de la crise, l’ensemble du territoire
national est touché par l’épidémie. Ces transferts témoignent de la persistance de
fortes tensions dans les capacités hospitalières.

(1) Le SSA a connu une réduction de 1 500 postes en cinq ans (soit 10 % des effectifs) et annonce un manque de
100 médecins.
(2) Conférence de presse du ministre des solidarités et de la santé, M. Olivier Véran, le 12 novembre 2020.
— 174 —

3. Le recours tous azimuts à des renforts en personnels soignants

L’augmentation des capacités d’accueil à l’hôpital et en particulier en


services de réanimation, a nécessité le recours à de nombreux renforts en personnel.
Des renforts dans les établissements de santé, mais également dans les
établissements médico-sociaux et en particulier dans les établissements
d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ont été nécessaires
pour assurer la prise en charge des malades soignés dans les établissements.

Ils ont été mobilisés via la mise en place de plateformes au niveau régional
ou national, la réserve sanitaire, la réquisition de personnels par le ministère des
solidarités et de la santé et directement par les établissements.

Les effectifs ont ainsi pu être significativement renforcés dans les


régions les plus touchées par l’épidémie. Si le nombre de personnels mobilisés au
sein des plateformes régionales, premier vecteur de renforts en ressources humaines
durant la crise, n’a pas pu faire l’objet d’une consolidation nationale, il est estimé
qu’à la date du 11 mai, 2 154 professionnels de santé avaient a minima été mobilisés
en renfort des établissements de santé et 2 231 dans le secteur médico- social (1).

(1) Recommandations d’organisation des réanimations en prévision d’une nouvelle vague de Covid-19, note
issue du ministère des solidarités et de la santé, publiée le 17 juillet 2020 et transmise à la mission
d’information.
— 175 —

Principales modalités de mobilisation de renforts en personnels soignants

– Les renforts en personnels soignants ont principalement été mobilisés par


l’intermédiaire des plateformes déployées par les Agences Régionales de Santé (ARS).
Des plateformes telles que « #Renforts-Covid » mise en place via l’application
« MedGo » ont ainsi permis de mettre en relation les établissements de santé et un vivier
de personnels volontaires pour venir en appui aux établissements de santé et
médico- sociaux. Plus de 16 220 renforts auraient été affectés dans les établissements de
santé de la région Île de France.
– La réserve sanitaire dont la gestion est confiée à Santé publique France a
également été sollicitée à partir du 25 janvier. Créée en 2007, la réserve sanitaire a pour
objectif d’intervenir en renfort, en cas de situation sanitaire exceptionnelle en France ou
à l’étranger. Mi-avril, un peu plus de 1 000 (1) avaient été mobilisés par la réserve sanitaire
pour répondre aux besoins en termes de personnels soignants ( cf II C).
– Un système de renforts interrégionaux a également été organisé par le ministère
des solidarités et de la santé. À partir du 25 mars, un formulaire d’inscription de
volontaires a en effet permis de recenser des renforts en personnels soignants mis à
disposition des ARS par l’intermédiaire de la plateforme Symbiose. À la date du 6 mai,
une quinzaine d’opérations de transferts de personnels des régions Auvergne-Rhône-
Alpes, Bretagne, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur vers les
régions Grand-Est et Îles de France avaient ainsi été organisées. En Île-de-France, à la
date du 18 avril, la plateforme Symbiose avait permis de mobiliser 595 volontaires. À la
même date, 95 volontaires avaient été mobilisés pour la région Grand-Est (2).
– La réquisition de personnels soignants afin de répondre aux besoins des régions
particulièrement sous tension a enfin été organisée, dans le cadre des mesures
réglementaires d’application de la loi du 23 mars 2020 instituant l’état d’urgence
sanitaire (3). À la date du 21 avril 2020, 198 personnes avaient été réquisitionnées, 83 %
d’entre elles l’ayant été par la région PACA et la région Île-de-France

(1) Données transmises par le ministère des solidarités et de la santé à la mission d’information, le 28 mai.
(2) Données transmises par le ministère des solidarités et de la santé à la mission d’information, le 6 mai.
(3) Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.
— 177 —

C. LES DIFFICULTÉS DE LA RÉORGANISATION DU SYSTÈME DE SOINS

La réorganisation du système de soins pour faire face à l’afflux de malades


s’est heurtée au manque d’équipements de protection individuelle, auquel se sont
ajoutées les pénuries de matériel pour la prise en charge des patients et la crainte de
manquer de médicaments.

1. Des besoins en respirateurs pour la réanimation

La spécificité de la prise en charge des malades graves du Covid était sans


doute difficile à anticiper, mais le système de soins et en particulier, les unités de
réanimation ont dû faire face à une augmentation extrêmement importante des
besoins en matériel, personnels soignants et médicaments. En plus de lits, les
services de réanimation nécessitent en effet des respirateurs et du personnel soignant
spécialisé, dont le manque est particulièrement apparu durant la crise.

a. Un nombre de respirateurs insuffisant pour prendre en charge


l’ensemble des patients en réanimation

Le nombre important de patients atteints de formes graves de la Covid-19 a


engendré un besoin croissant en respirateurs nécessaires pour assurer la prise en
charge en réanimation des malades présentant un syndrome de détresse
respiratoires aiguë.

Au début de l’épidémie, la France disposait d’un stock initial d’environ


12 000 respirateurs utilisables en services de réanimation, ce décompte ne prenant
pas en compte les 6 000 respirateurs d’urgence et de transport simple ni les
ventilateurs d’anesthésie (1). Les représentants du secteur hospitalier auditionnés par
la mission d’information ont souligné les difficultés posées par le manque de
respirateurs, en particulier dans les régions touchées en premier par la crise comme
le Grand-Est et ont indiqué avoir lancé un « cri d’alarme (2) » pour que des mesures
soient prises afin de renforcer leurs capacités. Ces tensions très fortes se sont
traduites par une inquiétude profonde des soignants sur la capacité à prendre en
charge l’ensemble des patients admis en réanimation. Auditionnée le 18 juin par la
mission d’information, Mme Lila Bouadma, réanimatrice à l’hôpital Bichat s’en est
fait l’écho : « tous les soirs dans mon service, nous nous posions la question de
savoir si nous pourrions ventiler le prochain malade. »

(1) Données fournies par le ministère des solidarités et de la santé. Le chiffre de 12 000 respirateurs disponibles
constitue une estimation moyenne entre le premier inventaire réalisé par les ARS de 10 400 respirateurs
disponibles et d’une étude menée avec la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des
statistiques (DRESS) qui évalue ce nombre à 14 000.
(2) Lors de son audition par la mission d’information le 8 juillet 2020, M. Jean-Marie Woehl président de la
commission médicale d'établissement (CME) des hôpitaux civils de Colmar indiquait ainsi « Nous avons bien
sûr manqué de respirateurs, et nous avons lancé un cri d'alarme extrêmement tôt par tous les canaux
possibles. »
— 178 —

Ce nombre insuffisant de respirateurs s’inscrit dans le contexte de marges


de manœuvre financières de plus en plus contraintes pour les hôpitaux depuis
plusieurs années et dans la mesure d’un investissement conséquent – de 50 000 et
60 000 euros – l’équipement en respirateurs lourds n’a pas constitué une priorité
pour les directeurs d’établissements (1).

b. Des commandes lancées rapidement mais qui n’ont pas toujours


répondu aux besoins

Très vite, le besoin a été perçu et le chiffre de 10 000 respirateurs


supplémentaires en commande a été annoncé (2).

L’industrie française a été mobilisée pour fournir les hôpitaux. Des


commandes importantes ont été passées auprès de plusieurs entreprises dont Air
Liquide, Schneider Electric, PSA et AIRBUS ; d’autres entreprises françaises sont
également intervenues dans les processus d’achats de respirateurs sur le marché
international, à l’instar de LVMH ou de L’Oréal.

10 141 respirateurs ont bien été commandés, pour un coût d’environ


54 millions d’euros, mais sur ce total, seuls 1 641 étaient des respirateurs
consacrés aux soins de réanimation. Les 8 500 respirateurs de type Osiris 3
commandés à l’entreprise Air Liquide sont en effet des appareils destinés aux
urgences et aux transports de patients. Cet usage a été précisé par la « doctrine
d’usage des dispositifs de ventilation et des respirateurs pour les patients Covid-19 »
transmise le 3 avril par le ministère des solidarités et de la santé aux établissements
hospitaliers qui indique que les respirateurs de type « Osiris 3 » sont des appareils
de niveau 5, c’est-à-dire réservés au transport des malades.

L’ensemble des personnels soignants interrogés à ce sujet ont indiqué à la


mission d’information que ces respirateurs, s’ils ont pu soulager temporairement
certaines tensions à l’hôpital, n’étaient pas adaptés à la prise en charge d’un afflux
massif de patients en services de réanimation. Lors de son audition, Mme Lila
Bouadma a ainsi indiqué à ce sujet que « des ventilateurs de transport ont été
fabriqués en urgence, mais ils ne sont pas adaptés à la ventilation des malades en
phase aiguë de Covid-19. Ils peuvent avoir une utilité quand il y a un grand nombre
de patients, notamment pour ceux qui sont dans la phase de sevrage. Ces 8 500
ventilateurs conviennent pour le transport de malades qui ne sont pas dans un état
grave. Ils ne sont pas adaptés à la prise en charge d’un afflux massif de patients. »

La donne est toutefois modifiée dans le bon sens par l’évolution de la prise
en charge des malades de la Covid-19 à la suite de nouvelles méthodes de soin ayant
prouvé leur efficacité. Lors de son audition le 4 novembre, le ministre des solidarités
et de la santé a évoqué le recours à l’Optiflow, qui permet de fournir de l’oxygène

(1) Audition de MM. Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF) de M. Jean-
Marie Woehl, président de la commission médicale d'établissement (CME) des hôpitaux civils de Colmar et
de M. Alexis Thomas, directeur de cabinet de la Fédération hospitalière de France, le 8 juillet 2020.
(2) Audition du ministre des solidarités et de la santé M. Olivier Véran, le 1er avril 2020.
— 179 —

à haut débit et de retarder le recours à l’intubation. Ces nouvelles méthodes


pourraient avoir des conséquences importantes pour la prise en charge des patients
covid dans la mesure où un certain nombre de patients placés sous oxygène à haut
débit pourront éviter les soins réanimatoires.

2. Un manque de personnel soignant que la réserve sanitaire n’a pas été


en mesure de pallier

Le renforcement des effectifs dédiés à la prise en charge des patients Covid


a été possible grâce à la déprogrammation des activités médicales non urgentes
issues du plan blanc qui a permis de réaffecter des personnels. Mais le nombre
important de patients admis en services de réanimation a rendu particulièrement
nécessaire la mobilisation de personnel spécialisé supplémentaire. Le code de la
santé publique prévoit en effet qu’une équipe médicale de réanimation doit
comprendre au moins un ou plusieurs médecins qualifiés en réanimation et un
ou plusieurs médecins qualifiés en anesthésie-réanimation ou du moins ayant
une expérience attestée en réanimation. Une équipe de réanimation comprend par
ailleurs au minimum deux infirmiers pour cinq patients et un aide-soignant
pour quatre patients (1).

Le manque de personnel a constitué le principal obstacle à


l’augmentation des capacités de prise en charge à l’hôpital et en réanimation.
Le recours à de nombreux renforts et les opérations de réorganisation qui ont été
menées n’ont pas permis de répondre aux tensions très fortes en personnels
rencontrées durant la première vague de l’épidémie. La réserve sanitaire, qui devait
constituer le premier vivier de mobilisation de renforts en professionnels de santé,
en particulier, s’est révélée peu adaptée à une situation de crise aiguë.

a. Face à l’ampleur de la crise, la réserve sanitaire n’a pas été un outil


suffisamment opérationnel

Créée au même moment que l’EPRUS par la loi n° 2007-294 du 5 mars


2007 et pilotée aujourd’hui par Santé publique France, la réserve sanitaire est
constituée de professionnels de santé volontaires, mais également d’étudiants et de
retraités pouvant être appelés, sur demande des ARS, à participer à des missions
ponctuelles sur le territoire national ou à l’étranger.

La réserve sanitaire a été mobilisée tôt dans la crise, dès le 25 janvier (2).
Mais d’abord victime de son succès (le site internet de Santé publique France qui
lui est dédié n’a rapidement plus permis de renseigner des candidatures), elle s’est
finalement avérée insuffisamment opérationnelle pour répondre aux besoins
croissants en personnels et aux tensions très fortes sur certains métiers et a dû être
suppléée par des dispositifs alternatifs montés directement par les ARS.

(1) Articles D. 6124-31 et D. 6124-32 du code de la santé publique.


(2) Les réservistes ont en effet été projetés à Roissy-Charles-de-Gaulle pour constituer les premières équipes
médicales chargées d’accueillir les passagers des vols en provenance de Wuhan et sont intervenus dans les
centres d’accueil installés à Carry-le-Rouet et à Aix-en-Provence.
— 180 —

En effet, dans les premières semaines du 26 janvier au 20 mars, c’est-à-dire


jusqu’au passage au stade 3 de l’épidémie, si la réserve a répondu à toutes les
demandes qui lui ont été adressées, au total les effectifs ainsi fournis ont été bien
inférieurs à ceux envoyés par les plateformes mises en place par les ARS (voir
supra).

Alors que la réserve sanitaire comptait le 30 avril, 42 122 volontaires


inscrits dont 2 094 étudiants et 5 454 retraités, un peu plus de 1 000 personnels
soignants seulement avaient été mobilisés mi-avril. En comparaison, la plateforme
#Renforts Covid avait fourni à la même date, plus de 16 220 renforts aux
établissements de santé et aux établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS)
d’Île-de-France (1).

La difficulté de mobiliser un nombre conséquent de personnels soignants et


dans des délais très courts s’explique, en partie, par les modalités de
fonctionnement de la réserve sanitaire.
Santé publique France prend, en effet, en charge le traitement administratif
des dossiers avant d’affecter les personnels dans les établissements, ce qui donne
lieu à des vérifications exhaustives des diplômes, de l’inscription aux différents
ordres et du déroulement de la carrière professionnelle. Ces procédures légitimes se
transforment en temps de crise en obstacles administratifs et génèrent des temps de
traitement des dossiers d’autant plus problématiques que le personnel dédié à leur
gestion est réduit (2). Ce mode de fonctionnement s’explique par une conception de
la réserve, paradoxalement, mal adapté à une situation de crise aiguë : les réservistes
sont en principe mobilisés pour des missions longues, à l’inverse des personnels
recrutés par l’intermédiaire des plateformes, qui pouvaient répondre aux besoins
ponctuels (parfois même à la demi-journée), exprimés par les établissements.

S’y ajoute le fait que les besoins ont porté en priorité sur des professionnels
de santé comme les réanimateurs et les infirmières d’anesthésie-réanimation. Or, on
retrouve logiquement chez les réservistes les mêmes manques de certaines
spécialités qui font défaut structurellement dans l’offre de soins (urgentistes,
médecins anesthésistes réanimateurs notamment).

Sur les 42 000 personnes inscrites au sein de la réserve sanitaire, moins


de la moitié font partie des principales spécialités recherchées dans le cadre de
la crise du Covid-19 (voir infra). S’agissant des médecins, la réserve sanitaire ne
comptait par exemple au 30 avril que 43 médecins réanimateurs et 503 urgentistes.
De surcroît, comme l’a souligné Grégory Emery lors de son audition, la réserve
sanitaire, telle qu’elle était construite, ne permettait pas toujours d’identifier les
professionnels de santé concernés : 6 147 professionnels ont généré un compte
réserviste sanitaire sans renseigner leur profession. En outre, elle ne disposait pas

(1) Audition de M. Aurélien Rousseau, directeur général de l’agence régionale de santé Île-de-France, le
23 juillet 2020.
(2) L’équipe dédiée à la gestion de la réserve sanitaire ne comprend que huit personnes.
— 181 —

non plus des profils adaptés pour fournir des renforts dans les établissements
d’hébergement pour personnes âgées (EHPA) (1).

Dans le cadre de la deuxième vague d’épidémie de Covid-19, la plateforme


« Renfort RH crise » a été lancée le 16 octobre 2020 par le ministère des solidarités
et de la santé. Cette plateforme permet de mettre en relation tout professionnel
volontaire au sein des établissements de santé ou des établissements médico-sociaux
qui formulent une demande de renfort.

Le fonctionnement de la réserve sanitaire s’est finalement révélé inadapté


aux besoins opérationnels urgents engendrés par la crise et nécessite une réforme
profonde qui permette notamment de lui dédier des moyens supplémentaires.

Proposition : Renforcer significativement les moyens humains et financiers


consacrés à gestion de la réserve sanitaire. Assouplir les procédures de recrutement et de
déploiement des personnels pour en faire un outil plus opérationnel en temps de crise.

b. La crise a exacerbé des difficultés de personnel qui sont structurelles

La crise du Covid-19 a souligné avec force le manque de personnels


soignants compétents dans certaines spécialités et en particulier en services de
réanimation. Les professionnels recherchés sont toujours les mêmes : il s’agit
principalement des médecins anesthésistes-réanimateurs, des infirmiers
anesthésiques diplômés d’État (IADE), des infirmiers de blocs opératoires (IBODE)
et d’aides-soignants pouvant exercer en services de réanimation.

Le déficit de personnels compétents pour la réanimation traduit les


orientations des politiques de recrutement et de formation. Les représentants du
secteur de l’hôpital auditionnés par la mission d’information ont en effet regretté
des politiques de formation des professionnels déconnectées des besoins identifiés
en termes de prise en charge médicale pour les années à venir et l’absence
d’évaluation de la démographie médicale ou paramédicale spécialité par
spécialité (2). Lors de son audition devant la mission d’information le 6 juillet, le
professeur Bruno Riou, directeur médical de crise de l’AP-HP déclarait ainsi « Nous
n’avons pas consenti les efforts nécessaires pour adapter la démographie médicale
et paramédicale à la complexité de la médecine actuelle et à celle de demain. »

Les tensions en termes de personnel ont été désignées par l’ensemble des
personnes auditionnées comme la problématique principale durant la crise et
comme le plus grand obstacle à la montée en charge des capacités de réanimation.

Dans ce contexte, votre rapporteur appelle à renforcer l’évaluation de la


démographie médicale et para-médicale et l’anticipation des besoins sanitaires

(1) Audition de Mme Virginie Lasserre, directrice générale de la cohésion sociale, le 13 octobre 2020.
(2) Cette problématique a notamment été soulevée par M. Martin Hirsch, président de l’Assistance-publique
Hôpitaux de Paris (AP-HP) lors de son audition le 6 juillet.
— 182 —

futurs, afin d’ajuster les politiques de formation des personnels soignants aux
problématiques de santé publique à venir.

Votre rapporteur invite également à tirer les conclusions des problèmes


rencontrés en termes de polyvalence de certaines professions telles que les
infirmiers, afin de leur permettre d’intervenir en soutien, par exemple en services
de soins intensifs ou de réanimation, lors de crises sanitaires.

Proposition : adapter les politiques de formation des personnels soignants aux


besoins sanitaires, en prenant en compte les postes disponibles dans chaque spécialité.

Proposition : améliorer la polyvalence de certaines professions médicales afin de


répondre aux besoins issus de crises sanitaires et pouvoir renforcer les équipes des services
les plus sous tension, comme la réanimation.

3. De très fortes tensions s’agissant des médicaments nécessaires à la


réanimation

a. Un risque de pénurie de médicaments lié à une consommation très


importante et à l’explosion de la demande mondiale pour certaines
molécules

● La Covid-19 s’est caractérisée pendant la première vague de l’épidémie


par un nombre important de patients atteints de pathologies lourdes, nécessitant des
semaines de ventilation et l’administration de traitements spécifiques et en
quantité bien supérieures à celles habituellement utilisées. Il en est résulté une
augmentation très forte des besoins pour certains médicaments et notamment pour
les produits utilisés pour le coma artificiel et la réanimation.

Parallèlement, un grand nombre de pays étant frappés par l’épidémie de


Covid-19 au même moment, la demande mondiale pour les médicaments de la
catégorie des curares, des hypnotiques, des anesthésiques et des sédatifs a ainsi
été démultipliée, atteignant parfois 2 000 %. Dans ce contexte,
l’approvisionnement des laboratoires a été soumis à de fortes tensions, les
industriels ne pouvant pas, par conséquent, garantir la mobilisation de volumes
supplémentaires aux établissements de santé.

● Dès la mi-mars, l’agence nationale de sécurité du médicament et des


produits de santé (ANSM) a signalé au centre de crise sanitaire l’existence de
tensions très importantes pesant sur les molécules utilisées en réanimation.
L’ANSM a notamment alerté sur le risque de pénuries pesant sur cinq molécules
principales : les curares (atracurium, cisatracurium, rocuronium) et les
hypnotiques (midazolam et propofol). Ces médicaments ont été utilisés dans des
volumes inédits durant le pic de l’épidémie pour les soins de réanimation mais ont
également dans d’autres cadres (le midazolam a par exemple été utilisé pour les
soins palliatifs alors que les curares et le propofol l’ont été en chirurgie).
— 183 —

L’ANSM a identifié un scénario défavorable dans lequel des ruptures


étaient à prévoir pour la plupart des spécialités : au regard des stocks disponibles
début avril chez les fournisseurs, seuls 8 000 patients pourraient être traités avec les
doses minimales d’hypnotiques, soit au total 10 jours de traitement pour la
France entière. La situation relative aux curares était également particulièrement
préoccupante (1).

b. Un plan d’action mis en place par l’État pour un approvisionnement sur


le fil du rasoir

● Face au risque de pénurie, un plan d’action, piloté par une cellule


spécifique au sein du centre de crise a été mis en place à partir de la fin mars. Ce
plan a reposé sur trois axes :

– la régulation des médicaments disponibles, par la mise en place d’un


système d’information permettant de connaître quotidiennement l’état des stocks
disponibles au sein des établissements de santé et de procéder à des dépannages
inter-établissements, en lien avec les ARS. Dans ce contexte, les stocks
réquisitionnés ont été distribués selon une procédure de dotation nationale établie
par l’ANSM. Les dotations étaient initialement calculées sur la base du nombre de
patients admis en réanimation. Depuis la fin du confinement, les critères
d’attribution reposent sur les besoins du système de santé en situation normale de
fonctionnement (2) et le traitement des nouveaux patients Covid en réanimation par
semaine et de manière récurrente.

– l’achat par l’État des stocks disponibles auprès des laboratoires et


auprès de laboratoires identifiés via le réseau des ambassades. En application
du décret du 23 avril 2020 (3) prévoyant la centralisation de l’achat de certains
médicaments, l’État a acheté l’intégralité des stocks disponibles chez les
fournisseurs des cinq molécules critiques pour organiser une distribution des
établissements de santé en fonction de leurs besoins.

(1) Données communiquées par le ministère des solidarités et de la santé à la date du 6 mai.
(2) Basé sur les consommations des établissements de santé en 2009
(3) Décret n° 2020-466 du 23 avril 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les
mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence
sanitaire.
— 184 —

TOTAL DES ACHATS RÉALISÉS ET EN COURS DE CONTRACTUALISATION SUR LES 7


MOLÉCULES DE RÉANIMATION RÉALISÉS JUSQU’AU 24/05 (EN MILLIONS DE MG)

Total acheté ou
Total distribué Stocks
réservé
DCI (à S21) (S22 à S31)
(marché SpF)
En million de mg
ATRACURIUM 200 30 170
CISATRACURIUM 34 9 25
ROCURONIUM 39 17,8 21,2
VECURONIUM 0,2 0 0,2
MIDAZOLAM 332 131 201
PROPOFOL 4 700 907 3 793
GAMMA OH 0,45 0 0,45
Source : données transmises par le ministère des solidarités et de la santé à la mission d’information le 28 mai.

– la production et l’internalisation de la fabrication, via l’acquisition de


matières premières et leur transformation auprès de façonniers nationaux ou de
pharmacies hospitalières.

Le rôle de SPF dans l’achat des molécules prioritaires


Depuis le 27 avril 2020, dans le contexte de tensions très fortes pesant sur les
médicaments, SPF est devenue l’acquéreur exclusif pour le compte de l’État des
molécules prioritaires nécessaires pour prendre en charge les patients Covid-19 en
services de réanimation et assurer la continuité des soins vitaux dans les autres secteurs
de soin y ayant recours.
Plusieurs contrats ont ainsi été passés avec l’ensemble des filiales françaises qui
commercialisent ces spécialités, mais également avec des filiales ayant proposé leurs
services en tant qu’importateurs de ces molécules ou encore avec Sanofi, afin de pré-
selectionner des fournisseurs hors Union-européenne. Un contrat a par ailleurs été signé
avec trois dépositaires pour la réception, le stockage et la distribution des médicaments
vers les établissements de santé.

● La stratégie mise en place semble avoir permis d’éviter sur le fil des
ruptures sèches de médicaments pour les soins de réanimation. Les tensions
rencontrées ont néanmoins été extrêmement fortes. Les professionnels auditionnés
ont notamment souligné leurs incertitudes sur le stock de médicaments dont ils
pourraient effectivement disposer pour prendre en charge leurs patients. La manière
dont les établissements allaient être approvisionnés en médicaments a été une source
de préoccupation importante.

Ces tensions ont rendu nécessaire une régulation de l’usage des


médicaments critiques pour l’ensemble des soins pour lesquels ils sont
normalement utilisés.
— 185 —

La direction générale de la santé dans une note du 13 avril, recense les


prévisions relatives à la disponibilité des molécules prioritaires en avertissant
cependant que ces données « sont calculées sous les hypothèses fortes de réduction
des doses. Des chiffres beaucoup moins bons pourraient être observés si les doses
élevées initialement annoncées par les réanimateurs étaient généralisées ou
continuaient à être utilisées. À titre d’exemple, ces chiffres pourraient être divisés
par deux sur le midazolam et propofol en termes de nombre de patients traitables.
Une sensibilisation des professionnels de santé au respect de ces indications est en
cours en lien avec les sociétés savantes ».

L’instruction du 25 avril 2020 a en ce sens appelé les établissements de


santé et les professionnels de santé en leur sein à envisager « toutes les mesures
permettant l’économie la plus stricte de ces médicaments. »

ÉTAT DES STOCKS DISPONIBLES SUR LE TERRITOIRE NATIONAL À LA DATE DU 11/04/2020


PRENANT EN COMPTE LES STOCKS DES FOURNISSEURS ET LES STOCKS DÉTENUS DANS
LES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ

Couverture des besoins sur les médicaments les plus critiques


(Nombre de patients susceptibles d'être traités*)
160 000
140 000
120 000
100 000
80 000
60 000
40 000
20 000
0
Céfotaxime
Noradrénaline

Spiramycine
(midazolam +

Curares

Paracétamol IV
(dont sufentanyl)
Hypnotiques

Morphiniques
propofol)

Stocks laboratoires Stocks PUI Commandes avril

* Si les posologies minimales recommandées par les sociétés savantes sont bien appliquées
Document issu d’une note de situation sur la situation des médicaments, transmise par la DGS à la mission
d’information le 24 septembre.

Des mesures réglementaires ont également pu susciter des inquiétudes chez


les professionnels soignants.

Face à la pénurie de midazolam, hypnotique sédatif, un décret en date du


28 mars 2020 (1) a facilité l’accès au rivotril, en prévoyant que ce médicament
pouvait être dispensé par les pharmacies d’officine en vue de la prise en charge des
patients atteints ou susceptibles d’être atteints de la Covid-19 et dont l’état clinique

(1) Décret n° 2020-360 du 28 mars 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les
mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence
sanitaire.
— 186 —

le justifie (1). Cette extension d’accès au rivotril, auparavant seulement délivré par
les pharmacies hospitalières a soulevé un questionnement éthique, dans la mesure
où il peut être utilisé comme sédatif en soins palliatifs. L’usage du rivotril dans le
cadre de soins palliatifs est néanmoins demeuré soumis aux protocoles définis par
la société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) pour la prise
en charge palliative de la détresse respiratoire.

D. LA PERSISTANCE DES TENSIONS PENDANT LA DEUXIÈME VAGUE


TÉMOIGNE DE DIFFICULTÉS STRUCTURELLES

Si le système de santé était déjà fragilisé à l’amorce de la crise de la


Covid-19, la première vague de l’épidémie a souligné avec force la nécessité d’une
politique ambitieuse d’investissement en faveur du système de soins et des
personnels soignants, auxquels ont cherché à répondre les accords du Ségur de la
Santé.

L’ampleur de la seconde vague épidémique révèle néanmoins la


persistance de problématiques structurelles fortes, appelant de nouvelles
réformes à même de rendre le système de soins plus résilient et mieux armé face
aux crises sanitaires futures.

1. Le Ségur de la Santé traduit une prise conscience de la nécessité d’un


investissement dans le système de soins

À la lumière de la crise et dans le contexte d’un système de santé


particulièrement éprouvé par la première vague épidémique, les conclusions du
« Ségur de la santé » ont été présentées par le Gouvernement le 21 juillet. Ces
accords, signés le 13 juillet, sont issus d’une concertation conduite du 25 mai au
10 juillet avec les principaux représentants du secteur sanitaire et médico-social.
Parmi les principales mesures décidées, figure un investissement fort en faveur du
système de soins et des personnels soignants.

a. Les mesures à destination des personnels soignants

La crise du Covid-19 a mis en lumière un déficit criant de professionnels de


santé, limitant considérablement la capacité du système de santé à faire face à des
crises sanitaires de grande ampleur. Les accords de Ségur entendent répondre à cette
difficulté, en prévoyant un investissement important en faveur de ces
professionnels.

(1) Sur présentation d’une ordonnance médicale portant la mention « prescription hors autorisation de mise sur
le marché dans le cadre du Covid-19. »
— 187 —

Primes exceptionnelles accordées aux personnels soignants


à la suite de la crise sanitaire
Une prime exceptionnelle communément appelée « prime Covid » a été prévue par la
loi de finances rectificatives pour 2020 du 25 avril, pour les agents publics dont la
mobilisation a été particulièrement requise durant la crise, et notamment pour les agents
de la fonction publique hospitalière. Cette prime défiscalisée et exonérée de cotisations
sociales est accordée aux agents ayant exercé leurs fonctions de manière effective, y
compris en télétravail, entre le 1er mars et le 30 avril 2020. Le montant de cette prime
varie toutefois selon les situations :
– une prime de 1 500 euros a été versée à l’ensemble des personnels des services de
santé mobilisés dans les quarante départements les plus touchés par l’épidémie, ainsi
qu’aux agents ayant travaillé dans les services dédiés au Covid-19 des établissements de
référence situés dans les départements les moins touchés et qui ont accueilli des patients
contaminés d’autres régions ;
– une prime de 500 euros a été versée aux personnels de santé des autres départements.
– La LFR pour 2020 a par ailleurs prévu pour les personnels de santé une majoration de
50 % de leurs heures supplémentaires effectuées à l’hôpital durant la crise sanitaire.

– Dans la lignée des primes accordées aux personnels impliqués dans la lutte
contre le Covid-19 (voir supra), les accords de Ségur prévoient d’abord un plan
d’investissement de 8,2 milliards d’euros, prévoyant des hausses de salaires et des
primes pour les personnels soignants. Ce plan d’investissement vise essentiellement
à renforcer l’attractivité de ces métiers.

Principales mesures figurant dans l’accord sur les carrières,


les métiers et rémunérations.
– Une enveloppe de 7,6 milliards d’euros est d’abord allouée aux personnels
paramédicaux (infirmiers, aides-soignants, masseurs-kinésithérapeutes) et non médicaux
(agents administratifs, techniciens, brancardiers notamment). Cette somme est
principalement destinée à financer une hausse de salaire « socle » pour les personnels
des hôpitaux et des EHPAD publics, de 183 euros mensuels nets (1). Cet accord prévoit
également une révision des grilles de salaires pour certaines professions (qui devra être
achevée au printemps), des majorations pour les heures supplémentaires, des mesures
visant à développer l’intéressement collectif ainsi qu’un plan de recrutement (voir infra).
Les salariés du secteur privé bénéficieront également d’une revalorisation évaluée à
160 euros nets par mois.
– Un accord sur les médecins hospitaliers prévoit l’allocation d’une enveloppe de
450 millions d’euros pour ces professionnels. Cette somme a servi essentiellement à
augmenter l’indemnité de « service public exclusif » versée à ces praticiens, à partir du
1er septembre. Une révision des grilles de salaires fusionne les trois premiers échelons et

(1) Dans la fonction publique hospitalière, deux textes publiés le 19 septembre 2020 ont finalement permis
l’application anticipée de cet engagement dès septembre 2021. Sur la base du point d’indice actuel, cette
revalorisation correspond à près de 230 euros mensuels bruts. Pour les personnels non médicaux des
hôpitaux et des EHPAD, cette revalorisation est prévue dans le projet de loi de financement de la sécurité
sociale (PLFSS) pour 2021 et sera donc versée de manière rétroactive.
— 188 —

la création de trois échelons supplémentaires en fin de carrière.


– Des mesures spécifiques ont également été prises à destination des internes, des
étudiants en médecine et en filières paramédicales. Une enveloppe de 200 millions
d’euros est ainsi destinée à améliorer leurs indemnités (1).

– Pour répondre au manque de personnels apparu particulièrement


préoccupant durant la crise, les accords de Ségur prévoient par ailleurs un plan de
15 000 recrutements, pour soutenir l’emploi hospitalier.

b. Des investissements supplémentaires dans le système de soins

Au-delà des revalorisations salariales des professionnels de santé, dans le


contexte de crise sanitaire que l’on sait, les accords du Ségur de la Santé prévoient
un investissement important en faveur de l’ensemble du système de soins.

Alors que l’épidémie de Covid-19 a mis en lumière de façon critique les


conséquences de la politique de réduction du nombre de lits à l’œuvre depuis
plusieurs années (voir supra), les accords du Ségur de la Santé allouent 50 millions
d’euros à la création de lits supplémentaires. Ceci permettra la création de
4 000 lits « à la demande » dans les hôpitaux.

Les accords du Ségur consacrent par ailleurs 6 milliards d’euros


d’investissement dans le système de santé et médico-social (investissements,
rénovations et équipements numériques pour les établissements de santé et les
ESMS). Un effort financier important est également consacré pour soulager les
établissements hospitaliers des importantes contraintes financières reposant sur eux.
L’État s’est, en effet, engagé à la reprise de la dette hospitalière à hauteur de
13 milliards d’euros (2). Les accords de Ségur prévoient également différentes
mesures relatives à la sortie d’un mode de financement des établissements de santé
reposant entièrement sur la tarification à l’activité (T2A).

Parmi les engagements des accords de Ségur, figure également la


simplification des organisations et du quotidien des équipes de santé et la mise
en place de mesures de réforme de la gouvernance des hôpitaux. Plusieurs
mesures sont prévues par la proposition de loi visant à améliorer le système de santé
par la confiance et la simplification (3), telles que la réintroduction du service
hospitalier comme unité fonctionnelle et la restauration de la fonction de chef de
service, l’expérimentation du regroupement de la commission médicale
d’établissement et de la commission des soins, ou encore, l’ouverture du directoire
des établissements de santé en rendant possible la participation de représentants des
usagers et d’étudiants en santé.

(1) Cette mesure est prévue par l’arrêté du 11 septembre 2020


(2) La reprise de la dette hospitalière a été initiée par la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à
l’autonomie et est précisée par l’article 27 du PLFSS pour 2021.
(3) Proposition de loi n° 3470 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification,
enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 octobre 2020.
— 189 —

Votre rapporteur soutient ces évolutions qui tendent à remédicaliser la


gouvernance des hôpitaux à différents échelons (services et conférence médicale
d’établissements notamment). Il insiste sur la nécessité de davantage rééquilibrer le
partage des pouvoirs au sein de l’hôpital entre directeurs d’établissements et
représentants des médecins, en renforçant de façon significative les pouvoirs de la
conférence médicale d’établissement (CME).
Proposition : dans la lignée du Ségur de la santé, rééquilibrer le partage des pouvoirs
à l’hôpital entre les directeurs d’établissements et les représentants du corps médical, en
renforçant significativement les pouvoirs de la conférence médicale d’établissement (CME).

2. Des tensions qui témoignent néanmoins de la persistance de


problématiques structurelles

L’ampleur de la seconde vague d’épidémie de Covid-19 témoigne de la


persistance de difficultés importantes, qui appellent la mise en place de réformes
structurelles à même de rendre le système de santé plus robuste face aux risques
épidémiques.

a. La seconde vague épidémique place de nouveau l’hôpital en situation


critique

Face à la montée en puissance de la seconde vague épidémique, les


capacités d’accueil à l’hôpital et en services de réanimation sont soumises à de très
fortes tensions.

À la date du 10 novembre 2020, 31 505 cas de Covid-19 étaient hospitalisés


en France dont 4 750 en réanimation, atteignant dès lors des niveaux similaires à
ceux observés durant la première vague. Contrairement à la première vague,
l’épidémie touche aujourd’hui toutes les régions métropolitaines même si les
régions actuellement les plus impactées sont l’Auvergne-Rhône-Alpes, les
Hauts-de-France, la Bourgogne-Franche-Comté, l’Île-de-France et Provence-
Alpes-Côte d’Azur (1). Dans ces régions, les capacités d’accueil de patients en
services de réanimation se trouvent une nouvelle fois en situation critique. Ces
tensions très fortes ont donné lieu une nouvelle fois à des transferts de patients vers
d’autres régions (voir I).

La mortalité liée à la Covid-19, qui était en net recul depuis le


déconfinement a également de nouveau augmenté. 11 443 personnes sont décédées
des suites de la maladie entre le 8 septembre et le 10 novembre (2).

(1) Bilan épidémiologique de santé publique France, 12 novembre.


(2) Bilans épidémiologiques de santé publique en date du 10 septembre et du 12 novembre.
— 190 —

b. Le manque structurel de personnels soignants, demeure la principale


limite à l’augmentation du nombre de lits de réanimation et de soins
critiques

Dans le cadre de la seconde vague épidémique, le manque de personnels


demeure le principal obstacle à la hausse du nombre de lits de réanimation et de
soins critiques.

Certes, un nombre significatif de professionnels de santé ont suivi des


formations à la suite de la première vague épidémique pour pouvoir intervenir en
renfort des services les plus sous tensions, dans l’éventualité d’une reprise de
l’épidémie. Le ministre des solidarités et de la santé, M. Olivier Véran, a annoncé
le 4 novembre 2020 que plusieurs centaines d’infirmiers et d’aides-soignants ont
ainsi été formés depuis cet été pour intervenir en renforts dans les services de
réanimation. Ces mesures indispensables se heurtent toutefois à la durée des temps
de formation. Comme l’a indiqué le ministre en charge de la santé lors de son
audition : « on ne peut pas former de réanimateurs en trois ou six mois – c’est dix
à douze ans qu’il faut ».

La plupart des établissements de santé rencontrent en effet des difficultés


en termes de personnels soignants dans les spécialités les plus recherchées pour
affronter la deuxième vague, telle que la réanimation.

Selon une enquête menée sur 3 000 établissements de santé par la Fédération
Hospitalière de France (FHF) et publiée en novembre 2020, 80 % des établissements
se trouvaient en « recherche active de renforcement de leurs effectifs » et la grande
majorité d’entre eux rencontraient des difficultés pour ce faire. Cette situation est
d’autant plus préoccupante que la vague épidémique touche cette fois l’ensemble
du territoire national et rend plus difficile les transferts de soignants entre régions.

Le manque de personnel spécialisé rend dès lors difficilement atteignable


l’objectif de 12 000 lits de réanimation souvent avancé par le Gouvernement (1).
L’augmentation du nombre de lits de réanimation a de nouveau été engagée pour
répondre aux besoins issus de la reprise de l’épidémie. Alors qu’après la première
vague épidémique, la France disposait de 5 800 lits de réanimation, ce chiffre est
était de 7 700 début novembre (2). La cible de 12 000 lits de réanimation n’a pas été
reprise par le ministre lors de son audition, qui a évoqué un « prochain palier
envisagé à 10 500 lits ». La note de recommandations d’organisation des
réanimations en prévision d’une nouvelle vague de Covid-19 à destination des ARS
et en date du 17 juillet, a rappelé que l’augmentation du nombre de lits « nécessite
de nombreux effectifs supplémentaires en personnel qui ne sont pas présents
directement et ne peuvent pas être disponibles sur tout le territoire national en
même temps. ». Cette situation est d’autant plus préoccupante que la vague

(1) Le ministre de la santé indiquait ainsi, à l’occasion d’une conférence de presse dédiée à la crise du Covid-19
le 27 août, « Si la situation le nécessite, 12 000 lits de réanimation pourront être disponibles ».
(2) Audition du ministre des solidarités et de la santé M. Olivier Véran, le 4 novembre 2020.
— 191 —

épidémique touchant cette fois l’ensemble du territoire national et rend plus difficile
les transferts de soignants entre régions.
— 193 —

III. LES EHPAD ET LES SERVICES D’AIDE À DOMICILE, LES OUBLIÉS DE LA


PREMIÈRE VAGUE DE L’ÉPIDÉMIE

29 933 personnes sont décédées des suites de la Covid-19 entre le 1er mars
et le 7 juillet, 14 081 d’entre elles, soit près de la moitié, étaient des résidents
d’établissements d’hébergement pour personnes âgées (EHPA).

L’âge étant le premier facteur de risque (93 % des personnes décédées des
suites de la COVID-19 sont âgées de 65 ans ou plus), l’hébergement collectif de
ces personnes vulnérables en situation épidémique constitue un risque majeur.
De fait, elles ont été les premières victimes de l’épidémie et les établissements qui
les accueillent ont été particulièrement frappés par la première vague. Le contraste
est pourtant marquant, entre la vulnérabilité particulière des personnes âgées à la
maladie et le délai de déclenchement des premières mesures en direction des EHPA
et des services à domicile.

Ce constat est d’ailleurs esquissé par le professeur Daniel Pittet dans le


rapport qu’il a remis au Président de la République : « En l’état de ses
investigations, la Mission ne peut encore se prononcer sur les conditions de prise
en charge au sein du secteur médico-social (résidents d’établissements
d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD – et personnes
porteuses de handicap). Des premières auditions, il ressort néanmoins que certains
établissements se seraient trouvés initialement isolés et privés d’un soutien
sanitaire adapté, avant que des mesures d’aide et de mise en réseau ne se mettent
en place à l’initiative des agences régionales de santé (ARS) et des principaux
établissements publics de santé. »
— 194 —

A. UNE RÉPONSE QUI A TARDÉ À S’ORGANISER MALGRÉ UNE


SITUATION CRITIQUE

Les personnes âgées sont principalement prises en charge :


– dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées :
Les EHPAD, structures médicalisées qui accueillent des personnes âgées dépendantes.
Établissements médico-sociaux, ils constituent les structures d’accueil pour personnes
âgées les plus répandues. Il existe aujourd’hui 7 502 établissements accueillant environ
610 000 résidents (1). 50 % des EHPAD sont publics, 31 % privés à but non lucratif et
24 % privés à but lucratif (2). Ces établissements accueillent des personnes ayant des
degrés d’autonomie très différents, d’autonomes à très dépendantes.
Les personnes âgées les plus autonomes peuvent être accueillies en établissements
d’hébergement pour personnes âgées (EHPA) (3) (il en existe aujourd’hui 265) ou en
résidences autonomies (il en existe aujourd’hui 2 294).
– à l’hôpital : les personnes âgées les plus dépendantes peuvent également être prises
en charge dans les unités de soins de longue durée (USLD) des hôpitaux.
32 790 personnes étaient concernées fin 2015 (4).
– à domicile, avec un suivi : près de 886 000 personnes, dont la plupart sont des
personnes âgées, font aujourd’hui l’objet d’une prise en charge à domicile. Les
principaux services intervenant à domicile sont d’une part, les services de soins infirmiers
à domicile (SSIAD) et les services polyvalents d’aide et de soins à domicile (SPASAD)
qui prennent en charge 125 700 personnes et sont placés sous l’autorité des Agences
Régionales de Santé et d’autre part, les services d’accompagnement et d’aide à domicile
(SAAD) qui prennent en charge 760 000 personnes, sous l’autorité des conseils
départementaux.

1. Les résidents des établissements pour personnes âgées ont été les
premières victimes de l’épidémie

Les établissements d’hébergement pour personnes âgées ont constitué des


lieux propices à la propagation du virus et ont payé un lourd tribut à la crise.

a. Ces établissements ont payé un très lourd tribut à la crise

L’hébergement collectif de personnes vulnérables en situation épidémique


constitue de fait un risque majeur qui s’est malheureusement concrétisé par la forte
propagation de l’épidémie de Covid-19 dans certains établissements dont les
résidents, comme le personnel, ont été frappés de plein fouet dès le mois de mars

(1) données fournies par la direction générale de la cohésion à la mission d’information, le 24 octobre 2020.
(2) L’hébergement des personnes âgées en établissement - Les chiffres clés, DRESS, juin 2019.
(3) La notion d’établissements d’hébergement pour personnes âgées utilisée dans ce rapport (EHPA) renvoie
néanmoins à la catégorie générale des établissements accueillant des personnes âgées (EHPA et résidences
autonomies d’une part et EHPAD d’autre part).
(4) DRESS, Premiers résultats de l’enquête EHPA 2015, juillet 2017.
— 195 —

avec des proportions de résidents touchés et malheureusement décédés parfois


considérables (1).

Les contaminations en EHPA(2)


(EHPAD et autres établissements-EHPA, résidneces autonomes, résidences senior)
– du 1er mars au 22 novembre 2020, 12 202 signalements d’au moins un cas de Covid-
19 biologiquement confirmé, ou non, ont été effectués par les EHPA. Au total, 96 059
cas de Covid-19 ont été comptabilisés parmi les résidents d’EHPA. L’impact de
l’épidémie sur les établissements a été particulièrement fort dans certaines régions. Ainsi,
94 % des EHPAD ont été touchés pendant la première vague en Île-de-France, contre
47 % en Bretagne.
– sur la même période, 47 428 cas ont été comptabilisés parmi les professionnels
travaillant au sein des EHPA ;
– les EHPAD constituent la collectivité pour laquelle la proportion de clusters critique
est la plus importante : du 9 mai au 8 novembre, 2 006 clusters ont été rapportés en
EHPAD (3) .

Les résidents d’EHPA représentent environ la moitié de cas de décès


intervenus en France dans le cadre de la première vague de Covid-19. Sur les
29 933 personnes décédées des suites de la Covid-19 du 1er mars au 7 juillet, 14 081
étaient ainsi des résidents d’EHPA (4).

Et, il faut le souligner, le nombre de décès parmi les résidents d’EHPA


demeure important dans le cadre de la deuxième vague épidémique. À la date
du 24 novembre, 7 563 décès supplémentaires étaient à déplorer depuis le 7 juillet
parmi ces résidents, portant le nombre total de personnes décédées des suites de la
Covid-19 et issues de ces établissements à 21 644 depuis le 1er mars sur un total de
50 237 décès comptabilisés sur la même période en France.

Durant la période la plus critique de la première vague épidémique, une


surmortalité toutes causes confondues a été observée dans les établissements pour
personnes âgées : du 1er mars au 30 avril, le nombre de décès dans ces
établissements a augmenté de 52 %, par rapport à la même période en 2019. Cette
surmortalité en EHPA a plus particulièrement touché deux régions : l’Île-de-
France, où le nombre de décès a été multiplié par plus de trois par rapport à la même
période l’année précédente et le Grand-Est, où ce nombre a été multiplié par
deux (5) .

(1) Certains établissements affichent un bilan extrêmement lourd, à l’instar de l’EHPAD de Mougins où
40 résidents sur 109 sont décédés des suites de la Covid-19 et celui de Cornemont, dans lequel la Covid-19
a donné lieu à 25 décès (sur 157 résidents).
(2) Point épidémiologique de Santé publique France, 26 novembre 2020.
(3) Point épidémiologique de Santé publique France du 12 novembre.
(4) Point épidémiologique de Santé publique France, du 9 juillet 2020.
(5) Institut national de la statistique et des études économiques : nombre de décès quotidiens, France, régions et
départements, 6 novembre 2020.
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NOMBRE DE DÉCÈS SUPPLÉMENTAIRES OBSERVÉS PAR LIEUX DE DÉCÈS DU 1ER MARS AU


30 AVRIL 2020, RAPPORTÉS À L’ANNÉE PRÉCÉDENTE

INSEE : nombre de décès quotidiens, France, régions et départements, 6 novembre 2020.

L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)


observe, par ailleurs, du 1er mars au 30 avril, une hausse de 32 %, des décès toutes
causes confondues ayant eu lieu à domicile par rapport à la même période en 2019.
Ces décès ont concerné pour 70 % d’entre eux, des personnes âgées de plus de
75 ans. Si la part liée à la Covid-19 est difficile à chiffrer pour l’heure, il est probable
qu’une partie d’entre eux soit imputable aux suites de cette maladie.

b. Un comptage des décès d’abord défaillant

Au vu de ce bilan, il est regrettable que la comptabilisation des décès dans


les EHPA n’ait pas fait partie des premières données sur l’épidémie et on peut
logiquement penser que cela a contribué au retard de prise de conscience de la
gravité de la situation dans ces établissements.

Le nombre de personnes décédées de la Covid-19 dans les EHPA ne figurait


en effet ni dans les bilans épidémiologiques de Santé publique France ni dans les
points de situation réalisés quotidiennement par le directeur général de la santé. Ils
n’ont été inclus dans le décompte des décès quotidien qu’à partir du 2 avril, à la
suite de la mise en place d’un système de signalement des décès par les
établissements.
— 197 —

Point sur la mise en place d’un système de signalement des décès liés à la Covid-19
auprès de Santé publique France (SPF)
– dès le 13 mars 2020, il a été demandé à tous les établissements de santé susceptibles
de recevoir des patients diagnostiqués Covid-19 de rapporter chaque jour le nombre de
nouveaux décès via une application développée pour le suivi intra-hospitalier des
situations sanitaires exceptionnelles et activée dans le contexte de cette épidémie
(SI- VIC). Les établissements pour personnes âgées n’étaient pas inclus dans ce
dispositif.
– à partir du 28 mars 2020, il a été demandé aux EHPA et plus largement, à l’ensemble
des établissements médico-sociaux (EMS) d’indiquer quotidiennement à SPF, via un
système de certification des décès, le nombre de décès associés à la Covid-19, qu’ils
soient suspectés (clinique) ou confirmés (test PCR). Les établissements ont pu déclarer
rétrospectivement les cas et les décès survenus entre le 1er et le 27 mars 2020.
Depuis 2007, les médecins peuvent également rédiger un certificat de décès par voie
électronique à partir d’une application sécurisée. Les données issues des certificats
électroniques de décès facilitent le suivi de l’épidémie et de la mortalité car elles
permettent de disposer de façon réactive d’informations individuelles sur les personnes
décédées (âge, sexe, lieu de décès, comorbidités). Le 30 mars 2020, il a été demandé à
tous les établissements de santé, y compris les EHPAD, d’utiliser prioritairement la
certification électronique des décès, en remplacement du certificat de décès papier.

Ce système permet aujourd’hui la transparence sur ce point.

Il faut toutefois préciser que la mortalité associée à la Covid-19 est


susceptible d’avoir été légèrement surestimée. En effet, les décès déclarés dans les
ESMS n’ont pas systématiquement fait l’objet d’une confirmation biologique
d’infection par le virus du Covid-19. Dès lors qu’un foyer d’au moins un cas de
Covid-19 était identifié dans un établissement, ce dernier déclarait quotidiennement,
parmi d’autres indicateurs, le nombre de décès survenus dans l’établissement. En
l’absence de tests PCR systématiques, certains décès déclarés ont donc pu être à tort
attribués à la Covid-19.

L’expérience de la crise sanitaire plaide en faveur d’un renforcement


de l’usage des certificats de décès électroniques, plus adaptés à la nécessité
d’assurer un suivi réactif dans un contexte d’épidémie.

Alors qu’en 2018, seuls 8 % des décès intervenus dans les EHPA étaient
signalés par certification électronique, contre environ 20 % (1) pour l’ensemble de
la mortalité nationale début 2020, votre rapporteur appelle à accompagner plus
particulièrement les EHPA dans le déploiement de cet outil.

Recommandation : encourager le développement de la certification électronique


des décès, en particulier dans les EHPA.

(1) Surveillance de la mortalité au cours de l'épidémie de covid-19 du 2 mars au 31 mai 2020 en France, Santé
publique France, juillet 2020.
— 198 —

2. Le retard dans l’accompagnement fourni aux EHPA et aux services à


domicile pour lutter contre l’épidémie

a. Le retard dans la prise de conscience de la gravité de la situation et dans


les premières mesures

Le 6 mars, le ministre de la santé déclenche le plan bleu, c’est-à-dire l’outil


organisationnel des établissements pour la gestion d’une situation de crise. On peut
trouver cette date précoce (les cas identifiés sur le territoire restent rares et le même
jour le plan blanc est déclenché dans les hôpitaux), on peut aussi la trouver
tardive. Ce n’est que début mars, soit 10 jours avant le confinement général de la
population que sont décidées ces mesures de protection de personnes pourtant
particulièrement vulnérables.

De fait, les semaines de mars ont été propices à la contagion en


établissement avec 270 épisodes qui ont débuté en semaine 12 (du 16 au 22 mars)
et 343 en semaine 13 (du 23 au 29 mars) (1). SpF note aussi que « des signalements
antérieurs à la date de mise en œuvre de l’outil informatique ont été rapportés, dont
certains remontent au 28 février 2020. »

Les représentants du secteur des EHPA entendus par la mission ont décrit
une période « de flottement » jusqu’au 6 mars (2) et M. Frédéric Valletoux,
président de la Fédération Hospitalière de France évoque, lors de son audition, une
réponse « très clairement décalée dans le temps par rapport à la priorité portée
d’abord, à l’appareil hospitalier et à l’appareil sanitaire.»

Or, durant ces premières semaines du mois de mars, certains EHPAD


confrontés à la montée en puissance de l’épidémie ont dû mettre en place des
mesures de protection de leurs résidents et de leur personnel. Cette absence de
réaction a amené plusieurs représentants du secteur à interpeller le Gouvernement
directement – une lettre signée par neuf acteurs du secteur a été adressée au ministre
de la santé le 20 mars (en annexe)– et à intervenir dans les médias, pour rappeler,
selon les mots du Président de la Fédération hospitalière de France, M. Frédéric
Valletoux (3) que les EHPA ne devaient pas constituer « l’angle mort de la prise
en charge du Covid-19 par l’État.»

En effet, les premières recommandations diffusées aux établissements de


santé pour la prise en charge de l’épidémie n’ont pas pris en compte la situation
particulière des établissements pour personnes âgées. Le guide méthodologique de
préparation au risque épidémique, publié le 20 février 2020 par le ministère de la
santé ne mentionne par exemple pas le mot EHPA.

(1) SpF, bulletin du 6 avril.


(2) Mme Florence Arnaïz-Maumé, présidente du Syndicat national des établissements et résidences privés pour
personnes âgées (SYNERPA), audition du 22 septembre.
(3) M. Frédéric Valletoux (FHF), audition du 8 juillet 2020.
— 199 —

Les premières instructions ciblées pour ces établissements ont été adressées
le 28 février puis le 5 mars, mais sont demeurées très sommaires. La fiche DGCS
du 28 février n’évoque ainsi que la conduite à tenir envers les professionnels et les
publics revenant ou arrivant de zones à risques, tandis que la fiche du 5 mars
concerne principalement la tenue de gestes barrières et l’utilisation de masques dans
les EHPAD, uniquement lorsqu’un résident est affecté par la Covid-19.

Le 11 mars des mesures de restriction des visites sont prises et le 13 mars,


il est demandé aux établissements l’identification de secteurs dédiés pour la prise
en charge des résidents atteints par la Covid. La première instruction complète sur
la conduite à tenir dans les établissements sociaux et médico-sociaux au stade 3 de
l’épidémie a été publiée le 20 mars par la DGCS (1).

Au-delà des EHPA, ce sont aussi les professionnels de l’aide à domicile


qui ont pâti de ce retard dans la publication d’instructions sur les mesures à
prendre pour lutter contre l’épidémie. La première fiche faisant l’objet de
recommandations spécifiques pour les services d’aide à domicile n’a été publiée
que le 2 avril (2). Jusqu’à cette date, les services à domicile n’ont pas reçu
d’indication quant aux possibilités de réorganiser leurs activités et de prioriser leurs
interventions, dans le contexte spécifique du confinement. Ce manque d’instruction
a amené l’Union Nationale de l’aide, des Soins et des Services à domicile (UNA) à
saisir la cellule de crise de la DGCS le 19 mars en soulignant « la nécessité que les
services à domicile aient des informations plus précises sur les critères de
priorisation des prestations et sur leur possibilité d’en annuler le cas échéant. »

b. Des manques avérés en matériel de protection dans les établissements et


les services d’aide à domicile

Pendant les premières semaines de mars des pénuries ont été constatées pour
équiper les malades et les personnels de ces établissements.

i. Un manque d’approvisionnement en équipements de protection


individuelle et en particulier en masques

La lettre adressée au ministre des solidarités et de la santé le 20 mars (3) par


les principaux représentants du secteur alerte sur le nombre très insuffisant de
masques disponibles dans les établissements pour personnes âgées.

Le communiqué du 13 mars du ministère des solidarités et de la santé


prévoit pourtant que pour les EHPAD, les structures médico-sociales accueillant des
personnes fragiles (notamment les personnes en situation de handicap) et les sites

(1) Informations sur la conduite à tenir envers les professionnels et publics (familles et personnes accueillies) en
phase épidémique de coronavirus COVID-19, 20 mars 2020.
(2) Des documents à destination des ESMS ont été publiés préalablement, par exemple le courrier adressé à
l’ensemble des ESMS le 14 mars relatif aux « Informations sur la conduite à tenir envers les professionnels
et les publics », mais ils n’étaient pas spécifiquement ciblés sur la situation particulière des services à
domicile.
(3) Lettre signée par neuf acteurs du secteur des EHPA adressée au ministre de la santé le 20 mars précitée.
— 200 —

régionaux identifiés pour accueillir des patients COVID-19 sans domicile ne


relevant pas d’une hospitalisation : « en cas d’apparition de symptômes chez des
résidents, les structures devront identifier un secteur dédié pour la prise en charge
des patients COVID-19. Au sein de ces secteurs, le personnel aura à sa disposition
des masques chirurgicaux. » (1)

L’aide apportée aux établissements en termes de mise à disposition de


matériels de protection et de capacités de dépistage ne s’est pourtant traduite que
progressivement au cours du mois de mars.

Ce problème est particulièrement aigu dans la mesure où, d’une part, les
personnes âgées sont une cible extrêmement vulnérable au risque d’infection au
coronavirus Sars-CoV-2, et d’autre part l’hébergement en établissement réunit
toutes les conditions pour qu’un virus fortement contagieux et se présentant sous
des formes cliniques atypiques y entraîne des catastrophes.

Certains établissements ont pu constituer des stocks de masques,


notamment en prévision des épidémies de grippe saisonnière et de gastro-entérite et
tous les établissements ne se sont pas trouvés dans la même situation, certains
établissements privés disposant, contrairement aux établissements publics, d’EPI en
quantité suffisante (2). Cela n’a néanmoins pas exclu des situations tendues même
dans ce secteur décrites par la présidente du Syndicat national des établissements et
résidences privés pour personnes âgées, Mme Florence Arnaïz-Maumé : « Dans les
quinze premiers jours, on se les arrache littéralement, parce que tout le monde a
peur d’en manquer (…) Nous avons vécu trois semaines de vols de masques et de
violence entre des directions qui comptaient les masques et le personnel qui en
voulait davantage. »

Les représentants du SYNERPA décrivent une situation très anxiogène liée


à la crainte d’une pénurie d’équipements de protection, marquée par des tensions
parfois très importantes entre les directions et les personnels des établissements et
ce d’autant plus que la réquisition des masques en date du 3 mars empêchait les
établissements de s’en procurer. Les directeurs d’établissements ont parfois été
contraints de réduire les horaires de travail de leurs personnels pour limiter
l’utilisation de masques, alors même que la situation épidémique devenait de plus
en plus critique.

Au-delà des tensions liées à la crainte de la pénurie, le retard de mise à


disposition des masques durant les premières semaines dans les EHPA n’a pu
que contribuer à la propagation du virus dans les établissements. L’extension
très rapide du nombre de cas dans certains d’entre eux a été, en effet, dans la très
grande majorité des cas, consécutive à la transmission virale d’un soignant
asymptomatique.

(1) Covid-19 : Stratégie de gestion et d’utilisation des masques de protection, 13 mars 2020.
(2) Ces disparités ont notamment été évoquées par le Dr Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l’association
nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social (MCOOR), audition 21 juillet 2020.
— 201 —

À la suite de cette interpellation (1), le ministre de la santé a annoncé le


21 mars, la distribution dans les EHPA de 500 000 masques chirurgicaux par jour.
Une distribution de masques à grande échelle a été mise en place à partir du
22 mars et a permis d’apaiser les tensions rencontrées dans le secteur de la prise
en charge des personnes âgées.

Mais le problème ne s’est pas limité aux masques comme le signale


Mme Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l’Association nationale des
médecins coordonnateurs et du secteur médico-social : « Nous avons d’autant plus
déploré l’absence de surblouses, de lunettes de protection et de masques FFP2,
qu’il nous a été demandé de créer des unités covid-19 destinées à héberger les
patients atteints, lesquels présentaient les mêmes risques de transmission aux autres
résidents et au personnel soignant qu’à l’hôpital. »

ii. Les services d’aide à domicile ont particulièrement pâti de ce manque

L’accès aux équipements de protection individuelle a été encore plus


difficile pour les services d’aide à domicile, qui n’ont pas été intégrés dans le circuit
de distribution des masques mis en place au sein des groupements hospitaliers de
territoire (GHT). En effet, comme l’a rappelé M. Éric Fregona, directeur adjoint de
l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) lors de son
audition, ces services ne sont pas financés par les ARS et devaient s’approvisionner
en EPI au sein des officines, sans bénéficier du circuit mis en place pour les
établissements de santé.

Or, l’approvisionnement par les pharmacies d’officine a généré


d’importantes difficultés. Une communication adressée le 18 mars par l’Union des
syndicats de pharmaciens d’officine à ses adhérents a par exemple invité à
restreindre la distribution de masques aux services d’aide à domicile, pour les
interventions auprès de personnes atteintes du Covid-19 ou suspectées d’avoir
contracté la maladie.

L’Union Nationale de l’aide, des Soins et des Services à domicile (UNA),


regrette ainsi que de nombreuses pharmacies aient refusé de délivrer des masques
aux personnels de l’aide à domicile, parce qu’elles n’en avaient pas suffisamment
ou parce qu’elles n’estimaient ne pas devoir considérer les intervenants à domicile
comme prioritaires (2). Ces refus apparaissaient pourtant en contradiction avec
l’arrêté du 16 mars relatif au circuit de distribution qui a inclus les services à
domicile dans la liste de professionnels pouvant faire l’objet d’une distribution de
masques.

En dehors d’initiatives organisées par les départements qui ont fourni


localement des équipements (appels aux dons de la part des entreprises par
exemple), la situation relative à l’accès aux EPI pour les services d’aide à

(1) Lettre du 20 mars précitée.


(2) Données communiquées par l’Union Nationale de l’aide, des Soins et des Services à domicile (UNA), le
30 octobre 2020.
— 202 —

domicile ne s’est ainsi améliorée qu’à partir du 27 mars, date à laquelle ces
services ont été intégrés dans le circuit de distribution des masques par les
ARS/GHT. Pendant un quart, voire un tiers de la crise sanitaire du printemps, de
nombreux professionnels ont été amenés à prendre des risques importants en
travaillant sans masques.

Cette situation a fait l’objet de poursuites judiciaires, alors que le secteur


considère ne pas avoir été en mesure de fournir les équipements de protection
nécessaires à la continuité des interventions. Saisi par l’inspection du travail pour
un cas de mise en danger de salariés d’une association d’aide à domicile, le tribunal
judiciaire de Lille du 3 avril (1) a ainsi rappelé l’obligation de prévention des risques
biologiques prévue par le code du travail et s’appliquant à l’ensemble des services
d’aide à domicile.

c. Un recours aux tests diagnostiques dans les EHPA qui aurait dû être dès
le début prioritaire

En raison de la non disponibilité de capacités de dépistage en nombre


suffisant dans la première période de la crise sanitaire et alors que les EHPA auraient
dû être prioritaires en raison de la vulnérabilité particulière des personnes âgées, le
recours aux tests dans ces établissements a d’abord été limité.

● Au moment du passage au stade 3 de l’épidémie, les directives adressées


aux EHPA recommandaient, en effet, de faire un usage restreint des tests au sein
des établissements. Le MINSANTE du 13 mars 2020 prévoyait ainsi que les
individus présentant un tableau clinique évocateur du Covid-19 n’étaient
systématiquement testés qu’en amont d’une hospitalisation du fait de ces
symptômes et à partir de deux cas suspects dans les EHPAD (2) .

Cet accès limité aux capacités de dépistage n’a pas permis d’identifier
précisément les cas de Covid-19 parmi les résidents et les personnels d’EHPA.
Comme l’a indiqué M. Éric Frégona, directeur adjoint de l’Association des
directeurs au service des personnes âgées, lors de son audition : « les tests sont
arrivés trop tard. Il est évident que si nous avions pu tester plus tôt, nous aurions
pu organiser un confinement plus ciblé. Sans doute n’avons-nous pas repéré, au
début, les bons symptômes de la Covid-19 et certaines personnes ont-elles été
isolées alors qu’elles n’auraient pas dû l’être. Lorsqu’elles ont été testées, ensuite,
et qu’elles ont été diagnostiquées positives, il a fallu les confiner à nouveau dans
des chambres qui, en moyenne, font 20 mètres carrés. (…) Nous avons toujours dit
qu’il fallait tester tout le monde, et pas seulement les premiers cas déclarés. »

(1) Ordonnance de référé du 3 avril 2020, Association Adar Flandres Métropole.


(2) L’instruction indique ainsi que doivent faire l’objet de tests systématiques, les « deux premiers patients
résidant en EHPAD ou en structures collectives hébergeant des personnes vulnérables présentant un tableau
clinique évocateur de Covid-19 afin de confirmer un Covid 19 dans un contexte d’infection respiratoire aiguë
basse d’allure virale ou bactérienne. Dans ce cadre, le prélèvement de deux cas suspects au sein de la
structure/établissement permet une levée de doute sur la présence ou non d’un foyer infectieux Covid-19. »
— 203 —

● La reconnaissance des personnels et des résidents des EHPA comme


prioritaires pour l’accès aux tests, n’est intervenue que le 9 avril, donc
tardivement, au regard de la période du pic de propagation de l’épidémie (de
mi-mars à début avril), à la suite de la publication de l’avis du Haut Conseil de la
Santé Publique (HCSP) du 8 avril.

Des équipes mobiles de dépistage ont alors été montées sous la coordination
des ARS en lien étroit avec les collectivités territoriales concernées pour faciliter la
réalisation de ces tests dans les établissements médico-sociaux.

En un mois, entre le 7 avril et le 10 mai, près de 300 000 tests ont été réalisés
en EHPAD, dont plus de la moitié chez les résidents. Le recours aux tests s’est
poursuivi au mois de juin. Du 7 avril au 10 juin, 344 000 personnes avaient fait
l’objet d’un test au sein des EHPA, dont 186 000 résidents – sur un total de
600 000 – et 158 000 personnels de ces établissements.

Doctrine d’utilisation prioritaire des tests virologiques RT-PCR,


selon l’instruction du 9 avril
L’instruction identifie deux situations devant faire l’objet d’une réponse différente :
Les établissements sans cas de Covid-19 connus :
- S’agissant des personnels de l’établissement : tout professionnel présentant des
symptômes évocateurs de Covid-19 doit être isolé et testé par un test RT-PCR. Si un
premier cas est identifié parmi ces personnels, l’ensemble des personnels doivent
bénéficier d’un test par RT-PCR.
- S’agissant des résidents : il est recommandé de tester le premier résident
symptomatique dès l’apparition de symptômes évocateurs de Covid-19. Dans
l’éventualité où le cas serait confirmé, l’ensemble des personnels de santé ou
personnels des structures médico-sociales de l’établissement devront bénéficier d’un
test.
Les établissements avec cas Covid-19 connus :
- Il est recommandé de tester les trois premiers patients dans le cadre de l’exploration
d’un foyer de cas possibles au sein de l’EHPA ;
- Tous les professionnels doivent être testés dès l’apparition des symptômes
évocateurs de Covid-19.

L’instruction du 9 avril n’a toutefois pas préconisé de dépister les


personnels et résidents d’établissements dans lesquels aucun cas de Covid-19
n’est suspecté, il ne s’agit donc pas d’un dépistage généralisé.

Certains représentants du secteur des EHPA ont critiqué la


recommandation qui visait à cesser les opérations de dépistage lorsque trois
résidents de l’établissement étaient déclarés positifs (1). Cette règle n’a pas

(1) Audition de Mme Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et
résidences privés pour personnes âgées (SYNERPA) lors de son audition le 22 septembre 2020.
— 204 —

permis aux établissements de détecter précisément les résidents atteints par la


maladie. Elle est apparue d’autant moins adaptée que les personnes âgées ont
tendance à développer des symptômes atypiques qui n’ont pas tout de suite été
identifiés comme ceux de la Covid-19.

● À partir du 6 mai, un dépistage plus large dans les EHPA est préconisé et
rendu possible par le renforcement des capacités de dépistage au niveau national,
dans le contexte de la préparation du déconfinement. Ce n’est qu’à cette date que
toutes les personnes présentant des symptômes évocateurs de la Covid-19 ainsi
que tous les cas contacts confirmés dans les établissements doivent pouvoir
procéder à un test PCR.

Les protocoles et recommandations diffusés à la suite du déconfinement


montrent que des leçons ont été tirées de la première vague épidémique, le
caractère prioritaire des EHPA étant à présent pleinement reconnu dans la doctrine
de dépistage élaborée au niveau national.

À cet égard, la reprise de l’épidémie a conduit à renforcer les mesures de


prévention pour ces établissements.

Protocole relatif au renforcement des mesures de prévention et de protection


des établissements médico-sociaux accompagnant des personnes à risque
de forme grave de Covid-19, en cas de dégradation de la situation épidémique
13 août 2020
Ce protocole a élargi les indications de dépistage en prévoyant qu’en cas de dégradation
de la situation épidémique, un test devait systématiquement être proposé :
– aux résidents ou salariés présentant le moindre symptôme évocateur ;
– aux nouveaux professionnels permanents et temporaires intervenants ;
– aux professionnels de l’établissement au retour des congés ;
– et aux personnes demandant une admission en établissement.

Dans le cadre de l’actualisation de la doctrine de priorisation des tests


tester/tracer/isoler, du 16 septembre, les professionnels de santé comme les
professionnels d’ESMS doivent par ailleurs pouvoir disposer d’un test et obtenir les
résultats dans les 24 heures dans le cas d’une suspicion de Covid-19.

Dans le contexte de la montée en puissance d’une seconde vague


épidémique et dans l’éventualité de crises sanitaires futures, votre rapporteur
appelle à rendre les EHPA et les services d’aide à domicile prioritaires dans l’accès
aux EPI et aux capacités de dépistage.
— 205 —

3. Des consignes complexes à mettre en place dans les établissements

Parfois inadaptées à la réalité des établissements et en tout cas difficiles à


mettre en place, les directives adressées aux EHPA pour lutter contre l’épidémie ont
posé d’importantes questions éthiques.

a. Des directives évolutives et parfois inadaptées à la situation des


établissements et de leurs résidents

● Les protocoles sanitaires transmis aux EHPA pour lutter contre la


prolifération de l’épidémie en leur sein ont été particulièrement complexes à
mettre en place dans les établissements.

En cas d’apparition d’un cas suspect ou confirmé de Covid-19 dans un


établissement, la fiche de recommandations transmises aux ESMS le 20 mars (1)
préconisait ainsi la structuration d’un secteur dédié et isolé pour les résidents
concernés et si le bâtiment ne le permet pas, l’organisation d’un confinement des
résidents en chambre. Ces directives se sont néanmoins heurtées à la réalité
d’organisation des établissements. L’architecture des bâtiments ne se prêtait
souvent pas, par exemple, à la création d’unités covid. L’isolement des malades est
apparu par ailleurs difficile à envisager dans de nombreux EHPA proposant des
chambres doubles à leurs résidents.

(1) Informations sur la conduite à tenir envers les professionnels et publics (familles et personnes accueillies) en
phase épidémique de coronavirus COVID-19, 20 mars 2020.
— 206 —

Principales évolutions des consignes relatives au confinement et à l’organisation


des visites dans les EHPA
- Email d’information DGCS du 7 mars : sur l’ensemble du territoire, les visites sont
fortement déconseillées (sauf cas exceptionnels déterminés avec la direction de
l’établissement en lien avec l’ARS).
- Protocole du 11 mars : suspension des visites. Dans les Ehpad et les USLD,
« l’intégralité des visites de personnes extérieures à l’établissement est suspendue ».
Dans les résidences autonomie, « les visites sont fortement déconseillées ».
- Conférence de presse du 20 avril : annonce de la reprise très limitée et encadrée
des visites (à la demande du résident, deux personnes maximum, sans contact
physique, conditions définies par les directions).
- Communiqué de presse du 1er juin annonçant la reprise progressive des visites (qui
demeurent néanmoins encadrées : les visites sont permises uniquement sur
rendez- vous, avec signature d’une charte de bonne conduite).
- Protocole du 16 juin (1) : obligation d’établir au plus tard le 22 juin 2020, des plans
de retour progressif à la « normale » avec reprise des visites « normales », c’est-à-
dire sans critère particulier du type prise de rendez-vous (si les établissements n’ont
plus de cas Covid), reprise des activités collectives et de la vie sociale de
l’établissement, la fin du confinement en chambre sauf exception et la reprise de
l’ensemble des admissions en hébergement permanent.
- Protocole du 11 août 2020 (2) : face à la reprise de la situation épidémique dans
certains territoires, diffusion d’un nouveau protocole prévoyant notamment que les
EHPAD doivent anticiper les mesures de limitation de la circulation et
d’encadrement des visites, des sorties, des admissions et du fonctionnement des
accueils de jour, à prendre en cas d’aggravation de la situation épidémique.
- Le 1er octobre, un « plan de lutte contre l’épidémie de Covid-19 dans les ESMS
hébergeant des personnes à risque de forme grave de Covid-19 » est diffusé. Ce
plan prévoit des mesures de protection nationales renforcées dans tous les ESMS
hébergeant des personnes à risque. Il rappelle que le principe général est d’éviter
au maximum le confinement en chambre en le limitant à des situations
exceptionnelles et que le principe général est de « maintenir le lien avec les proches
et éviter les ruptures d’accompagnement médical et paramédical en conservant
les visites des professionnels libéraux nécessaires au projet de soin et des bénévoles
participant au projet de soin ».

Au-delà de la complexité de mise en œuvre des protocoles, le caractère


évolutif des directives adressées aux EHPA a constitué une difficulté
supplémentaire.

(1) Retour à la normale dans les établissements d’hébergement pour Personnes âgées (EHPAD, USLD,
résidences autonomie), 16 juin 2020.
(2) Protocole relatif au renforcement des mesures de prévention et de protection des établissements médico-
sociaux accompagnant des personnes à risque de forme grave de Covid-19, en cas de dégradation de la
situation épidémique.
— 207 —

Les représentants du secteur ont critiqué le manque de concertation dans la


prise de décision (1) et la difficulté d’avoir à adapter dans l’urgence, les mesures
d’organisation de la vie des établissements aux dernières directives.

Cela a été particulièrement le cas des décisions relatives au confinement


et aux visites des familles auxquels les établissements ont été peu associés. La
reprise des visites a été décrite comme particulièrement complexe pour les
établissements qui ont dû mettre en place dans des délais très courts, les conditions
permettant aux personnes extérieures de venir voir leurs proches en établissements
dans le respect des consignes sanitaires. Comme l’a indiqué M. Éric Frégona lors
de son audition « il a été très difficile pour les professionnels d’organiser du jour
au lendemain le confinement ou le déconfinement au sein des établissements, et cela
a créé des tensions palpables entre les professionnels, les résidents et les familles. »

La gestion des décès s’est avérée particulièrement complexe, tant en


raison de la spécificité de la procédure mortuaire exigée dans le contexte sanitaire,
qu’en raison de l’évolution constante des directives adressées aux établissements
qui ont donné l’impression d’un grand désordre sur un sujet pourtant très délicat.
Les directives relatives à la durée avant mise en bière, à la possibilité de procéder à
des soins mortuaires ou encore à la présence des familles ont fait l’objet de
nombreux ajustements (2), rendant particulièrement difficile le suivi des procédures
pour les établissements.

b. Des décisions qui ont posé des questions éthiques importantes

Si les décisions relatives à l’isolement des résidents et à l’interdiction des


visites ont été assumées par le Gouvernement comme un « mal nécessaire » pour
préserver la vie des personnes âgées dans les établissements – le ministre de la santé
a évoqué « des choix difficiles, lourds, souvent fait dans l’urgence (3) » – elles ont
néanmoins soulevé d’importantes questions éthiques et ont souvent été très mal
vécues par les familles.

● Le confinement des établissements et l’isolement en chambre ont été


très difficiles à instaurer dans les établissements. Comme l’a rappelé le Conseil
scientifique dans son avis du 30 mars (4), le confinement individuel conduit en effet
à priver les résidents « de ce qui fait souvent le sens de leur existence (échanges,
promenades en plein air) ». Imposer l’isolement en chambre aux personnes atteintes
de maladies neuro-dégénératives et qui par conséquent, ne comprenaient pas la
portée de cette mesure a suscité de nombreux dilemmes chez les directeurs

(1) Lors de son audition par la mission d’information le 17 septembre, Mme Claudette Brialix, présidente de la
Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et de leurs familles (FNAPAEF) a ainsi
évoqué une démocratie sanitaire et médico-sociale « bafouée ».
(2) Les règles relatives à la procédure mortuaire ont d’abord été établies par un avis du Haut Conseil de la Santé
Publique (HCSP) publié le 18 février, puis par un avis du HCSP du 24 mars ayant été complété finalement
par une fiche de la DGCS intitulée « information sur la conduite à tenir par les professionnels relative à la
prise en charge du corps d’un patient infecté par le Sars-CoV2, publie le 27 mars. »
(3) Audition du ministre des solidarités et de la santé M. Olivier Véran, le 4 novembre 2020.
(4) Note du Conseil scientifique, 30 mars 2020 : Les EHPAD, Une réponse urgente, efficace et humaine.
— 208 —

d’établissements. Saisi le 25 mars par le ministère des solidarités et de la santé, le


Comité national consultatif d’éthique a formulé dans un avis du 30 mars (1), des
réserves sur cette pratique. Il a ainsi rappelé que les mesures de santé publique et de
confinement « reposent sur le principe de la compréhension, par chacun, de ces
dynamiques de solidarité et que par conséquent, s’agissant des personnes atteintes
de troubles cognitifs, toute mesure de contrainte forte doit être « le fruit d’une
discussion préalable, interdisciplinaire et collégiale, associant des échanges avec
des personnes extérieures à l’institution, comme les professionnels des équipes
mobiles de gériatrie, ainsi que les proches. »

● L’interdiction des visites extérieures décidée brutalement a aussi


constitué une épreuve pour les résidents et leurs proches. Les représentants du
secteur des EHPA ont ainsi évoqué une décision de confinement prise du jour pour
le lendemain, qui a laissé très peu de temps aux familles. L’interdiction a pu parfois
briser des liens affectifs qui n’ont pas pu se rétablir, par exemple dans le cas de
personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer qui ne reconnaissaient plus leurs
proches à la suite de la période de confinement. En conformité avec l’avis du
Conseil scientifique du 20 avril (2), qui a préconisé la nécessité de trouver de façon
urgente « des moyens de liaisons sociales entre les résidents et leur famille », les
visites extérieures ont été à nouveau autorisées à partir du 20 avril (voir supra). Le
protocole diffusé le 1er octobre (voir supra) qui rappelle que le principe général
demeure celui d’un maintien du lien avec les proches, témoigne de la prise de
conscience des effets délétères de l’isolement pour les résidents.

● De manière générale, toutes les mesures de restriction de la vie sociale


retentissent avec force sur le quotidien des résidents et l’exercice de leur métier
par les personnels. Les activités collectives habituellement essentielles pour la
stimulation tant physique que psychique des résidents ont été interrompues. Au-delà
des difficultés d’organisation importantes qu’elle a pu susciter, la systématisation
des repas en chambre a été souvent néfaste pour de nombreuses personnes âgées,
dans la mesure où les conditions souvent nécessaires à leur alimentation
– dimension sociale du repas, effet d’entraînement de groupe– n’étaient plus
réunies.

● Si l’effet des mesures de confinement sur la santé des résidents ne peut


aujourd’hui, par manque de recul, être mesuré, les représentants du secteur des
EHPA ont évoqué des phénomènes de décompensations liés au confinement et à
l’isolement. Les résidents ont par exemple souffert de l’annulation d’interventions
de professionnels de soins considérés comme non- essentiels comme les podologues
ou les kinésithérapeutes. Des situations d’aggravation de la perte d’autonomie au
cours de la période de confinement, souvent désignées sous le qualificatif de
« syndromes de glissement », ont également été rapportées : phénomènes de
dénutrition des personnes âgées et perte d’appétit liés à des syndromes

(1) CCNE – Réponse à la saisine du ministère des solidarités et de la santé sur le renforcement des mesures de
protection dans les EHPAD et les USLD.
(2) Avis n° 6 du Conseil scientifique COVID-19, 20 avril 2020. Sortie progressive de confinement, Prérequis et
mesures phares.
— 209 —

dépressifs (1) ; existence de « décès collatéraux », liés à une dégradation très


importante de l’état des patients à la suite de la réduction de leurs lieux sociaux et
affectifs (2).

Dans ce contexte, votre rapporteur appelle à s’appuyer davantage sur la


démocratie médico - sociale et en particulier, sur le conseil de la vie sociale pour la
prise de décisions ayant des conséquences importantes pour les résidents et les
familles. Il appelle par ailleurs à informer les établissements plus en amont des
mesures décidées au niveau national afin de faciliter leur mise en place sur le terrain.

Recommandation : associer davantage le conseil de la vie sociale dans la prise de


décisions ayant des conséquences pour les résidents et les familles y compris dans la gestion
de crise

Recommandation : informer les établissements plus en amont de la mise en place


de nouvelles mesures.

B. L’INSUFFISANTE MÉDICALISATION DES EHPAD DANS UN CONTEXTE


DE CRISE SANITAIRE

Confrontés à un manque de matériel et de personnel, les EHPAD ont


rencontré d’importantes difficultés dans la prise en charge des personnes atteintes
de la Covid-19. Si la mise en place d’un lien plus étroit avec le système de santé a
permis d’améliorer leur situation, la crise sanitaire a mis en lumière les limites du
modèle des EHPAD, confrontés à un public de plus en plus dépendant tout en étant
insuffisamment médicalisés.

1. Une prise en charge complexe des malades de la Covid-19 en


établissement

a. Des établissements insuffisamment médicalisés pour prendre en charge


les patients Covid

Le maintien d’un nombre important de malades de la Covid-19 dans les


établissements a constitué un véritable défi pour les EHPAD. Dans les unités Covid
créées dans les établissements en particulier, la prise en charge des résidents a pu
s’apparenter à une prise en charge hospitalière, sans que les EHPAD ne disposent
des moyens de l’hôpital.

En particulier, les représentants du secteur ont insisté sur le manque de


matériel adapté pour les patients nécessitant une oxygénothérapie. Mme Odile
Reynaud-Levy, a souligné cette difficulté à l’occasion de son audition : « comment
prendre en charge correctement ceux des résidents atteints qui doivent bénéficier,

(1) Audition commune du Dr Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de
médecins coordonnateurs en EHPAD (FFAMCO) et du Dr Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de
l’association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social, le 21 juillet 2020.
(2) Dr Nathalie Maubourguet, présidente de la FFAMCO, audition du 21 juillet 2020.
— 210 —

dans le cadre d’une oxygénothérapie, d’un débit supérieur à dix litres par minute
lorsqu’il est très difficile d’obtenir des extracteurs d’oxygène et que la majorité des
EHPAD sont dans l’incapacité de fournir des débits supérieurs à 5 litres par
minute ? »

La prise en charge des malades au sein des EHPA a par ailleurs contribué à
la propagation de la maladie, dans la mesure où la mise en place d’unités covid
délimitant strictement les espaces propices à la contamination est apparue
particulièrement complexe (voir supra).

Le manque de personnel a accru ces difficultés. Les protocoles adressés


aux ESMS préconisaient notamment de consacrer un personnel renforcé de jour et
de nuit dans les unités « dédiées » Covid-19. Or, ces directives se sont heurtées au
à la sous-dotation structurelle de ces établissements en personnels soignants
(voir infra), renforcée en phase d’épidémie par des intervenants eux-mêmes
malades ou à l’isolement. Lors de son audition, Mme Annabelle Vêques-Malnou,
directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements
et de services pour personnes âgées (FNADEPA) a décrit cette situation : « Compte
tenu des difficultés d’accès aux tests au début de la crise, les professionnels
présentant des signes ont été mis en quatorzaine et chaque directeur se demandait
comment il allait pouvoir faire face aux arrêts maladie. »

Dans ce contexte, la prise en charge des personnes en fin de vie s’est


parfois déroulée dans des conditions extrêmement difficiles pour les
personnels. Des aides-soignants ont pu être confrontés à la prise en charge de
détresses respiratoires alors même qu’il n’y avait pas de médecin ou d’infirmière de
nuit dans l’établissement. Des témoignages évoqués lors des auditions ont par
ailleurs fait état de situations dans lesquelles les infirmiers et les aides-soignants ont
dû prendre seuls la décision de déclenchement d’un protocole palliatif, notamment
dans les établissements ne disposant pas de médecin coordonnateur (1). Si ces
situations sont signalées de manière ponctuelle et durant une période limitée, elles
témoignent cependant de la situation de tension extrême à laquelle ont été
confrontés certains EHPAD lors du pic de l’épidémie.

(1) Lors de son audition le 21 juillet, le Dr Odile Reynaud-Levy, vice-présidente de l’association nationale des
médecins coordonnateurs et du secteur médico-social (MCOOR).indiquait ainsi « Concernant l’éthique, des
confrères nous ont indiqué – nous sommes là pour dire les choses – qu’il n’y avait pas forcément eu
d’évaluation médicale dans tous les établissements. De fait, certains d’entre eux n’avaient pas de médecin
coordonnateur, dans d’autres le médecin traitant ne venait plus, si bien que les infirmières coordinatrices se
sont retrouvées seules. J’ajoute que certains EHPAD se trouvent en milieu rural, dans un désert médical et
sont donc très éloignés des équipes mobiles de gériatrie – lorsqu’elles existent, car il n’y en a pas dans tous
les centres hospitaliers –, des équipes opérationnelles d’hygiène ou des équipes mobiles de soins palliatifs. »
— 211 —

b. La mise en place, à partir de la fin mars, d’astreintes gériatriques et


d’équipes mobiles de gériatrie pour soulager les établissements

De nouvelles consignes ont été adressées aux ARS le 30 mars (1) afin de
développer les liens entre les EHPAD et le secteur sanitaire et d’apporter une aide
à ces établissements dans la prise en charge des personnes atteintes par la Covid-19.

Deux outils principaux ont été développés qui révèlent, en creux, les
besoins persistants de ce secteur :

– le déploiement de lignes d’astreintes gériatriques sur l’ensemble des


territoires, afin de fournir une aide et un appui médical aux personnels des
établissements. Ces astreintes ont permis aux médecins coordonnateurs de ne pas
être seuls face à certaines décisions et d’avoir un accès privilégié à un travail
d’équipe. Elles ont été organisées pour pouvoir être joignables par téléphone et par
mail tous les jours de 8 heures à 19 heures. Au total, 253 astreintes ont été
développées sur les territoires, couvrant pratiquement tous les EHPAD. 56 % des
astreintes ont par ailleurs été étendues aux services d’aide à domicile (2) ;

– la constitution d’équipes mobiles de gériatrie et de soins palliatifs. Ces


équipes composées de professionnels hospitaliers peuvent se rendre dans les
EHPAD à la demande des médecins coordonnateurs pour les appuyer dans la prise
en charge et le choix de traitements adaptés pour les personnes atteintes de formes
sévères de la Covid-19. Elles permettent de soulager le personnel soignant des
établissements, notamment face aux prises en charge complexes, soulevant des
questions cliniques, thérapeutiques ou éthiques.

Votre rapporteur appelle à pérenniser le système d’astreintes gériatriques


pour accompagner les personnels des EHPA dans la prise en charge des résidents.
Il insiste également sur la nécessité de poursuivre le renforcement du lien entre les
EHPA et les équipes mobiles de gériatrie et les équipes de soins palliatifs. Il invite
aussi à renforcer la coopération entre les EHPA et l’hospitalisation à domicile
(HAD) qui a fait défaut durant la crise.

Proposition : pérenniser le dispositif des astreintes gériatriques (hotlines) et


soutenir la mobilisation des équipes mobiles de gériatrie et les équipes mobiles de soins
palliatifs dans les EHPAD.

Proposition : renforcer le lien entre les EHPA et les services d’hospitalisation à


domicile.

(1) Stratégie de prise en charge des personnes âgées en Établissements et à domicile dans le cadre de la gestion
de l’épidémie de covid-19, fiche destinée aux ARS et publiée le 31 mars.
(2) DGCS, 14 octobre 2020.
— 212 —

2. La crise a mis en lumière les limites du modèle des EHPAD

a. Vers la fin d’un modèle ?

La crise liée à l’épidémie de Covid-19 a mis, une nouvelle fois, en lumière


l’ambiguïté croissante de la nature des EHPAD, à la fois lieux d’hébergement
et de vie, mais également lieux de soins.

● Les EHPAD font face à un public de plus en plus dépendant.


Aujourd’hui, ces résidents souffrent en moyenne de huit pathologies et pour plus
d’un tiers d’entre eux, d’une maladie neuro-dégénérative. L’âge d’entrée en
établissement des résidents est en moyenne de 85 ans. La prise en charge d’un
public de moins en moins autonome dans les établissements résulte, en partie, de la
fermeture de places disponibles dans les unités de soins de longue durée (USLD) à
l’hôpital. En dix ans (2006-2016), plus de la moitié des lits en USLD accueillant
des personnes très dépendantes et dont l’état nécessite une surveillance médicale
importante a été convertie en places en EHPAD.

Malgré les besoins croissants suscités par ce public de plus en plus


dépendant, les EHPAD rencontrent des difficultés de recrutement très
importantes, liées au manque d’attractivité des métiers du secteur de la personne
âgée et ne disposent ni des matériels, ni des compétences disponibles à l’hôpital.

Un quart d’entre eux, ne disposent par exemple pas de médecin


coordonnateur. Alors que les EHPAD accueillent aujourd’hui des résidents au
profil similaire des personnes prises en charge au sein des USLD, le taux
d’encadrement y est bien plus faible (1).

b. La nécessité d’une plus grande médicalisation de ces établissements

Les leçons tirées de la crise font de la réforme de la filière gériatrique une


priorité absolue, afin de faire face aux enjeux du vieillissement et répondre aux
difficultés structurelles des établissements pour personnes âgées, notamment en
termes de personnels soignants.

Au-delà de la mise en place des primes et des revalorisations salariales


visant à reconnaître le rôle joué par ces professionnels durant la crise, les métiers
du secteur de la personne âgée doivent ainsi faire l’objet d’une véritable
reconsidération (évolution du statut, conditions de travail, augmentation des
effectifs) ne serait-ce que pour faciliter les recrutements.

(1) En 2015, il y était de 62,8 % , contre 103,2 dans les USLD. L’accueil des personnes âgées en établissement :
entre progression et diversification de l’offre. Résultats de l’enquête EHPA 2015.
— 213 —

Point sur les primes accordées aux personnels des EHPA à la suite de la première
vague épidémique
À l’instar de la prime exceptionnelle versée aux personnels hospitaliers et afin de
récompenser l’effort des personnels particulièrement mobilisés dans le cadre de la lutte
contre l’épidémie de Covid-19, une prime exceptionnelle prévue à l’article 11 de la loi
du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020 a été versée aux professionnels des
établissements publics sociaux et médico-sociaux, dont ceux prenant en charge les
personnes âgées, aux personnels des unités de soins de longue durée et à ceux des
EHPAD. Cette prime est de 1 500 euros pour les agents exerçant dans un
établissement situé dans l’un des 40 départements les plus touchés par l’épidémie et
de 1 000 euros pour les personnels des autres départements.
Le Président de la République a par ailleurs annoncé le 4 août, la mobilisation d’une aide
exceptionnelle de l’État en débloquant une enveloppe de 80 millions d’euros, calculée
pour permettre le versement de primes de 1 000 euros au prorata du temps de travail
des personnels des services d’aide et d’accompagnement à domicile (SSAD) avec une
contribution au moins équivalente des départements. Les personnels des SAAD avaient
en effet été exclus du dispositif de primes accordé aux professionnels des EHPAD (voir
supra). Cette prime ne concerne néanmoins pas les salariés employés directement par les
particuliers, comme les assistants de vie en emploi à domicile.
À ces primes, se sont ajoutées les revalorisations à la hauteur d’un peu plus de
200 euros (1) nets par mois, des salaires des personnels para-médicaux au sein des
EHPAD publics et privés non-lucratifs (revalorisation de 163 euros pour les EHPAD
privés lucratifs annoncée dans les accords du Ségur de la Santé – voir partie sur le système
de soins).

Plus globalement, la crise a mis en lumière l’impératif d’une


médicalisation croissante des EHPAD pour répondre au défi du vieillissement de
la population et de l’arrivée de résidents atteints de pathologies de plus en plus
nombreuses.

Alors que les rapprochements entre les EHPAD et le système de santé ont
permis de pallier les difficultés structurelles rencontrées par les EHPAD pour faire
face à la crise sanitaire, votre rapporteur appelle à aller plus loin et à rattacher
chaque EHPAD à un établissement de santé, public ou privé.

Proposition : revoir en profondeur le modèle des établissements pour personnes âgées


dans le cadre de la loi sur le grand âge et renforcer la prise en charge des résidents d’EHPAD,
en organisant le rattachement de ces établissements à un établissement de santé, qu’il soit
public ou privé.

(1) Revalorisation de 183 euros pour l’ensemble des personnels et de 35 euros supplémentaires pour les
personnels en contact avec les patients.
— 215 —

PROPOSITIONS

Anticipation
1. Reprendre les exercices de crise de type « pandémie » à un rythme régulier ; le cas échéant,
ne procéder qu’à des exercices partiels sur certains aspects du plan.
2. Élaborer un plan « pandémie » générique, non uniquement grippale, adapté à une plus
large variété de situations et mobilisable rapidement, faisant l’objet d’actualisations
régulières ; lui conférer un volet capacitaire établissant les ressources critiques nécessaires
et leur volumétrie, en équipements et en ressources humaines.

3. Instituer un ministre délégué, placé auprès du Premier ministre, chargé de l’anticipation


des crises, sanitaires ou d’une autre nature, disposant des services du SGDSN et de la
direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises et responsable :

– de l’organisation de la planification de la réponse aux différents risques ;

– de l’élaboration de la liste des produits, équipements et services devant figurer dans le


stock stratégique, reconnus comme produits, équipements et services d’importance vitale,
ainsi que le contrôle de ces stocks stratégiques.

– de l’organisation de la formation à la gestion de crise et la diffusion d’une culture de


prévention des risques dans la société ;

– de la coordination des politiques de relocalisation des filières de production des


équipements, produits et services d’importance vitale, celles-ci devant permettre de
couvrir a minima 50 % des besoins nationaux en temps de crise.

Stocks stratégiques et logistique


4. Redéfinir la liste des produits et équipements devant figurer dans les stocks stratégiques et
leur dimensionnement sous l’autorité du ministre délégué chargé de l’anticipation des
crises ; clarifier la doctrine d’emploi des stocks stratégiques en matière de santé et l’étendre
explicitement à la protection des personnels de santé en cas de crise sanitaire majeure
(pandémique ou autre) ; informer les différents acteurs de leurs responsabilités dans la
constitution de stocks tactiques ou de stocks de sécurité le cas échéant et contrôler à
échéances régulières la constitution effective de ces stocks.
5. Mettre fin à la doctrine du stock « tampon » pour instaurer un véritable stock « tournant »,
dans lequel les commandes sont lissées en fonction de la durée de validité des produits et
les produits arrivant à péremption distribués aux établissements de santé, tout en
maintenant un stock minimal élevé (un milliard de masques chirurgicaux).
6. Formaliser dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité
sociale un débat sur le volume et l’état des stocks stratégiques.
7. Confier la gestion des stocks stratégiques à un opérateur dont cela constituerait la mission
principale, placé sous le contrôle du ministre délégué auprès du Premier ministre chargé
de l’anticipation des crises.
— 216 —

8. Consolider les capacités de production françaises d’équipements de protection individuels


et en particulier de masques sanitaires pour garantir la souveraineté et l’indépendance
française en la matière, y compris en temps de crise ; garantir une production au moins
égale à 50 % des besoins en temps de crise sur le territoire national ; reconnaître aux usines
de production de masques sanitaires le statut d’opérateurs d’importance vitale et aux
produits et services concernés celui de produits et services d’importance vitale.
9. Repenser le rôle de Santé publique France dans la logistique de crise et, le cas échéant,
adapter le réseau des sites de stockage ; anticiper et planifier des procédures de réponse à
une crise sanitaire par Santé publique France dans sa dimension logistique, s’agissant
notamment de la montée en puissance des effectifs ou de l’adaptation des procédures ;
garantir un suivi en temps réel des stocks, notamment en cas flux importants en fréquence
et en volume.
10. Accroître le rôle des préfets dans l’organisation logistique de la distribution de produits
sanitaires en cas de crise ; définir en amont le rôle de la sécurité civile, des sapeurs-
pompiers et de l’armée, dont les moyens et les compétences doivent être largement
employés, dans la distribution de produits sanitaires.

Gestion de crise et territoires


11. Instaurer des agences départementales de santé sous l’autorité hiérarchique des préfets afin
de faire de ces agences de véritables acteurs sanitaires de proximité.
12. Pour mettre fin à la dualité de la chaîne de commandement qui a été préjudiciable dans la
gestion de la crise sanitaire, rendre aux préfets de département la compétence de la gestion
des crises sanitaires.
13. Donner un droit de regard aux préfets sur les stocks stratégiques positionnés au niveau
zonal.

Dépistage
14. Engager la relocalisation en France de l’industrie du diagnostic in vitro afin de ne plus être
dépendant des importations mondiales et retrouver une réelle souveraineté sanitaire.
15. Déployer un réseau d’IHU en maladies infectieuses sur l’ensemble du territoire national
couvrant chaque zone de défense afin d’être mieux préparé à l’avenir et de réagir plus vite
en cas de nouvelle pandémie.
16. Soutenir les travaux permettant de mieux apprécier et de prendre en compte la contagiosité
réelle d’une personne positive à la Covid-19 afin de mieux cibler la stratégie d’isolement.

Système de soins
17. Renforcer les liens entre la médecine de ville et la médecine hospitalière et développer des
plans de de crise qui prévoient l’intégration des soins primaires à la réponse sanitaire.
18. Mener une enquête approfondie sur les conséquences en termes de santé publique du recul
des soins durant la première vague de l’épidémie de Covid-19.
— 217 —

19. Renforcer significativement les moyens humains et financiers consacrés à la gestion de la


réserve sanitaire. Assouplir les procédures de recrutement et de déploiement des
personnels pour en faire un outil plus opérationnel en temps de crise.
20. Adapter les politiques de formation des personnels médicaux et paramédicaux aux besoins
sanitaires présents et futurs, en prenant en compte les postes disponibles dans chaque
spécialité.
21. Améliorer la polyvalence de certaines professions médicales afin de répondre aux besoins
issus de crises sanitaires et pouvoir renforcer les équipes des services les plus sous tension,
comme la réanimation.
22. Dans la lignée du Ségur de la santé, rééquilibrer le partage des pouvoirs à l’hôpital entre
les directeurs d’établissements et les représentants du corps médical, en renforçant
significativement les pouvoirs de la conférence médicale d’établissement (CME).

EHPAD

23. Associer davantage le conseil de la vie sociale dans la prise de décisions ayant des
conséquences pour les résidents et les familles y compris dans la gestion de crise

24. Informer les établissements plus en amont de la mise en place de nouvelles mesures.
25. Pérenniser le dispositif des astreintes gériatriques (hotlines) et soutenir la mobilisation des
équipes mobiles de gériatrie et les équipes mobiles de soins palliatifs dans les EHPAD.
26. Renforcer le lien entre les EHPA et les services d’hospitalisation à domicile.
27. Encourager le développement de la certification électronique des décès, en particulier dans
les EHPA.
28. Associer davantage le conseil de la vie sociale dans la prise de décisions ayant des
conséquences pour les résidents et les familles y compris dans la gestion de crise.
29. Revoir en profondeur le modèle des établissements pour personnes âgées dans le cadre de
la loi sur le grand âge renforcer la prise en charge des résidents d’EHPAD en organisant
le rattachement de ces établissements à un établissement de santé, qu’il soit public ou
privé.
— 219 —

ANNEXES

ANNEXE 1 : tableaux de synthèse de l’évolution des stocks stratégiques


entre 2015 et 2020

ANNEXE 2 : tableaux des livraisons de masques pendant la crise

ANNEXE 3 : lettre de M. François Bourdillon, directeur de Santé publique


France, à M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, du 26 septembre 2018

ANNEXE 4 : lettre de M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, à


M. François Bourdillon, directeur de Santé publique France, du 30 octobre 2018

ANNEXE 5 : lettre de M. Jérôme Salomon, directeur général de la Santé à


M. Grégory Emery, conseiller sécurité sanitaire au cabinet de Mme Agnès Buzyn,
ministre de la santé, du 6 février 2020

ANNEXE 6 : fiches des plans « pandémie grippale » de 2009 et 2011 sur la


distribution de masques aux professionnels de santé

ANNEXE 7 : liste des fournisseurs identifiés pour les masques avec


lesquels un contrat a été conclu

ANNEXE 8 : stratégie d’adaptation des SAMU dans le contexte de crise

ANNEXE 9 : retour d’experience sur les centres de consultations


ambulatoires temporaires dédiés au Covid

ANNEXE 10 : détail des autorisations exceptionnelles dans le secteur privé


et le secteur privé non lucratif

ANNEXE 11 : estimation de la baisse d’activité des soins de ville issues de


données provisoires de la Caisse nationale d’assurance maladie

ANNEXE 12 : passage aux urgences totaux et pour suspicion de covid

ANNEXE 13 : données sur la part de personnes âgées de plus de 75 ans en


services de réanimation et sur l’âge médian à l’entrée en séjour de réanimation

ANNEXE 14 : nombre de personnes hospitalisées et en réanimation pour


cause de Covid-19 par classe d’âges, du 2 mars au 31 mai

ANNEXE 15 : remontée de « l’enquête flash » réalisée auprès des ARS sur


les capacités d’accueil en réanimation

ANNEXE 16 : dispositif de régulation des cinq médicaments prioritaires

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