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En Defense Du Hirak

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En défense du hirak

Déconstruction du complotisme contre-révolutionnaire

Ouvrage collectif

Préface de Moncef Marzouki

Hoggar
En défense du hirak :
Déconstruction du complotisme contre-révolutionnaire
Ouvrage collectif
© Hoggar 2020
www.hoggar.org
ISBN 978-2-940130-36-8

Photo : Premier anniversaire du Hirak, 22 février 2020, Alger


Couverture : © Movi-Design

Page 2
Table des matières

Préface de Moncef Marzouki, 5


1. Introduction, 9

Première partie
2. Du complotisme en flagrant délire
Youcef Bedjaoui, 27

3. Aberrations chromatiques
Youcef Bedjaoui, 59

4. La non-violence en Algérie
Abbas Aroua, 97

Deuxième partie
5. Parrainage occidental contre la volonté populaire
et les intérêts nationaux de l’Algérie
Mohamed Dougha, 121

6. Maillage idéologique et politique


Moussa Benmohammed, 145

7. Le CIGPA, un think-tank aligné sur la politique


étrangère française
Seddouqiya Ben Aknoun, 195

Troisième partie
8. La fabrique de la main étrangère
Makhlouf Larioui, 209

Quatrième partie
9. Diffamation sous protection rapprochée
Sofiane Tlemçani, 233

3
10. Je déposerai plainte contre l’auteur et la maison d’édition
Lahouari Addi, 241

11. Nul n’a le droit de mesurer le patriotisme des Algériens


Zoubida Assoul, 249

12. Alkarama : Pour la dignité des peuples


Direction juridique, Alkarama, 253

13. Rachad dans le hirak


Secrétariat du Mouvement Rachad, 301

Index, 313

Page 4
PREFACE

Moncef Marzouki

Le jour où Mohamed Morsi a été élu président de la République en


juin 2013, je me suis dit que cet homme allait faire face à
d’innombrables difficultés, et je n’étais pas sûr qu'il pourrait
achever son mandat.
Elu en décembre 2012, faisant face aux dures réalités de la
situation internationale, j'étais certain que le « consortium » qui
contrôlait le Moyen-Orient, à savoir l'Arabie saoudite, les Emirats
Arabes Unis et Israël, sous les auspices des Etats-Unis, ne pouvait
se permettre de voir l'Egypte sortir des accords de Camp David de
1978.
Une telle sortie, un soutien actif à Gaza, assiégée aussi bien par
Israël que par le régime Moubarak, auraient bouleversé l’équilibre
de la région, ce qui était hors de question.
Ce que je n'avais pas prévu, c'était la rapidité avec laquelle allait
être liquidé le premier président légitimement élu par un peuple
libre, et ce depuis cinq mille ans. Morsi fut chassé du pouvoir grâce
à l'argent émirati et saoudien, le soutien et la planification
israéliens, sans oublier la neutralité bienveillante des grandes
démocraties occidentales.
J'ai pu prendre conscience de façon très nette de l'ambiguïté –
pour ne pas dire de l'hypocrisie – des grands Etats occidentaux lors
de la visite officielle du président français François Hollande en
Tunisie, en juillet 2013, quelques jours après le coup d'Etat en
Egypte. Je lui avais demandé quelle était la position de la France
face à un coup d’Etat militaire, quoique bien mis en scène, contre
un président légitime. Le président Hollande refusa de condamner
le putsch, et c'était la position de la plupart des pays occidentaux.
Moncef Marzouki

Toutes les révolutions arabes ont été confrontées à l'hostilité


flagrante manifestée par les régimes saoudien et émirati, aux
manigances d'Israël, et à cette attitude réservée des régimes
occidentaux.
Si ces régimes ont soutenu et applaudi les révolutions de
couleur en Europe de l'Est, ils ont été par contre désagréablement
surpris par les révolutions arabes. Ils ont adopté vis-à-vis d'elles
une attitude prudente qui cachait en fait une réelle inquiétude. Ces
révolutions suspectes amenaient – quelle horreur – des islamistes
et non des laïcs au pouvoir. De plus, comme dans le cas de
l'Egypte, elles auraient pu mettre fin à la période de calme dont
jouissait Israël.
Et dire que certains osent, en flagrant déni de la vérité, affirmer
que les révolutions arabes sont des révolutions de couleur, et
qualifier le « printemps arabe » de « printemps hébreu ».
Il est évidemment inutile de discuter de telles absurdités, mais il
est nécessaire d'en connaître l'origine et d'en comprendre la
fonction.
L'origine est à chercher dans la vindicte des nationalistes arabes
et des gauchistes. Ces « restes » des combats avortés des années 60
et 70 ont été surpris par une révolution populaire qu'ils n'ont pas
prévue et n'ont pas menée.
De plus, ces révolutions ne faisaient aucune différence entre des
dictatures de droite – comme celles de Tunisie et d'Egypte – et des
dictatures dites de gauche, panarabes et antisionistes comme celles
de Libye ou de Syrie. Pour les peuples arabes, c'étaient toutes des
dictatures corrompues et violentes et il fallait s'en débarrasser, les
diatribes anticolonialistes et antisionistes ne convaincant plus
personne et ne justifiant plus rien.
Ce qui a exacerbé la haine de ces reliquats c'est aussi une
jalousie maladive envers les islamistes qui ont occupé le rôle de
« héros », resté vacant une fois que la plupart des nationalistes et
des gauchistes étaient devenus partie prenante du système de
corruption et d'oppression.

Page 6
Préface

Il ne faut pas oublier les orphelins des régimes abattus. Ils ont
vu la fin de leurs privilèges avec la fin de ces régimes. On
comprend qu'ils font et feront tout pour salir ce « printemps
arabe » qui a été leur propre « hiver ».
La contre-révolution menée par l'alliance émirato-saoudo-
israélienne a déclaré la guerre contre le « printemps arabe » et a
utilisé tous les moyens pour le contrecarrer et empêcher son
expansion. Elle a utilisé principalement les médias et les partis
politiques corrompus, le terrorisme et l'ingérence dans les
élections.
La guerre psychologique a été, elle aussi, largement utilisée.
Outre la diffamation et le mensonge, on a eu recours largement à
la culpabilisation des peuples arabes. Regardez, leur disent les
porte-voix de leurs maîtres financeurs, ce que ces révolutions vous
ont apporté : instabilité, guerre civile, et régression économique.
Leur message : « Ne serait-il pas mieux pour vous de vivre
comme des sujets sous notre autorité qui veille sur votre sécurité
au lieu de vous rebeller contre nous et de vous engager dans ces
opérations absurdes pour vous libérer, alors que vous en voyez le
coût ».
Comme si cette situation catastrophique n'était pas le résultat
du double crime perpétré par les régimes corrompus, leurs maîtres
et leurs serviteurs : pousser les gens à bout et à la révolte, puis
lâcher sur eux les chiens de la contre-révolution comme Haftar en
Libye.
Bien sûr, ni la guerre psychologique, ni les médias corrompus,
ni le terrorisme à la demande, ni la guerre civile, ni quoi que ce soit
n'est capable d’arrêter le cours de l'histoire.
Après la première vague du « printemps arabe » en Tunisie, en
Libye, au Yémen, en Egypte et en Syrie, et malgré les revers et ce
que certains ont pris pour des « leçons », la deuxième vague est
survenue au Soudan, en Algérie, en Irak et au Liban. Attendez la
troisième vague dans plus d'un endroit où de véritables réformes
n'ont pas eu lieu.

7
Moncef Marzouki

La situation est devenue intenable et les mesures de réforme


cosmétique n'ont plus d'effet. Les théoriciens de la contre-
révolution ainsi que ses financiers et ses planificateurs
découvriront tôt ou tard la futilité de vouloir arrêter le cours de
l'histoire.
Comme l'esclavage a été aboli après des milliers d'années de
souffrance, et le colonialisme démantelé, même au prix fort payé
par certains pays comme l'Algérie, la défaite de la tyrannie est un
processus que rien ni personne ne pourra arrêter.

Page 8
INTRODUCTION

Le hirak, mouvement national de résistance non-violente, né le


22 février 2019, a conduit à la démission de Bouteflika, à
l’arrestation de plus d’une centaine de dirigeants politiques, de
responsables sécuritaires et d’oligarques. Il a mené à des mutineries
passagères – mais prémonitoires de l’Algérie en devenir – par de
grands pans de la magistrature et de la corporation journaliste, et à
deux ajournements de l’élection présidentielle puis à son boycott
massif, le 12 décembre 2019, ce qui a compromis de façon décisive
la légitimité du chef d’Etat imposé par le commandement militaire.
Plusieurs aspects du hirak ont fait renaitre l’espoir et l’optimisme,
dans un pays où l’abattement était prégnant : l’adhésion massive
des citoyens, le rassemblement de plusieurs générations, classes
sociales, professions, régions, tendances politiques, idéologies et
genres en son sein, sa discipline non-violente face à toutes les
provocations, ses manifestations lumineuses de valeurs civiques et
de créativité, sa fermeté à défendre l’unité nationale et son rejet
résolu de l’ingérence étrangère, ainsi que sa détermination à se
maintenir dans la durée jusqu’au changement radical de la
gouvernance du pays. Le hirak a inspiré la jeunesse et la diaspora à
envisager leur avenir dans une Algérie où tout est à reconstruire.
Cette marche de l’histoire ne s’est pas faite sans réaction. Au
lieu d’admettre les profondes mutations et aspirations de la société,
et de saisir ce moment historique pour rédimer son avortement
catastrophique de la précédente transition démocratique (1989-
1991), le commandement vieillissant de l'armée, allié à une classe
politique et sociale anti-démocratique jouissant du clientélisme
soldé par la rente ou d’avantages indus, n’a cessé de ramer à
contre-courant de l'histoire pour maintenir le statu quo, et faire
échouer cette nouvelle opportunité de transition vers une
gouvernance démocratique. Leur stratégie nombriliste se résume
en une feuille de route qui reconduit l’ancien système, emballé
Introduction

du complot de Bensâada comme expression politique. Il démontre


que son discours s’inscrit dans une propagande légitimant la
politique actuelle des décideurs militaires contre le hirak.
Dans le second papier, « Aberrations chromatiques », le même
auteur met de côté l’argumentaire et la construction complotistes
de Bensâada pour examiner le fond de la thèse que les révolutions
du « printemps arabe » et du hirak algérien seraient des révolutions
de couleur, au regard des enseignements des sciences politiques sur
les phénomènes révolutionnaires et leurs comparaisons. Après un
rappel sur les révolutions de couleur, pour rectifier les comptes
rendus dénaturés qu’en fait Bensâada, cet article présente un
exercice comparatif des similitudes et des différences, entre autres
au niveau des formes de contestation, dans les deux classes
d’évènements. Il met en évidence l’existence d’un ensemble de
dissemblances saillantes et significatives qui écartent toute
identification entre les deux ensembles de révolutions. Le papier
prouve aussi que Bensâada fait un usage spécieux des notions de
continuum ou de prolongement – pour lier le « printemps arabe »
et le hirak algérien aux révolutions de couleur – par le simple fait
de leurs spatio-temporalités disparates. Bensâada prétend que les
soulèvements arabes et le hirak algérien seraient le produit d’idées
contestataires – dont la non-violence – provenant de mercenaires
internationaux du changement de régime à la solde des USA. Une
vue d’ensemble des processus complexes de diffusion des idées et
des pratiques contestataires et de leur naturalisation, ainsi que de
l’histoire des luttes politiques et sociales des peuples de notre
région, montre que ses assertions sont une caricature grotesque de
la réalité.
« La non-violence en Algérie : complot impérialiste ou phénomène
endogène ? », le troisième article par Abbas Aroua, tacle ces dernières
assertions sous un autre angle, culturel cette fois. Cette note rend
compte de l’essor récent et actuel des idées et des pratiques non-
violentes dans les contestations dans notre région par trois causes.
D’abord un facteur culturel fondamental, à savoir l’enracinement
de la non-violence dans notre culture, encouragée par les préceptes
islamiques et pratiquée au cours de notre histoire musulmane.
Ensuite l’expérience traumatisante de la guerre civile en Algérie a

13
Introduction

L’ouvrage collectif entre vos mains est une contribution qui


s’inscrit dans un effort plus large pour défendre le hirak contre
cette campagne concertée. On dit qu’en révolution il faut savoir
rester concentré, éviter les diversions, et choisir ses batailles au lieu
de riposter à toutes les provocations et toutes les attaques. Choisir
des batailles assez significatives pour compter mais suffisamment
restreintes pour impacter. C’est là une première raison de notre
choix de déconstruire ce livre de Bensâada, que les phalanges
médiatiques du régime ont présenté comme une sanction
universitaire de leur propagande contre le hirak. La seconde raison
est que les quelques articles qui en ont rendu compte de façon
critique ne font pas une réfutation substantielle directe des
principales allégations qu’il contient. La troisième est que la plupart
des personnes et formations ciblées par les allégations de ce livre y
ont répondu par le silence, par réserve en vue d’un procès en
diffamation pour certains, ou peut-être par condescendance pour
d’autres. Mais s’il est vrai que ce silence pourrait être le signe d’une
répugnance ou la réponse indiquée à une diffamation, il ne fait pas
de doute que les propagandistes y voient l’expression d’un aveu
tacite et d’une victoire. Or offrir une quelconque parcelle de
victoire à la propagande belliciste du régime est incompatible avec
l’esprit de résistance non-violente du hirak.
Défendre le hirak contre les accusations de Bensâada
n’implique en aucun cas, comme prétend cet auteur, qu’on en a
une conception « divinisée ». Défendre le hirak est compatible avec
une conception réaliste de ses forces et de ses faiblesses. Au sein
du hirak même, on critique sa carence en efficacité, son enlisement
dans la répétition des manifestations des vendredi et mardi, et son
incapacité à imaginer ou appliquer de nouvelles formes
stratégiques de contestation qui amplifieraient pacifiquement et
graduellement la pression sur le noyau du régime afin de l’amener à
négocier une vraie transition démocratique.
Au cœur du hirak même existe un autre débat critique continu.
Il y a ceux qui refusent toute délégation de pouvoir ou de
représentation par appréhension qu’elle soit cooptée par une police
politique rompue à ces manœuvres. Et en face ceux qui plaident
pour faire émerger des représentants des divers segments du hirak

11
Introduction

l’objet de notre attention. Nous aurions voulu solliciter les


personnes et organisations algériennes accusées de complot dans
l’opuscule pour rapporter leurs ressentis, positions et
éventuellement réactions, mais les délais de publication que nous
nous sommes fixés ont écarté cette possibilité.
« Je déposerai plainte contre l’auteur et la maison d’édition » est une
interview de Lahouari Addi, publiée par Reporters.dz, où il réagit sur
la substance des allégations le concernant. Addi y conteste les dires
de Bensâada le concernant et défait certains aspects politiques de la
thèse de ce dernier. Il y annonce également son intention d’ester ce
dernier et sa maison d’édition en justice.
Ce même journal a publié une interview de Zoubida Assoul,
« Nul n’a le droit de mesurer le patriotisme des Algériens », que nous
reproduisons ici. Elle interprète l’annonce du livre six mois avant
sa parution sur la radio publique comme une « commande » pour
des « objectifs inavoués ». Assoul y réagit brièvement sur le titre de
« ténor » que lui attribue Bensâada et sur quelques allégations la
concernant. Elle s’y réserve aussi la possibilité d’entamer des
procédures judiciaires contre l’auteur.
L’organisation Alkarama a publié sur son site un texte, intitulé
« Alkarama : Pour la dignité des peuples », qui aborde en détail les
accusations faites dans l’opuscule contre elle. Cette publication
explique ce qu’est Alkarama, ce qu’elle n’est pas, et ensuite
examine directement l’étiquette « droit-de-l’hommiste » que lui
colle Bensâada ainsi que ses imputations sur le financement, le
terrorisme et sa relation avec le mouvement Rachad. Le texte
observe que le discours de Bensâada s’aligne sur celui des
idéologues populistes et des Etats totalitaires qui diffament les
défenseurs des droits de l’homme, affaiblissant ainsi les efforts
qu’ils investissent pour conscientiser les populations sur le respect
des droits et des libertés fondamentales.
Cette dernière partie de l’ouvrage se conclut par la reproduction
de la communication « Rachad dans le Hirak », par le secrétariat du
mouvement Rachad, publiée sur la page web de ce mouvement. Ce
mouvement – qui fait l’objet depuis mai dernier d’une campagne
médiatique aussi virulente que soutenue, orchestrée par la police

Page 18
Introduction

du complot de Bensâada comme expression politique. Il démontre


que son discours s’inscrit dans une propagande légitimant la
politique actuelle des décideurs militaires contre le hirak.
Dans le second papier, « Aberrations chromatiques », le même
auteur met de côté l’argumentaire et la construction complotistes
de Bensâada pour examiner le fond de la thèse que les révolutions
du « printemps arabe » et du hirak algérien seraient des révolutions
de couleur, au regard des enseignements des sciences politiques sur
les phénomènes révolutionnaires et leurs comparaisons. Après un
rappel sur les révolutions de couleur, pour rectifier les comptes
rendus dénaturés qu’en fait Bensâada, cet article présente un
exercice comparatif des similitudes et des différences, entre autres
au niveau des formes de contestation, dans les deux classes
d’évènements. Il met en évidence l’existence d’un ensemble de
dissemblances saillantes et significatives qui écartent toute
identification entre les deux ensembles de révolutions. Le papier
prouve aussi que Bensâada fait un usage spécieux des notions de
continuum ou de prolongement – pour lier le « printemps arabe »
et le hirak algérien aux révolutions de couleur – par le simple fait
de leurs spatio-temporalités disparates. Bensâada prétend que les
soulèvements arabes et le hirak algérien seraient le produit d’idées
contestataires – dont la non-violence – provenant de mercenaires
internationaux du changement de régime à la solde des USA. Une
vue d’ensemble des processus complexes de diffusion des idées et
des pratiques contestataires et de leur naturalisation, ainsi que de
l’histoire des luttes politiques et sociales des peuples de notre
région, montre que ses assertions sont une caricature grotesque de
la réalité.
« La non-violence en Algérie : complot impérialiste ou phénomène
endogène ? », le troisième article par Abbas Aroua, tacle ces dernières
assertions sous un autre angle, culturel cette fois. Cette note rend
compte de l’essor récent et actuel des idées et des pratiques non-
violentes dans les contestations dans notre région par trois causes.
D’abord un facteur culturel fondamental, à savoir l’enracinement
de la non-violence dans notre culture, encouragée par les préceptes
islamiques et pratiquée au cours de notre histoire musulmane.
Ensuite l’expérience traumatisante de la guerre civile en Algérie a

13
Introduction

capituler au néocolonialisme historique et mental qui voudrait


l’emmurer dans l’engrenage de l’impuissance et du désespoir.
Le hirak initié en 2019 est un haut-le-corps national contre « le
collège des profiteurs chamarrés qui s’arrachent les billets de
banque sur fond d’un pays misérable » devenu « un fétu de paille
entre les mains de l’armée habilement manœuvrée par des experts
étrangers ».19 Ce mouvement inédit depuis l’indépendance, par son
ampleur et sa capacité à rassembler les Algériens, a l’ambition de
compléter la libération du territoire algérien par celle du citoyen
algérien, et l’aspiration de refonder la république en un véritable
Etat de droit.
A ceux qui prétendent soutenir le hirak mais sont « incapables
de communier avec le peuple »,20 qu’ils considèrent peut-être
moins intelligent qu’eux, les hirakiens ont déjà dit que la non-
violence est pour préserver le sang de leurs frères, mais aussi pour
protéger leur pays et leur armée contre toute intervention
étrangère. Cette non-violence a par ailleurs rehaussé l’image
internationale de l’Algérie, contrairement aux pouvoirs des
dernières décennies qui en ont fait un « fantôme géopolitique » et
qui veulent en faire, aujourd’hui, le gendarme occidental du Sahel.
A ceux qui « s’alarment à chaque pas du peuple, à chaque doute
qu’il exprime, à chaque suggestion qu’il offre »21, les hirakiens ont
déjà dit qu’ils ne souhaitent pas échanger la dépendance envers la
dictature avec la dépendance envers un « sauveur » étranger. Ils
savent que la liberté et la démocratie ne sont pas des cadeaux
parachutables par une puissance extérieure, mais ce sont des
conditions en eux. Ils savent que ce qui libère intérieurement les
opprimés, c’est le processus transformationnel de leur propre lutte.

« ‫عسكرية‬ ‫ مشي‬،‫» دولة مدنية‬


« ‫ابخلارج‬ ‫» عيب عليكم االستقواء‬

23
Introduction

sportifs et des artistes, de l’étranger, au service de sa propagande.


Dans le second volet, Dougha dissèque le fond de la thèse de
Bensâada stipulant que les USA comploteraient une révolution de
couleur en Algérie pour subroger le régime par des islamistes. Sa
revue exhaustive mais concise des relations algéro-américaines ne
laisse aucun doute quant à l’inanité de ce qu’avancent Bensâada et
ses deux parrains intellectuels.
Le second papier de cette triade, intitulé « Maillage idéologique et
politique », de Moussa Benmohammed, s’applique à tracer quelques
contours de l’environnement idéologique et politique de Bensâada.
Il examine trois champs. Dans le premier, Benmohammed relève
d’abord un détail biographique de Bensâada découlant de la « sale
guerre » algérienne et commente sur ses activités dans la
complosphère canadienne. Ensuite il examine un premier lien
organique que Bensâada entretient, comme membre d’une « équipe
de recherche », avec le Centre Français de Recherche sur le
Renseignement (CF2R), dirigé par Eric Denecé, la même entité
para-barbouzarde avec laquelle Saïda Benhabylès collabore depuis
des années. Certaines collaborations de Bensâada et Benhabyles au
sein du CF2R sont en outre pointées.
Dans le second champ, Benmohammed explore le CIGPA dont
Bensâada est membre du comité de rédaction et représentant à
Montréal. Ce think-tank, présidé par le contre-révolutionnaire
tunisien Mezri Haddad, entretient des relations avec de hauts
responsables politiques et sécuritaires français et étrangers. En
France, ce centre promeut une politique sécuritaire de droite dure
au détriment des ressortissants musulmans déjà sujets à une forte
stigmatisation. Ce think-tank dissémine également fortement et
assidument des idées contre les changements en Afrique du Nord
et au Moyen-Orient à travers l’idéologie de l’islamo-atlantisme qui
consonne tout à fait avec la théorie du complot de Bensâada
contre le printemps arabe et le hirak algérien. Plusieurs travaux et
colloques de ce think-tank s’en prennent à l’influence turque au
Moyen-Orient. L’orientation et les activités du CIGPA reflètent la
convergence entre l’idéologie de son fondateur et les
préoccupations de la France officielle alarmée par la résurgence des
peuples maghrébins, arabes et africains et l’accroissement de la

15
Introduction

Melbourne University Press, Melbourne 2014; Govand Khalid Azeez, ‘The Thingified
Subject’s Resistance in the Middle East’, Middle East Critique, Vol. 24 (2015) pp. 119–135;
Govand Khalid Azeez, ‘The Oriental Rebel in Western History’, Arab Studies Quarterly,
Vol. 18 (2015) pp. 244–263; Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, ‘Neo-
Orientalism and the e-Revolutionary: Self-Representation and the Post-Arab Spring’,
Middle East Law and Governance, Vol. 7 (2015) pp. 120-131; Stefan Borg, ‘The Arab
Uprisings, the Liberal Civilizing Narrative and the Problem of Orientalism’, Middle East
Critique, Vol. 25 (2016) 211–227; Billie Jeanne Brownlee et Maziyar Ghiabi, ‘Passive,
Silent and Revolutionary: The ‘Arab Spring’ Revisited’, Middle East Critique, Vol. 25
(2016) 299-316; Lorella Ventura, ‘The “Arab Spring” and Orientalist Stereotypes: The
Role of Orientalism in the Narration of the Revolts in the Arab World’, Interventions, Vol.
19 (2017) pp. 282-297; Imed Ben Labidi, ‘On naming Arab revolutions and oppositional
media narratives’, International Journal of Cultural Studies, Vol. 22 (2018) pp. 450-464; Hanen
Keskes et Alexander P. Martin, ‘Orientalism and binary discursive representations of
Tunisia’s democratization: the need for a “continuity and change” paradigm’, British
Journal of Middle Eastern Studies, 2018, 1–20, https://doi.org/10.1080/13530194.2018.1544481 .
14 Roula Khalaf, ‘US non-violence centre trained Egypt activists’, Financial Times,
15 February 2011; Sheryl Gay Stolberg, ‘Shy U.S. Intellectual Created Playbook Used in a
Revolution’, New York Times, 16 February 2011; Tina Rosenberg, ‘What Egypt Learned
From the Students Who Overthrew Milosevic’, Foreign Policy, 17 February 2011; Gabriel
Carlyle, ‘Revolutionary Homework’, Peace News Info, Issue 2534, June 2011. Evidemment,
il existe une vaste littérature dès 2001 sur l’implication américaine dans les révolutions de
couleur en Eurasie.
15Edward Said, Orientalism, Penguin Books, London 2003¸Ibid Ventura; Steven Salaita,
‘Corporate American media coverage of Arab revolutions: the contradictory message of
modernity’, Interface, Vol. 4 (2012) pp-131-145.
16 Ibid 14.
17 Ibid Ventura.
18Magid Shihade, ‘On the Difficulty in Predicting and Understanding the Arab Spring:
Orientalism, Euro-Centrism, and Modernity’, International Journal of Peace Studies, Vol. 17
(2012) pp. 57-70.
19 Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre, Editions ENAG, Alger 1987.
20 Paulo Freire. Pedagogy of the Oppressed. Penguin, London 2017.
21 Ibid.

25
Introduction

de son éthique à géométrie variable. L’auteure conclut en posant


une question à Bensâada :
Peut-on accuser un mouvement populaire ou une organisation d’être
l’instrument des Américains, lorsque notre « méfiance » des
mouvements de contestation contre les dictatures arabes est
semblable en tout point à celle d’un think-tank idéologiquement et
politiquement orienté au service de la politique étrangère française ?

La troisième partie de cet ouvrage se limite à un seul article qui


approche l’opuscule de Bensâada sous une perspective médiatique.
« La fabrique de la main étrangère » de Makhlouf Larioui délinée le
contexte politique et médiatique liberticide dans lequel s’inscrit
cette publication. Il rappelle au préalable quelques fondamentaux
de l’économie politique des médias dans le pays et l’arsenal
juridique qui les encadre, avant de décrire en détail comment cette
publication a été lancée et accompagnée médiatiquement. La
courte note de Larioui montre amplement que la prise en charge
médiatique du texte de Bensâada correspond à une manœuvre
pour béquiller académiquement la rengaine éculée de la main
étrangère.
La quatrième et dernière partie de ce livre s’adresse aux
réactions provoquées par les allégations précises avancées par
Bensâada pour étayer sa thèse complotiste. Elle rassemble cinq
textes.
« Diffamation sous protection rapprochée », un bref avis légal de
l’avocat Sofiane Tlemçani, discute en quoi l’opuscule de Bensâada
serait diffamatoire selon le Code pénal algérien. Il attribue
l’insouciance avec laquelle Bensâada et la maison d’édition APIC
ont traité le risque d’être poursuivis en justice pour diffamation à
une assurance d’impunité par le pouvoir en place, principal
bénéficiaire de cette publication.
La suite est un recueil de quatre textes, déjà publiés, par des
personnes ou des organisations en réaction à leur implication par
Bensâada dans sa trame complotiste diffamatoire. Ce sont les seuls
textes publiquement accessibles, dans des journaux ou sur des
sites, que nous avons recensés à ce jour. Les positions
éventuellement exprimées sur les réseaux sociaux n’ont pas fait

17
Du complotisme en flagrant délire

conspiration, hypothèse qui pourrait être corroborée ou réfutée.


Cependant, dans les sciences humaines, « théorie du complot » est
un concept généralement dépréciatif qui dénote que la conjecture
de l’existence d’une conspiration se fait sur une base irrationnelle.3,4
Cet irrationnel inclut, entre autres, une logique fallacieuse souvent
circulaire, une suspicion infondée envers les sources qui
affaiblissent la théorie couplée à une crédulité béate envers celles
qui la renforceraient, une imperméabilité à la preuve contraire
accompagnée d’une surinterprétation des preuves en sa faveur,
l’autocontradiction, et une paréidolie politique qui projette des
relations et des causalités fictives et suspectes sur les évènements
sans laisser place à la corrélation acausale, au hasard ou la
coïncidence.5
Le complotisme est
donc une mentalité qui
présente ces vices de
raisonnement, sur la base
desquels le complotiste
croit ou promeut son
crédo que des événements
politiques majeurs
résultent d'une conspiration
Source: Lewandowsky et Cook, op. cit.
entre des parties puissantes
intéressées. A noter enfin
que souvent le complotiste se sent à la fois victime, du complot
qu’il croit voir, et héros, à la trousse des méchants conspirateurs
que sa théorie dévoilerait.6

2. Un échantillon de vices de raisonnement dans les


textes de Bensâada

Le complotisme réduit l’histoire à une succession de complots.


Comme le fait Bensâada quand il écrit que « la lutte non violente
qui se déroule actuellement dans les rues de notre pays ne
représente qu’un continuum qui a débuté par les ‘révolutions
colorées’ et qui s’est poursuivi par le ‘printemps’ arabe. Il s’agit de
ce que j’ai nommé la ‘printanisation’ de l’Algérie ».7

29
Introduction

politique – présente dans ce texte ses mission, vision et valeurs,


avant d’exposer ses positions sur la non-violence, l’Islam et
l’islamisme, sa relation ou pas au FIS, sur l’identité nationale et la
laïcité, sur sa conception de la souveraineté, et sur son
financement. Ce texte n’est pas une réponse proprement dite aux
attaques de Bensâada, mais il les aborde du fait qu’elles font parties
des thèmes majeurs de la campagne de désinformation du pouvoir.
Si ces quatre parties de l’ouvrage couvrent un nombre de
perspectives complémentaires, elles ne les abordent pas toutes, loin
s’en faut.
Une perspective psychologique sur ce que dit Bensâada aurait
apporté un éclairage précieux mais les courts délais de publication
ont écarté cette contribution pour l’actuelle édition. Les personnes
attirées par les théories du complot partagent un ensemble de traits
psychologiques particuliers.3 Il aurait été intéressant d’analyser les
textes de Bensâada sous ce prisme.
Ses textes exhibent en tous cas un système de croyances scellé
où les idées s’agglutinent sans articulations logiques entre elles. Par
exemple, ses textes délégitimisent le hirak en le dépeignant comme
une « révolution colorée » que les USA manipuleraient pour mettre
au pouvoir des islamistes, mais en même temps il dit qu’il est
« fondamentalement en faveur du Hirak ».4 Etant donné que ses
textes politiques sur les soulèvements dans la région sont consacrés
à sa thèse complotiste – et vu qu’il n’a pas de textes examinant ou
documentant, par exemple, les violations des droits de l’homme,
les coups d’Etat, le caractère militaire/moukhabarati de la dictature
chez nous ou ailleurs dans le monde arabe, la dépendance de la
justice ou des médias, ou simplement la grande corruption d’Etat,
questions qui figurent au premier plan des préoccupations du hirak
– il est difficile de voir ses insolites sentences de soutien au hirak,
noyées dans les flots de son discours complotiste, comme autre
chose que des paroles pieuses, si ce n’est des « décharges de
responsabilité » pour mieux faire passer son message.
Autre illustration : Bensâada semble discerner qu’il est
inacceptable moralement de parler de Tabbou, emprisonné au
moment de la publication de l’opuscule, quand il dit qu’« il serait

19
Introduction

inconvenant de traiter de son cas dans ce contexte »,5 mais d’autre


part il le cite au moins sept fois parmi les félons putatifs qui
auraient comploté avec les USA contre leur pays.6
Dernier exemple : d’une part ses textes citent nommément un
nombre de figures et d’associations politiques comme des
auxiliaires conspirant avec l’administration US contre l’Algérie,
c’est-à-dire des traîtres, mais en même temps il prétend que son
« livre n'a pas été écrit pour accuser telle ou telle personne »,7 et
qu’il « n’est nullement conçu comme un réquisitoire contre des
personnes »,8 même si à la radio il dira : « Je n’attaque que ceux qui
mènent le Hirak dans un sens qui est voulu par un agenda
étranger. »9
En tant que comportement, ces manèges ressemblent fortement
au gaslighting (détournement cognitif) par lequel les abuseurs font
douter ceux qu’ils attaquent de leur propre perception.
Il aurait été aussi intéressant d’analyser la suspicion nihiliste
avec laquelle Bensâada dépeint ses cibles, et comment il concilie
ses plaintes que ses textes sont ignorés avec ses affirmations que
les critiques de sa thèse sont mus par la culpabilité dans le complot
présumé, ou avec son incapacité épidermique à écouter les
critiques, les renvoyant systématiquement à l’ad personam, qu’il
utilise parfois lui-même selon le degré qu’occupe sa cible dans son
échelle d’humanité.10
L’analyse de ses usages du double bind, par lequel ses cibles sont
coupables si elles se taisent et coupables si elles répliquent, serait
également utile. D’un côté il accuse les médias qui n’ont pas rendu
compte de son livre de vouloir, entre autres, « protéger des
personnes », mais de l’autre il considère que ses critiques sont des
« personnes ou des groupes qui se sentent visés » par ses propos,
ou qui « sont réellement impliqués dans des agendas qui ne sont
pas […] dans l’intérêt du pays », critiques qu’il image également par
« des sardines éblouies par la lumière d’un chalutier » que
constituerait son opuscule.11
Dans le registre plutôt toxique, le recours de Bensâada à
usurper l’identité de son frère, tué dans la sale guerre des années

Page 20
Du complotisme en flagrant délire

– dans sa tête – avec celle-ci. Il picore donc sélectivement les


données jusqu’à ce qu’elles s’ajustent à sa théorie. L’imperméabilité
à la preuve contraire accompagnée d’une surinterprétation des
preuves en sa faveur constituent sa méthode.
Illustrons d’abord avec quelques exemples la cueillette de
données par Bensâada. Par cueillette, on entend l’acte de
sélectionner délibérément des données qui crédibiliseraient la
conspiration, tout en ignorant celles qui soutiendraient le contraire.
Bensâada dénature le parcours académique de Lahouari Addi
pour en faire, par le raisonnement fallacieux de la culpabilité par
association, un traitre au service de visées subversives américaines
contre son pays.26 Pourtant, on trouve sur la toile maintes
déclarations de Addi pour « protéger le pays contre les visées néo-
colonialistes et impérialistes »,27 contre « l’impérialisme
occidental »,28 ainsi que pour la cause palestinienne.29 Bensâada
passe sous silence ces données qui ne vont pas dans son sens.
Par un jeu d’informations incomplètes et d’insinuations,
Bensâada tisse également autour des participations de Mustapha
Bouachachi et Zoubida Assoul à des conférences à l’étranger une
trame où ils seraient des traitres en connivence avec les USA en
vue de changer le régime en Algérie.30 Ici aussi Bensâada omet de
rapporter les positions de Bouchachi qui s’est exprimé maintes fois
contre l’ingérence étrangère dans nos affaires.31 Commentant le
41ème vendredi du hirak, Bouchachi a affirmé, par exemple :
C’est une affaire interne à l’Algérie que nous allons régler entre nous.
[…] Jamais un pays étranger n’a aidé un peuple pour une véritable
transition démocratique. […] C’est le système qui a essayé de donner
des rapports à des pays étrangers, qui a commencé à exposer la
situation algérienne à l’étranger. […] C’est une question de principe.
Pourquoi ? Parce que, je ne crois pas qu’une intervention étrangère
aide à aller vers la démocratie. Au contraire nous avons vu que dans
beaucoup de pays de la région, l’intervention étrangère a mis en
échec les révolutions.32

Assoul a quant à elle aussi déclaré publiquement que « la


solution est algéro-algérienne »,33 et que « c’est le pouvoir qui a
internationalisé les questions internes ».34

35
Introduction

travaillent en profondeur les sociétés arabes. Selon Ventura, le


grand public occidental a perçu ces révoltes non seulement comme
des « tentatives de se moderniser mais aussi de sauter dans le
repère et système de valeurs occidentaux ».17
Shihadeh a observé avec justesse que :
De telles représentations orientalistes ont également un écho dans
l'auto-orientalisation chez certains Arabes et musulmans eux-mêmes,
qui […] ne croient pas au pouvoir du peuple arabe de forger sa
propre histoire. Leur histoire doit être façonnée par d'autres, et cela à
cause de leur faiblesse, ou bien de la puissance de l'Occident et sa
technologie. Ainsi, les révolutions dans le monde arabe, selon ce
point de vue, ne sont que la création de l'Occident (Etats-Unis,
Europe et Israël).

On peut voir ici comment un tel orientalisme et un tel auto-


orientalisme reflètent une théorie du complot, en particulier lorsque
la théorie du complot ne remet pas en cause le récit officiel, mais le
confirme plutôt et lui apporte son soutien. Ce qu'une telle théorie du
complot, semblable à l'orientalisme, met en lumière pour moi, ce sont
deux choses : l’absence de preuves claires de tels raisonnements d'une
part, et la négligence de preuves qui leur sont contraires, d'autre part.
Il est fait fi des nombreux exemples de l'histoire, qui montrent
l'agentivité des Arabes dans le défi de l'hégémonie étrangère et de ses
compradors locaux, comme cela s’est produit en Palestine, au Liban,
en Egypte, en Algérie, en Irak et ailleurs.18

La critique postcoloniale du discours occidental sur le


« printemps arabe » montre amplement que la théorie du complot
tenue par Bensâada est en fait une réplique calquée d’un discours
orientaliste qui dépouille les citoyens de notre région, dont les
Algériens, de leur agentivité pour les réifier en objets de l’histoire
occidentale. S’ils se révoltent par la force contre les régimes
vassaux de l’impérialisme occidental, ce sont de violents terroristes
incapables de civilisation, s’ils le font par la non-violence, ce sont
des parodistes ou des pantins de l’Occident, et enfin s’ils
demeurent passifs, ils restent les orientaux amorphes et torpides,
incapables d’initiative historique, égarés dans le fond sur lequel
continue de progresser l’histoire de l’Occident.
L’oppression n’est une prophétie auto-réalisatrice de
l’impouvoir que si on lui succombe. Le peuple algérien refuse de

Page 22
Introduction

capituler au néocolonialisme historique et mental qui voudrait


l’emmurer dans l’engrenage de l’impuissance et du désespoir.
Le hirak initié en 2019 est un haut-le-corps national contre « le
collège des profiteurs chamarrés qui s’arrachent les billets de
banque sur fond d’un pays misérable » devenu « un fétu de paille
entre les mains de l’armée habilement manœuvrée par des experts
étrangers ».19 Ce mouvement inédit depuis l’indépendance, par son
ampleur et sa capacité à rassembler les Algériens, a l’ambition de
compléter la libération du territoire algérien par celle du citoyen
algérien, et l’aspiration de refonder la république en un véritable
Etat de droit.
A ceux qui prétendent soutenir le hirak mais sont « incapables
de communier avec le peuple »,20 qu’ils considèrent peut-être
moins intelligent qu’eux, les hirakiens ont déjà dit que la non-
violence est pour préserver le sang de leurs frères, mais aussi pour
protéger leur pays et leur armée contre toute intervention
étrangère. Cette non-violence a par ailleurs rehaussé l’image
internationale de l’Algérie, contrairement aux pouvoirs des
dernières décennies qui en ont fait un « fantôme géopolitique » et
qui veulent en faire, aujourd’hui, le gendarme occidental du Sahel.
A ceux qui « s’alarment à chaque pas du peuple, à chaque doute
qu’il exprime, à chaque suggestion qu’il offre »21, les hirakiens ont
déjà dit qu’ils ne souhaitent pas échanger la dépendance envers la
dictature avec la dépendance envers un « sauveur » étranger. Ils
savent que la liberté et la démocratie ne sont pas des cadeaux
parachutables par une puissance extérieure, mais ce sont des
conditions en eux. Ils savent que ce qui libère intérieurement les
opprimés, c’est le processus transformationnel de leur propre lutte.

« ‫عسكرية‬ ‫ مشي‬،‫» دولة مدنية‬


« ‫ابخلارج‬ ‫» عيب عليكم االستقواء‬

23
Du complotisme en flagrant délire

principalement dans les hydrocarbures.56 Si avant 2001, le régime


coopérait déjà avec la CIA, la NSA et le FBI, dans le cadre de la
lutte contre le terrorisme, septembre 2001 verra le régime
s’impliquer dans la coalition internationale dirigée par les USA et
s’enfoncer par des accords bilatéraux dans une vassalité militaire et
sécuritaire certaine. Le nom de l’Algérie sera trainé dans la boue
comme prestataire de la torture dans le cadre du programme
« Extraordinary Rendition » par lequel les Américains sous-traitaient
la torture à des pays inféodés.57 On apprendra en 2005 qu’une
antenne de renseignements américains et français (Alliance Base)
s’était installée sur le sol algérien probablement dès 2002.58 La
position critique des Algériens vis-à-vis de l’OTAN pour son rôle
dans la guerre de libération n’empêchera pas Bouteflika de visiter
le quartier général de l’OTAN en 2001 et 2002, et d’inscrire le pays
dans l’architecture sécuritaire « Dialogue Méditerranéen » de
l’OTAN.59 Des rencontres ainsi que des exercices militaires
conjoints avec les autres partenaires de cette structure, dont
l’Egypte, Israël et la Jordanie, suivront. Le régime enrôlera aussi le
pays dans une seconde structure sécuritaire américaine, cette fois
au Sud dans le Sahel.60 Le Commandement des Etats-Unis pour
l’Afrique (AFRICOM) entretient une coopération militaire et
sécuritaire étroite avec le régime, qui inclurait le survol et la
photographie du territoire, le renseignement, la formation, et peut-
être même la présence intermittente de troupes sur le territoire.61
Sur le plan diplomatique, le printemps arabe a vu notamment la
diplomatie algérienne sombrer à son plus bas niveau, avec
incompétence et désengagement des affaires libyennes par
exemple, ainsi que des alliances avec des dictatures régionales pour
se soutenir mutuellement et écraser les aspirations démocratiques
des peuples de la région. La stature internationale et la projection
de la puissance régionale de l’Algérie n’ont jamais été aussi faibles
que durant cette dernière décennie.
Pourquoi donc l’administration de Trump aurait-elle voulu
changer un régime aussi illégitime que docile, qu’elle savait après
l’AVC de Bouteflika entre les mains d’une oligarchie mafieuse dont
une partie est en prison, c’est-à-dire un régime vulnérable aux
pressions et aux chantages dont sont friands les grandes
puissances, pour un régime islamiste ou démocratique ? Bensâada

41
Introduction

Melbourne University Press, Melbourne 2014; Govand Khalid Azeez, ‘The Thingified
Subject’s Resistance in the Middle East’, Middle East Critique, Vol. 24 (2015) pp. 119–135;
Govand Khalid Azeez, ‘The Oriental Rebel in Western History’, Arab Studies Quarterly,
Vol. 18 (2015) pp. 244–263; Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, ‘Neo-
Orientalism and the e-Revolutionary: Self-Representation and the Post-Arab Spring’,
Middle East Law and Governance, Vol. 7 (2015) pp. 120-131; Stefan Borg, ‘The Arab
Uprisings, the Liberal Civilizing Narrative and the Problem of Orientalism’, Middle East
Critique, Vol. 25 (2016) 211–227; Billie Jeanne Brownlee et Maziyar Ghiabi, ‘Passive,
Silent and Revolutionary: The ‘Arab Spring’ Revisited’, Middle East Critique, Vol. 25
(2016) 299-316; Lorella Ventura, ‘The “Arab Spring” and Orientalist Stereotypes: The
Role of Orientalism in the Narration of the Revolts in the Arab World’, Interventions, Vol.
19 (2017) pp. 282-297; Imed Ben Labidi, ‘On naming Arab revolutions and oppositional
media narratives’, International Journal of Cultural Studies, Vol. 22 (2018) pp. 450-464; Hanen
Keskes et Alexander P. Martin, ‘Orientalism and binary discursive representations of
Tunisia’s democratization: the need for a “continuity and change” paradigm’, British
Journal of Middle Eastern Studies, 2018, 1–20, https://doi.org/10.1080/13530194.2018.1544481 .
14 Roula Khalaf, ‘US non-violence centre trained Egypt activists’, Financial Times,
15 February 2011; Sheryl Gay Stolberg, ‘Shy U.S. Intellectual Created Playbook Used in a
Revolution’, New York Times, 16 February 2011; Tina Rosenberg, ‘What Egypt Learned
From the Students Who Overthrew Milosevic’, Foreign Policy, 17 February 2011; Gabriel
Carlyle, ‘Revolutionary Homework’, Peace News Info, Issue 2534, June 2011. Evidemment,
il existe une vaste littérature dès 2001 sur l’implication américaine dans les révolutions de
couleur en Eurasie.
15Edward Said, Orientalism, Penguin Books, London 2003¸Ibid Ventura; Steven Salaita,
‘Corporate American media coverage of Arab revolutions: the contradictory message of
modernity’, Interface, Vol. 4 (2012) pp-131-145.
16 Ibid 14.
17 Ibid Ventura.
18Magid Shihade, ‘On the Difficulty in Predicting and Understanding the Arab Spring:
Orientalism, Euro-Centrism, and Modernity’, International Journal of Peace Studies, Vol. 17
(2012) pp. 57-70.
19 Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre, Editions ENAG, Alger 1987.
20 Paulo Freire. Pedagogy of the Oppressed. Penguin, London 2017.
21 Ibid.

25
Youcef Bedjaoui

fantaisie du lecteur la charge d’imaginer comment relier les


pointillés et combler les silences, ce qui a pour vertu complotiste
de décourager toute contre-argumentation, ou du moins la rendre
épineuse.81
Toujours dans le registre de la pseudo rationalité, Bensâada fait
un usage illégitime des références. L’usage du référencement
distingue pour le profane l’article journalistique de l’article
académique. Certains complotistes en abusent pour rendre crédible
leurs affirmations, tirant parti du fait que peu de gens fouillent les
sources. Bensâada abuse de l’auto-référencement ; plus de 12 par
comptage sommaire. Par exemple, quand il allègue que « Saâd
Eddine Ibrahim est très impliqué dans le printemps égyptien », le
lecteur non averti croirait que ce serait une vérité universelle, mais
la source (22) est un de ses propres polars. Quand, il précise que
« le RAJ est une des organisations les plus financées par la NED »,
la source (40) renvoie à ses propres textes listés sous les références
10 et 35. Quand on consulte la référence 35, « Belalloufi, le RAJ et
l'importation de la démocratie », il n’y a nulle donnée étayant, ou
même mentionnant, que RAJ serait « une des organisations les plus
financées par la NED ». Quant à la référence 10, « Huit ans après :
la “printanisation” de l’Algérie », il y est mentionné que « RAJ a
bénéficié d’un financement de 25 000$ de la NED en 2011 » mais
on n’y trouve nulle trace de données comparatives entre RAJ et
d’autres ONG étrangères montrant que « RAJ est une des
organisations les plus financées par la NED ». Autre type d’abus,
quand Bensâada mentionne Rachad, il puise la définition du
mouvement non pas sur le site web de Rachad mais sur celui de
Maghreb Intelligence (note 121), un site largement associé aux
services de renseignements marocains.
Si la semblance de rigueur académique de Bensâada s’écroule au
moindre examen minutieux, il en va de même pour son simulacre
d’équité ou de fairplay. D’un côté, il semble admettre qu’il est
immoral de s’attaquer à un prisonnier incapable de se défendre,
quand il dit « étant donné la situation actuelle de Karim Tabbou
(emprisonné et en attente d'un procès), il serait inconvenant de
traiter de son cas dans ce contexte. Seuls les faits de notoriété
publique seront cités. »82 Mais de l’autre, il mentionne Tabbou dans

Page 46
DU COMPLOTISME EN FLAGRANT DELIRE

Décryptage de l’opuscule de Bensâada sur le hirak

Youcef Bedjaoui

1. Complot, théorie du complot et complotisme ............................ 28


2. Un échantillon de vices de raisonnement dans les textes de
Bensâada ........................................................................................ 29
2.1. L’incohérence ........................................................................................ 30
2.2. Ajuster les données pour confirmer la théorie .................................34
2.3. Paréidolie et déterminisme conspirationnel ......................................42
2.4. Fragments de leurres ............................................................................45
3. Le complotisme comme propagande contre le hirak ................. 47

Je viens de finir ma lecture de « Qui sont ces ténors auto-proclamés du


Hirak ? », d’Ahmed Bensâada.1 Rien de surprenant. J’ai déjà eu à
parcourir quelques-uns de ses insipides « polars » sur les révoltes
populaires dans le monde arabe durant la dernière décennie. Ce qui
me semble intéressant de faire de cette lecture ici, c’est d’exposer
aux jeunes du hirak comment cogite un complotiste.
Pour ce faire, je vais d’abord éclaircir les différences entre
complot, théorie du complot, et complotisme. Ensuite je
démontrerai comment le texte de Bensâada exhibe les vices connus
du raisonnement complotiste. S’ensuivra après un bref rappel de la
place du complotisme dans notre culture politique, et une lecture
Du complotisme en flagrant délire

En complotiste qui s’ignore, Bensâada ne semble pas avoir


réfléchi au lien entre les théories du complot et la violence.
Plusieurs études confirment l’existence d’une corrélation entre le
complotisme et la violence.108 Au Canada ou en Europe son polar
ne pose pas de problème si ce n’est le contenu diffamatoire envers
ses comploteurs présumés. Mais en Algérie, où l’extrémisme
politique est endémique et où la police politique compte des
barbouzes rompus à tous les sales coups, ceux qu’il a désignés
comme traitres présumés courent un vrai risque sécuritaire. Il reste
à espérer que le fleuve du hirak suivra son cours non-violent, non-
violence suspecte aux yeux de Bensâada, jusqu’à l’Etat de droit
auquel tout un peuple aspire.
Bensâada n’aura alors qu’à combler, devant une cour de justice,
l’abysse de preuves à fournir, entre les maigres données qu’il
présente dans son livre et les graves accusations qu’il porte, faute
de quoi il devra assumer pénalement le préjudice qu’il a si
légèrement causé à des concitoyens.109

Remerciements : Je tiens à exprimer ma gratitude à Fadila B,


qui a acheté le livre de Bensâada et me l’a envoyé par courrier
express avec sa maigre retraite mensuelle, comme contribution à
défendre le hirak.

Notes de référence

1 Ahmed Bensâada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, Éditions Apic, Alger 2020.
2 Voir son site www.ahmedbensaada.com .
3 Par exemple : K. Harris, ‘What’s Epistemically Wrong with Conspiracy Theorising’,
Royal Institute of Philosophy Supplement, Vol 84 (2018) pp 235-257; Voir aussi le numéro
spécial de la revue de philosophie Argumenta, Issue 6 (2018), dédié aux théories du
complot ; K. M. Douglas, J. E. Uscinski, R. M. Sutton, A. Cichocka, T. Nefes, C. S. Ang
et F. Deravi, ‘Understanding Conspiracy Theories’, Advances in Political Psychology, Vol. 40
(2019) pp 3-35 ; S. Radnitz et P. Underwood, 'Is Belief in Conspiracy Theories
Pathological? A Survey Experiment on the Cognitive Roots of Extreme Suspicion', British
Journal of Political Science, Vol. 47 (2015) pp 113-129.

51
Du complotisme en flagrant délire

conspiration, hypothèse qui pourrait être corroborée ou réfutée.


Cependant, dans les sciences humaines, « théorie du complot » est
un concept généralement dépréciatif qui dénote que la conjecture
de l’existence d’une conspiration se fait sur une base irrationnelle.3,4
Cet irrationnel inclut, entre autres, une logique fallacieuse souvent
circulaire, une suspicion infondée envers les sources qui
affaiblissent la théorie couplée à une crédulité béate envers celles
qui la renforceraient, une imperméabilité à la preuve contraire
accompagnée d’une surinterprétation des preuves en sa faveur,
l’autocontradiction, et une paréidolie politique qui projette des
relations et des causalités fictives et suspectes sur les évènements
sans laisser place à la corrélation acausale, au hasard ou la
coïncidence.5
Le complotisme est
donc une mentalité qui
présente ces vices de
raisonnement, sur la base
desquels le complotiste
croit ou promeut son
crédo que des événements
politiques majeurs
résultent d'une conspiration
Source: Lewandowsky et Cook, op. cit.
entre des parties puissantes
intéressées. A noter enfin
que souvent le complotiste se sent à la fois victime, du complot
qu’il croit voir, et héros, à la trousse des méchants conspirateurs
que sa théorie dévoilerait.6

2. Un échantillon de vices de raisonnement dans les


textes de Bensâada

Le complotisme réduit l’histoire à une succession de complots.


Comme le fait Bensâada quand il écrit que « la lutte non violente
qui se déroule actuellement dans les rues de notre pays ne
représente qu’un continuum qui a débuté par les ‘révolutions
colorées’ et qui s’est poursuivi par le ‘printemps’ arabe. Il s’agit de
ce que j’ai nommé la ‘printanisation’ de l’Algérie ».7

29
Youcef Bedjaoui

Enoncée succinctement, la théorie du complot de Bensâada,


telle que développée dans son opuscule, prétend que Lahouari
Addi, Mostefa Bouchachi, Zoubida Assoul, Karim Tabbou, et des
dirigeants ex-FIS de Rachad, « ténors autoproclamés » d’un hirak
dévoyé, feraient partie d’un complot fomenté contre l’Algérie, par
l’administration américaine, qui consisterait à installer des
islamistes à la tête du pays.8 C’est une variante de celle qu’il brode
dans « Huit ans après : la “printanisation” de l’Algérie »,9 dernier
épisode d’une série complotiste qu’il a produit au gré des révoltes
populaires dans notre région depuis 2011.10
Physicien de formation, Bensâada ne ménage aucun effort pour
présenter ses théories comme des constructions objectives, étayées
par des détails factuels, des sources méticuleusement identifiées, et
une argumentation dans un langage calculé pour les rendre aussi
plausibles et persuasives que possible. Comme on va le voir, le
problème n’est pas avec les outils rationnels que Bensâada possède
assurément, mais avec la psyché ou l’idéologie ou les deux – une
sorte de « pensée magique » selon Franks et al.11 – qui introduisent
des biais cognitifs et de raisonnement.
Voyons tour à tour des exemples d’autocontradiction, de
surinterprétation des preuves, de paréidolie, et de vices divers de
raisonnement.

2.1. L’incohérence

Les complotistes étalent souvent une attention intellectuelle


incohérente dans la mesure où ils ne l’appliquent pas à la
possibilité que leur raisonnement soit biaisé ou erroné. Deux
exemples, parmi le tas que j’ai relevé, suffiront.
Une théorie du complot repose sur l’attribution d’un pouvoir
disproportionné à un groupe de comploteurs. Qu’il s’agisse de sa
théorie sur le « printemps avorté de 2011 »12 ou celle sur le hirak en
cours, Bensâada propose une collusion entre des Algériens, qu’il
cite nommément, d’une part, et une partie américaine qui agit à
travers la NED mais qu’il ne nomme jamais, pour des raisons que
seul lui sait, d’autre part.

Page 30
Du complotisme en flagrant délire

92 Jodi Dean, Aliens in America: Conspiracy Cultures from Outerspace to Cyberspace, Cornell
University Press, Ithaca 1998; Luc Boltanski, Mysteries and Conspiracies: Detective
Stories, Spy Novels and the Making of Modern Societies, Polity Press, Cambridge 2014;
Harry G. West and Todd Sanders (eds), Transparency and Conspiracy: Ethnographies of
Suspicion in the New World Order, Duke University Press, Durham 2003; Stef Aupers,
‘"Trust no one": Modernization, paranoia and conspiracy culture’, European Journal of
Communication, Vol. 27 (2012) pp. 22–34; Gordon B. Arnold, Conspiracy Theory in Film,
Television, and Politics, Praeger, Westport 2008; Alfred Moore, ‘Conspiracies, Conspiracy
Theories and Democracy’, Political Studies Review, Vol. 16 (2018) pp 2-12.
93Jesse Walker, The United States of Paranoia: A Conspiracy Theory, Harper Collins, New
York 2013.
94 Gray, op. cit., p 40.
95 Gray, op. cit., pp 88-117 ; Voir aussi notes 78 et 91.
96Gray, op. cit., p. 39, 99, 149, 168 ; Jan-Willem van Prooijen, ‘Empowerment as a Tool
to Reduce Belief in Conspiracy Theories’, in Joseph E. Uscinski (ed.), Conspiracy Theories
and the People Who Believe Them, Oxford University Press, Oxford 2018.
97Joseph E. Uscinski, ‘The Study of Conspiracy Theories’, Argumenta, Issue 6 (2018) pp
1-13.
98 Gray, op. cit., pp 118-140.
99 Lewandowsky et Cook, op. cit.
100 Ibid.
101‘Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ?: Un livre-enquête signé
Ahmed Bensaada’, El-Moudjahid, 2 juin 2020 ; ‘« Qui sont ces ténors autoproclamés du
Hirak algérien ? », un livre-enquête signé A. Bensaada’, Algérie Presse Service, 7 Juin 2020
102 Canal Algérie, 26 mai 2020 ; Radio Chaine 3, 6 juin 2020.
103‘Vient de paraître : « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? »
d’Ahmed Bensaada’, Afrique-Asie, 5 juin 2020
104Voir par exemple Courrier d’Algérie, 9 juin 2020 ; ExpressDz, 23 juin 2020 ; ReporterDz,
22 juin 2020, L’Expression, 7, 9, 16 et 21 juin 2020.
105 https://www.youtube.com/watch?v=YnxAyn7CKkE ; ‘Le témoignage controversé
de l’universitaire Maougal sur le mouvement du Hirak’, Dernières Infos d'Algérie, 26 mai
2020.
106 ‘Mohamed Bouhamidi, professeur de philosophie : « Des ONG internationales
tentent d’orienter le Hirak pour instaurer le chaos »’, El Moudjahid, 27 mai 2020.
107Voir note 14 ; Syrine Attia, ‘Algérie : quelles sont les « parties étrangères » que Gaïd
Salah accuse de « déstabiliser le pays »’, Jeune Afrique, 11 avril 2019.

57
Youcef Bedjaoui

que Djilali s’était rangé à la solution imposée par le régime militaire


au hirak quelques semaines avant que son opuscule ne soit publié ?
Clairement, Bensâada maitrise mal ses scénarios pour les
comploteurs, mais passons à la seconde incohérence, bien plus
grave.
Comme on l’a vu plus haut, Bensâada considère que le hirak
non-violent qui se déroule actuellement s’inscrit dans un
« continuum » rattaché au « printemps arabe » lui-même étendant
les « révolutions colorées ».17 Un crédo qu’il répète maintes fois,
comme dans cet interview à l’Expression :
Le mouvement de protestation qui touche actuellement l’Algérie
n’est pas différent de ceux qu’ont connus certains pays arabes en
2010-2011. Il s’agit d’un prolongement du mal nommé ‘printemps’
arabe qui a causé le chaos dans nombre de pays arabes comme je l’ai
expliqué dans différents articles et interviews.18

Pourtant son opuscule commence par une page où il semble


louer le hirak.19 Cette page ressemble à une « mention légale », à
une décharge de responsabilité, à des mots ampoulés pour faire
bonne figure, vu que dans le reste du livre il déploie ses efforts à
arguer que le hirak est un spécimen de révolution de couleur, le
même thème qu’il a rabâché durant la dernière décennie sur les
révoltes arabes plutôt qu’à les rechercher, documenter et analyser
du point de vue des forces sociales cherchant à s’émanciper des
dictatures.
Ce qui semblait une « mention légale » dans son opuscule a
dégénéré en dérive ou ajustement de sa thèse complotiste plus
récemment. Par exemple, il dit maintenant que « certains
organismes étrangers veulent dévier le hirak de sa trajectoire »,20 ce
qui présuppose qu’un hirak authentique existe. Or, pour rappel,
Bensâada disait en mai 2019 que les contestations n’étaient pas
spontanées, que la non-violence du hirak était importée, qu’il
n’était pas naturel que les Algériens offrent des fleurs aux forces de
l’ordre, qu’ils nettoient les rues après les marches, qu’ils utilisent
l’humour et le sarcasme, et que ses slogans étaient importés.21 Il
concluait même en disant :

Page 32
Youcef Bedjaoui

Le mouvement de protestation qui touche actuellement l’Algérie


n’est pas différent de ceux qu’ont connus certains pays arabes en
2010-2011. Il s’agit d’un prolongement du mal nommé « printemps »
arabe qui a causé le chaos dans nombre de pays arabes comme je l’ai
expliqué dans différents articles et interviews.10

Dans la seconde prémisse, il rapporte le « printemps arabe » aux


révolutions de couleur, en invoquant un

continuum de « régime change » soft, utilisant l’idéologie de la non-


violence, qui a balayé des pays pour les extirper du giron russe et qui,
ensuite, s’est étendu à la région MENA […] pour d’autres objectifs
géopolitiques.11

Le « regime change » visé par le perpétuement des « révolutions


colorées », qu’ourdirait l’administration américaine dans la région
MENA, consisterait, d’après Bensâada, à installer des islamistes à
la tête des pays de la région.12

Dans « Complotisme en flagrant délire », il a été montré que


Bensâada étaye sa théorie avec un amalgame d’arguments
irrecevables et de données dont certaines sont fictives mais
d’autres sont factuelles quoiqu’incomplètes et éparses. Ce sont ces
dernières qui, une fois débarrassées de la gangue complotiste dans
lesquelles elles sont formulées, confèrent, pour certains, une vague
plausibilité à cette théorie. Dans le cas de l’Algérie ces données
sont divisibles en trois groupes. Le premier concerne les
similitudes dans les formes de protestation entre le hirak algérien et
les révolutions de couleur ; Bensâada cite en particulier la non-
violence, l’humour, la fraternisation avec les forces de l’ordre, le
nettoyage des rues après les manifestations, et l’usage du poing
d’Otpor.13 Le second groupe concerne des liens présumés de
formation d’activistes algériens par des vétérans d’Otpor.14 Le
troisième porte sur les financements par la National Endowment
for Democracy (NED).15 Ce dernier argumentaire a déjà été traité
dans « Complotisme en flagrant délire », et ne sera donc pas
discuté ici.

On va voir que la théorie de Bensâada et ses justifications


partent d’une compréhension approximative des révolutions de

Page 62
Youcef Bedjaoui

Le fait est que la majorité du peuple algérien était contre la


feuille de route imposée par le commandement militaire, comme
l’indique le taux de participation à la présidentielle du 12 décembre
2019 et les manifestations contre sa tenue. Le hirak n’est certes pas
homogène, une partie des manifestants a cessé d’activer après le
départ de Bouteflika, mais il a démontré une continuité robuste
dans la participation, les formes de protestation non-violentes, et
les revendications qui discréditent l’assertion qu’il y aurait eu au
départ un hirak béni qui se serait ensuite dégradé en révolution de
couleur contrôlée par les Américains. Toujours est-il que la thèse
première de Bensâada contredit ce séquencement, le hirak ayant
commencé, selon lui, en révolution colorée, comme ailleurs dans le
monde arabe.
Comment Bensâada réconcilie ses positions reste un mystère,
mais on pourrait penser au doublethink de George Orwell, la double
pensée idéologique qui rend possible l’acceptation simultanée de
croyances contradictoires. Il ne semble pas avoir pris la peine de
réfléchir à ce qui constitue l’identité d’une révolution, ou l’identité
d’un objet tout court. En tous cas, ses positions dérogent au
principe de cohérence sans lequel il ne peut prétendre démontrer
quoi que ce soit.

2.2. Ajuster les données pour confirmer la théorie

Un scientifique compétent est rompu à la question de savoir si les


données dont il dispose sont en accord avec sa théorie. Il s’assure
d’abord que ses données sont complètes et fiables, puis il identifie
les théories alternatives qui pourraient rendre compte de ces
données, ensuite il élimine les théories qui contredisent les
données, pour enfin choisir la théorie adéquate, choix qui pourrait
se faire sur la base de critères quantitatifs, épistémiques ou
esthétiques si plusieurs théories survivent à la confrontation aux
données. Même s’il préfère une théorie à une rivale, il reste disposé
à réduire son degré de croyance dans sa théorie favorite, et même à
la rejeter, quand des données la contredisant lui parviennent.
Quant au complotiste, il opère selon une logique inverse. Il part
avec une croyance dure comme fer dans sa théorie, puis il cueille et
« corrige » ses données jusqu’à ce qu’elles soient en parfait accord

Page 34
Aberrations chromatiques

Ce « modèle électoral » de changement de régime n’est pas né


avec la révolution des bulldozers en Serbie. En fait sa genèse
remonte au changement de régime aux Philippines en 1986 et au
Chili en 1988, tout comme il a été utilisé au Nicaragua en 1990
contre les Sandinistes.31 Il a été peaufiné et adapté à l’Europe, dans
des élections charnières en Bulgarie, en Roumanie, en Slovaquie et
en Croatie entre 1997 et 2000, avant d’être appliqué en Eurasie.32

Le dernier « succès » de ce modèle remonte à 2005. En plus des


pays listés dans la table, il a été mis en échec aux élections
présidentielles de 2009 en Iran.33 Les régimes hybrides maitrisent
de plus en plus les stratégies préventives, offensives et répressives
pour mettre en échec le « modèle électoral » de changement de
régime.34

4. Révolutions de couleur, « printemps arabe » et hirak


algérien : La Confusion des genres chez Bensâada
La comparaison en sciences sociales permet de dégager des
régularités générales partagées entre les objets analysés mais aussi
de cerner les particularités propres qui les distinguent. C’est un
examen de ressemblances et de dissemblances qui doit se faire avec
une attention particulière au réductionnisme ainsi qu’au risque que
la norme de comparaison choisie par le comparateur relève d’un
choix normatif qui juge le comparé, ou, pire, le délégitimise.

La comparaison que fait Bensâada entre les révolutions de


couleur, d’une part, et le « printemps arabe » et le hirak algérien,
d’autre part, pose deux problèmes. Elle est unijambiste, par sa
quête exclusive de la similitude, et intéressée politiquement par le
choix des révolutions de couleur, plutôt que d’autres exemples
révolutionnaires, comme aune de comparaison. Si ce dernier aspect
sera discuté dans la conclusion, ici on présupposera qu’il est fondé
de choisir les révolutions électorales comme la référence de
comparaison, et on va tenter de faire la comparaison selon
plusieurs variables, comme le cadre temporel, le contexte, les
évènements déclencheurs, et quelques aspects concernant les
acteurs et les processus. Ce n’est pas un exercice systématique, il

67
Youcef Bedjaoui

Bensâada a chargé Karim Tabbou de connivence avec


l’administration américaine pour renverser le régime sur la seule
base d’avoir rencontré les comploteurs présumés à l’occasion de
débats sur la chaine Al Magharibia et par l’artifice de la culpabilité
par association avec Addi, Zitout, Alkarama et Rachad.35 Là aussi
Bensâada ne cueille que les données qu’il croit aller dans son sens
puisqu’il fait abstraction du fait que Tabbou a toujours été contre
l’ingérence étrangère, considérant que « le pouvoir est la seule main
de l’étranger en Algérie ».36 Bensâada omet le contenu largement
disséminé de la plaidoirie de Tabbou en mars dernier. Comparant
sa situation à un « otage palestinien » ; il a dit : « Quand le chef
d’état-major nous accuse d’être des égarés et des agents de
l’étranger, je suis dans l’obligation de me dresser contre lui et de lui
répondre ! Je fais de la non-ingérence de l’armée dans les affaires
politiques un principe cardinal dans mon engagement politique. »37
Contrairement aux autres comploteurs présumés, Bensâada ne
déploie aucun effort pour tirer par les cheveux des données qui
incrimineraient Alkarama et Rachad dans une trahison contre
l’Algérie de mèche avec les USA, peut-être parce que son
datamining n’a rien rapporté qui irait dans le sens de son intrigue,
ou simplement qu’il a tellement intériorisé la diabolisation de ce
qui a trait à l’Islam politique qu’il croit que ses lecteurs partagent
ses aprioris. Alkarama et Rachad ne sont donc incriminés dans le
complot américain de changement de régime que par simple
association avec les autres. Une rapide recherche sur le web
montre qu’Alkarama n’a pas été en odeur de sainteté chez les
différentes administrations américaines pour ses rapports, par
exemple, sur la torture à Guantanamo38 ou en Irak39, ou pour son
rapport envoyé aux Nations Unies sur les tueries US de civils avec
des drones au Yémen.40 Les dénonciations des violations des droits
de l’homme dans les pays alliés des US dans la région va dans le
même sens.41 Quant à Rachad, ses dirigeants n’ont pas mis les
pieds aux USA depuis plus de vingt ans, ils se prononcent depuis
sa création en 2007 contre le changement par la violence ou
l’intervention étrangère, contre la présence militaire américaine
dans notre pays et son voisinage, et soutiennent ouvertement la
cause palestinienne.42

Page 36
Youcef Bedjaoui

revendications des révolutions de couleur ou du « printemps


arabe ».

Les révolutions de couleur ont été soutenues et stimulées par


une couverture médiatique occidentale aussi intense que favorable.
Dans les soulèvements MENA, cette médiatisation a été plutôt
retenue et mitigée et c’est la chaine Al Jazeera qui les a facilitées et
accélérées.40 Le hirak algérien depuis 2019, lui, n’a bénéficié ni de
l’une ni de l’autre. L’activisme sur la toile a été utilisé comme outil
de mobilisation lors des révolutions électorales, mais Facebook et
Twitter étaient pas ou peu disponibles lors des révolutions de
couleur abouties, alors que lors du « printemps arabe » et du hirak
algérien, les activistes et les faiseurs d’opinion en ont fait un grand
usage comme moyen de mobilisation ou pour produire du contenu
critique des régimes.41 Les réseaux sociaux y ont été des
instruments notables de mobilisation mais c’est incontestablement
la chaine Al Jazeera qui, en informant la majorité des citoyens de la
région au sujet de la cascade de soulèvements, a joué un rôle
majeur dans la facilitation de la mobilisation et la protestation dans
la rue.42 Quant au hirak algérien, si la couverture par Al Jazeera a
été timide mais équilibrée jusqu’à la démission de Bouteflika, elle
est par contre devenue franchement biaisée en faveur du régime
depuis.

Si on compare maintenant la variable posture occidentale aux


deux classes d’évènements, la disparité est on ne peut plus claire.
Dans un cas, le soutien diplomatique américain et européen, dans
le cadre de « la promotion de la démocratie », aux révolutions de
couleur qu’ils ont contribué à organiser est résolu et strident. Dans
le cas du « printemps arabe », contrairement aux divagations de
Bensâada, ni le staff d’Obama, ni les experts universitaires, les
agences de renseignement ou les diplomates affectés dans la région
n’ont anticipé les soulèvements du printemps arabe.43 Selon Jason
Brownlee la position initiale de l’administration US était :

D’exhorter au calme – et par implication à un retour au statu quo


antidémocratique – mais si les forces de l'opposition destituaient le
leader, les responsables américains vanteraient la victoire comme s’ils
avaient toujours cherché un changement démocratique. Jusqu'à ce

Page 72
Youcef Bedjaoui

remerciements publics du collectif des familles des disparus ou des


associations de femmes à la NED pour le financement de leurs
activités.46 Tronquer ces données factuelles sur le maillage de la
société puis insinuer que les financements par la NED des ONG
qu’il cite se faisaient à l’insu des autorités illustre encore une fois
son picorage des données pour les ajuster à sa théorie.
La seconde remarque qui s’impose est que les Américains
financent d’autres ONG que celles que Bensâada implique dans
son complot présumé. Par exemple, il mentionne accessoirement
lui-même le financement de l'association Djazairouna par la NED
quand il fait citer sa présidente, Cherifa Kheddar, contre
Bouchachi et l’islamisme.47 Le site de l’ambassade US en Algérie
fournit d’amples informations sur la façon d’obtenir des
subventions, dans le cadre de la Middle East Partnership Initiative
(MEPI), pour des « projets qui construisent des ponts entre et
parmi les citoyens, la société civile, le gouvernement et le secteur
privé »,48 projets qui « s'alignent sur les objectifs de politique
étrangère des Etats-Unis et promeuvent les intérêts américains
dans la région, améliorant la stabilité et augmentant la prospérité
dans la région MENA. »49 Sur le site du gouvernement américain
on peut lire :
Notre MEPI a soutenu le travail de la société civile algérienne à
travers une programmation qui offre une formation aux journalistes,
aux hommes d'affaires, aux femmes entrepreneurs et parlementaires,
aux professionnels du droit et aux dirigeants des principales
organisations non gouvernementales.50

Le site indique que plus de 5000 personnes ont en bénéficié. Un


zoom arrière du financement américain perfore donc la sélectivité
tendancieuse avec laquelle Bensâada a présenté ses « révélations »
des secrets de polichinelle.
Le troisième couac est qu’il ne fournit aucune donnée sur le
financement américain, des ONG qu’il accuse, depuis 2011. Et
pour cause, une loi passée en 2012, loi 12-06 relative à la
règlementation des associations en Algérie, dispose dans son article
36 qu’« en dehors des relations de coopération dûment établies, il
est interdit à l’association de recevoir des fonds provenant des
légations et organisations non gouvernementales étrangères. Ce

Page 38
Aberrations chromatiques

février 1848, ce qui déclenche une réaction en chaine qui va se


propager à toute l’Europe. En un mois, toute l’Europe, du
Portugal à la Finlande, du Monténégro au Danemark, va vivre au
rythme des soulèvements et des émeutes. Les grandes puissances,
comme la Prusse et l’Autriche, et plusieurs Etats de l’Europe
centrale et de l’Est vont céder aux contestations violentes et
instituer des changements sans précédent dans leurs
gouvernances.59 Les pays scandinaves, la Hollande et la Belgique
vont éviter de justesse ce sort grâce à des concessions
préemptives.60 Par sa multiplicité de contestations en un court laps
de temps et dans une même région, cette vague révolutionnaire
s’apparente considérablement au « printemps arabe », ce qui a
suscité également un nombre d’inter-comparaisons.61 Il existe
évidemment d’autres vagues de révolutions avant et après 1848
qu’il n’est pas pertinent de discuter ici vu leur faible recoupement
avec notre problématique.62
La dynamique par laquelle le changement politique dans un
pays se transmet de façon rapide et imprévisible à d’autres pays est
désignée par « contagion », « viralité », « émulation », « cascade »,
« débordement » ou simplement « diffusion » dans la littérature.63
Les explications structurelles des contestations en chaine des
régimes invoquent des conditions politiques et de droits de
l’homme délétères, des causes économiques, sociales et/ou
culturelles, ou des origines géopolitiques. Par exemple, le
« printemps des peuples » a été rapporté à la dépression
économique et l’aggravation du chômage urbain, et les
soulèvement MENA à la crise financière mondiale de 2007-2008.64
Le premier a aussi été expliqué par un accroissement
démographique brusque en décalage avec l’infrastructure
économique et déstabilisant les institutions existantes, et le
« printemps arabe » par le surgissement des « diplômés sans
avenir », par une poussée de la population jeune exclue du
processus politique et des institutions socio-économiques.65 Il
existe aussi des explications qui mettent en avant les
bouleversements culturels produits par la modernisation et la
similarité culturelle des pays impliqués dans la cascade
révolutionnaire.66 Dernière illustration : la vague de révolutions de

77
Youcef Bedjaoui

sur les activités d’Al Magharabia. L’alternative explicative simple à


sa théorie serait qu’un nombre croissant d’acteurs politiques et de
journalistes algériens ont assimilé les erreurs du passé, et qu’ils
veulent mettre fin aux hostilités idéologiques dont se nourrit la
dictature, pour construire ensemble une Algérie démocratique et
plurielle. Des précédents de cette volonté de transcender les
clivages (laïcs, islamistes, nationalistes) existent : San Egidio en
1994 et 1995, Genève en 2000 et 2008, et Mazafran en 2014 et
2016.
Deuxièmement, la théorie qu’en 2019 l’administration
américaine aurait déclenché une révolution de couleur en Algérie
pour mettre des islamistes au pouvoir contredit les rudiments de ce
que l’on sait sur la politique algérienne des USA. Plaçons-nous
avant le 22 février 2019. Il serait crédible d’affirmer que les
néoconservateurs américains cherchent depuis un moment à
changer le régime de Téhéran, pour dégager les islamistes du
pouvoir plutôt que de les y mettre, probablement avec des
intrigants plus discrets et à jour que les vétérans bavards de
CANVAS.54 Sinon ailleurs dans la région MENA, Donald Trump
penche depuis le début de son mandat vers l’isolationnisme, ou
contre l’interventionnisme sous prétexte démocratique ou
humanitaire, et pour le rapatriement graduel du maximum de ses
troupes, comme on l’a vu en Afghanistan, en Irak et en Syrie.55
Si l’Algérie sous Bouteflika avait renoué avec une notion
assertive de la souveraineté nationale et du nationalisme
économique, ou avait développé une politique étrangère
dynamique visant à réduire l’influence des puissances occidentales
dans notre région, à promouvoir la cause palestinienne ou à
construire un bloc naturel manquant dans ce monde multipolaire,
on pourrait à la limite imaginer un Trump en train de conspirer un
« regime change » en Algérie. Mais revisitons les relations algéro-
américaines sous Bouteflika. En 2001, un accord cadre a facilité
l’accès aux ressources pétrolières et gazières aux grandes
multinationales et a permis aux firmes américaines d’accroitre leur
part du marché algérien. Entre 2001 et 2018, le volume d’échange
entre l’Algérie et les USA s’élève à 182.9 milliards de dollars dont
25.6 milliards d’imports et 157.3 milliards d’exports,

Page 40
Youcef Bedjaoui

au Liban (« kulon yaâni kulon ») et par les protestataires New-


Yorkais exigeant la destitution de Trump (« remove them all ») l’hiver
dernier.80 Dans le registre de l’humour, dans certaines villes des
États-Unis touchées par la vague de protestations qui a secoué ce
pays, suite à la mort de George Floyd, des manifestants ont tendu
aux policiers des ficelles aux bouts desquelles étaient attachées des
doughnuts, pratique que des groupes Facebook algériens dédiés aux
mèmes ont associé aux hirakiens qui défilaient à Alger avec des
boudins de cachir attachés aux bouts de leurs cannes à pêche.81
Reste que ce discours de la marque dans les idées contestataires
n’est pas vraiment fondé, car la diffusion des idées contestataires
n’est pas un simple flux d’information entre un producteur et un
consommateur. Les activistes politiques et sociaux, qui ont le souci
d’améliorer le sort de leur pays, exercent un effort constant de
réflexion et de prospection des stratégies, des tactiques, des formes
d’organisation et de protestation, des pratiques, des compétences,
des informations, des slogans etc. susceptibles d’améliorer leurs
efficacités et celles de leurs mouvements. Cet effort d’acquisition
de know-how politique, à partir des sphères intra-nationale,
régionale et globale, n’est pas réductible à une simple
consommation d’un produit nouveau car c’est un processus
culturel complexe qui exige un discernement des contextes
culturel, légal, institutionnel et politique locaux, un mapping des
logiques d’intérêts sous-jacentes, et une capacité d’adaptation, de
modification et de légitimation des idées et des pratiques en
question.82 Ce travail culturel, intellectuel et politique, que certains
sociologues appellent vernacularisation, est créatif et novateur en
lui-même. (Voir le schéma de la diffusion dans l’annexe)
La précarité des associations à l’emporte-pièce que fait
Bensâada entre les idées contestataires des révolutions de couleur
et celles du « printemps arabe » et du hirak algérien est on ne peut
plus claire.

6. Conclusion
Cet article a été une mise à profit de quelques enseignements des
sciences politiques sur les phénomènes révolutionnaires pour
examiner la thèse de Bensâada selon laquelle le « printemps arabe »

Page 82
Youcef Bedjaoui

n’en dit mot, comme le font les complotistes qui ne prennent pas
la peine de tester leur théorie contre des données autres que celles
utilisées pour la construire.
Contrairement à ce que prétend Bensâada, le hirak algérien n’est
pas une révolution de couleur pour mettre au pouvoir des
marionnettes de l’administration Trump, mais un mouvement non-
violent pour construire un Etat de droit, fort de ses institutions
légitimes, et capable de défendre fermement les intérêts de sa
nation. Même au plus fort de la répression du régime, le hirak a
maintenu une discipline stricte de la non-violence pour préserver le
pays et l’armée contre toute intervention étrangère, tout comme il
a rejeté toute ingérence dans les affaires intérieures de l’Algérie.

2.3. Paréidolie et déterminisme conspirationnel

Sur la planète du complotisme, les coïncidences n’existent pas.


Tout arrive toujours pour une raison, et tout est toujours lié, d’une
manière ou d’une autre, à ce que l’on veut construire comme
preuve du complot.62
La paréidolie n’est pas une erreur logique ; c’est une faute de
perception. C’est percevoir des motifs dans un fond aléatoire où il
n’y en a pas. Comme un musulman fervent qui voit une arabesque
du nom divin dans un nuage qui passe, ou un gauchiste sectaire qui
voit un manège impérialiste dans la baisse de production d’acier ou
de melons.
Les complotistes se trompent et trompent par la paréidolie,
faisant voir aux gens des schémas là où il n’y en a pas.63 L’opuscule
de Bensâada est pesant de vocabulaire paréidolique. Par lecture
visuelle on dénombre au moins 17 expressions dans les 57 pages
de son texte. Il parle de coïncidences et de contraire du hasard ou
de l’anodin 8 fois,64 de traits, points ou dénominateurs communs
ou sous-jacence 6 fois,65 et de mystère 3 fois.66
Illustrons par un exemple typique la notion de coïncidences
chez Bensâada. Quand il dit : « Question coïncidences, cela en fait
pas mal ! »,67 il a en tête la concomitance de cinq évènements : a) le
décernement en 2007 d’un prix du Centre Al Kawakibi pour la
Transition Démocratique à Ali Djerri – journaliste qui a défendu le

Page 42
Du complotisme en flagrant délire

régime militaire lors de ses pires dérives – dans une cérémonie où


Mustapha Bouchachi était présent ; b) le décernement du même
prix à Saâd Eddin Ibrahim – sociologue égyptien fondateur du
Centre Ibn Khaldun pour les Etudes de Développement financé
partiellement par l’UE et la NED – durant la même cérémonie ;
c) le fait que le centre Al Kawakibi soit financé par un large
éventail de sponsors dont des organismes américains ; d) la
rencontre entre Abdelouahab Fersaoui de RAJ et Amine Ghali à
l’assemblée mondiale du World Movement for Democracy – un
réseau international d’activistes, d’universitaires et d’ONG, dirigé
par un comité directeur international tenant un secrétariat à la
NED – à Dakar en mai 2018 ; e) une répétition de cette rencontre
lors d’une conférence sur l’Algérie à Tunis en juin 2019, quatre
mois après le début du hirak.68 Malgré la disparité temporelle de
ces évènements et leurs connections causales improuvables, et en
tout cas improbables entre plusieurs d’entre eux, Bensâada y
distingue un schéma significatif additionnable à ses « preuves ».
Pour le complotiste, les coïncidences ne sont pas des évènements
concourants sans relation causale, mais des signaux venant d’un
monde magique pour le guider vers sa théorie.
Bensâada voit aussi de la coïncidence suspecte à ce que Assoul,
Djilali et Tabbou, invités par la chaine Al Magharibiya, se soient
retrouvés à Paris, cinq jours avant le 22 février, malgré que les
archives vidéo accessibles au public montrent que la station TV les
avait déjà invités ou fait intervenir sur ses ondes, avant et après
cette date.69 Il perçoit également une synchronie compromettante
(« comme par hasard »70) dans le fait qu’un vétéran d’Otpor ait
parlé du mouvement Mouwatana, bien qu’une recherche web
élémentaire montre que ce vétéran commente régulièrement sur les
soulèvements dans le monde (par exemple Les Maldives, Hong
Kong, le Soudan récemment71) et que les actions de protestation
de Mouwatana ont été largement relayées par la presse
internationale.72
Prenons maintenant une autre classe de perceptions
paréidoliques de Bensâada. Il commence par nous dire :
Tout le monde avait remarqué, bien entendu, que ces noms [Assoul,
Bouchachi, Tabbou] avaient émergé – comme par enchantement –

43
Youcef Bedjaoui

6 Giovanni Sartori, ‘Compare Why and How: Comparing, Miscomparing and the
Comparative Method’, in M. Dogan e A. Kazancigil (ed.), Comparing Nations, Basil
Blackwell, Oxford 1994, pp. 14-34.
7 Karim B. et Mohamed El-Ghazi, ‘Interview d'Ahmed Bensaada: « Le lobby sioniste est
très actif en Algérie »’, Algérie Patriotique, 28 mai 2019.
8 Ahmed Bensaada, Huit ans après : la « printanisation » de l’Algérie, 4 avril 2019.

https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=4
75:2019-04-04-22-50-13&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
9 Ibid.
10 Hocine Neffah, ‘Les Américains ont financé des ONG algériennes’, L’Expression, 2
janvier 2020.
11 Ibid.
12 Ahmed Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 66.
13 Voir les notes 7, 8 et 10.
14 Ibid.
15 Ibid ; Hocine Neffah, ‘Entretien avec Ahmed Bensaada: « Il y a une caste qui dirige ce
hirak »’, L’Expression, 21 juin 2020.
16Donnacha Ó Beacháin et Abel Polese (eds.), The Colour Revolutions in the Former Soviet
Republics: Successes and Failures, Routledge, London 2010; Valerie J. Bunce et Sharon L.
Wolchik, Defeating Authoritarian Leaders in Postcommunist Countries, Cambridge University
Press, Cambridge 2011; Lincoln A. Mitchell, The Color Revolutions, University of
Pennsylvania press, Philadelphia 2012.
17 Ibid.
18 Julia Gerlach, Color Revolutions in Eurasia, Springer, Heidelber 2014, pp. 1-56.
19 Voir les notes 16 et 18.
20Steven Levitsky et Lucan A. Way, Competitive Authoritarianism: Hybrid Regimes after the
Cold War, Cambridge University Press, Cambridge 2010.
21 Ibid.
22 Voir les notes 16 et 18.
23 Voir note 16; Olena Nikolayenko, Youth Movements and Elections in Eastern Europe,
Cambridge University Press, Cambridge 2017; Tristan Landry, ‘The Colour Revolutions
in the Rearview Mirror: Closer Than They Appear’, Canadian Slavonic Papers, Vol. 53
(2011) pp. 1-24.

Page 88
Du complotisme en flagrant délire

Par contre ce qui subvertit, aux yeux de Bensâada, tout contact


entre « démocrates » et « islamistes » en conspiration c’est plutôt sa
fixation sur les postures idéologiques de la guerre civile, sa phobie
idéologique de tout ce qui a trait à l’Islam politique.77 Les figures
politiques qui tenteraient de construire un front politique national,
au-delà des clivages hérités des dernières décennies, pour tendre la
main à l’armée et lui faire accepter de refonder le système
politique, sont suspectes à ses yeux. Plusieurs études sur les
théories du complot montrent qu’on attribue plus facilement la
malveillance à ceux qui sont de l’autre bord politique.78

2.4. Fragments de leurres

Les études sur les artifices linguistiques, de persuasion et de


communication utilisés par ceux qui prônent les théories du
complot suggèrent qu’ils font souvent attention à paraître
rationnels.79
Le texte de Bensâada est riche en détails sur certains points,
qu’il étaye avec des références et des annexes, ce qui donne au
novice une impression de méthode scientifique. Le problème est
qu’il passe sous silence de pans entiers de faits, de preuves et de
logiques sans quoi on ne pourrait sérieusement accepter ses
affirmations. Par exemple, il étale sur 8 pages dans les annexes des
données accessibles sur la toile pour documenter que Hakim
Addad et Mustapha Bouchachi ont participé à un atelier sur les
transitions démocratiques, animés par un vétéran d’Otpor, lors
d’une conférence de la WMD au Brésil en 2000, mais il ne trouve
pas pertinent d’expliquer et de prouver au lecteur, dans au moins
une page, la chaine de causalité qui relierait ce fait au hirak dix-neuf
ans plus tard. Il documente sur 25 pages dans les annexes des
copies de câbles de Wikileaks, qui ne dévoilent rien de ce que
Bouchachi n’a pas dit en public,80 mais il ne trouve pas primordial
de dire, sur quelques phrases ou quelques pages, qui serait la partie
US qui aurait dirigé la « révolution colorée » en cours dans le pays
et sur la base de quels intérêts économiques, sécuritaires ou
géopolitiques elle aurait eu à le faire. Une caractéristique commune
recensée dans les théories du complot c’est la sélectivité ou
l’omission d’une partie des faits et des vérités, laissant ainsi à la

45
Aberrations chromatiques

65Joëlle Kuntz, ‘1848 en Europe: « le printemps des peuples »’, Le Temps, 25 février 2011;
Paul Mason, ‘From Arab Spring to global revolution’, The Guardian, 5 février 2013;
Alcinda Manuel Honwana, ‘Youth Struggles: From the Arab Spring to Black Lives Matter
& Beyond’, African Studies Review, Vol. 62 (2019) pp. 8–21.
66 Adamson et Rapport, op. cit.
67 Gunitsky, op. cit., pp. 634-665.
68Heng Chen et Wing Suen, ‘Falling Dominoes: A Theory of Rare Events and Crisis
Contagion’, American Economic Journal: Microeconomics, Vol. 8 (2016) pp. 228–255.
69 Adamson et Rapport, op. cit. ; Emily Sohn, ‘Are Revolutions Contagious?’, NBC, 17
février 2011; Stephen M. Saideman, ‘When conflict spreads: Arab spring and the limits of
diffusion’, International Interactions, Vol. 38 (2012) pp. 713-722; Fabrizio Gilardi,
‘Transnational diffusion: Norms, ideas, and policies’, in Walter Carlsnaes, Thomas Risse,
et Beth A Simmons (eds.), Handbook of International Relations, Sage Publications, London
2013, pp. 453-477; Hale, op. cit.; Bunce et Wolchick, 2018, op. cit.
70Weyland, 2009 et 2012, op. cit. ; Justus Bamert, Fabrizio Gilardi et Fabio Wasserfallen,
‘Learning and the diffusion of regime contention in the Arab Spring’, Research and Politics,
Vol. 2 (2015) pp. 1-9.
71David Patel et Valerie J. Bunce, ‘Turning Points and the Cross-National Diffusion of
Popular Protest’, Comparative Democratization, Vol. 10 (2012) pp. 1-13; Bunce et
Wolchik, 2018, op. cit.
72 Sohn, op. cit. ; della Porta, op. cit. ; Howard, op. cit.; Holger Lutz Kern, ‘Foreign
Media and Protest Diffusion in Authoritarian Regimes: The Case of the 1989 East
German Revolution’, Comparative Political Studies, Vol. 44 (2011) pp. 1179–1205; Philip N.
Howard, Aiden Duffy, Deen Freelon, Muzammil Hussain, Will Mari et Marwa Maziad,
‘Opening Closed Regimes: What Was the Role of Social Media During the Arab Spring?’,
Social Science Research Network, 17 avril 2015; Axel Bruns, Tim Highfield et Jean Burgess,
‘The Arab Spring and Social Media Audiences: English and Arabic Twitter Users and
Their Networks’, American Behavioral Scientist, Vol. 57 (2013) pp. 871–898.
73Rabah Arezki, Alou Adessé Dama, Simeon Djankov et Ha Nguyen, ‘Contagious
Protests’, World Bank Group Policy Research Working Paper No 9321, July 2020.
74Peter Brock, A Brief History Of Pacifism From Jesus to Tolstoy, Syracuse University Press,
Syracuse 1992; Robert Cooney et Helen Michalowski (eds.), The Power of the People: Active
Nonviolence in the United States, New Society Publishers, Philadelphia 1987; Henry David
Thoreau, Walden and Other Writings, Modern Library, New York 1950; Leo Tolstoy,
Writings On Civil Disobedience and Non-Violence, Bergman Publishers, New York 1967;
Abraham John Muste, Non-Violence In An Aggressive World, Harper, New York 1972;
Rhagavan Iyer (ed.), The Essential Writings of Mahatma Gandhi, Oxford University Press,
Oxford 1991; Adam Roberts et Timothy Garton Ash (eds.), Civil Resistance and Power
Politics: The Experience of Non-violent Action from Gandhi to the Present, Oxford University

93
Du complotisme en flagrant délire

six pages de son arantèle complotiste,83 ainsi que dans la


conclusion où il inclut son nom parmi les traitres présumés qui
auraient conspiré avec les USA contre leur pays. Tabbou
comploteur présumé relèverait-il d’un fait « de notoriété
publique » ? En termes de rouerie qui se farde de chevalerie on ne
trouverait pas pire.
Tout pire à son « plus pire », et sur la planète complotiste, c’est
la projection d’intentions malveillantes. L’analyse d’un grand
nombre de théories du complot fait ressortir qu’elles imputent
invariablement des motifs funestes aux conspirateurs présumés.84
Ce cachet distinctif du complotisme imprègne l’essentiel du texte
de Bensâada. Plutôt que de présenter des documents probants ou
des preuves compromettantes, qui clarifieraient des logiques
impliquant des évènements, des actes, des agents et des intentions
et étaieraient son allégation que Addi serait impliqué dans un
complot contre l’Etat algérien, Bensâada compense son absence de
preuves par le subterfuge de la culpabilité par association. Il noircit
des paragraphes sur Wolfowitz, Huntington ou Horowitz avec des
platitudes connues, comme si Addi serait responsable de leurs
actes.85 Il amalgame ses publications au Journal of Democracy à la
décennie noire, ainsi que ses recherches à la politique US contre le
monde arabe à la suite des évènements du 11 septembre.86 Son
ignorance abyssale du travail académique de Addi se résume en
deux mots : « régression féconde ». Quand il s’agit de prouver son
allégation que Addi serait impliqué dans la formation de
cyberactivites arabes, il recourt à la méthode des inquisiteurs :
dissimuler son ignorance probative en semant le doute sur l’accusé.
« Lahouari Addi y aurait-il directement ou indirectement
contribué ? »87 Des subterfuges analogues sont utilisés contre
Bouchachi.88 On dit bien qu’à vouloir coincer le diable partout
derrière la face de la normalité, le complotiste finit par le
démultiplier.

3. Le complotisme comme propagande contre le hirak


La réflexion académique sur les théories du complot se divise
grosso modo en quatre axes. Le premier, épistémique, dont nous
avons effleuré le sujet dans ce qui précède, s’intéresse à leurs

47
Abbas Aroua

« Les musulmans n'ont besoin ni de Gandhi ni des Occidentaux


pour leur enseigner la non-violence, profondément ancrée dans
l'islam. »1 Johan Galtung, fondateur des études de la paix.

1. Introduction

Depuis l’avènement des soulèvements populaires non violents


dans le monde arabe en 2011 et de la deuxième phase du
« Printemps arabe » en 2019 qui a touché le Soudan, l’Irak, le Liban
et l’Algérie, certaines voix, parmi lesquelles celles jouissant de la
bénédiction des régimes autoritaires arabes, s’élèvent pour
dénoncer une nouvelle vague de « révolutions de couleur », qui
seraient conçues par l’administration américaine, accompagnées
par des « officines » étrangères (l’organisation serbe Otpor est
souvent mentionnée), et mises en œuvre dans les pays arabes soit
par des traitres à la solde de « l’impérialisme américain » soit par
des citoyens naïfs, non avertis, facilement manipulables par des
forces obscures ayant pour but de détruire nos Etats et ruiner nos
nations.
Ahmed Bensâada, auteur de la récente publication « Qui sont ces
ténors autoproclamés du Hirak algérien ? »,2 un opuscule dont certains
médias ont fait la promotion, y compris par les organes
d’information officiels comme l’agence nationale de presse Algérie
Presse Service (APS) qui présente la publication comme un « livre-
enquête »3 et la Chaine 3 de la radio nationale,4 est un exemple de
ces voix qui veulent jeter la suspicion sur le caractère
authentiquement algérien du hirak, en associant certaines de ses
figures à des forces occultes à l’étranger qui comploteraient contre
l’Algérie.
Ahmed Bensâada n’en est pas à son premier écrit sur le sujet.
Au printemps 2011 déjà, il publia « Arabesque américaine : le rôle
des Etats-Unis dans les révoltes de la rue arabe »,5 suivi à la veille
du lancement du hirak de « Arabesque$ : Enquête sur le rôle des
Etats-Unis dans les révoltes arabes »,6 puis en avril 2019 de « Huit
ans après : la “printanisation” de l’Algérie »7 et en décembre 2019

Page 98
Du complotisme en flagrant délire

transmettent.96 Elles sont le « refuge ultime des démunis ». Certains


politologues considèrent que même si ces récits complotistes sont
négatifs, du fait qu’ils sont fictifs et souvent farfelus, ils jouent un
rôle positif de contre-pouvoir.97
Quant aux théories conspirationnistes ciblant le dessous, elles
relèvent souvent de « l’Etat complotiste ».98 Les régimes
autoritaires de la région maitrisent bien les rouages de la
fabrication des théories du complot. Ces théories ne sont pas des
convictions sincères néanmoins fausses, mais des constructions
fictives délibérées qu’on amplifie pour des objectifs stratégiques et
politiques.99 Ces régimes y ont recours pour construire ou
consolider le nationalisme et l’identité nationale, mais aussi pour
« altériser » ou diaboliser les figures ou les mouvements
d’opposition qui tentent de contester leur hégémonie.100 La fable
de « la main étrangère » nous est contée maintes fois du premier
âge au quatrième.
La théorie du complot de Bensâada s’inscrit clairement dans
l’espèce du complotisme ciblant le dessous. Au lieu d’avoir la vertu
fonctionnelle de servir les faibles contre les forts, elle porte la
contradiction et l’opposition aux faibles qui cherchent à se libérer,
et de ce fait elle seconde le complotisme d’Etat. Il est indubitable
que le régime militaire l’exploite à fond, à travers la publicité à
l’auteur et à son opuscule.
L’agence de presse nationale (APS) et non moins que le cacique
El Moudjahid ont présenté le polar de Bensâada.101 La radio
nationale et Canal Algérie ont accueilli l’auteur, ce qui n’est pas
anodin dans un pays où pendant des mois les médias audiovisuels
diffusaient des programmes sur le baghrir ou la nature pendant que
des centaines de milliers de citoyens manifestaient dans la rue.102
Un contexte médiatique caractérisé aussi par l’emprisonnement de
cinq journalistes (Abdelhay Abdessami, Belkacem Djir, Khaled
Drareni, Djamal Toubal et Abdelkrim Zeghliche), le blocage de
journaux électroniques (RadioM, Maghreb Emergent), ainsi que

dans la sphère sociale, économique ou politique. Les termes capacitation ou


agentivisation ont été utilisés, en français, comme synonyme de ce terme.

49
La non-violence en Algérie

une confrontation éternelle entre le bien et le mal. Le terme pour la


spoliation est nazâ ou nizāâ (‫نزاع‬/‫ )نزع‬indiquant le désir de
dépouiller, arracher, exproprier, spolier les droits d'autrui, bref,
s'engager dans un conflit avec un objectif non légitime. Le vocable
pour la résistance est dafâ ou difāâ (‫دفاع‬/‫ )دفع‬désignant l’acte de
repousser, protéger, défendre, sauvegarder ses propres droits ou
ceux d'autrui. Il s'agit d'un comportement défensif légitime.

Le nizāâ est réprouvé dans le Coran : « Obéissez à Allah et à


Son messager, et ne vous engagez pas dans le nizāâ [‫]وال تنازعوا‬,
sinon vous fléchirez et perdrez votre force. »16 Mais le difāâ est
approuvé, voire recommandé : « Si Dieu ne repoussait pas [ ‫ولوال‬
‫ ]دفع‬les gens les uns par les autres, la terre serait certainement
corrompue. »,17 « Si Dieu ne repoussait pas [‫ ]ولوال دفع‬les gens les
uns par les autres, des ermitages seraient démolis, ainsi que des
églises, des synagogues et des mosquées. »18

Mais si le difāâ est recommandé, il doit respecter les principes de


rahma et ihsān. Par conséquent, une violence dépourvue de ces
deux impératifs doit être évitée. Le Coran exhorte le croyant à
résister par la meilleure manière : « Repousse le mal par la meilleure
manière »19 (َ‫سيِِّئَة‬ َّ ‫س ُن ال‬ َ ‫ِي أَ ْح‬
َ ‫ « ; )ادْفَ ْع بِالَّتِي ه‬La bonne action et la
mauvaise ne sont pas pareilles. Repousse (le mal) par la meilleure
manière ; et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient
tel un ami intime. »20 ( ‫س ُن فَإِذَا‬ َ ‫ِي أ َ ْح‬َ ‫سيِِّئَةُ ۚ ادْفَ ْع بِالَّتِي ه‬ َ ‫َو َال ت َ ْست َ ِوي ْال َح‬
َّ ‫سنَةُ َو َال ال‬
َ
ٌّ ‫عدَ َاوة َكأنَّهُ َو ِل‬
‫ي َحمِ يم‬ َّ
َ ُ‫)الذِي بَ ْينَكَ َوبَ ْينَه‬. La fin du denier verset évoque la
vertu transformatrice et le pouvoir de conversion de la résistance par
la meilleure manière (‫)الدفع الحسن‬, y compris dans sa version non-
violente.

L’islam interdit fortement l’injustice (‫)الظلم‬, en particulier l’agression


(‫ )العدوان‬et l’oppression (‫ )البغي والطغيان‬et appelle à résister à ces formes
d’injustice en utilisant la meilleure manière. Dans le contexte actuel du
monde arabo-musulman, la majorité des sociétés vivent sous
l’oppression de régimes illégitimes, autoritaires et corrompus, installés
et soutenus par des puissances étrangères. Lorsque les peuples arabo-
musulmans, y compris le peuple algérien, se dressent pour changer
leur condition, en utilisant des méthodes non-violentes, ils ne font

103
Abbas Aroua

que pratiquer ad-Dafâ al-Hassan et se conformer à l’esprit de leur


religion.

2.2. Transformation de soi – Conversion de l’autre

Les penseurs algériens Malek Bennabi et Mahmoud Bouzouzou


sont parmi les figures les plus influentes du mouvement national
qui ont contribué pendant plusieurs décennies au réveil des
populations sous occupation française et à la conscientisation de
générations d'Algériens. Tous deux partageaient une connaissance
profonde et vaste des cultures musulmane et européenne, et tous
deux s'intéressaient au changement social.

Malek Bennabi, né le 1er janvier 1905 à Constantine et décédé le


31 octobre 1973 à Alger, est celui qui a proposé le concept de
« colonisabilité », ce qui signifie que lorsqu'il y a colonisation, il y a
nécessairement une prédisposition dans la société colonisée, et la
première étape du processus de décolonisation, c'est de prendre
conscience de cette condition et s'efforcer de la changer. Il a
également développé en détail sur le verset coranique : « Dieu ne
change la condition des membres d'une communauté que lorsqu’ils
changent ce qui est en eux-mêmes. »21 Formé en génie électrique, il
comparait le rôle d'un musulman à celui de transformateur social,22
et insistait sur la nécessité de se concentrer davantage sur les
devoirs que sur les droits, ces derniers étant le résultat logique de
l’acquittement des premiers. Malek Bennabi admirait le travail de
Gandhi qu'il avait rencontré lors de la visite du Mahatma à Paris en
1932. Il était aussi lié à Abul Kalam Azad,23 théologien et activiste
nationaliste musulman, ami de Gandhi, l’ayant précédé à la
présidence du Congrès national indien, et premier ministre de
l’éducation de l’Inde indépendante. En 1953, un an avant le
déclenchement de la guerre d'indépendance algérienne
(1er Novembre 1954), Bennabi a écrit trois éditoriaux sur la non-
violence et l’expérience indienne : « Hommage à l'Apôtre de la
non-violence »,24 « Romain Rolland et le Message de l'Inde »,25
« Universalité de la non-violence ».26 En 1972, Bennabi a écrit une
préface à un essai rédigé par Jawdat Said, un théoricien arabe de la

Page 104
Youcef Bedjaoui

4 Pour une initiation simple et brève au sujet voir S. Lewandowsky et J. Cook, The
Conspiracy Handbook, University of Bristol & The University of Western Australia, March
2020.

https://skepticalscience.com/conspiracy-theory-handbook-downloads-translations.html
5 Voir références 3 et 4.
6 Ibid.
7 A. Bensaada, ‘Le lobby sioniste est très actif en Algérie’, Algérie Patriotique, 28 mai 2019.
8 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 66.
9https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id
=475:2019-04-04-22-50-13&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
10 Voir note 2.
11B. Franks, A. Bangerter et M. W. Bauer, ‘Conspiracy theories as quasi-religious
mentality: an integrated account from cognitive science, social representations theory,
and frame theory’, Frontiers in Psychology, Vol. 4 (2013) pp. 1-12.
12 Voir note 9.
13 Ibid.
14 « Meeting du FFS hier à Alger Karim Tabou : “Le peuple va faire le changement” »,
Algérie360, 5 mars 2011 ; D. Dridi, ‘Me Mustapha Bouchachi, la CNCD et les
conceptions du changement en Algérie’, Maghreb Emergent, 9 mars 2011; M. Verdier,
« Lahouari Addi : ‘Le régime algérien est condamné’ », La Croix, 11 février 2011 ; ‘Rachad
appelle à continuer et à généraliser la contestation pacifique’, Communiqué du 17 février
2011, https://rachad.org/fr/?p=116 .
15 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p 27, 46, 47, 61.
16 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 66.
17 Bensaada, ‘Le lobby sioniste est très actif en Algérie’, op. cit.
18H. Neffah, ‘Les Américains ont financé des ONG algériennes’, L’Expression, 2 janvier
2020.
19 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 19.
20Imene A, ‘Ahmed Ben Saada : « Certains organismes étrangers veulent dévier le Hirak
de sa trajectoire »’, Algérie-Eco, 7 juin 2020.
21 Voir note 9.
22 Ibid.
23 Lina Kennouche, Entretien avec Ahmed Bensaada, Al-Akhbar, 4 juillet 2020

Page 52
La non-violence en Algérie

Le serment du Khudai Khidmatgar, prêté par quiconque souhaitait


rejoindre l'organisation, donne une idée claire du profil des
membres de Khudai Khidmatgar et de leur engagement en faveur de
la non-violence :
• « Je suis un serviteur de Dieu, et comme Dieu n'a
besoin d'aucun service, servir Sa création, c'est Le
servir ;
• Je promets de servir l'humanité au nom de Dieu ;
• Je promets de m'abstenir de toute violence et de me
venger ;
• Je promets de pardonner à ceux qui m'oppressent ou
me traitent avec cruauté ;
• Je promets de m'abstenir de participer à des querelles et
de créer de l'inimitié ;
• Je promets de traiter chaque Pachtoune comme mon
frère et mon ami ;
• Je promets de m'abstenir de coutumes et pratiques
antisociales ;
• Je promets de vivre une vie simple, de pratiquer la vertu
et de m'abstenir du mal ;
• Je promets de pratiquer de bonnes manières et un bon
comportement et de ne pas mener une vie d’oisiveté ;
• Je promets de consacrer au moins deux heures par jour
au travail social ;
• J'ai proposé mon nom avec honnêteté et sincérité pour
devenir un vrai Serviteur de Dieu ;
• Je sacrifierai ma richesse, ma vie et mon confort pour la
liberté de ma nation et de mon peuple ;
• Je ne serai jamais partie à des factions, à la haine ou à
des jalousies avec mon peuple ; et me rangerai du côté
des opprimés contre l'oppresseur ;

109
Youcef Bedjaoui

44 Journal Officiel de la République Algérienne, No 53, 5 décembre 1990.


45 Ibid.
46 Satour, op. cit., p. 43.
47 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 56.
48 https://dz.usembassy.gov/embassy/algiers/sections-offices/mepi/
49 Ibid.
50 https://www.state.gov/u-s-relations-with-algeria/
51 Journal Officiel de la République Algérienne, No 82, 12 janvier 2012.
52 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 66.
53 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 11.
54Ccott Modell, ‘The U.S. Should Adopt a Regime Change Strategy for Iran’, Newsweek, 7
janvier 2020.

https://www.newsweek.com/us-should-adopt-regime-change-strategy-iran-opinion-
1514824
55 Lisa Watanabe, ‘Trump’s Middle East Policy’, CSS Analyses in Security Policy, No 233,
octobre 2018; John Brinkley, ‘What Trump Calls Nationalism Looks More Like
Isolationism’, Forbes, 21 mars 2018; Meghnad Desai, ‘Trump: Return to (Classic) US
Isolationism’, The Globalist, 26 octobre 2019; Robert Fisk, ‘Trump's Davos speech
exposed how US isolationism is reaching its final narcissistic chapter’, The Independent, 23
janvier 2020.
56 https://www.census.gov/foreign-trade/balance/c7210.html
57https://www.refworld.org/docid/44c614174.html ;
https://revolutionaryfrontlines.wordpress.com/2013/02/05/a-staggering-map-of-the-
54-countries-that-reportedly-participated-in-the-cias-rendition-program/
58Adlène Meddi, ‘La CIA a une « alliance base » à Alger’, El Watan, 6 juillet 2005 ; Jeremy
Keenan, ‘Security & Insecurity in North Africa’, Review of African Political Economy, Vol. 33
(2006) pp. 269-296.
59https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_60021.htm ; Yahia Zoubir, 'The United
States and Algeria: A New Strategic Partnership?', Journal of Middle Eastern and Islamic
Studies, Vol. 5 (2011) pp 1-27.
60 Ibid.
61Voir les câbles wikileaks concernant le général Guenaizia, et Jeremy Keenan, The Dying
Sahara: US Imperialism and Terror in Africa, Pluto Press, London 2009; Jeremy Keenan, The
Dark Sahara: America's War on Terror in Africa, Pluto Press, London 2013; Nick Turse,

Page 54
Du complotisme en flagrant délire

'U.S. military says it has a “light footprint” in Africa. These documents show a vast
network of bases', The Intercept, 1 décember 2018.
62 Voir notes 3 et 4.
63Jan‐Willem van Prooijen, Karen M. Douglas, Clara De Inocencio, ‘Connecting the
dots: Illusory pattern perception predicts belief in conspiracies and the supernatural’,
European Journal of Social Psychology, Vol. 48 (2018) pp. 320-335.
64 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 23, 29, 35, 38, 47, 61, 66.
65 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 23, 30, 55.
66 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 35, 39, 41.
67 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 38.
68 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 37-38.
69 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 61.
70 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 47.
71Consulter les archives de www.slate.com pour les déclarations de Slobodan Djinovic
ou Srdja Popovic.
72Ruth Michaelson, ‘Algerian protesters plan more action and call for regime change’,
The Guardian, 28 février 2019; Aomar Ouali, ‘Protests in Algeria against president's bid
for 5th term’, Associated Press, 22 février 2019.
73 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 23.
74 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 66.
75 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 29.
76 Salim Koudil, ‘Lahouari Addi : «Je déposerais plainte contre l’auteur et la maison
d’édition»’, Reporters Dz, 22 juin 2020.

Voir ses écrits sur son site et ses activités au sein du thinktank islamophobe CIGPA
77

www.cigpa.org .
78K. M. Douglas, J. E. Uscinski, R. M. Sutton, A. Cichocka, T. Nefes, C. S. Ang et F.
Deravi, ‘Understanding Conspiracy Theories’, Advances in Political Psychology, Vol. 40
(2019) pp 3-35.
79 Ibid.
80 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., pp 41-44.
81 Matthew Gray, Conspiracy Theories in the Arab World, Routledge, London 2010, p. 134.
82 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 55.

55
Youcef Bedjaoui

83 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., pp. 57, 61, 63, 64, 66.
84 Lewandowsky et Cook, op. cit.
85 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., pp 24-26.
86 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p 28.
87 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p 29.
88 Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p 30, 35, 40-41.
89 Voir note 3 ; Imre Lakatos, The Methodology of Scientific Research Programmes, Cambridge
University Press, Cambridge 1989; Matthew Dentith, The Philosophy of Conspiracy Theories,
Palgrave Macmillan, Basingstoke 2014; Quassim Cassam, ‘Vice Epistemology’, The
Monist, Vol. 99 (2016) pp 159-180; Ole Bjerg and Thomas Presskorn-Thygesen,
‘Conspiracy Theory: Truth Claim or Language Game’, Theory, Culture & Society, Vol. 34
(2017) pp. 137–159; Michael J. Wood, Karen M. Douglas, and Robbie M. Sutton, ‘Dead
and Alive: Beliefs in Contradictory Conspiracy Theories’, Social Psychology and Personality
Science, Vol. 3 (2012) pp 767–773.
90Michael Butter and Peter Knight, ‘The history of conspiracy theory research: A review
and commentary’, in Joseph E. Uscinski (ed.), Conspiracy Theories and the People Who Believe
Them, Oxford University Press, Oxford 2018; Karen M. Douglas, Robbie M. Sutton,
Aleksandra Cichocka, ‘The Psychology of Conspiracy Theories’, Current Directions in
Psychological Science, Vol. 26 (2017) 538–542; Michal Bilewicz, Aleksandra Cichocka,
Wiktor Soral (eds), The Psychology of Conspiracy, Routledge, New York 2015; Aleksandra
Cichocka, Marta Marchlewska and Agnieszka Golec de Zavala, ‘Does Self-Love or Self-
Hate Predict Conspiracy Beliefs? Narcissism, Self-Esteem, and the Endorsement of
Conspiracy Theories’, Social Psychological and Personality Science, Vol. 7 (2018) pp. 157–166.
91 Gray, op. cit., p. 134; Joseph E. Uscinski, Conspiracy Theories and the People Who Believe
Them, Oxford University Press, Oxford 2018; Aleksandra Cichocka, Marta Marchlewska
and Agnieszka Golec de Zavala, and Mateusz Olechowski, ‘"They will not control us":
Ingroup positivity and belief in intergroup conspiracies’, British Journal of Psychology, Vol
107 (2016) pp. 556–576; Ryan L. Claassen and Michael J. Ensley, ‘Motivated reasoning
and yard-sign-stealing partisans: Mine is a likable rogue, yours is a degenerate criminal’,
Political Behavior, Vol. 38 (2016) pp. 317–335; Sean Richey, ‘A birther and a truther: The
influence of the authoritarian personality on conspiracy beliefs’, Politics & Policy, Vol. 45
(2017) pp. 465–485; J.-W. van Prooijen and P. A. M. vanLange (Eds.), Power, politics, and
paranoia: Why people are suspicious of their leaders, Cambridge University Press, Cambridge
2014; Jan-Willem van Prooijen, Andre P. M. Krouwel, and Thomas V. Pollet, ‘Political
Extremism Predicts Belief in Conspiracy Theories’, Social Psychological and Personality Science,
Vol. 6 (2015) pp. 570-578; Jeffrey M. Bale, ‘Political paranoia v. political realism: on
distinguishing between bogus conspiracy theories and genuine conspiratorial politics’,
Patterns of Prejudice, Vol. 41 (2007) pp. 45-60.

Page 56
Abbas Aroua

construction de la société et l’édification de l’Etat, inscrivent dans


leurs actes constitutifs le rejet de la violence comme moyen
d’action. Le mouvement « Communauté Al-Adl wal-Ihsan » au
Maroc en est l’illustration. A noter que c’est le seul mouvement
marocain à avoir prôné publiquement l’abolition de la monarchie
dans sa forme actuelle. Dans le document qui présente ses buts et
les moyens, l’implication politique de la notion de Ihsan est
expliquée : « Par son existence nous n’appellerons jamais à une
solution à travers le conflit violent. »45 Dans la section consacrée
aux moyens, il est précisé que : « Nous évitons la violence dans la
parole et dans l’action, car nous croyons, d’une part, que la
violence et la prédication ne vont pas ensemble, et d’autre part, à
cause de notre certitude que ce qui se construit par la violence
n’apporte pas le bien, et ne peut durer. Sa perte est garantie et son
profit est très peu probable. Par ailleurs, nous sommes enjoints
dans les périodes de conflit à préserver le sang des musulmans et
les pardonner. »46
L’adoption de la non-violence comme stratégie de changement
a précédé l’avènement du « Printemps arabe » dans plusieurs pays.
En effet, plusieurs mouvements ont vu le jour dans la première
décennie de ce siècle préconisant explicitement la non-violence
comme méthode de changement politique. On peut citer parmi ces
mouvements : « Courant de la Société Civile » (Liban, 2001),
« Mouvement Kifaya » (Egypte, 2004), « Collectif du 18 Octobre »
(Tunisie, 2005), « Rassemblement de la Déclaration de Damas »
(Syrie, 2005), « Groupe Non-Violence » (Irak, 2006), « Mouvement
Rachad » (Algérie, 2007).
Il faut dire qu’il a fallu beaucoup de pédagogie pour persuader
les gens de l’efficacité de la non-violence stratégique dans le
contexte arabo-musulman. Par exemple, le Mouvement Rachad,
fondé en avril 2007, s’est fixé comme mission d’œuvrer pour que
« l'autorité politique qui gouverne l'Algérie soit légitime, civile,
souveraine, équitable, sociale, prévoyante, efficace, transparente et
redevable devant le peuple. »47 Et « pour réaliser son but, le
Mouvement Rachad utilise tous les moyens non-violents de lutte
politique. »48 Lorsque Rachad commençait dès sa création à vanter
les vertus de la non-violence et ses avantages comparatifs par

Page 112
Youcef Bedjaoui

108 Douglas et al, op. cit., pp. 3-35 et les références dans le papier. Breivik, McVeigh, et
Daesh et son eschatologie dans notre région, exemplifient la violence commise sous
l’influence de théories de complot.
109Koudil, op. cit. ; Salim Koudil, ‘Zoubida Assoul: « Nul n’a le droit de mesurer le
patriotisme des Algériens »’, Reporters Dz, 8 juillet 2020.

Page 58
La non-violence en Algérie

https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/34130
14
https://en.wikipedia.org/wiki/Impact_of_the_Arab_Spring
15
Voir entre autres : The Politics of Nonviolent Action. Porter Sargent (1973). From
Dictatorship to Democracy: A conceptual framework for liberation. The Albert Einstein Institution
(1994). Social Power and Political Freedom. Porter Sargent (1980). Waging Nonviolent Struggle:
20th Century Practice and 21st Century Potential, avec Joshua Paulson. Extending Horizons
Books (2005). Self-Liberation: A Guide to Strategic Planning for Action to End a Dictatorship or
Other Oppression, avec l'assistance de Jamila Raqib. The Albert Einstein Institution (2009).
Sharp's Dictionary of Power and Struggle. Oxford University Press (2011).
16
Coran, Al-Anfal:46.
17
Coran, Al-Baqara:251.
18
Coran, Al-Hajj:40.
19
Coran, Al-Mu'minun:96.
20
Coran, Fussilat:34.
21
Coran, Ar-Ra'd:11.
22
Rapporté par Mostafa Brahami (Communication personnelle, 1995).
23
Rapporté par Noureddine Boukrouh. « Pensée de Malek Bennabi : 5) L'Afro-
Asiatisme ». Le Soir d'Algérie du 8 novembre 2015.
24
Le Jeune Musulman du 30 janvier 1953.
25
En deux parties, dans Le Jeune Musulman du 26 juin 1953 et du 22 janvier 1954.
26
La République Algérienne du 18 décembre 1953.
27
In Tribune Libre No. 39. Un changement d’espérance : A la rencontre du réarmement
moral. Des témoignages, des faits, réunis sous la direction de Gabriel Marcel, de l’Institut.
Plon, Paris 1958.
28
Tribune Libre No. 39. Op. Cit.
29
Abbas Aroua. “Reading Notes on Colonial Massacres in Algeria”. In An Inquiry into the
Algerian Massacres. Youcef Bedjaoui, Abbas Aroua and Meziane Ait-Larbi. Hoggar,
Geneva 1999.

https://hoggar.org/1999/08/15/reading-notes-on-french-colonial-massacres-in-algeria/
30
Rapporté par Anwar Haddam (Communication personnelle, 2013).
31
Mahmoud Bouzouzou. La Journée de Tunisie. Almanar. Première année, No. 15. 1er
février 1952.
32
Rapporté par Bukhāri.

117
Youcef Bedjaoui

Les sciences politiques s’intéressent, entre autres, aux


phénomènes révolutionnaires et à leurs comparaisons.2 L’histoire
des deux derniers siècles foisonne de révolutions et de vagues
révolutionnaires, et il existe une vaste littérature comparative de
ces révolutions, individuellement ou par vagues.3 Si ces travaux
comprennent, en effet, quelques comparaisons entre les
révolutions de couleur et le « printemps arabe »4 – les
collationnements les plus fréquents contrastant ce dernier à la
vague révolutionnaire de 1989 en Europe de l’Est5 –, en revanche
il n’existe pas d’étude académique qui assimile le « printemps
arabe » (et le hirak algérien) aux révolutions de couleur, comme le
fait Bensâada. Non seulement il n’élargit pas le champ comparatif
et fixe la référence comparative (les révolutions de couleur) mais il
ne fait que proposer des rapports de similitude ou d’identité entre
le « printemps arabe » ou le hirak algérien et sa norme colorée. Or
comparer scientifiquement c’est établir des rapports de
ressemblance et de dissemblance, ainsi qu’interroger des relations
d’identité mais aussi d’altérité.6 Ce texte se propose de faire
exactement cet exercice.

Un bref résumé de la thèse de Bensâada, selon laquelle le


« printemps arabe » et le hirak algérien seraient des révolutions de
couleur, est d’abord fait dans la section 2.

Les textes de Bensâada – et de la clique de journalistes algériens


qui la ressassent – étalent une connaissance superficielle des
révolutions de couleur. La section 3 présentera donc un digest de
sciences politiques sur ces révolutions.

S’ensuivra ensuite, dans la section 4, une comparaison des


révoltes du « printemps arabe » et du hirak algérien aux révolutions
de couleur. Cette partie du texte montrera que les soulèvements de
la région MENA (Middle East and North Africa – Moyen-Orient
et Afrique du Nord) de 2011 ne sont pas assimilables à des
révolutions de couleur. Cet examen contestera aussi de façon
décisive l’amalgame que fait Bensâada entre le hirak algérien et les
révolutions de couleur. « Aberrations chromatiques » réfère
précisément à ces erreurs d’identification.

Page 60
Mohamed Dougha

décolonisation, de l’indépendance économique et du non-


alignement.2 Les universitaires se sont très tôt intéressés à l’histoire
et à la mission du pays des années 1960 aux années 1980.3 Les
années 1990 ont vu un regain d'intérêt pour l'Algérie dans les
cercles internationaux des médias et du monde universitaire
Les émeutes d’Octobre 1988 ont annoncé un printemps de
démocratisation de courte durée (1989-1991) qui a redoré la stature
internationale du régime Chadli. Cependant, l’intervention militaire
de janvier 1992 et la décennie de guerre civile qui s’en est suivie
ont dépouillé le régime de l’aura que l’histoire de son indépendance
revêtait sur le pays. Ceci a mis le régime dans le besoin urgent
d'une machine de propagande à l'étranger pour propager son récit
et faire taire toutes les critiques à l’égard de la tragédie qui se
déroulait dans le pays. Recrutés principalement dans les milieux
médiatiques et universitaires européens, ces amis du régime
algérien ont fait preuve d’excès de zèle au service de l'agenda de la
junte pendant la décennie sanglante et tout au long des vingt ans
de règne d'Abdelaziz Bouteflika, grâce à la manne des revenus
pétroliers qui ont explosé après l'invasion de l'Irak en 2003.4 Ces
amis du régime militaire étaient prêts à offrir leurs services pour
une poignée de dollars.
Perplexes face aux formidables manifestations pacifiques du
hirak qui ont renversé le régime de Bouteflika, certains éléments de
la machine de propagande du régime algérien peinent à se
maintenir dans les affaires et au service de la junte, même s'ils ont
été complètement discrédités aux yeux des Algériens. Dès que le
hirak a empêché le cinquième mandat de Bouteflika et anéanti les
espoirs de l'armée d'un remplacement rapide de Bouteflika par une
autre façade civile en avril puis juillet 2019, l'ancien mécanisme de
propagande de l'armée a repris sérieusement ses attaques virulentes
et vicieuses contre les diverses composantes du hirak algérien. Le
but a été de discréditer le hirak et le présenter comme une
conspiration fomentée par des agents étrangers, des fauteurs de
troubles et des ennemis de l'Algérie œuvrant contre l'armée
patriote qui protègerait la souveraineté de l'Algérie de l'ingérence
étrangère. Certains poussent même la propagande au point de
dépeindre le hirak comme un outil de l'impérialisme américain qui

Page 122
Youcef Bedjaoui

Le mouvement de protestation qui touche actuellement l’Algérie


n’est pas différent de ceux qu’ont connus certains pays arabes en
2010-2011. Il s’agit d’un prolongement du mal nommé « printemps »
arabe qui a causé le chaos dans nombre de pays arabes comme je l’ai
expliqué dans différents articles et interviews.10

Dans la seconde prémisse, il rapporte le « printemps arabe » aux


révolutions de couleur, en invoquant un

continuum de « régime change » soft, utilisant l’idéologie de la non-


violence, qui a balayé des pays pour les extirper du giron russe et qui,
ensuite, s’est étendu à la région MENA […] pour d’autres objectifs
géopolitiques.11

Le « regime change » visé par le perpétuement des « révolutions


colorées », qu’ourdirait l’administration américaine dans la région
MENA, consisterait, d’après Bensâada, à installer des islamistes à
la tête des pays de la région.12

Dans « Complotisme en flagrant délire », il a été montré que


Bensâada étaye sa théorie avec un amalgame d’arguments
irrecevables et de données dont certaines sont fictives mais
d’autres sont factuelles quoiqu’incomplètes et éparses. Ce sont ces
dernières qui, une fois débarrassées de la gangue complotiste dans
lesquelles elles sont formulées, confèrent, pour certains, une vague
plausibilité à cette théorie. Dans le cas de l’Algérie ces données
sont divisibles en trois groupes. Le premier concerne les
similitudes dans les formes de protestation entre le hirak algérien et
les révolutions de couleur ; Bensâada cite en particulier la non-
violence, l’humour, la fraternisation avec les forces de l’ordre, le
nettoyage des rues après les manifestations, et l’usage du poing
d’Otpor.13 Le second groupe concerne des liens présumés de
formation d’activistes algériens par des vétérans d’Otpor.14 Le
troisième porte sur les financements par la National Endowment
for Democracy (NED).15 Ce dernier argumentaire a déjà été traité
dans « Complotisme en flagrant délire », et ne sera donc pas
discuté ici.

On va voir que la théorie de Bensâada et ses justifications


partent d’une compréhension approximative des révolutions de

Page 62
Parrainage occidental contre la volonté populaire

effectuées par des responsables européens, allant des ministres aux


maires, le régime algérien a eu du mal à convaincre l'opinion
publique algérienne et internationale que Bouteflika était capable
d'assumer ses fonctions, à partir du moment où il ne faisait plus de
discours public ni d'apparition audible depuis son rassemblement
du 8 mai 2012 à Sétif.22 Il était donc tout à fait auto-décrédibilisant
de la part de l'OBG de se livrer au régime algérien et de contribuer
volontairement aux campagnes de propagande menées par le
régime de Bouteflika contre les aspirations des Algériens à l'Etat de
droit et aux libertés. Juste un mois avant le déclenchement du
hirak, l'OBG a en quelque sorte miraculeusement interviewé
Bouteflika sur sa stratégie économique alors que tout le monde
savait qu’il était très malade et incapable d’assumer ses fonctions,
ou simplement de parler d’une façon audible et compréhensible.23
OBG s'est délibérément engagé dans cette propagande soutenue et
sponsorisée sur la prétendue prospérité dont jouissaient les
Algériens grâce à la vision économique de Bouteflika, nous disent-
ils.24 OBG s'excusera-t-il un jour auprès des Algériens ?25 Ce qui
est sûr, c'est que l'atteinte à la crédibilité de sa marque est
profonde.
Les efforts insistants du régime algérien pour importer de la
légitimité occidentale ne se sont pas limités aux médias et aux
universitaires occidentaux. Des célébrités du monde du sport et de
la musique ont également été gracieusement payées en échange
d'un concert ou d'une apparition avec Bouteflika. Ainsi, un défilé
de légendes du football comme Pelé,26 Maradona,27 Zidane et de
stars du cinéma comme Gérard Depardieu et Catherine Deneuve a
ponctué les deux décennies de règne de Bouteflika ; et ils ont tous
eu leur part du gâteau pour service rendu.28 Les médias du régime
et ceux appartenant à ses oligarques ont relayé les publications pro-
régime dans les médias occidentaux et les visites sponsorisées de
célébrités à Bouteflika comme la preuve ultime du soutien des
capitales européennes et de Washington à la façade civile de la
junte en Algérie.
Le régime algérien souffre cependant d'une relation
schizophrène avec l'Occident. Il paie son soutien politique et
médiatique en échange de contrats économiques lucratifs ou

127
Youcef Bedjaoui

le même type d’autoritarisme : l’autoritarisme compétitif qui s’est


répandu après la fin de guerre froide.20 Dans ce type
d’autoritarisme les lois et les procédures électorales sont biaisées en
faveur du régime, mais néanmoins des élections nationales
compétitives sont régulièrement tenues, le régime laissant une
certaine marge à l’opposition pour exprimer ses positions et
mobiliser ses partisans. Il y existe une possibilité, quoique
improbable, que des candidats de l’opposition y réussissent,
contrairement aux autoritarismes incompétitifs où les élections
sont prohibées, permises au niveau local uniquement, ou
consenties au niveau national mais sans choix ou avec un choix
entre des candidats du régime.21 Ajouté à ce déficit démocratique,
le contexte socio-économique était délétère dans une bonne partie
de ces pays : déclin ou stagnation économique, chômage, pauvreté,
corruption galopante, et une incapacité progressive de l’Etat à
fournir aux citoyens les services de base.22

Le modèle des révolutions électorales ou de couleur est


désormais classique. La stratégie de renversement cible le maillon
faible de l’autoritarisme compétitif : l’élection. Elle consiste à
retourner l’élection biaisée, que le régime hybride utilise
périodiquement pour se légitimer, contre lui. L’opposition
parlementaire et non-parlementaire, d’habitude divisée, va
coopérer, se coaliser et/ou s’entendre sur un candidat unique. Des
mouvements de jeunes – p.ex. Otpor en Serbie, Kmara en
Géorgie, Pora en Ukraine, Kelkel au Kirghiztsan, Yox en
Azerbaidjan et Zubr en Biélorussie – vont être formés par des
activistes de révolutions électorales précédentes, et des organismes
en lien avec le gouvernement américain.23 Ces mouvements
adoptent en général une couleur, une fleur ou un signe spécifique
comme symbole, d’où l’appellation révolution de couleur. En
coordination avec l’opposition, ils vont travailler sur deux grands
chantiers. Primo, se former à entreprendre une campagne
nationale de persuasion de l’électorat – typiquement apathique ou
résigné, à cause du biais ou du trucage électoral, l’absence
d’alternative, ou simplement appréhensif de la répression – afin
qu’il aille voter, et pour l’opposition. Secundo, préparer des
protestations pacifiques au cas où le président ou le parti au

Page 64
Mohamed Dougha

niveau d'attention à l'Algérie en tant que partenaire énergétique


important. » 44
Le 11 septembre a renforcé les relations algéro-américaines et,
en 2002, Bouteflika a publié une lettre dans le Washington Times
assurant l'administration de George Bush de son amitié.45 Le
régime algérien a assuré aux Etats-Unis d’augmenter la production
énergétique afin de consolider la sécurité énergétique des États-
Unis :
Nous produirons bientôt l’équivalent énergétique de cinq millions de
barils par jour de gaz naturel et de pétrole. Cela fait de nous le plus
grand producteur africain de pétrole [avec] le potentiel de fournir aux
Etats-Unis une sécurité énergétique accrue, […] à un moment où les
Etats-Unis sont confrontés à un déficit de gaz naturel par rapport à la
demande.46

De plus, le régime a mis le pays au service de la guerre mondiale


de Bush contre le terrorisme :
Nous sommes également heureux que le chef de la direction
antiterroriste du Département d’Etat ait récemment qualifié le rôle de
l’Algérie dans la campagne mondiale de lutte contre le terrorisme de «
magnifique ».47

Bouteflika avait également proposé de faire la sous-traitance de


la lutte anti-terroriste en Afrique du Nord pour « protéger le flanc
sud de la Méditerranée de la propagation de ce mal à toute la
région et au-delà ».48 En 2009, les avions de guerre américains
avaient obtenu l'autorisation de survoler le territoire aérien
algérien, et les troupes du Commandement des Etats-Unis pour
l'Afrique (AFRICOM) étaient déjà stationnées en Algérie depuis
2008, comme l'ont révélé les télégrammes Wikileaks,49 et le U.S.
Government Accountability Office.50 L'exfiltration, en février
2009, de l'officier du Federal Bureau of Investigation (FBI)
Andrew Warren basé à Alger, et impliqué dans une conduite
morale incompatible avec la mission d’un corps diplomatique,
révèle à quel point la coopération militaire et l'échange de
renseignements sous le régime de Bouteflika étaient profondes.51
En plus, Eric Denécé, collègue de Bensâada et directeur du Centre
français de recherche sur le renseignement (CF2R), révélait dans
une publication, en janvier 2013, que

Page 132
Youcef Bedjaoui

police et les forces de sécurité ont exercé, sans hésitation, une forte
répression des manifestants contre les résultats du scrutin.27

Comme indiqué dans la table suivante, les révolutions


électorales ou de couleur abouties ont mis au pouvoir des
oppositions, des « contre-élites » selon Gerlach,28 pas
nécessairement démocratiques dans les régimes hybrides. La
gouvernance dans ces pays n’a pas profondément changé, et les
forces sociales (mouvements de jeunes, société civile) impliquées
dans l’élection ont reflué de la vie politique.29 Ces transformations
s’apparentent donc moins à des vraies révolutions qu’à des
changements de régime, où les contre-élites, aidées par
l’« Occident », retournent l’élection biaisée ou frauduleuse contre
les pouvoirs en place, mobilisant des protestations non-violentes
massives pour les renverser.

Pays Année Elections Issue


Serbie 2000 Présidentielles Alternance
Géorgie 2003 Parlementaires Alternance
Ukraine 2004/5 Présidentielles Alternance
Kirghizstan 2005 Parlementaires Alternance
Arménie 2003/4 Présidentielles Statu quo
Azerbaïdjan 2005 Parlementaires Statu quo
Biélorussie 2006 Présidentielles Statu quo
Parlementaires
Russie 2011/12 Statu quo
Présidentielles

Les USA et des pays européens ont facilité ces révolutions


électorales, dans le cadre de la « promotion de la démocratie », par
le financement, la formation ou le conseil stratégique aux partis
politiques, aux organisations de la société civile, en particulier les
groupes de surveillance électorale et les mouvements de jeunes, par
la pression médiatique internationale dénonçant la forfaiture ou la
fraude électorale, par l’action diplomatique ainsi que par l’influence
sur les cercles décisionnels militaires et sécuritaires.30

Page 66
Parrainage occidental contre la volonté populaire

8 Des chiffres astronomiques, des complicités et des ruses impensables : Les milliardaires
« made in pub », El Watan, 16 Aout 2020.

https://www.elwatan.com/edition/actualite/les-milliardaires-made-in-pub-06-08-2020
9 Philippe Tourelle, « Abdelmadjid Tebboune, un président en communion avec son
peuple », Afrique Asie, 25 August 2020, https://www.afrique-asie.fr/abdelmadjid-
tebboune-un-president-en-communion-avec-son-peuple/.
10 Bensâada, Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak, p.71.
11 Ibid, pp. 72-73.
12Pascal Airault et Jean-Pierre Bat, Françafrique : opérations secrètes et affaires d’Etat,
(Paris : Tallandier, 2018).
13Voir sa présentation sur le site du CIGPA, Richard Labévière,
http://cigpa.org/lequipe/comite-de-redaction/. « Défense » est la revue de l’Institut des
hautes études de Défense nationale (IHEDN). Il est fondé en octobre 1936, est un
établissement public administratif français d'expertise et de sensibilisation en matière de
Défense, placé sous la tutelle directe du Premier ministre ;
https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Lab%C3%A9vi%C3%A8re#D%C3%A9part_de
_la_revue_D%C3%A9fense_de_l'IHEDN_en_2011.
14Scarlett Haddad, « Richard Labévière et la nouvelle doctrine militaire américaine »,
Afrique-Asie, 1 Avril 2014.

http://www.afrique-asie.fr/richard-labeviere-et-la-nouvelle-doctrine-militaire-
americaine/
15 Voir Chapitre 6 de cet ouvrage : Le complotisme en contre-enquête, par Moussa
Benmohammed. Voir aussi le profil d’Eric Denécé, https://cf2r.org/equipe/denece-
eric/

The Africa Report,


16 sous la direction de Danielle Ben Yahmed,
www.theafricareport.com
17Bongo Beti, « Béchir Ben Yahmed ou l’avide à dollars de Jeune Afrique »,
https://www.musabyimana.net/20151209-bechir-ben-yahmed-ou-lavide-a-dollars-de-
jeune-afrique/
18Mohamed Aït-Aarab, Mongo Beti : un écrivain engagé, (Paris : Karthala editions, 2013), pp.
185-187.
19 De la confusion entre rédaction et publicité, Le Monde, 9 juillet 2012.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/09/de-la-confusion-entre-redaction-et-
publicite_1730705_3232.html
20 L’ANEP aurait dépensé plus de 16 milliards de centimes, El Watan, 5 juillet 2012.

137
Youcef Bedjaoui

faudrait tout un ouvrage pour le faire, mais il suffira amplement


pour réfuter l’assimilation simpliste, faite par Bensâada, du
« printemps arabe » et du hirak algérien aux révolutions de couleur.
Le premier écart marquant entre les révolutions de couleur et
les soulèvements MENA se situe au niveau de l’échelle de temps.
En comparant la table dans la section précédente à la table
suivante, on voit que les révolutions de couleur se sont étalées sur
environ une décennie alors que le « printemps arabe » a flambé en
quelques mois, empreinte d’une spontanéité évidente, d’une sorte
d’effet domino ou de réaction en chaine, ou en tous cas d’un
phénomène d’une autre nature. On imagine mal un département
d’état américain planifier pour 15 changements de régime en
quelques mois.

Pays Manifestations Succès


Tunisie 19 décembre 2010 Oui
Algérie 3 janvier 2011 Non
Jordanie 15 janvier 2011 Non
Égypte 17 janvier 2011 Oui
Oman 17 janvier 2011 Non
Yémen 23 janvier 2011 Non
Liban 25 janvier 2011 Non
Arabie 28 janvier 2011 Non
Saoudite
Soudan 30 janvier 2011 Non
Bahreïn 14 février 2011 Non
Iran 14 février 2011 Non
Lybie 16 février 2011 Non
Maroc 20 février 2011 Non
Irak 25 février 2011 Non
Syrie 18 mars 2011 Non

Page 68
Mohamed Dougha

http://dia-algerie.com/le-sahara-algerien-evoque-dans-la-4e-saison-de-la-serie-la-casa-de-
papel-video/
66 Scène de coup d’état, Série Madame Secretary, https://youtu.be/DJAJ6DYnXPQ ;
Une série américaine met en scène un coup d’Etat militaire en Algérie (Vidéo), DIA,
septembre 2017.

http://dia-algerie.com/serie-americaine-met-scene-coup-detat-militaire-algerie-video/;
67Ingela Ratledge, “Designated Survivor: Kal Penn on How Working with Obama Helps
His New Show”, TV insider, 27 September 2016.

https://www.tvinsider.com/98783/designated-survivor-kal-penn-on-how-working-with-
obama-helps-his-new-show/
68 Barak meets Algerian President at king's funeral, New York Times, 24 September 1999.

https://www.nytimes.com/1999/09/24/world/leader-tries-to-brighten-algeria-s-
image.html
69Visite de journalistes et universitaires algériens en Israël, Algeria-Watch, 13 décembre
2009.

https://algeria-watch.org/?p=66953
70 Ouyahia présente les excuses de l’Algérie à l’Arabie saoudite, TSA,

20 décembre 2017.

https://www.tsa-algerie.com/ouyahia-presente-les-excuses-de-lalgerie-a-larabie-saoudite/
71Le nouveau ministre algérien des Affaires étrangères se rend à Moscou, Sputnik News,
15 mars 2019.

https://fr.sputniknews.com/international/201903151040367999-ministre-algerien-
affaires-etrangeres-visite-moscou/
72Lamamra en Allemagne pour défendre un pouvoir fragilisé par les déclarations de
Chihab Seddik, TSA, 20 mars 2019.

https://www.tsa-algerie.com/lamamra-en-allemagne-pour-defendre-un-pouvoir-fragilise-
par-les-declarations-de-chihab-seddik/

Hocine Malti, La main de l’étranger au secours du régime, Algeria Watch,

22 March 2019.

https://algeria-watch.org/?p=71624
73Une contribution de Mouloud Hamrouche à El Watan : « Le système algérien est
antinational », El Watan, 4 septembre 2019.

Page 142
Youcef Bedjaoui

également refusé l’élection du 12 décembre 2019 plutôt que


d’essayer de l’exploiter pour renverser le régime. En outre, tout
opposant, même le plus néophyte, ne pourrait souscrire à une
quelconque stratégie de renversement électoral en Algérie dont
l’histoire récente écarte toute possibilité. Pour rappel, l’Algérie
avait entamé sa première transition démocratique avant même la
chute du mur de Berlin et les révolutions de l’Europe de l’Est.
L’armée avait alors refusé le changement du pouvoir législatif issu
des élections libres de décembre 1991, et renversé le président,
plongeant le pays dans la guerre civile.

Aux niveaux des acteurs, les révolutions de couleur étaient


préparées et dirigées par l’opposition en coordination avec des
mouvements de jeunes et des organisations de la société civile. Les
soulèvements MENA ne correspondent pas à ce canevas, et
ressemblaient plutôt à des soulèvements d’activistes, de
travailleurs, d’hommes et de femmes ordinaires, sans leaders, les
manifestations étant animées au début par des réseaux
décentralisés de jeunes.36 L’opposition dans la région MENA, en
règle générale assujettie aux militaires ou aux monarques et servant
d’instrument de cooptation, de clientélisme et de diviser-pour-
régner à l’intérieur, et de façade pluraliste pour l’extérieur, a été
prise de cours, et à partie, par les soulèvements, tout comme l’ont
été les régimes. Quant au hirak algérien, il l’a dégagée de ses
manifestations, la considérant comme une partie du problème et
non de la solution, et refuse toute représentation verticale par des
partis politiques ou des organisations de la société civile. Il n’existe
pas de trace, avant les soulèvements MENA, de mouvement de
jeunes œuvrant à persuader une population d’aller voter pour une
quelconque opposition, ou à la préparer à contester pacifiquement
et massivement une fraude électorale. Le mouvement égyptien
Kefaya créé en 2004, dont le nom s’apparente à des organisations de
jeunes des révolutions de couleur, mais qui était une plate-forme
squelettique de protestation contre la présidence d'Hosni
Moubarak (et la possibilité qu'elle soit transférée à son fils), a agité
pour le boycott de l’élection présidentielle de 2005 au lieu d’agir
pour son retournement contre le régime. Avant le « printemps
arabe », le mouvement du 6 avril égyptien, fondé en 2008, dont

Page 70
Maillage idéologique et politique

Après avoir relevé un détail biographique de Bensâada qui nous


a semblé significatif, nous reviendrons succinctement sur ses
activités dans la complosphère canadienne. Nous nous attarderons
ensuite sur son affiliation au Centre Français de Recherche sur le
Renseignement (CF2R) ainsi qu’au Centre International de
Géopolitique et de Prospective Analytique (CIGPA). Seront
ensuite exposées les liaisons des deux centres avec des cercles
d’influence émiratie. Enfin, nous reviendrons sur le réseau dont
fait partie « Editions APIC », la maison d’édition de l’opuscule.

2. Un détail biographique à relever

Comme décrit dans la biographie publiée sur le site web personnel


de l’auteur, la vie d’Ahmed Bensâada devait être à l’image de celle
de nombreux jeunes diplômés algériens dans sa situation : un long
fleuve tranquille.2 L’orage tonne au moment où des êtres chers à
son cœur sont assassinés pendant la décennie sanglante en
Algérie.3 Il parle d’un « torrent » qui « emporta tout sur son
passage : les projets, les plans et les rêves ».
Il y a là un trauma et un premier marqueur idéologique à noter.
On sait que le deuil suite à la mort violente d’un proche est un
processus lent et complexe impliquant un ressenti d’injustice,
d’inachevé et de colère en quête d’exutoire. En tout cas il est
plausible de croire que l’animus qui imprègne les écrits de
Bensâada sur l’« islamisme » trouve en partie sa raison d’être dans
ces blessures profondes.
Mais le torrent dont parle Bensâada a charrié également des
centaines de milliers d’emprisonnements politiques, et presque
autant de torturés, des dizaines de milliers de disparus et de
victimes de massacres. Cependant, la production intellectuelle de
Bensâada leur est aveugle, tout comme elle est muette sur le
militarisme et le terrorisme d’Etat. Cette période tragique de
l’histoire algérienne soulève beaucoup de questions auxquelles le
régime algérien n’a jamais apporté de réponses, mais Bensâada,
l’intellectuel qui se préoccupe du destin de l’Algérie, reste aphone
quant à un processus de vérité et de justice qui délierait les langues
et les mémoires sur ce qu’il s’est réellement passé après le putsch,
et qui contribuerait à une vraie réconciliation.

147
Youcef Bedjaoui

revendications des révolutions de couleur ou du « printemps


arabe ».

Les révolutions de couleur ont été soutenues et stimulées par


une couverture médiatique occidentale aussi intense que favorable.
Dans les soulèvements MENA, cette médiatisation a été plutôt
retenue et mitigée et c’est la chaine Al Jazeera qui les a facilitées et
accélérées.40 Le hirak algérien depuis 2019, lui, n’a bénéficié ni de
l’une ni de l’autre. L’activisme sur la toile a été utilisé comme outil
de mobilisation lors des révolutions électorales, mais Facebook et
Twitter étaient pas ou peu disponibles lors des révolutions de
couleur abouties, alors que lors du « printemps arabe » et du hirak
algérien, les activistes et les faiseurs d’opinion en ont fait un grand
usage comme moyen de mobilisation ou pour produire du contenu
critique des régimes.41 Les réseaux sociaux y ont été des
instruments notables de mobilisation mais c’est incontestablement
la chaine Al Jazeera qui, en informant la majorité des citoyens de la
région au sujet de la cascade de soulèvements, a joué un rôle
majeur dans la facilitation de la mobilisation et la protestation dans
la rue.42 Quant au hirak algérien, si la couverture par Al Jazeera a
été timide mais équilibrée jusqu’à la démission de Bouteflika, elle
est par contre devenue franchement biaisée en faveur du régime
depuis.

Si on compare maintenant la variable posture occidentale aux


deux classes d’évènements, la disparité est on ne peut plus claire.
Dans un cas, le soutien diplomatique américain et européen, dans
le cadre de « la promotion de la démocratie », aux révolutions de
couleur qu’ils ont contribué à organiser est résolu et strident. Dans
le cas du « printemps arabe », contrairement aux divagations de
Bensâada, ni le staff d’Obama, ni les experts universitaires, les
agences de renseignement ou les diplomates affectés dans la région
n’ont anticipé les soulèvements du printemps arabe.43 Selon Jason
Brownlee la position initiale de l’administration US était :

D’exhorter au calme – et par implication à un retour au statu quo


antidémocratique – mais si les forces de l'opposition destituaient le
leader, les responsables américains vanteraient la victoire comme s’ils
avaient toujours cherché un changement démocratique. Jusqu'à ce

Page 72
Moussa Benmohammed

Eric Denécé est démocrate en France mais éradicateur chez les


musulmans. Dans un récent entretien donné à Algérie Patriotique, le
site du fils du général Khaled Nezzar, exilé en Espagne depuis sa
déchéance, Eric Denécé se satisfait des putschs et de la répression
de certains régimes arabes pour empêcher les « islamistes » de
gouverner :
Il est bien sûr évident que les islamistes les plus radicaux [...] ont
toujours cherché à prendre le pouvoir […]. Heureusement, l’Algérie
n’est pas tombée, la Syrie non plus et l’Égypte, grâce au maréchal
Sissi, a pu les chasser du pouvoir. Mais ils sont au pouvoir en Turquie
et dans les monarchies du Golfe [...].21

Le CF2R et le CIGPA (voir section suivante) collaborent au


service des intérêts de la France. Cela se concrétise, par exemple,
par le partenariat dans l’organisation de colloques (voir liste des
colloques CIGPA ci-bas), ou par des activités propres au CF2R
avec la participation de membres du CIGPA (Mezri Haddad,
Richard Labévière, Majed Nehmé), comme, entre autres, les
colloques du 18 janvier 201722 et du 5 novembre 201723 où Richard
Labévière et Majed Nehmé sont intervenus à des sessions aux
côtés de plusieurs personnalités publiques du renseignement
français comme Alain Chouet (ancien chef du Service de
renseignement de sécurité SRS de la DGSE24) ou Bernard
Squarcini (ancien directeur de la DCRI25). Ahmed Bensâada, lui, a
un pied dans chacune des deux institutions.
La Tribune Libre No. 89 du CF2R publiée en mai 2020 est
consacrée à une contribution d’Ahmed Bensâada « L’ONG : du
néolibéralisme au “regime change” ». Ahmed Bensâada a contribué à
l’ouvrage du CF2R « La face cachée des révolutions arabes ».26 Il s’agit
d’un livre collectif qui compile les contributions de plusieurs
auteurs et analystes. Parmi lesquels se trouvent Mezri Haddad,
Majed Nehmé, Richard Labévière, Alain Chouet et Yves Bonnet
(ancien directeur de la DST).
Bensâada n’est pas le seul Algérien à servir le CF2R. Le
17 septembre 2011, Saida Benhabylès, alors présidente du
MFASFR,i organise une rencontre autour de la « menace terroriste

i Mouvement algérien de solidarité avec la famille rurale.

Page 152
Youcef Bedjaoui

évidemment pour des intérêts autres que la « promotion de la


démocratie ».51 Sous Obama, le budget de la « promotion de la
démocratie » s’est réduit de 28%.52 Les postures des pays
européens et de l’UE se recoupent en grande partie avec la
position US de primauté des intérêts sur les valeurs, c’est-à-dire la
promotion du statu quo autoritaire camouflé en rhétorique
démocratisante et droits-de-l’hommiste.
Quant au hirak algérien, il n’a même pas bénéficié de la
rhétorique droits-de-l’hommiste américaine ou européenne lors des
pires dérives sécuritaires depuis son début. Ces mêmes puissances
avaient contribué à l’avortement de la première tentative de
transition démocratique du pays, en soutenant le putsch militaire
de janvier 1992 qui a provoqué une guerre civile ayant fait près
d'un quart de million de victimes. Pourquoi retireraient-elles leur
soutien à un régime militaire connu – un régime illégitime et
vulnérable au chantage qui leur a bradé les ressources énergétiques
du pays, en a fait un grand comptoir colonial, protège la fuite de
dizaines de milliards de dollars annuellement vers les banques
occidentales, se conduit en auxiliaire sécuritaire zélé, et se complait
dans le retrait diplomatique régional de l’Algérie – pour
accompagner un hirak et une transition qui restent à connaitre, et
qui pourraient mettre aux commandes du pays des gouvernants
légitimes capables de défendre les intérêts de l’Algérie ? Comme le
dit Bandow au sujet des soulèvements arabes de 2019,
« Washington devrait faire attention à ce qu’elle souhaite : de
nouveaux régimes démocratiques et nationalistes pourraient être
moins disposés à tolérer les futures ingérences des Etats-Unis »,53
une mise en garde inutile à la lumière des déclarations admiratives
de Donald Trump pour les dictateurs arabes plutôt sanglants
(Abdel Fattah el-Sisi, Bachar Al-Assad, Saddam Hussein et
Mouammar al-Gadafi).54

Cet exercice comparatif ne peut s’achever sans observer la


variable « produits des révolutions ». On a vu que dans les
révolutions de couleur en Eurasie, l’issue était soit un changement
de régime, i.e. une alternance mettant au pouvoir des contre-élites
pas nécessairement démocratiques, soit la continuité autoritaire.
Ces révolutions, qui ont confronté des autoritarismes compétitifs,

Page 74
Maillage idéologique et politique

son rejet des alternatives révolutionnaires qui ne profiteraient,


selon lui, qu'aux éléments les plus réactionnaires, notamment aux
intégristes. »42 Dans un article publié dans Le Monde du 6 février
2001, intitulé « La Tunisie ne vit pas un cauchemar », Mezri Haddad
affirme que :
Parce qu’il est mature, le peuple tunisien, gouvernants comme
gouvernés, est bel et bien mûr pour la démocratie. Mais il n’est pas
suffisamment immunisé contre ce virus mortel : le fanatisme
religieux. […] J’ai toutes les raisons de croire qu’en 2004, et peut-être
même avant, la démocratie comme forme de gouvernement sera en
Tunisie une réalité concrète. Et si je me trompe, je préfère encore me
tromper avec Ben Ali (et Bouteflika) qu’avoir raison avec
Ghannouchi (et son alter ego Abbassi Madani).43

« Chargé de mission académique à la présidence de la


République »,44 Mezri Haddad aurait « bénéficié des largesses de
Ben Ali. En effet, le consulat lui versait tous les mois 3600 euros
cash, il était payé en espèces. »45 En 2009, il est nommé par Ben Ali
ambassadeur de Tunisie à l’UNESCO. Le 14 janvier 2011, il
démissionne46 de son poste d'ambassadeur, « quelques heures
avant l'annonce du départ du président Ben Ali ».47
En effet, jusqu’à la veille de sa démission, Mezri Haddad
défendait le régime de Ben Ali, et traitait les Tunisiens qui se
soulevaient après l’auto-immolation de Mohamed Bouazizi de
« hordes ». Dans l’émission48 de Jean-Jacques Bourdin, « Bourdin
Direct », diffusée le 13 janvier 2011 sur BFM TV, il déclara :
Le peuple va travailler. Le peuple s’inquiète de cette déferlante de
hordes. Cette horde fanatisée est en train de brûler, de casser, de s’en
prendre aux biens publics et privés. Et bientôt, si on les laisse finir et
si vous continuez à faire l’apologie de cet anarchisme en marche en
Tunisie, on verra ces hordes attaquer les gens chez eux, les violer, les
voler, et les massacrer.49

Mezri Haddad a toujours assumé son ralliement à Ben Ali. Le


17 novembre 2012, dans une réponse à Naoufel Brahimi El-Mili
publiée sur le site d’Ahmed Bensâada, il déclare :
Je n’ai pas à regretter, après douze longues années d’exil, mon
ralliement à ce régime [de Ben Ali] par crainte et abomination de
l’islamisme. Je ne regrette pas un seul instant d’avoir été au service du

157
Youcef Bedjaoui

mécanismes qui propagent les soulèvements et des processus par


lesquels se diffusent les idées contestataires.

Excepté dans un sens trivial de « continuum », comme série


d’évènements temporels contigus ou simplement écoulement du
temps, auquel cas ces révolutions s’inscriraient aussi dans un
continuum prolongeant même la révolution biologique qui a
marqué l’apparition d’un primate bipède, il est impossible de
cerner ce « continuum » que se figure Bensâada. Il n’existe pas
d’étude politique ou historique sérieuse qui périodise les
révolutions de couleur et le « printemps arabe » comme
appartenant à une même vague ou série de révolutions. Ce sont
deux ensembles d’évènements, situés dans des espaces
géographiques disparates, qui n’ont pas coïncidé mais se sont
plutôt succédés, le premier ensemble occupant la première
décennie de 2000, le second la deuxième. Si les révolutions
électorales se sont étalées sur une décennie, les soulèvements
MENA, eux, se sont déclenchés à un rythme fulgurant, en
quelques mois, marque d’une spontanéité ou d’une sorte de
réaction en chaine.
Plusieurs historiens et politologues observent que beaucoup de
changements politiques tendent à s’agréger dans le temps et
l’espace ; ils parlent de vagues de révolutions (de transitions ou de
protestations aussi), c.à.d. de séries de révolutions survenues dans
une même tranche de temps et parfois dans un espace
géographique restreint. Du point de vue de l’accélération
historique, la vague de soulèvements qui a débuté en Tunisie et qui
s’est propagée à toute l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient en
quelques semaines s’apparente moins aux révolutions de couleur
qu’à l’onde révolutionnaire, partie juste après la chute du mur de
Berlin, qui a bouleversé l’Europe de l’Est et l’Eurasie en environ
une année.57 Il y a une littérature considérable dédiée à la
comparaison de ces deux vagues de bouleversements politiques.58
Les révoltes MENA ont été qualifiées de « printemps arabe » en
référence au « printemps des peuples » qui désigne le tsunami
révolutionnaire qui a balayé l’Europe en 1848. Une révolte
parisienne contre l’élitisme du roi Louis Philippe le renverse en

Page 76
Moussa Benmohammed

L’accolade que donne cet harangueur stipendié de la haine à


Ahmed Bensâada, en lui décernant le titre de premier auteur arabe
à déconstruire le mythe du « printemps arabe », sonne comme un
baiser de judas :
Le tout premier auteur arabe, ou auteur tout court, ce n’est pas moi
mais M. Ahmed Bensâada, dans son livre « Arabesque américaine. Le rôle
des Etats-Unis dans les révoltes de la rue arabe, éditions Michel Brûlé, avril
2011 ». Cet éminent physicien algérien, installé au Canada, a
effectivement le grand mérite d’avoir analysé le « printemps arabe »
sans le romantisme révolutionnaire qui l’entourait. Même si ce livre
n’était pas à proprement parler politique ou géopolitique – l’auteur,
en homme de science, s’est contenté de mener une enquête
rationnelle sur les relations entre les cyber-activistes arabes et
certaines ONG américaines – il a été pour moi d’une grande et
précieuse utilité.75

5.2. L’équipe du CIGPA

Le CIGPA est administré par le trio Mezri Haddad (fondateur-


président-directeur), Andrea Corvo, ex représentant d’Italie auprès
de l’Union européenne (directeur-adjoint) et Michel Raimbaud,
ancien Ambassadeur de France (directeur-adjoint). Le centre est
doté d’un Comité de parrainagei comprenant des noms
prestigieux : anciens présidents, premiers ministres et ministres,
dont l’ancien ministre français de la Défense, Charles Millon, d’une
Commission politique,ii comprenant notamment Ridha Grira,
ancien ministre de Ben Ali de la Défense nationale (14 janvier 2010

i Mario Suarez, Ancien Président du Portugal ; Abdou Diouf, Ancien Président du

Sénégal ; Ely Ould Mohamed Vall, Ancien Président de Mauritanie ; Sid-Ahmed Ghozali,
Ancien Premier-ministre d’Algérie ; Hamed Karoui, Ancien Premier-ministre de Tunisie ;
Charles Millon, Ancien ministre de la Défense, France ; François Terré, Juriste et
Académicien ; Tahar Belkhodja, Ancien ministre de l’Intérieur, Tunisie ; Vittorio Craxi,
Ancien secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Italie.
ii Ridha Grira, Ancien ministre tunisien de la Défense nationale (14 janvier 2010 –

27 janvier 2011) ; Sylvain Ndoutingaï, Ancien Ministre centrafricain ; Vittorio Craxi,


Ancien Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères italiennes ; Mezri Haddad, Philosophe et
ancien Ambassadeur ; Christian Malard, Journaliste responsable du service étranger de
France 3 ; Evagoras Mavrommatis, Président de la communauté chypriote d’Europe ;
Laoualy Ada, Conseiller Principal du Premier Ministre du Niger ; Ali Abdel Rahmane
Haggar, Ancien Secrétaire général de la Présidence de la République du Tchad.

Page 162
Youcef Bedjaoui

1989 en Europe a été expliquée par une transition hégémonique


abrupte, à savoir la chute de l’Union soviétique.67
La persuasion de l’explication structurelle reste cependant
limitée vu que les causes internes varient, en nature et en degré,
d’un pays à l’autre alors qu’il faudrait rendre compte d’une
déflagration politique dans plusieurs pays en un court laps de
temps. La contagion contestataire ne semble pas provenir des
mêmes structures, dans chacun des pays impliqués, même si ces
structures affectent probablement la distribution de la diffusion
contestataire et ses formes dans chaque pays.
Il existe diverses explications de la diffusion révolutionnaire par
l’agentivité (agency). Notant que les contagions révolutionnaires
ressemblent aux attaques spéculatives des monnaies, une étude
singulière modélise, avec la théorie des jeux, ces évènements rares
surgissant par vagues par une cascade informationnelle qui
transforme les croyances sur ce qui est possible, les citoyens
devenant plus assertifs et les élites gouvernantes se pliant à
l’inévitabilité du changement.68 Mais l’explication la plus invoquée
de la cascade révolutionnaire dans cette approche est l’« effet
démonstratif » par lequel les évènements dramatiques et la réussite
d’un soulèvement dans un pays pivot vont radicalement modifier
les perceptions dans les pays de la région, convaincant les gens que
le « changement est réalisable », que « c’est le bon moment et la
bonne méthode », et suscitant chez eux l’émulation de la
révolution du pays pivot.69 C’est un processus psychologique qui
supplante l’analyse et la prise de décision rationnelles, où des
inférences et des projections, à partir du pays pivot, sont faites et
implémentées hâtivement à partir d’informations non-vérifiées, de
raccourcis, d’aprioris, et de données fragmentaires.70
L’adoption rationnelle d’une stratégie de renversement d’une
dictature pratiquée dans un pays tiers, et son adaptation réfléchie et
circonspecte aux conditions locales constitue un transfert de
know-how politique qui exige des ressources humaines expertes et
un réseautage solide avec les architectes et les acteurs du
renversement émulé de ce pays tiers. Le développement des
compétences et des outils organisationnels pour mettre cette
stratégie en œuvre exige aussi des ressources humaines et

Page 78
Maillage idéologique et politique

émirati, il sponsorise diverses plates-formes de dialogue. Parmi elles,


le site Internet ForMENA, basé à Bruxelles, le Mediterranean Gulf
Forum, implanté à Rome, ou le Centre international de géopolitique et
de prospective analytique, à Paris, dirigé par le Tunisien Mezri
Haddad, ancien serviteur zélé du régime Ben Ali. Des structures qui
accueillent à bras ouverts les contempteurs des « printemps arabes »
et du Qatar, mais formulent peu de critiques à l’encontre des Emirats
arabes unis…85

Les intervenants aux colloques du CIGPA sont principalement


des hommes politiques et des responsables du renseignement
français. La conformité des sujets des colloques aux objectifs
affichés du centre est un point qui est traité en détails dans l’article
suivant dans cet ouvrage « Le CIGPA, un think-tank aligné sur la
politique étrangère française ». Tout porte à croire, en effet, que le
CIGPA soit le lieu de convergence de la haine que porte Mezri
Haddad à l’islamisme, au Qatar et à la Turquie, et des objectifs
stratégiques la France officielle qui s’inquiète du réveil des peuples
maghrébins, arabes et africains et de l’accroissement de puissance
turque, qui mettent en péril le statu quo fondé sur un ordre
mondial largement défini par l’Occident, et attentent, selon Paris, à
l’influence et aux intérêts de la France dans la région.
L’instrumentalisation de Mezri Haddad et de son CIGPA s’inscrit
dans la guerre de propagande pour freiner la contestation et l’essor
des peuples de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, et les
maintenir dans une position de sujétion.

6. Influence et financement émiratis


Explorer les groupes et réseaux d’influence émiratis s’impose de
lui-même vu la proximité affichée et assumée de certains collègues
proches de Bensâada avec eux. Nous avons abordé plus haut
(section 5.3) le partenariat entre le CIGPA et le centre émirati
Abhath de Dahlan. Le lecteur découvrira d’autres organisations
douteuses ayant eu des activités publiques où étaient présents
Richard Labévière, Eric Denécé et d’autres personnes que nous
vous laisserons découvrir.
Il serait malvenu de notre part de ne pas annoncer, avant d’aller
plus loin, que nous n’avons pas découvert de lien direct entre

167
Youcef Bedjaoui

mouvements de libération et révolutions depuis le 19ème siècle, sur


tous les continents, et dans toutes les cultures.74 La diffusion de
cette idée n’a pas pour source les USA et la direction de son flux
n’est pas d’un centre vers une périphérie. Par exemple, le répertoire
des actions du mouvements des droits civils aux USA est
largement inspiré des formes de résistance non-violentes de
Ghandi.75 Gene Sharp n’a pas inventé la non-violence, même s’il
est influent parmi un nombre de théoriciens de son usage. Dans
notre région du monde, il existe des réflexions politiques, morales,
historiques et théologiques, en arabe, sur la lutte non-violente
depuis des décennies.76 Les sociétés accumulent également de la
sagesse collective à travers leurs expériences, celles de leurs voisins,
et du monde en général. La décennie de guerre civile sanglante en
Algérie dans les années 90 a notamment joué le rôle d’avertisseur
contre la violence politique parmi les acteurs politiques et sociaux
du monde arabe. Le hirak algérien de 2019 maintient à ce jour une
discipline non-violente exemplaire, qui puise son intelligence dans
les plaies encore vives de la « sale guerre » ainsi que dans la leçon
encore vivace des soulèvements arabes qui se sont fourvoyés dans
la violence. Alors oui, il y a des activistes arabes qui se sont
imprégnés des idées des révolutions de couleur, par le contact
personnel ou par la littérature, mais à ce jour il n’y a aucune trace
d’un projet de renversement d’un régime arabe par les élections, et
la mesure de leur influence sur les soulèvements reste à démontrer,
tout comme c’est le cas des activistes qui se sont intéressés à
d’autres luttes non-violentes, d’autres expériences et réflexions au
sein du monde arabe et en dehors. Tracer donc la non-violence du
« printemps arabe » (du moins ses débuts) à CANVAS relève d’une
distorsion des faits et de la caricature la plus grotesque. Les
courants de diffusion des idées contestataires sont beaucoup plus
nombreux et complexes.
Prenons deux autres exemples sur lesquels Bensâada a une
fixation : l’humour et l’usage du poing d’Otpor qui, en plus de la
non-violence, justifient pour lui l’identification du « printemps
arabe » et du hirak algérien aux révolutions de couleur.
L’historiographie occidentale fait remonter le satire politique à
Aristophane, mais l’emploi de l’humour dans la lutte politique est
aussi vieux que la première gouvernance humaine, plutôt qu’un

Page 80
Moussa Benmohammed

discours de la fustigation des ONG comme vecteurs d’influence au


service des intérêts étatsuniens. Il est donc curieux de le voir
monter au créneau pour le GNRD,103 financé en partie par
Mohammed Dahlan. Il y a donc des bonnes et des mauvaises
ONG. Ce double rapport aux ONG nous a interpellé et nous a
poussé à nous intéresser au cas de cette organisation.
Le GNRD est une ONG norvégienne fondée par Loai Deeb,
un Palestinien résident en Norvège. Sous son règne, cette ONG a
entre autres organisé deux conférences (une sur le Bahreïn et
l’autre sur le terrorisme) et a participé à la scrutation d’élections au
Soudan du Sud (2011), en Jordanie (2013), en Algérie
(présidentielles de 2014), en Egypte (présidentielles de 2014), et en
Tunisie (parlementaires, fin 2014).
Le GNRD a aussi bien « renvoyé l’ascenseur » à ses sponsors.
Le site d’information émirati The National a annoncé le 18 octobre
2013 que :

Les Emirats Arabes Unis sont classés à la 14 ème position dans le


monde en termes de respect des droits de l’homme par le Global
Network for Rights and Development […] devançant plusieurs pays
occidentaux, y compris les Etats-Unis.104

Cette position parait surréaliste lorsqu’on sait par exemple qu’en


2013, Freedom House a classé les Emirats Arabes Unis parmi les 30
derniers pays qui souffrent d'une absence grave de liberté sur un
total de 195 pays étudiés,105 alors que l’Institut Cato a classé les
Emirats Arabes Unis, selon leur Human Freedom Index, à la 117ème
sur 152 en 2015.106
Deeb est accusé par la justice et presse norvégiennes de
blanchiment d’argent provenant des Emirats Arabes Unis. Des
journalistes du Aftendbladet ont publié une enquête intitulée
« l’organisation mystérieuse » accusant Loai Deeb :
Visiblement Loai Mohammed Deeb a voulu lutter pour la paix et
pour un monde meilleur. Il créa sa propre ONG. Encore une autre.
Et encore une autre. Bientôt l’homme, issu d’une petite communauté
norvégienne, devient un réseau d’organisations internationales
louches et d’universités douteuses.

Page 172
Youcef Bedjaoui

au Liban (« kulon yaâni kulon ») et par les protestataires New-


Yorkais exigeant la destitution de Trump (« remove them all ») l’hiver
dernier.80 Dans le registre de l’humour, dans certaines villes des
États-Unis touchées par la vague de protestations qui a secoué ce
pays, suite à la mort de George Floyd, des manifestants ont tendu
aux policiers des ficelles aux bouts desquelles étaient attachées des
doughnuts, pratique que des groupes Facebook algériens dédiés aux
mèmes ont associé aux hirakiens qui défilaient à Alger avec des
boudins de cachir attachés aux bouts de leurs cannes à pêche.81
Reste que ce discours de la marque dans les idées contestataires
n’est pas vraiment fondé, car la diffusion des idées contestataires
n’est pas un simple flux d’information entre un producteur et un
consommateur. Les activistes politiques et sociaux, qui ont le souci
d’améliorer le sort de leur pays, exercent un effort constant de
réflexion et de prospection des stratégies, des tactiques, des formes
d’organisation et de protestation, des pratiques, des compétences,
des informations, des slogans etc. susceptibles d’améliorer leurs
efficacités et celles de leurs mouvements. Cet effort d’acquisition
de know-how politique, à partir des sphères intra-nationale,
régionale et globale, n’est pas réductible à une simple
consommation d’un produit nouveau car c’est un processus
culturel complexe qui exige un discernement des contextes
culturel, légal, institutionnel et politique locaux, un mapping des
logiques d’intérêts sous-jacentes, et une capacité d’adaptation, de
modification et de légitimation des idées et des pratiques en
question.82 Ce travail culturel, intellectuel et politique, que certains
sociologues appellent vernacularisation, est créatif et novateur en
lui-même. (Voir le schéma de la diffusion dans l’annexe)
La précarité des associations à l’emporte-pièce que fait
Bensâada entre les idées contestataires des révolutions de couleur
et celles du « printemps arabe » et du hirak algérien est on ne peut
plus claire.

6. Conclusion
Cet article a été une mise à profit de quelques enseignements des
sciences politiques sur les phénomènes révolutionnaires pour
examiner la thèse de Bensâada selon laquelle le « printemps arabe »

Page 82
Maillage idéologique et politique

publiant pas un,120 pas deux,121 mais trois122 articles pour prendre la
défense de l’ONG et de Loai Deeb. La réaction du journaliste
parait disproportionnée et risquée. Pourquoi irait-il défendre un
homme empêtré dans des affaires louches ? Existe-t-il un lien entre
les deux hommes ?
La rubrique « à propos » du site « renenaba.com » dresse une
biographie de René Naba qui mentionne les deux
occupations suivantes :
Membre du groupe consultatif du Scandinavian Institute for Human
Rights (SIHR), dont le siège est à Genève et de l’Association d’amitié
euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l’International Institute for
Peace Justice and Human Rights (IIPJHR) dont le siège est à Genève.123

Le registre de commerce du canton de Genève indique que


l’IIPJHR (association enregistrée sous le numéro CH-
660.0.503.010-7) a été dissoute le 20 janvier 2020 par les membres
de son comité de direction.124 Ce comité est formé par, entre
autres, la présidente Noura Deeb (Norvège) et le secrétaire général
Loai Mohamed Deeb (Norvège). Le même registre indique toutes
les modifications des statuts de l’organisation. On peut donc y
remarquer que deux ressortissants émiratis, Qaraiban Shamsa
Majid Khalfan et Alfalasi Yousuf Ali Ahmad Ben Zayed, ont pris
part au comité de l’IIPJHR en tant que, respectivement, présidente
et vice-président pendant 14 jours (du 11 mai 2016 au 25 mai
2016). Nous ignorons les raisons qui ont motivé ce passage furtif.
Un certain Forotan Bagha Amir a été inscrit comme membre
du comité de direction de l’IIPJHR à la 4ème révision des statuts (en
date du 1er juillet 2013) avant d’être radié à la 7ème révision (en date
du 13 mars 2014). Cette personne est également membre du
comité de l’organisation SIHR dont René Naba est membre de son
groupe consultatif.
Le site « easymonitoring.ch » nous apprend que la dissolution
de l’IIPJHR a été motivée par des « poursuites pour dettes ».125 Le
rapport fait état de six mensualités de loyer impayées avec un total
de 30'900 francs suisses.126
Il était également curieux de découvrir un lien de proximité
entre l’IIPJHR et l’extrême-droite française. La presse suisse avait

177
Youcef Bedjaoui

révolutionnaires différentes, et que, du point de vue de la


temporalité, les soulèvements MENA s’apparentent plus aux
révolutions de 1989 ou 1848.
Enfin, pour dévoiler la caducité des assertions de Bensâada
faisant des soulèvements MENA le produit d’idées contestataires
provenant de CANVAS, une esquisse a été faite des mécanismes
qui sous-tendent les vagues de révolutions ainsi que des processus
complexes de diffusion des idées et des pratiques contestataires. Il
a été montré que l’histoire des formes de protestations qu’il a
invoquées contredit ses assertions. La mise en situation de ses
assertions dans une vue d’ensemble des processus complexes de
diffusion des idées et des pratiques contestataires et de leur
vernacularisation les montre pour ce qu’elles sont : une caricature
grotesque de la réalité.
Ce qui frappe dans les textes de Bensâada, ce n’est pas
simplement sa quête exclusive de rapports – réels et imaginaires –
d’identité entre ce qu’il se passe dans notre région et des
révolutions de couleur, mais c’est aussi sa fixation sur ces dernières
comme référence de comparaison. On peut se demander pourquoi
Bensâada ne prélève-t-il que les révolutions électorales de la
fournaise historique eurasienne pour en faire une aune
comparative ? Une réponse possible se déduit de l’observation de
Heurtaux sur la tendance des universitaires tunisiens à comparer
leur révolution et les soulèvements arabes aux révolutions de 1848
ou 1989 en Europe, alors que la révolution iranienne de 1979, la
transition démocratique algérienne (1988-1991) ou le soulèvement
pacifique libanais de 2005, qui se sont déroulés proches d’eux,
pourraient jeter plus de lumière sur le sujet.83 La comparaison peut
être un acte normatif où l’on juge implicitement l’objet de
recherche, où on analyse un évènement en cours « non pour ce
qu’il est mais pour ce qu’on veut qu’il soit », et Heurtaux propose
que ces universitaires sont rebutés par ces aunes comparatives à
cause de leurs dénouements désappointants. Ils préfèrent donc les
comparaisons avec des révolutions réussies.84
L’usage des révolutions de couleur comme norme comparative
répugne naturellement les hirakiens algériens, pour leur caractère
comploté par l’administration US, qui a une longue histoire de

Page 84
Moussa Benmohammed

Bensâada, Nehmé et Labévière sont membres du « comité de


rédaction » du CIGPA, think-tank présidé par le sulfureux contre-
révolutionnaire tunisien Mezri Haddad. Le CIGPA, qui entretient
des liaisons étroites avec de haut responsables du renseignement
français et étrangers, dissémine fortement et assidument l’idéologie
de l’islamo-atlantisme qui sied comme un gant à la théorie du
complot de Bensâada contre le printemps arabe et le hirak algérien.
En France, ce centre promeut une politique sécuritaire de droite
dure au détriment des ressortissants musulmans déjà sujets à une
forte stigmatisation. Plusieurs travaux et colloques de ce think-tank
visent à limiter l’influence qatarie et turque au Moyen-Orient.
Ces objectifs sont une convergence entre l’orientation du
CIGPA sous la houlette de Mezri Haddad et les visées stratégiques
de la France officielle qui s’inquiète du réveil des peuples
maghrébins, arabes et africains et de l’accroissement de puissance
turque, qui mettent en péril, selon Paris, le statu quo fondé sur un
ordre mondial largement défini par l’Occident, et attentent à
l’influence et aux intérêts de la France dans la région. L’orientation
et les activités du CIGPA sont confortées par sa proximité avec le
centre d’études émirati Abhath de Mohammed Dahlan, qui
sponsorise en partie le CIGPA. Ce dernier est le « pitbull » notoire
du pétromonarque Mohammed Ben Zayed, parrain des contre-
révolutions dans le monde arabe et ennemi juré du Qatar et de la
Turquie.141
La suite de l’article a examiné quelques aspects de l’influence
émiratie, non pas sur Bensâada directement, il n’y a apparemment
pas de lien direct dans ce sens, mais sur certains de ses proches
collaborateurs, toujours dans le but d’éclairer des aspects
inexplorés de la matrice idéologique et politique où il se situe.
Après un bref digest sur Dahlan, l’article a examiné une des
ONG, le GNRD, à travers laquelle les Emiratis promeuvent leur
agenda contre-révolutionnaire au détriment des peuples de la
région. Un compte rendu sur les usages politiques mafieux de cette
organisation a été fait et les frasques non moins mafieuses de son
chef ont été évoquées. Un exemple d’une activité de cette ONG,
une conférence internationale à Genève pour combattre le
terrorisme, à laquelle ont participé Labévière, Nehmé et Denécé, a

Page 182
Youcef Bedjaoui

Effet démonstratif, février 2011 Logo libanais

Manif pour la destitution de Trump, le 17 décembre 2019 à New York.


© SIPA USA / PA images

Les acteurs sociaux en traducteurs dans les schémas


de diffusion. Source : Ibid Malets et Zajak.

Page 86
Maillage idéologique et politique

arabeq&Itemid=119%20Mezri%20Haddad%20r%C3%A9pond%20%C3%A0%20Naou
fel%20Brahimi%20El-Mili
52 https://www.facebook.com/mezri.haddad/posts/3298303416927722
53 https://www.facebook.com/mezri.haddad/posts/3298303416927722
54 Mezri Haddad. La face cachée de la révolution tunisienne : Islamisme et Occident, une
alliance à haut risque. Apopsix, Paris (2011).
55Printemps arabe ou hiver islamiste ? Mezri Haddad. Le Quotidien d'Oran, 5 octobre
2011.

http://www.lequotidien-oran.com/?archive_date=2011-10-05&news=5158356
56Printemps arabe ou hiver islamiste ? Mezri Haddad. Le Quotidien d'Oran, 5 octobre
2011.

http://www.lequotidien-oran.com/?archive_date=2011-10-05&news=5158356
57La face cachée de la révolution dite du jasmin. Mezri Haddad. Outre-Terre 2011/3 (n°
29), pages 211 à 232.

https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2011-3-page-211.htm
58Printemps arabe ou hiver islamiste ? Mezri Haddad. Le Quotidien d'Oran, 5 octobre
2011.

http://www.lequotidien-oran.com/?archive_date=2011-10-05&news=5158356
59https://cigpa.org/mezri-haddad-synthese-et-cloture-du-colloque-cigpa-sur-la-derive-
panislamiste-et-neo-ottomane-derdogan-video/

http://www.mfa.gov.cy/mfa/mfa2016.nsf/All/5669E860BB065B5CC2257FAA0030
60

DD26?OpenDocument
61 Voir notes 37 et 62.
62https://cigpa.org/mezri-haddad-printemps-arabe-bilan-securitaire-economique-
geopolitique/
63 Poursuite des dirigeants. Programme "Direction Opposé" de Fayçal Al Qasim,
Aljazeera, 3 juillet 2001.

https://www.aljazeera.net/programs/opposite-
direction/2004/6/4/%D9%85%D9%84%D8%A7%D8%AD%D9%82%D8%A9-
%D8%A7%D9%84%D8%AD%D9%83%D8%A7%D9%85
64Mezri Haddad, le « philosophe » lécheur de culs. Pierrot LeFou. Tunisie Focus, 29 juin
2019.

https://www.tunisiefocus.com/politique/mezri-haddad-le-philosophe-lecheur-de-culs-
211338/

187
Youcef Bedjaoui

6 Giovanni Sartori, ‘Compare Why and How: Comparing, Miscomparing and the
Comparative Method’, in M. Dogan e A. Kazancigil (ed.), Comparing Nations, Basil
Blackwell, Oxford 1994, pp. 14-34.
7 Karim B. et Mohamed El-Ghazi, ‘Interview d'Ahmed Bensaada: « Le lobby sioniste est
très actif en Algérie »’, Algérie Patriotique, 28 mai 2019.
8 Ahmed Bensaada, Huit ans après : la « printanisation » de l’Algérie, 4 avril 2019.

https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=4
75:2019-04-04-22-50-13&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
9 Ibid.
10 Hocine Neffah, ‘Les Américains ont financé des ONG algériennes’, L’Expression, 2
janvier 2020.
11 Ibid.
12 Ahmed Bensaada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, op. cit., p. 66.
13 Voir les notes 7, 8 et 10.
14 Ibid.
15 Ibid ; Hocine Neffah, ‘Entretien avec Ahmed Bensaada: « Il y a une caste qui dirige ce
hirak »’, L’Expression, 21 juin 2020.
16Donnacha Ó Beacháin et Abel Polese (eds.), The Colour Revolutions in the Former Soviet
Republics: Successes and Failures, Routledge, London 2010; Valerie J. Bunce et Sharon L.
Wolchik, Defeating Authoritarian Leaders in Postcommunist Countries, Cambridge University
Press, Cambridge 2011; Lincoln A. Mitchell, The Color Revolutions, University of
Pennsylvania press, Philadelphia 2012.
17 Ibid.
18 Julia Gerlach, Color Revolutions in Eurasia, Springer, Heidelber 2014, pp. 1-56.
19 Voir les notes 16 et 18.
20Steven Levitsky et Lucan A. Way, Competitive Authoritarianism: Hybrid Regimes after the
Cold War, Cambridge University Press, Cambridge 2010.
21 Ibid.
22 Voir les notes 16 et 18.
23 Voir note 16; Olena Nikolayenko, Youth Movements and Elections in Eastern Europe,
Cambridge University Press, Cambridge 2017; Tristan Landry, ‘The Colour Revolutions
in the Rearview Mirror: Closer Than They Appear’, Canadian Slavonic Papers, Vol. 53
(2011) pp. 1-24.

Page 88
Moussa Benmohammed

120René Naba. FIFA-Qatar : Haro sur une ONG phare, le GNRD (1/3). Madaniya.info, 1
septembre 2016.

https://www.madaniya.info/2016/09/01/fifa-qatar-haro-sur-une-ong-phare-le-gnrd-1-
3/
121René Naba, FIFA-Qatar : Le GNRD, alternative aux prescripteurs occidentaux ?
(2/3). Op.cit.
122 René Naba. FIFA-Qatar-Norvège GNRD : Epilogue (3/3). Madaniya.info,
11 septembre 2016.

https://www.madaniya.info/2016/09/11/fifa-qatar-norvege-gnrd-epilogue-3-3/
123 Rubrique « A propos / René Naba » sur le site renenaba.com.

https://www.renenaba.com/a-propos/
124 Registre de Commerce du Canton de Genève. Institut international pour la paix, la
justice et les droits de l'Homme – IIPJDH, en liquidation, 27 juillet 2010.

https://ge.ch/hrcintapp/externalCompanyReport.action?companyOfsUid=CHE-
115.547.609&lang=FR
125 Institut international pour la paix, la justice et les droits de l'Homme – IIPJDH, en
liquidation. Easymonitoring.ch, 27 juillet 2020.

https://www.easymonitoring.ch/fr/registre-du-commerce/institut-international-pour-la-
paix-la-justice-et-les-droits-de-l-homme-iipjdh-976291
126 Ibid. Rubrique « Commandement de payer ».
127Philippe Bach. Entrisme d’extrême-droite à la Maison des associations ? Le Courrier,
1 mars 2013.

https://lecourrier.ch/2013/03/01/entrisme-dextreme-droite-a-la-maison-des-
associations/
128 Ibid.
129Registre de Commerce du Canton de Genève. Institut Scandinave pour les Droits de
l'Homme / Fondation Haytham Manna, IDE/CHE-389.151.369. 27 juillet 2020.

http://ge.ch/hrcintapp/externalCompanyReport.action?companyOfrcId13=CH-660-
2938016-3&ofrcLanguage=1
130
René Naba. Haytham Manna, Président de l'opposition démocratique laïque syrienne.
Madaniya.info, 13 décembre 2015.
https://www.madaniya.info/2015/12/13/haytham-manna-president-de-l-opposition-
democratique-laique-syrienne/

Page 192
Youcef Bedjaoui

35 Valerie Bunce et Sharon Wolchick, ‘Modes of Popular Mobilisations against


Authoritarian Rulers: A Comparison of 1989, the Color Revolutions, and the MENA
uprisings’, Demokratizatsiya, Vol 26 (2018) pp. 149-172.
36 Larbi Sadiki (ed.), Routledge Handbook of the Arab Spring, Routledge, New York 2015.

Tina Rosenberg, ‘Revolution U: What Egypt learned from the students who overthrew
37

Milosevic’, Foreign Policy, 16 février 2011.


38Mark LeVine, ‘The Revolution Never Ends: Music, Protest and Rebirth in the Arab
World’, in Larbi Sadiki (ed.), Routledge Handbook of the Arab Spring, Routledge, New York
2015, pp. 354-365; Charlotte Schriwer, ‘Graffiti Arts and the Arab Spring’, Sadiki, op. cit.,
pp. 376-391; Atef Alshaer, ‘Poetry and the Arab Spring: A Historical Perspective’, Sadiki,
op. cit., pp. 392-407.
39 Ibid.
40Ezzeddine Abdelmoula, ‘Al Jazeera and Televised Revolution: The Case of Tunisia’, in
Larbi Sadiki (ed.), Routledge Handbook of the Arab Spring, Routledge, New York 2015, pp.
366-375.
41 Armando Salvatore, ‘A Public Sphere Revolution? Social Media versus Authoritarian
Regimes’, in Larbi Sadiki (ed.), Routledge Handbook of the Arab Spring, Routledge, New York
2015, pp. 343-353; María Blanco Palencia, ‘Youth and Technology in a Bottom-Up
Struggle for Empowerment’, op. cit., pp. 420-432.
42Heidi A. Campbell et Diana Hawk, ‘Al Jazeera’s Framing of Social Media During the
Arab Spring’, CyberOrient, Vol. 6 (2012) pp. 34-51; Diana Bossio, ‘How Al Jazeera
reported the Arab Spring: A preliminary comparative analysis’, Media Asia, Vol. 40
(2013) p333-343; Diana Bossio, ‘Journalism during the Arab Spring: Interactions and
Challenges’, in Saba Bebawi et Diana Bossio (eds.), Social Media and the Politics of Reportage:
The 'Arab Spring', Palgrave Macmillan, London 2014, pp. 11-32; Ezzeddine Abdelmoula,
Al Jazeera and Democratization: The Rise of the Arab Public Sphere, Routledge, London 2015;
Sam Cherribi, Fridays of Rage: Al Jazeera, the Arab Spring, and Political Islam, Oxford
University Press, Oxford 2017.
43Gamal M. Selim, ‘The United States and the Arab Spring: The Dynamics of Political
Engineering’, Arab Studies Quarterly, Vol 35 (2013) pp. 255-272; Elliot Abrams, Realism and
Democracy: American Foreign Policy After the Arab Spring, Cambridge University Press,
Cambridge 2017, p. 173.

Jason Brownlee, Democracy Prevention: The Politics of the U.S.-Egyptian Alliance, Cambridge
44

University Press, New York 2012, p. 170.


45AFP, ‘Attaquée sur la Tunisie, Alliot-Marie se défend et reçoit l'appui de Fillon’, 20
Minutes, 18 janvier 2011.
46 Abrams, op. cit., pp. 173-174.

Page 90
Le CIGPA, un think-tank aligné sur la politique étrangère française

CIGPA précise bien que la lutte qui les y oppose n’implique pas
exclusivement des enjeux militaires ou sécuritaires, mais repose
aussi sur une profonde différence de valeurs. Le CIGPA se
revendique en effet des Lumières et d’un attachement profond à
l’humanisme et aux droits de l’homme. Le centre déclare désirer
mettre son savoir au service de la « vérité, de la tolérance et de la
paix dans le monde ».
Disant disposer de plusieurs bureaux dans le monde et réunir
des experts issus de divers horizons, le CIGPA tient à s’afficher
comme un think-tank qu’on ne pourrait accuser d’ethnocentrisme.
Le centre plaide pour un « véritable dialogue des religions » et se
réclame d’une vocation éthique. Le CIGPA n’a, en conclusion, pas
peur d’affirmer que « son cosmopolitisme et sa diversité lui
confèrent ainsi une capacité d’expertise et d’analyse totalement
objective et résolument universelle, à l’inverse des visions
occidentalo-centristes, culturalistes et arabo-centristes, ainsi que
des intérêts partisans de certains pays ou de certains groupes de
pression ».
Expertise, éthique et objectivité totale, telles sont donc les
qualités que l’on devrait attendre des activités du CIGPA. Que
donnent en réalité ces objectifs ambitieux ? Pour le savoir, nous
ferons une brève recension de toutes les activités du centre, puis
nous en présenterons les méthodes utilisées et les positions
défendues.

3. Activités : peu de recherche, beaucoup de


conférences.

Le site Internet du CIGPA présente les travaux réalisés dans les


rubriques « Nos colloques », « Actualités » (« CIGPA dans la
presse ») et « Rapports ».
Les « Actualités » reprennent, en plus des extraits vidéo de
colloques organisés par le CIGPA, des articles ou tribunes de
presse, écrits par des membres « réguliers » ou conférenciers
« occasionnels » du CIGPA. La quasi-totalité des articles sont
consacrés à la Turquie et au président Erdogan, parmi lesquels :
« Menace néo-ottomane en Méditerranée : les appétits de puissance

197
Youcef Bedjaoui

54Phil Hornshaw, ‘10 Dictators Donald Trump Has Said Nice Things About’, The Wrap,
2 mai 2017; Krishnadev Calamur, ‘Nine Notorious Dictators, Nine Shout-Outs from
Donald Trump’, The Atlantic, 4 mars 2018.
55Khaled Satour, ‘L’hystérisation du débat sur le hirak: à propos des « révélations »
d’Ahmed Bensaada’, blogs.mediapart.fr/khaled-satour/blog .
56 Karim B. et El Ghazi, op. cit.
57 Pologne: 4 juin 1989 ; Turkménie: 7 janvier 1990 ; Ouzbékistan: 18 février 1990 ;
Lituanie: 24 février 1990 ; Moldavie: 25 février 1990 ; Kirghizie: 25 février 1990 ;
Tadjikistan: 25 février 1990 ; Biélorussie: 4 mars 1990 ; Russie: 4 mars 1990 ; Ukraine: 4
mars 1990 ; Allemagne de l'Est: 18 mars 1990 ; Estonie: 18 mars 1990 ; Lettonie: 18 mars
1990 ; Hongrie: 25 mars 1990 ; Kazakhstan: 25 mars 1990 ; Slovénie: 8 avril 1990 ;
Croatie: 22 avril 1990 ; Roumanie: 20 mai 1990 ; Arménie: 20 mai 1990 ;
Tchécoslovaquie: 8 juin 1990 ; Bulgarie: 10 juin 1990 ; Mongolie: 22 juin 1990 ;
Azerbaïdjan: 30 septembre 1990 ; Géorgie: 28 octobre 1990 ; Macédoine: 11 novembre
1990 ; Bosnie:Herzégovine: 18 novembre 1990 ; Serbie: 9 décembre 1990 ; Monténégro:
9 décembre 1990 ; Albanie: 31 mars 1991.
58 Voir note 5.
59Kurt Weyland, ‘The Diffusion of Regime Contention in European Democratization,
1830-1940’, Comparative Political Studies, Vol. 43 (2010) pp. 1148–1176; Kurt Weyland,
‘The Diffusion of Revolution: '1848' in Europe and Latin America’, International
Organization, Vol. 63 (2009), pp. 391-423.
60 Ibid.
61 Voir par exemple, Robert Springborg, ‘Whither the Arab Spring? 1989 or 1848?’, The
International Spectator, Vol. 46 (2011) pp. 5–12; Kurt Weyland, ‘The Arab Spring: Why the
Surprising Similarities with the Revolutionary Wave of 1848’, Perspectives on Politics, Vol. 10
(2012) pp. 917–934; Henry E. Hale, ‘Regime Change Cascades: What We Have Learned
from the 1848 Revolutions to the 2011 Arab Uprisings’, Annual Review of Political Science,
Vol. 16 (2013) pp. 331-353; Gunitsky, op. cit., pp. 634-665.
62 Katz, op. cit.
63Voir note 5; Gunitsky, op. cit., pp. 634-665; Gianluca Solera, ‘A Revolutionary
Contagion’, in Gianluca Solera (ed.), Citizen Activism and Mediterranean Identity: Beyond
Eurocentrism, Palgrave MacMillan, London 2017, pp. 1-27; Henry E. Hale, ‘Regime
Change Cascades: What We Have Learned from the 1848 Revolutions to the 2011 Arab
Uprisings’, Annual Review of Political Science, Vol. 16 (2013) pp. 331-353.
64 Helge Berger et Mark Spoerer, ‘Economic Crises and the European Revolutions of
1848’, The Journal of Economic History, Vol. 61 (2001), pp. 293-326; Kevin Adamson et
Mike Rapport, ‘The Domino Revolutions: 1848, 1989, 2011’, History Workshop (UK), 12
janvier 2012.

Page 92
Seddouqiya Ben Aknoun

peut sérieusement prétendre à l’objectivité en organisant des


colloques à ce point orientés.
Etrangement, outre la présence d’anciens ministres des Affaires
étrangères chypriotes dans les colloques du CIGPA, les liens fort
de ce centre et de son fondateur, Mezri Haddad, se reflètent dans
les organes du CIGPA : Evagoras Mavrommatis, président de la
communauté chypriote d’Europe, est membre de la commission
politique du centre et Michális Attalídis, ancien ministre des
Affaires étrangères chypriotes, est membre de sa commission
scientifique. Par ailleurs, Mezri Haddad est codirecteur du Daedalos
Institute of Geopolitics, fondé en mai 2006 à Nicosie par le Conseil
des ministres de Chypre et dont la mission est décrite comme suit
par un autre ministre chypriote des Affaires étrangères, Markos
Kyprianou :
Le Daedalos Institute of Geopolitics, établi en 2006, a une mission, entre
autres tâches, de fournir une analyse et des conseils indépendants et
impartiaux sur les questions pertinentes de politique étrangère.5

4.2. Egypte, Trump et Printemps arabes

Peut-être que la Turquie est la seule thématique bénéficiant de ce


« traitement de faveur » de la part du CIGPA ? Pour nous en
assurer, nous avons voulu « laisser une chance » supplémentaire au
think-tank « d’une objectivité totale » et examiner la manière dont
d’autres sujets sont traités. De cette manière nous pourrons
également étayer notre examen de la position idéologique du
CIGPA.
Le colloque de 2018 consacré à l’Egypte6 et traitant des « grands
défis stratégiques de l’alliance franco-égyptienne » compte
également un grand nombre (huit des douze intervenants !) de
personnalités issues du monde politique, parmi lesquels Henri
Guaino, ancien conseiller du président Sarkozy, Hubert Védrine et
Hervé de Charette, anciens ministres des Affaires étrangères, ainsi
que plusieurs anciens membres du gouvernement du président
égyptien déchu Hosni Moubarak…
Le but du colloque était de réfléchir aux relations à construire
entre la France et l’Egypte, en mettant de côté les « homélies

Page 202
Youcef Bedjaoui

Press, Oxford 2009; Mark Kurlansky, Nonviolence: The History of a Dangerous Idea, Vintage
Books, London 2007; Kit Christensen, Nonviolence, Peace, and Justice: A Philosophical
Introduction, Broadview Press, Ontario 2009; Andrew Fiala, The Routledge Handbook of
Pacifism and Nonviolence, Routledge, London 2018; Michael N. Nagler, The Nonviolence
Handbook: A Guide for Practical Action, Berrett-Koehler Publishers, San Francisco 2014;
Judith Butler, The Force of Nonviolence: An Ethico-Political Bind, Verso, New York 2020;
David T. Dellinger, Revolutionary Nonviolence, Anchor Books, New York 1971; Gene
Sharp, The Politics Of Nonviolent Action (3 volumes), P. Sargent Publisher, Boston 1973;
Walter Wink, Jesus and Nonviolence: A Third Way (Facets), Fortress Press, Minnesota 2003;
James Melvin Washington (ed.), A Testament Of Hope: The Essential Writings Of Martin
Luther King, Harper & Row, San Francisco 1986; Paul R. Fleischman, The Buddha Taught
Nonviolence, Not Pacifism, Pariyatti Publishing, Washington 2002; Robert Ellsberg (ed.),
Thich Nhat Hanh: Essential Writings, Orbis Books, New York, 2001; Paige, Glenn, Chaiwat
Satha-Anand, et Sarah Gilliatt (eds.), Islam and Nonviolence, University of Hawai Press,
Honolulu 1993; Mohammed Abu-Nimer, Nonviolence and Peace Building in Islam: Theory and
Practice, University of Florida Press, Gainesville 2003;Jeffry R. Halverson, Searching for a
King: Muslim Nonviolence and the Future of Islam, Potomac, Washington 2012; Pal. Ahluwalia,
Violence and Non-Violence in Africa, Routledge Studies in International Relations and
Global Politics, London 2007.
75 Sean Chabot, ‘Transnational Diffusion and the African American Reinvention of
Gandhian Repertoire’, Mobilization: An International Journal, Vol. 5 (2000) pp. 201-216;
Sean chabot et Jan Willem Duyvendak, ‘Globalization and transnational diffusion
between social movements: Reconceptualizing the dissemination of the Gandhian
repertoire and the "coming out" routine’, Theory and Society, Vol. 31 (2002) pp. 697-740.
76Consulter la bibliographie de l’article suivant dans ce livre de Abbas Aroua, « La non-
violence en Algérie : complot impérialiste ou phénomène endogène ? ».
77 Alexander Berkman, ‘The Lexington Explosion’, Mother Earth IX, juillet 1914, p. 155;
Francesca Seravalle, ‘The Fist Photos: On the Polysemy of the Fist’, Photographic Museum
of Humanity, 2017.
78 Honwana, op. cit., pp. 8-21; Solera, op.cit.
79Ibid; Gianluca Solera, ‘Revolutionary Contagion: Social Movements around the
Mediterranean’, in Larbi Sadiki (ed.), Routledge Handbook of the Arab Spring, Routledge,
New York 2015, pp. 331-340.
80Wafa Aouad, ‘Ahad fi sijjil intifadat kulon yaani kulon’, Al Bayan, 10 décembre 2019;
Marlene Lenthang, ‘Treasons Greetings! Tens of thousands rally at protests across the
nation in support of impeaching Donald Trump on eve of historic House vote’, Daily
Mail, 18 December 2019. Pour le Mali, voir les protestations de 2020 sur Wikipedia.
81Tarek Hafid, « Algérie : déferlante de mèmes Internet sur les États-Unis », Sputnik
News, 9 juin 2020.

Page 94
Le CIGPA, un think-tank aligné sur la politique étrangère française

Notes de référence

1 https://cigpa.org/lequipe/comite-de-redaction/ et https://cigpa.org/mezri-haddad-
printemps-arabe-bilan-securitaire-economique-geopolitique/
2https://cigpa.org/events/colloque-de-cigpa-15-octobre-turquie-occident-monde-
arabe/
3https://cigpa.org/events/colloque-cigpa-29-fevrier-2020-la-derive-panislamiste-et-neo-
ottomane-derdogan/
4 https://cigpa.org/wp-content/uploads/2020/02/COLLOQUE-Turquie-2020-f.pdf
5http://www.mfa.gov.cy/mfa/mfa2016.nsf/All/5669E860BB065B5CC2257FAA0030D
D26?OpenDocument
6 https://cigpa.org/events/grands-defis-strategiques-de-lalliance-franco-egyptienne/
7 https://cigpa.org/relations-franco-egyptiennes-ne-soyons-idiots-utiles-islamistes/
8Human Rights Watch dénonça à cette occasion un massacre planifié à l’avance :
https://www.hrw.org/report/2014/08/12/all-according-plan/raba-massacre-and-mass-
killings-protesters-egypt
9http://cigpa.org/wp-content/uploads/2017/02/Elections-américaines-CIGPA-mai-
2016.pdf

207
Youcef Bedjaoui

Page 96
Makhlouf Larioui

interministériel relatif au traitement de l’information7 édicté le


7 juin 1994, conçu justement pour accompagner la répression des
années 1990, et dont la septième section prescrit aux journalistes
d’amplifier la « collusion avec l’étranger » :
7°) Mise en relief de la collusion avec l’étranger

• Soutien financier, logistique, etc. de l’Iran, du Soudan…

• Formation des afghans.

• Appel à boycotter l’Algérie et à nuire à ses intérêts économiques


vitaux.

• Contacts avec les puissances étrangères pour négocier leur soutien


en contrepartie de promesses ou d’engagements de servir les intérêts
de ces puissances en Algérie.

• Tractations secrètes avec les ennemis de l’Algérie.

• Etc.

Les lignes éditoriales de certains organes médiatiques donnent


l’impression distincte qu’une circulaire similaire est aujourd’hui en
vigueur avec le Qatar, la Turquie et les Frères Musulmans
vraisemblablement à la place de l'Iran et du Soudan !
Ainsi la férocité de la répression des médias rebelles (détention,
harcèlement judiciaire et sécuritaire, fermeture) a touché ces
derniers mois plusieurs journalistes connus et reconnus pour leurs
professionnalisme et indépendance, tels que Mustapha Bendjama,
Adel Azeb Chikh, Belkacem Djir, Khaled Drareni, Abdelkrim
Zeghileche, Abdessami Abdelhai et d’autres, ainsi que des sites
d’information crédibles tels que « Maghreb Emergent », « Radio M » et
« Interlignes » censurés comme d’autres pages politiques dont celle
du Mouvement Rachad. Cette répression des médias libres a été
vivement critiquée par les défenseurs des droits de l’homme en
Algérie, ainsi que par les organisations internationales de défense
des journalistes et de la liberté de la presse, comme Reporters Sans
Frontières,8 qui d’ailleurs situe l’Algérie en matière de liberté de
presse, en 2020, à la 146e place sur 180 au classement mondial.9

Page 212
Abbas Aroua

« Les musulmans n'ont besoin ni de Gandhi ni des Occidentaux


pour leur enseigner la non-violence, profondément ancrée dans
l'islam. »1 Johan Galtung, fondateur des études de la paix.

1. Introduction

Depuis l’avènement des soulèvements populaires non violents


dans le monde arabe en 2011 et de la deuxième phase du
« Printemps arabe » en 2019 qui a touché le Soudan, l’Irak, le Liban
et l’Algérie, certaines voix, parmi lesquelles celles jouissant de la
bénédiction des régimes autoritaires arabes, s’élèvent pour
dénoncer une nouvelle vague de « révolutions de couleur », qui
seraient conçues par l’administration américaine, accompagnées
par des « officines » étrangères (l’organisation serbe Otpor est
souvent mentionnée), et mises en œuvre dans les pays arabes soit
par des traitres à la solde de « l’impérialisme américain » soit par
des citoyens naïfs, non avertis, facilement manipulables par des
forces obscures ayant pour but de détruire nos Etats et ruiner nos
nations.
Ahmed Bensâada, auteur de la récente publication « Qui sont ces
ténors autoproclamés du Hirak algérien ? »,2 un opuscule dont certains
médias ont fait la promotion, y compris par les organes
d’information officiels comme l’agence nationale de presse Algérie
Presse Service (APS) qui présente la publication comme un « livre-
enquête »3 et la Chaine 3 de la radio nationale,4 est un exemple de
ces voix qui veulent jeter la suspicion sur le caractère
authentiquement algérien du hirak, en associant certaines de ses
figures à des forces occultes à l’étranger qui comploteraient contre
l’Algérie.
Ahmed Bensâada n’en est pas à son premier écrit sur le sujet.
Au printemps 2011 déjà, il publia « Arabesque américaine : le rôle
des Etats-Unis dans les révoltes de la rue arabe »,5 suivi à la veille
du lancement du hirak de « Arabesque$ : Enquête sur le rôle des
Etats-Unis dans les révoltes arabes »,6 puis en avril 2019 de « Huit
ans après : la “printanisation” de l’Algérie »7 et en décembre 2019

Page 98
La fabrique de la main étrangère

La mobilisation des médias promoteurs de l’opuscule d’Ahmed


Bensâada a continué durant tout l’été : « L’Expression »49 (Hocine
Neffah, 9 juin), « Algérie 54 »50 (Mehdia Bel, 11 juin), « Collectif
Novembre pour le Socialisme »51 (Djawad Rostom Touati, 11 juin),
« Algérie 54 »52 (Tarek Benaldjia, 12 juin), « Algérie Patriotique » du
général Khaled Nezzar53 (Youcef Benzatat, 15 juin),
« L'Expression »54 (Hocine Neffah, 16 juin), « Algérie Patriotique »55
(Kaddour Naïmi, 20 juin), « L'Expression »56 (Hocine Neffah,
21 juin), , « Algérie 54 »57 (Ahmed Bensâada, 25 juin), « Algérie 54 »58
(Ahmed Bensâada, 30 juin), « Mondialisation.ca »59 (Abdellali
Merdaci, 1er juillet), « Algérie Patriotique »60 (Boualem Snaoui,
8 juillet), « Algérie 54 »61 (Tarek Benaldjia, 9 juillet), « Algérie 1 »62
(Amar Djerrad, 10 juillet), « Le Soir d'Algérie »63 (Hakim Laâlam,
15 août). En outre, le mois d’août 2020 a connu le lancement d’une
nouvelle campagne publicitaire autour de la parution de la version
arabe de l’opuscule.64
Outre ce réseau de diffusion en Algérie et au Canada, Ahmed
Bensâada a bénéficié d’une couverture par des médias, notamment
en France et au Liban, avec un lectorat au Maghreb, au Monde
arabe et en Afrique : « Afrique du Future »65 (Novembre 2019),
« Afrique Asie »66 (5 juin), et au Liban par « Libna News »67 (Amar
Djerrad, 5 juin), « All Africa »68 (7 juin), « Jacques Tourtaux »69 (Amar
Djerrad, 9 juin), « Maghreb Facts »70 (12 juin), « Radio France
Maghreb 2 »71 (Yasmina Houmad et Christophe Frot, 15 juin),
« Proche & Moyen-Orient »72 (Richard Labévière, 15 juin), « Libna
News »73 (Amar Djerrad, 17 juin), « Le Maghreb DZ »74
(Abdelouahab Ferkhi, 25 juin), « Madaniya »75 et « Libna News »76
(René Naba, 1er juillet), « Al-Akhbar »77 libanais, disponible aussi en
français78 (Lina Kennouche, 3 juillet), « Afrique Asie »79 (Islem B.,
7 juillet), « Jacques Tourtaux »80 (Abdellali Merdaci, 12 juillet),
« Afrique Asie »81 (Hakim Laalam, 17 août), « African Info »82
(20 août).
Toute cette littérature réverbère, commente, et enguirlande la
thèse du livre, selon laquelle le hirak serait une révolution colorée
ourdie par les USA pour mettre des islamistes au pouvoir, sans
même prendre la peine de balancer une critique ici ou là pour
contrefaire une revue professionnelle. Quelques médias et blogs

217
Abbas Aroua

sociologique de l’Algérie de 2020 que les thèses complotistes,


convoque des éléments d’explication tirés de l’histoire récente du
pays, de sa culture profonde et de son intégration dans un monde
globalisé et interconnecté.
L’histoire récente de l’Algérie, à savoir ce qui s’y est passé dans
la dernière décennie du 20e siècle, a enseigné au peuple algérien
que l’action violente n’est pas la meilleure option pour faire face à
un régime autoritaire. L’action violente ne doit pas être jugée par sa
légitimité et légalité uniquement, mais aussi par son efficacité, c’est-
à-dire sa capacité de produire le résultat escompté au moindre coût
humain et matériel. La « première violence » que fut le coup d’Etat
de janvier 1992, comme le qualifiait Abdelaziz Bouteflika à sa
nomination à la présidence de la république en 1999, et la
répression qui s’en est suivie a poussé des jeunes Algériens à la
contre-violence, tombant ainsi dans le piège tendu par le régime
putschiste, car une action armée contre un régime militaire
lourdement armé, disposant d’un réseau sophistiqué de
moukhabarates à tous les niveaux de la société et une grande
capacité d’infiltration et de manipulation, est une bataille perdue
d’avance. La violence est le terrain privilégié des régimes militaires
qui mettent tout en œuvre pour y attirer leurs opposants politiques.
Céder à l’attraction de la confrontation armée est donc un suicide
politique. Les Algériens ne sont pas les seuls à avoir appris de leurs
expériences passées. Les Irakiens et les Libanais aussi sont passés
par des expériences douloureuses de violences politiques qui ont
failli anéantir le tissu social du pays ; ainsi les nouvelles générations
s’engagent plutôt dans l’action non-violente pour opérer un
changement politique et social.
Par ailleurs, le peuple algérien ne vit pas isolé du reste du
monde. Comme les autres peuples, il vit dans un monde globalisé,
surtout depuis l’avènement des réseaux sociaux. Nos jeunes
empruntent certains termes, symboles et slogans au mouvement
mondial de non-violence ; cela ne fait certainement pas d’eux des
« chevaux de Troie » facilitant la mainmise de l’impérialisme
mondial sur les ressources de nos pays. Les idées circulent et se
propagent dans le monde d’aujourd’hui à la vitesse des signaux
satellitaires et de la fibre optique. C’est ce que les chercheurs

Page 100
Makhlouf Larioui

https://www.eldjoumhouria.dz/art.php?Art=61785

‫ ديسمبر‬1 ،‫ اإلذاعة الجزائرية‬.‫ من غير الممكن أال تكون الجزائر مستهدفة‬:‫ الباحث الجامعي أحمد بن سعادة‬12
.2019

https://www.radioalgerie.dz/news/ar/article/20191201/185841.html
13Ahmed Bensaâda, enseignant et chercheur universitaire : « Le Hirak est positif, il pose
des problèmes sérieux de démocratie…». Ania Nait Chalal. Le Courrier d'Algérie,
2 décembre 2019.

https://lecourrier-dalgerie.com/ahmed-bensaada-enseignant-et-chercheur-universitaire-
le-hirak-est-positif-il-pose-des-problemes-serieux-de-democratie/

‫ الجزائر‬،‫ جريدة الجزائر اليوم‬.‫ هناك مؤشرات على استغالل الحراك لخدمة أجندات خارجية‬:‫ أح مد بن سعادة‬14
.2019 ‫ ديسمبر‬5 ،‫اليوم‬

https://bit.ly/3b8RMzZ/

.‫ أمريكا دعمت منظمة حقوق االنسان ماديا وجعلتها وقودا إلشعال فتيل الحراك بالجزائر‬:‫ أحمد بن سعادة‬15
.2019 ‫ ديسمبر‬5 ،‫ الوسط‬.‫محمد بوترار‬

https://bit.ly/31PymwF
16« Les Américains ont financé des ONG algériennes ». Interview. Hocine Neffah.
L’Expression, 2 janvier 2020.

https://www.lexpressiondz.com/nationale/les-americains-ont-finance-des-ong-
algeriennes-325600
17 L'Universitaire Ahmed Bensaada plaide pour un encadrement juridique du
financement des ONG. APS, 27 mai 2020.

http://www.aps.dz/algerie/105463-l-universitaire-ahmed-bensaada-plaide-pour-un-
encadrement-juridique-du-financement-des-ong

.‫ المحلل السياسي أحمد بن سعادة يرافع من أجل التأطير القانوني للتمويل الخارجي للمنظمات غير الحكومية‬18
.2020 ‫ ماي‬28 ،‫وزارة االتصال‬

http://www.ministerecommunication.gov.dz/ar/node/9084
19Le professeur Ahmed Bensaâda dénude les officines qui instrumentalisent les ONG :
Les dessous d'une nébuleuse. Hocine Neffah. L'Expression, 3 juin 2020.

https://www.lexpressiondz.com/nationale/les-dessous-d-une-nebuleuse-331030
20 Abdelghani Aichoun. Op. cit.
21 Ibid.
22 https://www.youtube.com/watch?v=YnxAyn7CKkE&feature=youtu.be
23 Entretien du professeur Mohamed Bouhamidi à l’APS. APS, 26 mai 2020.

Page 222
Abbas Aroua

propagées par de nombreux cercles intellectuels et politiques,


notamment en France, qui attribuent aux musulmans, et aux
Algériens en particulier, un caractère essentiellement violent.
Il n'y a pas de religion, de culture, de race ou de nation
essentiellement pacifique ou essentiellement violente. Il y a quelque
temps, le christianisme et l'islam étaient associés dans le discours
public à la violence et le bouddhisme à la paix. Les événements
sanglants au Sri Lanka, au Tibet et au Myanmar, et la persécution
des minorités religieuses, en particulier les musulmanes, par les
bouddhistes sont venus démontrer que le bouddhisme n'est ni
moins ni plus violent que les autres religions. Toutes les religions
appellent à la paix et, en même temps, autorisent parfois le recours
à la violence sous certaines conditions strictes. Mais les adeptes des
religions, les communautés qui leur appartiennent, sont des êtres
humains, des entités complexes partageant une propension à la
violence et l’aspiration à la paix.

Il est vrai que la non-violence stratégique a été théorisée dans


cinq dernières décennies par des Occidentaux, notamment par le
politologue américain Gene Elmer Sharp qui a consacré des
volumes15 à ce sujet. Mais la réflexion de Sharp n’a pas été élaborée
sur le vide ; elle s’est nourrie de son exploration des expériences de
luttes non-violentes qu’a connu l’humanité entière à travers les
siècles, y compris dans le monde arabo-musulman.

En effet, plusieurs penseurs musulmans ont tenté de mettre en


évidence le fondement islamique du concept de non-violence, et
l’ancrage de cette vertu dans la tradition islamique, soit en exposant
les préceptes islamiques prônant la non-violence, soit en montrant
des exemples pratiques d'attitudes et de comportements non-
violents de la vie des prophètes qui l’ont été vis-à-vis de leurs
opposants violents dans le but de les convertir, soit en exposant
des exemples d’action non-violente dans l’histoire musulmane.

2.1. Résister par la meilleure manière

Le Coran évoque la dialectique entre la volonté de spolier les droits


de l’autre et celle de résister à la spoliation et présente cela comme

Page 102
La fabrique de la main étrangère

https://www.algerie1.com/face-b/mme-zoubida-assoul-et-sa-reserve-de-droit-de-porter-
plainte
63 Si ! Si ! Les loups peuvent se dévorer entre eux ! Hakim Laâlam. Le Soir d'Algérie,
15 août 2020.

https://www.lesoirdalgerie.com/pousse-avec-eux/si-si-les-loups-peuvent-se-devorer-
entre-eux-46613
64 https://en.calameo.com/books/00036684644c845f7e5d1
65L’Algérie saura-t-elle déjouer le piège des « révolutions de couleur » ? Afrique du Future,
novembre 2019.

https://www.afriquedufutur.com/lalgerie-saura-t-elle-contourner-le-piege-des-
revolutions-de-couleur/
66Vient de paraître : « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? » d’Ahmed
Bensaada. Afrique Asie, 5 juin 2020.

https://www.afrique-asie.fr/vient-de-paraitre-qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-
hirak-algerien-dahmed-bensaada/
67La LADDH et K. Chouicha, Mouwatana et Assoul versus A. Bensaada et les
« Révolutions colorées » ! Amar Djerrad. Libna News, 5 juin 2020.

https://libnanews.com/la-laddh-et-k-chouicha-mouwatana-et-assoul-versus-a-bensaada-
et-les-revolutions-colorees-par-amar-djerrad/
68 Algérie : « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? » - Un livre-enquête
signé A. Bensaada, All Africa, 7 juin 2020.

https://fr.allafrica.com/stories/202006080045.html
69M. Dhina et H. Baali, des agents « khilafistes et printanistes » anéantis par le livre-
enquête de A. Bensaada ! Amar Djerrad. Jacques Tourtaux, 9 juin 2020.

https://www.jacques-tourtaux.com/blog/algerie/amar-djerrad-m-dhina-et-h-baali-des-
agents-khilafistes-et-printanistes-aneantis-par-le-livre-enquete-de-a-bensaada.html
70Emission sur le livre d’Ahmed Bensaada « Qui sont ces ténors autoproclamés du
Hirak » avec l’auteur, Samia Zennadi (APIC Editions) et Djawad R. Touati hôtes de
Hacene Arab radio chaîne 3. Maghreb Facts, 12 juin 2020.

https://maghrebfacts.com/2020/06/12/emission-sur-le-livre-dahmed-bensaada-qui-
sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-avec-lauteur-samia-zennadi-apic-editions-et-
djawad-r-touati-hotes-de-hacene-arab-rad/
71 « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? ». Émission #LGF au sujet du
livre d'Ahmed Bensaada. Animée par les journalistes Yasmina Houmad & Christophe
Frot. Radio France Maghreb 2, 15 juin 2020.

227
Abbas Aroua

que pratiquer ad-Dafâ al-Hassan et se conformer à l’esprit de leur


religion.

2.2. Transformation de soi – Conversion de l’autre

Les penseurs algériens Malek Bennabi et Mahmoud Bouzouzou


sont parmi les figures les plus influentes du mouvement national
qui ont contribué pendant plusieurs décennies au réveil des
populations sous occupation française et à la conscientisation de
générations d'Algériens. Tous deux partageaient une connaissance
profonde et vaste des cultures musulmane et européenne, et tous
deux s'intéressaient au changement social.

Malek Bennabi, né le 1er janvier 1905 à Constantine et décédé le


31 octobre 1973 à Alger, est celui qui a proposé le concept de
« colonisabilité », ce qui signifie que lorsqu'il y a colonisation, il y a
nécessairement une prédisposition dans la société colonisée, et la
première étape du processus de décolonisation, c'est de prendre
conscience de cette condition et s'efforcer de la changer. Il a
également développé en détail sur le verset coranique : « Dieu ne
change la condition des membres d'une communauté que lorsqu’ils
changent ce qui est en eux-mêmes. »21 Formé en génie électrique, il
comparait le rôle d'un musulman à celui de transformateur social,22
et insistait sur la nécessité de se concentrer davantage sur les
devoirs que sur les droits, ces derniers étant le résultat logique de
l’acquittement des premiers. Malek Bennabi admirait le travail de
Gandhi qu'il avait rencontré lors de la visite du Mahatma à Paris en
1932. Il était aussi lié à Abul Kalam Azad,23 théologien et activiste
nationaliste musulman, ami de Gandhi, l’ayant précédé à la
présidence du Congrès national indien, et premier ministre de
l’éducation de l’Inde indépendante. En 1953, un an avant le
déclenchement de la guerre d'indépendance algérienne
(1er Novembre 1954), Bennabi a écrit trois éditoriaux sur la non-
violence et l’expérience indienne : « Hommage à l'Apôtre de la
non-violence »,24 « Romain Rolland et le Message de l'Inde »,25
« Universalité de la non-violence ».26 En 1972, Bennabi a écrit une
préface à un essai rédigé par Jawdat Said, un théoricien arabe de la

Page 104
Makhlouf Larioui

http://www.palestine-solidarite.org/analyses.abdellali_merdaci-
ahmed_bensaada.011213.htm
112« Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak ? » L’enquête-vérité d’Ahmed
Bensaada. Abdellali Merdaci. Mondialisation.ca, 1 juillet 2020.

https://www.mondialisation.ca/qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-lenquete-
verite-dahmed-bensaada/5647084
113« Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak ? » L’enquête-vérité d’Ahmed
Bensaada. Abdellali Merdaci. Mondialisation.ca, 1 juillet 2020.

https://www.mondialisation.ca/qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-lenquete-
verite-dahmed-bensaada/5647084
114Entretien avec Ahmed Bensâada. Lina Kennouche. Journal Al Akhbar (LIban), 4 juillet
2020.

https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=5
24:journal-al-akhbar-entretien-complet-avec-ahmed-bensaada&catid=46:qprintemps-
arabeq&Itemid=119
115 Entretien avec Ahmed Bensaada. Lina Kennouche. Op. cit.
116 De la liberté d’expression au temps béni du Hirak. Ahmed Bensâada. 15 Juin 2020.

https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=5
16:2020-06-16-03-01-22&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
117Omar Benderra, François Gèze, Rafik Lebdjaoui et Salima Mellah (eds.), Hirak en
Algérie. L’invention d’un soulèvement, La Fabrique Éditions, Paris 2020.

https://journals.openedition.org/lectures/42756

Page 232
Abbas Aroua

liberté à leur pays et au monde. C’est pour cette liberté que j’ai
décidé de lutter. »28

Malgré leur engagement en faveur de la non-violence, Malek


Bennabi et Mahmoud Bouzouzou ont soutenu la lutte armée
durant la guerre d'indépendance de l'Algérie, car ils se sont rendu
compte que c'était le seul moyen laissé au peuple algérien pour se
débarrasser du colonialisme français, après des décennies de lutte
politique qui n’ont pas donné de résultat. En effet, après
l'agression des troupes françaises, l'occupation de l'Algérie et plus
d'un demi-siècle de sanglantes campagnes de « pacification », le
colonialisme français a montré pendant encore un demi-siècle son
visage hideux à travers l'oppression du peuple algérien en plus de
sa persécution culturelle et religieuse.29 Paris considérait l'Algérie
comme partie intégrante de la France et les Français n'étaient pas
prêts à quitter ce pays. Dans l'un de ses séminaires, Malek Bennabi
faisait référence à Gandhi et a souligné la différence entre les
colonialismes britannique et français ; il a dit que Gandhi n'aurait
jamais été reçu à Paris comme il le fut à Londres.30 Quant à
Mahmoud Bouzouzou, il déplorait le fait que le colonialisme
français n’ait pas été sensible à la lutte pacifique, politique et
syndicale, du mouvement national algérien et écrivait le premier
février 1952, à la veille de la révolution : « Le colonialisme ne se
soumet que lorsque les armes s’affrontent aux armes, la violence à
la violence et la force à la force ; il ne comprend rien d'autre que le
langage de la force et de la puissance. »31

Il faut noter que si sur la non-violence les idées de Malek


Bennabi et Mahmoud Bouzouzou sont reconnues, leurs positions
politiques et leur distance critique par rapport aux pratiques des
élites politiques de l’époque, n’ont pas été appréciées par certains,
ce qui n’enlève rien à la valeur de leur contribution à ce sujet.

2.3. Notion de Rifq / Līn

Le principe du rifq a été utilisé par le penseur musulman


Muhammad Shīrāzī pour faire référence à la non-violence. Shīrāzī
est né à Nadjaf (Irak) en 1928 et décédé à Qum (Iran) le

Page 106
Diffamation sous protection rapprochée

déclaration de Lahouari Addi par un communiqué au style


sarcastique publié sur sa page Facebook, rajoutant une couche aux
propos de l’auteur de l’opuscule et tentant de « criminaliser »
Lahouari Addi par association avec le Mouvement Rachad et
Mourad Dhina, décernant à ce dernier un certificat es terrorisme :
Quelqu'un pourrait dire à la rédaction de Reporters que la photo qu'ils
ont choisie pour illustrer la promesse de L. Addi de déposer plainte
« contre l’auteur et la maison d'édition » suite à la publication du livre
« Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? », a été prise
lors d'une rencontre organisée par le mouvement Rachad ? où il
intervenait sur « comment reconfigurer le rôle de l'armée en
Algérie ? » et où il partageait la tribune avec son hôte, le terroriste
Mourad Dhina !!!8

L’éditeur juge qu’afficher son intention de se défendre contre ce


qu’on estime être diffamatoire relève du « terrorisme intellectuel » :
Enfin, quelqu’un pourrait transmettre à tous les vendeurs de papiers
et aux mercenaires de la plume et de la toile que le terrorisme
intellectuel ne nous a jamais fait taire et qu'ils se trompent
d’époque… du moins on l'espère.9

Quant à Zoubida Assoul, se sentant touchée injustement dans


son honneur, elle déclare au site « Reporters.dz » que :
Je crois que nul n’a le droit de mesurer le patriotisme des Algériens,
c’est pourquoi je me réserve le droit d’ester en justice l’auteur et sa
maison d’édition.10

Cette fois-ci, ce n’est pas l’éditeur mais des barbouilleurs excités


qui encensent Ahmed Bensâada, notamment Mehdia Bel,11 Djawad
Rostom Touati12 et Amar Djerrad13 qui prennent la parole pour
répondre à Zoubida Assoul.
Mehdia Bel considère la critique de l’opuscule d’Ahmed
Bensâada d’« hystérie générale ». Pour Djawad Rostom Touati,
celles et ceux qui osent critiquer l’opuscule appartiennent à des
« milieux néo colonisés ». Il qualifie « l’attaque en diffamation »
annoncée par Lahouari Addi et Zoubida Assoul de « fumisterie »,
et traite ces figures laïques de « compagnons de route de Rachad »,
qu’il taxe d’islamiste, lui reprochant la signature d’un « néo-Sant’
Egidio » au début du hirak avec d’autres acteurs politiques

237
Abbas Aroua

car je crains Dieu, le Seigneur de l'univers.” »38 Le Prophète


(SAAWS) a dit : « Sois comme le meilleur des deux fils d’Adam. »39
Pour Jawdat Saïd, l'attitude et le comportement du premier fils
d'Adam doivent être la norme dans une société véritablement
civilisée. Il a développé sa thèse dans plusieurs publications, telles
que « La doctrine du premier fils d'Adam » (1964), « Jusqu'à ce qu'ils
changent ce qui est en eux-mêmes » (1972) et « Sois comme le fils d’Adam »
(1996).
Fidèle à lui-même, Jawdat Saïd a pris position en 2012 pour
réprouver la militarisation de la révolution syrienne qui avait
pourtant commencé par des protestations pacifiques au point où
elle fut qualifiée de « Révolution du Chant », vu que les foules
syriennes protestaient pendant des mois dans les rues et les places
publiques, en chantant la liberté. La révolution syrienne fut hélas
poussée à la militarisation par la libération massive et suspecte de
la prison de Saidnaya de détenus ayant encadré et participé aux
conflits armés en Afghanistan et en Irak, par la répression féroce
du régime syrien, ainsi que par l’influence néfaste des ingérences
étrangères flagrantes. Jawdat Saïd affirmait publiquement que « si
la révolution syrienne vaincra par les armes, nous resterons
gouvernés par les armes qui font autorité depuis 1400 ans. »40

2.5. Exemple d’Abdulghaffar Khan

Un exemple édifiant de la façon dont le changement non violent a


fonctionné dans l'histoire musulmane récente est la lutte contre le
colonialisme britannique en Inde menée par Abdulghaffar Khan,
appelé « Gandhi de la frontière », étant originaire de la province
indienne de la frontière du nord-ouest, qui a fondé les Khudai
Khidmatgars (serviteurs de Dieu) dans les années 1920. Cette
organisation atteignit plus de 100'000 membres et joua un rôle
majeur dans la décolonisation du sous-continent. Comme le fit son
ami Mohandas Gandhi, Abdulghaffar Khan adopta la non-violence
comme moyen de lutte. Il déclara à ses partisans : « Je vais vous
donner une telle arme que la police et l'armée ne pourront pas s'y
opposer. C'est l'arme du Prophète, mais vous n'en êtes pas
conscient. Cette arme est la patience et la droiture. Aucun pouvoir
sur terre ne peut s'y opposer. »41

Page 108
Lahouari Addi

hirakiens. On peut ne pas être d’accord avec eux sur telle ou telle
position, mais on ne peut nier que Tabou est populaire sur
l’ensemble du territoire national. Et c’est pour cette raison qu’il est
en prison. S’attaquer à Bouchachi, Assoul, Tabou… c’est s’attaquer
à leur discours qui porte sur la demande de transition
démocratique. Ahmed Bensâada montre qu’il est hostile au Hirak
et qu’il soutient le régime. Pour quelles raisons ? Je ne le sais pas.
En ce qui me concerne, mes analyses qui paraissent dans la presse
nationale et sur ma page Facebook ont un écho favorable de la
part de certains hirakiens. Je ne les impose pas et je ne me
proclame pas « idéologue du Hirak ». Je participe avec d’autres
collègues universitaires au débat sur le mouvement de contestation
comme Nacer Djabi, Louiza Driss-Aït Hamadouche, Hosni
Kitouni et d’autres encore.

Dans cet ouvrage, l’auteur critique vos écrits, en l’occurrence la tribune publiée,
sur le site « lematindalgerie.com », le 14 mars 2019, soit trois semaines après
le début du Hirak. Vous y proposiez trois noms, Zoubida Assoul, Mustapha
Bouchachi et Karim Tabbou, pour former une « présidence collégiale » qui
devait gérer « les affaires courantes » et préparer l’élection présidentielle et les
législatives « dans un délai de 6 à 10 mois ». Pour l’auteur, le choix de ces
personnes est « loin d’être anodin ». Il s’interroge sur l’existence d’une
éventuelle « coalition sous-jacente au Hirak pour proposer une liste en
particulier ». Quelle est votre réaction ?

Le texte auquel vous faites référence est paru sur le site TSA en
mars 2019 après la démission de Bouteflika sous la pression de la
rue. J’avais proposé que le Président par intérim, avec l’appui de
l’armée, désigne une instance collégiale pour mener la transition
que demandait le Hirak. J’ai avancé des noms parmi les personnes
susceptibles d’être acceptées par la majorité des citoyens, Zoubida
Assoul, Mustapha Bouchachi et Karim Tabou. Je l’ai fait en tant
que citoyen privé et j’ai le droit de le faire puisque je n’exerce
aucune fonction officielle dans l’Etat. Je n’ai pas détourné l’autorité
de l’Etat pour faire une proposition personnelle. D’autres
personnes auraient pu suggérer d’autres noms pour arriver à un

Page 242
Abbas Aroua

• Je ne deviendrai membre d'aucune autre organisation


rivale ni ne serai membre d'une armée ;
• J'obéirai fidèlement à tous les ordres légitimes de tous
mes officiers tout le temps ;
• Je vivrai conformément aux principes de non-violence ;
• Je servirai toutes les créatures de Dieu de la même
manière ; et mon objet sera la réalisation de la liberté de
mon pays et de ma religion ;
• Je veillerai toujours à faire ce qui est juste et bien ;
• Je ne désirerai jamais aucune récompense pour mon
service ;
• Tous mes efforts seront pour plaire à Dieu, et non pour
la notoriété ou le gain. »42

3. Monde arabe et non-violence

3.1. La non-violence dans la terminologie arabe

Il existe dans la terminologie arabe moderne plusieurs


formulations utilisées pour désigner la « non-violence ». Elles sont
composées d'une action suivie d'un qualificatif avec une empreinte
soit religieuse soit non-religieuse. Les termes d’action utilisés sont
« muqāwama » (résistance), « nidhāl » (lutte), « mughālaba »
(confrontation), « jihād » (effort) et « ihtisāb » (recherche de la
récompense de Dieu). Les qualificatifs utilisés sont « lā‘unfī » (non-
violent), « silmī » (pacifique) et « madanī » (civil). Cela conduit aux
quinze formulations données dans le tableau suivant.

Muqāwama Nidhāl Mughālaba Jihād Ihtisāb (Recherche de la


(Résistance) (Lutte) (Confrontation) (Effort) récompense de Dieu)
Lā‘Unfī Muqāwama Nidhāl Mughālaba Jihād Ihtisāb
(Non-violent) Lā‘Unfiya Lā‘Unfī Lā‘Unfiya Lā‘Unfī Lā‘Unfī
Silmī Muqāwama Nidhāl Mughālaba Jihād Ihtisāb
(Pacifique) Silmiya Silmī Silmiya Silmī Silmī
Madanī Muqāwama Nidhāl Mughālaba Jihād Ihtisāb
(Civil) Madaniya Madanī Madaniya Madanī Madanī

Page 110
Je déposerai plainte contre l’auteur et la maison d’édition

L’auteur de « Qui sont les ténors autoproclamés du Hirak algérien ? » revient


sur vos rapports avec le mouvement « Rachad ». Il mentionne une
« camaraderie difficilement dissimulable » entre vous et un des animateurs du
mouvement, Larbi Zitout, dont les accointances avec la mouvance islamiste
sont connues. Comment réagissez-vous à cela ?

Le mouvement Rachad est un courant idéologique de la société


algérienne à côté d’autres courants. Ce n’est pas au régime de dire
aux citoyens quels sont les partis d’opposition à fréquenter et quels
sont ceux à ne pas fréquenter. Ma position sur l’islamisme est claire
et découle de mes travaux académiques. Ce courant ne peut pas
être éradiqué par la violence ; il doit être inséré dans les institutions
dans le cadre des lois de la République et dans le respect de la
liberté d’expression. Si l’Etat reproche quelque chose à Mourad
Dhina ou Ali Belhadj, il y a les tribunaux. Ce n’est pas à la police
d’accuser les gens ; la police arrête des suspects sur ordre de la
justice et c’est au tribunal de juger. D’une façon générale, il faut
une véritable réconciliation nationale par laquelle les islamistes
s’engagent à respecter les lois du vivre ensemble, à commencer par
la liberté de conscience et l’égalité juridique hommes-femme. Nous
ne pouvons pas être en paix et être un Etat de droit si ces deux
principes ne sont pas respectés et protégés par la loi.

Parmi les « critiques » de Ahmed Bensâada, il y en a une qui porte sur votre
changement d’avis sur le journaliste et auteur Kamel Daoud. Vous le
présentiez, en 2014, comme « le meilleur d’entre nous », alors qu’en janvier
dernier, il est devenu pour vous « un trophée postcolonial exhibé par la droite
européenne ». Qu’en dites-vous ?

C’est bizarre ce reproche qui montre que Bensâada n’a aucun


argument. Kamel Daoud a perdu beaucoup de ses sympathisants
lorsqu’il a critiqué le Hirak dans un article paru dans
l’hebdomadaire Le Point. J’ai publié un texte sur ma page
Facebook, qui a été viral, où j’ai dit qu’il avait tort. Je ne vois pas
où est le problème, à moins d’être d’accord avec un auteur même

247
Abbas Aroua

construction de la société et l’édification de l’Etat, inscrivent dans


leurs actes constitutifs le rejet de la violence comme moyen
d’action. Le mouvement « Communauté Al-Adl wal-Ihsan » au
Maroc en est l’illustration. A noter que c’est le seul mouvement
marocain à avoir prôné publiquement l’abolition de la monarchie
dans sa forme actuelle. Dans le document qui présente ses buts et
les moyens, l’implication politique de la notion de Ihsan est
expliquée : « Par son existence nous n’appellerons jamais à une
solution à travers le conflit violent. »45 Dans la section consacrée
aux moyens, il est précisé que : « Nous évitons la violence dans la
parole et dans l’action, car nous croyons, d’une part, que la
violence et la prédication ne vont pas ensemble, et d’autre part, à
cause de notre certitude que ce qui se construit par la violence
n’apporte pas le bien, et ne peut durer. Sa perte est garantie et son
profit est très peu probable. Par ailleurs, nous sommes enjoints
dans les périodes de conflit à préserver le sang des musulmans et
les pardonner. »46
L’adoption de la non-violence comme stratégie de changement
a précédé l’avènement du « Printemps arabe » dans plusieurs pays.
En effet, plusieurs mouvements ont vu le jour dans la première
décennie de ce siècle préconisant explicitement la non-violence
comme méthode de changement politique. On peut citer parmi ces
mouvements : « Courant de la Société Civile » (Liban, 2001),
« Mouvement Kifaya » (Egypte, 2004), « Collectif du 18 Octobre »
(Tunisie, 2005), « Rassemblement de la Déclaration de Damas »
(Syrie, 2005), « Groupe Non-Violence » (Irak, 2006), « Mouvement
Rachad » (Algérie, 2007).
Il faut dire qu’il a fallu beaucoup de pédagogie pour persuader
les gens de l’efficacité de la non-violence stratégique dans le
contexte arabo-musulman. Par exemple, le Mouvement Rachad,
fondé en avril 2007, s’est fixé comme mission d’œuvrer pour que
« l'autorité politique qui gouverne l'Algérie soit légitime, civile,
souveraine, équitable, sociale, prévoyante, efficace, transparente et
redevable devant le peuple. »47 Et « pour réaliser son but, le
Mouvement Rachad utilise tous les moyens non-violents de lutte
politique. »48 Lorsque Rachad commençait dès sa création à vanter
les vertus de la non-violence et ses avantages comparatifs par

Page 112
Zoubida Assoul

Au bout du compte, vous considérez-vous comme une des leaders du Hirak ?

L’intitulé de l’ouvrage est intrigant, car il s’adresse à ces héros auto-


proclamés du Hirak. Les vidéos sont là pour attester de ce gros
mensonge. Je ne me suis jamais auto-proclamée héroïne du Hirak.
Je suis une militante de terrain depuis 2012 et je n’ai pas cessé de
m’opposer à ce système de gouvernance que je voyais mener le
pays à la dérive. J’ai commencé à sortir dans la rue, avec d’autres
militants, contre le 5e mandat de Bouteflika en tant que porte-
parole du mouvement « Mouwatna ». J’avais même annoncé, le 28
septembre 2018, que si on levait la répression sur le peuple, il
sortirait dans la rue et ce dans les 48 wilayas, de manière pacifique
pour rejeter ce 5e mandat ainsi que ce système de gouvernance et
d’aller vers la construction d’un Etat de droit et de libertés.
Je crois que nul n’a le droit de mesurer le patriotisme des
Algériens, c’est pourquoi je me réserve le droit d’ester en justice
l’auteur et sa maison d’édition.

Notes de référence

1https://www.reporters.dz/zoubida-assoul-nul-na-le-droit-de-mesurer-le-patriotisme-
des-algeriens/

Page 252
Abbas Aroua

depuis le 22 février 2019, même avec la trêve volontaire des


marches hebdomadaires en mars 2020 à cause de la crise du Covid-
19, c'est parce qu'il respecte plusieurs principes fondamentaux50
tels que : 1) L'unité dans la diversité : Le hirak a brisé toutes les
frontières : idéologique, régionale, générationnelle, de genre, de
capacité physique, intérieur-extérieur, etc. ; 2) La vision commune : Il
y a eu convergence vers une seule revendication claire et nette : la
primauté du politique sur le militaire. Le principal slogan étant
aujourd'hui : « madaniya machi askarya » (Etat civil, pas militaire) ;
3) La non-violence : La révolution n'a pu durer que grâce à sa non-
violence. Le pouvoir qui excelle dans la gestion de la violence et
son instrumentalisation à son avantage a été pris au dépourvu et se
débat sur un terrain qu'il ne maîtrise guère ; 4) L'indépendance : Les
Algériens ne veulent d'aucune interférence dans leurs affaires ; ils
estiment qu'eux seuls sont habilités à opérer le changement qu'ils
souhaitent. Ils ont un unique message aux gouvernements
étrangers : en soutenant un régime autoritaire et corrompu en
Algérie, vous transgressez vos propres valeurs et desservez les
intérêts de vos propres pays.

4. Conclusion

Cette note a tenté de montrer à travers des textes islamiques et des


exemples et expériences du monde arabo-musulman que la notion
de non-violence comme méthode de changement n’est pas
étrangère à cette région du monde. La non-violence n’est pas un
produit importé naïvement par nos peuples, exporté vers nous par
des officines occidentales complotant contre nos intérêts. C’est
une tradition dans notre culture, encouragée par les préceptes
islamiques et pratiquée au cours de notre histoire musulmane.
Les explications qui attribuent tout mouvement populaire pour
un changement politique et social dans le monde arabo-musulman
à un agent extérieur dénient aux citoyens de cette région du monde
la maturité politique, le désir légitime de s’émanciper des régimes
autoritaires et la volonté, ancrée dans la nature humaine, de vivre
librement et dignement.
Propager l’idée que les aspirations profondes de nos peuples et
le désir profond de les réaliser sont le fait d’une « main étrangère »

Page 114
Alkarama : Pour la dignité des peuples

2. Mais qui est donc Alkarama ?

Alkarama une « organisation droit-de-l’hommiste » ? Ce terme qui


s’est transformé dans le discours contemporain en néologisme
péjoratif6 avait été inventé par Alain Pellet, professeur de droit
international à Nanterre, sans qu’il n’ait nullement l’intention de lui
donner un sens dévalorisant. Dans son esprit, ce terme servait
seulement à qualifier « l'état d'esprit des militants des droits de
l'homme, pour lesquels je nourris, disait-il, la plus grande
admiration, tout en mettant en garde contre la confusion des
genres : le droit d'une part, l'idéologie des droits de l'homme de
l'autre ».7
Aujourd’hui, ce terme rassemble à lui seul toutes les critiques –
fondées comme infondées – sur les discours et mouvements des
droits de l’homme. Dans le cas présent, il semble vouloir indiquer
qu’Alkarama se servirait du discours des droits de l’homme à
d’autres fins, accusation que l’auteur n’est ni le premier, ni le
dernier à faire étant donné le climat international délétère en
matière de respect pour les principes fondamentaux de dignité
humaine. Il nous paraît donc primordial de répondre à la question
que l’auteur pose, sans y répondre lui-même, « mais qui est donc
Alkarama ? ». Il ne s’agit pas uniquement de défendre
l’organisation, mais surtout la philosophie qui sous-tend la défense
des droits humains, à savoir le respect de la dignité de chaque être
humain, sans discrimination.
D’autre part, nous montrerons que les accusations de l’auteur
de « financement du terrorisme » constituent en réalité des
représailles contre l’organisation. Il est coutumier pour les Etats
autoritaires et/ou qui violent les droits humains d’accuser ceux qui
dénoncent ses violations de terrorisme, afin de discréditer toute
critique légitime et faciliter sa répression.i

iA ce titre, les experts indépendants des Nations unies ont à maintes reprises
dénoncé ces pratiques des Etats consistant à accuser les défenseurs des droits
humains, avocats, journalistes, opposants politiques et autres activistes
pacifiques de terrorisme ou d’apologie du terrorisme.

257
Abbas Aroua

(Arabes, Amazighs, Kurdes et autres) n’y font pas exception ;


3) L'étincelle qui déclenche le soulèvement est spécifique au
contexte ; 4) Aucun dictateur n'est invincible ; les despotes ne sont
pas aussi forts qu'ils le paraissent ; 5) La clé de la victoire contre la
dictature est l'unité dans la diversité ; 6) Un leader charismatique
n'est pas un prérequis à la victoire ; 7) Les jeunes peuvent
provoquer le changement ; 8) La résistance civile non violente est
efficace dans les pays arabo-musulmans également ; 9) Les réseaux
sociaux et les chaînes satellitaires peuvent aider, mais la vraie lutte
est dans la rue et des sacrifices sont nécessaires et inévitables ;
10) Les puissances mondiales n'ont pas d'amis permanents et ne
peuvent pas tout planifier et tout prévoir.

Notes de référence

1
Extrait de la préface de l’ouvrage « La quête de la paix en Islam » (Abbas Aroua. The
Quest for Peace in the Islamic Tradition. Kolofon. Oslo 2013). https://cpi-
geneva.org/images/pdf/Books/Q4P.pdf
2
APIC, Alger, juin 2020.
3
http://www.aps.dz/culture/105902-qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-
algerien-un-livre-enquete-signe-a-bensaada
4
https://www.youtube.com/watch?v=1xm-oKsAcp4&feature=share
5
Michel Brulé, Montréal, avril 2011.
6
Investig'Action, Bruxelles, février 2019.
7
https://bit.ly/39tRliK
8
https://bit.ly/32V0nDZ
9
https://bit.ly/39tRliK
10
Ibid.
11
Ibid
12
Ibid
13
Arezki, Rabah; Dama, Alou Adesse; Djankov, Simeon; Nguyen, Ha. 2020. Contagious
Protests. Policy Research Working Paper; No. 9321. World Bank, Washington, DC.
(2020).

Page 116
Direction juridique, Alkarama

3.1. La déontologie du travail d’assistance juridique : une


garantie d’indépendance

Alkarama fonctionne à la manière d’un cabinet d’avocat traitant


des violations au niveau international, à ceci près que l’assistance
est fournie pro bono, c’est à dire gratuitement. A ce titre, ses juristes
sont soumis à la déontologie du travail juridique. L’éthique
juridique implique ensuite pour le juriste défenseur des droits de
l’homme d’exercer son mandat avec dignité, indépendance, non-
discrimination, intégrité et justice. Ces principes sont consacrés
dans la charte de l’organisation qui règle son fonctionnement, et
que l’auteur aurait pu consulter pour obtenir des informations sur
Alkarama qui ne soient pas issus de journaux américains néo-
conservateurs,14 de tabloïds anglais ou encore de la presse inféodée
aux Etats autoritaires de la région dont les Emirats Arabes Unis.15
Il est important de rappeler l’éthique qui guide notre travail.
Tout d’abord la dignité, c’est-à-dire le respect qui est dû à tout être
humain du fait de son humanité, guide la manière avec laquelle
nous traitons les victimes de violations qui nous sollicitent, et en
respectant les règles de confidentialité et de leur consentement
éclairé pour toute action prise par l’organisation. Ce n’est pas par
hasard que nous avons choisi Alkarama, Dignité en arabe, comme
nom pour notre organisation. De ce concept de dignité découle
celui de la non-discrimination, une égalité de traitement de toutes
les victimes de violations qui nous saisissent, dans la mesure où ces
violations entrent dans notre mandat, sans autre considération.
Avoir une approche permettant d’assister toute personne se
présentant à nous, sans discrimination, implique nécessairement
une indépendance à laquelle Alkarama est particulièrement
attachée. L’indépendance signifie la faculté d’agir librement, sans
contrainte ou injonction d’une entité politique ou idéologique
quelle qu’elle soit. En pratique, la stratégie d’action d'Alkarama
n’obéit ni à des pressions politiques ni idéologiques ni financières.
Les choix stratégiques en matière de priorités et axes de notre
travail font l’objet d’une consultation effective et détaillée avec le
personnel et le Conseil consultatif, et sur la base d’une étude
objective des réalités et des problématiques des violations des

Page 262
‫‪Abbas Aroua‬‬

‫‪33‬‬
‫‪Rapporté par Muslim, Ahmad et Ibn Māja.‬‬
‫‪34‬‬
‫‪Rapporté par Muslim et Ibn Māja.‬‬
‫‪35‬‬
‫‪Rapporté par Muslim.‬‬
‫‪36‬‬
‫‪Coran, Ta Ha:43-44.‬‬
‫‪37‬‬
‫‪Coran, Aal Imran:159.‬‬
‫‪38‬‬
‫‪Coran, Al-Ma'ida:27-28.‬‬
‫‪39‬‬
‫‪Rapporté par Tirmidhi, Abu Dawood et Ibn Maja.‬‬
‫‪40‬‬
‫‪https://www.youtube.com/watch?v=0QQQxXRR060‬‬
‫‪41‬‬
‫‪David Cortright. Peace: A History of Movements and Ideas. Cambridge University Press‬‬
‫‪(2008).‬‬
‫‪42‬‬
‫‪https://khudaikhidmatgar.wordpress.com/oath-of-a-khudai-khidmatgar/‬‬
‫‪43‬‬
‫‪Voir par exemple les contributions suivantes :‬‬

‫"مذهب ابن آدم األول‪ :‬مشكلة العنف في العمل اإلسالمي"‪ ،‬جودت سعيد (‪)1966‬؛ "إلى حكم اإلسالم"‪ ،‬محمد‬
‫الحسيني الشيرازي (‪)1984‬؛ "الوصول إلى حكومة واحدة إسالمية"‪ ،‬محمد الحسيني الشيرازي (‪)1995‬؛ "كن‬
‫كابن آدم"‪ ،‬جودت سعيد (‪)1997‬؛ "نحو الالعنف‪ :‬المقاومة المدنية عبر التاريخ" خالد القشطيني (‪)1998‬؛‬
‫"سيكولوجية العنف واستراتيجية الحل السلمي"‪ ،‬خالص جلبي (‪)1998‬؛ "بناء ثقافة السلم"‪ ،‬خالص جلبي‬
‫(‪)1999‬؛ "العنف والديمقراطية"‪ ،‬عبد اإلله بلقزيز (‪)2000‬؛ "فقه العنف المسلح في اإلسالم"‪ ،‬محمد مهدي‬
‫شمس الدين (‪)2001‬؛ "ألف‪-‬باء الالعنف‪ :‬رؤية إسالمية أولية في ثقافة التسامح"‪ ،‬صالح الحسن (‪)2001‬؛‬
‫"اإلسالم والالعنف"‪ ،‬تحرير جلين بايج‪ ،‬شايوات ساثا‪-‬آنند (قادر محي الدين) وسارة جيليات (‪)2001‬؛ "العنف‬
‫وإدارة الصراع السياسي في الفكر اإلسالمي‪ :‬بين المبدأ والخيار"‪ ،‬عبد الحميد أحمد أبو سليمان (‪)2002‬؛‬
‫"الالعنف في اإلسالم"‪ ،‬محمد الحسيني الشيرازي (‪) 2002‬؛ "الالعنف وإحالل السلم في اإلسالم"‪ ،‬محمد أبو‬
‫النمر (‪)2003‬؛ "نظرية الالعنف عند اإلمام الشيرازي‪ :‬دراسة مقارنة"‪ ،‬أسعد اإلمارة (‪)2003‬؛ "السياسة النبوية‬
‫ودولة الالعنف"‪ ،‬حسن موسى الصفار (‪)2004‬؛ "العنف والالعنف في الحركات اإلسالمية المعاصرة"‪ ،‬بشار‬
‫حميض (‪) 2005‬؛ "اإلسالم والعنف"‪ ،‬أحمد أبو مطر باالشتراك مع خالص جلبي وزهير المخ (‪)2005‬؛‬
‫"الالعنف في نهضة اإلمام الحسين"‪ ،‬محمود مراد الحائري (‪)2006‬؛ "الالعنف في التاريخ العربي اإلسالمي"‪،‬‬
‫عدنان اسمندر (‪)2006‬؛ "حرب الالعنف‪ :‬الخيار الثا لث"‪ ،‬أحمد عبد الحكيم‪ ،‬هشام مرسي ووائل عادل (‪)2007‬؛‬
‫"الالعنف في اإلسالم‪ :‬مفهومه‪ ،‬مجاالته‪ ،‬آلياته‪ ،‬أدواته"‪ ،‬علي حاشوش الزيدي )‪(2008‬؛ "الالعنف‪ :‬قراءة‬
‫تحليلية في أنواعه وآفاقه"‪ ،‬محمد مال حسن آل باقر (‪.)2016‬‬
‫‪44‬‬
‫‪Stephen Zunes, Sarah Beth Asher, and Lester Kurtz (editors). Nonviolent Social‬‬
‫‪Movements: A Geographical Perspective. Wiley-Blackwell (1999). Voir aussi les travaux‬‬
‫‪de Ralph E. Crow, Philip Grant and Saad E. Ibrahim (editors). Arab Nonviolent Political‬‬
‫‪Struggle in the Middle East. Lynne Rienners Publishing (1990) et Stephan, Maria J. (editor).‬‬
‫‪Civilian Jihad: Nonviolent Struggle, Democratization, and Governance in the Middle East. Palgrave‬‬
‫‪Macmillan (2009).‬‬
‫‪45‬‬
‫‪https://bit.ly/3fltIuU‬‬
‫‪46‬‬
‫‪Ibid.‬‬

‫‪Page 118‬‬
Alkarama : Pour la dignité des peuples

site du Haut-commissariat des Nations unies pour les droits de


l’homme pour relever qu’Alkarama est la seule organisation à
travailler régulièrement sur les problématiques des droits humains
au Qatar. Nos rapports aux Comités et aux experts indépendants
ont été les plus critiques envers cet Etat et ont régulièrement relevé
tant l’absence de protection des libertés fondamentales que les
violations des droits des détenus et de ceux des travailleurs
migrants.20 Est-ce vraiment ce que l’on attend d’une organisation
financée par le Qatar ? Nous avons soumis des rapports et des
plaintes individuelles contre chacun des pays de la région – y
compris le Qatar –, et nous n’avons jamais félicité aucun Etat du
Golfe pour ses prouesses imaginaires en matière de respect des
droits humains. C’est bien cette approche critique et impartiale qui
a fini par nous mettre à dos l’ensemble des Etats de la région et
explique les attaques incessantes contre Alkarama. Et quelle
attaque plus sournoise et plus efficace aujourd’hui contre des
organisations arabes que celle du « terrorisme » ?

4.2. Quel financement du terrorisme ?

Alkarama a toujours été très claire : la non-violence est un principe


fondamental de sa charte et l’organisation a toujours condamné le
terrorisme, qui est l’utilisation de la terreur et de la violence à des
fins politiques. Dans le monde arabe toutefois, l’étiquette du
terrorisme est devenue l’arme de prédilection des régimes
autoritaires pour étouffer toute critique ou demande pacifique de
participation à la vie politique. Ainsi, ceux qui souhaitent s’attaquer
au travail que nous menons depuis 2004 ne se privent pas
d’accuser Alkarama de soutenir le terrorisme.
Ces accusations de liens avec le terrorisme avaient débuté avec
le « listing » par les Etats-Unis, à la demande de leurs alliés du
Golfe, de l’un des fondateurs d’Alkarama, Abdulrahman Al
Nuaimi, ancien professeur d’histoire moderne et contemporaine à
l’université du Qatar et militant pour les droits de l’homme, ancien
prisonnier de conscience d’Amnesty International.21 Nous invitons
toute personne qui cherche honnêtement à comprendre son
histoire et sa situation à lire la décision du Groupe de Travail des
Nations unies sur la Détention Arbitraire de 2018 le concernant.

267
Abbas Aroua

Page 120
Direction juridique, Alkarama

5. Les accusations contre Alkarama : une preuve de


l’efficacité de l’organisation
Dans un article paru dans le journal suisse Le Temps,35 le
20 novembre 2014, le directeur juridique d’Alkarama écrivait à quel
point il était difficile de défendre les droits de l’homme dans le
monde arabe, en réponse à un énième article36 paru dans la presse
suisse sur les accusations de terrorisme formulées contre Alkarama
par les Emirats Arabes Unis notamment. Rachid Mesli affirmait
alors ce que toute personne au fait de la situation des droits de
l’homme sait déjà, à savoir que « dans le monde arabe, ceux qui
critiquent les régimes autoritaires ou demandent plus de libertés
sont taxés de “terrorisme”. Mais quand les démocraties
occidentales entonnent le même refrain, cela devient vraiment
inquiétant. » Toutefois, Alkarama a constamment été défendue par
les experts et expertes de l’ONU, les ONG indépendantes et la
société civile, qui non seulement soutiennent l’organisation, mais
comprennent également les raisons d’un tel acharnement.

5.1. Pourquoi accuser Alkarama de terrorisme ?

Pour comprendre pourquoi les accusations d’Ahmed Bensâada ne


sont pas fondées sur une véritable analyse de la situation, il faut se
pencher sur les raisons et la source de ces accusations. Il est aisé de
voir que le travail d’Alkarama dérange les puissants de ce monde,
et ce, à de nombreux égards.
Le fait de dénoncer publiquement à l’ONU des violations
systématiques, équivalant souvent à des crimes contre l’humanité,
ne peut en effet que déplaire à des régimes habitués à l’indifférence
de leurs puissants alliés occidentaux, voire à leur complicité.
Rien de plus subversif en effet que de remettre en question le
discours orwellieni des Etats arabes totalitaires et de dénoncer la

i Nous signifions par « orwellien » ici les techniques de langages des Etats
totalitaires consistant à faire passer l’injustice pour la justice, l’exception pour la
norme, ou encore, pour ce qui nous concerne, des défenseurs des droits
humains pacifiques ou simplement des étudiants demandant plus de droits de
libertés et de perspectives et d’égalité des chances, pour des dangereux
terroristes islamistes qu’il faudrait « mater ». Georges Orwell illustre cette

Page 272
Alkarama : Pour la dignité des peuples

violence politique qu’ils utilisent contre leur peuple et qu’ils


présentent comme le seul moyen – et le plus efficace – de pacifier
cette région « stratégique » au profit de leurs alliés.
Or, ce qui a le pouvoir de rendre « indéfendable » toute
personne aujourd’hui c’est bien l’accusation de terrorisme. Ainsi,
accuser Alkarama de terrorisme, c’est, croient-ils, saper toute
crédibilité à son travail, à ces milliers de procédures engagées pour
les victimes et ces centaines de rapports sur les pires abus commis
par les régimes arabes pour contrôler, par la terreur, leurs
populations. Il s’agit en même temps de faire peur aux victimes et
à leurs proches pour les dissuader de solliciter Alkarama, en les
accusant de « trahir leur pays », voire d’être en contact avec une
entité terroriste. En dépit de quoi les familles des victimes
continuent à nous témoigner toute leur confiance.
Accuser Alkarama de terrorisme c’est aussi tenter de lui
interdire l’accès aux Nations unies pour prendre la parole lors de
l’examen de la situation des droits humains de certains pays. Ainsi,
suite à notre demande du statut consultatif auprès de l’ECOSOC,i
déposée en mai 2015, le Comité des organisations non
gouvernementales a décidé par consensus de recommander
qu’Alkarama se voit accorder le statut consultatif spécial. Cette
décision d’octroyer le statut ECOSOC à Alkarama a été le fruit
d’un long processus d’examen par le Comité des ONG, les pays

double-pensée par une fameuse citation : « Le ministère de la Paix s'occupe de la


guerre, celui de la Vérité, des mensonges, celui de l'Amour, de la torture, celui de
l'Abondance, de la famine. Ces contradictions ne sont pas accidentelles, elles ne
résultent pas non plus d’une hypocrisie ordinaire, elles sont des exercices
délibérés de double-pensée. » George Orwell, Nineteen Eighty-Four. Secker &
Warburg, London 1949.
i Le statut consultatif ECOSOC (Conseil Economique et Social des Nations

unies) est un statut octroyé aux ONG leur permettant de prendre part aux
conférences internationales organisées par les Nations unies, et d’y prendre la
parole. Le processus d’accréditation est géré par le Comité des ONG de
l’ECOSOC basé à New York. Ce processus demeure entre les mains des Etats
qui peuvent bloquer l’accès au statut consultatif ECOSOC à des ONG afin de
les punir et leur poser des obstacles dans leur travail au sein des Nations unies.
Voir par exemple le Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion
pacifique et la liberté d’association, UN Doc. A/69/365, 1er septembre 2014, par
72 et suivants.

273
Parrainage occidental contre la volonté populaire

ciblerait l'armée algérienne à cause de son indépendance résolue et


sa lutte pour les causes du Sud et de la Palestine.
Cet essai examine le pamphlet très médiatisé d'Ahmed
Bensâada et déconstruit ses arguments infondés et fragiles, et ce en
défense du hirak qui est profondément algérien, nationaliste,
responsable et prometteur d'une Algérie véritablement souveraine
et prospère. L’éditeur du texte de Bensâada a choisi Majed Nehmé
et Richard Labévière pour écrire respectivement la préface et la
postface du pamphlet. Comme l’explique Benmohammed dans cet
ouvrage, Bensâada, Nehmé et Labévière se connaissent très bien
puisqu'ils sont tous les trois membres du Centre International du
Géopolitique et de Perspective Analytique (CIGPA), en France.
On peut donc supposer que c'est Bensâada qui a fortement
recommandé à ses amis du CIGPA de présenter sa brochure aux
lecteurs. Les préfaces sont généralement obtenues pour ajouter de
la crédibilité aux efforts de l’auteur. Alors, quelle est le degré de
crédibilité de Nehmé et Labévière auprès des Algériens et du
hirak ?

2. Les mercenaires intellectuels et le conseil de Bongo


Beti

Dans sa préface, Nehmé présente Bensâada comme l'éminent


expert des révolutions de couleur et des stratagèmes néo-
conservateurs américains qui ont exporté le modèle de changement
de régime de l'Eurasie vers la région MENA en 2011, et qui ont
tenté de les tester sur le terrain algérien en 2012. Nehmé nous
assure que l'œil vigilant de Bensâada a mis au jour un schéma
similaire de la part de certaines ONG algériennes qui
s'efforceraient de saper le hirak, ce qui l'a poussé à sonner l’alarme
et à écrire cette « contribution majeure ».5 Les deux premiers
articles de ce livre ont largement démontré les faiblesses de la
logique de Bensâada ou plutôt l’absence de logique et de rigueur
scientifique de sa thèse lorsqu'elle est soumise à un examen
critique. Nous nous concentrerons donc ici sur les propos de
Nehmé eux-mêmes. Nous considérerons que la citation par
Nehmé des « articles 107 et 108 » de la Constitution algérienne de
2016 relève d’une faute de frappe, dont l'éditeur devrait être blâmé,

123
Direction juridique, Alkarama

poursuites pénales ; il espère ainsi faire taire la société civile et


mettre fin au hirak qu’il prétend ardemment défendre.

a) Attaquer les personnes faisant usage de leurs droits et libertés


fondamentaux de manière pacifique

Dans son allocution de 2018 au Haut-commissariat aux droits de


l’homme, l’Assistant du Secrétaire Général des Nations unies,
Andrew Gilmour exprimait son inquiétude face aux accusations de
« terrorisme » formulées par certains gouvernements contre des
ONG, des défenseurs des droits de l'homme ou des militants sous
prétexte de coopération avec des entités étrangères ou d’atteinte à
la réputation ou à la sécurité de l'Etat. Cette dangereuse tendance
mondiale, avait-il ajouté, consiste avant tout à dénigrer et à
discréditer les défenseurs des droits de l'homme.46
Or, il se trouve qu’Ahmed Bensâada soulève la question de
l’arrestation de Karim Tabbou questionnant non seulement
l’honnêteté de ses défenseurs, mais également les motifs – et donc
la légitimité – de cette défense.i Il affirme que de nombreuses voix
se sont élevées pour demander sa libération, ciblant uniquement
celles qui le préoccupent dans le but de les décrédibiliser. Nous
aurions pu lui soumettre la même question, pourquoi est-ce que les
autres défenseurs de Tabbou ne l’intéressent pas ?
Revenons alors brièvement sur la réponse de l’Etat algérien et
ce qu’elle révèle, de particulièrement grave, dans la formulation des
charges à l’encontre de Karim Tabbou. L’Etat algérien affirme
dans sa réponse à l’ONU que les faits reprochés à Karim Tabbou
consisteraient à avoir, lors d’une de ses interventions publiques,

i Ahmed Bensâada, Qui sont ces ténors autoproclamés du hirak algérien ? Alger, APIC,
2020, p. 63. Adoptant un ton dénigrant quant à la procédure de mise en
accusation de Karim Tabbou « Acte d’accusation, le lendemain de son
arrestation ? ». Il convient de préciser aux fins de clarification que Karim
Tabbou n’a pas fait l’objet de mesure de garde à vue et a été placé directement
détention provisoire. (Voir : Réponse du Gouvernement de la République
Algérienne Démocratique et Populaire à l’appel urgent AL DZA 3/2020 du
14 avril 2020 concernant le cas de Karim Tabbou, 2 juin 2020 : disponible en
ligne à cette adresse :
https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadFile?gId=35327

Page 278
Alkarama : Pour la dignité des peuples

« distillé des discours incitant à la désobéissance civile contre les


institutions de l’Etat et notamment l’armée nationale ce qui a
conféré à ces discours un caractère pénal avéré ». Selon les
autorités, « M. Tabbou se serait attaqué publiquement à
l’institution militaire en accusant son chef d’état-major et les
officiers de l’armée d’être impliqués dans des affaires de
corruption, jetant ainsi la suspicion sein de cette institution ». Des
allégations d’autant plus incongrues, qu’au même moment, des
officiers supérieurs étaient jugés par le tribunal militaire de Blida
pour « corruption ».47
En outre, dans leur tentative de démenti des violations du droit
à la liberté d’expression de Karim Tabbou, les autorités affirment
qu’il n’a été arrêté que pour avoir « enfreint le contrat social qui lui
impose le respect des lois et des institutions de la république à
l’occasion de ses activités politiques, tel qu’exigé dans toutes les
sociétés démocratiques ». En d’autres termes, l’Etat algérien
semble considérer que tout engagement dans le champ politique
algérien doit se faire dans ses termes et les limites qu’il pose. Cela
veut dire qu’appeler au changement pacifique de ses institutions ne
doit pas faire partie des demandes politiques des citoyens. Serait-ce
donc cette conception du contrat social et de la démocratie
qu’Ahmed Bensâada souhaite à l’Algérie ? Un hirak acceptable
serait donc un hirak qui ne demande pas de changement réel de ses
institutions et gouvernants, même de manière pacifique ? Le hirak
d’un peuple passif, sans volonté de changement ?

b) Inscrire ces attaques dans la loi du pays

C’est cette même approche qui a mené en avril dernier à l’adoption


de la loi n° 20-06, sans débat parlementaire ou public, alors qu’elle
introduisait dans le Code pénal plusieurs dispositions restreignant
gravement les droits à la liberté d’expression, de religion et
d’association, dans un contexte déjà inquiétant de persécution
systématique des activistes.
La loi modifie l’article 144 du Code pénal criminalisant la
critique des agents publics en (1) aggravant les peines de prison

279
Mohamed Dougha

à rehausser la crédibilité du pamphlet à travers le nom d'une


personnalité très étroitement associée aux institutions militaires et
services de renseignement français comme le Centre Français de
Recherche sur le Renseignement (CF2R) d'Eric Denécé.15 La seule
explication plausible serait que Bensâada ne considère pas
l'ingérence française dans les affaires algériennes comme un danger
pour la souveraineté algérienne qu’il garde sacrément par sa
vigilance et son « expertise » en financement étrangers des ONG.
Nehmé, Labévière et Afrique-Asie ne sont pas une nouveauté.
Le premier est au service du plus offrant et du nouveau maître
tandis que le second sert l'establishment et les intérêts nationaux de
son pays, la France. Jeune Afrique est une autre publication qui sert
le même objectif à l'échelle de l'Afrique. Il sert l'establishment
français et ses relais que constituent les régimes autoritaires
africains vassaux. Tout comme Afrique Asie, Jeune Afrique a profité
pendant des décennies du soutien financier du régime algérien
pour soigner son image en Europe et dans le monde anglophone à
travers sa publication The Africa Report. Jeune Afrique et The Africa
Report se sont lancés dans une campagne pour saper l'unité du
hirak.16 Il y a quatre décennies, l'auteur camerounais Bongo Beti
avait démasqué le rôle que Jeune Afrique joue dans la politique de la
Françafrique.17 Beti avait averti que l'Afrique a besoin de sa propre
presse authentique qui sert ses propres intérêts et sa lutte pour
l'indépendance.18
Les Algériens se souviennent certainement du scandale dans
lequel Le Monde a terni sa réputation en publiant 16 pages de
propagande du régime de Bouteflika sans avertir ses lecteurs que le
supplément était un matériel de promotion sponsorisé par le
gouvernement algérien.19 On sait maintenant que Le Monde a
empoché un million et demi d’euros pour le service.20 On pourrait
dire que Le Monde a publié des excuses et a expliqué qu'il s'agissait
d'une omission involontaire. Difficile à croire. Mais l'acte de
propagande le plus étonnant pour polir l'image délabrée du régime
de Bouteflika a été les entretiens bizarres avec Bouteflika que
l'Oxford Business Group (OBG) a publiés au cours des six
dernières années de son règne alors qu’il était quasi-absent des
affaires publiques de l'Etat.21 Tout comme les nombreuses visites

Page 126
Alkarama : Pour la dignité des peuples

séparément et en tête de tous les autres droits énoncés dans ces


Pactes ».55
Nous n’allons pas faire l’analyse article par article de ce que cela
implique, mais nous invitons toutefois chaque citoyen à se rendre
sur le site du Haut-Commissariat des Nations unies sur la page du
Comité des droits de l’homme et à lire les commentaires de chaque
article détaillant les obligations de l’Etat pour chaque droit et
liberté consacré dans le Pacte.56
Il n’est jamais excessif de répéter encore et encore : le PIDPC
est le droit algérien, il a été signé et ratifié, il est vrai dans le
contexte de la brève ouverture démocratique post-octobre 1988,
mais il fait néanmoins partie intégrale du droit national. Ce n’est
donc ni « internationaliser » une question interne ni commettre une
atteinte à la constitution et à la nation algériennes que de se référer
à ses textes. Au contraire, un justiciable algérien dispose de la
capacité d’invoquer un article d’une convention ratifiée par
l’Algérie devant un juge national qui sera tenu d’en prendre
compte.
Pour les besoins de notre démonstration, nous allons
brièvement exposer le contenu des droits que nous estimons les
plus « fondamentaux » dans la réalisation du droit du peuple
algérien à disposer de lui-même.
Le hirak a pris la forme d’un mouvement populaire de
protestation pacifique. Cette action, interdite par décret dans la
capitale, est néanmoins un droit et une liberté protégée par le
Pacte. Ce droit fondamental de manifester permet aux individus de
s'exprimer et de déterminer collectivement leur statut politique.
Il protège la capacité des personnes à exercer leur autonomie
individuelle en solidarité avec les autres. La possibilité de
manifester pacifiquement constitue ainsi le fondement même d'un
système de gouvernance participative fondé sur la démocratie, les
droits de l'homme, l'Etat de droit et le pluralisme, permettant de
faire avancer des idées et des objectifs ambitieux dans le domaine
public. Le hirak, à travers sa mobilisation pacifique ne vise ni plus
ni moins que de permettre aux Algériens de décider de leur
destinée commune, ce qui est leur droit le plus fondamental.57

283
Mohamed Dougha

d'accords politiques et de sécurité, mais il brandit la carte de la


souveraineté, de l'ingérence, de la main étrangère, ou simplement
du complot contre la sécurité et l'unité nationales chaque fois que
l'Union Européenne ou toute autre organisation de ce même
Occident souligne la mauvaise performance économique du
régime militaire; ou quand un journaliste relaie la critique de
l’opposition et des acteurs de la société civile sur l’état des libertés
et des droits humains en Algérie, comme par exemple Robert Fisk
ou Gilles Munier.29 Les médias étatiques algériens se félicitent
chaque fois qu'une publication à faible tirage fait une couverture
favorable (souvent sponsorisée) du régime. Mais elles mènent une
bataille sans répit pour dénoncer des complots lorsque des
organisations internationales telles que Reporters sans frontières,
Freedom House, Amnesty International ou autres dénoncent la
mauvaise situation des libertés en Algérie.30
La liste des mercenaires intellectuels, think-tanks et des
consultants que le régime algérien finance pour alimenter sa
machine de propagande en Occident est longue. Nous n'avons
traité ici que les cas qui, selon l'éditeur du pamphlet de Bensâada,
ajouteraient une certaine crédibilité au texte. Nous avons examiné
les liens qu'ils entretiennent avec Bensâada lui-même, le régime
algérien et d'autres centres de recherche et institutions français, y
compris les services de défense et de renseignement. Nous avons
montré comment ils critiquent vigoureusement la politique
interventionniste américaine mais gardent un silence assourdissant
sur l’intervention néocoloniale de la France au Sahel par exemple.31
Même Emmanuel Macron trouve gênant de ne pas répondre aux
rapports accablants d'organisations de défense des droits humains
concernant l'implication des troupes françaises dans des exécutions
extrajudiciaires au sein des communautés peules à travers le
Sahel.32 Le rejet de l'opération Barkhane et le sentiment « anti-
français » croissant – au Sahel – pour reprendre les mots de
Macron, en particulier au Mali, comme les manifestations du
mouvement protestataire M5-RfP l'ont récemment montré, sont
similaires à ce que les troupes américaines et britanniques ont vécu
en Irak et en Afghanistan. Cependant, Bensâada et ses collègues du
centre GICPA ne semblent pas voir le parallèle entre les deux
politiques interventionnistes.33

Page 128
Direction juridique, Alkarama

manipulations. Ainsi, le sujet colonisé doit être « éduqué » afin de


ne pas tomber dans le piège des « libérateurs » du mouvement
national. Comme les citoyens algériens qui descendent dans les
rues le vendredi sont bien incapables de voir que des « ténors
autoproclamés » ne sont que des agents de l’étranger essayant de
« colorer » leur révolution, il faut les discréditer et rendre suspect
tout discours appelant au respect de leurs droits et de leurs libertés.
Toute analyse objective de la situation montre que la réalité du
hirak est loin de correspondre à la vision étriquée d’Ahmed
Bensâada, et va à l’encontre de son argumentation qui tente à tout
prix de faire rentrer le mouvement algérien dans un moule qui
n’est pas le sien.
Pour notre part, 15 ans d’activité de défense des droits humains
dans le « monde arabe » nous a permis d’observer que celui-ci
s’inscrit dans un cycle de changement structurel inéluctable et qu’il
est tout à fait impossible de revenir au statut quo ante quels que
soient les moyens mis en œuvre pour arrêter le changement et quel
que soit le soutien apporté aux dictateurs arabes.
Au cours de la dernière décennie, nous avons assisté à un
véritable changement de paradigme qui nous laisse deviner ce
changement sociétal à venir qui fait suite à une prise de conscience
accélérée de la nouvelle génération qui s’est aussi appropriée, avec
exigence, la question des droits de l’homme.
C’est d’ailleurs ce qui se passe en direct avec le hirak en Algérie,
avec l’expression de revendications, toujours de plus en plus
politiques, qui ont évolué en une année seulement de l’annulation
du « mandat de trop » à l’exigence de l’instauration d’un Etat civil
et non militaire, un Etat qui respecte les droits civils, politiques,
économiques, sociaux et culturels de tous. Un réel Etat de droit.
Notre mission a toujours été de faire en sorte que les droits de
l'homme ne soient jamais considérés comme inaccessibles, ni
comme une faveur, mais plutôt comme une valeur inhérente à la
dignité, al-karama, que chaque être humain détient de manière
égale. C’est vers cela que tendent tous les soulèvements, y compris
le hirak, et la désinformation faisant passer des revendications
légitimes pour des atteintes à la sécurité des Etats, eux-mêmes

Page 288
Mohamed Dougha

L’émergence d’une nouvelle dynamique de libération des peuples


africains, fondée sur la conscience qu’a la nouvelle génération de la
nécessité de s’assumer pleinement, avec responsabilité et
indépendance, finira par faire plier la France. D’où son acharnement
contre tous ceux qui s’érigent contre les systèmes érodés qu’elle a
implantés en Afrique. Le hirak en est l’une des expressions les plus
lancinantes.

Le déclenchement des soulèvements en Afrique du Nord de


2011 avait eu un écho remarquable en Afrique sub-saharienne au
point où une maison d’édition panafricaine de gauche l’avait
caractérisé de réveil africain.38 On se demande alors si ce n’est pas ce
hirak africain que Paris craint d’embraser la poudrière peule en
Afrique au-delà des pays du G5 Sahel où ses troupes de l’opération
Barkhane encadrent les pogroms et massacres contre les Peuls.
On constate alors que c’est ce réveil de l’identité peule, « l’un
des derniers grands peuples nomades de la planète, […] au cœur de
presque toutes les actualités au Sahel. [Et qui sont] épris de
liberté... », selon l’AFP, qui risque de bouleverser la politique de la
Françafrique. Cette variable peule forte d’environ 25 millions dans
plus de 17 pays de la bande sahélienne taraude le Quai d’Orsay et
ses think-tanks. Dans un monde globalisé où les jeunes
consomment l’information sur les réseaux sociaux, l’avènement du
hirak en Algérie a provoqué des sit-ins à la Place de
l’Independence à Bamako qui ont entrainé un changement de
gouvernement au printemps 2019, puis la chute du régime
d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) en 2020. Pour l’Élysée, il n’est
pas question que s’établissent une cause commune et une solidarité
au sein de la jeune génération africaine du Maghreb au Sahel, ou
qu’elle se retrouve dans l’efficacité de la stratégie de la non-
violence telle qu’adoptée par le hirak du 22 février 2019 en Algérie,
le mouvement M5-RfP du 5 juin 2020 au Mali, ou leur précurseur
Burkinabé, l’Insurrection de 2014, qui avait chassé du pouvoir
Blaise Compaoré, l’un des relais forts de la Françafrique depuis
l’assassinat de Thomas Sankara en 1987.39
Examinons maintenant le fond des allégations de Bensâada et al.
contre le hirak. Ils répètent inlassablement que le régime algérien
est la cible de complots occidentaux, surtout américains, pour

Page 130
Parrainage occidental contre la volonté populaire

opérer un changement de régime car selon eux le régime algérien


serait parmi les derniers encore debout et résistant à la domination
américaine. Mais que dit le bilan du régime algérien depuis les
années 1990 jusqu'au hirak s’agissant relations avec les Etats-Unis,
de la question palestinienne et des causes de l’hémisphère Sud ?

3. Sous-traitance pour Washington


Cette quête pour combler le déficit de légitimité politique à
l’intérieur par le soutien occidental est devenue une quête de survie
pour la junte immédiatement après le coup d'Etat de 1992.
L'administration de Bill Clinton était divisée sur la façon de traiter
avec la junte d’Alger. Il y avait d'une part ceux qui conseillaient un
engagement graduel conditionné par l'amélioration du bilan des
droits humains et la mise en œuvre de réformes dans certains
secteurs clés, et d’autre part des analystes qui pensaient que tout
engagement avec la junte alors que les massacres en Algérie
faisaient la une des médias internationaux serait un mauvais
message à envoyer aux putschistes.40 Le régime algérien a dû
proposer au secteur privé de l'énergie à Houston des contrats
lucratifs afin de faire pression sur Washington.41 Vers la fin du
deuxième mandat de Clinton, un nouvel ambassadeur américain
est arrivé à Alger et a tenté de renforcer les relations malgré la
détérioration de la situation sécuritaire et l’ampleur des massacres.42
Lorsque la junte a nommé Bouteflika chef d’Etat, l’ambassadeur
américain Cameron Hume à Alger a été témoin d'une volonté
soutenue de la part de Bouteflika pour accélérer la coopération.
Des portefeuilles clés du gouvernement ont été confiés à des amis
de longue date de Bouteflika qui avaient passé de nombreuses
années aux Etats-Unis comme Chakib Khelil.43 Réfléchissant à ses
réalisations au cours de sa mission de deux ans en Algérie,
l’ambassadeur Hume énumère la percée qu'il a réussie en
rencontrant une série de hauts gradés militaires algériens,
l'Initiative Eizenstat (qui comprenait un appui technique à
l'élaboration de politiques de réforme de certains secteurs clés),
une visite à Alger du ministre de l'Energie Bill Richardson qui « a
contribué à modérer la position algérienne en ce qui concerne le
niveau de la production de l'OPEP, et qui a montré un nouveau

131
Direction juridique, Alkarama

14Michael Rubin « Alkarama Doubles Down on Al-Qaeda », The Commentary Magazine, 7


février 2014, disponible en ligne :

https://www.commentarymagazine.com/michael-rubin/alkarama-doubles-down-on-al-
qaeda/

Notons que le Commentary Magazine est un mensuel de la droite néo-conservatrice crée


par le l’American-Jewish Commitee en 1945 pour défendre des idées néo-conservatrices
et pro-israéliennes.
15 UAE publishes list of terrorist organisations. Gulf News, 15 novembre 2014,
disponible en ligne :

https://gulfnews.com/uae/government/uae-publishes-list-of-terrorist-organisations-
1.1412895
16 Voir notre charte en ligne :

https://www.alkarama.org/fr/a-propos/comment-nous-travaillons
17Pour voir toutes les contributions et comparer, il est possible d’accéder à toutes les
contributions sur cette page du site des Nations unies :

https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/UPR/Pages/UPRUnitedArabEmiratesStakehol
dersInfoS29.aspx
18‫ وكشفنا أكذوبة االختفاء «القسري» في مصر‬..»‫ بيان المفوضية السامية «سياسي‬:»‫رئيس «ماعت للسالم‬,
Shourouq News, 20 octobre 2018, disponible en ligne:

https://www.shorouknews.com/news/view.aspx?cdate=20102018&id=a99257ef-5d0a-
4e8d-8b40-af51d3e2a9da
19Middle-East Monitor, “Inside the secret world of Gulf 'GONGOS'”, 22 Septembre
2014, en ligne :

https://www.middleeastmonitor.com/20140922-inside-the-secret-world-of-gulf-gongos/
20 Voir par exemple: ‫ الدورة الثالثة لالستعراض الدوري الشامل تسلط الضوء على السجل الحقوقي‬:‫قطر‬
‫للبالد‬, “Qatar: Third Upr Cycle Sheds Light On The Country’s Human Rights Record »,
Alkarama, 31 mai 2019, en ligne en anglaise :

https://www.alkarama.org/en/articles/qatar-third-upr-cycle-sheds-light-countrys-
human-rights-record et arabe :

https://www.alkarama.org/ar/articles/qtr-aldwrt-althaltht-llastrad-aldwry-alshaml-tslt-
aldw-ly-alsjl-alhqwqy-llblad
21 Conseil des droits de l’homme, Groupe de travail sur la détention arbitraire, Avis
adoptés par le Groupe de travail sur la détention arbitraire à sa quatre-vingt-unième
session (17-26 avril 2018), Avis n° 29/2018, concernant Abdulrahman bin Omair
Rashedal Jabr al Nuaimi (Qatar).

Page 294
Parrainage occidental contre la volonté populaire

Depuis la fin des années 2000, une unité américaine d’environ 400
hommes est installée près de Tamanrasset où elle s’entraîne avec ces
régiments d’élite, échangeant tactiques et procédures de combat avec
les Algériens.52

Il expliquait aussi qu’


Entre le 18 et 20 septembre 2012, l’ambassadeur américain à Alger
s’est rendu à l’Ecole d’application des forces spéciales, où s’est tenu
un séminaire mettant en relief la coopération entre les Etats-Unis et
l’Algérie dans le domaine sécuritaire.53

Cet état de fait ne s'est pas limité aux années Bouteflika. Il a


continué sous le règne de facto du général de corps d'armée Gaïd
Salah et sa nouvelle façade civile Tebboune. Les Algériens se
souviennent comment la junte a précipité la promulgation de
l'amendement à la loi sur les hydrocarbures en décembre 2019, ce
que l'expert international de la géopolitique de l'énergie Hocine
Malti considérait comme « une grande braderie du pétrole
algérien », en retour du soutien de Donald Trump au régime
militaire.54 Avant la fin de l'année, la junte a ordonné au parlement
aux ordres d'adopter la loi de finances 2020 qui supprimait les
clauses limitant les investissements étrangers à 49% des actions de
toute joint-venture. Pour l'économiste algérien Omar Benderra, le
message était clair : le régime militaire espérait sécuriser la
reconnaissance de l'Occident, et en particulier celui de l'Union
Européenne, du résultat des élections présidentielles de décembre
2019.55
Au début d’octobre 2020, Mark Esper, le ministre américain de
la Défense, débarque en Algérie et rencontre Tebboune et certains
généraux du commandement militaire. Selon les indiscrétions d’un
diplomate occidental, en poste à Alger, à Reuters, il s’agirait
d’impliquer l’armée algérienne d’avantage dans les missions de
maintien de la paix sous l’égide de l’ONU ou l’Union africaine,
surtout au sahel. L’amendement de la constitution, prévu début
novembre 2020, garantira le cadre juridique de la sous-traitance de
la guerre américano-européenne au régime militaire d’Alger.56 Cette
visite n’est-elle pas un parrainage de taille par l’administration de
Trump au régime en place à Alger ?

133
Alkarama : Pour la dignité des peuples

l'accès à l'information. Daté du 3 mars 2017, ci-après “Déclaration conjointe », principe 2


c), disponible en ligne : https://www.osce.org/fom/302796
64 Ibid., Déclaration conjointe, Principe 3(a).
65 Ibid., Déclaration conjointe, Préambule.
66Algérie- ONU : Alkarama saisit le haut-commissariat suite à la campagne officielle de
désinformation selon laquelle l’ONU aurait rejeté une plainte contre l’Algérie, 4
septembre 2020, disponible en ligne :

https://www.alkarama.org/fr/articles/algerie-onu-alkarama-saisi-le-haut-commissariat-
suite-la-campagne-officielle-de

Voir le démenti du HCDH : Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de


l’homme met en lumière des informations fallacieuses concernant l'Algérie, 4 septembre
2020, disponible en ligne :

https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=26208&L
angID=F
67 Sonia Bodi, « Scholarship or propaganda: How can librarians help undergraduates tell
the difference? », The Journal of Academic Librarianship, 1 janvier 1995, vol. 21, no 1, p.
21‑25.
68 Jacques Ellul, Propagandes, Paris, Economica, 1990, 361 p.

69 Sonia Bodi, « Scholarship or propaganda », op. cit.

70 Jacques Ellul, Propagandes, op. cit., p. 147‑149.

71 Emma Graham-Harrison, “Enemy of the people: Trump's phrase and its echoes of

totalitarianism”, The Guardian, disponible en ligne https://www.theguardian.com/us-


news/2018/aug/03/trump-enemy-of-the-people-meaning-history

299
Parrainage occidental contre la volonté populaire

successives avec un regard sur l’image du régime militaire dans la


production cinématographique de Hollywood. Trois séries célèbres
et connues par la plupart des jeunes Algériens sont à relever : la
première saison de la série Designated Survivor,64 la quatrième partie
de la série du géant américain Netflix La casa de papel,65 et la série
Madame Secretary.66 Dans ces trois productions, pour ne prendre que
les plus récentes, la junte militaire et ses services du DRS sont
systématiquement représentés en des termes et dans des rôles qui
font atteinte à l’honneur et la dignité de l’Algérie. On sait très bien
que ces œuvres cinématographiques ont des budgets colossaux,
recrutent les meilleurs cinéastes et s’appuient sur les conseils de
consultants et d’experts impliqués dans les milieux politiques de
Washington. Certains acteurs avaient même été recrutés par le staff
de Barak Obama, à deux reprises, comme le cas de Kalpen Suresh
Modi (Kal Pen) dans Designated Survivor.67 Les généraux des
Tagarins se sont-ils jamais demandés pourquoi ils sont si mal vus
en Amérique comme en Europe ?

4. Coups tordus contre la cause palestinienne


Nous concluons cet essai avec les positions du régime algérien vis-
à-vis de la question palestinienne. Deux éléments symboliques
suffisent ici. Premièrement, il y a eu la poignée de main
surprenante de Bouteflika avec le Premier ministre israélien Ehud
Barak lors des funérailles du roi Hassan II, en juillet 1999, trois
mois après l'arrivée au pouvoir de Bouteflika.68 Les Algériens ont
été pour le moins choqués par cette tentative de normalisation. La
poignée de main a ouvert la voie au deuxième acte symbolique un
an plus tard, lorsqu'une délégation de journalistes algériens du
Quotidien d'Oran, Liberté, le Matin, le Soir d'Algérie, El Khabar et d'El
Watan et d'universitaires s'est rendue à Tel Aviv. Le Monde a même
rapporté qu'une délégation israélienne de haut niveau s'était rendue
en Algérie à la fin de 1999.69 Quand, en 2017, les supporteurs d’un
club de football algérien ont exprimé leur rejet de la décision de
Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël,
en arborant une grande banderole représentant le roi Salman
d'Arabie saoudite et le Premier ministre Benjamin Netanyahu en

135
Secrétariat du Mouvement Rachad

aucune chance d’aboutir dans le Monde arabe, plutôt habitué aux


coups d’Etat et aux insurrections armées. Les révolutions arabes de
fin 2010 ont apporté la preuve que la non-violence était non
seulement possible dans cette région du monde mais qu’elle était
aussi efficace. Il faut cependant noter que les régimes autoritaires
arabes, d’abord surpris par les révolutions populaires non-
violentes, se sont attelés à mener des contre-révolutions (coup
d’Etat en Egypte, interventions étrangères et violence armée en
Syrie et Libye). Au même moment, leurs porte-voix s’acharnaient à
discréditer la méthode non-violente, la présentant comme une
« manipulation de puissances occidentales » visant à déstabiliser les
pays arabes. Pour ces derniers, la résistance non-violente est une
« preuve » de soumission aux intérêts US ! Le Mouvement Rachad
réfute ces thèses ubuesques qui ne font en définitive que servir des
régimes qui desservent leurs peuples et qui sont eux, sans aucun
doute, à la solde de puissances étrangères. Rachad reste plus que
jamais convaincu que la méthode non-violente est non seulement
une nécessite historique, au vu des couts ruineux des violences
politiques dans la région, mais elle est aussi la plus adaptée pour le
changement radical. Elle jouit en Algérie d’une adhésion populaire
forte, garante de l’unité et de la souveraineté.

4. Islam et islamisme

L’Islam occupe une place centrale dans la société et l’histoire


algériennes. Il est la religion dans laquelle se reconnait la quasi-
totalité des Algériens et Algériennes. Il est donc tout à fait normal
et légitime que Rachad considère l’Islam comme un élément
essentiel de l’identité de la société algérienne. Il y a lieu cependant
de ne pas associer cette posture à une supposée adhésion à un
agenda « islamiste ». En effet, ce terme galvaudé et lié à des
problématiques politiques et sécuritaires diverses est le plus
souvent brandi pour tenter de discréditer et exclure divers acteurs
de la vie politique, associative, intellectuelle, culturelle et même
sportive. Dans cette optique, le mot « islamisme » rime souvent
avec théocratie, déni des droits humains, refus de la démocratie ou
carrément terrorisme.

Page 304
Parrainage occidental contre la volonté populaire

8 Des chiffres astronomiques, des complicités et des ruses impensables : Les milliardaires
« made in pub », El Watan, 16 Aout 2020.

https://www.elwatan.com/edition/actualite/les-milliardaires-made-in-pub-06-08-2020
9 Philippe Tourelle, « Abdelmadjid Tebboune, un président en communion avec son
peuple », Afrique Asie, 25 August 2020, https://www.afrique-asie.fr/abdelmadjid-
tebboune-un-president-en-communion-avec-son-peuple/.
10 Bensâada, Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak, p.71.
11 Ibid, pp. 72-73.
12Pascal Airault et Jean-Pierre Bat, Françafrique : opérations secrètes et affaires d’Etat,
(Paris : Tallandier, 2018).
13Voir sa présentation sur le site du CIGPA, Richard Labévière,
http://cigpa.org/lequipe/comite-de-redaction/. « Défense » est la revue de l’Institut des
hautes études de Défense nationale (IHEDN). Il est fondé en octobre 1936, est un
établissement public administratif français d'expertise et de sensibilisation en matière de
Défense, placé sous la tutelle directe du Premier ministre ;
https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Lab%C3%A9vi%C3%A8re#D%C3%A9part_de
_la_revue_D%C3%A9fense_de_l'IHEDN_en_2011.
14Scarlett Haddad, « Richard Labévière et la nouvelle doctrine militaire américaine »,
Afrique-Asie, 1 Avril 2014.

http://www.afrique-asie.fr/richard-labeviere-et-la-nouvelle-doctrine-militaire-
americaine/
15 Voir Chapitre 6 de cet ouvrage : Le complotisme en contre-enquête, par Moussa
Benmohammed. Voir aussi le profil d’Eric Denécé, https://cf2r.org/equipe/denece-
eric/

The Africa Report,


16 sous la direction de Danielle Ben Yahmed,
www.theafricareport.com
17Bongo Beti, « Béchir Ben Yahmed ou l’avide à dollars de Jeune Afrique »,
https://www.musabyimana.net/20151209-bechir-ben-yahmed-ou-lavide-a-dollars-de-
jeune-afrique/
18Mohamed Aït-Aarab, Mongo Beti : un écrivain engagé, (Paris : Karthala editions, 2013), pp.
185-187.
19 De la confusion entre rédaction et publicité, Le Monde, 9 juillet 2012.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/09/de-la-confusion-entre-redaction-et-
publicite_1730705_3232.html
20 L’ANEP aurait dépensé plus de 16 milliards de centimes, El Watan, 5 juillet 2012.

137
Rachad dans le hirak

8. Souveraineté et environnement international

Le Mouvement Rachad revendique son droit à discuter et débattre


avec tous les acteurs politiques non étatiques, ONG et
intellectuels, aussi bien dans le Monde arabe qu’en Occident. Ces
contacts sont toutefois toujours menés dans la transparence et
dans le respect des buts et principes du mouvement, notamment
son indépendance et son refus de toute ingérence étrangère dans le
présent et l’avenir politique de l’Algérie. Des membres de Rachad
ont ainsi participé à des conférences ou des rencontres avec des
militants politiques et de la société civile d’horizons idéologiques
divers (nationalistes, islamiques, laïques, etc.). Il est cependant clair
que rencontrer ou débattre avec de telles entités ou personnes
n’implique nullement une adhésion à toutes leurs opinions ou
actions. A ce titre, les attaques menées récemment contre Rachad,
l’accusant tantôt de travailler pour un « agenda turque et/ou
qatarie » ou de faire partie des « Frères Musulmans » ne reposent
sur aucun fait qui donnerait à ces affirmations une quelconque
véracité. Rachad n’entretient aucune relation avec quel qu’Etat que
ce soit et a toujours refusé l’ingérence étrangère. Il faut aussi
souligner que les gouvernements qatari et turc entretiennent les
meilleures relations avec le régime algérien et ne soutiennent pas le
hirak. Certains membres de Rachad sont d’ailleurs interdits
d’entrée dans ces pays.
Par ailleurs, le mouvement des « Frères Musulmans » a des
représentants attitrés en Algérie et Rachad n’est pas lié
structurellement à cette organisation. Ceci étant, nous
n’accepterons jamais que des dictatures du Golfe ou d’Egypte, en
guerre contre les « Frères Musulmans », notamment depuis le coup
d’Etat contre le président Mohamed Morsi, utilisent leurs relais en
Algérie pour « criminaliser » tout contact avec les « Frères
Musulmans ». Rachad n’a aucun lien organique avec les « Frères
Musulmans » mais refusera catégoriquement que qui que ce soit lui
impose ou interdise de rencontrer ou de débattre avec tel ou tel
acteur politique.
Un autre sujet qui est invoqué par les mêmes cercles en croisade
contre Rachad est le prétendu soutien de Rachad à l’agression de

309
Parrainage occidental contre la volonté populaire

31 Mali : massacre dans un village peul, au moins 160 morts, RTL, 26 mars 2019.

https://www.rtl.fr/actu/international/mali-massacre-dans-un-village-peul-au-moins-160-
morts-7797294270
32 International Crisis Group, Centre du Mali : enrayer le nettoyage ethnique,
International Crisis Group (ICG), 25 mars 2019.

https://www.crisisgroup.org/fr/africa/sahel/mali/centre-du-mali-enrayer-le-nettoyage-
ethnique
33 G5 Sahel : conférence de presse des Chefs d'État à l'issue du Sommet de Pau,
13 janvier 2020.

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/01/13/sommet-de-pau-declaration-
conjointe-des-chefs-detat
34 L’Algérie saura-t-elle déjouer le piège des « révolutions de couleur » ?, Lettre
stratégique hebdomadaire « Voir l’Afrique avec les yeux du futur » des 6 et 13 novembre
2019, https://www.afriquedufutur.com/lalgerie-saura-t-elle-contourner-le-piege-des-
revolutions-de-couleur/
35Macron convoque cinq présidents africains en France pour "des clarifications", BBC
Afrique,

4 décembre 2019, https://www.bbc.com/afrique/monde-50665055


36 Peuls : un des derniers peuples nomades, Grand Format, AFP.

https://interactive.afp.com/features/Les-Peuls_612/
37 Discours d'Emmanuel Macron à l'université de Ouagadougou. 28 novembre 2017.

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/11/28/discours-demmanuel-macron-a-
luniversite-de-ouagadougou
38 Sokari Ekine and Firoze Manji (eds), African Awakening: The Emerging Revolutions,

(Oxford: Pambazuka Press, 2011).


39 Oliver Hanne, « Que reste-il de la Françafrique ? », Revue Conflits, 9 octobre 2020.

https://www.revueconflits.com/france-afrique-analyse-diplomatie-francafrique-olivier-
hanne/.
40Cameron R. Hume, Mission to Algiers: Diplomacy by Engagement, (NY: Lexington Books,
2006), Ch. 4, 5, 6, and 7.
41 Hocine Malti, L’histoire secrète du pétrole algérien, pp. 305-323.
42 Youcef Bedjaoui et al, (eds), An Inquiry into the Massacres, (Geneva: Hoggar, 1999).
43 Malti, Heurs et malheurs du pétrole algérien, Algeria Watch, 10 novembre 2011.

139
Index

Burkina Faso, 81, 129 Dhina, Mourad, 24, 31, 39, 180,
193, 218, 227, 230, 237, 247,
Canada, 51, 146, 162, 174, 216,
263, 265, 271, 296, 306
217, 219, 221, 234, 243
Djir, Belkacem, 49, 212
Canvas, 33, 40, 79, 80, 84, 99, 151
Drareni, Khaled, 49, 138, 212, 223
CF2R, 15, 16, 126, 129, 132, 147,
149, 150, 151, 152, 153, 165, Droits de l’homme, 18, 19, 36, 71,
166, 168, 179, 181, 184, 185 73, 77, 172, 176, 197, 203, 204,
205, 212, 213, 216, 235, 256,
Chikh, Adel Azeb, 212
257, 258, 260, 261, 262, 263,
Chypre, 160, 200, 201, 202 264, 265, 266, 267, 268, 270,
CIA, 41, 54, 140, 184, 236, 243 272, 275, 276, 278, 280, 282,
283, 285, 286, 288, 293, 294,
CIGPA, 3, 14, 15, 16, 55, 123, 137, 295, 296, 297, 298, 299, 305,
147, 148, 152, 155, 156, 159, 306, 308, 310
160, 161, 162, 163, 164, 166,
167, 168, 179, 182, 186, 188, Droits humains, 128, 131, 174, 175,
189, 195, 196, 197, 198, 199, 191, 205, 246, 255, 256, 257,
200, 202, 204, 205, 206, 207 258, 267, 272, 273, 274, 275,
276, 277, 281, 288, 289, 304
CIRET-AVT, 153, 179, 185
DST, 149, 152, 153, 165
Complotisme, 1, 2, 3, 12, 27, 28,
29, 42, 47, 48, 49, 51, 59, 137, Egypte, 5, 6, 7, 14, 22, 41, 69, 71,
149, 215, 223, 224 111, 112, 113, 115, 164, 170,
171, 172, 173, 174, 200, 202,
Complotiste, 14, 16, 17, 19, 27, 28, 203, 204, 205, 246, 260, 263,
29, 30, 32, 34, 37, 39, 43, 46, 47, 266, 304, 309
48, 49, 51, 62, 81, 148, 159, 171,
213, 220, 226, 231 Emirats Arabes Unis, 5, 48, 115,
167, 169, 170, 172, 174, 260,
Conspiration, 28, 29, 35, 45, 122, 262, 264, 266, 270, 272, 274
129, 168
Erdogan, Recep Tayyip, 159, 166,
Dahlan, Mohammed, 16, 155, 160, 186, 197, 198, 199, 200, 206
164, 166, 168, 172, 182, 186,
189, 190, 193 Etats-Unis, 5, 22, 38, 41, 74, 98,
101, 115, 131, 132, 133, 134,
Deeb, Loai Mohamed, 172, 173, 158, 159, 162, 169, 172, 196,
174, 177, 178 213, 245, 246, 258, 259, 267,
DGSE, 150, 152, 184 268, 274, 289

Page 314
Parrainage occidental contre la volonté populaire

56U.S. defense chief's rare Algeria visit points to Sahel region threats, Reuters, 1 October
2020, https://www.reuters.com/article/us-usa-algeria-esper-idUSKBN26M78I
57 Communiqué de presse commun sur le dialogue stratégique États-Unis-Algérie.

https://mr.usembassy.gov/fr/communique-de-presse-commun-sur-le-dialogue-
strategique-etats-unis-algerie/
58 Bouteflika a cédé au lobbying de Hillary Clinton pour offrir 2,5 milliards de dollars à
General Electric, Algérie-Focus, 11 juin 2014.

https://www.algerie-focus.com/2014/06/bouteflika-a-cede-au-lobbying-de-hilary-
clinon-pour-offrir-25-milliards-de-dollars-a-general-electric/

Hillary Clinton’s Complex Corporate Ties, Wall Street Journal, 19 February 2015.

https://www.wsj.com/articles/hillary-clintons-complex-corporate-ties-1424403002
59 Hilary Clinton, Hard Choices: A Memoir, (NY: Simon & Schuster, 2014).
60 David Cameron, For the Record, (London: Harper, 2019).
61 What Algeria can teach about coping with an economic crisis, Washington Times,

11 May 2020.

https://www.washingtontimes.com/news/2020/may/11/what-algeria-can-teach-about-
coping-with-an-econom/

L’article de Washington Times : l’Algérie a-t-elle reconduit son contrat de lobbying ?,


62

Maghreb Emergent, 21 mai 2020.

https://maghrebemergent.info/larticle-de-washington-times-lalgerie-a-t-elle-reconduit-
son-contrat-de-lobbying/;

Algeria, David Keene, (for Algeria) Hired: Oct. 2018, 2018 fees: $60,000
https://lobbying.al-monitor.com/pulse/algeria
63The United States Department of Justice, Documents -- Registrant# 6608 for Algeria,
12 December 2019, Government of the Democratic and Popular Republic of Algeria,
Registration # 6608, Keene, David A. d/b/a Keene Consulting
https://efile.fara.gov/ords/f?p=181:200:0::NO:RP,200:P200_REG_NUMBER,P200_D
OC_TYPE,P200_COUNTRY:6608,Exhibit+AB,ALGERIA
64President Kirkman (Kiefer Sutherland) declares war against Algeria., ABC, Designated
Survivor Season 1, Episode 4 https://youtu.be/dEpVzWMuywc
65Le Sahara algérien évoqué dans la 4e saison de la série « La Casa De Papel » (Vidéo),
DIA,

4 avril 2020.

141
Mohamed Dougha

http://dia-algerie.com/le-sahara-algerien-evoque-dans-la-4e-saison-de-la-serie-la-casa-de-
papel-video/
66 Scène de coup d’état, Série Madame Secretary, https://youtu.be/DJAJ6DYnXPQ ;
Une série américaine met en scène un coup d’Etat militaire en Algérie (Vidéo), DIA,
septembre 2017.

http://dia-algerie.com/serie-americaine-met-scene-coup-detat-militaire-algerie-video/;
67Ingela Ratledge, “Designated Survivor: Kal Penn on How Working with Obama Helps
His New Show”, TV insider, 27 September 2016.

https://www.tvinsider.com/98783/designated-survivor-kal-penn-on-how-working-with-
obama-helps-his-new-show/
68 Barak meets Algerian President at king's funeral, New York Times, 24 September 1999.

https://www.nytimes.com/1999/09/24/world/leader-tries-to-brighten-algeria-s-
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69Visite de journalistes et universitaires algériens en Israël, Algeria-Watch, 13 décembre
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https://algeria-watch.org/?p=66953
70 Ouyahia présente les excuses de l’Algérie à l’Arabie saoudite, TSA,

20 décembre 2017.

https://www.tsa-algerie.com/ouyahia-presente-les-excuses-de-lalgerie-a-larabie-saoudite/
71Le nouveau ministre algérien des Affaires étrangères se rend à Moscou, Sputnik News,
15 mars 2019.

https://fr.sputniknews.com/international/201903151040367999-ministre-algerien-
affaires-etrangeres-visite-moscou/
72Lamamra en Allemagne pour défendre un pouvoir fragilisé par les déclarations de
Chihab Seddik, TSA, 20 mars 2019.

https://www.tsa-algerie.com/lamamra-en-allemagne-pour-defendre-un-pouvoir-fragilise-
par-les-declarations-de-chihab-seddik/

Hocine Malti, La main de l’étranger au secours du régime, Algeria Watch,

22 March 2019.

https://algeria-watch.org/?p=71624
73Une contribution de Mouloud Hamrouche à El Watan : « Le système algérien est
antinational », El Watan, 4 septembre 2019.

Page 142
Parrainage occidental contre la volonté populaire

https://www.elwatan.com/a-la-une/une-contribution-de-mouloud-hamrouche-a-el-
watan-le-systeme-algerien-est-antinational-04-09-2019
74Omer Benderra et al, Hirak en Algérie : l’invention d’un soulèvement, (Paris : La fabrique
éditions, 2020), pp.233-248.

143
Mohamed Dougha

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MAILLAGE IDÉOLOGIQUE ET POLITIQUE

Moussa Benmohammed

1. Introduction .............................................................................. 146


2. Un détail biographique à relever .............................................. 147
3. La complosphère canadienne................................................... 148
4. Centre Français de Recherche sur le Renseignement .............. 149
5. Centre International de Géopolitique et de Prospective
Analytique .................................................................................... 155
5.1. Le fondateur du CIGPA ................................................................... 156
5.2. L’équipe du CIGPA .......................................................................... 162
5.3. Activités du CIGPA .......................................................................... 163
6. Influence et financement émiratis ............................................ 167
6.1. Mohammed Dahlan........................................................................... 168
6.2. Le Global Network for Rights and Development ....................... 171
6.3. Le réseau IIPJHR – SIHR des « droits de l’homme » .................. 176
7. Editions APIC .......................................................................... 180
8. Conclusion ................................................................................ 181
Moussa Benmohammed

« Je n'arrive point armé de vérités décisives. Ma conscience n'est


pas traversée de fulgurances essentielles. Cependant, en toute
sérénité, je pense qu'il serait bon que certaines choses soient dites.
Ces choses, je vais les dire, non les crier. Car depuis longtemps, le
cri est sorti de ma vie. »
Frantz Fanon. Peau noire, masques blancs.

1. Introduction

Nous avons voulu comprendre les raisons qui auraient poussé


Ahmed Bensâada à s’attaquer au hirak du 22 février 2019 et à
défendre le régime militaire algérien. Nous avons également voulu
saisir pourquoi les journalistes Majed Nehmé et Richard Labévière
viendraient préfacer et postfacer son dernier opuscule1 en tentant
d’ériger son auteur en autorité compétente. Ou encore toute la
promotion dont l’opuscule a pu bénéficier sur les sites
d’informations de René Naba. Enfin, nous avons également voulu
appréhender les raisons qui auraient incité une maison d’édition à
compromettre sa réputation en acceptant de publier un travail
intellectuel aussi boiteux.
La première partie de cet ouvrage démontre la fragilité de la
thèse de d’Ahmed Bensâada sur les plans factuel, méthodologique
et argumentaire. L’universitaire algérien installé au Canada ne
semble pas s’être encombré d’un travail de validation rigoureux
pour s’assurer de la robustesse de sa théorie de « printanisation »
étatsunienne. La question que pose cet écartement d’une démarche
scientifique est évidemment de savoir de quoi est constitué le biais
normatif à l’origine de cet égarement.
Pour tenter de répondre à ces questions, nous vous proposons
de cartographier quelques pans de l’environnement idéologique et
politique de Bensâada pour tenter de comprendre la nature de
l’impact qu’il aurait pu avoir sur ses productions anti-hirak. Nous
explorerons ses liaisons et celles des deux journalistes, Majed
Nehmé et Richard Labévière, qui ont préfacé et postfacé son
dernier opuscule.

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Maillage idéologique et politique

Après avoir relevé un détail biographique de Bensâada qui nous


a semblé significatif, nous reviendrons succinctement sur ses
activités dans la complosphère canadienne. Nous nous attarderons
ensuite sur son affiliation au Centre Français de Recherche sur le
Renseignement (CF2R) ainsi qu’au Centre International de
Géopolitique et de Prospective Analytique (CIGPA). Seront
ensuite exposées les liaisons des deux centres avec des cercles
d’influence émiratie. Enfin, nous reviendrons sur le réseau dont
fait partie « Editions APIC », la maison d’édition de l’opuscule.

2. Un détail biographique à relever

Comme décrit dans la biographie publiée sur le site web personnel


de l’auteur, la vie d’Ahmed Bensâada devait être à l’image de celle
de nombreux jeunes diplômés algériens dans sa situation : un long
fleuve tranquille.2 L’orage tonne au moment où des êtres chers à
son cœur sont assassinés pendant la décennie sanglante en
Algérie.3 Il parle d’un « torrent » qui « emporta tout sur son
passage : les projets, les plans et les rêves ».
Il y a là un trauma et un premier marqueur idéologique à noter.
On sait que le deuil suite à la mort violente d’un proche est un
processus lent et complexe impliquant un ressenti d’injustice,
d’inachevé et de colère en quête d’exutoire. En tout cas il est
plausible de croire que l’animus qui imprègne les écrits de
Bensâada sur l’« islamisme » trouve en partie sa raison d’être dans
ces blessures profondes.
Mais le torrent dont parle Bensâada a charrié également des
centaines de milliers d’emprisonnements politiques, et presque
autant de torturés, des dizaines de milliers de disparus et de
victimes de massacres. Cependant, la production intellectuelle de
Bensâada leur est aveugle, tout comme elle est muette sur le
militarisme et le terrorisme d’Etat. Cette période tragique de
l’histoire algérienne soulève beaucoup de questions auxquelles le
régime algérien n’a jamais apporté de réponses, mais Bensâada,
l’intellectuel qui se préoccupe du destin de l’Algérie, reste aphone
quant à un processus de vérité et de justice qui délierait les langues
et les mémoires sur ce qu’il s’est réellement passé après le putsch,
et qui contribuerait à une vraie réconciliation.

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Moussa Benmohammed

Ce penchant ou biais idéologique représente manifestement


l’affinité idéologique qu’il partage avec les personnes qui ont
pré/postfacé son opuscule, Richard Labéviere, Majed Nehmé ou
encore Mezri Haddad futur patron, et parrain intellectuel, de
Bensâada au sein du CIGPA (voir section 5).

3. La complosphère canadienne
La haine que voue Bensâada à l’impérialisme étasunien et ses
« alliés islamistes » le mène dans les réseaux complotistes
canadiens. Bensâada est très actif sur le site « mondialisation.ca »
où il a publié plus de cent articles entre 2011 et 2020. Ce site n’est
autre que la version française du site « globalresearch.ca » fondé
par le très controversé Michel Chossudovsky. La fameuse liste de
Melissa Zimdars classe le site comme complotiste.4 La version
anglophone du site est épinglée par une autre étude portant sur la
désinformation antivaccins sur internet.5
L’outil Décodex mis en ligne par le journal Le Monde conclut à
un verdict similaire. Nous pouvons y lire :
Ce site diffuse un nombre significatif de fausses informations et/ou
d’articles trompeurs. Restez vigilant et croisez avec d’autres sources
plus fiables. Si possible, remontez à l’origine de l’information.6

Le rapport de « newsguardtech.com » sur « mondialisation.ca »


daté du mois d’avril 2020 est plus alarmant. Il indique en rouge la
mention suivante : « Soyez vigilants : ce site web enfreint
gravement les principes de base de crédibilité et de transparence ».7
Le rapport accuse le site de faire de la propagande pro-russe :
Le site en français du Centre de recherche sur la mondialisation, qui a
publié des théories du complot et de la propagande pro-russe, y
compris de fausses informations sur la pandémie de COVID-19.8

Il évoque aussi des liens avec le gouvernement russe :


Le site publie principalement des articles et des analyses sur l'actualité
internationale, notamment des articles repris sur d’autres sites,
comme le site français Observateur Continental, le site italien Il Manifesto,
et le site Français RT.com, qui appartient au gouvernement russe.9

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Maillage idéologique et politique

Nous pouvons légitimement présumer qu’Ahmed Bensâada se


perfectionne dans une « bonne école » en matière de complotisme,
tout comme Majed Nehmé, Richard Labévière et René Naba,
grands soutiens de Bensâada, tous contributeurs plus ou moins
assidus au contenu du site.
La question de la motivation persiste. Comment expliquer
l’implication de ces personnes dans les cercles complotistes ?
Creusons un peu plus.

4. Centre Français de Recherche sur le Renseignement

Ahmed Bensâada fait partie de l’équipe de recherche du Centre


Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).10 Le site du
centre n’explicite pas en quoi consiste ses « recherches ».
Sur son site, le CF2R se définit comme un « Think Tank
indépendant […] spécialisé sur l’étude du renseignement et de la
sécurité internationale ».11 La même rubrique liste trois objectifs
pour le CF2R dont un « apport d’expertise au profit des parties
prenantes aux politiques publiques (décideurs, administration,
parlementaires, médias, etc.) ».12
Le CF2R a été fondé en 2000. Il est dirigé par Eric Denécé qui
est issu du milieu de la défense et du renseignements,13 puisqu’il a
été officier-analyste à la Direction de l’Evaluation et de la
Documentation Stratégique du Secrétariat Général de la Défense
Nationale (SGDN). Eric Denécé co-dirige l’équipe de recherche
du CF2R, aux côtés de Daniel Martin, Commissaire Divisionnaire
Honoraire de la Police Nationale qui avait créé et dirigé le
Département des Systèmes d’Information de la Direction de la
Surveillance du Territoire (DST).
Le CF2R est organisé en plusieurs comités dont un comité
stratégique14 formé, entre autres, de plusieurs anciens hauts gradés
de l’armée française et anciens cadres de services de
renseignements :15
Claude Revel : Ancienne Déléguée interministérielle à l’Intelligence
économique (D2IE).

Yves Bonnet : Ancien Directeur de la Surveillance du territoire (DST).

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Moussa Benmohammed

Préfet Alain Chouet : Ancien Chef du Service de renseignement de


sécurité (SRS) de la Direction générale de la sécurité extérieure
(DGSE).

Contre-Amiral (2S) Jacques de Seynes : Ancien Directeur du


renseignement et des affaires internationales à l’état-major de la
Marine (EMM/OPS/REN).

Général de brigade aérienne Pascal Legai : Ancien commandant du Centre


de Formation et d’Interprétation Interarmées de l’Imagerie (CF3I) de
la DRM (2004-2006), ex-directeur du Centre Satellitaire de l’Union
européenne (Torrejon, Espagne), Senior Advisor du directeur de
l’Agence Spatiale Européenne (ASE).

Pierre Lellouche : Ancien ministre (Affaires européennes, Commerce


extérieur), ancien député, conseiller de Paris.

Général de corps aérien (2S) Michel Masson : Ancien Directeur du


renseignement militaire (DRM).

Général d’armée aérienne (CR) François Mermet : Ancien Directeur de la


Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Président de
l’Amicale des anciens des services spéciaux de la Défense nationale
(AASSDN).

Jacques Myard : Ancien député membre de la Délégation parlementaire


au renseignement (DPR) et de la Commission de vérification des
fonds spéciaux (CVFS).

En outre, le CF2R s’offre les conseils techniques d’agents


expérimentés du renseignement, comme le Belge Patrick Leroy,
Commissaire divisionnaire honoraire du Service général du
renseignement et de la sécurité (SGRS), le colonel israélien Jacques
Neriah, ancien chef analyste des services de renseignement
militaires (AMAN) et le colonel russe Igor Nicolaevich Prelin,
vétéran du renseignement soviétique ayant servi toute sa carrière
(1962-1991) au KGB.
Le CF2R produit son activité d’analyse sous plusieurs formes,
dont des notes d’actualité, des notes d’alerte sur l’actualité
internationale, des textes rédigés par des experts internationaux
français et étrangers sur les questions de renseignement et de
sécurité internationale, des rapports de recherches approfondies

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Maillage idéologique et politique

sur ces sujets, des bulletins de documentation ciblés et fouillés sur


des conflits, des théâtres d’opération, des services de
renseignement ou de sécurité, des groupes terroristes ou criminels,
des organisations subversives ou des opérations de renseignement
et d’influence. Il produit également des notes de réflexions sur les
pratiques du renseignement ou leur utilisation politique, sur les
politiques de sécurité des Etats, des notes psyops d’analyse
opérationnelle de la propagande et de la contre-propagande, des
notes de renseignement, technologie et armement, ainsi que des
fiches cyber-rens sur l’exploitation de la toile et des réseaux
sociaux dans le renseignement.
Le CF2R offre aussi des cursus de formation dans le
renseignement tout comme il joue le rôle de portail d’orientation
pour les carrières dans le renseignement, au service de l’Etat
français ou des collectivités et des entreprises françaises. Le CF2R
traite également le conseil, l'étude et la formation en risques
spéciaux (géopolitiques, terroristes, anticoncurrentiels, criminels,
sectaires et contestataires).
Le directeur du CF2R, Eric Denécé, propage une propagande
sur les soulèvements arabes identique à celle que défend Bensâada.
En 2011, il affirmait que « les révolutions arabes ne sont que des
coups d'Etat militaires masqués ».16 Ne croyant pas « à la
spontanéité de ces “révolutions”, qui étaient en préparation depuis
plusieurs années » via des organismes américains tels « Freedom
House, l'International Republican Institute ou Canvas », il s'agit,
selon lui, « d'un renouvellement des classes dirigeantes qui ont,
avec l'accord de Washington, organisé des coups d'Etat “en
douceur”, en profitant d'une vague de contestation populaire
qu'elles ont intelligemment exploitée. »17 En 2012, il les qualifiera
de « véritables révolutions de dupes » résultant d’un deal entre
Washington et les islamistes, où les premiers auraient « le pétrole »
et les seconds « la charia ».18 En 2015, il dira que ces « révolutions
inutiles », à « la spontanéité […] largement factice », « s’inscrivaient
dans une stratégie conçue outre-Atlantique afin d’installer les
Frères musulmans au pouvoir partout au Moyen-Orient ».19 Il
continue de disséminer ce mythe islamo-atlantiste à ce jour.20

151
Moussa Benmohammed

Eric Denécé est démocrate en France mais éradicateur chez les


musulmans. Dans un récent entretien donné à Algérie Patriotique, le
site du fils du général Khaled Nezzar, exilé en Espagne depuis sa
déchéance, Eric Denécé se satisfait des putschs et de la répression
de certains régimes arabes pour empêcher les « islamistes » de
gouverner :
Il est bien sûr évident que les islamistes les plus radicaux [...] ont
toujours cherché à prendre le pouvoir […]. Heureusement, l’Algérie
n’est pas tombée, la Syrie non plus et l’Égypte, grâce au maréchal
Sissi, a pu les chasser du pouvoir. Mais ils sont au pouvoir en Turquie
et dans les monarchies du Golfe [...].21

Le CF2R et le CIGPA (voir section suivante) collaborent au


service des intérêts de la France. Cela se concrétise, par exemple,
par le partenariat dans l’organisation de colloques (voir liste des
colloques CIGPA ci-bas), ou par des activités propres au CF2R
avec la participation de membres du CIGPA (Mezri Haddad,
Richard Labévière, Majed Nehmé), comme, entre autres, les
colloques du 18 janvier 201722 et du 5 novembre 201723 où Richard
Labévière et Majed Nehmé sont intervenus à des sessions aux
côtés de plusieurs personnalités publiques du renseignement
français comme Alain Chouet (ancien chef du Service de
renseignement de sécurité SRS de la DGSE24) ou Bernard
Squarcini (ancien directeur de la DCRI25). Ahmed Bensâada, lui, a
un pied dans chacune des deux institutions.
La Tribune Libre No. 89 du CF2R publiée en mai 2020 est
consacrée à une contribution d’Ahmed Bensâada « L’ONG : du
néolibéralisme au “regime change” ». Ahmed Bensâada a contribué à
l’ouvrage du CF2R « La face cachée des révolutions arabes ».26 Il s’agit
d’un livre collectif qui compile les contributions de plusieurs
auteurs et analystes. Parmi lesquels se trouvent Mezri Haddad,
Majed Nehmé, Richard Labévière, Alain Chouet et Yves Bonnet
(ancien directeur de la DST).
Bensâada n’est pas le seul Algérien à servir le CF2R. Le
17 septembre 2011, Saida Benhabylès, alors présidente du
MFASFR,i organise une rencontre autour de la « menace terroriste

i Mouvement algérien de solidarité avec la famille rurale.

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Maillage idéologique et politique

à la lumière de la situation en Libye ».27 La rencontre est animée


par Eric Denécé, Yves Bonnet, et Majed Nehmé. En janvier 2013,
Benhabylès organise à Alger, au nom du MFASFR et du CIRET-
AVT, une journée d’étude sur le thème « Les révolutions arabes : mythe
ou réalité ? ».28 Cette journée coïncide avec la publication de « La face
cachée des révolutions arabes » susmentionnée. La même troupe – Eric
Denécé, Yves Bonnet, Richard Labévière, Majed Nehmé – se
déplace pour battre la même propagande. Zoubir Arous y participe
aussi.
Le CF2R prend soin de ses collaborateurs algériens. Dans une
Tribune Libre du CF2R (No. 88, édition de mai 2020), intitulée
« Soutien à Saïda Benhabylès »i, Eric Denécé défend cette dernière
contre les critiques qui lui ont été faites pour sa proximité avec le
CF2R, notamment sa participation à des missions d’observation en
Libye en avril 2011, et en Syrie en décembre 2011, organisées par
ce centre. Les missions concluent que « la “révolution” libyenne
n’est ni démocratique, ni spontanée »,29 et que ce qui se passait en
Syrie relevait d’une « libanisation fabriquée »,30 des thèses
consonantes avec celles de Bensâada. Dans sa lettre de soutien,
Denécé suggère que Benhabylès avait participé en sa qualité « de
représentante de la société civile […] lauréate du prix 2001 des
Nations unies ». Seulement, les préambules des rapports de
missions d’observation suggèrent que la collaboratrice algérienne
avait surtout participé en ses qualités « d’ancienne ministre de la
Solidarité, ancien Sénateur, membre fondateur du CIRET-AVT ».31
Outre les tribunes libres d'Eric Denécé et Ahmed Bensâada,
mentionnées plus haut, le CF2R a publié plusieurs rapports de
recherche, bulletins de documentation et notes d’actualité,
concernant l’Algérie, principalement sur l’armée et les services de
renseignement algériens et sur le terrorisme, par les plumes du

i Saïda Benhabylès est ancienne ministre algérienne de la Solidarité, ancienne sénatrice

et actuelle présidente du Croissant rouge algérien. Dans les années 1990, elle s’est fait
connaitre par sa position putschiste et éradicatrice. En 2009, elle cofonda le Centre
international de recherches et d'études sur le terrorisme et l'aide aux victimes du
terrorisme (CIRET-AVT) dont le siège social est au 11, rue Juliette Lamber, 75017 Paris,
ciret-avt.org, et dont Yves Bonnet, ancien directeur de la Surveillance du territoire (DST)
et soutien précieux des putschistes algérien, est le président.

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Moussa Benmohammed

journaliste algérien Mounir Abi, de la sociologue algérienne


Laurence-Aïda Ammour, du chercheur tunisien Mehdi Taje et du
chercheur marocain Abderrahmane Mekkaoui et de l’ancien
officier supérieur des services de renseignement extérieurs français,
Alain Rodier, ces trois derniers étant, comme Ahmed Bensâada,
membres de l'équipe de recherche du CF2R.

https://cf2r.org/equipe/bensaada-ahmed/#

https://cigpa.org/lequipe/comite-de-redaction/

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Maillage idéologique et politique

5. Centre International de Géopolitique et de


Prospective Analytique
Nous retrouvons le trio Ahmed Bensâada, Majed Nehmé et
Richard Labévière au sein du comité de rédaction du Centre
International de Géopolitique et de Prospective Analytique
(CIGPA).32 Bensâada est aussi le représentant de CIGPA à
Montréal. Voici comment son président le présente :
Le CIGPA est interactif avec ses représentants dans quinze capitales.
Nous avons appelé cela des bureaux de liaison. Je citerai un célèbre
Ahmed Bensâada à Montréal, Andrea Corvo à Rome.33

Le CIGPA a été fondé34 le 2 octobre 2016 par Mezri Haddad35


qui en est le président-directeur.36 Cette organisation est logée à la
prestigieuse avenue Foch dans le 16ème arrondissement de la ville
de Paris. Le centre se présente, sur son site, comme « un think-
tank inclusif, comparatif et interdisciplinaire » qui a des « objectifs
[…] scientifiques, opérationnels, stratégiques et politiques ». En
plus de viser « l’intelligibilité des enjeux géopolitiques majeurs » et
« une meilleure intelligence des relations internationales », le
CIGPA se donne pour objectif de cibler « comme principal
ennemi les terroristes islamistes et les Etats qui les soutiennent »,
considérant que « la guerre contre ce fléau n’est pas seulement
sécuritaire ou militaire mais qu’elle est aussi une guerre d’idées et
de valeurs ».
Pour accomplir ses objectifs, ce think-tank peut compter sur le
financement de « ses adhérents et ses généreux donateurs ». Rien
n’étant transparent sur ces derniers, on reste intrigué par le
financement de cette organisation qui peut s’offrir les services de
plusieurs personnalités distinguées au sein de son comité
d’administration, sa commission politique et son comité de
parrainage. On sait cependant que le CIGPA est en partie
sponsorisé par Mohammed Dahlan, l’agent du gouvernement
émirati, à travers son cabinet d’études Abhath.37 Le comité de
rédaction, dont Ahmed Bensâada, Majed Nehmé et Richard
Labévière font partie, paraît bien modeste devant le « calibre » des
membres des autres comités.

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Moussa Benmohammed

Une enquête approfondie sur ce centre exigerait une analyse


systématique de toutes ses activités et ses publications. Ceci n’étant
pas possible, vu nos délais de publication, nous nous contentons
de présenter brièvement le fondateur du CIGPA, son équipe et
une sélection de positions et d’activités qui nous semblent
pertinentes à la compréhension de la matrice idéologique et
politique sous-jacente au discours de Bensâada.

5.1. Le fondateur du CIGPA

D’origine tunisienne, le fondateur-président-directeur du CIGPA,


Mezri Haddad, est diplômé en philosophie ; il s’intéresse aux
religions, notamment l’islam et le christianisme. En 1989, il a
soutenu une maîtrise de philosophie morale et politique à
l’Université Paris IV (Sorbonne) sur « L'idéologie communiste et
l'islamisme : analyse et perspectives », dans laquelle il aurait démontré
« les points de convergences entre les totalitarismes rouge
(communisme) et vert (théocratie islamiste) ».38 En 1997, il soutient
une thèse de doctorat, toujours à la Sorbonne, sur « La
problématique des rapports entre l'autorité spirituelle et le pouvoir temporel
dans l'islam et dans le christianisme ». A noter qu’« en France, c'est le
seul intellectuel musulman à avoir été qualifié en 2007 par le CNU
[Conseil national des universités] maître de conférences en
théologie catholique. »39
Mezri Haddad entame une carrière journalistique dans les 1980
dans la presse officielle du Parti socialiste destourien, et la radio-
télévision tunisienne, et au fil des ans il devient chroniqueur dans
plusieurs médias francophones. Politiquement, Mezri Haddad
déclare lors d’un colloque organisé par le CIGPA, le 29 février
2020 : « Je suis un indécrottable réactionnaire, c'est-à-dire
bourguibiste. »40 Ainsi, peu après la prise du pouvoir par Zine el-
Abidine Ben Ali en 1987, il prend ses distances avec ce dernier et
devient critique contre l’unanimisme, le culte de la personnalité et
la dérive autoritaire de son régime.41 Mais après une décennie d’exil
en France, Mezri Haddad est retourné par le régime de Ben Ali. Il
rentre en Tunisie en 2000 où il rencontre le président tunisien, et
devient fervent défenseur de son régime, « justifiant cet appui par
son choix du réformisme libéral et du gradualisme démocratique et

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Maillage idéologique et politique

son rejet des alternatives révolutionnaires qui ne profiteraient,


selon lui, qu'aux éléments les plus réactionnaires, notamment aux
intégristes. »42 Dans un article publié dans Le Monde du 6 février
2001, intitulé « La Tunisie ne vit pas un cauchemar », Mezri Haddad
affirme que :
Parce qu’il est mature, le peuple tunisien, gouvernants comme
gouvernés, est bel et bien mûr pour la démocratie. Mais il n’est pas
suffisamment immunisé contre ce virus mortel : le fanatisme
religieux. […] J’ai toutes les raisons de croire qu’en 2004, et peut-être
même avant, la démocratie comme forme de gouvernement sera en
Tunisie une réalité concrète. Et si je me trompe, je préfère encore me
tromper avec Ben Ali (et Bouteflika) qu’avoir raison avec
Ghannouchi (et son alter ego Abbassi Madani).43

« Chargé de mission académique à la présidence de la


République »,44 Mezri Haddad aurait « bénéficié des largesses de
Ben Ali. En effet, le consulat lui versait tous les mois 3600 euros
cash, il était payé en espèces. »45 En 2009, il est nommé par Ben Ali
ambassadeur de Tunisie à l’UNESCO. Le 14 janvier 2011, il
démissionne46 de son poste d'ambassadeur, « quelques heures
avant l'annonce du départ du président Ben Ali ».47
En effet, jusqu’à la veille de sa démission, Mezri Haddad
défendait le régime de Ben Ali, et traitait les Tunisiens qui se
soulevaient après l’auto-immolation de Mohamed Bouazizi de
« hordes ». Dans l’émission48 de Jean-Jacques Bourdin, « Bourdin
Direct », diffusée le 13 janvier 2011 sur BFM TV, il déclara :
Le peuple va travailler. Le peuple s’inquiète de cette déferlante de
hordes. Cette horde fanatisée est en train de brûler, de casser, de s’en
prendre aux biens publics et privés. Et bientôt, si on les laisse finir et
si vous continuez à faire l’apologie de cet anarchisme en marche en
Tunisie, on verra ces hordes attaquer les gens chez eux, les violer, les
voler, et les massacrer.49

Mezri Haddad a toujours assumé son ralliement à Ben Ali. Le


17 novembre 2012, dans une réponse à Naoufel Brahimi El-Mili
publiée sur le site d’Ahmed Bensâada, il déclare :
Je n’ai pas à regretter, après douze longues années d’exil, mon
ralliement à ce régime [de Ben Ali] par crainte et abomination de
l’islamisme. Je ne regrette pas un seul instant d’avoir été au service du

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Moussa Benmohammed

dernier Etat despotique et néanmoins souverain et patriotique. Je ne


suis pas un ancien apparatchik du pouvoir, mais un citoyen de
l’ancien peuple. Les Américains et leurs vils serviteurs qataris ont
libéré les Tunisiens de leur indépendance, tant mieux pour mes
concitoyens et tant pis pour mes illustres ancêtres : Hannibal et
l’inégalable Habib Bourguiba.50

Dans la même réponse, il se présente comme « l’un des rares


intellectuels arabes à défendre le pays du un million de martyrs,
lorsque certains glosaient sur le “Qui tue qui en Algérie” ».51 Le
20 septembre 2020, il écrit sur sa page Facebook :
Une année s'est écoulée sur le décès du président Ben Ali et c'est
pour moi l'occasion de rappeler quelques vérités historiques sur la
« révolution » de la racaille, des mercenaires, des bourgeois et des
scélérats, et de réitérer ma profonde estime pour cet homme d'Etat
qui s'est consacré au service exclusif de son pays en préservant
jalousement sa Souveraineté. Aucun regret d'avoir été une décennie
(1989-1999) l'un de ses plus redoutables opposants et exilés politique
lorsque nous étions une poignée à nous opposer à la dérive
autoritaire et au culte de la personnalité. Aucun regret ni le moindre
remord d'avoir été par la suite (2000-2011) l'un de ses plus ardents
défenseurs, puis Ambassadeur auprès de l'UNESCO. […] Dès que
l'opposition islamo-gauchiste est devenue la marionnette et l'esclave
de certaines puissances étrangères, j'étais très fier de contribuer à sa
destruction et de rejoindre le clan des patriotes et des réformateurs
autour du Président Ben Ali.52

Il ajoute amèrement, avouant l’échec de l’entreprise qu’il a


entamée avec Ben Ali pour détruire l’opposition « islamo-
gauchiste » :
En janvier 2011, c'est finalement les mercenaires du Qatar et des
Etats-Unis qui ont triomphé. Et ce coup d'Etat islamo-atlantiste,
allumé par les fameux jeunes cybers-collabos, n'a réussi que grâce à
deux traitres suprêmes, deux généraux félons : Rachid Ammar et Ali
Seriati. Ultima Verba : Carthage a été détruite, l'œuvre de Bourguiba
perpétuée par Ben Ali a été anéantie et mes compatriotes n'ont pas
fini de payer le prix de leur ingratitude, de leur immaturité, de leur
fourberie et de leur traîtrise, tant à l'égard de leur Patrie que de leurs
« frères » Libyens, Syriens et Yéménites.53

En septembre 2011, Mezri Haddad publie « La face cachée de la


révolution tunisienne. Islamisme et Occident, une alliance à haut risque »,54 un

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Maillage idéologique et politique

opuscule dans lequel il étale sa thèse complotiste, affirmant que la


révolution tunisienne, comme les autres soulèvements du
« printemps arabe », serait le fait de « l’islamo-atlantisme » incarné
par les Etats-Unis, la Turquie, le Qatar et les Frères musulmans.
Dans un article intitulé « Printemps arabe ou hiver islamiste ? »,
publié dans le Quotidien d’Oran le 5 octobre 2011, Mezri Haddad
associe l’avènement du « printemps arabe » au « projet de Grand
Moyen-Orient (GMO) cher aux néo-conservateurs, repris, revu et
corrigé par “l'ami” des musulmans, Barak-Hussein Obama »55 ; il
considère Barak Obama comme un « faucon aux ailes de
colombes » et Hillary Clinton comme « l'hirondelle du printemps
arabe ».56 Evoquant le discours de Barak Obama au Caire, le 4 juin
2009, il affirme qu’il « ressemble étrangement aux homélies
médiatiques de Tariq Ramadan ».57
Mezri Haddad s’en prend aussi à la Turquie de Recep Tayyip
Erdogan qu’il considère comme « la nouvelle figure
paradigmatique du panislamisme pragmatique, baptisé par des
prêtres américains dans une mosquée turque ! »58 Il prône une
politique occidentale, et française, belliciste à l’égard de la Turquie.
Lors de la clôture du colloque « La dérive panislamiste et néo-ottomane
d’Erdogan, Comment l’allié occidental est-il devenu une menace globale ? »
organisé par le CIGPA le 29 février 2020 à la Maison de la Chimie
Paris, il avertit :
Ce qui se passe est très grave, et si on continue à tenir un langage
diplomatique – quand je dis on, c’est-à-dire les puissances
occidentales – avec cette offensive inédite néo-ottomane de
M. Erdogan, je crois que ça risque en effet de toucher beaucoup
d’autres pays qu’on croit à l’abri ; nul n’est à l’abri, et je ne parle pas
uniquement et exclusivement du régime turc, je parle de ce régime en
tant que composante motrice de l’internationale islamiste. Il va falloir
lui tenir un autre langage, c’est-à-dire le langage qu’il comprend. Il n’y
a pas de politique possible, là je paraphrase et je répète le logo, la
maxime de CIGPA : Il n’y a pas de politique possible sans la
désignation de l’ami et de l’ennemi. Il y a un ami et il y a un ennemi.
Lorsqu’on ne désigne plus l’ami et l’ennemi, on n’est plus dans
l’ordre du politique, on est dans l’affectif, on est dans le sentimental,
on est dans l’hypocrisie, on est dans le mercantilisme, on n’est plus
dans le politique.59

159
Moussa Benmohammed

Ce n’est pas étonnant de retrouver Mezri Haddad codirecteur


du Daedalos Institute of Geopolitics, fondé en mai 2006 par le Conseil
des ministres de Chypre. Lors d'une conférence internationale sur
« The Mediterranean and new Euro-Mediterranean perspectives », organisé
par le Daedalos Institute of Geopolitics à Nicosie le 9 octobre
2008, le ministre chypriote des Affaires étrangères, Markos
Kyprianou, déclarait que
Le Daedalos Institute of Geopolitics, établi en 2006, a une mission, entre
autres tâches, de fournir une analyse et des conseils indépendants et
impartiaux sur les questions pertinentes de politique étrangère.60

Mezri Haddad désigne aussi le Qatar, qu’il rebaptise « Qatraël »,


comme l’agent du mal. Il fustige l’« émirat bédouin du Qatar » dans
ses interventions publiques pour lesquelles le CIGPA est
sponsorisé par l’émirat non moins bédouin d’Abu Dhabi.61 Lors de
son intervention à la clôture du colloque « Printemps arabe cinq ans
après : Bilan Sécuritaire, Economique et géopolitique. Comment faire face au
péril global du terrorisme ? », organisé le 7 mai 2016 à la Sorbonne par
le CIGPA en partenariat avec le centre émirati Abhath de
Mohammed Dahlan et la revue Afrique-Asie, le fondateur-
président-directeur du CIGPA déclare :
Le Qatar a beaucoup fait de mal. Il a fait du mal à l'Afrique, il a fait
du mal au Maghreb. Il a fait du mal à l'Europe. Je ne dirai pas plus
pour le Qatar. Je crois, hélas, ma biographie qui était excellente
autrefois, avant le printemps arabe, elle était vraiment magnifique.
Aujourd’hui ma biographie, quand vous tapez mon nom, il est tout le
temps associé au Qatar et aux Frères musulmans, que j'appelle par
ailleurs les islamo-fascistes.62

Fatuité mise de côté, c’est l’interruption de sa carrière de


servilité bien monnayée à Ben Ali qu’il déplore. Cet expert en
reniements semble avoir oublié les temps où il intervenait63 dans
les programmes de la chaine qatarie Aljazeera et où il fréquentait
des leaders des Frères musulmans comme Rached Ghannouchi.64
Les Frères Musulmans constituent aujourd’hui une autre cible
privilégiée de ses attaques. Dans l'édition française du Huffington
Post du 20 mars 2015, Mezri Haddad déclarait :
C'est le « printemps arabe » qui a ouvert la boîte de Pandore d'où
sont sortis les barbares de l'EI, du Front Al-Nosra, d'Ansar Al-charia,

Page 160
Maillage idéologique et politique

de Boko Haram, d'AQMI, du Mujao, d'Ansar Eddine... appellations


multiples qui se ressourcent toutes dans l'islamisme originel et
matriciel des Frères musulmans.65

Le 29 février 2020 il déclarait lors d’un colloque du CIGPA que


« c'est absurde que la Tunisie soit aujourd'hui dans l'escarcelle des
islamo-fascistes, c'est à dire les Frères musulmans. »66 Et d’ajouter,
en exposant son désarroi, une décennie après l’avènement de la
« révolution du jasmin », et son désir de vengeance par la terreur
contre ceux qu’il désigne par « islamo-fascistes » :
Je suis encore en deuil pour la Tunisie. Je n'ai pas encore fait mon
deuil depuis 2011, et c'est ce qui me fait tenir. Je pense que je vivrai
assez pour assister au nettoyage – je ne dirai pas au Kärcher comme
un illustre président, à juste titre par d'ailleurs – mais avec d'autres
moyens plus terribles que le Kärcher.67

Les positions idéologiques de Mezri Haddad le rapprochent de


l’extrême droite française et des milieux islamophobes de
l’Hexagone. Il est contributeur68 au site français Atlantico,
« généralement classé très à droite ».69 Le 19 janvier 2015, il a
accordé un entretien à ce journal : « Mahomet aurait-il dit “Tout est
pardonné” ? Celui de la Mecque peut-être, mais celui de Médine, moins
sûr… ».70 Le 15 novembre 2016, Mezri Haddad assiste à la
quatrième convention présidentielle de Marine Le Pen consacrée à
la question des banlieues.71 Marine Le Pen a commencé son speech
par le remercier pour sa présence. Lors de cet évènement, l’invité
s’est permis de gratifier l’hôte d’un baisemain.72 La visite et le geste
ont suscité de vives critiques auxquelles l’intéressé avait décidé
d’apporter une réponse revancharde contre les « islamistes » et
autres « hordes facebookardes » « partagistes ».73 Les musulmans de
France, victimes de l’islamophobie de l’extrême-droite française,
ont dû apprécier la « finesse » de cette déclaration de Mezri
Haddad :
A propos des banlieues françaises, je ne me suis jamais senti aussi
proche de Nicolas Sarkozy que le jour où il a eu l’audace d’évoquer la
« racaille » qu’il promettait de « nettoyer au karcher ». Il n’a pas tenu
sa promesse, à l’inverse de Vladimir Poutine qui avait promis de
poursuivre la racaille islamo-terroriste « jusqu’aux chiottes ».74

161
Moussa Benmohammed

L’accolade que donne cet harangueur stipendié de la haine à


Ahmed Bensâada, en lui décernant le titre de premier auteur arabe
à déconstruire le mythe du « printemps arabe », sonne comme un
baiser de judas :
Le tout premier auteur arabe, ou auteur tout court, ce n’est pas moi
mais M. Ahmed Bensâada, dans son livre « Arabesque américaine. Le rôle
des Etats-Unis dans les révoltes de la rue arabe, éditions Michel Brûlé, avril
2011 ». Cet éminent physicien algérien, installé au Canada, a
effectivement le grand mérite d’avoir analysé le « printemps arabe »
sans le romantisme révolutionnaire qui l’entourait. Même si ce livre
n’était pas à proprement parler politique ou géopolitique – l’auteur,
en homme de science, s’est contenté de mener une enquête
rationnelle sur les relations entre les cyber-activistes arabes et
certaines ONG américaines – il a été pour moi d’une grande et
précieuse utilité.75

5.2. L’équipe du CIGPA

Le CIGPA est administré par le trio Mezri Haddad (fondateur-


président-directeur), Andrea Corvo, ex représentant d’Italie auprès
de l’Union européenne (directeur-adjoint) et Michel Raimbaud,
ancien Ambassadeur de France (directeur-adjoint). Le centre est
doté d’un Comité de parrainagei comprenant des noms
prestigieux : anciens présidents, premiers ministres et ministres,
dont l’ancien ministre français de la Défense, Charles Millon, d’une
Commission politique,ii comprenant notamment Ridha Grira,
ancien ministre de Ben Ali de la Défense nationale (14 janvier 2010

i Mario Suarez, Ancien Président du Portugal ; Abdou Diouf, Ancien Président du

Sénégal ; Ely Ould Mohamed Vall, Ancien Président de Mauritanie ; Sid-Ahmed Ghozali,
Ancien Premier-ministre d’Algérie ; Hamed Karoui, Ancien Premier-ministre de Tunisie ;
Charles Millon, Ancien ministre de la Défense, France ; François Terré, Juriste et
Académicien ; Tahar Belkhodja, Ancien ministre de l’Intérieur, Tunisie ; Vittorio Craxi,
Ancien secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Italie.
ii Ridha Grira, Ancien ministre tunisien de la Défense nationale (14 janvier 2010 –

27 janvier 2011) ; Sylvain Ndoutingaï, Ancien Ministre centrafricain ; Vittorio Craxi,


Ancien Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères italiennes ; Mezri Haddad, Philosophe et
ancien Ambassadeur ; Christian Malard, Journaliste responsable du service étranger de
France 3 ; Evagoras Mavrommatis, Président de la communauté chypriote d’Europe ;
Laoualy Ada, Conseiller Principal du Premier Ministre du Niger ; Ali Abdel Rahmane
Haggar, Ancien Secrétaire général de la Présidence de la République du Tchad.

Page 162
Maillage idéologique et politique

– 27 janvier 2011) et Evagoras Mavrommatis, président de la


communauté chypriote d’Europe, ainsi que d’une Commission
scientifique comprenant des universitaires, un ancien Ambassadeur
de France, Michel Raimbaud, et un ancien ministre des Affaires
étrangères chypriotes, Michális Attalídis, et d’un Comité de
rédaction, dont font partie Ahmed Bensâada, Richard Labévière et
Majed Nehmé.

5.3. Activités du CIGPA

Les activités du CIGPA se limitent à l’organisation de colloques.


En termes de production de recherche le seul rapport publié le
11 mai 2016 par le centre (17 pages dont plus que la moitié est une
sélection d’articles publiés sur le site Atlantico) s’intitule « Ce que
CIGPA pense des élections américaines », et reprend les thèses du
fondateur-président-directeur Mezri Haddad. Ce rapport adopte
une position sans équivoque sur les révolutions arabes : « Nous
savons tous aujourd’hui que le fameux “printemps arabe” n’était
qu’un “hiver islamo-atlantiste”, pour reprendre cette expression à
notre Président Mezri Haddad ».76 Dans ce rapport Barak Obama
est accusé de « messianisme démocratique » et d’avoir scellé un
pacte avec les Frères musulmans, et dans la conclusion du rapport,
on peut lire : « N’en déplaise à ses détracteurs, le candidat Donald
Trump pourrait ouvrir des perspectives prometteuses et réussir là
où Barack Hussein Obama a échoué. C’est la raison pour laquelle
CIGPA souhaite sa victoire sur la candidate Démocrate ».77
A part ce rapport interne, toutes les publications mises en ligne
sur le site du CIGPA, sont des travaux de tiers,78 principalement
des hommes politiques français, sur des thèmes liés au paysage
politique et sécuritaire français, notamment l’Islam, la radicalisation
et le terrorisme en France. Nous y trouvons, à titre d’exemple, le
« Plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme » présenté par le
premier ministre Manuel Valls devant l’Assemblée nationale
française le 9 mai 2016.79 Sont également référencés le rapport de
Malek Boutih « Radicalisation et djihadisme dans les quartiers
populaires »,80 le rapport de la Commission parlementaire présidée
par Georges Fenech « Enquête relative à la lutte contre le terrorisme »81
ou encore le rapport de l’Institut Montaigne sur la construction

163
Moussa Benmohammed

d’un islam français.82 Cependant, l’un des rapports publiés par le


CIGPA est le Rapport Jean Glavany de la Commission des
Affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur les révolutions
arabes datant de 2013.83 Le rapport dépeint les révolutions en
Tunisie, en Egypte et en Libye d’une façon pragmatique tirant les
leçons de la précipitation de la France dans le traitement de la
révolution tunisienne avant de suggérer des actions pour la France
et pour l’Europe :

Il ne faut toutefois pas se leurrer : il existe aussi de puissants courants


qui sont manifestement hostiles, voire contraires, aux valeurs
universelles dont nous souhaitons légitimement le succès. [...]. Nous
n’avons donc pas intérêt à nous limiter au registre du commentaire
des transformations en cours dans le monde arabe. Il faut plutôt
s’interroger sans cesse sur ce que la France peut faire de plus pour
accompagner ces évolutions.84

Le tableau suivant présente quelques colloques organisés par le


CIGPA depuis sa création en 2016.
Date / partenaires / titre Intervenants notables

• 7 mai 2016 • Si-Ahmed Ghozali


• Al-Thuraya Consultancy and • Majed Nehmé
Researches – Abhath (Abu Dhabi) • Richard Labevière
• Magazine Afrique Asie • Mohammed Dahlan
• « Printemps arabe cinq ans après : • Bernard Godard (France), ancien haut
Bilan Sécuritaire, Economique et cadre des Renseignements Généraux,
géopolitique. Comment faire face au spécialiste des réseaux islamistes et membre
péril global du terrorisme ? » de CIGPA.

• 15 octobre 2016 • François Compagnola (France), ancien


• Institut Prospective et Sécurité en chargé de mission au ministère de la Défense,
Europe (IPSE) juriste et chercheur associé à l’IPSE
• « Turquie-occident-monde-arabe : • Charles Millon (France), ancien Ministre de
les conséquences de la politique la Défense.
turque sur les mutations géopolitiques • Bernard Godard (France), ancien haut
et les grands défis stratégiques cadre des Renseignements Généraux,
contemporains. » spécialiste des réseaux islamistes et membre
de CIGPA.
• Michel Raimbaud (France), ambassadeur de
France, Professeur au Centre d’Etudes
Diplomatiques et Stratégiques (CEDS) et
membre de CIGPA.
• Majed Nehmé (modérateur)

Page 164
Maillage idéologique et politique

• 25 mars 2017 • Si-Ahmed Ghozali


• Institut de la démocratie et de la • Claude Guéant (France), ancien Secrétaire
coopération (IDC) général de la Présidence de la République et
• Arabies.com ancien Ministre de l’Intérieur.
• Insead.edu • Rosine Ghawji (USA), fondatrice du comité
• « L’éventualité d’un rapprochement « Donald Trump - France » et proche du
russo-américain et ses conséquences Président Donald Trump.
politiques et géopolitiques sur
l’Europe et le Monde Arabe. »

• 14 avril 2017 • Malika Sorel représentante de François


• Confédération des Républicains Fillon, Les Républicains.
Musulmans de France (CMRF) • Christine Bierre représentante de de M.
• « L’avenir de l’islam en France, Jacques Cheminade.
question posée aux 11 candidats à • Florian Philippot représentant de Marine Le
l’élection présidentielle » Pen, Front National.
• Pascal Cherki porte-parole de Benoît
Hamon.
Djordje KUzmanovic porte-parole de Jean-
Luc Mélenchon.
• Jean Pierre Mignard porte-parole
d'Emmanuel Macron.

• 26 juin 2017 • Roland Dumas (France), ancien Ministre


• Centre Français de Recherche pour des Affaires étrangères.
le Renseignement (CF2R) • Yves Bonnet (France), ancien Préfet et
• Al-Thuraya Consultancy and ancien directeur de la Direction de la
Researches – Abhath (Abu Dhabi) surveillance du territoire (DST).
• « Les investissements du Qatar en • Eric Denécé (France), spécialisé dans le
France, une équation à plusieurs renseignement, le terrorisme et l’intelligence
inconnues » économique, il est fondateur et directeur du
CF2R.
• Naoufel Brahimi El-Mili, politologue
franco-algérien, docteur en sciences
politiques, enseignant à Sciences Po Paris.

• 29 mars 2018 • Amr Moussa (Égypte), ancien Secrétaire


• « Les grands défis stratégiques de général de la Ligue des États arabes et ancien
l’alliance franco-égyptienne : Péril Ministre égyptien des Affaires étrangères.
terroriste, exigence démocratique, • Henri Guaino (France), ancien Conseiller
partenariat économique » principal du Président Nicolas Sarkozy
• Hubert Védrine (France), ex-Ministre des
Affaires étrangères

• 22 juin 2019 • Jean-Frédéric Poisson, président du Parti


• « Retour des djihadistes en Europe, chrétien-démocrate.
que faire ? » • Henri Guaino, ancien Conseiller principal
du Président Nicolas Sarkozy.
• Claude Goasguen, ancien Ministre au sein
du gouvernement Juppé.

165
Moussa Benmohammed

• 29 février 2020 • Jean-Bernard Pinatel (France), général de


• « La dérive panislamiste et néo- Brigade (2S) et ancien commandant du
ottomane d’Erdogan : Comment 42ème Régiment d’infanterie SIRPA.
l’allié occidental est-il devenu une • Alain Rodier (France), ancien officier
menace globale ? » supérieur des Renseignements français et
Directeur de recherche au sein du Centre
Français de Recherche sur le Renseignement
(CF2R).
• Pierre Lellouche (France), ancien Président
de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et
ancien Secrétaire d’État chargé des Affaires
européennes sous la présidence de Nicolas
Sarkozy.

En examinant de près les thématiques abordées dans ces


colloques, on constate qu’elles reflètent les positions du fondateur-
président-directeur du CIGPA, Mezri Haddad, c’est-à-dire une
aversion envers le « printemps arabe » et une hostilité à l’encontre
de la Turquie et du Qatar. Certains colloques sont organisés en
partenariat avec des entités proches du CIGPA comme le
Magazine Afrique Asie, dirigé par Majed Nehmé, le Centre Français
de Recherche pour le Renseignement (CF2R), dirigé par Eric
Denécé, la Confédération des Républicains Musulmans de France
(CMRF), présidée par Mezri Haddad, ou Al-Thuraya Consultancy and
Researches (Abhath), contrôlé par Mohammed Dahlan.
Il est intéressant de voir comment le CIGPA s’insère dans la
toile d’influence de la politique étrangère émiratie. Dans un article
du journal Le Monde, « De Gaza à Abou Dhabi, l’ascension de l’intrigant
Mohammed Dahlan », daté du 6 octobre 2017, le journaliste
Benjamin Barthe, qui décrit Mohammed Dahlan comme « un
agent d’influence international », estime qu’« une rapide
consultation du site de l’International Company Profile, une agence
d’évaluation du risque crédit, révèle qu’Abhath est une filiale de la
holding émiratie Royal, propriété de la dynastie Al-Nahyan… ». Le
journaliste ajoute :
Dahlan, conscient que la bataille contre l’islam politique se mène
aussi sur le plan des idées, a beaucoup investi dans l’industrie
européenne du séminaire et du think-tank. A travers son cabinet
d’études Abhath – dont le nom complet est Al-Thuraya for Consultancy
and Research –, qui est, comme on l’a vu, un faux nez du pouvoir

Page 166
Maillage idéologique et politique

émirati, il sponsorise diverses plates-formes de dialogue. Parmi elles,


le site Internet ForMENA, basé à Bruxelles, le Mediterranean Gulf
Forum, implanté à Rome, ou le Centre international de géopolitique et
de prospective analytique, à Paris, dirigé par le Tunisien Mezri
Haddad, ancien serviteur zélé du régime Ben Ali. Des structures qui
accueillent à bras ouverts les contempteurs des « printemps arabes »
et du Qatar, mais formulent peu de critiques à l’encontre des Emirats
arabes unis…85

Les intervenants aux colloques du CIGPA sont principalement


des hommes politiques et des responsables du renseignement
français. La conformité des sujets des colloques aux objectifs
affichés du centre est un point qui est traité en détails dans l’article
suivant dans cet ouvrage « Le CIGPA, un think-tank aligné sur la
politique étrangère française ». Tout porte à croire, en effet, que le
CIGPA soit le lieu de convergence de la haine que porte Mezri
Haddad à l’islamisme, au Qatar et à la Turquie, et des objectifs
stratégiques la France officielle qui s’inquiète du réveil des peuples
maghrébins, arabes et africains et de l’accroissement de puissance
turque, qui mettent en péril le statu quo fondé sur un ordre
mondial largement défini par l’Occident, et attentent, selon Paris, à
l’influence et aux intérêts de la France dans la région.
L’instrumentalisation de Mezri Haddad et de son CIGPA s’inscrit
dans la guerre de propagande pour freiner la contestation et l’essor
des peuples de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, et les
maintenir dans une position de sujétion.

6. Influence et financement émiratis


Explorer les groupes et réseaux d’influence émiratis s’impose de
lui-même vu la proximité affichée et assumée de certains collègues
proches de Bensâada avec eux. Nous avons abordé plus haut
(section 5.3) le partenariat entre le CIGPA et le centre émirati
Abhath de Dahlan. Le lecteur découvrira d’autres organisations
douteuses ayant eu des activités publiques où étaient présents
Richard Labévière, Eric Denécé et d’autres personnes que nous
vous laisserons découvrir.
Il serait malvenu de notre part de ne pas annoncer, avant d’aller
plus loin, que nous n’avons pas découvert de lien direct entre

167
Moussa Benmohammed

Bensâada et ces réseaux d’influence émiratie. Il ne s’agit donc


aucunement, dans cette section, de culpabiliser Bensâada par
association à des organisations ou des personnes suspectes. Notre
intention ici est de jeter la lumière sur un autre espace contre-
révolutionnaire dans lequel évoluent de façon avérée des proches
collaborateurs de Bensâada au sein du CIGPA et du CF2R. Ceci
éclaire un autre pan de son environnement idéologique et
politique.

6.1. Mohammed Dahlan

Qui est cet homme qu’on retrouve partout et que le journaliste


Benjamin Barthe décrit comme « un agent d’influence
international » ?
Mohammed Dahlan a animé un colloque du CIGPA sur les
révolutions arabes. Une photo commémorative le montre avec
Mezri Haddad, décontractés, collés l’un à l’autre affichant grands
sourires. Le CIGPA organise deux évènements en partenariat avec
le centre d’études Abhath86 de Dahlan. L’ombre de Dahlan plane
également sur la fastueuse conférence de Genève organisée par le
« Global Network for Rights and Development » (GNRD). Il est
l’un des hommes d’affaires qui financent cette ONG.87
Nous n’étions pas surpris de voir apparaitre cette personne
dans les coulisses du CIGPA et du GNRD comme sponsor. Il est
notoirement connu pour être un agent actif contre les éveils
populaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient :
La pieuvre des conspirations, le parrain des coups d’Etat, l’agent de
Ben Zayed contre les révolutions des peuples arabes, l’ami de
généraux et la main d’Israël pour manipuler la résistance. Autant de
qualificatifs qui collent à Mohammed Dahlan, l’ancien cadre déchu
du mouvement palestinien Fatah, devenu depuis 2011 un cancer qui
ronge le corps du monde arabe. Les Ben Zayed ne trouveront pas
meilleure personne pour l’exécution de leur agenda régional. Les
précédents de l’homme en matière d’espionnage, de conspiration et
de trahison […] font de lui le meilleur atout entre les mains des
agresseurs contre la sécurité et la stabilité des sociétés de la région.88
(Traduit de l’arabe)

Page 168
Maillage idéologique et politique

Qui est donc cet homme qui concentre en lui tous ces
qualificatifs ignominieux ? Nous remontons aux origines.
Dahlan est originaire du camp de réfugiés de Khan Younès
situé dans le sud de Gaza. Son ascension au sein du mouvement
Fatah commence en 1994 quand il devient le chef des forces
préventives. Il s’agit d’un puissant service de renseignements et de
sécurité – formé de 20'000 hommes – créé conformément aux
accords d’Oslo et financé par les Etats-Unis.89 Il devient l’homme
fort de la bande de Gaza au point où cette dernière se voit
attribuer le nom « Dahlanistan » par ses habitants.90
Sa déchéance se fait à cause d’un différend qui l’oppose à
Mahmoud Abbas président du Fatah. Ce dernier lui reproche
d’avoir bloqué la reconstruction de Gaza. Il sera expulsé par le
Conseil révolutionnaire du Mouvement Fatah à la suite
d’accusations de corruption et de détournement de fonds en juin
2011.91 S’ensuivent alors des campagnes de dénigrements de part et
d’autre qui révèlent la potentielle implication de Dahlan dans
l’assassinat de l’ancien président palestinien Yasser Arafat92 ainsi
que de plusieurs figures de la résistance palestinienne :
Dahlan est impliqué dans l’assassinat de plusieurs hauts dirigeants
palestiniens. Parmi eux Salah Chahada éminent cadre du Hamas
assassiné en 2020 […] ainsi que d’autres cadres du Fatah dont
Hicham Mekki, Mohammed Abou Chaaban, Asa’ad Al-Saftaoui,
Khalil Al-Zabin, Naim Abou Saif et Khaled Mahmoud Chahda.

Abbas (Mahmoud NDLR) rapporte ce témoignage : « à la première


tentative d’assassinat contre Salah Chahada, Dahlan était venu nous
dire : Salah Chahada sera liquidé dans quelques minutes. Quand une
explosion retentissait quelques minutes après, Dahlan était sorti en
disant mot-pour-mot : le fils de p… a quitté sa maison il y un
moment.93 (Traduit de l’arabe)

Les Emirats Arabes Unis offrent à Dahlan un exil doré. Il y


devient un « intime conseiller » voire même un « frère » pour
Mohammed Ben Zayed.94 Fort du soutien financier et médiatique
du pétromonarque émirati, Dahlan passe à l’offensive contre-
révolutionnaire. L’homme travaille sur deux axes majeurs : 1) la
liquidation de la question palestinienne et 2) l’avortement des

169
Moussa Benmohammed

éveils populaires pour éviter toute contagion qui serait fatale pour
les trônes des pétromonarchies de la région.
La position des Emirats Arabes Unis par rapport à la question
palestinienne n’est plus un secret. Le pays a normalisé sa relation
avec l’entité sioniste au mépris des droits du peuple palestinien.
Dahlan aurait participé à l’orchestration de ces accords.95 La
normalisation fait suite à l’annonce en grandes pompes du « deal
du siècle » par le président Trump et les régimes égyptiens et
saoudiens. Ce « deal » qui consiste à liquider d’une façon définitive
la question palestinienne.
Les agissements émiratis avaient commencé bien avant
l’annonce du deal. Abu Dhabi avait voulu reprendre le contrôle de
la bande de Gaza au Hamas en utilisant les relations de Dahlan.
Ont fuité des informations sur les aides financières qui seraient
drainées par Dahlan vers Gaza au bénéfice des forces de sécurité et
des familles des victimes d’agressions israéliennes :
Pendant ce temps, Bardawil a révélé à Middle East Eye qu'en plus de
soutenir les forces de sécurité de l'Autorité palestinienne licenciées
cette semaine, Dahlan s'est engagé à soutenir les personnes touchées
par la guerre de cet été.

Dahlan, a déclaré Bardawil, propose de fournir 5000 $ pour chaque


famille qui a perdu un membre de la famille, 10'000 $ pour chaque
famille qui a perdu une maison, 1500 $ pour chaque personne
gravement blessée et 700 $ pour chaque personne modérément
blessée. L’un des collaborateurs de Dahlan a déclaré aux médias
locaux que l’argent viendrait des Émirats Arabes Unis via Dahlan aux
familles.96 (Traduit de l’anglais)

La manœuvre consiste à marginaliser l’influence des


« islamistes » du Hamas à Gaza et à gagner la sympathie des
victimes du blocus imposé à la bande et les guerres successives.i

i Cela contredit au demeurant la thèse de Bensâada et Haddad. Pourquoi

l’administration Trump viserait-elle de mettre des islamistes à la tête de pays hautement


stratégiques comme l’Egypte, la Libye, la Syrie, la Tunisie ou encore l’Algérie, alors
qu’elle déploie tant d’efforts et mobilise tant de pays pour « virer » des islamistes d’une
minuscule bande de 365 km2 ?

Page 170
Maillage idéologique et politique

Dahlan s’est employé aussi à combattre les éveils populaires


dans les pays arabes, à avorter les aspirations démocratiques des
peuples pour éviter une contagion qui finira par atteindre les
pétromonarchies moyen-orientales. Son rôle dans la répression de
révolte libyenne par le régime des Kadhafi lui vaut de faire l’objet
d’une enquête de la Cour Pénale Internationale « pour son
implication présumée auprès de Saïf al-Islam Kadhafi ».97 Dahlan
est soupçonné d’avoir aidé ce dernier à commettre des crimes
contre l’humanité. Saïf al-Islam Kadhafi est recherché pour :
Sa responsabilité pénale présumée dans la perpétration de meurtres et
de persécutions de civils en tant que crimes contre l’humanité à
compter du 15 février 2011 à travers la Libye.98

Et pour avoir :
Conçu et orchestré un plan visant à dissuader et à réprimer, par tous
les moyens, les manifestations civiles contre le régime de Kadhafi.99

Dahlan est également visé par une enquête de l’Autorité


Palestinienne au sujet de « son rôle présumé dans le transfert
d’armes israéliennes au gouvernement de Kadhafi ».100
Malgré les accusations de crimes qui pèsent sur lui et les
enquêtes le ciblant, et malgré la chute du régime Kadhafi, Dahlan
continue d’agir contre les aspirations populaires du peuple libyen
en soutenant financièrement et militairement les milices de
Haftar.101
Ce bref survol des activités subversives de Dahlan est loin de
rendre compte de ses manœuvres en Tunisie, en Egypte, au
Soudan, en Palestine, en Syrie et au Yémen, mais il aura servi à
illustrer sa frénésie séditieuse et le spectre des méthodes, allant du
soft power (centre Abhath et financements du GNRD) au hard power
(implications dans les conflits armés, ou l’investissement dans
l’industrie de l’armement en Serbie).102

6.2. Le Global Network for Rights and Development

Tout comme Richard Labévière et Majed Nehmé, René Naba a


beaucoup fait pour propager la thèse complotiste de Bensâada via
ses sites d’informations. Il partage naturellement avec ce monde le

171
Moussa Benmohammed

discours de la fustigation des ONG comme vecteurs d’influence au


service des intérêts étatsuniens. Il est donc curieux de le voir
monter au créneau pour le GNRD,103 financé en partie par
Mohammed Dahlan. Il y a donc des bonnes et des mauvaises
ONG. Ce double rapport aux ONG nous a interpellé et nous a
poussé à nous intéresser au cas de cette organisation.
Le GNRD est une ONG norvégienne fondée par Loai Deeb,
un Palestinien résident en Norvège. Sous son règne, cette ONG a
entre autres organisé deux conférences (une sur le Bahreïn et
l’autre sur le terrorisme) et a participé à la scrutation d’élections au
Soudan du Sud (2011), en Jordanie (2013), en Algérie
(présidentielles de 2014), en Egypte (présidentielles de 2014), et en
Tunisie (parlementaires, fin 2014).
Le GNRD a aussi bien « renvoyé l’ascenseur » à ses sponsors.
Le site d’information émirati The National a annoncé le 18 octobre
2013 que :

Les Emirats Arabes Unis sont classés à la 14 ème position dans le


monde en termes de respect des droits de l’homme par le Global
Network for Rights and Development […] devançant plusieurs pays
occidentaux, y compris les Etats-Unis.104

Cette position parait surréaliste lorsqu’on sait par exemple qu’en


2013, Freedom House a classé les Emirats Arabes Unis parmi les 30
derniers pays qui souffrent d'une absence grave de liberté sur un
total de 195 pays étudiés,105 alors que l’Institut Cato a classé les
Emirats Arabes Unis, selon leur Human Freedom Index, à la 117ème
sur 152 en 2015.106
Deeb est accusé par la justice et presse norvégiennes de
blanchiment d’argent provenant des Emirats Arabes Unis. Des
journalistes du Aftendbladet ont publié une enquête intitulée
« l’organisation mystérieuse » accusant Loai Deeb :
Visiblement Loai Mohammed Deeb a voulu lutter pour la paix et
pour un monde meilleur. Il créa sa propre ONG. Encore une autre.
Et encore une autre. Bientôt l’homme, issu d’une petite communauté
norvégienne, devient un réseau d’organisations internationales
louches et d’universités douteuses.

Page 172
Maillage idéologique et politique

Des millions d’euros provenant de sponsors mystérieux dans les


Émirats Arabes Unis sont acheminés vers des comptes qu’il contrôle.
Loai Deeb a construit ce qui apparait comme un empire humanitaire.
Et s’est construit en homme très riche au passage.107 (Traduit de
l’anglais)

L’article recense plusieurs organisations en lien direct ou


indirect avec le mystérieux « humanitaire ». En plus du GNRD, on
y trouve :
1. Scandinavian Institute for Human Rights – SIHR (Genève -
Suisse)

2. International Institute for Peace, Justice and Human Rights –


IIPJHR (Genève - Suisse)

3. International Coalition Against War Criminals – ICAWC (Sola -


Norvège)

4. European Center for Rights and Justice – ECRJ (Sola - Norvège)

5. The Scandinavian University (Sola - Norvège)

6. Universal Studies Academy (Gaza)

7. European Association for Private School Accreditation – EAPSA


(Figgjo - Norvège)

8. Maat for Peace, Development and Human Rights (Le Caire -


Egypte)

9. International Council Supporting Fair Trial and Human Rights


(Genève - Suisse)

10. Agence pour les Droits de L'Homme – ADH (Genève - Suisse)

11. Ma'arij Foundation for Peace and Development (Khartoum -


Soudan)

Les mêmes journalistes tracent les flux monétaires dans un


autre article, et écrivent :
Deux frères [Safouh et Abdel Wahab Moukaid, NDLR], nés en Syrie,
résident aux Émirats Arabes Unis apparaissent dans la plupart des

173
Moussa Benmohammed

entreprises qui ont transféré plus de 15.5 millions d’euros vers des
comptes bancaires contrôlés par Loai Deeb en Norvège.

Quand l’Økokrim [unité centrale de lutte contre la criminalité


économique et environnementale de la Norvège, NDLR] en mai
2018 avait accusé Deeb de crimes en col blanc, contrefaçon et traite
des êtres humains, le procureur avait décidé de concentrer les
accusations sur les crimes commis en Norvège. La police avait décidé
d’abandonner l’enquête sur les mystérieux sponsors aux Émirats
Arabes Unis. Cette décision avait été prise car Abhu Dhabi n’a jamais
répondu aux demandes d’aide soumises par l’Økokrim.108 (Traduit de
l’anglais)

Avant d’être condamné par la justice norvégienne :


Le tribunal du district de Stavanger a déclaré Loai Deeb coupable de
graves délits financiers, de falsification et de traite d’êtres humains.
L'ancien président du GNRD a été condamné à une peine de prison
de quatre ans et demi. […] Deeb est également condamné à
rembourser un peu plus de dix millions de couronnes. Cet argent a
été détourné de l'organisation de défense des droits humains qu'il
dirigeait pour financer des jeux d'argent sur internet. […] L'État a
également procédé à la confiscation d'un certain nombre d'objets en
or qui ont été trouvés au domicile de Deeb dans sa maison de la
municipalité de Sola.109 (Traduction)

Les récits de la presse norvégienne sur les pratiques de Loai


Deeb et le GNRD sont fouillés. Les sommes évoquées sont
impressionnantes. Plus de 15.5 millions d’euros sont acheminés
des Emirats Arabes Unis vers les comptes d’organisations
contrôlées par une seule personne. Cette somme ne concerne que
ce qui est dévoilé dans la presse et un seul pays. Cela ne serait donc
que la partie visible de l’iceberg des sommes drainées vers les
organisations de Deeb. Il est légitime de se demander si le
conglomérat des organisations contrôlées par Deeb n’est en réalité
qu’une petite partie d’un vaste réseau d’influence émirati en
Europe.i

i Le registre de transparence de l’Union Européenne pour l’année 2014 liste

des représentations de la GNRD dans les pays suivants : Autriche, Belgique,


France, Espagne, Grande Bretagne, Brésil, Canada, Egypte, Jordanie, Liban,
Moldavie, Norvège, Soudan, Suisse, Tunisie, Emirats Arabes Unis et Zambie.

Page 174
Maillage idéologique et politique

Le GNRD a organisé, les 16 et 17 février 2015, une conférence


internationale110 dans le majestueux hôtel « Président Wilson » situé
sur les quais du Lac Léman à Genève. La conférence devait
aborder le sujet des défis et des opportunités dans l’équilibre entre
la lutte anti-terroriste et les droits humains.111 René Naba, Richard
Labévière et Eric Denécé ont été annoncés comme invités VIP et
intervenants.
Le journaliste du Guardian Brian Whitaker, qui a enquêté sur le
GNRD et a compilé un dossier intitulé « le scandale du
GNRD »,112 raconte les coulisses de cette conférence dans un
papier au titre très évocateur « Un festin à Genève… l’étrange plan
du GNRD pour combattre le terrorisme » :
L’hôtel cinq étoiles Président Wilson logé sur les rives du lac de
Genève, offrant une vue « exceptionnelle » sur le Mont Blanc, avec
ses trois restaurants qui servent des « délices culinaires inégalés ». Les
tarifs des chambres de l’hôtel Wilson varient entre 250 livres sterling
par nuit, allant jusqu’à 52'000 livres sterling pour la suite Royal
Penthouse.113 (Traduit de l’anglais)

Il évoque ensuite la couverture des frais des intervenants par le


GNRD :
Tous frais payés… L'eurodéputée britannique Julie Ward faisait
partie des personnes invitées à participer à une table ronde. Le
GNRD a payé son billet de 525 livres sterling en classe affaires de
Manchester à Genève via Bruxelles et lui a offert deux nuits
d'hébergement à l’hôtel Wilson.

Si l’on suppose que la quarantaine de personnes inscrites en tant


qu’« invités VIP et conférenciers » avaient reçu un traitement
similaire, le coût de les avoir tous à la conférence aurait certainement
dépassé les 50'000 livres sterling. Cela exclut, bien entendu, le coût
non négligeable de location des salles et des installations
« renommées » du Wilson et les coûts administratifs et
organisationnels propres au GNRD.114 (Traduit de l’anglais)

Le journaliste appuie son récit par la déclaration de


l’eurodéputée Julie Ward qui a fait preuve de transparence auprès
de son institution.115

175
Moussa Benmohammed

Plus loin dans le même papier, Brian Whitaker partage sa


lecture de ce qui a pu motiver un tel évènement qui, selon le
journaliste, aurait nécessité deux années de préparation.116 Il
affirme que :
La principale proposition du projet du GNRD est d’établir un
Conseil international de lutte contre le terrorisme qui, en gros,
déciderait quels individus et organisations doivent être classés comme
« terroristes ». Il compilerait et maintiendrait une liste mondiale, qui
serait revue chaque année.117 (Traduit de l’anglais)

Et d’ajouter :
Le problème majeur est l’absence de consensus sur une définition du
mot « terrorisme ». Le projet de convention du GNRD contourne ce
problème en tentant d’éviter une définition. La désignation de
« terroriste », selon le projet du GNRD, semble ne pas dépendre de
critères spécifiques mais plutôt d’un vote des membres du Conseil
international de la lutte contre le terrorisme. Il est facile de voir
comment cela peut mener à des négociations entre pays membres
pour savoir qui inclure dans la liste [des personnes ou des
organisations terroristes, NDLR] : cela pourra bien devenir la FIFA
du contre-terrorisme.118 (Traduit de l’anglais)

L’enjeu de cette conférence, selon cette analyse, était de faire du


lobbying pour un projet du GNRD qui allait ouvrir la voie à tous
les excès en matière de lutte contre le terrorisme. Avec ce projet,
serait « terroriste » toute personne ou toute organisation désignée
par un vote majoritaire au sein du Conseil international de la lutte
contre le terrorisme. Quiconque aurait la possibilité d’orienter le
vote de ce conseil pourrait instrumentaliser les mécanismes de
l’ONU pour nuire lourdement à tout adversaire.
La liste des participants à cette conférence indique une forte
présence de services de renseignements.119 La partie prenante
d’Algérie était Mhand Berkouk, « expert en terrorisme ». Eric
Denécé, Richard Labévière et René Naba ont également participé à
cette fastueuse conférence pour « combattre le terrorisme ».

6.3. Le réseau IIPJHR – SIHR des « droits de l’homme »

A la suite des lourdes accusations portées par la justice


norvégienne à l’encontre du GNRD, René Naba fait un bond en

Page 176
Maillage idéologique et politique

publiant pas un,120 pas deux,121 mais trois122 articles pour prendre la
défense de l’ONG et de Loai Deeb. La réaction du journaliste
parait disproportionnée et risquée. Pourquoi irait-il défendre un
homme empêtré dans des affaires louches ? Existe-t-il un lien entre
les deux hommes ?
La rubrique « à propos » du site « renenaba.com » dresse une
biographie de René Naba qui mentionne les deux
occupations suivantes :
Membre du groupe consultatif du Scandinavian Institute for Human
Rights (SIHR), dont le siège est à Genève et de l’Association d’amitié
euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l’International Institute for
Peace Justice and Human Rights (IIPJHR) dont le siège est à Genève.123

Le registre de commerce du canton de Genève indique que


l’IIPJHR (association enregistrée sous le numéro CH-
660.0.503.010-7) a été dissoute le 20 janvier 2020 par les membres
de son comité de direction.124 Ce comité est formé par, entre
autres, la présidente Noura Deeb (Norvège) et le secrétaire général
Loai Mohamed Deeb (Norvège). Le même registre indique toutes
les modifications des statuts de l’organisation. On peut donc y
remarquer que deux ressortissants émiratis, Qaraiban Shamsa
Majid Khalfan et Alfalasi Yousuf Ali Ahmad Ben Zayed, ont pris
part au comité de l’IIPJHR en tant que, respectivement, présidente
et vice-président pendant 14 jours (du 11 mai 2016 au 25 mai
2016). Nous ignorons les raisons qui ont motivé ce passage furtif.
Un certain Forotan Bagha Amir a été inscrit comme membre
du comité de direction de l’IIPJHR à la 4ème révision des statuts (en
date du 1er juillet 2013) avant d’être radié à la 7ème révision (en date
du 13 mars 2014). Cette personne est également membre du
comité de l’organisation SIHR dont René Naba est membre de son
groupe consultatif.
Le site « easymonitoring.ch » nous apprend que la dissolution
de l’IIPJHR a été motivée par des « poursuites pour dettes ».125 Le
rapport fait état de six mensualités de loyer impayées avec un total
de 30'900 francs suisses.126
Il était également curieux de découvrir un lien de proximité
entre l’IIPJHR et l’extrême-droite française. La presse suisse avait

177
Moussa Benmohammed

rapporté des troubles à la maison des associations à Genève pour


empêcher la tenue d’une conférence sur la Syrie organisée par
l’IIPJHR.127 Les flyers distribués mentionnaient deux autres
organisateurs : Collectif des Syriens de Suisse (une association
proche du régime de Bashar al-Assad) et l’association Egalité-et-
Réconciliation proche de l’extrême-droite française.128
L’autre organisation SIHR est enregistrée dans le registre de
commerce du canton de Genève sous le numéro fédéral CH-
660.0.503.010-7.129 Elle est présidée par Haytham Mannaâ. Ce
dernier est gratifié d’un article élogieux de René Naba publié sur le
site Madaniya.130 Les relations entre Haytham Manna et Loai Deeb
et leurs organisations SIHR et GNRD sont mieux exposées par le
journaliste Brian Whitaker :
En Suisse, le procureur général de Genève déclare « mener une
procédure pénale » impliquant le GNRD et une autre organisation, le
SIHR, qui a été fondée par Deeb et Haytham Mannaâ. Selon le
procureur, Deeb et Mannaâ « sont concernés par les procédures ».131
(Traduit de l’anglais)

Dans le même papier, on apprend que les deux organisations


(GNRD et SIHR) partageaient la même adresse à Genève et que
Mannaâ avait participé à de nombreux évènements du GNRD y
compris la conférence de Genève (Mannaâ est y convié en tant
qu’invité VIP et intervenant).
Dans un autre article, le journaliste Brian Whitaker, établit un
autre lien entre SIHR et Naba :
L’article de Naba défendant le GNRD peut être consulté sur son site
personnel, En Point De Mire (renenaba.com), mais aussi sur
libnanews.com ou Naba est décrit comme « partenaire » et sur
madaniya.info dont Naba est le « directeur ». Une note sur le site
madaniya.info déclare recevoir un « corporate support » du SIHR.132

Page 178
Maillage idéologique et politique

La French-Emirati Connection

Légende
CF2R : Centre Français de Recherche sur le Renseignement
CIGPA : Centre International de Géopolitique et de Prospective Analytique
CIRET-AVT : Centre international de recherches et d'études sur le terrorisme et l'aide
aux victimes du terrorisme
GNRD: Global Network for Rights and Development
IIPJHR: International Institute for Peace Justice and Human Rights
SIHR: Scandinavian Institute for Human Rights

179
Moussa Benmohammed

7. Editions APIC

Une maison d’édition a l’obligation intellectuelle d’auditer les


données d’un ouvrage et d’inspecter ses conclusions. Devant la
légèreté de l’opuscule de Bensâada, nous avons voulu comprendre
ce qui aurait pu motiver l’éditeur APIC à publier un « livre-
enquête » si pauvrement étayé et politiquement très controversé.
La réaction d’APIC à l’annonce du professeur Lahouari Addi, cible
de nombreuses diffamations dans l’opuscule, de son intention de
porter plainte pour diffamation « dès que les conditions politiques
s’éclairciront dans le pays »133 est assez révélatrice. APIC n’a rien
trouvé de mieux qu’une réponse malveillante qui culpabilise
Lahouari Addi par association avec le « terroriste » et donc
infréquentable Mourad Dhina.134 L’éditeur et l’auteur puisent dans
le même registre de sophismes pour échapper aux débats sur le
fond.135
APIC fait partie du « réseau francophone » de « l’Alliance
internationale des éditeurs indépendants ».136 Cette dernière est
soutenue par plusieurs relais de l’influence française et
francophone : l’Agence Française de Développement (AFD), le
Centre National du Livre (CNL), le Conseil Régional de l’Ile-de-
France, la Fondation de France, l’Institut Français et l’Organisation
Internationale de la Francophonie.137
Sur le site officiel de l’AFD, on peut trouver des liens directs
vers les sites de trois ministères français : celui de l’Europe et des
Affaires étrangères, celui de l’Économie et des finances et celui des
Outre-mer.138 Dans la rubrique « L’AFD, c’est quoi » on peut lire :
« L’Agence française de développement (AFD) est l’établissement
public qui met en œuvre la politique de la France en matière de
développement et de solidarité internationale. »139
Le CNL est un établissement public administratif du ministère
de la Culture qui propose plusieurs types d’aides dont certaines
pour les éditeurs. L’un des objectifs du centre est de « participer à
la défense et à l’illustration de la langue et de la culture
françaises ».140

Page 180
Maillage idéologique et politique

Bensâada et APIC ne voient pas l’ironie dans l’acte de publier


un livre qui fustige les ONG algériennes ayant reçu des
financements d’agences gouvernementales américaines, alors
qu’APIC est financé par une agence gouvernementale française.
L’Algérie serait-elle à leurs yeux encore un département français,
ou est-on en présence de « faites ce que je dis (sur le financement
étranger), ne faites pas ce que je fais » ? En tous cas la
dénonciation de l’impérialisme américain et la tache aveugle
concernant son pendant français éclairent on ne peut mieux un
biais idéologique supplémentaire qui imprègne les démarches de
Bensâada.

8. Conclusion
Le point de départ de cette enquête était de tenter de comprendre
les ressorts qui auraient poussé Ahmed Bensâada à délégitimer le
hirak et, par-là, défendre le pouvoir militaire algérien. Nous avions
également voulu élucider les motivations de Nehmé et Labevière
derrière la sanction intellectuelle qu’ils ont donnée au livre, et
comprendre la logique de sa publication par APIC.
Nous pensons avoir livré quelques clefs de réponse importantes
à ces questions. Etant donné le décalage qu’il pourrait y avoir
parfois entre les empreintes digitales d’une personne sur la toile et
sa réalité, nous ne prétendons pas avoir accompli plus que cela.
Notre démarche a consisté principalement à délinéer quelques
contours de l’environnement idéologique et politique de Bensâada,
ainsi qu’à explorer ses relations et celles de Nehmé et Labévière.
Après avoir relevé un détail biographique ayant trait à son deuil
découlant de la « sale guerre » algérienne et commenté sur ses
activités dans la complosphère canadienne, nous avons examiné un
premier lien organique que Bensâada entretient, comme membre
d’une « équipe de recherche », avec le Centre Français de
Recherche sur le Renseignement, dirigé par Eric Denecé, la même
entité para-barbouzarde avec laquelle Saïda Benhabylès collabore
depuis des années. Certaines collaborations de Bensâada et
Benhabylès au sein du CF2R ont été relevées.

181
Moussa Benmohammed

Bensâada, Nehmé et Labévière sont membres du « comité de


rédaction » du CIGPA, think-tank présidé par le sulfureux contre-
révolutionnaire tunisien Mezri Haddad. Le CIGPA, qui entretient
des liaisons étroites avec de haut responsables du renseignement
français et étrangers, dissémine fortement et assidument l’idéologie
de l’islamo-atlantisme qui sied comme un gant à la théorie du
complot de Bensâada contre le printemps arabe et le hirak algérien.
En France, ce centre promeut une politique sécuritaire de droite
dure au détriment des ressortissants musulmans déjà sujets à une
forte stigmatisation. Plusieurs travaux et colloques de ce think-tank
visent à limiter l’influence qatarie et turque au Moyen-Orient.
Ces objectifs sont une convergence entre l’orientation du
CIGPA sous la houlette de Mezri Haddad et les visées stratégiques
de la France officielle qui s’inquiète du réveil des peuples
maghrébins, arabes et africains et de l’accroissement de puissance
turque, qui mettent en péril, selon Paris, le statu quo fondé sur un
ordre mondial largement défini par l’Occident, et attentent à
l’influence et aux intérêts de la France dans la région. L’orientation
et les activités du CIGPA sont confortées par sa proximité avec le
centre d’études émirati Abhath de Mohammed Dahlan, qui
sponsorise en partie le CIGPA. Ce dernier est le « pitbull » notoire
du pétromonarque Mohammed Ben Zayed, parrain des contre-
révolutions dans le monde arabe et ennemi juré du Qatar et de la
Turquie.141
La suite de l’article a examiné quelques aspects de l’influence
émiratie, non pas sur Bensâada directement, il n’y a apparemment
pas de lien direct dans ce sens, mais sur certains de ses proches
collaborateurs, toujours dans le but d’éclairer des aspects
inexplorés de la matrice idéologique et politique où il se situe.
Après un bref digest sur Dahlan, l’article a examiné une des
ONG, le GNRD, à travers laquelle les Emiratis promeuvent leur
agenda contre-révolutionnaire au détriment des peuples de la
région. Un compte rendu sur les usages politiques mafieux de cette
organisation a été fait et les frasques non moins mafieuses de son
chef ont été évoquées. Un exemple d’une activité de cette ONG,
une conférence internationale à Genève pour combattre le
terrorisme, à laquelle ont participé Labévière, Nehmé et Denécé, a

Page 182
Maillage idéologique et politique

été fouillé. Le dessein inavoué de cette fastueuse conférence, selon


un analyste, était de réfléchir à la façon d’instrumentaliser les
mécanismes des Nations unies pour servir les intérêts particuliers
des Etats influents.
La dernière section de cet article a montré que la maison
d’édition algérienne, APIC, qui a publié l’opuscule de Bensâada est
financée par des agences gouvernementales françaises. Peut-être
que Bensâada, qui fustige les ONG algériennes financées par des
agences gouvernementales américaines alors qu’il demeure aveugle
au financement de l’éditeur de son propre livre par des agences
gouvernementales française, appréciera que « l'ironie est la figure
de style la plus courante du destin ».
En tous cas, cette ironie illustre parfaitement un autre biais
idéologique, qui traverse ses démarches. Et elle est à l’image du
régime militaire médiocratique qu’il défend, un régime qui dénonce
la main étrangère à tout bout de champ alors qu’elle est la béquille
même sur laquelle il s’appuie.

Notes de référence

1Ahmed Bensâada, Qui sont ces ténors auto-proclamés du Hirak?, Éditions APIC, Alger
2020.
2 Ahmed Bensaada. Ahmed Bensaada : Cheminement de vie. Ahmedbensaada.com,
17 février 2010.

https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1
77:cheminement-de-vie&catid=37:societe&Itemid=75
3 Ibid.
4Melissa Zimdars. False, Misleading, Clickbait-y, and Satirical “News” Sources, South
Texas College, 2016.

https://docs.google.com/document/d/10eA5-
mCZLSS4MQY5QGb5ewC3VAL6pLkT53V_81ZyitM/preview
5 Anna Kata. A postmodern Pandora’s box : Anti-vaccination misinformation on the
Internet. Vaccine, 30 décembre 2009.

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20045099/
6 Journal Le Monde – Outil Décodex.

183
Moussa Benmohammed

https://www.lemonde.fr/verification/source/mondialisation-ca/?xtor=AL-33281008
7 News Guard Tech. Mondialisation.ca, Avril 2020.

https://www.newsguardtech.com/wp-
content/uploads/2020/04/Mondialisation.ca_FrenchVersion.pdf
8 Ibid.

9 Ibid.

10 https://cf2r.org/equipe/bensaada-ahmed/#
11 Rubrique « Présentation du CF2R » sur le site officiel du CF2R.

https://cf2r.org/le-cf2r/presentation-cf2r/
12 Ibid.
13 Rubrique « Equipe de recherche – Éric DENÉCÉ » sur le site du CF2R.

https://cf2r.org/equipe/denece-eric/
14 Rubrique « Gouvernance du CF2R » sur le site du CF2R.

https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/
15 Ibid. Section Comité Stratégique – composition.
16Valérie Segond, « Les révolutions arabes ne sont que des coups d'Etat militaires
masqués », La Tribune, 1 juin 2011.

https://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20110601trib000626151/le
s-revolutions-arabes-ne-sont-que-des-coups-d-etat-militaires-masques.html
17 Ibid.
18Eric Denécé, « La grande illusion des “révolutions” arabes », Afrique Asie,
27 novembre 2012.
https://www.afrique-asie.fr/la-grande-illusion-des-revolutions-arabes/
19Eric Denécé, « D’Ukraine en Printemps arabes : révolutions inutiles et interventions
chaotiques », Atlantico, 21 octobre 2015.

https://www.atlantico.fr/decryptage/2398116/d-ukraine-en-printemps-arabes-
revolutions-inutiles-et-interventions-chaotiques-eric-denece
20 Eric Dénécé. La France en danger : où en est le renseignement ? Thinkerview,
11 septembre 2019 (minute 8:21).
https://www.youtube.com/watch?v=mx5QlspmmE8
21 Interview d’Eric Denécé par Mohsen Abdelmoumen. Rachad, soutien de la CIA et de
la DGSE aux GIA : les révélations d’Eric Denécé. Algeriepatriotique.com, 24 juillet 2020.

Page 184
Maillage idéologique et politique

https://www.algeriepatriotique.com/2020/07/24/rachad-soutien-de-la-cia-et-de-la-dgse-
aux-gia-les-revelations-deric-denece/
22Colloque CF2R. Aux origines du terrorisme qui frappe la France : la menace mondiale
de l’idéologie Wahhabite. 18 janvier 2017.

https://www.cf2r.org/wp-content/uploads/2017/05/Programme-colloque-
wahhabisme.pdf
23 Colloque CF2R en collaboration avec Roxana Cristea, Richard Labévière et Andrès
Davila-Valdiviezo (ESCE). Lutte contre le financement du terrorisme : nouveaux enjeux.
5 décembre 2017.

https://www.cf2r.org/wp-content/uploads/2017/11/CR_Colloque_5-
de%CC%81cembre.pdf
24 Ibid. Rubrique programme.
25 Ibid.
26 CF2R sous la direction d'Eric Denécé. La face cachée des révolutions arabes, éditions
ellipses 2012, ISBN 9782729878757.
27 Algerie360. La menace terroriste à la lumière de la situation en libye en débat à paris :
l’opinion internationale interpellée. Algerie360.com, 18 septembre 2011.

https://www.algerie360.com/la-menace-terroriste-a-la-lumiere-de-la-situation-en-libye-
en-debat-a-alger-lopinion-internationale-interpellee/
28 ‘Du Printemps arabe à l’hiver des islamistes’, El Watan, 9 janvier 2013 ; ‘Percée les
islamistes, hégémonie américaine, déstabilisation les pays, la face cachée du printemps
arabe’, Algérie 360, 9 janvier 2013.
29 https://meteopolitique.com/Fiches/guerre/Libye/559/Libye-un-avenir-incertain.pdf
30 https://cf2r.org/wp-content/uploads/2012/02/CF2R-CIRET-AVT_THE_L.pdf

https://cf2r.org/recherche/syrie-une-libanisation-fabriquee-2-2/
31 Benhabyles Saïda, Lizin Anne-Marie, Denécé Éric & Labeviere Richard. Op. cit.
32 Cigpa.org, rubrique « Equipe / Comité de Rédaction ».

https://cigpa.org/lequipe/comite-de-redaction/
33https://cigpa.org/mezri-haddad-printemps-arabe-bilan-securitaire-economique-
geopolitique/
34https://www.journal-officiel.gouv.fr/associations/detail-
annonce/associations_b/20160042/1248
35 https://cigpa.org/identite/

185
Moussa Benmohammed

36 https://cigpa.org/a-props-de-cigpa/administration/
37Benjamin Barthe, « De Gaza à Abou Dhabi, l’ascension de l’intrigant Mohammed
Dahlan », Le Monde, 6 octobre 2017.
38 https://fr.wikipedia.org/wiki/Mezri_Haddad
39 https://www.atlantico.fr/fiche/mezri-haddad-1957360
40Clôture par Mezri Haddad Président de CIGPA du Colloque : « La dérive panislamiste
et néo-ottomane d’Erdogan, Comment l’allié occidental est-il devenu une menace
globale ? » Colloque organisé par le Centre international de géopolitique et de prospective
analytique, samedi 29 février 2020 à la Maison de la Chimie Paris.

https://cigpa.org/mezri-haddad-synthese-et-cloture-du-colloque-cigpa-sur-la-derive-
panislamiste-et-neo-ottomane-derdogan-video/
41 https://fr.wikipedia.org/wiki/Mezri_Haddad
42 https://fr.wikipedia.org/wiki/Mezri_Haddad
43 La Tunisie ne vit pas un cauchemar. Mezri Haddad. Le Monde, 6 février 2001.
44 https://fr.wikipedia.org/wiki/Mezri_Haddad
45Mezri Haddad, le « philosophe » lécheur de culs. Pierrot LeFou. Tunisie Focus, 29 juin
2019.

https://www.tunisiefocus.com/politique/mezri-haddad-le-philosophe-lecheur-de-culs-
211338/
46 https://www.dailymotion.com/video/xgkd9k
47 https://fr.wikipedia.org/wiki/Mezri_Haddad
48 Interview de Mezri Haddad par Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, le 13 janvier 2011.

https://www.youtube.com/watch?v=lOPT_mYd54k
49Mezri Haddad. Ces hordes fanatisées vont bientôt violer les gens chez eux.
BFMTV.com, 13 janvier 2011

https://www.bfmtv.com/politique/ces-hordes-fanatisees-vont-bientot-violer-les-gens-
chez-eux_AN-201101130029.html
50 https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id
=207:mezri-haddad-repond-a-naoufel-brahimi-el-mili-&catid=46:qprintemps-
arabeq&Itemid=119%20Mezri%20Haddad%20r%C3%A9pond%20%C3%A0%20Naou
fel%20Brahimi%20El-Mili
https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id
51

=207:mezri-haddad-repond-a-naoufel-brahimi-el-mili-&catid=46:qprintemps-

Page 186
Maillage idéologique et politique

arabeq&Itemid=119%20Mezri%20Haddad%20r%C3%A9pond%20%C3%A0%20Naou
fel%20Brahimi%20El-Mili
52 https://www.facebook.com/mezri.haddad/posts/3298303416927722
53 https://www.facebook.com/mezri.haddad/posts/3298303416927722
54 Mezri Haddad. La face cachée de la révolution tunisienne : Islamisme et Occident, une
alliance à haut risque. Apopsix, Paris (2011).
55Printemps arabe ou hiver islamiste ? Mezri Haddad. Le Quotidien d'Oran, 5 octobre
2011.

http://www.lequotidien-oran.com/?archive_date=2011-10-05&news=5158356
56Printemps arabe ou hiver islamiste ? Mezri Haddad. Le Quotidien d'Oran, 5 octobre
2011.

http://www.lequotidien-oran.com/?archive_date=2011-10-05&news=5158356
57La face cachée de la révolution dite du jasmin. Mezri Haddad. Outre-Terre 2011/3 (n°
29), pages 211 à 232.

https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2011-3-page-211.htm
58Printemps arabe ou hiver islamiste ? Mezri Haddad. Le Quotidien d'Oran, 5 octobre
2011.

http://www.lequotidien-oran.com/?archive_date=2011-10-05&news=5158356
59https://cigpa.org/mezri-haddad-synthese-et-cloture-du-colloque-cigpa-sur-la-derive-
panislamiste-et-neo-ottomane-derdogan-video/

http://www.mfa.gov.cy/mfa/mfa2016.nsf/All/5669E860BB065B5CC2257FAA0030
60

DD26?OpenDocument
61 Voir notes 37 et 62.
62https://cigpa.org/mezri-haddad-printemps-arabe-bilan-securitaire-economique-
geopolitique/
63 Poursuite des dirigeants. Programme "Direction Opposé" de Fayçal Al Qasim,
Aljazeera, 3 juillet 2001.

https://www.aljazeera.net/programs/opposite-
direction/2004/6/4/%D9%85%D9%84%D8%A7%D8%AD%D9%82%D8%A9-
%D8%A7%D9%84%D8%AD%D9%83%D8%A7%D9%85
64Mezri Haddad, le « philosophe » lécheur de culs. Pierrot LeFou. Tunisie Focus, 29 juin
2019.

https://www.tunisiefocus.com/politique/mezri-haddad-le-philosophe-lecheur-de-culs-
211338/

187
Moussa Benmohammed

L'islamo-terrorisme, cet enfant adultérin du « printemps arabe ». Mezri Haddad.


65

Huffington Post, 20 mars 2015.

https://www.huffingtonpost.fr/mezri-haddad/terrorisme-printemps-arabe-islam-
radical_b_6910412.html
66https://cigpa.org/mezri-haddad-synthese-et-cloture-du-colloque-cigpa-sur-la-derive-
panislamiste-et-neo-ottomane-derdogan-video/
67https://cigpa.org/mezri-haddad-synthese-et-cloture-du-colloque-cigpa-sur-la-derive-
panislamiste-et-neo-ottomane-derdogan-video/
68 https://www.atlantico.fr/fiche/mezri-haddad-1957360
69 https://fr.wikipedia.org/wiki/Atlantico
70Mahomet aurait-il dit “Tout est pardonné” ? Celui de la Mecque peut-être, mais celui
de Médine, moins sûr… Entretien avec Mezri Haddad. Atlantico, 19 janvier 2015.

https://www.atlantico.fr/decryptage/1957361/mahomet-aurait-il-dit-tout-est-pardonne-
celui-de-la-mecque-peut-etre-mais-celui-de-medine-moins-sur-mezri-haddad
71« Mezri Haddad assiste à la 4e convention présidentielle du FN », smosaiquefm.net,
17 novembre 2016.

https://www.mosaiquefm.net/fr/actualites-internationales/51271/mezri-haddad-assiste-
a-la-4eme-convention-presidentielle-du-fn
72 Seif Soudani. Le coming out frontiste de Mezri Haddad. Le Courrier de l'Atlas,
23 novembre 2016.

https://www.lecourrierdelatlas.com/france-le-coming-out-frontiste-de-mezri-haddad-
6732/
73 Mezri Haddad. Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ! Espace Manager,
23 Novembre 2016.

https://www.espacemanager.com/mezri-haddad-quils-me-haissent-pourvu-quils-me-
craignent.html
74 Ibid.
75 https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id
=207:mezri-haddad-repond-a-naoufel-brahimi-el-mili-&catid=46:qprintemps-
arabeq&Itemid=119%20Mezri%20Haddad%20r%C3%A9pond%20%C3%A0%20Naou
fel%20Brahimi%20El-Mili
76 Ce que CIGPA pense des élections américaines. CIGPA,11 mai 2016.
https://cigpa.org/cigpa-pense-elections-americaines/
77 Ce que CIGPA pense des élections américaines. CIGPA, 11 mai 2016.

Page 188
Maillage idéologique et politique

http://cigpa.org/wp-content/uploads/2017/02/Elections-am%C3%A9ricaines-CIGPA-
mai-2016.pdf
78 https://cigpa.org/category/rapports/rapports-externes/
79 Allocution du premier ministre Manuel Valls, Plan d’action contre la radicalisation et le
terrorisme, 9 mai 2016.

https://wwwcigpa.org/wp-content/uploads/2016/05/Plan-daction-Manuel-Valls-2.pdf
80 Malek Boutih, Député de l’Essonne, Génération Radicale, juin 2015. Rapport de
mission parlementaire auprès du ministère de l’intérieur, décrété par le premier ministre le
26 février 2015.

http://cigpa.org/wp-content/uploads/2016/05/G%C3%A9n%C3%A9ration-
radicale.Malek-Boutih-pdf.pdf
81 Commission d’enquête présidée par Georges Fenech, Enquête relative aux moyens mis
en œuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, enregistrée à
la présidence de l’Assemblée nationale le 5 juillet 2016.

http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-enq/r3922-t1.pdf
82 Hakim El Karoui. Un Islam français est possible. Institut Montaigne, septembre 2016.

https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/institut_montaigne_-
_un_islam_francais_est_possible.pdf
83Commission des affaires étrangères présidée par Jacques Myard. Rapport d'information
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 14 novembre 2012
sur les Révolutions arabes, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20
novembre 2013.

http://cigpa.org/wp-content/uploads/2016/05/Rapport-Glavany-R%C3%A9v-
arabes.pdf
84 Ibid. p. 104.
85https://www.lemonde.fr/international/article/2017/10/06/de-gaza-a-abou-dhabi-l-
ascension-de-l-intrigant-mohammed-dahlan_5197098_3210.html
86 Benjamin Barthe. Op.cit.
87 Richard Labévière. Op.cit.

https://www.afrique-asie.fr/terrorisme-colloque-barbouzard-a-geneve/
88Noon Post. Mohammed Dahlan... Le mercenaire de Ben Zayed et la pieuvre de ses
conspirations au Moyen-Orient (en arabe). Noon Post, 9 juillet 2020.

http://www.noonpost.com/content/37604
89 Mohammed Omer. Return to Dahlanistan? Middle East Eye, 13 février 2015.

189
Moussa Benmohammed

https://www.middleeasteye.net/fr/node/10487
90 Ibid.
91 Ibid.
92 Ibid.
93 Noon Post. Op.cit.
94 Benjamin Barthe. Op.cit.
95
Thierry Oberlé. Mohammed Dahlan, un Palestinien dans l’ombre de l’accord Israël-
Émirats. Le Figaro, 18 août 2020.

https://www.lefigaro.fr/international/mohammed-dahlan-un-palestiniendans-l-ombre-
de-l-accord-israel-emirats-20200818
96 Mohammed Omer. Op.cit.
97David Hearst. Mohammed Dahlan a fait l’objet d’une enquête de la CPI pour ses liens
avec Saïf al-Islam. Middle East Eye, 14 octobre 2017.

https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/exclusif-mohammed-dahlan-fait-lobjet-
dune-enquete-de-la-cpi-pour-ses-liens-avec-saif-al
98 Ibid.
99 Ibid.
100 Ibid.
101 Jamie Merrill et Mohammad Ayesh. Libye : les Émirats Arabes Unis enfreignent
l’embargo de l’ONU en fournissant des armes à Haftar. Middle East Eye, 12 juin 2017.

https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/libye-les-emirats-arabes-unis-enfreignent-
lembargo-de-lonu-en-fournissant-des-armes
102Milenko Nedelskovski, 'The exile in the Balkans of Mohammed Dahlan', VoltaireNet,
1 February 2019; Antonela Riha, 'Serbia: who profits from arms sales?', Osservatorio Balcani
e Caucaso Transeuropa, 28 octobre 2019; Rori Donaghy. Les transactions obscures des
Émirats Arabes Unis en Serbie. Middle East Eye, 1 août 2018.

https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/les-transactions-obscures-des-emirats-
arabes-unis-en-serbie
103René Naba. FIFA-Qatar : Le GNRD, alternative aux prescripteurs occidentaux ?
(2/3). Madaniya.info, 6 septembre 2016.
https://www.madaniya.info/2016/09/06/fifa-qatar-gnrd-alternative-aux-prescripteurs-
occidentaux-2-3/
104 UAE takes top spot in Middle East in global human-rights index.

Page 190
Maillage idéologique et politique

https://www.thenational.ae/uae/uae-takes-top-spot-in-middle-east-in-global-human-
rights-index-1.344619

https://freedomhouse.org/sites/default/files/2020-
105

02/Freedom_in_the_World_2013_complete_book.pdf
106https://www.cato.org/sites/cato.org/files/human-freedom-index-files/human-
freedom-index-2015.pdf
107 Hans Petter Aass, Arild I. Olsson, Jarle Aasland. The mysterious organisation.
Aftenbladet, 13 décembre 2018.

https://www.aftenbladet.no/magasin/i/On537E/the-mysterious-organisation
108Hans Petter Aass, Arild I. Olsson, Jarle Aasland. GNRD: Where did the money come
from? Aftenbladet, 18 décembre 2018.

https://www.aftenbladet.no/magasin/i/ka939j/GNRD-Where-did-the-money-come-
from
109 Hans Petter Aass. Menneskerettighets Topp dømt til fengsel (Un chef d'une
organisation de droits humains condamné à la prison). Aftenbladet, 17 octobre 2018.

https://www.aftenbladet.no/lokalt/i/A2yrEx/menneskerettighetstopp-dmt-til-fengsel
110GNRD, Balancing Counter-Terrorism and Human Rights: Challenges and
Opportunities, International Conference, Geneva, February 16-17 2015.
111 Ibid.
112 Brian Whitaker. The GNRD scandal. Al-bab.com, 16 janvier 2016.

https://al-bab.com/blog/2016/01/gnrd-scandal
113Brian Whitaker. A junket in Geneva... and GNRD's weird plan to fight terror. Al-
bab.com, 15 juin 2015.
114 Ibid.
115Julie Ward. Declaration of members’ attendance pursuant to an invitation at events
organized by third parties, 35 mars 2015.

https://www.europarl.europa.eu/ep-dat/124963_15-02-2015.pdf
116 Brian Whitaker. Op.cit.
117 Ibid.
118 Ibid.
119https://www.cf2r.org/wp-content/uploads/2015/01/programme-gnrd-conference-
hr-ct.pdf

191
Moussa Benmohammed

120René Naba. FIFA-Qatar : Haro sur une ONG phare, le GNRD (1/3). Madaniya.info, 1
septembre 2016.

https://www.madaniya.info/2016/09/01/fifa-qatar-haro-sur-une-ong-phare-le-gnrd-1-
3/
121René Naba, FIFA-Qatar : Le GNRD, alternative aux prescripteurs occidentaux ?
(2/3). Op.cit.
122 René Naba. FIFA-Qatar-Norvège GNRD : Epilogue (3/3). Madaniya.info,
11 septembre 2016.

https://www.madaniya.info/2016/09/11/fifa-qatar-norvege-gnrd-epilogue-3-3/
123 Rubrique « A propos / René Naba » sur le site renenaba.com.

https://www.renenaba.com/a-propos/
124 Registre de Commerce du Canton de Genève. Institut international pour la paix, la
justice et les droits de l'Homme – IIPJDH, en liquidation, 27 juillet 2010.

https://ge.ch/hrcintapp/externalCompanyReport.action?companyOfsUid=CHE-
115.547.609&lang=FR
125 Institut international pour la paix, la justice et les droits de l'Homme – IIPJDH, en
liquidation. Easymonitoring.ch, 27 juillet 2020.

https://www.easymonitoring.ch/fr/registre-du-commerce/institut-international-pour-la-
paix-la-justice-et-les-droits-de-l-homme-iipjdh-976291
126 Ibid. Rubrique « Commandement de payer ».
127Philippe Bach. Entrisme d’extrême-droite à la Maison des associations ? Le Courrier,
1 mars 2013.

https://lecourrier.ch/2013/03/01/entrisme-dextreme-droite-a-la-maison-des-
associations/
128 Ibid.
129Registre de Commerce du Canton de Genève. Institut Scandinave pour les Droits de
l'Homme / Fondation Haytham Manna, IDE/CHE-389.151.369. 27 juillet 2020.

http://ge.ch/hrcintapp/externalCompanyReport.action?companyOfrcId13=CH-660-
2938016-3&ofrcLanguage=1
130
René Naba. Haytham Manna, Président de l'opposition démocratique laïque syrienne.
Madaniya.info, 13 décembre 2015.
https://www.madaniya.info/2015/12/13/haytham-manna-president-de-l-opposition-
democratique-laique-syrienne/

Page 192
Maillage idéologique et politique

131 Brian Whitaker. Police say UAE is not cooperating with money-laundering
investigation. Al-bab.com, 13 mai 2018.

https://al-bab.com/blog/2018/05/police-say-uae-not-cooperating-money-laundering-
investigation
132 Brian Whitaker. Bankrupt rights group and an “encyclopedia of terrorism”. Al-
bab.com, 17 septembre 2016.

https://al-bab.com/blog/2016/09/bankrupt-rights-group-and-encyclopedia-terrorism
133Salim Koudil (Entretien). Lahouari Addi : « Je déposerais plainte contre l’auteur et la
maison d’édition ». Reporters.dz, 22 juin 2020.

https://www.reporters.dz/entretien-lahouari-addi-je-deposerais-plainte-contre-lauteur-
et-la-maison-dedition/
134 Page Facebook officielle des éditions APIC « Apic éditions », post facebook :

https://www.facebook.com/apiceditions/posts/2486081448279144

http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id
135

=515:2020-06-06-14-48-26&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119 ;

Mourad Dhina, « Réponse à Ahmed Ben Bensaada », 27 juin 2020.

https://rachad.org/fr/?p=1712
136
Sur le site alliance-editeurs.org sous la rubrique « Les éditeurs/Réseaux linguistiques
/Réseau francophone/APIC »

https://www.alliance-editeurs.org/apic,1419
137 Sur le site alliance-editeurs.org sous la rubrique « Partenaires »

https://www.alliance-editeurs.org/-Les-Partenaires-
138 Site officiel de l’AFD (afd.fr), pied de la page.
139 Site officiel de l’AFD, rubrique « foire aux questions »

https://www.afd.fr/fr/foire-aux-questions
140 https://centrenationaldulivre.fr/le-cnl-en-bref
141 Mirka Velinovska et Milenko Nedelkovski, ‘Mohammed Dahlan - the Crown Prince’s
Pit Bull’, Geopolitica, 7 février 2019.

https://www.geopolitica.ru/en/article/mohammed-dahlan-crown-princes-pit-bull

193
Moussa Benmohammed

Page 194
LE CIGPA, UN THINK-TANK ALIGNE SUR LA
POLITIQUE ETRANGERE FRANÇAISE

Seddouqiya Ben Aknoun

1. Introduction .............................................................................. 195


2. Objectifs : Une expertise « résolument universelle et totalement
objective »..................................................................................... 196
3. Activités : peu de recherche, beaucoup de conférences. .......... 197
4. Méthodes et Positions : un panel plus politique qu’académique,
une condamnation des printemps arabes .................................... 199
4.1. A propos de la Turquie et de Recep Tayyip Erdogan .................. 199
4.2. Egypte, Trump et Printemps arabes ............................................... 202
5. Conclusion : un think-thank au service de la politique étrangère
française ....................................................................................... 204

1. Introduction

Ahmed Bensâada est membre du comité du rédaction et


représentant à Montréal1 du Centre international de géopolitique et
de prospective analytique (CIGPA), un think-tank basé à Paris, qui
se présente comme « résolument autonome », « indépendant des
Etats, des groupes de pression, des partis politiques et des
Seddouqiya Ben Aknoun

institutions financières ». Le CIGPA a été fondé et est dirigé par


Mezri Haddad.i
La thèse qu’Ahmed Bensâada postule est que le hirak serait un
mouvement en quelque sorte téléguidé, notamment par les Etats-
Unis, à travers des personnalités politiques (dont Addi, Tabbou,
Bouchachi et Assoul) et des organisations algériennes, dont RAJ et
Rachad, qui feraient partie de ces « satellites » utilisés par les USA
pour faire main-basse sur le hirak et l’instrumentaliser afin de
déstabiliser l’Algérie.
Les différentes contributions à cet ouvrage se sont employées à
étudier le fond des positions défendues par M. Bensâada, afin d’en
évaluer la teneur réelle. Ici, nous compléterons ce travail en tentant
de cerner certains penchants politiques et idéologiques de
Bensâada, et ce en analysant un think-tank dont il est membre, le
CIGPA. Nous en étudierons les activités et les positions afin
d’examiner si les objectifs affichés correspondent bien aux buts
réellement poursuivis.
Pour ce faire, nous commencerons par faire une présentation
du think-tank, ses objectifs et ses activités. Sur cette base, nous
ferons un résumé des positions présentées et de la manière par
laquelle les thématiques choisies sont traitées. Nous ferons enfin
un bilan de l’examen de toutes ces données.
Notre méthode consistera à nous baser uniquement sur les
publications du CIGPA, afin que chacun puisse se faire un avis sur
la teneur réelle des activités de ce centre, sur la base de données
factuelles accessibles et vérifiables par tous.

2. Objectifs : Une expertise « résolument universelle et


totalement objective »

Les objectifs déclarés du CIGPA consistent à promouvoir une


meilleure compréhension des relations internationales, tout en
ciblant come « principal ennemis » (sic) les terroristes islamistes
ainsi que « les Etats qui les soutiennent », au sujet desquels le

i Ex-ambassadeur de Tunisie à l’UNESCO. Une section dans l’article précédent

« Maillage idéologique et politique » dans cet ouvrage lui est consacrée.

Page 196
Le CIGPA, un think-tank aligné sur la politique étrangère française

CIGPA précise bien que la lutte qui les y oppose n’implique pas
exclusivement des enjeux militaires ou sécuritaires, mais repose
aussi sur une profonde différence de valeurs. Le CIGPA se
revendique en effet des Lumières et d’un attachement profond à
l’humanisme et aux droits de l’homme. Le centre déclare désirer
mettre son savoir au service de la « vérité, de la tolérance et de la
paix dans le monde ».
Disant disposer de plusieurs bureaux dans le monde et réunir
des experts issus de divers horizons, le CIGPA tient à s’afficher
comme un think-tank qu’on ne pourrait accuser d’ethnocentrisme.
Le centre plaide pour un « véritable dialogue des religions » et se
réclame d’une vocation éthique. Le CIGPA n’a, en conclusion, pas
peur d’affirmer que « son cosmopolitisme et sa diversité lui
confèrent ainsi une capacité d’expertise et d’analyse totalement
objective et résolument universelle, à l’inverse des visions
occidentalo-centristes, culturalistes et arabo-centristes, ainsi que
des intérêts partisans de certains pays ou de certains groupes de
pression ».
Expertise, éthique et objectivité totale, telles sont donc les
qualités que l’on devrait attendre des activités du CIGPA. Que
donnent en réalité ces objectifs ambitieux ? Pour le savoir, nous
ferons une brève recension de toutes les activités du centre, puis
nous en présenterons les méthodes utilisées et les positions
défendues.

3. Activités : peu de recherche, beaucoup de


conférences.

Le site Internet du CIGPA présente les travaux réalisés dans les


rubriques « Nos colloques », « Actualités » (« CIGPA dans la
presse ») et « Rapports ».
Les « Actualités » reprennent, en plus des extraits vidéo de
colloques organisés par le CIGPA, des articles ou tribunes de
presse, écrits par des membres « réguliers » ou conférenciers
« occasionnels » du CIGPA. La quasi-totalité des articles sont
consacrés à la Turquie et au président Erdogan, parmi lesquels :
« Menace néo-ottomane en Méditerranée : les appétits de puissance

197
Seddouqiya Ben Aknoun

du néo-sultan Erdogan » (Valeurs Actuelles, 26 février 2020), « Où


va la Turquie avec Erdogan ? » (Le Figaro, 30 octobre 2016). L’un
des articles est consacré aux relations franco-égyptiennes : « Ne
soyons pas les idiots utiles des islamistes » (8 avril 2018, tribune
publiée sur le Figarovox).
Les « Rapports », à une exception près, sont en fait des liens
redirigeant vers des travaux parlementaires produits par des
politiciens français qui ne sont pas membres du CIGPA, mais dont
le travail a visiblement été jugé digne d’intérêt par le centre. Nous
retrouvons ainsi un rapport de l’Institut Montaigne (« Un islam
français est possible »), de Manuel Valls (« Plan d’action contre la
radicalisation et le terrorisme »), de Malek Boutih (« Génération
radicale »), de Jean Glavany (« Les révolutions arabes »), ou encore de
Jacques Attali (« La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance
durables »). En matière de rapports, la seule production originale du
CIGPA est un travail consacré à « Ce que CIGPA pense des élections
américaines ».i Nous y reviendrons.
On constate donc bien vite qu’à part ce rapport, l’activité
propre et originale du CIGPA réside exclusivement dans
l’organisation de colloques. Les thèmes traités y sont : « Turquie-
Occident-Monde arabe » (2016), « L’éventualité d’un rapprochement russo-
américain et ses conséquences politiques et géopolitiques sur l’Europe et le
monde arabe » (2017), « Printemps arabes, cinq ans après » (2016), « Les
investissements du Qatar en France, une équation à plusieurs inconnues »
(2017), « Les grands défis stratégiques de l’alliance franco-égyptienne »
(2018), « Les onze candidats à l’élection présidentielle face à la question de
l’Islam » (2017), « Retour des djihadistes en Europe, que faire ? » (2019),
« La dérive panislamiste et néo-ottomane d’Erdogan » (2020).
On ne trouvera donc pas auprès du CIGPA des rapports de
recherches fouillés et complets, mais on devra plutôt se contenter
de conférences et de colloques. Dans le monde de la recherche
universitaire, les colloques ont davantage vocation à présenter les
résultats de recherches qu’à les remplacer. Le CIGPA ne fait donc
qu’exposer les positions d’intervenants, sans fournir de travail de

i Il s’agit des élections qui ont opposé Donald Trump à Hilary Clinton, et dont l’issue

fut l’élection de Trump.

Page 198
Le CIGPA, un think-tank aligné sur la politique étrangère française

recherche propre. Le CIGPA apparaît donc plus comme une


association de conférenciers qu’un laboratoire d’idées. Reste à
savoir si les colloques ainsi que les rares articles écrits proposés
répondent aux critères d’une expertise « résolument universelle et
totalement objective »…

4. Méthodes et Positions : un panel plus politique


qu’académique, une condamnation des printemps
arabes

De tous les travaux recensés, articles, rapports, colloques, en


incluant ce qui ne fait que reprendre des productions externes au
CIGPA, on constate une focalisation importante sur le thème du
« terrorisme islamiste » et sur un pays en particulier, la Turquie
d’Erdogan. Deux colloques lui sont consacrés, ainsi que six des
sept articles au total repris par le centre. Nous nous pencherons ici
plus en détails sur la façon dont le sujet « Turquie » est traité par le
CIGPA.

4.1. A propos de la Turquie et de Recep Tayyip Erdogan

Le moins que l’on puisse dire est que la position du CIGPA est
peu amène envers le président turc : depuis le premier colloque
organisé par le CIPGA en 2016, Erdogan est accusé de nourrir des
ambitions « impériales et néo-ottomanes ».2 Les titres des
communications de ce colloque permettent d’apprécier clairement
l’analyse faite de la politique d’Erdogan : « La Turquie des Frères
Musulmans est bien néo-ottomane », « Les ambitions néo-califales de Recep
Tayyip Erdogan », « Comment la Turquie a-t-elle basculé de la République
séculière à la République islamique ? », « La Turquie au Moyen-Orient ou
l’art de jouer sur tous les tableaux ». Dans le descriptif, la Turquie est
accusée franchement d’entretenir des « relations troubles avec
Daech » et de nourrir avec l’organisation une « convergence
objective d’intérêt devenue un peu trop visible ». La Russie, a
contrario, est présentée comme « étant la seule puissance à
combattre sérieusement et indistinctement Daech, Al-Qaïda, Al
Nosra et autres rebelles dits ‘modérés’ en Syrie ».

199
Seddouqiya Ben Aknoun

Dans son deuxième colloque consacré à la Turquie,3 en février


2020, le titre même de l’évènement ne laisse guère de place au
doute : « La dérive pan-islamiste et néo-ottomane d’Erdogan : Chypre,
Arménie, Grèce, Libye, Syrie, Irak, Égypte, Tunisie, les Balkans,
l’Europe… Comment l’allié occidental est-il devenu une menace globale ? ».
Le ton est donc donné, le CIGPA considère que la Turquie
d’Erdogan représente une menace globale de nature « pan-
islamiste », et agite le sceptre du « retour » de l’Empire ottoman. Le
descriptif revient sur le colloque organisé en 2016 et avance que
depuis, les évènements n’ont fait que donner raison au CIGPA, qui
avait correctement identifié « les ambitions panislamistes et
irrédentistes » auxquelles « le monde libre » va devoir faire face. Le
but est clairement énoncé : alerter les Etats concernés, tant arabes
qu’occidentaux, sur la nécessité d’anticiper les réponses à apporter
aux « périls multifactoriels » causés par la Turquie. Les
communications du colloque s’inscrivent bien sûr dans la même
tendance et dénoncent « le rôle crucial de la Turquie dans la
destruction programmatique de la Syrie », « la stratégie de
l’intimidation » de la Turquie (« comment Erdogan est-il parvenu à
prendre le contrôle de l’Islam en Europe ? ») et même la situation
de « la Tunisie, un pays satellisé sous soft power ottoman ». Sur
l’affiche de l’évènement,4 la Turquie se voit, de surcroit, accusée
d’avoir « incité à la guerre civile en Egypte en soutenant les Frères
Musulmans ».
Critiquer sur le fond les positions du CIGPA ne fait pas l’objet
de la présente note. Cependant, nous ne pouvons que constater
que le think-tank semble utiliser un ton qui révèle un biais certain :
le « neo-califat » turc est une « menace globale » contre le « monde
libre », a détruit la Syrie et l’Egypte, et menace l’Europe. Autant
d’éléments de langage qui ne relèvent nullement de la rigueur d’une
recherche académique. L’organisation des dits colloques infirmera-
t-elle notre impression ?
Dans le colloque de 2016, les quinze intervenants recensés, sans
y inclure les modérateurs, comptent quatre conférenciers arabes,
un chypriote, le reste étant composé exclusivement d’intervenants
français. Les intervenants sont soit journalistes, soit issus du
monde académique, voire cumulent plusieurs casquettes à la fois,

Page 200
Le CIGPA, un think-tank aligné sur la politique étrangère française

mais plusieurs sont également impliqués en politique, parmi


lesquels Hasan Asfour, anciennement ministre de l’Autorité
Palestinienne, François Compagnola, ancien chargé de mission au
ministère français de la Défense et membre du think-tank « Institut
de Prospective et Sécurité en Europe » (IPSE), Michel Raimbaud,
ambassadeur de France, Zohra Mansour, « ex-dirigeante politique
au ministère des Affaires féminines » (Libye, sous Kadhafi). On
pourrait également citer Bernard Godard, ancien haut cadre des
Renseignements Généraux, et bien sûr Michális Attalídis,
ambassadeur et ancien chef de la Mission chypriote auprès de la
communauté européenne et ancien ministre des Affaires étrangères
chypriotes.
Le colloque de 2020 compte également quinze intervenants,
quatre issus du monde arabe, un chypriote et un grec, le reste des
conférenciers étant français. Là encore, certains intervenants sont
issus du monde académique ou médiatique mais pour le coup, pas
moins de huit membres du panel sont impliqués en politique,
parmi lesquels Ahmed Abdallah Aboud, conseiller politique du
maréchal Haftar (Libye), Valérie Boyer, députée Les Républicains,
sans oublier la présence notable de Giórgos Lillíkas (politicien
chypriote et ancien ministre des Affaires étrangères de la
République de Chypre) ou encore de Panos Kammenos (politicien
grec, ancien ministre de la Défense nationale et président du
mouvement politique Grecs indépendants).
En conclusion, le sujet « Turquie » est non-seulement traité avec
un biais évident, mais le panel d’experts invités est d’une
composition curieuse : premièrement, les intervenants sont, à
chaque fois, pour la plupart français, ce qui paraît délicat lorsqu’on
prétend s’inscrire dans une démarche universelle. Deuxièmement,
au moins la moitié (voire même la majorité) des intervenants sont
issus du monde politique : députés (français), anciens cadres des
RG, anciens ministres (français)… On retrouvera même d’anciens
membres de régimes déchus par les printemps arabes (comme la
libyenne Zohra Mansour), ainsi que des politiciens grecs et
chypriotes… Mais curieusement aucun politique turc. Quand on
connaît le conflit opposant la Turquie à la Grèce et Chypre, on ne

201
Seddouqiya Ben Aknoun

peut sérieusement prétendre à l’objectivité en organisant des


colloques à ce point orientés.
Etrangement, outre la présence d’anciens ministres des Affaires
étrangères chypriotes dans les colloques du CIGPA, les liens fort
de ce centre et de son fondateur, Mezri Haddad, se reflètent dans
les organes du CIGPA : Evagoras Mavrommatis, président de la
communauté chypriote d’Europe, est membre de la commission
politique du centre et Michális Attalídis, ancien ministre des
Affaires étrangères chypriotes, est membre de sa commission
scientifique. Par ailleurs, Mezri Haddad est codirecteur du Daedalos
Institute of Geopolitics, fondé en mai 2006 à Nicosie par le Conseil
des ministres de Chypre et dont la mission est décrite comme suit
par un autre ministre chypriote des Affaires étrangères, Markos
Kyprianou :
Le Daedalos Institute of Geopolitics, établi en 2006, a une mission, entre
autres tâches, de fournir une analyse et des conseils indépendants et
impartiaux sur les questions pertinentes de politique étrangère.5

4.2. Egypte, Trump et Printemps arabes

Peut-être que la Turquie est la seule thématique bénéficiant de ce


« traitement de faveur » de la part du CIGPA ? Pour nous en
assurer, nous avons voulu « laisser une chance » supplémentaire au
think-tank « d’une objectivité totale » et examiner la manière dont
d’autres sujets sont traités. De cette manière nous pourrons
également étayer notre examen de la position idéologique du
CIGPA.
Le colloque de 2018 consacré à l’Egypte6 et traitant des « grands
défis stratégiques de l’alliance franco-égyptienne » compte
également un grand nombre (huit des douze intervenants !) de
personnalités issues du monde politique, parmi lesquels Henri
Guaino, ancien conseiller du président Sarkozy, Hubert Védrine et
Hervé de Charette, anciens ministres des Affaires étrangères, ainsi
que plusieurs anciens membres du gouvernement du président
égyptien déchu Hosni Moubarak…
Le but du colloque était de réfléchir aux relations à construire
entre la France et l’Egypte, en mettant de côté les « homélies

Page 202
Le CIGPA, un think-tank aligné sur la politique étrangère française

victimaires » des uns et les « oukases autoritaires des autres ». A


propos des élections présidentielles de 2018,i le descriptif du
colloque les décrit de la sorte :
Pour les uns, l’Egypte vit sous une « dictature militaire » et les
élections n’y sont qu’une « supercherie ». Pour les autres, ces
élections, si imparfaites soient-elles, constituent une étape décisive
dans un « processus démocratique » d’autant plus fragile qu’il dépend
de trois grandes contraintes.

De façon intéressante, certains passages du descriptif du


colloque sont repris, mot pour mot, par Mezri Haddad dans la
tribune qu’il publiera au Figarovox (« Ne soyons pas les idiots utiles des
islamistes »7), à la seule différence qu’ils sont cette fois agrémentés
de commentaires ne laissant aucun doute sur la position de
l’auteur :
Pour les uns, les Frères musulmans et leurs sympathisants islamo-
gauchistes en France, l’Egypte vit sous une « dictature militaire » qui
réprime les libertés individuelles et emprisonne les opposants. Les
élections présidentielles ne seraient par conséquent qu’une
« mascarade », raison pour laquelle il faudrait les boycotter. Cette
litanie est relayée par les ayatollahs du droit-de-l’hommisme
orthodoxe, qui ont beaucoup perdu de leur éclat depuis le sacro-saint
« printemps arabe », dont on mesure aujourd’hui les effets
d’agrégation tant pour les pays arabes dévastés, Tunisie, Libye, Syrie,
Yémen, que pour les pays européens, eu égard à l’invasion migratoire
et à la métastase de l’islamisme criminel, qui vient encore de frapper
dans l’Aude.

Les autres, qui « croient » en l’élection présidentielle égyptienne,


sont, par contre, décrits comme « notamment les observateurs et
les spécialistes qui connaissent bien la réalité sociale, politique,
géopolitique, économique et sécuritaire de ce pays ».
Dans la suite de la tribune, Mezri Haddad loue la « résistance »
d’Emmanuel Macron face aux « pressions moralisatrices »
d’organisations de droits de l’homme. Pour M. Haddad, le

i Les élections égyptiennes de 2018 eurent pour issue la réélection, sans surprise, du

président Sissi. Ces élections succèdent à celles de 2014, qui firent suite au coup d’état de
2013 perpétré contre le président Morsi, élu suite à la destitution du régime de Hosni
Moubarak.

203
Seddouqiya Ben Aknoun

gouvernement égyptien recherche un « juste équilibre entre


sécurité et liberté ». Les élections de 2014, successives au coup
d’Etat de Sissi8 et les élections de 2018, suite auxquelles Sissi fut
réélu, avaient le même enjeu : le choix « entre la sécurité, la paix
civile, le progrès économique et sociale d’une part, et le pouvoir
islamo-terroriste des Frères musulmans d’autre part ».
Comme pour la Turquie donc, le colloque consacré à l’Egypte
est décrit d’une manière qui ne préjuge rien de bon sur son
objectivité. Dans la tribune de Mezri Haddad, qui est, rappelons-le,
fondateur et président-directeur du CIGPA, l’orientation que le
think-tank a voulu donner au colloque se voit particulièrement
éclaircie : soutien à Emmanuel Macron dans sa politique de
rapprochement avec le régime du maréchal Sissi, balayage d’un
revers de main des plaintes des organisations des droits de
l’homme, le tout avec, là encore, des éléments de langage
démontrant l’absence totale de scrupule académique. Sans surprise,
le panel d’experts convoqué au colloque fut soigneusement
sélectionné : huit intervenants sans autre expertise que leur
implication ancienne ou actuelle en politique, une majorité
d’intervenants français, et parmi les invités égyptiens, une
majorité… d’anciens membres ou ambassadeurs à l’époque du
régime de Hosni Moubarak.
Si on voulait s’ôter le moindre doute sur l’orientation et les
méthodes du CIGPA, il suffirait de lire son rapport de mai 2016
consacré aux élections américaines,9 où le CIGPA annonce
« souhaiter ardemment » la victoire de Donald Trump, afin
d’opérer une rupture avec la politique d’Obama, qui a détruit « par
son soft power » plusieurs pays arabes, à cause de son soutien au
printemps arabe « qui n’était qu’un ‘hiver islamo-atlantiste’ »…

5. Conclusion : un think-thank au service de la politique


étrangère française

Parce que Ahmed Bensâada n’a de cesse d’accuser le hirak d’être


sous influence américaine, nous avons voulu agrémenter cet
ouvrage d’une analyse « institutionnelle » en examinant quelques-
unes des activités d’Ahmed Bensâada. Pour ce faire, nous nous

Page 204
Le CIGPA, un think-tank aligné sur la politique étrangère française

sommes penchés sur le CIGPA, dont Ahmed Bensâada est


membre du comité de rédaction et représentant à Montréal.
Le CIGPA se présente comme un laboratoire d’idées éthique,
objectif et autonome. A l’issue de l’examen des données factuelles
recueillies sur le CIGPA, nous pouvons faire les constatations
suivantes :
1. Le CIGPA n’est pas un laboratoire d’idées : les think-tank en
général sont vus avec distance par le monde de la recherche
académique. Etant des organismes privés, leur financement peut
être obscur et donc influer sur le résultat de leurs recherches.
Cependant, ils peuvent être jugés dignes de considération à partir
du moment où ils s’efforcent de publier des recherches sérieuses.
Le CIGPA, lui, se borne essentiellement à organiser des colloques,
tout en se proclamant haut et fort d’une objectivité totale, ce que
même les meilleurs centres de recherche universitaires ne font pas.
2. Le CIGPA n’est pas objectif : il ne s’agit pas ici d’émettre un
jugement de valeur, ou même de nous pencher sur le fond des
positions défendues par le CIGPA, mais juste d’examiner les faits.
Les colloques organisés par le CIGPA ne sont pas interculturels,
car la plupart des intervenants sont français. Ils ne sont pas
« académiques », car s’ils réunissent parfois certains experts
effectivement professeurs d’université ou chercheurs, ils se limitent
essentiellement à inviter des journalistes mais surtout, des
politiques ou ex-politiciens. Pour étudier la Turquie, le CIGPA,
dont le directeur est codirecteur du Daedalos Institute of
Geopolitics chypriote, convie des politiciens français, chypriotes,
grecs, mais aucun turc. Pour étudier les liens entre la France et le
régime de Sissi, élu suite à la destitution de Morsi (issu des
premières élections égyptiennes libres suite au printemps arabe), le
CIGPA convoque des politiciens français et des politiciens
égyptiens… dont la plupart avaient officié sous le régime déchu de
Hosni Moubarak.
3. Le CIGPA a une éthique à géométrie variable : tout en se
réclamant des droits de l’homme, il est prêt à relativiser les
violations massives des droits humains commises par les régimes
autoritaires comme celui de Sissi en Egypte, au nom de la lutte

205
Seddouqiya Ben Aknoun

contre « l’hiver islamo-atlantiste » qui aurait été causé par les


printemps arabes, que le CIGPA honnit ouvertement. Comme on
l’a vu, c’est sur la base de cette éthique changeante que
l’autoritarisme d’Erdogan est dénoncé, la Turquie étant même
décrite comme une menace panislamiste globale, tout en
encourageant Macron à fermer les yeux sur l’autoritarisme de Sissi.
En résumé, le CIGPA est un think-tank qui est davantage un
producteur de communications que d’idées et encore moins de
recherches. Ces communications, transmises sous forme de
colloques, réunissent des « experts », qui en fait sont la plupart du
temps issus du monde politique français : anciens ambassadeurs,
anciens ministres, anciens cadres des RG, députés… En fait de
diversité, on a surtout droit à des intervenants dont le
« background » semble peu se prêter à la constitution d’un panel
riche et diversifié : ainsi, pour discuter des liens avec le régime de
Sissi, seront convoqués certes quelques universitaires, mais surtout
un grand nombre de politiciens français, ainsi que quelques anciens
acteurs politiques ayant officié sous le régime de Moubarak. Pas
d’opposants, pas de militants. Pour discuter de la Turquie, on
convoquera également un ancien cadre des RG, des politiciens
français, des politiciens chypriotes et grecs, et bien sûr, aucun
représentant d’une vision du sujet proche de la Turquie.
On s’aperçoit finalement que les sujets traités et les positions
tenues concordent étrangement avec la politique étrangère de la
France : Turquie décrite comme une menace, focalisation de type
sécuritaire sur la lutte contre l’islamisme, plébiscite de l’alliance
entre la France et le régime de Sissi… Le CIGPA ne s’en cache
même pas, son panel d’experts étant à chaque fois, pour la
majorité, français, et fortement politisés.
Compte tenu des liens qui lient Ahmed Bensâada avec ce think-
tank, on ne peut que s’étonner des critiques qu’il fait au
mouvement du hirak en général et à Rachad en particulier. Peut-on
accuser un mouvement populaire ou une organisation d’être
l’instrument des Américains, lorsque notre « méfiance » des
mouvements de contestation des dictatures arabes coïncide en tout
point à celle d’un think-tank idéologiquement et politiquement
orienté au service de la politique étrangère française ?

Page 206
Le CIGPA, un think-tank aligné sur la politique étrangère française

Notes de référence

1 https://cigpa.org/lequipe/comite-de-redaction/ et https://cigpa.org/mezri-haddad-
printemps-arabe-bilan-securitaire-economique-geopolitique/
2https://cigpa.org/events/colloque-de-cigpa-15-octobre-turquie-occident-monde-
arabe/
3https://cigpa.org/events/colloque-cigpa-29-fevrier-2020-la-derive-panislamiste-et-neo-
ottomane-derdogan/
4 https://cigpa.org/wp-content/uploads/2020/02/COLLOQUE-Turquie-2020-f.pdf
5http://www.mfa.gov.cy/mfa/mfa2016.nsf/All/5669E860BB065B5CC2257FAA0030D
D26?OpenDocument
6 https://cigpa.org/events/grands-defis-strategiques-de-lalliance-franco-egyptienne/
7 https://cigpa.org/relations-franco-egyptiennes-ne-soyons-idiots-utiles-islamistes/
8Human Rights Watch dénonça à cette occasion un massacre planifié à l’avance :
https://www.hrw.org/report/2014/08/12/all-according-plan/raba-massacre-and-mass-
killings-protesters-egypt
9http://cigpa.org/wp-content/uploads/2017/02/Elections-américaines-CIGPA-mai-
2016.pdf

207
Seddouqiya Ben Aknoun

Page 208
LA FABRIQUE DE LA MAIN ETRANGERE

Un clerc au service du contre hirak

Makhlouf Larioui

1. Le contexte ............................................................................... 209


2. L’introduction ........................................................................... 213
3. L’accompagnement .................................................................. 214
4. Le lancement ............................................................................ 216
5. La glorification ......................................................................... 218
6. L’impact.................................................................................... 220

1. Le contexte
Une revue de la couverture médiatique de l’opuscule d’Ahmed
Bensâada « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? »1
montre qu’il s’agit d’une campagne publicitaire bien orchestrée et
préparée d’avance, s’inscrivant dans une tentative d’apporter de
l’autorité « académique » à la thèse de la « main étrangère » chère
aux officines et relais du régime militaire algérien et utilisée à
chaque fois que le peuple affiche une volonté de changement.
Comme le souligne Kamel Lakhdar Chaouche dans son article
« L’Algérie et la théorie de “la main étrangère” », dans lequel il
retrace l’historique de l’utilisation de l’épouvantail de la « main
étrangère » depuis l’indépendance,
Makhlouf Larioui

Le système algérien, comme dans toutes les dictatures militaires, a


conscience que l’administré est plus enclin à focaliser son regard sur
l’ennemi fantomatique extérieur que sur les monstres de l’intérieur
qui sévissent en toute impunité. Il ne lui reste plus qu’à jouer sur la
fibre patriotique de l’Algérien qui est allergique à tout ce qui est
étranger.2

Ainsi, c’est tout naturellement que dès le début du hirak, le


commandement militaire algérien a agité le spectre de la « main
étrangère » et lors d’une visite à la 5e Région Militaire, le 30 avril
2019, l’homme fort de l’époque, le Général de Corps d'Armée
Ahmed Gaïd Salah, Vice-Ministre de la Défense Nationale, Chef
d'Etat-Major de l'Armée Nationale Populaire, déplorait, à peine
quelques semaines après le début du hirak le 22 février 2019,
l'apparition de tentatives de la part de certaines parties étrangères,
partant de leurs antécédents historiques avec notre pays, poussant
certains individus au-devant de la scène actuelle en les imposant
comme représentant du peuple en vue de conduire la phase de
transition, afin de mettre en exécution leurs desseins visant à
déstabiliser le pays et semer la discorde entre les enfants du peuple, à
travers des slogans irréalisables visant à mener le pays vers un vide
constitutionnel et détruire les institutions de l'Etat […] [et]
compromettre tout ce qui a été réalisé depuis l'indépendance à ce
jour, en termes d'acquis et de réalisations qui demeurent la fierté des
générations.3

Cette campagne publicitaire autour du lancement de l’opuscule


d’Ahmed Bensâada, menée notamment par les médias et organes
de presse officiels, intervient dans un contexte politique et
médiatique verrouillé en Algérie. Le régime militaire contrôle tout :
télévisions et radios publiques et « privées », journaux et plusieurs
sites Internet. Au plus fort du hirak, lorsque des millions de
citoyens sortaient dans les rues pour manifester leur désir d’un
changement réel du système politique, les médias algériens sous les
ordres les ignoraient ou, parfois, passaient des images des marches
accompagnées de commentaires mensongers en faveur du régime.
Ce dernier ne tolère que les voix concordantes avec sa vérité
officielle. L’autocensure règne et les voix dissonantes sont
censurées et réprimées.

Page 210
La fabrique de la main étrangère

Le contrôle des médias par le régime s’opère par la vieille


politique de la carotte et du bâton. Il assure leur loyauté grâce aux
annonces publicitaires qu’il leur octroie, dont les recettes sont
essentielles pour leur survie, et répond aux velléités
d’indépendance de ceux d’entre eux qui souhaitent s’affranchir de
sa tutelle par la répression, qui s’est gravement intensifiée depuis la
nomination d’Ammar Belhimer comme ministre de la
Communication. Ce dernier a vraisemblablement reçu l’injonction
de durcir le contrôle médiatique du centre qui détient le pouvoir
véritable, à savoir les services de renseignement du « Centre
Belaroussi »i ou du « Centre Abla »ii à Ben Aknoun. En plus du
contrôle direct et effectif par ces centres de bataillons de
journalistes dans la presse et l’audiovisuel qui se transforment avec
le temps et l’excès de zèle en véritables « commandos
médiatiques »,4 le régime militaire utilise son « bras judiciaire » pour
prévenir et mater toute tentative d’échapper à son contrôle. Ainsi,
pour museler davantage les médias, le ministre illégitime de la
Justice du régime, Belkacem Zeghmati, a fait voter le 22 avril 2020,
par un parlement tout aussi illégitime, dans le cadre de la réforme
du code pénal, une loi liberticide5 qui, selon Saïd Salhi, vice-
président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de
l’Homme (LADDH), « va à l’encontre des aspirations du peuple
algérien et de sa volonté d’édifier un Etat démocratique ».6
Cet arsenal judiciaire, visant à sanctionner lourdement les
médias et les journalistes qui diffusent des informations pouvant
« porter atteinte à l’ordre et à la sécurité publics [… et] à la sûreté
de l’Etat et à l’unité nationale », ou qui bénéficient de financements
étrangers, des termes vagues que les procureurs et les juges aux
ordres interprètent à leur guise, nous rappelle l’Arrêté

i Centre de communication et de diffusion (CCD) des services de renseignement

algériens, dirigé successivement par le colonel Tahri Zoubir, alias Hadj Zoubir, le colonel
Fawzi, le colonel Bouzidi, alias Okba, et qui contrôle l’ensemble de média nationaux et
pilote la politique de manipulation, de propagande et de désinformation du régime
militaire.
ii Il s’agit du « Centre Antar », nom de la caserne qui abrite le Centre principal des

opérations (CPO) des services de renseignement algériens, rebaptisé par les Algériens
« Centre Abla ». Ce centre a la triste réputation d’être le théâtre de la torture souvent
mortelle de beaucoup d’innocents.

211
Makhlouf Larioui

interministériel relatif au traitement de l’information7 édicté le


7 juin 1994, conçu justement pour accompagner la répression des
années 1990, et dont la septième section prescrit aux journalistes
d’amplifier la « collusion avec l’étranger » :
7°) Mise en relief de la collusion avec l’étranger

• Soutien financier, logistique, etc. de l’Iran, du Soudan…

• Formation des afghans.

• Appel à boycotter l’Algérie et à nuire à ses intérêts économiques


vitaux.

• Contacts avec les puissances étrangères pour négocier leur soutien


en contrepartie de promesses ou d’engagements de servir les intérêts
de ces puissances en Algérie.

• Tractations secrètes avec les ennemis de l’Algérie.

• Etc.

Les lignes éditoriales de certains organes médiatiques donnent


l’impression distincte qu’une circulaire similaire est aujourd’hui en
vigueur avec le Qatar, la Turquie et les Frères Musulmans
vraisemblablement à la place de l'Iran et du Soudan !
Ainsi la férocité de la répression des médias rebelles (détention,
harcèlement judiciaire et sécuritaire, fermeture) a touché ces
derniers mois plusieurs journalistes connus et reconnus pour leurs
professionnalisme et indépendance, tels que Mustapha Bendjama,
Adel Azeb Chikh, Belkacem Djir, Khaled Drareni, Abdelkrim
Zeghileche, Abdessami Abdelhai et d’autres, ainsi que des sites
d’information crédibles tels que « Maghreb Emergent », « Radio M » et
« Interlignes » censurés comme d’autres pages politiques dont celle
du Mouvement Rachad. Cette répression des médias libres a été
vivement critiquée par les défenseurs des droits de l’homme en
Algérie, ainsi que par les organisations internationales de défense
des journalistes et de la liberté de la presse, comme Reporters Sans
Frontières,8 qui d’ailleurs situe l’Algérie en matière de liberté de
presse, en 2020, à la 146e place sur 180 au classement mondial.9

Page 212
La fabrique de la main étrangère

Cette note tente de montrer comment Ahmed Bensâda et son


opuscule ont été utilisés par le régime algérien pour fabriquer un
« expert » en sciences politiques et un « héro » national qui se
dresserait contre les ennemis de l’Algérie. La promotion de son
œuvre complotiste, lustrée d’un vernis pseudo-académique, faisant
écho à la propagande anti-hirak, sera esquissée en détail.

2. L’introduction

Ahmed Bensâada est connu des lecteurs de la presse algérienne dès


2011, avec les comptes rendus publiés sur son « Arabesque
américaine ».10 Le 21 avril 2019, Alia Boukhari lui organise un
entretien11 dans le quotidien El Djoumhouria sur le hirak et
l’intervention étrangère, et vers la fin de 2019, il sera médiatisé par
les canaux de la communication officielle du gouvernement et de
leurs relais médiatiques.
Ainsi, quelques jours avant les élections présidentielles
imposées par les militaires, alors que la majorité des Algériennes et
des Algériens scandaient lors des marches hirakiennes leur refus de
ces élections, la « Radio Algérienne » portait la voix d’Ahmed
Bensâada, le 1er décembre 2019, qui excluait le fait que l’Algérie ne
soit pas ciblée par les complots étrangers.12 Le quotidien « Le
Courrier d'Algérie » publie le 2 décembre 2019 un entretien par Ania
Nait Chalal d’Ahmed Bensâada déclarant que le hirak « pose des
problèmes sérieux de démocratie ».13 Le quotidien « Aljazaïr
Alyawm » lui fait aussi écho pour dire, le 5 décembre 2019, qu’il
existe des indices montrant que le hirak est exploité pour servir des
agendas étrangers.14 Toujours le 5 décembre 2019, Ahmed
Bensâada confie au journaliste Mohamed Boutrar du quotidien
« El Wassat » que « les Etats-Unis ont soutenu matériellement une
ONG des droits de l’homme et en ont fait un fuel pour allumer le
hirak en Algérie ».15
Le 2 janvier 2020, Hocine Neffah publie une longue interview16
d’Ahmed Bensâada, dans les colonnes de « L'Expression », pour
évoquer le financement américain des ONG algériennes. Il y
annonce grosso modo le contenu de « Qui sont ces ténors autoproclamés
du Hirak algérien ? », cinq mois avant sa parution. C’est une
première « avant-première » !

213
Makhlouf Larioui

Quelques jours avant le lancement de son opuscule, Ahmed


Bensâada est présenté, le 27 mai 2020, par l’APS, en français,17
comme un universitaire, et le 28 mai 2020 par le ministère algérien
de la Communication, en arabe,18 comme un analyste politique qui
plaide pour l’encadrement juridique du financement étranger des
ONG en Algérie.
Le 3 juin 2020, Hocine Neffah publie un article dans les
colonnes de « L'Expression » intitulé « Le professeur Ahmed
Bensaâda dénude les officines qui instrumentalisent les ONG : Les
dessous d'une nébuleuse ».19 C’est une seconde « avant-première » !

3. L’accompagnement
Comme le soulevait Abdelghani Aichoun dans El Watan, le hirak
est la cible d’attaques simultanées et « la parution de cet ouvrage
[de Bensâada] coïncide avec deux interventions, faites quelques
jours plus tôt, toujours sur des médias publics, et allant dans le
même sens. »20 Et le journaliste d’ajouter :
C’est bien évidemment la multiplication de ces interventions,
évoquant la main étrangère – un discours, faut-il le préciser, cher au
pouvoir en place et qu’il développe à chaque fois qu’il fait face à une
contestation importante – en un laps de temps court qui pousse les
uns et les autres, notamment parmi les acteurs et manifestants du
hirak, à se poser des questions.21

Il s’agit des interventions de Mohamed Bouhamidi et de


Mohamed-Lakhdar Maougal, survenues quasi-simultanément
quelques jours avant la parution de l’opuscule d’Ahmed Bensâada,
pour l’accompagner et élargir la base « académique » de soutien à
ses thèses.
Mohamed-Lakhdar Maougal, professeur de sociologie, a
alimenté la thèse de Bensâada, quelques jours avant la parution du
livre d’Ahmed Bensâada, avec un « scoop » livré le 25 mai 2020 sur
la chaine de télévision nationale « Canal Algérie » : « Le hirak a
démarré après une réunion à Paris. […] [Une réunion]
commanditée par la chaine Al Magharibia ».22
Quant à Mohamed Bouhamidi, enseignant de philosophie, il est
intervenu, un jour plus tard, dans un entretien accordé à l’APS le

Page 214
La fabrique de la main étrangère

26 mai 2020, pour déclarer que « le hirak originel n’existe plus »,23
et qu’un néo-hirak dévoyé aurait pris sa place. Il date ce
basculement au 29 avril 2019, date à laquelle il avait d’ailleurs
rédigé un article sur son blog24 véhiculant les mêmes thèses
d’Ahmed Bensâada. Le même jour, le 26 mai 2020, la « Radio
Algérienne »25 et le quotidien « El Moudjahid »26 publient
simultanément un article où Mohamed Bouhamidi parle de
« mutation » du hirak et affirme que « des ONG internationales
tentent d'orienter le hirak pour aboutir à une situation de chaos en
Algérie ». Mohamed Bouhamidi, qui semble être un groupie du
général Khaled Nezzar,27 avait déjà fait en 2018 la promotion28
d’un autre opuscule d’Ahmed Bensâada « Arabesque Américaine :
Le rôle des États-Unis dans les révoltes de la rue arabe » paru en
2011, précurseur de son dernier opuscule consacré à l’Algérie. Sur
son blog, Mohamed Bouhamidi affiche29 aussi son soutien au
ministre de la Communication, Ammar Belhimer, contre les
révélations d’Ali Bensaad qui a dévoilé le rôle sous-traitant
d’Ammar Belhimer aux services de renseignement militaire
français,30 tout comme le fait Ahmed Bensâada avec zèle dans un
récent article publié sur son blog.31
A noter que le 26 mai 2020, Lynda Abbou commentait déjà
dans « Maghreb Emergent » les propos des deux intervenants et
relevait que « sur fond de complotisme, des professeurs algériens
s’attaquent au hirak sur les médias publics ».32
Il faut dire que ces deux universitaires n’ont fait que reprendre
la thèse du régime militaire, exprimée quelques semaines plus tôt,
le 16 mars 2020, par leur porte-parole, le ministre de la
Communication, Ammar Belhimer, qui accordait un entretien à
l’APS pour évoquer « les visées antinationales des animateurs du
“néo-hirak” ».33 Quelques semaines plus tard, le 23 avril 2020,
Ammar Belhimer qualifiera la fondation américaine « National
Endowment for Democracy » (NED) de « cheval de Troie par
excellence des révolutions colorées dans le monde, Maghreb et
monde arabe en première ligne »,34 en confluence avec la thèse
d’Ahmed Bensâada. Il qualifiera aussi l’ONG Reporters Sans
Frontière, qui avait relevé la dégradation de la liberté de la presse en

215
Makhlouf Larioui

Algérie, d’« élément de la chaîne d’expression du soft power


français à travers le monde ».35

4. Le lancement
La campagne publicitaire autour du lancement de l’opuscule a
démarré au début du mois de juin 2020, tout au long d’une
semaine dense en publications. Elle a été lancée simultanément au
Canada où réside l’auteur par « Mondialisation.ca »36 (4 juin) et par
« Les 7 du Québec »37 (Robert Bibeau, 5 juin), et en Algérie par
« Algérie 54 »38 (Mehdi Messaoudi, 4 juin), « Alhayat Alarabiya »39
(Nisreen Ahmed Zouaoui, 5 juin), « Algeriakhbar »40 (5 juin),
« Maghreb Facts »41 (5 juin), « Le Courrier d'Algérie »42 (6 juin), « Le
Chiffre d’Affaires »43 (7 juin).
Mais la promotion la plus significative de l’opuscule, les 6 et
7 juin, a été l’œuvre de la très officielle agence de presse nationale
« Algérie Presse Service – APS » en arabe44 et en français,45 devenue
aux yeux des Algériens l’instrument de propagande aussi bruyant
que médiocre de la contre-révolution par excellence, et rebaptisée
« Agence Algérienne des Dhoubab » sur les réseaux sociaux.i La
Chaine 3 de « Radio Algérienne »46 de langue française (compte
rendu en français47 et en arabe48), en a aussi fait l’écho par
l’émission de Hacene Arab qui a reçu l’auteur en compagnie de
Samia Zennadi des Editions APIC, maison éditrice, et l’écrivain D.
R. Touati.

i Suite à la désinformation sur la marche des citoyens algériens et leur sit-in le 23 août

2020 à la Place des Nations à Genève pour appeler à la libération des détenus politiques
en Algérie. L’APS a publié le 1er septembre 2020 un article sur cet événement, illustré par
la photo d'une salle de réunion au Palais des Nations à Genève et le logo de l'ONU,
intitulé « Le bureau des contentieux de l'ONU rejette la plainte introduite contre les autorités
algériennes », qui se réfère à « un entretien fictif sur Radio Monte Carlo internationale, d’un
secrétaire fictif, Issam Al Muhammadi, au Bureau fictif des Contentieux de l’ONU à
Genève » (https://bit.ly/2SMKQQx). Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux
droits de l’homme a publié le 4 septembre 2020 un démenti dénonçant les « informations
fallacieuses » et « complètement fabriquées du début à la fin », propagées par l’APS (Le
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme met en lumière des informations
fallacieuses concernant l'Algérie. Communiqué du HCDH. Genève, 4 septembre 2020.
https://bit.ly/3jSW7uB).

Page 216
La fabrique de la main étrangère

La mobilisation des médias promoteurs de l’opuscule d’Ahmed


Bensâada a continué durant tout l’été : « L’Expression »49 (Hocine
Neffah, 9 juin), « Algérie 54 »50 (Mehdia Bel, 11 juin), « Collectif
Novembre pour le Socialisme »51 (Djawad Rostom Touati, 11 juin),
« Algérie 54 »52 (Tarek Benaldjia, 12 juin), « Algérie Patriotique » du
général Khaled Nezzar53 (Youcef Benzatat, 15 juin),
« L'Expression »54 (Hocine Neffah, 16 juin), « Algérie Patriotique »55
(Kaddour Naïmi, 20 juin), « L'Expression »56 (Hocine Neffah,
21 juin), , « Algérie 54 »57 (Ahmed Bensâada, 25 juin), « Algérie 54 »58
(Ahmed Bensâada, 30 juin), « Mondialisation.ca »59 (Abdellali
Merdaci, 1er juillet), « Algérie Patriotique »60 (Boualem Snaoui,
8 juillet), « Algérie 54 »61 (Tarek Benaldjia, 9 juillet), « Algérie 1 »62
(Amar Djerrad, 10 juillet), « Le Soir d'Algérie »63 (Hakim Laâlam,
15 août). En outre, le mois d’août 2020 a connu le lancement d’une
nouvelle campagne publicitaire autour de la parution de la version
arabe de l’opuscule.64
Outre ce réseau de diffusion en Algérie et au Canada, Ahmed
Bensâada a bénéficié d’une couverture par des médias, notamment
en France et au Liban, avec un lectorat au Maghreb, au Monde
arabe et en Afrique : « Afrique du Future »65 (Novembre 2019),
« Afrique Asie »66 (5 juin), et au Liban par « Libna News »67 (Amar
Djerrad, 5 juin), « All Africa »68 (7 juin), « Jacques Tourtaux »69 (Amar
Djerrad, 9 juin), « Maghreb Facts »70 (12 juin), « Radio France
Maghreb 2 »71 (Yasmina Houmad et Christophe Frot, 15 juin),
« Proche & Moyen-Orient »72 (Richard Labévière, 15 juin), « Libna
News »73 (Amar Djerrad, 17 juin), « Le Maghreb DZ »74
(Abdelouahab Ferkhi, 25 juin), « Madaniya »75 et « Libna News »76
(René Naba, 1er juillet), « Al-Akhbar »77 libanais, disponible aussi en
français78 (Lina Kennouche, 3 juillet), « Afrique Asie »79 (Islem B.,
7 juillet), « Jacques Tourtaux »80 (Abdellali Merdaci, 12 juillet),
« Afrique Asie »81 (Hakim Laalam, 17 août), « African Info »82
(20 août).
Toute cette littérature réverbère, commente, et enguirlande la
thèse du livre, selon laquelle le hirak serait une révolution colorée
ourdie par les USA pour mettre des islamistes au pouvoir, sans
même prendre la peine de balancer une critique ici ou là pour
contrefaire une revue professionnelle. Quelques médias et blogs

217
Makhlouf Larioui

ont rapporté des propos critiques vis-à-vis des thèses d’Ahmed


Bensâada, déjà fin 2019 comme « El Watan DZ »83 (Hamid
Bouhbib, 4 décembre 2019), mais surtout après l’apparition de
l’opuscule : « Palestine Solidarité »84 (Lahouari Addi, 7 juin),
« Calameo »85 (Hamdi Baala, 7 juin), « Inter Lignes »86 (Melissa Naït
Ali, 8 juin), « El Watan »87 (Abdelghani Aichoun, 9 juin), « Algiers
Herald »88 (Yacine Meghni, 10 juin), « Maghreb Spirit »89 (Saïd
Djaafer, 13 juin), « DZVID »90 (Nacir Djermoune, 15 juin),
« Algérie Cultures »91 (Selma Mammeri, 22 juin), « Mediapart »92
(Khaled Satour, 25 juin), « Rachad »93 (Mourad Dhina, 27 juin),
« France Irak Actualité »94 (Gilles Munier, 22 juillet), « Calameo »95
(Lazhari Labter).
Enfin une troisième catégorie de rapports médiatiques a adopté
une attitude plus ou moins neutre dans leur présentation de
l’opuscule : « Maghreb Voices »96 (3 juin), « Le Quotidien d'Oran »97
(Belkacem Ahcene-Djaballah, 21 juin), « Reporters.dz »98 (Salim
Koudil, 22 juin), « L'ExpressDZ »99 (Boualem B., 23 juin), « Le
Courrier d’Algérie ».100 Reporters.dz a également donné la parole à
Zoubida Assoul101 et Lahouari Addi,102 incriminés dans l’opuscule
d’Ahmed Bensâada, pour se défendre.

5. La glorification

Il existe de nombreuses techniques standard utilisées dans la


propagande. L’une d’elles consiste à faire appel à l’« expertise »,
c’est-à-dire à une « autorité » scientifique ou intellectuelle
respectée, dans le but d’amener le public cible à s’identifier à cette
autorité ou à accepter ses opinions comme étant les siennes.
Ahmed Bensâada a une expertise dans un sujet pointu, en physique
du solide, mais il est loin d’avoir une maitrise même basique des
sciences politiques comme le dévoilent ses écrits. La propagande
va cependant combler ces lacunes en le projetant au public à
travers un ensemble d’attributs lui fabricant une autorité
intellectuelle, qu’il est loin d’avoir, sur le sujet des révolutions.
Ainsi on a vu défiler un florilège de formules apologétiques. Le
journaliste de « L’Expression » Hocine Neffah en fait un
« chercheur rare ».103 Djawad Rostom Touati d’« Afrique Asie » le
présente comme « un déconstructeur de mythes néocoloniaux ».104

Page 218
La fabrique de la main étrangère

Tarek Benaldjia le vante en « stratège » et son opuscule en


« contribution majeure ».105 Il va plus loin dans un autre article en
affirmant :
Dr Ahmed Bensâada serait-il l’homme providentiel tant attendu de
tous les braves algériens, pour les libérer du joug de la dictature de
ces officines souterraines que sont « les sociétés secrètes américaines
» et leur pouvoir occulte : tout comme le fut le peuple juif par
Moïse ? Personnellement, j’y crois vraiment qu’il a gagné sa première
manche d’une partie de la bataille contre ces officines américaines qui
est appelée à se prolonger.106

Youcef Benzatat le qualifie sur « Mediapart » de « lanceur


d’alertes » « agissant par amour de [son] pays » et qui « ne badine
pas avec la souveraineté nationale »,107 comme si les lanceurs
d’alertes s’occupaient de dénoncer les peuples opprimés en
mouvement et non les pouvoirs dévoyés. Le même Youcef
Benzatat qui écrivait le 13 mars 2019, soit trois semaines après le
lancement du hirak, qu’il s’agissait d’« un plan de destruction de
l’Algérie entré en action à partir du Maroc »,108 « plan » qu’il a
romancé avec des détails fantasmagoriques, avant de se
transformer comme par enchantement en « hirakien »,109 puis de
revenir à sa posture originelle en dénonçant sur « Algérie
Patriotique », le 25 juin 2020, « l’Otporisation » du hirak.110
Mais celui qui bat le record des qualificatifs élogieux envers
Ahmed Bensâada, c’est sans doute son ami Abdellali Merdaci, avec
lequel il avait déjà publié par le passé,111 qui le présente comme un
Physicien, diplômé de l’Université de Montréal (Canada), éminent
didacticien des sciences physiques, Bensâada est un pugnace
publiciste, un fomentateur d’idées attaché à la marche du monde.
Pour avoir partagé ses nombreux combats algériens, notamment dans
la sphère culturelle, je peux témoigner de la probité intellectuelle et
de la rigueur de ses questionnements. L’homme, le chercheur, le
passeur d’idées est d’une signalée humilité : il n’impose jamais de
réponse.112

Abdellali Merdaci regrette par ailleurs que « l’ouvrage de


Bensâada dérange, il est même censuré dans plusieurs titres de
presse privée. »113 D’ailleurs, l’auteur lui-même, qui inscrit son
opuscule « dans un travail de recherche »,114 se plaint que les

219
Makhlouf Larioui

médias ne couvrent pas bien son livre,115 et supporte très mal les
quelques critiques116 que le système médiatique verrouillé a laissé
filtrer. La comparaison de la couverture médiatique intense de cet
opuscule complotiste à celle inexistante en Algérie de l’ouvrage
collectif « hirak en Algérie : l'invention d'un soulèvement »,117
pourtant d’une grande richesse documentaire et analytique, donne
l’impression distincte que cette campagne est motivée
politiquement et qu’Ahmed Bensâada pèche un peu dans la folie
des grandeurs.

6. L’impact

En toute vraisemblance, l’opuscule d’Ahmed Bensâada et tout le


tapage médiatique qui a accompagné sa parution depuis juin
dernier n’est qu’une manœuvre pour donner un « parfum
académique » à la vieille recette de l’implication de la main
étrangère, utilisée depuis l’indépendance du pays, pour criminaliser
toute velléité d’émancipation de la société. Cet opuscule
convaincra certes les dupes éternelles du pouvoir militaire. Pour le
reste de la population, cet opuscule appartient déjà à l’histoire de la
trahison des clercs. Si ce genre de procédé avait par le passé des
chances de réussir à démobiliser les citoyens, il est aujourd’hui
voué à l’échec. Les hirakiens, qui se comptent par millions, ont
acquis une conscience politique aiguë pendant ces dix-huit derniers
mois de mobilisation et ne peuvent plus être dupés par des thèses
complotistes qui insultent leur intelligence politique collective et
leur dénient l’autonomie de l’action. Ces thèses servent l’agenda
politique d’un régime autoritaire et corrompu qu’ils honnissent et
veulent démanteler pacifiquement pour le remplacer par un Etat
de droit, souverain, démocratique et de bonne gouvernance.

Notes de référence

1 APIC, Alger, juin 2020.


2L’Algérie et la théorie de « La main étrangère ». Kamel Lakhdar Chaouche. ENDERI,
31 janvier 2020.

Page 220
La fabrique de la main étrangère

https://www.enderi.fr/L-Algerie-et-la-theorie-de-%E2%80%89La-main-
etrangere%E2%80%89_a600.html
3 https://www.mdn.dz/site_em_anp/sommaire/archives/2019/avril-fr.php
4The Media Commandos in Algeria. I. Latif. In An Inquiry into The Algerian Massacres.
Youcef Bedjaoui, Abbas Aroua and Meziane Ait-Larbi (editors). Forewords by Noam
Chomsky and Lord Eric Avebury. Hoggar (1999).

http://hoggar.org/1999/08/15/the-media-commandos-in-algeria/
5 Algérie : quand les autorités s’acharnent sur les médias au lieu de lutter contre la
pandémie. Reporter Sans Frontières, 22 mai 2020.

https://rsf.org/fr/actualites/algerie-quand-les-autorites-sacharnent-sur-les-medias-au-
lieu-de-lutter-contre-la-pandemie
6Alger « criminalise » la désinformation contre l’ordre public et l’Etat. Agence France-Presse,
22 avril 2020.

https://www.mediapart.fr/journal/fil-dactualites/220420/alger-criminalise-la-
desinformation-contre-l-ordre-public-et-l-etat?onglet=full
7Arrêté interministériel relatif au traitement de l’information. Ministère de l’Intérieur et
des Collectivités Locales et Ministère de la Culture et de la Communication. 7 juin 1994.

https://algeria-watch.org/?p=55412
8RSF dénonce une dégradation flagrante de la liberté de la presse en Algérie. Reporters
Sans Frontières, 18 juin 2020.

https://rsf.org/fr/actualites/rsf-denonce-une-degradation-flagrante-de-la-liberte-de-la-
presse-en-algerie
9 https://rsf.org/fr/classement
10Canada : Parution d'un essai sur le rôle des Etat-Unis dans le printemps arabe. Samir
Ben. El Watan, 20 avril 2011.

https://www.elwatan.com/archives/actualites/canada-parution-dun-essai-sur-le-role-
des-etat-unis-dans-le-printemps-arabe-20-04-2011

Washington tente de taire son implication active : Quel rôle ont joué les États-Unis dans
les révolutions arabes ? Youcef Bendada. La Tribune, 26 avril 2011.

https://en.calameo.com/read/00036684618a76737762e

‫ جريدة‬.‫ خ نافع‬.‫ الثورات العربية بالمفهوم األمريكي‬:‫الدكتور بن سعادة يعرض ''آرابيسك األمريكية'' بوهران‬
.2012 ‫ مارس‬9 ،‫المساء‬
https://www.djazairess.com/elmassa/57853

‫ "سندخل التاريخ إذا بقيت انتفاضة‬:‫ األستاذ الجامعي والكاتب أحمد بن سعادة فيس حوار خاص لـ "الجمهورية‬11
.2019 ‫ أبريل‬21 ،‫ الجمهورية‬.‫ عالية بوخاري‬:‫ حاورته‬."‫الجزائريين سلمية ودون تدخل أياد أجنبية‬

221
Makhlouf Larioui

https://www.eldjoumhouria.dz/art.php?Art=61785

‫ ديسمبر‬1 ،‫ اإلذاعة الجزائرية‬.‫ من غير الممكن أال تكون الجزائر مستهدفة‬:‫ الباحث الجامعي أحمد بن سعادة‬12
.2019

https://www.radioalgerie.dz/news/ar/article/20191201/185841.html
13Ahmed Bensaâda, enseignant et chercheur universitaire : « Le Hirak est positif, il pose
des problèmes sérieux de démocratie…». Ania Nait Chalal. Le Courrier d'Algérie,
2 décembre 2019.

https://lecourrier-dalgerie.com/ahmed-bensaada-enseignant-et-chercheur-universitaire-
le-hirak-est-positif-il-pose-des-problemes-serieux-de-democratie/

‫ الجزائر‬،‫ جريدة الجزائر اليوم‬.‫ هناك مؤشرات على استغالل الحراك لخدمة أجندات خارجية‬:‫ أح مد بن سعادة‬14
.2019 ‫ ديسمبر‬5 ،‫اليوم‬

https://bit.ly/3b8RMzZ/

.‫ أمريكا دعمت منظمة حقوق االنسان ماديا وجعلتها وقودا إلشعال فتيل الحراك بالجزائر‬:‫ أحمد بن سعادة‬15
.2019 ‫ ديسمبر‬5 ،‫ الوسط‬.‫محمد بوترار‬

https://bit.ly/31PymwF
16« Les Américains ont financé des ONG algériennes ». Interview. Hocine Neffah.
L’Expression, 2 janvier 2020.

https://www.lexpressiondz.com/nationale/les-americains-ont-finance-des-ong-
algeriennes-325600
17 L'Universitaire Ahmed Bensaada plaide pour un encadrement juridique du
financement des ONG. APS, 27 mai 2020.

http://www.aps.dz/algerie/105463-l-universitaire-ahmed-bensaada-plaide-pour-un-
encadrement-juridique-du-financement-des-ong

.‫ المحلل السياسي أحمد بن سعادة يرافع من أجل التأطير القانوني للتمويل الخارجي للمنظمات غير الحكومية‬18
.2020 ‫ ماي‬28 ،‫وزارة االتصال‬

http://www.ministerecommunication.gov.dz/ar/node/9084
19Le professeur Ahmed Bensaâda dénude les officines qui instrumentalisent les ONG :
Les dessous d'une nébuleuse. Hocine Neffah. L'Expression, 3 juin 2020.

https://www.lexpressiondz.com/nationale/les-dessous-d-une-nebuleuse-331030
20 Abdelghani Aichoun. Op. cit.
21 Ibid.
22 https://www.youtube.com/watch?v=YnxAyn7CKkE&feature=youtu.be
23 Entretien du professeur Mohamed Bouhamidi à l’APS. APS, 26 mai 2020.

Page 222
La fabrique de la main étrangère

http://www.aps.dz/algerie/105431-entretien-de-mohamed-bouhamidi-a-l-aps
24Le général Nezzar, Saïd Bouteflika, Crisis Group, le Financial Times et l’oratrice du
vendredi. Mohamed Bouhamidi. 29 Avril 2019.

http://bouhamidimohamed.over-blog.com/l
25Mohamed Bouhamidi : des ONG internationales tentent d'orienter le Hirak pour
aboutir à une situation de chaos en Algérie. Radio Algérienne. 26 mai 2020.

https://www.radioalgerie.dz/news/fr/article/20200526/194026.html
26Mohamed Bouhamidi, professeur de philosophie : « Des ONG internationales tentent
d’orienter le Hirak pour instaurer le chaos ». El Moudjahid, 26 mai 2020.

http://www.elmoudjahid.com/fr/actualites/153905
27 Mohamed Bouhamidi. Op. cit.

http://bouhamidimohamed.over-blog.com/l
28 Arabesque américaine$ – Ahmed Bensaada. Mohamed Bouhamidi. 13 juin 2018.

http://bouhamidimohamed.over-blog.com/2018/06/arabesque-americaine-ahmed-
bensaada.html
29Sur le cas Ammar Belhimer : Les salades d'Ali Bensaad, agrémentées de « frites Mc
Cain ». Par Yazid Ben Hounet. Mohamed Bouhamidi, 18 Août 2020.

http://bouhamidimohamed.over-blog.com/2020/08/sur-le-cas-ammar-belhimer-les-
salades-d-ali-bensaad-agrementees-de-frites-mc-cain.par-yazid-ben-hounet-laboratoire-d-
anthropologie-s
30Khaled Drareni, Amar Belhimer, la France et la pizza Mc Cain. Ali Bensaad. 16 août
2020.

https://www.facebook.com/ali.bensaad.58

Billets d’avion et notes au ministère français de la Défense : Amar Belhimer rattrapé par
son passé. Melissa Naït Ali. 16 août 2020.

https://www.inter-lignes.com/billets-davion-et-notes-au-ministere-francais-de-la-
defense-amar-belhimer-rattrape-par-son-passe/
31 Hirak : les chemins sinueux de la rhétorique. Ahmed Bensâada. 8 septembre 2020.

https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=5
32:2020-09-09-03-46-09&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
32Sur fond de complotisme, des professeurs algériens s’attaquent au Hirak sur les médias
publics. Lynda Abbou. Maghreb Emergent, 26 mai 2020.

223
Makhlouf Larioui

https://maghrebemergent.info/sur-fond-de-complotisme-des-professeurs-algeriens-
sattaquent-au-hirak-sur-les-medias-publics/
33 Belhimer s'exprime sur la récente actualité nationale et les visées antinationales des
animateurs du "néo-Hirak". APS, 16 mars 2020.

http://www.aps.dz/algerie/103097-belhimer-s-exprime-sur-la-recente-actualite-
nationale-et-les-visees-antinationales-des-animateurs-du-neo-hirak
34Le ministre a affirmé que « l’Etat » soutient « puissamment » la liberté de la presse :
Belhimer répond à RSF. Abdelghani Aichoun. El Watan, 25 avril 2020.

https://www.elwatan.com/edition/actualite/le-ministre-a-affirme-que-letat-soutient-
puissamment-la-liberte-de-la-presse-belhimer-repond-a-rsf-25-04-2020
35 Ibid.
36 Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? Mondialisation.ca, 4 juin 2020.

https://www.mondialisation.ca/qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-
algerien/5646277
37 Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? Robert Bibeau, Les 7 du Quebec,
5 juin 2020.

https://les7duquebec.net/archives/255537
38 Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? Mehdi Messaoudi. Algérie 54, 4
juin 2020.

https://algerie54.com/2020/06/04/hirak-ong/

‫ نسرين أحمد‬.‫ "من هؤالء الذين نصبوا أنفسهم قادة للحراك الجزائري؟" إصد ارات الكاتب أحمد بن سعادة‬39
.2020 ‫ يونيو‬5 ،‫ الحياة العربية‬،‫زواوي‬

https://bit.ly/3b6Oflq
40« Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? », un livre-enquête signé A.
Bensaada. Algeriakhbar, 5 juin 2020.

https://www.algeriakhbar.com/2020/06/05/qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-
hirak-algerien-un-livre-enquete-signe-a-bensaada-videos/
41 « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? », un livre-enquête signé
A. Bensaada. Maghreb Facts, 5 juin 2020.

https://maghrebfacts.com/2020/06/05/qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-
algerien-un-livre-enquete-signe-a-bensaada/
42Publication : « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? » d’Ahmed
Bensaâda. Le Courrier d'Algérie, 6 juin 2020.

Page 224
La fabrique de la main étrangère

https://lecourrier-dalgerie.com/publication-qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-
algerien-dahmed-bensaada/
43 « Je n’attaque que ceux qui mènent le Hirak dans un sens qui est voulu par un agenda
étranger », Ahmed Ben Saâda. Le Chiffre d’Affaires, 7 juin 2020.

https://www.lechiffredaffaires.com/je-nattaque-que-ceux-qui-menent-le-hirak-dans-un-
sens-qui-est-voulu-par-un-agenda-etranger/

‫ وكالة‬.‫ "من هؤالء الذين نصبوا أنفسهم قادة للحراك الجزائري؟" كتاب استقصائي من توقيع أحمد بن سعادة‬44
.2020 ‫ يونيو‬7 ،‫األنباء الجزائرية‬

http://www.aps.dz/ar/culture/87998-2020-06-07-18-53-16
45« Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? », un livre-enquête signé A.
Bensaada. APS, 7 juin 2020.

http://www.aps.dz/culture/105902-qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-
algerien-un-livre-enquete-signe-a-bensaada
46 https://www.youtube.com/watch?v=1xm-oKsAcp4&feature=share
47Ahmed Ben Saada : « Je n’attaque que ceux qui mènent le Hirak dans un sens qui est
voulu par un agenda étranger ». Radio Chaine 3, 6 juin 2020.

https://www.radioalgerie.dz/news/fr/article/20200606/194492.html

.‫ كتاب استقصائي من توقيع أحمد بن سعادة‬.."‫ "من هؤالء الذين نصبوا أنفسهم قادة للحراك الجزائري؟‬48
.2020 ‫ يونيو‬7 ،‫اإلذاعة الجزائرية‬

https://www.radioalgerie.dz/news/ar/article/20200607/194539.html
49 Le livre-enquête d’Ahmed Bensaâda « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak
algérien ? » : Un voyage dans les dédales d’une nébuleuse. Hocine Neffah. L'Expression, 9
juin 2020.

https://www.lexpressiondz.com/nationale/un-voyage-dans-les-dedales-d-une-
nebuleuse-331178
50 J’ai lu le livre de Ahmed Bensaada, peut-on toujours parler ? Mehdia Bel. Algérie 54, 11
juin 2020.

https://algerie54.com/2020/06/11/hirak-medias-2/
51 Leçon d’éthique ou… d’éristique ? Djawad Rostom Touati. Collectif Novembre pour le
Socialisme, 11 juin 2010.

https://collectifnovembrepourlesocialisme.family.blog/2020/06/11/lecon-dethique-ou-
deristique-djawad-rostom-touati/
52 Bravo, Docteur Ahmed Bensaada. Tarek Benaldjia. Algérie 54, 12 juin 2020.

https://algerie54.com/2020/06/12/ong-hirak/

225
Makhlouf Larioui

53Le « complotiste » Bensaada ne badine pas avec la souveraineté nationale. Youcef


Benzatat. Algérie Patriotique, 15 juin 2020.

https://www.algeriepatriotique.com/2020/06/15/le-complotiste-ahmed-bensaada-ne-
badine-pas-avec-la-souverainete-nationale/
54Ils ont répondu par la calomnie et l’invective au livre-enquête de Bensaâda : Les valets
des officines étrangères aux abois. Hocine Neffah. L'Expression, 16 juin 2020.

https://www.lexpressiondz.com/nationale/les-valets-des-officines-etrangeres-aux-abois-
331456
55 Qui est pour la démocratie ? Kaddour Naïmi. Algérie Patriotique, 20 juin 2020.

https://www.algeriepatriotique.com/2020/06/20/qui-est-pour-la-democratie/
56
Le docteur Ahmed Bensaâda à L'Expression : « Il y a une caste qui dirige ce Hirak ».
Hocine Neffah. L'Expression, 21 juin 2020.

https://www.lexpressiondz.com/nationale/il-y-a-une-caste-qui-dirige-ce-hirak-331644
57 Lahouari Addi, la NED et les autres. Ahmed Bensâada. Algérie 54, 25 juin 2020.

https://algerie54.com/2020/06/25/hirak-medias-
7/?fbclid=IwAR0DJdHeyl4Qrg5nmEtwOs-aH-agWK2Xy09-
POArl5OwUhTzlSX_WG6N0-I
58 Hirak, NED et ONG algériennes. Ahmed Bensâada. Algérie 54, 30 juin 2020.

https://algerie54.com/2020/06/30/hirak-ong-
7/?fbclid=IwAR23iTN086Kz9wO2RSrUiRMN6rdTyYIAw5E6JD5kpQ8dfpfHOf1gXk
n-Eow
59« Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak ? » L’enquête-vérité d’Ahmed Bensaada.
Abdellali Merdaci. Mondialisation.ca, 1 juillet 2020.

https://www.mondialisation.ca/qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-lenquete-
verite-dahmed-bensaada/5647084
60Ces ténors autoproclamés du Hirak inventeurs de la dictature démocratique. Boualem
Snaoui. Algérie Patriotique, 8 juillet 2020.

https://www.algeriepatriotique.com/2020/07/08/qui-sont-ces-tenors-autoproclames-
du-hirak-inventeurs-de-la-dictature-democratique/
61Ahmed Bensaada, A-t-il déjoué le complot de ces officines américaines ? Tarek
Benaldjia. Algérie 54, 9 juillet 2020.
https://algerie54.com/2020/07/09/hirak-medias-11/
62Mme Zoubida Assoul et sa "réserve de droit de porter plainte. Amar Djerrad. Algérie 1,
10 juillet 2020.

Page 226
La fabrique de la main étrangère

https://www.algerie1.com/face-b/mme-zoubida-assoul-et-sa-reserve-de-droit-de-porter-
plainte
63 Si ! Si ! Les loups peuvent se dévorer entre eux ! Hakim Laâlam. Le Soir d'Algérie,
15 août 2020.

https://www.lesoirdalgerie.com/pousse-avec-eux/si-si-les-loups-peuvent-se-devorer-
entre-eux-46613
64 https://en.calameo.com/books/00036684644c845f7e5d1
65L’Algérie saura-t-elle déjouer le piège des « révolutions de couleur » ? Afrique du Future,
novembre 2019.

https://www.afriquedufutur.com/lalgerie-saura-t-elle-contourner-le-piege-des-
revolutions-de-couleur/
66Vient de paraître : « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? » d’Ahmed
Bensaada. Afrique Asie, 5 juin 2020.

https://www.afrique-asie.fr/vient-de-paraitre-qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-
hirak-algerien-dahmed-bensaada/
67La LADDH et K. Chouicha, Mouwatana et Assoul versus A. Bensaada et les
« Révolutions colorées » ! Amar Djerrad. Libna News, 5 juin 2020.

https://libnanews.com/la-laddh-et-k-chouicha-mouwatana-et-assoul-versus-a-bensaada-
et-les-revolutions-colorees-par-amar-djerrad/
68 Algérie : « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? » - Un livre-enquête
signé A. Bensaada, All Africa, 7 juin 2020.

https://fr.allafrica.com/stories/202006080045.html
69M. Dhina et H. Baali, des agents « khilafistes et printanistes » anéantis par le livre-
enquête de A. Bensaada ! Amar Djerrad. Jacques Tourtaux, 9 juin 2020.

https://www.jacques-tourtaux.com/blog/algerie/amar-djerrad-m-dhina-et-h-baali-des-
agents-khilafistes-et-printanistes-aneantis-par-le-livre-enquete-de-a-bensaada.html
70Emission sur le livre d’Ahmed Bensaada « Qui sont ces ténors autoproclamés du
Hirak » avec l’auteur, Samia Zennadi (APIC Editions) et Djawad R. Touati hôtes de
Hacene Arab radio chaîne 3. Maghreb Facts, 12 juin 2020.

https://maghrebfacts.com/2020/06/12/emission-sur-le-livre-dahmed-bensaada-qui-
sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-avec-lauteur-samia-zennadi-apic-editions-et-
djawad-r-touati-hotes-de-hacene-arab-rad/
71 « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? ». Émission #LGF au sujet du
livre d'Ahmed Bensaada. Animée par les journalistes Yasmina Houmad & Christophe
Frot. Radio France Maghreb 2, 15 juin 2020.

227
Makhlouf Larioui

https://www.youtube.com/watch?v=9KI5RCehn8E&feature=youtu.be
72 Ne touchez pas à l’Algérie ! Richard Labévière. Proche & Moyen-Orient, 15 juin 2020.

https://prochetmoyen-orient.ch/ne-touchez-pas-a-lalgerie/
73 Nos « bobos-arrivistes » de la république ! Amar Djerrad. Libna News, 17 juin 2020.

https://libnanews.com/nos-bobos-arrivistes-de-la-republique-par-amar-djerrad/
74 L'analyste politique Ahmed Bensaada. Le Maghreb DZ. Mise à jour : 25 juin 2020.

http://www.lemaghrebdz.com/?page=detail_actualite&rubrique=Nation&id=99950
75 Algérie-Hirak : « Qui sont les ténors autoproclamés du Hirak algérien ? » Le dernier
livre-enquête d’Ahmed Bensaada. René Naba. Madaniya, 1 juillet 2020.

https://www.madaniya.info/2020/07/01/qui-sont-les-tenors-autoproclames-du-hirak-
algerien/
76Qui sont les ténors autoproclamés du Hirak algérien ? ReneNaba. Libna News, 1 juillet
2020.

https://libnanews.com/qui-sont-les-tenors-autoproclames-du-hirak-algerien/

.2020 ‫ يوليو‬3 ‫ المقابلة لينا كنوش الجمعة‬،‫ جريدة األخبار‬.‫ الكاتب والباحث الجزائري‬:‫ أحمد بن سعادة‬77

https://al-akhbar.com/Morocco/290946
78Entretien avec Ahmed Bensaada. Lina Kennouche. Journal Al Akhbar (LIban), 4 juillet
2020.

https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=5
24:journal-al-akhbar-entretien-complet-avec-ahmed-bensaada&catid=46:qprintemps-
arabeq&Itemid=119
79 L’affaire Bensaada ou la pensée unique du Hirak. Islem B. Afrique Asie. 7 juillet 2020.

https://www.afrique-asie.fr/laffaire-bensaada-ou-la-pensee-unique-du-hirak/
80Le hirak, la main de l’étranger et ses vérités des ténèbres. Abdellali Merdaci. Jacques
Tourtaux, 12 juillet 2020.

https://www.jacques-tourtaux.com/blog/algerie/abdellali-merdaci-le-hirak-la-main-de-l-
etranger-et-ses-verites-des-tenebres.html
81Ténors du Hirak algérien : Si ! Si ! Les loups peuvent se dévorer entre eux ! Hakim
Laalam. Afrique Asie, 17 août 2020.

https://www.afrique-asie.fr/tenors-du-hirak-algerien-si-si-les-loups-peuvent-se-devorer-
entre-
eux/?fbclid=IwAR2EfKaWfd6h7WgogIob9ZaOXfhgllca0uRwkSa121LHhO9OxxouK4
i1zGo

Page 228
La fabrique de la main étrangère

82Contribution d’Ahmed Bensaada – Gilles Munier : de l’extrême-droite au Hirak.


African Info, 20 août 2020.

http://www.africain.info/news=5060779

‫ ديسمبر‬4 ،‫ الوطن الجزائري‬.‫ حميد بوحبيب‬.‫ أحمد بن سعادة‬:‫ حميد بوحبيب ـ مثقف آخر للطعن في الحراك‬83
. 2019

http://www.elwatandz.com/algerie/26740.html
84 Les doubabs à l’assaut du hirak. Lahouari Addi. Palestine Solidarité, 7 juin 2020.

https://www.palestine-solidarite.org/analyses.lahouari_addi.070620.htm
85Ahmed Bensâada est-il financé par les services français ? Hamdi Baala, Calameo, 7 juin
2020.

https://fr.calameo.com/read/000366846d508e48d1efb
86 Ils multiplient leurs attaques : le pouvoir, la presse et les intellectuels « des services » se
liguent contre le Hirak. Melissa Naït Ali. Inter Lignes, 8 juin 2020.

https://www.inter-lignes.com/ils-multiplient-leurs-attaques-le-pouvoir-la-presse-et-les-
intellectuels-des-services-se-liguent-contre-le-hirak/
87 Le hirak cible d’attaques simultanées. Abdelghani Aichoun. El Watan, 9 juin 2020.

https://www.elwatan.com/edition/actualite/le-hirak-cible-dattaques-simultanees-09-06-
2020
88 Quand la junte s’en prend au Hirak. Yacine Meghni. Algiers Herald, 10 juin 2020.

https://www.algiersherald.com/quand-la-junte-sen-prend-au-hirak/
89Sur la gauche en général et sur la gauche « madkhalie » en particulier. Saïd Djaafer.
Maghreb Spirit, 13 juin 2020.

https://maghreb-spirit.blogspot.com/2020/06/sur-la-gauche-en-general-et-sur-
la.html?m=1
90Erreur de méthode, misère de la pensée universitaire chez Ahmed Bensaada. Nacir
Djermoune. DZVID, 15 juin 2020.

https://www.dzvid.com/2020/06/15/erreur-de-methode-misere-de-la-pensee-
universitaire-chez-ahmed-bensaada/
91
« Ahmed Bensaada ne sait pas de quoi il parle » (Lahouari Addi, sociologue). Selma
Mammeri. Algérie Cultures, 22 juin 2020.
https://algeriecultures.com/actualite-culturelle/ahmed-bensaada-ne-sait-pas-de-quoi-il-
parle-lahouari-addi-sociologue/

229
Makhlouf Larioui

92
L’hystérisation du débat sur le hirak : à propos des « révélations » d'Ahmed Bensaâda.
Khaled Satour. Mediapart, 25 juin 2020.

https://blogs.mediapart.fr/khaled-satour/blog/250620/l-hysterisation-du-debat-sur-le-
hirak-propos-des-revelations-dahmed-bensaada
93 Réponse à Ahmed Ben Bensâada. Mourad Dhina. Rachad, 27 juin 2020.

https://rachad.org/fr/?p=1712
94 Un coup de poignard dans le dos du Hirak ? Gilles Munier. France Irak Actualité,
22 Juillet 2020.

http://www.france-irak-actualite.com/2020/07/un-coup-de-poignard-dans-le-dos-du-
hirak.html
95Ahmed Bensâada, l'intellectuel coupe-feu des régimes « arabes » autoritaires. Lazhari
Labter. Calameo, document non daté.

https://fr.calameo.com/read/000366846aa6c93b6d332

.2020 ‫ يونيو‬3 ،‫ أصوات مغاربية‬.‫ كتاب جديد يُسائل "قادة" الحراك الشعبي في الجزائر‬96

https://bit.ly/31RDfW0
97 Un monde... en mode « Hirak ». Belkacem Ahcene-Djaballah. Le Quotidien d'Oran,
21 juin 2010.

http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5290907&archive_date=2020-06-21
98« Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ?» de Ahmed Bensaada :
Chronique d’une polémique annoncée. Salim Koudil. Reporters.dz, 22 juin 2020.

https://www.reporters.dz/qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-algerien-de-
ahmed-bensaada-chronique-dune-polemique-annoncee/
99 « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? » : Ahmed Bensaada continue
à faire des vagues. Boualem B. L'ExpressDZ, 23 juin 2020.

https://www.express-dz.com/2020/06/23/qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-
algerien-ahmed-bensaada-continue-a-faire-des-vagues/
100Publication : « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? » d’Ahmed
Bensaâda. Le Courrier d’Algérie, non daté.

https://lecourrier-dalgerie.com/publication-qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-
algerien-dahmed-bensaada/
101
Zoubida Assoul : « Nul n’a le droit de mesurer le patriotisme des Algériens ». Salim
Koudil. Reporters.dz, 8 juillet 2020.

https://www.reporters.dz/zoubida-assoul-nul-na-le-droit-de-mesurer-le-patriotisme-des-
algeriens/

Page 230
La fabrique de la main étrangère

102
Lahouari Addi : « Je déposerais plainte contre l’auteur et la maison d’édition ». Salim
Koudil. Reporters.dz, 22 juin 2020.

https://www.reporters.dz/entretien-lahouari-addi-je-deposerais-plainte-contre-lauteur-
et-la-maison-dedition/
103 Hocine Neffah. Op. cit.
104Ahmed Bensaada, un déconstructeur de mythes néo-coloniaux. Djawad Rostom
Touati. Afrique Asie, 20 juin 2016.

http://www.afrique-asie.fr/ahmed-bensaada-un-deconstructeurs-de-mythes-neo-
coloniaux/
105 Tarek Benaldjia. 12 juin 2020. Op. cit.
106 Tarek Benaldjia. 9 juillet 2020. Op. cit.
107Le « complotiste » Bensaada ne badine pas avec la souveraineté nationale. Youcef
Benzatat. Mediapart, 15 juin 2020.

https://blogs.mediapart.fr/y-benzatat/blog/150620/le-complotiste-bensaada-ne-badine-
pas-avec-la-souverainete-nationale
108Un plan de destruction de l’Algérie est entré en action à partir du Maroc. Youcef
Benzatat. Algérie Patriotique, 13 mars 2019.

https://www.algeriepatriotique.com/2019/03/13/un-plan-de-destruction-de-lalgerie-est-
entre-en-action-a-partir-du-maroc/
109 Partez mon général, vous mettez le pays en danger ! Youcef Benzatat. Algérie
Patriotique, 3 août 2019.

https://www.algeriepatriotique.com/2019/08/03/partez-mon-general-vous-mettez-le-
pays-en-danger/

Le caporal et les 40 millions de mutins. Youcef Benzatat. Algérie Patriotique, 29 octobre


2019.

https://www.algeriepatriotique.com/2019/10/29/une-contribution-de-youcef-benzatat-
le-caporal-et-les-40-millions-de-mutins/
110Hirak et néocolonialisme : l’anathème et l’invective comme unique débat. Youcef
Benzatat. Algérie Patriotique, 25 juin 2020.

https://www.algeriepatriotique.com/2020/06/25/hirak-et-neocolonialisme-lanatheme-
et-linvective-comme-unique-debat/
111
« Camus brûlant » et la controverse algérienne : Réponse à Benjamin Stora. Abdellali
Merdaci et Ahmed Bensaada. Palestine Solidarité, 1er décembre 2013.

231
Makhlouf Larioui

http://www.palestine-solidarite.org/analyses.abdellali_merdaci-
ahmed_bensaada.011213.htm
112« Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak ? » L’enquête-vérité d’Ahmed
Bensaada. Abdellali Merdaci. Mondialisation.ca, 1 juillet 2020.

https://www.mondialisation.ca/qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-lenquete-
verite-dahmed-bensaada/5647084
113« Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak ? » L’enquête-vérité d’Ahmed
Bensaada. Abdellali Merdaci. Mondialisation.ca, 1 juillet 2020.

https://www.mondialisation.ca/qui-sont-ces-tenors-autoproclames-du-hirak-lenquete-
verite-dahmed-bensaada/5647084
114Entretien avec Ahmed Bensâada. Lina Kennouche. Journal Al Akhbar (LIban), 4 juillet
2020.

https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=5
24:journal-al-akhbar-entretien-complet-avec-ahmed-bensaada&catid=46:qprintemps-
arabeq&Itemid=119
115 Entretien avec Ahmed Bensaada. Lina Kennouche. Op. cit.
116 De la liberté d’expression au temps béni du Hirak. Ahmed Bensâada. 15 Juin 2020.

https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=5
16:2020-06-16-03-01-22&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119
117Omar Benderra, François Gèze, Rafik Lebdjaoui et Salima Mellah (eds.), Hirak en
Algérie. L’invention d’un soulèvement, La Fabrique Éditions, Paris 2020.

https://journals.openedition.org/lectures/42756

Page 232
DIFFAMATION SOUS PROTECTION
RAPPROCHEE

Sofiane Tlemçani

1. Le délit de diffamation.............................................................. 233


2. Propos diffamatoires d’Ahmed Bensâada ................................ 234
3. Garantie d’impunité ................................................................. 236

1. Le délit de diffamation

Le législateur algérien a prévu de réprimer les atteintes à l’honneur


ou à la considération des personnes en punissant le délit de
diffamation qui est défini par l’article 296 du Code pénal.1 Il s’agit de
Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à
l’honneur ou à la considération des personnes ou du corps auquel le
fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie
de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est
punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise
une personne ou un corps, non expressément nommés, mais dont
l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris,
menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

Il s’agit en fait d’une reproduction fidèle de l’article 29 de la Loi


sur la liberté de la presse 2 française qui prévoit que
Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur
ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est
imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de
reproduction de cette allégation ou de cette imputation est
punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise
Sofiane Tlemçani

une personne ou un corps, non expressément nommés, mais dont


l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris,
menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

Au Canada l’article 298 du Code criminel 3 stipule que


(1) Un libelle diffamatoire consiste en une matière publiée sans
justification ni excuse légitime et de nature à nuire à la réputation de
quelqu’un en l’exposant à la haine, au mépris ou au ridicule, ou
destinée à outrager la personne contre qui elle est publiée.

(2) Un libelle diffamatoire peut être exprimé directement ou par


insinuation ou ironie : (a) soit en mots lisiblement marqués sur une
substance quelconque ; (b) soit au moyen d’un objet signifiant un
libelle diffamatoire autrement que par des mots.

En outre, l’article 300 du Code criminel canadien prévoit que :


Quiconque publie un libelle diffamatoire qu’il sait être faux est
coupable : (a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement
maximal de cinq ans ; (b) soit d’une infraction punissable sur
déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Ainsi, non seulement la production de propos diffamatoires est


incriminée par ces textes de lois, mais la « reproduction » d’une
allégation diffamatoire (lois algérienne et française) ou la
publication d’un propos diffamatoire qu’on sait être faux (loi
canadienne).

2. Propos diffamatoires d’Ahmed Bensâada

S’agissant de la publication d’Ahmed Bensâada, Algéro-canadien


résidant au Canada, intitulée « Qui sont ces ténors autoproclamés du
Hirak algérien ? »,4 il ne fait aucun doute que le but même de son
opuscule est de discréditer les acteurs du hirak sur lesquels il tente
de semer le doute et de jeter l’opprobre.
Ainsi, parmi les cibles qu’il désigne, l’incontournable
Mouvement Rachad qu’il présente comme un mouvement créé par
des « résidus du FISi », un terme suggérant doublement, croit-il,
dans la conscience des Algériens le caractère infâme ; ce

i Front Islamique du Salut.

Page 234
Diffamation sous protection rapprochée

mouvement tenterait donc, selon lui, de faire croire aux Algériens


qu’il serait devenu pacifique par seul calcul politique, ses « figures
emblématiques », qu’il cite nommément, étant associés dans son
narratif aux crimes abominables commis par les milices islamistes
dans les années 1990.
Le message qu’il tente de faire passer est donc de toute
évidence que le Mouvement Rachad n’est qu’une nouvelle
couverture politique du FIS à l’étranger, financé par un
gouvernement étranger et qui n’a en réalité rien de pacifique
puisque ses membres sont associés aux crimes abominables des
années 1990.
L’organisation des droits de l’homme Alkarama, serait quant à
elle une ONG droit-de-l’hommiste, un terme péjoratif suggérant
que celle-ci, qu’il associe précédemment au Mouvement Rachad,
ne ferait rien de concret et ne serait qu’un instrument au service
d’une cause, en l’occurrence celle de défendre le seul Karim
Tabbou, puisque celle-ci ne s’intéresse pas aux autres détenus du
hirak.
Bien évidemment, tout comme Rachad avec lequel elle serait
intimement liée, Alkarama serait financée par des capitaux
étrangers, qataris en l’occurrence, donc servant l’agenda de ses
bailleurs de fonds contre les intérêts de l’Algérie.
Outre ces deux organisations, Ahmed Bensâada s’est attaqué à
plusieurs figures soutenant le hirak dont les juristes Mustafa
Bouchachi et Zoubida Assoul, le sociologue Lahouari Addi, et le
militant politique Karim Tabbou, les qualifiant d’être à la solde des
Américains qui les financeraient généreusement, donc les désignant
implicitement de traitres à la patrie. A noter, qu’à la sortie de
l’opuscule début juin 2020, Karim Tabbou, accablé par les propos
d’Ahmed Bensâada, croupissait dans les geôles du régime militaire
depuis plusieurs mois (arrêté le 11 septembre 2019).
Il ne fait pas de doute que les allégations faites par Ahmed
Bensâada dans son ouvrage contiennent tous les éléments légaux
constitutifs du délit de diffamation tel que défini par l’article 296
du Code pénal algérien et l’article 29 de la Loi sur la liberté de la presse
française, à savoir l’atteinte à l’honneur et à la considération,

235
Sofiane Tlemçani

l’imputation de faits précis, l’intention de diffamer ainsi que le


caractère public, et l’article 298 du Code criminel canadien, à savoir la
publication de propos de nature à nuire à la réputation de
quelqu’un en l’exposant à la haine et au mépris.

3. Garantie d’impunité

Il faut noter qu’Ahmed Bensâada, qui vit quand même en


Occident, n’a toutefois pas le courage de ses idées, notamment en
s’attaquant au Mouvement Rachad, en prenant la précaution de se
réfugier derrière des citations du site « Maghreb Intelligence », créé et
financé par les services de renseignements marocains, ignorant
probablement que la reproduction ou la citation de propos
diffamatoires constitue une nouvelle diffamation susceptible de
poursuites.
Mais le courageux pamphlétiste doit également se savoir
protégé, sinon encouragé par le régime algérien, tant qu’il s’agit de
diffamer des opposants crédibles et que si plainte il y a, la justice
aux ordres se chargerait de lui assurer l’impunité.
En fait, dès la parution de l’opuscule, au moins deux des
personnes diffamées, Lahouari Addi et Zoubida Assoul, ont dit sur
plusieurs médias avoir l’intention d’intenter un procès à Ahmed
Bensâada.
Lahouari Addi a déclaré au site « Reporters.dz », par exemple,
qu’« accuser un concitoyen de travailler pour la CIA est grave,
connaissant l’histoire de la CIA et de son rôle comme instrument
de l’impérialisme américain ».5 Mais bien qu’ayant l’intention de
poursuivre Ahmed Bensâada et son éditeur pour diffamation,
Lahouari Addi est conscient qu’une telle action n’a aucune chance
d’aboutir dans les circonstances actuelles en Algérie avec un
système politique où l’exécutif, qui fait la promotion de l’opuscule
d’Ahmed Bensâada,6 contrôle le judiciaire, appelé par les citoyens
algérien « justice du téléphone ». C’est pourquoi il affirme que « dès
que les conditions politiques s’éclairciront dans notre pays, je
déposerai plainte contre l’auteur et contre la maison d’édition. »7
Confiant du climat d’impunité qui règne en Algérie, l’éditeur
d’Ahmed Bensâada, APIC éditions, répond le jour même à cette

Page 236
Diffamation sous protection rapprochée

déclaration de Lahouari Addi par un communiqué au style


sarcastique publié sur sa page Facebook, rajoutant une couche aux
propos de l’auteur de l’opuscule et tentant de « criminaliser »
Lahouari Addi par association avec le Mouvement Rachad et
Mourad Dhina, décernant à ce dernier un certificat es terrorisme :
Quelqu'un pourrait dire à la rédaction de Reporters que la photo qu'ils
ont choisie pour illustrer la promesse de L. Addi de déposer plainte
« contre l’auteur et la maison d'édition » suite à la publication du livre
« Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak algérien ? », a été prise
lors d'une rencontre organisée par le mouvement Rachad ? où il
intervenait sur « comment reconfigurer le rôle de l'armée en
Algérie ? » et où il partageait la tribune avec son hôte, le terroriste
Mourad Dhina !!!8

L’éditeur juge qu’afficher son intention de se défendre contre ce


qu’on estime être diffamatoire relève du « terrorisme intellectuel » :
Enfin, quelqu’un pourrait transmettre à tous les vendeurs de papiers
et aux mercenaires de la plume et de la toile que le terrorisme
intellectuel ne nous a jamais fait taire et qu'ils se trompent
d’époque… du moins on l'espère.9

Quant à Zoubida Assoul, se sentant touchée injustement dans


son honneur, elle déclare au site « Reporters.dz » que :
Je crois que nul n’a le droit de mesurer le patriotisme des Algériens,
c’est pourquoi je me réserve le droit d’ester en justice l’auteur et sa
maison d’édition.10

Cette fois-ci, ce n’est pas l’éditeur mais des barbouilleurs excités


qui encensent Ahmed Bensâada, notamment Mehdia Bel,11 Djawad
Rostom Touati12 et Amar Djerrad13 qui prennent la parole pour
répondre à Zoubida Assoul.
Mehdia Bel considère la critique de l’opuscule d’Ahmed
Bensâada d’« hystérie générale ». Pour Djawad Rostom Touati,
celles et ceux qui osent critiquer l’opuscule appartiennent à des
« milieux néo colonisés ». Il qualifie « l’attaque en diffamation »
annoncée par Lahouari Addi et Zoubida Assoul de « fumisterie »,
et traite ces figures laïques de « compagnons de route de Rachad »,
qu’il taxe d’islamiste, lui reprochant la signature d’un « néo-Sant’
Egidio » au début du hirak avec d’autres acteurs politiques

237
Sofiane Tlemçani

d’horizons divers, y compris des islamistes. Encore une fois la


criminalisation par association.
Amar Djerrad, pour sa part, ne s’empêche pas de rappeler à
Zoubida Assoul qu’elle avait accepté l’invitation de la chaîne
« Al Magahribia », « porte-voix », selon lui, « des islamistes de
“Rachad” ». Toujours la criminalisation par association avec une
entité à laquelle il colle l’épithète « islamiste ». Pour Amar Djerrad,
Zoubida Assoul « semble bien déroutée par le livre et maladroite
dans ses répliques ! », elle affiche « des réactions colériques qui
aveuglent et figent le raisonnement », et ignore que « la colère est
souvent le réflexe d’une peur, dans ce cas, injustifiée ! » Avec une
condescendance insolente, cet excité ne manque pas de la
conseiller sur ce qu’elle devrait faire :
Il nous semble, amicalement, qu’elle ferait mieux de s’apaiser en se
faisant aussi oublier ! C’est plus sage et plus raisonnable ! On dit
qu’« agir dans la colère, c’est s’embarquer dans la tempête ».14

Pour dissuader ses victimes à le poursuivre en diffamation, la


stratégie de riposte d’Ahmed Bensâada, avec l’aide de son éditeur,
sa kyrielle de feuillistes fans et la bienveillance du régime militaire
qui l’utilise pour casser le hirak, est simple : les culpabiliser, jusqu’à
les paralyser, en les associant au Mouvement Rachad et à la chaîne
« Al Magahribia », dépeintes comme des entités islamistes voire
terroristes, les décrédibiliser en les traitant d’« hystériques », de
« néo colonisés », de « fumistes », de « déroutés », de « colériques »
et d’« aveuglés », ainsi que les intimider en leur intimant de « se
faire oublier » s’il ne veulent pas prendre le risque d’être frappés
par la foudre.

Notes de référence

1 https://www.wipo.int/edocs/lexdocs/laws/fr/dz/dz027fr.pdf
2 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006070722
3 https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-46/page-66.html
4 APIC, Alger, juin 2020.

Page 238
Diffamation sous protection rapprochée

5 Lahouari Addi : « Je déposerais plainte contre l’auteur et la maison d’édition ». Entretien


réalisé par Salim Koudil. Reporters.dz, 22 juin 2020.

https://www.reporters.dz/entretien-lahouari-addi-je-deposerais-plainte-contre-lauteur-
et-la-maison-dedition/
6 Voir l’article « La Fabrique de la main étrangère » de Makhlouf Larioui dans ce livre.
7 Ibid.
8 https://www.facebook.com/apiceditions/posts/2486081448279144
9 Ibid.

Zoubida Assoul : « Nul n’a le droit de mesurer le patriotisme des Algériens ». Salim
10

Koudil. Reporters.dz, 8 juillet 2020.

https://www.reporters.dz/zoubida-assoul-nul-na-le-droit-de-mesurer-le-patriotisme-des-
algeriens/
11J’ai lu le livre de Ahmed Bensaada, peut-on toujours parler ? Mehdia Bel. Algérie 54,
11 juin 2020.

https://algerie54.com/2020/06/11/hirak-medias-2/
12 Leçon d’éthique ou… d’éristique ? Djawad Rostom Touati. Collectif Novembre pour le
Socialisme, 11 juin 2020.

https://collectifnovembrepourlesocialisme.family.blog/2020/06/11/lecon-dethique-ou-
deristique-djawad-rostom-touati/
13Mme Zoubida Assoul et sa « réserve de droit de porter plainte ». Amar Djerrad.
Algérie 1, 10 juillet 2020.

https://www.algerie1.com/face-b/mme-zoubida-assoul-et-sa-reserve-de-droit-de-porter-
plainte
14 Ibid.

239
Sofiane Tlemçani

Page 240
JE DEPOSERAI PLAINTE CONTRE L’AUTEUR
ET LA MAISON D’EDITION

Lahouari Addi
Entretien1 réalisé par Salim Koudil. Reporters.dz, 22 juin 2020

Cité dans le livre d’Ahmed Bensâada, le sociologue Lahouari Addi


revient point par point sur les « affirmations » contenues dans
l’ouvrage.

Reporters : Un livre écrit par Ahmed Bensâada, intitulé « Qui sont les ténors
autoproclamés du Hirak algérien ? » vient de sortir aux éditons APIC.
L’auteur remet en cause, entre autres, certaines de vos positons concernant le
Hirak. L’avez-vous lu ?

Lahouari Addi : Je n’ai pas lu le livre parce qu’il n’est pas


disponible à l’étranger, mais j’ai lu de larges extraits où je suis mis
en cause avec d’autres. J’ai été étonné par l’expression « ténors
auto-proclamés du Hirak ». L’auteur l’utilise parce qu’il ne connaît
pas le b.a.ba de la science politique. Dans tout mouvement de
contestation populaire, des leaders émergent sur la base de leur
discours qui est une offre politique. Si cette offre correspond à une
demande politique, ils deviennent des personnalités populaires.
Une grande partie des Algériens, pas tous évidemment, s’est
reconnue dans l’offre politique de Karim Tabou, Mustapha
Bouchachi, Assoul Zoubida, Mohcene Belabbès, Kaddour
Chouicha, Fodil Boumala et d’autres encore. Ils ne se sont pas
auto-proclamés et n’ont empêché personne de prendre la parole.
Leur discours est cohérent et correspond à l’aspiration d’une
transition démocratique, ce qui leur a valu le soutien de nombreux
Lahouari Addi

hirakiens. On peut ne pas être d’accord avec eux sur telle ou telle
position, mais on ne peut nier que Tabou est populaire sur
l’ensemble du territoire national. Et c’est pour cette raison qu’il est
en prison. S’attaquer à Bouchachi, Assoul, Tabou… c’est s’attaquer
à leur discours qui porte sur la demande de transition
démocratique. Ahmed Bensâada montre qu’il est hostile au Hirak
et qu’il soutient le régime. Pour quelles raisons ? Je ne le sais pas.
En ce qui me concerne, mes analyses qui paraissent dans la presse
nationale et sur ma page Facebook ont un écho favorable de la
part de certains hirakiens. Je ne les impose pas et je ne me
proclame pas « idéologue du Hirak ». Je participe avec d’autres
collègues universitaires au débat sur le mouvement de contestation
comme Nacer Djabi, Louiza Driss-Aït Hamadouche, Hosni
Kitouni et d’autres encore.

Dans cet ouvrage, l’auteur critique vos écrits, en l’occurrence la tribune publiée,
sur le site « lematindalgerie.com », le 14 mars 2019, soit trois semaines après
le début du Hirak. Vous y proposiez trois noms, Zoubida Assoul, Mustapha
Bouchachi et Karim Tabbou, pour former une « présidence collégiale » qui
devait gérer « les affaires courantes » et préparer l’élection présidentielle et les
législatives « dans un délai de 6 à 10 mois ». Pour l’auteur, le choix de ces
personnes est « loin d’être anodin ». Il s’interroge sur l’existence d’une
éventuelle « coalition sous-jacente au Hirak pour proposer une liste en
particulier ». Quelle est votre réaction ?

Le texte auquel vous faites référence est paru sur le site TSA en
mars 2019 après la démission de Bouteflika sous la pression de la
rue. J’avais proposé que le Président par intérim, avec l’appui de
l’armée, désigne une instance collégiale pour mener la transition
que demandait le Hirak. J’ai avancé des noms parmi les personnes
susceptibles d’être acceptées par la majorité des citoyens, Zoubida
Assoul, Mustapha Bouchachi et Karim Tabou. Je l’ai fait en tant
que citoyen privé et j’ai le droit de le faire puisque je n’exerce
aucune fonction officielle dans l’Etat. Je n’ai pas détourné l’autorité
de l’Etat pour faire une proposition personnelle. D’autres
personnes auraient pu suggérer d’autres noms pour arriver à un

Page 242
Je déposerai plainte contre l’auteur et la maison d’édition

consensus. L’essentiel n’est pas dans les noms, mais dans la


transition menée par des personnes consensuelles.

Ahmed Bensâada sous-entend que vous omettez délibérément de mentionner


sur votre « CV institutionnel » votre collaboration avec « International Forum
For Democratic Studies Research Concil » de la NED (National
Endowment for Democraty), organisation présentée comme la vitrine civile de
la CIA. Que répondez-vous ?

Ahmed Bensâada n’a jamais lu mon CV et il ne sait pas de quoi il


parle. Il ne sait pas comment fonctionnent les institutions de
recherche et l’université en Occident. Il n’est pas universitaire et il
n’est pas professeur à l’université. Il enseigne la physique à des
élèves de collège au Canada. Il a le droit d’écrire des pamphlets,
mais il n’a pas le droit de diffamer les gens et de dire des
mensonges à leur sujet. S’il a des informations tangibles sur
l’implication de ceux qu’il accuse, il devra les remettre à
l’ambassade du pays où il réside pour que les services de sécurité
(qui ont les moyens et le personnel formé à cet effet) mènent une
enquête pour protéger le pays de l’ingérence étrangère. Accuser un
concitoyen de travailler pour la CIA est grave, connaissant
l’histoire de la CIA et de son rôle comme instrument de
l’impérialisme américain. Dès que les conditions politiques
s’éclairciront dans notre pays, je déposerais plainte contre l’auteur
et contre la maison d’édition.

Mais qu’en est-il de la présence de votre nom dans le document du forum ?

La NED voulait un débat d’idées et a créé ce Forum et aussi une


revue académique Journal of Democracy, dont les articles sont
consultables en ligne. J’ai publié trois articles dans cette revue et ils
sont consultables en ligne, ils n’ont rien à voir avec l’idéologie de la
droite américaine. La NED a mis sur pied aussi un Forum qui
réunissait des universitaires de différentes tendances. J’ai été
sollicité en raison de mes travaux académiques en compagnie de
noms prestigieux comme Lisa Anderson (professeure à Columbia

243
Lahouari Addi

University, connue pour ses travaux sur le monde arabe), Filaly


Ansary, directeur de la Fondation Agha Khan de Londres,
Abdullahi Ahmed En-Naim, professeur de droit international à
Emory University et disciple du réformateur musulman Mahmoud
Taha, Saad-Eddine Ibrahim, directeur du Centre de Recherche Ibn
Khaldoun au Caire, etc. La participation à ce Forum ne signifie pas
que les membres étaient d’accord avec la théorie de la fin de
l’histoire ou du conflit des civilisations. Sur cette question, il faut se
référer aux publications des auteurs. Ce n’est pas parce que j’ai
participé à un colloque avec Huntington ou Fukuyama que je
partage leurs orientations idéologiques. J’ai été par contre invité
plusieurs fois par des universités comme professeur (Princeton
University, Utah University, UCLA, Georgetown University…).
Ces invitations sont pour moi l’occasion d’écrire des livres. C’est à
Princeton University en 1992 que j’ai rédigé « L’Algérie et la
démocratie » publié par La Découverte à Paris en 1994. C’est aussi
dans le prestigieux Institute for Advanced Study de Princeton que
j’ai rédigé « Deux anthropologues au Maghreb : Clifford Geertz et
Ernest Gellner » qui paraît en arabe ce mois-ci chez Doha Center.
Mon livre « Le nationalisme arabe radical et l’islam politique » a été
rédigé à Georgetown University où j’étais invité en 2013. Il a été
publié en anglais par Georgetown University Press et j’ai tenu à ce
qu’il paraisse à Alger chez Barzakh pour que les étudiants algériens
le lisent. Il est disponible dans les librairies en Algérie.

A ce propos, quel est votre point de vue sur la NED ?

La NED est un think-tank (club de réflexion) créé et financé par le


parti républicain à Washington au lendemain de la chute du Mur
de Berlin. Pour les Américains, la défaite idéologique de l’Union
Soviétique consacrait leur victoire sur leurs adversaires. Ils se
voyaient comme les promoteurs de la démocratie de par le monde
à l’ombre de la Pax Americana. C’est dans ce contexte qu’est
apparue la théorie de la fin de l’histoire de Francis Fukuyama qui
prétendait que l’humanité avait atteint son stade final d’évolution
avec le triomphe du marché néo-libéral version américaine. Un
autre théoricien, Samuel Huntington, de la droite américaine,

Page 244
Je déposerai plainte contre l’auteur et la maison d’édition

prétendait que les guerres idéologiques étaient terminées et que


maintenant il y aura des conflits de civilisations (clash of
civilizations). Il disait que les Etats-Unis, au nom de la civilisation
occidentale, devaient affronter la civilisation musulmane qui est un
ennemi de la démocratie. Il a tout simplement oublié que le
principal allié de l’impérialisme américain était l’Arabie Saoudite
dont l’idéologie d’Etat, le wahabisme, est l’interprétation la plus
intolérante de l’islam. Je ne partage ni de près ni de loin l’idéologie
des animateurs de la NED. Pour moi, les Etats-Unis, outre leur
rôle néfaste dans le Tiers-Monde, n’ont pas la légitimité morale
pour être un modèle de démocratie. L’assassinat systématique des
Noirs Américains par la police ne date pas d’aujourd’hui. L’opinion
publique en a pris conscience parce que ces meurtres sont
désormais filmés par les téléphones portables. Par ailleurs, sur le
plan institutionnel, les Etats-Unis ont un déficit démocratique très
lourd. Selon la radio publique NPR, 26 Etats, représentant 18% de
la population, détiennent la majorité au Sénat qui a la prérogative
de bloquer toute loi émanant de la Chambre des députés. Les
représentants de 18% de la population imposent leurs lois aux 82%
! C’est l’Amérique. Si la droite américaine veut renforcer la
démocratie dans le monde, il faut qu’elle commence par réformer
son système de représentation qui viole le principe élémentaire du
suffrage universel.

Toujours à propos de la NED, l’auteur se demande si vous n’auriez pas


« directement ou indirectement » contribué à la formation des cyberactivistes et
les financiers des « ONG » affiliées à l’IRI (International Républicain
Institute) et la NDI (National Democratic Institute), deux satellites de cette
organisation…

Ce sont là des accusations gratuites. Je n’ai ni compte Twitter, ni


compte Instagram. Et j’ai ouvert une page Facebook seulement en
avril 2019 lorsque TSA, sous la pression des autorités, a refusé de
publier mes articles hebdomadaires. Je ne suis pas un fan des
réseaux sociaux qui, malgré leur utilité, véhiculent trop de haine.
Par ailleurs, je n’ai appartenu à aucune ONG américaine. En
France, j’ai appartenu à Algeria-Watch, une ONG de surveillance

245
Lahouari Addi

de droits humains en Algérie, et au Forsem, qui est un forum de


solidarité euro-méditerranéenne que j’ai fondée aux côtés de Tahar
Khalfoun et Gilbert Meynier à Lyon.

Ahmed Bensâada affirme que le point commun entre Zoubida Assoul,


Mustapha Bouchachi et vous, c’est vos « relations avec les Etats-Unis » et
leurs organismes d’« exportation » de la démocratie»…

C’est de la diffamation. Zoubida Assoul et Mustapha Bouchachi


sont des militants engagés qui ont suscité le soutien de milliers de
jeunes hirakiens qui se sont reconnus dans leurs prises de position.
Ce sont des personnalités respectables et admirables pour ce
qu’elles font pour le pays. Je ne les connaissais pas
personnellement, je les ai rencontrés pour la première fois en
février 2020 à Paris dans les locaux de la chaîne Al Magharibia.

L’attitude des puissances occidentales vis-à-vis du Hirak est tout de même


ambiguë. Comment l’analysez-vous ?

Les pays occidentaux se moquent que l’Algérie soit démocratique


ou non. Ce qui les intéresse, c’est que le pays ne soit pas une
source d’émigration massive vers l’Europe ou une source de
terrorisme. Qu’elle ait un régime démocratique ou un régime
autoritaire, ce que l’Occident veut, c’est la stabilité et le respect des
règles du marché mondial. Les Occidentaux ont appris la leçon de
la Libye et de la Syrie et ne veulent pas recommencer avec
l’Algérie. Le cauchemar de la France officielle, c’est que l’Algérie
devienne comme la Libye. Les Occidentaux regrettent Saddam
Hussein qui neutralisait l’Iran et réprimait les islamistes. Ils
regrettent Kadhafi qui empêchait l’émigration africaine d’aller vers
l’Europe. Pour les Etats-Unis, nous sommes la périphérie, et la
périphérie doit être calme pour que les entreprises multinationales
et les places boursières ne soient pas perturbées. Par contre, le
Hirak fait peur à l’Egypte et aux monarchies du Golfe. Ils
craignent l’effet de contagion et je ne serais pas étonné qu’ils
interviennent d’une manière ou d’une autre pour l’étouffer.

Page 246
Je déposerai plainte contre l’auteur et la maison d’édition

L’auteur de « Qui sont les ténors autoproclamés du Hirak algérien ? » revient


sur vos rapports avec le mouvement « Rachad ». Il mentionne une
« camaraderie difficilement dissimulable » entre vous et un des animateurs du
mouvement, Larbi Zitout, dont les accointances avec la mouvance islamiste
sont connues. Comment réagissez-vous à cela ?

Le mouvement Rachad est un courant idéologique de la société


algérienne à côté d’autres courants. Ce n’est pas au régime de dire
aux citoyens quels sont les partis d’opposition à fréquenter et quels
sont ceux à ne pas fréquenter. Ma position sur l’islamisme est claire
et découle de mes travaux académiques. Ce courant ne peut pas
être éradiqué par la violence ; il doit être inséré dans les institutions
dans le cadre des lois de la République et dans le respect de la
liberté d’expression. Si l’Etat reproche quelque chose à Mourad
Dhina ou Ali Belhadj, il y a les tribunaux. Ce n’est pas à la police
d’accuser les gens ; la police arrête des suspects sur ordre de la
justice et c’est au tribunal de juger. D’une façon générale, il faut
une véritable réconciliation nationale par laquelle les islamistes
s’engagent à respecter les lois du vivre ensemble, à commencer par
la liberté de conscience et l’égalité juridique hommes-femme. Nous
ne pouvons pas être en paix et être un Etat de droit si ces deux
principes ne sont pas respectés et protégés par la loi.

Parmi les « critiques » de Ahmed Bensâada, il y en a une qui porte sur votre
changement d’avis sur le journaliste et auteur Kamel Daoud. Vous le
présentiez, en 2014, comme « le meilleur d’entre nous », alors qu’en janvier
dernier, il est devenu pour vous « un trophée postcolonial exhibé par la droite
européenne ». Qu’en dites-vous ?

C’est bizarre ce reproche qui montre que Bensâada n’a aucun


argument. Kamel Daoud a perdu beaucoup de ses sympathisants
lorsqu’il a critiqué le Hirak dans un article paru dans
l’hebdomadaire Le Point. J’ai publié un texte sur ma page
Facebook, qui a été viral, où j’ai dit qu’il avait tort. Je ne vois pas
où est le problème, à moins d’être d’accord avec un auteur même

247
Lahouari Addi

quand il change de position. Je rappelle que Kamel Daoud a


toujours été critique du régime et de l’intolérance. Sa critique du
Hirak a étonné plusieurs de ses anciens amis.

Notes de référence

1 https://www.reporters.dz/entretien-lahouari-addi-je-deposerais-plainte-contre-lauteur-
et-la-maison-dedition/

Page 248
NUL N’A LE DROIT DE MESURER LE
PATRIOTISME DES ALGERIENS

Zoubida Assoul
Entretien1réalisé par Salim Koudil. Reporters.dz, 8 juillet 2020

Avocate des détenus du Hirak et Présidente du parti politique


Union pour le changement et le progrès (UCP), Zoubida Assoul
revient, dans cet entretien, sur les dernières décisions de la justice.
Elle réagit également, pour la première fois, depuis la sortie du
livre, au contenu du dernier ouvrage d’Ahmed Bensâada dans
lequel elle est citée.

Reporters : Quelle est votre réaction après la libération, il y a quelques jours,


de plusieurs détenus liés, directement ou indirectement, au Hirak ?

Zoubida Assoul : Nous avons passé de lONG mois en tant que


collectif de défense à plaider, démontrer que ces personnes et
d’autres ne méritaient pas d’être en prison dans un Etat qui se veut
libre et démocratique, on est donc heureux pour eux et leurs
familles. Ces dernières ont beaucoup souffert, mais hélas il y en a
bien d’autres qui restent encore détenus dans plusieurs régions du
pays. Nous le regrettons et continuerons à travailler pour les
libérer.

Pensez-vous que c’est un signe d’apaisement ? Et comment jugez-vous en


général, la situation politique du pays ?

Je crois que c’est trop tôt et pas assez suffisant pour le dire. Si on
veut vraiment aller vers le chemin de la solution de la crise
politique, qui secoue le pays depuis si longtemps et qui s’est
Zoubida Assoul

traduite par la révolution pacifique que nous vivons depuis le


22 février 2019, les mesures d’apaisement sont diverses et
multiples. Nous avons, depuis le début de cette révolution,
proposé une démarche de dialogue inclusive qui nous emmènera
vers une feuille de route consensuelle d’un processus constituant.
Cela permettra à notre pays de rompre définitivement avec le
système actuel et son mode de gouvernance et d’aller
progressivement vers l’Etat de droit et des libertés, mais aussi du
développement durable dont ont besoin nos concitoyens.
Cependant, nous constatons que le pouvoir continue dans la voie
unilatérale.

Pour rester dans l’actualité, votre nom a été cité dans le dernier ouvrage
d’Ahmed Bensâada « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak
algérien »…

Les problèmes que vivent les Algériennes et les Algériens, en plus


de la crise politique, la pandémie de la Covid-19 et la crise socio-
économique, m’interdisent moralement d’entrer dans des
polémiques sur un ouvrage sur commande, puisqu’il a été annoncé
le 1er décembre 2019 sur les ondes de la Chaîne 3. Cela nous
renseigne parfaitement sur les objectifs inavoués de ce dernier,
mais par respect à votre journal, je me devais de clarifier les choses.

L’avez-vous lu ?

J’ai pris la peine de le lire par curiosité intellectuelle. Son auteur


ainsi que l’éditeur se croient plus compétents et plus soucieux de
l’intérêt de l’Algérie que les services compétents en la matière,
c’est-à-dire les renseignements et le contre-espionnage. En ce qui
me concerne, j’ai eu des enquêtes d’habilitation pour avoir occupé
le poste de magistrat, en plus des postes de cadre supérieur de la
nation et enfin l’enquête avant l’octroi de l’agrément de l’UCP, le
parti que je préside depuis son agrément le 19/3/2013. Donc, je
n’ai pas attendu le Hirak du 22 février 2019 pour me faire
connaître.

Page 250
Nul n'a le droit de mesurer le patriotisme des Algériens

L’auteur évoque le financement de l’ONG « Réseau des


femmes juristes arabes » par des organismes américains dont
« Freedom House », l’USAID ou encore (indirectement) le NED.

En tant que membre fondatrice et ancienne présidente de cette ONG, quelle est
votre réaction ?

Concernant le réseau des femmes juristes, une ONG internationale


qui regroupait 18 pays arabes avec des femmes magistrats, avocates
et enseignantes de droits, nous l’avons créé pour former nos
compatriotes aux valeurs de l’Etat de droit et de l’indépendance de
la justice dans nos pays respectifs. Le siège de ce réseau est en
Jordanie et le ministère de la Justice algérien a été de la partie
puisque des femmes magistrats de la Cour suprême, du Conseil
d’Etat, des Cours et Tribunaux ont bénéficié de ces formations
avec notre partenaire, l’ONG américaine ABA. C’est une
association de magistrats et avocats américains qui avait un bureau
agréé à Alger et qui a également organisé un grand programme de
formation au profit du ministère de la Justice. D’ailleurs, il n’y a
aucun document dans cet ouvrage qui parle de l’ONG que j’ai
présidée.

En plus de vous reprocher à vous ainsi qu’à l’avocat Mustapha Bouchachi et


au sociologue Lahouari Addi, ce qu’il présente comme des « accointances avec
des intérêts étasuniens », Ahmed Bensâada relève également vos nombreuses
interventions sur Al Magharabia TV, un média présenté comme « proche du
réseau des islamistes radicaux du FIS (dissous) ». Que répondez-vous ?

Pour ce qui est de mes passages sur la chaîne Al-Magharibia, et


face à la fermeture de tous les médias nationaux à l’opposition,
c’est de mon devoir de répondre à beaucoup d’invitations de
médias de droits étrangers tels que Berbère TV, des chaînes
françaises, anglaises, arabes, américaines, canadiennes, etc.

251
Zoubida Assoul

Au bout du compte, vous considérez-vous comme une des leaders du Hirak ?

L’intitulé de l’ouvrage est intrigant, car il s’adresse à ces héros auto-


proclamés du Hirak. Les vidéos sont là pour attester de ce gros
mensonge. Je ne me suis jamais auto-proclamée héroïne du Hirak.
Je suis une militante de terrain depuis 2012 et je n’ai pas cessé de
m’opposer à ce système de gouvernance que je voyais mener le
pays à la dérive. J’ai commencé à sortir dans la rue, avec d’autres
militants, contre le 5e mandat de Bouteflika en tant que porte-
parole du mouvement « Mouwatna ». J’avais même annoncé, le 28
septembre 2018, que si on levait la répression sur le peuple, il
sortirait dans la rue et ce dans les 48 wilayas, de manière pacifique
pour rejeter ce 5e mandat ainsi que ce système de gouvernance et
d’aller vers la construction d’un Etat de droit et de libertés.
Je crois que nul n’a le droit de mesurer le patriotisme des
Algériens, c’est pourquoi je me réserve le droit d’ester en justice
l’auteur et sa maison d’édition.

Notes de référence

1https://www.reporters.dz/zoubida-assoul-nul-na-le-droit-de-mesurer-le-patriotisme-
des-algeriens/

Page 252
ALKARAMA :
POUR LA DIGNITE DES PEUPLES

Direction juridique, Alkarama


Article publié le 10 septembre 2020 sur Alkarama.org1

1. Introduction .............................................................................. 255


2. Mais qui est donc Alkarama ? .................................................. 257
2.1. La philosophie d’Alkarama : les droits de l’homme pour défendre
la dignité de tous ........................................................................................ 258
2.2. Agir pour les droits de l’homme ...................................................... 260
3. Défaire les préjugés avec la déontologie d’Alkarama............... 261
3.1. La déontologie du travail d’assistance juridique : une garantie
d’indépendance .......................................................................................... 262
3.2. Rachad et Alkarama : des organisations différentes avec une
autonomie propre ...................................................................................... 263
4. L’usage de la diffamation contre les défenseurs des droits de
l’homme........................................................................................ 264
4.1. Quel financement qatari ?................................................................. 265
4.2. Quel financement du terrorisme ? .................................................. 267
4.3. Quelles accusations contre les membres d’Alkarama ?................ 271
5. Les accusations contre Alkarama : une preuve de l’efficacité de
l’organisation ................................................................................ 272
5.1. Pourquoi accuser Alkarama de terrorisme ? .................................. 272
5.2. La défense d’Alkarama au plus haut niveau des Nations unies .. 275
6. Des préjugés dangereux pour le respect des droits humains... 275
6.1. Les dangers d’une vision néocoloniale des droits humains......... 276
Direction juridique, Alkarama

6.2. Conséquences sur les droits humains et les libertés fondamentales


...................................................................................................................... 277
a) Attaquer les personnes faisant usage de leurs droits et libertés
fondamentaux de manière pacifique .................................................. 278
b) Inscrire ces attaques dans la loi du pays ....................................... 279
c) Des préjugés, à la désinformation… à la fermeture de l’espace de
la société civile ....................................................................................... 280
7. Combattre la propagande et défendre les droits de tous.......... 281
7.1. Préserver les libertés fondamentales contre la désinformation .. 282
7.2. Petit exercice de différenciation information et désinformation à
destination de tout citoyen(ne) ................................................................ 287
8. Conclusion ................................................................................ 287
Annexe.......................................................................................... 289

Page 254
Alkarama : Pour la dignité des peuples

« Si vous n’êtes pas vigilants, les journaux arriveront à vous faire


détester les gens opprimés et aimer ceux qui les oppriment. »
Malcolm X, Discours prononcé le 13 décembre 1964 à
l'Audubon Ballroom de Harlem, New York.

1. Introduction
Dans son ouvrage intitulé « Qui sont ces ténors autoproclamés du Hirak
algérien ? », Ahmed Bensâada fait référence à Alkarama comme une
« ONG droit-de-l’hommiste établie en Suisse ».2 L’utilisation du
terme « droit-de-l’hommiste »3 n’est pas fortuite en ce qu’elle revêt
une connotation négative.
Ce néologisme péjoratif semble indiquer – consciemment ou
pas – une claire inimitié de l’auteur envers l’organisation, une
inimitié qui si elle ne faisait pas partie d’un discours dangereux
pour les droits humains n’aurait guère attiré notre attention. Le
terme « droit-de-l’hommiste » indique d’abord un préjugé. Le
préjugé est défini comme un jugement ou une opinion préconçue
envers un groupe de personnes ou une catégorie sociale. Par
nature, une fois qu’un préjugé est formé il se diffuse en dehors de
toute connaissance objective, sans même qu’il n’y ait eu de contact
entre l’auteur du préjugé et sa cible.4 Partant, les préjugés reposent
sur une exagération erronée et rigide et peuvent être tout
simplement définis comme le résume l’un des théoriciens du sujet :
« penser du mal des autres sans raison valable ».5
C’est donc l’approche que l’auteur adopte dans sa publication
lorsqu’il qualifie ses cibles de « ténors autoproclamés » et sur qui il
s’affaire à construire des théories selon lesquelles ils auraient des
visées maléfiques pour le pays, sans toutefois apporter aucun
argument propre à soutenir son assertion. Le livre d’Ahmed
Bensâada est fondé sur des préjugés, et non sur une recherche
exhaustive et rigoureuse qui aurait permis de donner au lecteur une
image aussi fidèle que possible de la réalité – ce qui est le but de
tout chercheur honnête. Ahmed Bensâada n’a jamais jugé utile de
contacter Alkarama, dans un souci d’impartialité, alors que l’avant-
propos présente son travail comme une « enquête ». Or il s’agit ici

255
Direction juridique, Alkarama

d’un véritable réquisitoire à charge dans le cadre d’un procès in


absentia et inéquitable de personnes et d’organisations qui n’ont pas
eu droit à la parole pour se défendre. Reste à comprendre et à
déchiffrer ce qui motive « l’enquêteur » Ahmed Bensâada. Il va
sans dire que son positionnement s’inscrit, de fait, à contre-courant
des revendications du hirak pour une justice indépendante et la
primauté de la règle de droit dont l’un des principes cardinaux est
la présomption d’innocence.
L’auteur nous donne donc l’opportunité de répondre à ses
contrevérités en déconstruisant son discours et en mettant en
évidence le danger qu’il représente pour les droits humains. Il nous
permet également de nous adresser au peuple algérien et à sa
jeunesse pour rappeler que le premier droit civil à mettre en œuvre
est bien celui de notre peuple à disposer enfin de lui-même près de
soixante années après avoir libéré sa terre.
Notre réponse se fera donc en quatre temps : il s’agira de
répondre à la question non résolue d’Ahmed Bensâada « mais qui
est donc Alkarama ? » (chapitre 2). Après avoir clarifié ce qu’est
Alkarama, nous expliquerons ce qu’elle n’est pas (chapitre 3). Nous
répondrons ensuite directement aux accusations faites par l’auteur
en expliquant leur genèse et en les déconstruisant une par une
(chapitre 4). De plus, il nous apparait nécessaire d’aller au-delà du
livre d’Ahmed Bensâada, pour déconstruire un discours bien établi,
utilisé par les idéologues populistes et les régimes totalitaires
consistant à diffamer publiquement les défenseurs des droits de
l’homme (chapitre 5). En tant qu’organisation de défense des
droits humains dont l’un des buts est de conscientiser les
populations sur le respect de leurs droits et libertés fondamentales,
nous expliquerons pourquoi de tels discours sont dangereux
(chapitre 6) et comment leur faire face pour protéger nos droits et
libertés fondamentales (chapitre 7). Il est essentiel pour le hirak, en
tant que mouvement populaire, de comprendre que tant son
combat pacifique que ses revendications sont non seulement
légitimes mais constituent des droits protégés par la Constitution
et les Conventions ratifiées par l’Algérie.

Page 256
Alkarama : Pour la dignité des peuples

2. Mais qui est donc Alkarama ?

Alkarama une « organisation droit-de-l’hommiste » ? Ce terme qui


s’est transformé dans le discours contemporain en néologisme
péjoratif6 avait été inventé par Alain Pellet, professeur de droit
international à Nanterre, sans qu’il n’ait nullement l’intention de lui
donner un sens dévalorisant. Dans son esprit, ce terme servait
seulement à qualifier « l'état d'esprit des militants des droits de
l'homme, pour lesquels je nourris, disait-il, la plus grande
admiration, tout en mettant en garde contre la confusion des
genres : le droit d'une part, l'idéologie des droits de l'homme de
l'autre ».7
Aujourd’hui, ce terme rassemble à lui seul toutes les critiques –
fondées comme infondées – sur les discours et mouvements des
droits de l’homme. Dans le cas présent, il semble vouloir indiquer
qu’Alkarama se servirait du discours des droits de l’homme à
d’autres fins, accusation que l’auteur n’est ni le premier, ni le
dernier à faire étant donné le climat international délétère en
matière de respect pour les principes fondamentaux de dignité
humaine. Il nous paraît donc primordial de répondre à la question
que l’auteur pose, sans y répondre lui-même, « mais qui est donc
Alkarama ? ». Il ne s’agit pas uniquement de défendre
l’organisation, mais surtout la philosophie qui sous-tend la défense
des droits humains, à savoir le respect de la dignité de chaque être
humain, sans discrimination.
D’autre part, nous montrerons que les accusations de l’auteur
de « financement du terrorisme » constituent en réalité des
représailles contre l’organisation. Il est coutumier pour les Etats
autoritaires et/ou qui violent les droits humains d’accuser ceux qui
dénoncent ses violations de terrorisme, afin de discréditer toute
critique légitime et faciliter sa répression.i

iA ce titre, les experts indépendants des Nations unies ont à maintes reprises
dénoncé ces pratiques des Etats consistant à accuser les défenseurs des droits
humains, avocats, journalistes, opposants politiques et autres activistes
pacifiques de terrorisme ou d’apologie du terrorisme.

257
Direction juridique, Alkarama

2.1. La philosophie d’Alkarama : les droits de l’homme pour


défendre la dignité de tous

Alkarama est née de la conviction que documenter les violations


généralisées et systématiques des droits humains dans le monde
arabe, à l’attention des mécanismes des droits de l'homme des
Nations unies, permettrait de les réduire en dénonçant leurs
auteurs et commanditaires. Avoir recours aux mécanismes quasi-
judiciaires des Nations unies compenserait, dans une certaine
mesure, l'absence d'Etat de droit dans les pays de la région.
La philosophie de l’organisation consiste alors à mettre le droit
international des droits de l'homme et ses mécanismes au service
des victimes de violations pour qu’elles puissent être reconnues.
Après tout, rappelons que le droit international n’est pas un droit
étranger : il fait entièrement partie du droit de chaque Etat qui l’a
établi et longuement négocié à travers des traités qu’il s’est engagé
à respecter. Nous reviendrons sur ce point dans notre seconde
partie pour répondre aux accusations souvent formulées à l’égard
de ceux, en Algérie comme ailleurs, qui font appel au droit
international et à ses mécanismes pour défendre leurs compatriotes
contre l’injustice.
Pour les victimes de violations des droits de l’homme, il
demeure primordial qu’elles soient entendues et considérées. Cette
considération a un impact d’autant plus fort qu’elle émane
d’experts indépendants des Nations unies. Cela signifie, à tout le
moins, une reconnaissance internationale de leur statut de victimes
et des droits qui lui sont naturellement attachés : reconnaissance,
réparation, poursuite pénale et sanction des auteurs. Non
seulement cette reconnaissance contribuerait à réhabiliter la
victime dans sa dignité, mais elle constituerait également une forme
naissante de responsabilité des auteurs. Depuis la création
d’Alkarama, ce sont plusieurs milliers de victimes, hommes,
femmes et enfants, de toute religion ou affiliation politique qui ont
fait appel à notre expertise dans tous les pays de la Ligue arabe, et
même au-delà. Par exemple, Alkarama a introduit les seules
plaintes existantes au niveau onusien à l’encontre des Etats-Unis

Page 258
Alkarama : Pour la dignité des peuples

d’Amérique pour des faits de disparition forcées d’Irakiens après


l’invasion de 2003.8
En plus des plaintes individuelles, les examens des organes
conventionnels des Nations unies, ainsi que les examens
périodiques universels du Conseil des droits de l'homme, nous
permettent de faire la lumière sur les causes systémiques des
violations que nous documentons. En l'absence de toute légitimité
démocratique, les régimes du monde arabe s'appuient sur la peur
qu'ils inspirent à leur population pour assurer leur propre stabilité
et sécurité. Il n'est donc pas surprenant que ces pays produisent
des lois qui assimilent toute expression critique libre à une attaque
contre la stabilité et la sécurité de l'Etat, voire à une forme de
terrorisme. Ces lois injustes sont mises en œuvre par un appareil
répressif qui recourt à la violence et à l’arbitraire en toute impunité,
démontrant ainsi l’approbation de ces abus au plus haut niveau de
l’Etat. Au cours de ces examens, nous pouvons mettre en lumière
et contester ces lois et ces pratiques. Les représentants des Etats
sont enfin confrontés aux violations commises, au moins devant
les experts des Nations unies. Ainsi, plusieurs centaines de
rapports et de notes ont été rédigés par les juristes de l’organisation
sur chaque pays arabe ainsi que d’autres pays, y compris les Etats-
Unis.
Enfin, nous communiquons à la fois sur nos plaintes
individuelles et sur les examens périodiques pour sensibiliser les
sociétés civiles locales à l'utilité d'une telle démarche. Nous avons
formé des défenseurs des droits de l'homme afin de reproduire
notre travail basé sur le principe de la non-discrimination dans une
région marquée par des divisions ethniques, linguistiques,
religieuses et politiques qui ont polarisé même les sociétés civiles.
Cette contribution même entre dans cette démarche de
conscientisation : il est primordial de déconstruire les discours tels
que ceux d’Ahmed Bensâada qui mettent en danger les libertés
fondamentales en s’attaquant à ceux qui en font usage et ceux qui
les défendent.

259
Direction juridique, Alkarama

2.2. Agir pour les droits de l’homme

L’expertise d’Alkarama en matière de droit international des droits


de l’homme et des mécanismes onusiens est aujourd’hui reconnue
par l’organisation des Nations unies elle-même, qui ne manque pas
de soutenir Alkarama face aux attaques qu’elle subit depuis sa
création.
Nous sommes fiers d'avoir été les initiateurs des deux seules
enquêtes internationales indépendantes sur les pays arabes menées
par le Comité contre la torture, à savoir le Liban9 et l'Egypte.10 Ces
deux enquêtes internationales ont conclu que la torture est
pratiquée de manière systématique dans ces deux pays, ouvrant la
possibilité de poursuites pénales individuelles contre les
responsables, y compris sur la base de la compétence universelle.i
A ces enquêtes s’ajoutent des plaintes confidentielles contre
plusieurs Etats de la région qui commettent les pires atrocités, y
compris les Emirats Arabes Unies et l’Arabie Saoudite pour la
répression implacable des opposants politiques et religieux, des
journalistes et des avocats qui subissent une violence extrême et
meurent parfois sous la torture et les traitements inhumains.
Alkarama a également été à l’origine de plusieurs enquêtes sur les
effets des attaques américaines au Yémen, un pays déjà dévasté par
une crise humanitaire sans précédent. Ces rapports d’enquêtes
remis aux experts indépendants des Nations unies ont permis de
dénoncer les nombreux morts innocents des attaques de drones 11
ainsi que leurs effets dévastateurs sur l’état psychologique des
populations, notamment des femmes et des enfants vivant sous la
peur constante d’une frappe aérienne.12
Voilà donc une première clarification à la question de l’auteur
« qui est donc Alkarama ? ». Une organisation qui, avec un budget
et des moyens limités, mais grâce à des équipes et des réseaux

iLa compétence universelle donne l’aptitude à un juge à instruire et poursuivre


des crimes quel que soit le lieu de sa commission et quelles que soient la
nationalité de l’auteur et celle de la victime. Voir : Vandermeersch Damien,
« Chapitre 3. La compétence universelle », dans : Antonio Cassese éd., Juridictions
nationales et crimes internationaux. Paris, Presses Universitaires de France, « Hors
collection », 2002, pp. 589-611.

Page 260
Alkarama : Pour la dignité des peuples

bénévoles partageant nos principes, se bat contre l’injustice, cas par


cas, plainte par plainte, rapport par rapport. Même si les effets de
telles procédures ne se voient pas immédiatement et
ostensiblement, elles constituent un début de justice, celui de
refuser aux puissants le privilège de l’impunité.
Notre vision ? Celle d’un monde arabe où chacun peut exiger le
respect de tous ses droits, sans craindre pour sa vie, sa liberté ou
son intégrité physique. C’est un monde où les droits de toutes les
personnes vivant sous la juridiction d’un Etat sont effectivement
protégés par la loi et où les dirigeants rendent compte à leur
population, respectent les lois internes et les conventions
internationales des droits de l’homme. C’est notre vœu pour
chaque pays de la région, notamment l’Algérie.

3. Défaire les préjugés avec la déontologie d’Alkarama


Lorsque l’auteur pose la question de savoir pourquoi Alkarama a
défendu Karim Tabbou,13 à défaut d’autres victimes, il ignore deux
principes essentiels du travail de défense juridique : celui selon
lequel c’est la victime qui s’adresse à l’avocat et non le contraire,
d’une part, et celui de la confidentialité du traitement des cas,
d’autre part.
Il soutient également que l’organisation n’est rien de plus que la
vitrine associative du mouvement Rachad.
Les victimes défendues par Alkarama viennent de tous les
horizons ; et défendre des victimes suppose d’abord le respect de
certains principes qui relèvent de « l’éthique » ou de la
« déontologie » juridique.
D’autre part, si Alkarama et Rachad disposent de personnalités
en commun, une analyse plus objective de la situation montre que
ce sont deux organisations bien différentes agissant pour des buts
et dans des cadres différents.

261
Direction juridique, Alkarama

3.1. La déontologie du travail d’assistance juridique : une


garantie d’indépendance

Alkarama fonctionne à la manière d’un cabinet d’avocat traitant


des violations au niveau international, à ceci près que l’assistance
est fournie pro bono, c’est à dire gratuitement. A ce titre, ses juristes
sont soumis à la déontologie du travail juridique. L’éthique
juridique implique ensuite pour le juriste défenseur des droits de
l’homme d’exercer son mandat avec dignité, indépendance, non-
discrimination, intégrité et justice. Ces principes sont consacrés
dans la charte de l’organisation qui règle son fonctionnement, et
que l’auteur aurait pu consulter pour obtenir des informations sur
Alkarama qui ne soient pas issus de journaux américains néo-
conservateurs,14 de tabloïds anglais ou encore de la presse inféodée
aux Etats autoritaires de la région dont les Emirats Arabes Unis.15
Il est important de rappeler l’éthique qui guide notre travail.
Tout d’abord la dignité, c’est-à-dire le respect qui est dû à tout être
humain du fait de son humanité, guide la manière avec laquelle
nous traitons les victimes de violations qui nous sollicitent, et en
respectant les règles de confidentialité et de leur consentement
éclairé pour toute action prise par l’organisation. Ce n’est pas par
hasard que nous avons choisi Alkarama, Dignité en arabe, comme
nom pour notre organisation. De ce concept de dignité découle
celui de la non-discrimination, une égalité de traitement de toutes
les victimes de violations qui nous saisissent, dans la mesure où ces
violations entrent dans notre mandat, sans autre considération.
Avoir une approche permettant d’assister toute personne se
présentant à nous, sans discrimination, implique nécessairement
une indépendance à laquelle Alkarama est particulièrement
attachée. L’indépendance signifie la faculté d’agir librement, sans
contrainte ou injonction d’une entité politique ou idéologique
quelle qu’elle soit. En pratique, la stratégie d’action d'Alkarama
n’obéit ni à des pressions politiques ni idéologiques ni financières.
Les choix stratégiques en matière de priorités et axes de notre
travail font l’objet d’une consultation effective et détaillée avec le
personnel et le Conseil consultatif, et sur la base d’une étude
objective des réalités et des problématiques des violations des

Page 262
Alkarama : Pour la dignité des peuples

droits de l’homme dans les pays que nous couvrons. Cela signifie
encore, et surtout, le refus catégorique de tout financement
comportant des conditions qui iraient à l’encontre de nos valeurs
ou des intérêts des victimes ou provenant de gouvernements ou
entités qui commettent de graves violations des droits de l’homme
ou qui seraient impliqués directement ou indirectement dans des
conflits dans la région.
Enfin, cette indépendance nous donne la possibilité, et la
crédibilité nécessaire, pour interagir avec toutes les parties de la
société qui composent le monde arabe. Ainsi, Alkarama est fière de
compter des soutiens dans l’ensemble de ces sociétés, à travers les
différents spectres politiques et sectaires qui divisent pourtant si
profondément le monde arabe.
Nous avons ainsi pu aider des victimes tout aussi diverses que
des religieux shiites en Arabie Saoudite et au Bahreïn, des
chouyoukhs sunnites en Arabie Saoudite, des minorités juives au
Yémen forcées de quitter leurs terres ancestrales, des défenseur(e)s
des droits des femmes et des libéraux en Arabie Saoudite, des
activistes écologistes à Oman, des familles palestiniennes dans les
territoires et réfugiées, des Syriens de tous bords, des activistes de
gauche et des membres des Frères musulmans en Egypte… En
Algérie, les personnes qui font appel à nous sont celles que l’on
voit défiler pacifiquement les vendredis et qui sont arrêtées
arbitrairement. Ainsi depuis le début du hirak, ce ne sont pas
moins d’une vingtaine de saisies urgentes qui ont été faites par
notre équipe.

3.2. Rachad et Alkarama : des organisations différentes avec


une autonomie propre

Il faut rappeler qu’Alkarama est une organisation constituée en


Suisse, selon le droit suisse. Ses membres algériens n’en sont que
l’une des composantes et elle n'est organiquement pas liée au
mouvement Rachad. Il faut cependant noter qu'un membre de son
Conseil (Abbas Aroua) et deux personnes de son exécutif (Mourad
Dhina et Rachid Mesli) sont aussi membres de Rachad. Cette
relation est cependant encadrée par la charte de l’organisation,16
qui impose notamment que « la stratégie d’Alkarama n’obéit ni à

263
Direction juridique, Alkarama

des pressions politiques ni idéologiques ni financières », et rappelle


que « l’engagement pour les droits de l'homme est, vu sous un
certain angle, aussi un engagement politique ». Ainsi la charte
d’Alkarama n’exclut pas la possibilité pour ses membres d’avoir
une activité politique, comme c’est le cas de toute ONG. Toutefois
cette charte impose que cet engagement respecte des limites
claires, notamment celles de préserver l’indépendance et
l’impartialité de l'organisation afin de pouvoir agir au mieux de
l'intérêt des victimes. Les membres d’Alkarama qui font partie de
Rachad ont toujours respecté ces principes.
Il est donc clair qu'en aucun cas Alkarama ne pourrait être
tenue pour responsable des actions de Rachad et vice-versa.
Certains médias et activistes se sont cependant attaqués à
Alkarama pour tenter de discréditer Rachad en présentant
Alkarama tantôt comme une « officine qatarie » ou carrément
comme une entité « terroriste ». Par le biais de ce même stratagème
ils espèrent renverser les rôles et décrédibiliser le travail juridique
reconnu d'Alkarama en la présentant comme un pion des « visées
politiques » de Rachad. La présente contribution rappelle des faits
et des données vérifiables sur Alkarama et son travail et répond
ainsi aux accusations infondées dirigées contre elle.
Bien avant Bensâada, les Emirats Arabes Unis et l’Arabie
Saoudite avaient tenté de nous discréditer soit directement soit à
travers des mercenaires de la plume néo-conservateurs et
islamophobes ou des journalistes en quête de « gros titres »,
notamment en Suisse, clamant à tout va qu’une dangereuse
organisation terroriste serait au registre des fondations et aurait
accès aux Nations unies. Nous considérons pour notre part ces
attaques contre une petite organisation composée de quelques
juristes comme un aveu de l’impact de notre action sur ceux qui
commettent les pires atrocités, en Algérie comme ailleurs dans le
monde arabe.

4. L’usage de la diffamation contre les défenseurs des


droits de l’homme

Depuis sa création, Alkarama a fait l’objet d’accusations aussi


diverses que variées, certaines aussi grotesques que risibles. Elles

Page 264
Alkarama : Pour la dignité des peuples

traduisent en réalité l’agacement, puis l’inquiétude, des dirigeants


des régimes répressifs arabes instigateurs des pires crimes contre
leurs peuples, face au travail de notre équipe. Elles sont également
le fruit d’une réelle défiance envers tout ce qui a trait à l’islam, et ce
même lorsque des musulmans clament et s’approprient leurs droits
universels à la dignité et la liberté. Elles doivent également être
comprises dans le contexte post-« 11 septembre » et de la politique
américaine, soutenue par des régimes arabes, de répression aveugle
des populations de nombreux pays musulmans dont l’image la plus
marquante reste celle des Irakiens à Abu Ghraib, torturés,
dénudés, humiliés et attachés par le cou.
Il nous est important d’expliquer la genèse de ces accusations
que l’auteur ne fait qu’effleurer lorsqu’il se contente de lâcher
« nonobstant les accusations de financement de terrorisme portées
contre cette ONG » ajoutant que ce « sujet ne sera pas développé
ici ». Il se fait donc simplement le relai des accusations de
« financement de terrorisme » sans même les développer. Peut-être
devine-t-il que ces accusations sont difficiles à soutenir ? De plus, il
ajoute qu’elle est financée par des capitaux qataris, encore faut-il
savoir à quels capitaux il fait allusion. Enfin, il fait référence au fait
que Mourad Dhina a été longtemps son directeur exécutif. Il
convient donc de traiter de ces trois points successivement.

4.1. Quel financement qatari ?

Alkarama tient pour principe fondamental dans son


fonctionnement de ne jamais accepter de fonds d’Etats de la
région pour préserver son indépendance. En tant que fondation de
droit suisse elle est soumise au strict contrôle de l’autorité fédérale
qui vérifie ses sources de financement et la façon dont ses fonds
sont dépensés. Alkarama a été financée strictement par des
personnes privées, engagées pour la dignité de la personne
humaine et la défense des droits des opprimés. Dire qu’Alkarama
est financé par le Qatar est tout simplement faux. Pour voir à quoi
ressemble une ONG financée par un Etat de la région, il suffit de
se rendre à Genève pour voir les bureaux luxueux et chauffeurs
privés dont ces « défenseurs des droits de l’homme » disposent, et
surtout d’entendre leurs discours élogieux aux Nations unies à

265
Direction juridique, Alkarama

l’attention de leurs pourvoyeurs de fonds. La pratique du


financement des ONG par certains pays à Genève a
principalement pour but de créer des vitrines prétendument
« indépendantes » dont le rôle est de nier les violations des droits
de l’homme commises par leurs sponsors. En d’autres termes, ces
organisations ne sont que le bras associatif des Etats au sein des
Nations unies pour les protéger tout en attaquant leurs ennemis,
parmi lesquels Alkarama figure en bonne place.
Des « GONGOS », un jeu d’acronymes pour désigner les
organisations « gouvernementales non gouvernementales »,
financées par les Etats, vous en trouverez à foison à Genève, et
pour les identifier il suffit de consulter leurs rapports sur le site du
Haut-Commissariat aux droits de l’homme comme celui, à titre
d’exemple, de l’« Arab Federation for Human Rights » (ArabFHR)
lors de l’examen des Emirats Arabes Unis par le Conseil des droits
de l’homme en 2017. Comparez ensuite ce type de rapport avec
ceux des ONG réellement indépendantes.17 Vous ne trouverez
dans le rapport de cette « ArabFHR » qu’une description élogieuse
des Emirats Arabes Unis, où personne ne semble être détenu pour
avoir exercé son métier d’avocat ou s’être opposé pacifiquement
aux Emirs de ce pays autoritaire. Une GONGO qui niera
l’existence des disparitions forcées en Egypte sous le régime du
« maréchal » Al Sissi malgré les milliers de cas enregistrés auprès du
Groupe de travail sur les disparitions forcées de Nations unies, et
dont le directeur affirmera sans vergogne à la figure des familles
des jeunes victimes que « les cas de disparitions forcées en Egypte
ne sont que des mensonges proférés par des groupes dirigés par les
Frères musulmans, qui utilisent les mécanismes des droits de
l’homme politiquement ».18
Un autre exemple édifiant, le « Global Network for Rights and
Development » (GNRD), au service des Emirats Arabes Unis, qui
avait publié un « index des droits de l’homme », plaçant sans rougir
leurs Etats sponsors et amis au top de la liste, avant même les
démocraties occidentales, et ce malgré les rapports accablants
d’ONG indépendantes et des Nations unies.19
Il suffit pour n’importe quel chercheur de bonne foi d’aller sur
le site d’Alkarama ou encore de faire quelques recherches sur le

Page 266
Alkarama : Pour la dignité des peuples

site du Haut-commissariat des Nations unies pour les droits de


l’homme pour relever qu’Alkarama est la seule organisation à
travailler régulièrement sur les problématiques des droits humains
au Qatar. Nos rapports aux Comités et aux experts indépendants
ont été les plus critiques envers cet Etat et ont régulièrement relevé
tant l’absence de protection des libertés fondamentales que les
violations des droits des détenus et de ceux des travailleurs
migrants.20 Est-ce vraiment ce que l’on attend d’une organisation
financée par le Qatar ? Nous avons soumis des rapports et des
plaintes individuelles contre chacun des pays de la région – y
compris le Qatar –, et nous n’avons jamais félicité aucun Etat du
Golfe pour ses prouesses imaginaires en matière de respect des
droits humains. C’est bien cette approche critique et impartiale qui
a fini par nous mettre à dos l’ensemble des Etats de la région et
explique les attaques incessantes contre Alkarama. Et quelle
attaque plus sournoise et plus efficace aujourd’hui contre des
organisations arabes que celle du « terrorisme » ?

4.2. Quel financement du terrorisme ?

Alkarama a toujours été très claire : la non-violence est un principe


fondamental de sa charte et l’organisation a toujours condamné le
terrorisme, qui est l’utilisation de la terreur et de la violence à des
fins politiques. Dans le monde arabe toutefois, l’étiquette du
terrorisme est devenue l’arme de prédilection des régimes
autoritaires pour étouffer toute critique ou demande pacifique de
participation à la vie politique. Ainsi, ceux qui souhaitent s’attaquer
au travail que nous menons depuis 2004 ne se privent pas
d’accuser Alkarama de soutenir le terrorisme.
Ces accusations de liens avec le terrorisme avaient débuté avec
le « listing » par les Etats-Unis, à la demande de leurs alliés du
Golfe, de l’un des fondateurs d’Alkarama, Abdulrahman Al
Nuaimi, ancien professeur d’histoire moderne et contemporaine à
l’université du Qatar et militant pour les droits de l’homme, ancien
prisonnier de conscience d’Amnesty International.21 Nous invitons
toute personne qui cherche honnêtement à comprendre son
histoire et sa situation à lire la décision du Groupe de Travail des
Nations unies sur la Détention Arbitraire de 2018 le concernant.

267
Direction juridique, Alkarama

Les experts indépendants ont relevé le fait qu’en décembre 2013, le


Département du Trésor des Etats-Unis d’Amérique ait inscrit
Abdulrahman Al Nuaimi sur la liste des « personnes finançant et
facilitant des actes de terrorisme » sans permettre aucun recours de
sa part. Ce système de « listing » unilatéral, mis en place par les
Etats-Unis après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 et
renforcé après l’invasion illégale de l’Irak par les forces
américaines, a constitué une véritable machine à lister toute
personne suspecte.22 Or, parfois, par « personne suspecte » il faut
entendre en réalité opposée à l’interventionnisme américain dans la
région ou aux régimes arabes totalitaires. Aucun élément de preuve
n’a été produit par le Département du Trésor américain, alors que
Abdulrahman Al Nuaimi, niant toutes les accusations portées
contre lui, a officiellement fait savoir aux autorités américaines,
ainsi qu’au Comité des sanctions du Conseil de sécurité des
Nations unies, qu’il était disposé à se présenter devant des
tribunaux américains pour être jugé. En vain.
Il a été toutefois poursuivi, emprisonné et jugé par un tribunal
dans son pays qui, faute de tout élément de preuve transmis par les
Etats-Unis corroborant ces accusations, a été contraint de rendre
un jugement le 30 mai 2016 l’innocentant de toutes les charges
portées contre lui.
Dans leur décision de 2018, les experts indépendants de l’ONU
s’étaient inquiétés du manque de clarté des poursuites à son
encontre dans le contexte général de la lutte contre le terrorisme.
Et les experts de conclure que « cela soulève de sérieuses
inquiétudes quant à la véritable raison d’être de cette affaire, en
particulier lorsqu’il est question de pratiques mondiales bien
connues qui ont été adoptées après le 11 septembre 2001 ».23 Ce
que les experts soulèvent ici a été documenté et analysé par des
études académiques en droit international et par la société civile : le
mépris total pour les droits fondamentaux des personnes
concernées par les mesures anti-terroristes prises par les Etats-Unis
et leurs alliés dans le monde suite aux attaques du 11 septembre
2001. Comme le souligne l’experte indépendante des Nations unies
sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des
libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, « pour aucune de

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Alkarama : Pour la dignité des peuples

ses résolutions relatives à la lutte antiterroriste, […], le Conseil de


sécurité n’a dialogué avec la société civile pour en déterminer les
effets juridiques, politiques, sociaux et culturels ».24 En outre, selon
l’experte, l’absence de définition du terrorisme dans la résolution
1373 (2001) du Conseil de sécurité des Nations unies établissant
ces fameuses listes de sanctions « a ouvert la porte à l’inscription
arbitraire ou malveillante du nom de toute personne ou groupe, y
compris de la société civile, et ce, sous l’égide légitimatrice du
Conseil ».25
En 2014, Abdulrahman Al Nuaimi a démissionné d’Alkarama,26
une démission suivie d’une lettre du Département du Trésor
américain expliquant, avec une sorte de bienveillance mal placée,
qu’Alkarama n’était nullement visée par les accusations du Trésor
américain mais qu’elle devait tout de même prendre plus de
précautions dans le futur.
Mais le mal était fait, et le bâton pour battre Alkarama était
servi sur un plateau d’argent par les Américains à leurs alliés de la
région pour discréditer notre organisation et déclencher des
campagnes de désinformation dans la presse, qu’il s’agisse du
journal libanais As-Safir, qui accuse ouvertement Alkarama de
« soutenir le terrorisme » et de « propager l'anarchie », de la chaîne
libanaise affiliée au Hezbollah, Al Manar ou des sites d'information
des gouvernements syrien, RTV.gov et Al Thawra ou saoudien Al
Akhbar Al Youm.
Il est vrai qu’Alkarama a été à l’origine d’une enquête
internationale sur la pratique de la torture au Liban, y compris par
le Hezbollah, et qu’elle est l’une des sources les plus importantes
de documentation des disparitions forcées et d’exécutions extra-
judiciaires commises par le régime syrien.
Ensuite, c’est le magazine Commentary, un journal américain néo-
conservateur et pro-israélien, qui a accusé Alkarama d'être dirigée
par un « financier d'Al-Qaida », en référence à Abdulrahman Al
Naimi.27 En octobre 2014, c’est cette fois le journal suisse Le Temps
qui a publié un article intitulé « La ville de Genève a financé une ONG
accusée de liens avec Al-Qaïda »,28qui a été ensuite relayé par d'autres
médias suisses.

269
Direction juridique, Alkarama

Nous avons donc décidé de réagir et un mois plus tard le


directeur juridique d’Alkarama, Rachid Mesli, a publié un article
sur la difficulté de défendre les droits de l'homme dans le monde
arabe, expliquant que dans le monde arabe, ceux qui osent critiquer
les régimes autoritaires ou exiger plus de liberté sont accusés de
terrorisme pour étouffer toute critique.29
En novembre 2014, l'agence de presse des Emirats Arabes Unis
a publié une liste de 85 organisations « désignées comme
terroristes en application de la loi fédérale n° 7 pour 2014 sur la
lutte contre les crimes terroristes », publiée par le cheikh Khalifa
bin Zayed Al Nayhan dans le but de « sensibiliser la société à ces
organisations ».30 Cette liste qui comprend des organisations
terroristes internationalement reconnues, telles qu'Al-Qaida ou
ISIL (l'Etat islamique d'Irak et du Levant), comprend également
plusieurs associations musulmanes en Europe et des ONG
internationales reconnues, telles que le Conseil des relations
américano-islamiques (CAIR) et le Secours Islamique. Alkarama
figure parmi les associations listées. Malgré nos tentatives de
joindre la représentation émiratie à Genève pour obtenir des
explications, aucune réponse ne nous est parvenue. Ce listing ne
nous surprenait pas outre mesure et ne nous a pas empêché de
continuer notre travail en faveur des victimes avec les mécanismes
onusiens des droits de l’homme.
Bensâada et les journaux algériens pro-gouvernementaux
peuvent répéter ces accusations ad nauseam et en toute impunité,
protégés, voire encouragés, par le régime algérien. Il en va
autrement dans les Etats de droit où la justice est indépendante.
Ainsi, lorsqu’en 2018, le journal suisse Le Temps récidive en
publiant en janvier 2018 un article31 suggérant qu’Alkarama ferait
partie d’une « nébuleuse » islamiste pro-Qatar faisant l’objet
d’enquête des services suisses, nous avons porté l’affaire devant un
tribunal suisse. Celui-ci a donné raison à Alkarama face à un des
titres les plus prestigieux du pays : le journal a été condamné à
publier une réponse d’Alkarama et à verser des réparations
pécuniaires.32 Ce serait probablement le résultat de toute autre
plainte pour diffamation d’Alkarama si de telles procédures ne

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Alkarama : Pour la dignité des peuples

nous détournaient pas de notre mission principale qui est de venir


en aide aux victimes.

4.3. Quelles accusations contre les membres d’Alkarama ?

Il est intellectuellement malhonnête de ne pas mentionner que


suite à son arrestation et son emprisonnement en France suite à la
demande du régime d’Alger, Mourad Dhina n’a finalement pas été
extradé en Algérie. Le procureur français lui-même, à la réception
du dossier d’extradition algérien, l’a qualifié d’« ubuesque », les
autorités, qui n’avaient tout simplement et probablement pas lu les
pièces du dossier envoyé, n'avaient non seulement produit aucune
preuve justifiant leur demande mais au contraire fourni un
document établissant son innocence !33 Toutes les autres demandes
d’extradition formulées contre lui par les autorités algériennes en
France et en Suisse furent d’ailleurs rejetées tant elles étaient
ridicules et inconsistantes.
Contrairement à ce que les adeptes des théories du complot
peuvent penser, Mourad Dhina et les autres opposants algériens en
Europe ne jouissent d’aucune protection d’aucun pays, sinon de la
protection par la règle de droit et une justice indépendante.
Il en va de même pour Rachid Mesli qui fut arrêté à la frontière
suisse-italienne en août 2015 sur le fondement d’un mandat d’arrêt
international émis par les autorités algériennes en 2002. Le
16 décembre 2015, un juge italien a rejeté la demande d'extradition
après avoir constaté toutes les incohérences du mandat d'arrêt
international. Le tribunal a considéré que les accusations portées
contre lui étaient le résultat de « persécutions politiques » et a
affirmé que « ses activités en faveur des droits de l'homme n'ont
rien à voir avec le terrorisme ». Enfin, le 13 mai 2016, la
Commission de contrôle des fichiers d'Interpol a décidé, après une
longue bataille juridique, d'annuler ce mandat d'arrêt
international.34

271
Direction juridique, Alkarama

5. Les accusations contre Alkarama : une preuve de


l’efficacité de l’organisation
Dans un article paru dans le journal suisse Le Temps,35 le
20 novembre 2014, le directeur juridique d’Alkarama écrivait à quel
point il était difficile de défendre les droits de l’homme dans le
monde arabe, en réponse à un énième article36 paru dans la presse
suisse sur les accusations de terrorisme formulées contre Alkarama
par les Emirats Arabes Unis notamment. Rachid Mesli affirmait
alors ce que toute personne au fait de la situation des droits de
l’homme sait déjà, à savoir que « dans le monde arabe, ceux qui
critiquent les régimes autoritaires ou demandent plus de libertés
sont taxés de “terrorisme”. Mais quand les démocraties
occidentales entonnent le même refrain, cela devient vraiment
inquiétant. » Toutefois, Alkarama a constamment été défendue par
les experts et expertes de l’ONU, les ONG indépendantes et la
société civile, qui non seulement soutiennent l’organisation, mais
comprennent également les raisons d’un tel acharnement.

5.1. Pourquoi accuser Alkarama de terrorisme ?

Pour comprendre pourquoi les accusations d’Ahmed Bensâada ne


sont pas fondées sur une véritable analyse de la situation, il faut se
pencher sur les raisons et la source de ces accusations. Il est aisé de
voir que le travail d’Alkarama dérange les puissants de ce monde,
et ce, à de nombreux égards.
Le fait de dénoncer publiquement à l’ONU des violations
systématiques, équivalant souvent à des crimes contre l’humanité,
ne peut en effet que déplaire à des régimes habitués à l’indifférence
de leurs puissants alliés occidentaux, voire à leur complicité.
Rien de plus subversif en effet que de remettre en question le
discours orwellieni des Etats arabes totalitaires et de dénoncer la

i Nous signifions par « orwellien » ici les techniques de langages des Etats
totalitaires consistant à faire passer l’injustice pour la justice, l’exception pour la
norme, ou encore, pour ce qui nous concerne, des défenseurs des droits
humains pacifiques ou simplement des étudiants demandant plus de droits de
libertés et de perspectives et d’égalité des chances, pour des dangereux
terroristes islamistes qu’il faudrait « mater ». Georges Orwell illustre cette

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Alkarama : Pour la dignité des peuples

violence politique qu’ils utilisent contre leur peuple et qu’ils


présentent comme le seul moyen – et le plus efficace – de pacifier
cette région « stratégique » au profit de leurs alliés.
Or, ce qui a le pouvoir de rendre « indéfendable » toute
personne aujourd’hui c’est bien l’accusation de terrorisme. Ainsi,
accuser Alkarama de terrorisme, c’est, croient-ils, saper toute
crédibilité à son travail, à ces milliers de procédures engagées pour
les victimes et ces centaines de rapports sur les pires abus commis
par les régimes arabes pour contrôler, par la terreur, leurs
populations. Il s’agit en même temps de faire peur aux victimes et
à leurs proches pour les dissuader de solliciter Alkarama, en les
accusant de « trahir leur pays », voire d’être en contact avec une
entité terroriste. En dépit de quoi les familles des victimes
continuent à nous témoigner toute leur confiance.
Accuser Alkarama de terrorisme c’est aussi tenter de lui
interdire l’accès aux Nations unies pour prendre la parole lors de
l’examen de la situation des droits humains de certains pays. Ainsi,
suite à notre demande du statut consultatif auprès de l’ECOSOC,i
déposée en mai 2015, le Comité des organisations non
gouvernementales a décidé par consensus de recommander
qu’Alkarama se voit accorder le statut consultatif spécial. Cette
décision d’octroyer le statut ECOSOC à Alkarama a été le fruit
d’un long processus d’examen par le Comité des ONG, les pays

double-pensée par une fameuse citation : « Le ministère de la Paix s'occupe de la


guerre, celui de la Vérité, des mensonges, celui de l'Amour, de la torture, celui de
l'Abondance, de la famine. Ces contradictions ne sont pas accidentelles, elles ne
résultent pas non plus d’une hypocrisie ordinaire, elles sont des exercices
délibérés de double-pensée. » George Orwell, Nineteen Eighty-Four. Secker &
Warburg, London 1949.
i Le statut consultatif ECOSOC (Conseil Economique et Social des Nations

unies) est un statut octroyé aux ONG leur permettant de prendre part aux
conférences internationales organisées par les Nations unies, et d’y prendre la
parole. Le processus d’accréditation est géré par le Comité des ONG de
l’ECOSOC basé à New York. Ce processus demeure entre les mains des Etats
qui peuvent bloquer l’accès au statut consultatif ECOSOC à des ONG afin de
les punir et leur poser des obstacles dans leur travail au sein des Nations unies.
Voir par exemple le Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion
pacifique et la liberté d’association, UN Doc. A/69/365, 1er septembre 2014, par
72 et suivants.

273
Direction juridique, Alkarama

amis ou alliés des régimes arabes ayant tout tenté pour la retarder.37
Or, le 26 juillet 2017, lors de la réunion de coordination et de
gestion de l’ECOSOC, composé d’Etats et censé approuver toutes
les décisions du Comité des ONG, les Emirats Arabes Unis ont
introduit une résolution demandant le retrait de la décision
d’accréditation, affirmant qu’Alkarama avait « des liens évidents
avec le terrorisme ».38 Cette résolution introduite par les Emirats
Arabes Unis a été appuyée par… l’Algérie et les Etats-Unis.
Aujourd’hui, cela ne nous empêche pas de nous rendre aux
réunions des examens des Etats par les Comités et toutes les autres
réunions auxquelles nous sommes directement invités par les
experts indépendants, sans besoin d’accréditation.
Accuser Alkarama de terrorisme, c’est enfin lui fermer
aujourd’hui toute possibilité de financement, mais cela ne nous
fera jamais renoncer à notre mission et à notre combat.
Alkarama est loin d’être la seule victime de cette pratique. Ainsi,
une étude menée par la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la
protection des droits humains et libertés fondamentales dans la
lutte contre le terrorisme39 sur les plaintes reçues par son mandat
révèle que 66% de ces plaintes concernent des cas d’accusation de
terrorisme par les pays de membres de la société civile, et ce
comme forme de punition ou de représailles.40 Cette situation
alarmante emporte des conséquences désastreuses sur l’état d’une
société civile et des libertés fondamentales d’un pays. Le but de ces
mesures demeure le même : empêcher la critique pacifique des
régimes répressifs, museler la société civile par la peur d’être
stigmatisé dans un monde où cette seule accusation peut suffire à
vous bannir de tout débat et à vous priver de toute protection
légale.
Ces pratiques ainsi que tous les efforts déployés, les médias
mobilisés et les journalistes peu scrupuleux récompensés,
démontrent toutefois l’inquiétude avec laquelle ces régimes tentent
d’assurer leur survie.

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Alkarama : Pour la dignité des peuples

5.2. La défense d’Alkarama au plus haut niveau des Nations


unies

Alkarama a eu la chance et le privilège d’avoir été soutenue par les


experts indépendants des droits de l’homme des Nations unies qui
connaissent son travail et son sérieux. Ainsi, en octobre 2018,
l’Assistant du Secrétaire Général des Nations unies (SGNU) a
relevé les représailles contre Alkarama41 soulignant l’utilisation
d’accusations de terrorisme pour lui refuser l’accès à l’ONU.
L’assistant du secrétaire général, qui s’est déclaré préoccupé par le
manque de transparence dans les décisions relatives au statut
consultatif des ONG, a affirmé publiquement que « la demande de
statut consultatif de la Fondation Alkarama a été rejetée par
l’ECOSOC, en représailles à son travail en faveur des droits de
l’homme auprès des Nations unies ».42
En janvier 2018, ce sont deux experts onusiens, le Rapporteur
spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté
d’opinion et d’expression et le Rapporteur spécial sur la situation
des défenseurs des droits de l’homme qui ont également pris la
défense d’Alkarama.43 Ils ont exprimé leur préoccupation quant au
refus du Conseil de lui accorder le statut consultatif de l’ECOSOC,
« décision qui ne semble pas fondée sur une évaluation objective
des faits, mais semble plutôt constituer un acte de représailles pour
leur travail et leur engagement avec les mécanismes des Nations
unies dans le domaine des droits de l’homme ».44
Juste retour des choses envers une organisation qui s’est tant
investie pour la défense des victimes de violations des droits de
l’homme.

6. Des préjugés dangereux pour le respect des droits


humains

Ahmed Bensâada, adepte de la « stabilité dans l’injustice », s’inscrit


dans la lignée des négateurs des droits inaliénables de la personne
humaine et des aspirations au changement exprimées dans le
monde arabe. Il considère que le peuple algérien est mineur et lui
dénie toute aptitude à revendiquer le respect de ses droits

275
Direction juridique, Alkarama

inaliénables d’une manière autonome. Mais si un tel discours est


ancré dans l’histoire coloniale et la place faite aux colonisés dans
l’accès aux droits fondamentaux, il s’est mû aujourd’hui en des
formes insidieuses de désinformation, de propagande et de
harcèlement judicaire contre les victimes de violations elles-mêmes
et ceux qui les défendent.

6.1. Les dangers d’une vision néocoloniale des droits


humains

Si l’on observe les attaques et diffamations menées contre


Alkarama depuis ses débuts, les campagnes qui ont été mises en
œuvre et les acteurs qui les ont animées, plusieurs constantes
apparaissent. L’une d’elles concerne l’usage du terme « islamiste »
dont la dénotation est infiniment élastique, un fourre-tout
médiatique qui amalgame un vaste spectre de mouvements, de
partis ou de personnalités abstraction faite de leurs buts, méthodes
et contextes, et dont la connotation est mauvais musulman quand
elle n’est pas terroriste potentiel. C’est un terme qui fabrique
l’altérité sous une forme anxiogène afin de dénier sa légitimité et
pour indiquer, comme impératif moral, la nécessité de sa
surveillance.
Entortiller systématiquement Alkarama dans l’épouvantail
d’« islamiste » c’est viser à l’exclure de la défense des droits
humains et des principes de la dignité. Tout recours qu’elle
entreprendrait aux droits humains apparaitrait purement
instrumental, et il ne pourrait l’être qu’à des fins maléfiques que les
adeptes des théories du complot comme Ahmed Bensâada
s’appliqueraient à révéler.
Cette exclusion sert à consacrer la vision purement raciste et
coloniale des droits de l’homme qui ne sauraient être accaparés par
les peuples indigènes à « civiliser ». Plus généralement, les
musulmans – tous potentiellement suspects d’islamisme – dont la
religion serait par nature « violente » ne pourraient revendiquer
l’égalité, la dignité et la liberté que « l’homme blanc éclairé » a seul
inventées. C’est cette même vision des principes des droits de
l’homme et de la civilisation qui avait naguère justifié la
colonisation et les crimes contre l’humanité, qui sert aujourd’hui à

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Alkarama : Pour la dignité des peuples

considérer comme dangereux tout appel des musulmans à la


liberté.
Des appels qui sont d’autant plus suspects dans « l’analyse » de
Bensâada que leur concrétisation se fait en manifestations
pacifiques, organisées, et surtout indépendantes. Ces schémas de
pensée, profondément enracinés dans l’histoire coloniale,
continuent de traverser tant les sociétés occidentales que les élites
aliénées du Maghreb ou du Moyen-Orient.
Mais le narratif d’Ahmed Bensâada va plus loin : Les « ténors »
du hirak – qui ne se sont jamais désignés eux-mêmes dans ces
termes – seraient totalement incapables d’articuler des
revendications par eux-mêmes. Ils servent nécessairement un
agenda concocté et appuyé par des puissances occidentales. Vient
donc l’argument d’extranéité : ces « ténors » ne représentent pas le
peuple algérien, ils n’ont donc aucune légitimité à prendre la
parole. Pire encore, l’Etat a raison de prendre des mesures
drastiques pour réprimer les ennemis du peuple et le protéger de
leurs tentatives de manipulation. Dans le schéma d’Ahmed
Bensâada, le peuple algérien est infantilisé et manipulable à merci.

6.2. Conséquences sur les droits humains et les libertés


fondamentales

L’allocation d’attributs d’extranéité étant un prélude à leur


expulsion, il n’est ainsi pas étonnant que le discours d’Ahmed
Bensâada partage les mêmes allusions implicites que celles du
ministre actuel de la Communication, Ammar Belhimer,45 quant à
la nécessité de se débarrasser de ceux qui pollueraient un hirak
« pur » de toute atteinte à la sécurité de l’Etat, pur de toute critique
envers ses institutions. Haro donc contre ces « parasites » et place à
de nouvelles lois répressives pour dissuader toutes velléités
semblables dans le futur.
Si Ahmed Bensâada semble défendre le hirak, il ne fait – ainsi
que ses comparses préposés à la préface et la postface de son livre
– que légitimer les restrictions aux libertés des acteurs de ce hirak,
en usant de techniques de dénigrement et de diffamation ouvrant
la voie au harcèlement des militants, aux fausses accusations et aux

277
Direction juridique, Alkarama

poursuites pénales ; il espère ainsi faire taire la société civile et


mettre fin au hirak qu’il prétend ardemment défendre.

a) Attaquer les personnes faisant usage de leurs droits et libertés


fondamentaux de manière pacifique

Dans son allocution de 2018 au Haut-commissariat aux droits de


l’homme, l’Assistant du Secrétaire Général des Nations unies,
Andrew Gilmour exprimait son inquiétude face aux accusations de
« terrorisme » formulées par certains gouvernements contre des
ONG, des défenseurs des droits de l'homme ou des militants sous
prétexte de coopération avec des entités étrangères ou d’atteinte à
la réputation ou à la sécurité de l'Etat. Cette dangereuse tendance
mondiale, avait-il ajouté, consiste avant tout à dénigrer et à
discréditer les défenseurs des droits de l'homme.46
Or, il se trouve qu’Ahmed Bensâada soulève la question de
l’arrestation de Karim Tabbou questionnant non seulement
l’honnêteté de ses défenseurs, mais également les motifs – et donc
la légitimité – de cette défense.i Il affirme que de nombreuses voix
se sont élevées pour demander sa libération, ciblant uniquement
celles qui le préoccupent dans le but de les décrédibiliser. Nous
aurions pu lui soumettre la même question, pourquoi est-ce que les
autres défenseurs de Tabbou ne l’intéressent pas ?
Revenons alors brièvement sur la réponse de l’Etat algérien et
ce qu’elle révèle, de particulièrement grave, dans la formulation des
charges à l’encontre de Karim Tabbou. L’Etat algérien affirme
dans sa réponse à l’ONU que les faits reprochés à Karim Tabbou
consisteraient à avoir, lors d’une de ses interventions publiques,

i Ahmed Bensâada, Qui sont ces ténors autoproclamés du hirak algérien ? Alger, APIC,
2020, p. 63. Adoptant un ton dénigrant quant à la procédure de mise en
accusation de Karim Tabbou « Acte d’accusation, le lendemain de son
arrestation ? ». Il convient de préciser aux fins de clarification que Karim
Tabbou n’a pas fait l’objet de mesure de garde à vue et a été placé directement
détention provisoire. (Voir : Réponse du Gouvernement de la République
Algérienne Démocratique et Populaire à l’appel urgent AL DZA 3/2020 du
14 avril 2020 concernant le cas de Karim Tabbou, 2 juin 2020 : disponible en
ligne à cette adresse :
https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadFile?gId=35327

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Alkarama : Pour la dignité des peuples

« distillé des discours incitant à la désobéissance civile contre les


institutions de l’Etat et notamment l’armée nationale ce qui a
conféré à ces discours un caractère pénal avéré ». Selon les
autorités, « M. Tabbou se serait attaqué publiquement à
l’institution militaire en accusant son chef d’état-major et les
officiers de l’armée d’être impliqués dans des affaires de
corruption, jetant ainsi la suspicion sein de cette institution ». Des
allégations d’autant plus incongrues, qu’au même moment, des
officiers supérieurs étaient jugés par le tribunal militaire de Blida
pour « corruption ».47
En outre, dans leur tentative de démenti des violations du droit
à la liberté d’expression de Karim Tabbou, les autorités affirment
qu’il n’a été arrêté que pour avoir « enfreint le contrat social qui lui
impose le respect des lois et des institutions de la république à
l’occasion de ses activités politiques, tel qu’exigé dans toutes les
sociétés démocratiques ». En d’autres termes, l’Etat algérien
semble considérer que tout engagement dans le champ politique
algérien doit se faire dans ses termes et les limites qu’il pose. Cela
veut dire qu’appeler au changement pacifique de ses institutions ne
doit pas faire partie des demandes politiques des citoyens. Serait-ce
donc cette conception du contrat social et de la démocratie
qu’Ahmed Bensâada souhaite à l’Algérie ? Un hirak acceptable
serait donc un hirak qui ne demande pas de changement réel de ses
institutions et gouvernants, même de manière pacifique ? Le hirak
d’un peuple passif, sans volonté de changement ?

b) Inscrire ces attaques dans la loi du pays

C’est cette même approche qui a mené en avril dernier à l’adoption


de la loi n° 20-06, sans débat parlementaire ou public, alors qu’elle
introduisait dans le Code pénal plusieurs dispositions restreignant
gravement les droits à la liberté d’expression, de religion et
d’association, dans un contexte déjà inquiétant de persécution
systématique des activistes.
La loi modifie l’article 144 du Code pénal criminalisant la
critique des agents publics en (1) aggravant les peines de prison

279
Direction juridique, Alkarama

applicables et (2) en étendant sa portée aux outrages aux imams.i


Cette interdiction est d’autant plus problématique que les imams
sont des fonctionnaires de l’Etat qui reçoivent des instructions
pour leurs sermons comme celles de commander aux fidèles de ne
pas manifester, utilisant des arguments religieux pour interdire
toute contestation pacifique de l’autorité publique.48 De plus, la loi
introduit un nouveau chapitre dans le Code pénal, qui incrimine la
« diffusion ou propagation des informations ou nouvelles portant
atteinte à l’ordre et à la sécurité publics ».
Enfin, elle introduit un article 95 bis au Code pénal qui institue
de graves restrictions à la liberté d’association et prévoit des peines
jusqu’à sept années d’emprisonnement alors qu’il existe déjà un
régime juridique restrictif, ajoutant cette fois la criminalisation de
l’accès aux ressources, et ce, quel qu’en soit la source (publique ou
privée).49

c) Des préjugés, à la désinformation… à la fermeture de l’espace de la société


civile

L’ensemble de ces mesures illégales tant du point de vue de la


Constitution que des obligations de l’Etat algérien en vertu du
Pacte international des droits civils et politiques (PIDCP) sont
justifiées selon le ministre Ammar Belhimer par l’existence des
mêmes dangers que ceux qui préoccupent Ahmed Bensâada. Ainsi,
ce que la presse a qualifié de « tour de vis » s’est traduit par
l’adoption de dispositions pénales nouvelles façonnées pour les
besoins de la répression, journalistes et ONG en première ligne
car, du fait de leurs liens avec l’étranger, ceux-ci seraient les
premiers promoteurs de cette « révolution colorée » qui hante
Ahmed Bensâada et le gouvernement actuel. Ammar Belhimer voit
dans « Reporters sans frontières » et – encore et toujours – le « National
iIl est à noter que dans ses observations finales concernant le quatrième rapport
périodique de l’Algérie, le Comité avait réitéré ses préoccupations concernant les
articles 144, 144 bis, du Code pénal qui « continuent de criminaliser ou de
rendre passibles d’amendes des activités liées à l’exercice de la liberté
d’expression, telle que la diffamation ou l’outrage aux fonctionnaires ou aux
institutions de l’Etat ». Voir : Comité des droits de l’homme, Observations
finales concernant le quatrième rapport périodique de l’Algérie,
CCPR/C/DZA/CO/4, 17 août 2018, par.43

Page 280
Alkarama : Pour la dignité des peuples

Endowment for Democracy » (NED), les mêmes marionnettistes qui


contrôleraient ces « ténors autoproclamés du Hirak », et par
conséquent le hirak lui-même. Le ministre de la Communication
reprend ainsi les mêmes arguments qu’Ahmed Bensâada: le NED
américain serait un « cheval de Troie par excellence des révolutions
colorées dans le monde, Maghreb et monde arabe en première
ligne ».50 Des journaux ont été bloqués du fait de suspicions de
réception de fonds étrangers, Ammar Belhimer ayant prévenu que
« les financements étrangers de la presse nationale, tous supports
confondus, sont strictement interdits, quelles que soient leur
nature et provenance ».
Le discours d’Ahmed Bensâada sert ainsi directement les efforts
des autorités algériennes à – pour reprendre les termes de l’experte
Fionnuala Ní Aoláin – réduire la société civile au silence, par des
campagnes de diffamation destinées à délégitimer la société civile
et à ternir la réputation de ses acteurs, en qualifiant à la légère
certains d’entre eux de « terroristes », et en sous-entendant pour
d’autres qu’ils seraient des traitres ou des « menaces pour la
sécurité nationale » ou des « ennemis de l’Etat ».51 Ce « catalogage
négatif des acteurs de la société civile les désigne clairement
comme des cibles d’attaques légitimes, et justifie ensuite l’adoption
de nouvelles mesures restrictives » dont l’adoption de nouvelles
disposition pénales et des poursuites toujours plus nombreuses de
personnes faisant simplement usage de leurs droits et libertés
fondamentales.
Finalement, les droits humains deviennent otages du discours
officiel qui accuse les défenseurs des droits humains et autres
activistes politiques de criminels et de terroristes ou d’agents
agissant pour des intérêts étrangers. Cette stigmatisation de la
société civile est un facteur déterminant dans la tentative de
fermeture de l’espace démocratique à laquelle participe Ahmed
Bensâada.

7. Combattre la propagande et défendre les droits de


tous

Alors comment faire face à ces préjugés et aux conséquences qu’ils


peuvent avoir sur les droits humains et sur nos sociétés ? La

281
Direction juridique, Alkarama

réponse apportée par Alkarama réside dans la philosophie même


de notre travail : opposer à l’arbitraire la vérité et la justice et
continuer, face au puissant, à se battre pour des idées qu’on sait
justes. En dépeignant le hirak comme le résultat de manipulations
de quelques individus sous la coupe de puissances étrangères et
comme une révolution de couleur, Ahmed Bensâada nie à chaque
Algérien et à chaque Algérienne cette pulsion de l’âme vers la
liberté et la dignité qui leur sont intrinsèques. Combattre les
préjugés, la désinformation et la propagande constitue donc une
nécessité absolue pour préserver ces valeurs.

7.1. Préserver les libertés fondamentales contre la


désinformation

Commençons par rappeler un fait trop souvent oublié : l’article


premier du PIDCP, celui qui sous-tend tout le Pacte et la raison
d’être des droits qui y sont consacrés, concerne un droit en
particulier qui est plus que jamais d’actualité en Algérie : Le droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes. Cet article premier al.1 se lit
comme suit :
1. Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu
de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent
librement leur développement économique, social et culturel.52

Ce droit revêt une importance particulière, parce que sa


réalisation est impossible sans le respect de tous les autres droits
inscrits dans le PIDCP. Il est à la fois le socle et l’aboutissement
des droits civils et politiques, de même que des droits
économiques, sociaux et culturels. Il est donc selon les termes du
Comité des droits de l’homme de l’ONU « une condition
essentielle de la garantie et du respect effectif des droits individuels
de l’homme ainsi que de la promotion et du renforcement de
ces droits ».53 C’est pour cette raison que les Etats ont fait du droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes, tant dans le PIDCP que dans
le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels
(PIDESC)54 – également ratifié par l’Algérie –, « une disposition de
droit positif, qu’ils ont placée, en tant qu’article premier,

Page 282
Alkarama : Pour la dignité des peuples

séparément et en tête de tous les autres droits énoncés dans ces


Pactes ».55
Nous n’allons pas faire l’analyse article par article de ce que cela
implique, mais nous invitons toutefois chaque citoyen à se rendre
sur le site du Haut-Commissariat des Nations unies sur la page du
Comité des droits de l’homme et à lire les commentaires de chaque
article détaillant les obligations de l’Etat pour chaque droit et
liberté consacré dans le Pacte.56
Il n’est jamais excessif de répéter encore et encore : le PIDPC
est le droit algérien, il a été signé et ratifié, il est vrai dans le
contexte de la brève ouverture démocratique post-octobre 1988,
mais il fait néanmoins partie intégrale du droit national. Ce n’est
donc ni « internationaliser » une question interne ni commettre une
atteinte à la constitution et à la nation algériennes que de se référer
à ses textes. Au contraire, un justiciable algérien dispose de la
capacité d’invoquer un article d’une convention ratifiée par
l’Algérie devant un juge national qui sera tenu d’en prendre
compte.
Pour les besoins de notre démonstration, nous allons
brièvement exposer le contenu des droits que nous estimons les
plus « fondamentaux » dans la réalisation du droit du peuple
algérien à disposer de lui-même.
Le hirak a pris la forme d’un mouvement populaire de
protestation pacifique. Cette action, interdite par décret dans la
capitale, est néanmoins un droit et une liberté protégée par le
Pacte. Ce droit fondamental de manifester permet aux individus de
s'exprimer et de déterminer collectivement leur statut politique.
Il protège la capacité des personnes à exercer leur autonomie
individuelle en solidarité avec les autres. La possibilité de
manifester pacifiquement constitue ainsi le fondement même d'un
système de gouvernance participative fondé sur la démocratie, les
droits de l'homme, l'Etat de droit et le pluralisme, permettant de
faire avancer des idées et des objectifs ambitieux dans le domaine
public. Le hirak, à travers sa mobilisation pacifique ne vise ni plus
ni moins que de permettre aux Algériens de décider de leur
destinée commune, ce qui est leur droit le plus fondamental.57

283
Direction juridique, Alkarama

Ainsi, l’Etat a l’obligation de laisser les manifestants déterminer


librement le lieu, le but ou le contenu expressif de leur
rassemblement. Il est interdit à l’Etat d’interdire ou de restreindre,
bloquer, disperser ou perturber des assemblées pacifiques sans
justification impérieuse, ni de sanctionner les participants ou les
organisateurs sans motif légitime. Au contraire, les autorités ont
l’obligation de faciliter la manifestation et d’en préserver le
caractère pacifique en ouvrant la voie publique et en prévenant la
violence. En règle générale, l'utilisation de drapeaux, d'uniformes,
de signes et de bannières doit être considérée comme une forme
d'expression légitime qui ne doit pas être restreinte. Le fait de ne
pas informer les autorités d'une réunion à venir, lorsque cela est
nécessaire, ne rend pas l'acte de participation à la réunion illégal et
ne doit pas en soi servir de motif pour disperser la réunion, arrêter
les participants et les organisateurs ou pour imposer des sanctions
pénales. Enfin, la détention préventive d'individus ciblés pour les
empêcher de participer à des rassemblements peut constituer une
privation arbitraire de liberté, ce qui est incompatible avec le droit
de réunion pacifique.58 Ainsi, non seulement les restrictions posées
par les autorités au hirak n'étaient pas justifiées, mais celles-ci ont
également manqué à leur obligation de faciliter ces manifestations
pacifiques.
La liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des
conditions indispensables au développement de toute société libre
et démocratique en ce qu’elles permettent l’échange et le
développement des opinions. La liberté d’expression doit
permettre de questionner ses gouvernants afin d’assurer la
transparence des affaires publiques et la bonne gouvernance du
pays, et responsabiliser ainsi les gouvernants. De cette façon,
l’obligation de respecter la liberté d’opinion et la liberté
d’expression s’impose à tout Etat partie au Pacte considéré dans
son ensemble, couvrant tous les pouvoirs (exécutif, législatif et
judiciaire), ainsi que toute autre autorité publique ou
gouvernementale à quelque échelon que ce soit. En d’autres
termes, aucune institution ne saurait être à l’abri d’une critique
pacifique des citoyens, pas même l’institution militaire.59

Page 284
Alkarama : Pour la dignité des peuples

L’autre pan de la libre expression est le libre accès à


l’information. C’est dans ce contexte que l’existence de médias
libres, sans censure et sans entraves, est essentielle dans toute
société pour garantir la liberté d’opinion et l’exercice d’autres
droits consacrés par le Pacte, y compris celui du peuple algérien à
disposer de lui-même. Il est donc interdit à l’Etat algérien de
criminaliser les « fausses nouvelles » sans même définir ce qu’un tel
terme voudrait signifier.
Une presse libre permet également d’éviter la désinformation et
la propagande dans laquelle excelle d’ailleurs la presse officielle
algérienne. L’un des exemples flagrants de cette nécessité absolue
est celui du groupe d’activistes pacifiques algériens qui ont effectué
une marche de Chambéry en France à Genève. Arrivés en face du
Palais des Nations le dimanche 23 aout 2020 pour manifester
contre les détentions arbitraires en Algérie, leurs représentants ont
déposé le lendemain une lettre à l’attention de la Haut-
Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU appelant à son
intervention auprès des autorités algériennes pour obtenir la
libération des détenus du hirak.
Toutefois, quelques jours après la diffusion de vidéos de la
manifestation et de leurs représentants déposant leur lettre au
Palais Wilson, les autorités algériennes ont lancé une vaste
campagne de désinformation et de dénigrement contre les
activistes pacifiques. Cette campagne a débuté avec un
communiqué de presse de l’APS60 et un rapport du journal télévisé
officiel de l’ENTV61 du 1er septembre 2020, disponible en langues
arabe, française62 et amazighe. Ce communiqué officiel a prétendu
que la plainte avait été rejetée en 24 heures par un bureau de
l’ONU qui s’est révélé inexistant, citant les dires d’un fonctionnaire
censé travailler aux Nations unies lui aussi inexistant.i Alkarama a

i Voici la transcription de l’information telle qu’annoncée au journal télévisé


d’Etat en français : « Une déclaration d’un certain secrétaire au « bureau des
contentieux à l’ONU » Issam Al Mohammedi qui aurait indiqué que la plainte
introduite par des activistes politiques algériens à l’encontre des autorités
algériennes avait été rejetée 24 heures après son dépôt et examen de son
contenu par des délégués juristes du bureau. La plainte a été rejetée pour
plusieurs motifs explique encore ce responsable. Parmi ces motifs on compte
notamment le contenu non conforme aux rapports de l’organisation des droits

285
Direction juridique, Alkarama

alors saisi la Haut-commissariat alertant l’institution onusienne que


cela constituait une campagne de désinformation et une violation
par l’Algérie de ses obligations en vertu du droit international,
rappelant le principe selon lequel les autorités « ne doivent pas
faire, cautionner, encourager ou disséminer de déclarations dont ils
savent ou devraient raisonnablement savoir qu’elles sont fausses
(désinformation) ou qu’elles révèlent un mépris flagrant pour
l’information vérifiable (propagande)».63 Ces pouvoirs/gouvernants
doivent également veiller « conformément à leurs obligations
légales nationales et internationales et à leurs devoirs publics, à
garantir que les informations qu’ils diffusent sont fiables et dignes
de confiance ».
Selon la « Déclaration commune sur la liberté d'expression et
les “fausses nouvelles”, la désinformation et la propagande », « les
Etats ont l'obligation positive de promouvoir un environnement
de communication libre, indépendant et diversifié, y compris la
diversité des médias, qui est un moyen essentiel de lutter contre la
désinformation et la propagande ».64 Cette campagne officielle de
désinformation fait directement écho aux inquiétudes exprimées
par les auteurs de la Déclaration conjointe « quant au fait que la
désinformation et la propagande sont souvent conçues et mises en
œuvre de manière à induire en erreur une population, et à entraver
le droit du public de savoir ainsi que le droit des individus de
rechercher, recevoir et répandre des informations et des idées de
toute espèce, sans considération de frontières, droits qui sont
protégés en vertu des garanties internationales des droits à la
liberté d’expression et la liberté d’opinion ».65
Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a rapidement
publié un démenti.66

de l’homme en Algérie, certains signataires ayant des antécédents judiciaires,


tous les signataires ne sont pas résidents en Algérie depuis une période de dix
années et les initiateurs de la plainte sont détenteurs d’une double nationalité
dont certains n’ont même pas la nationalité algérienne. Al Mohammedi avait
affirmé que le rejet de la plainte reflète le classement de l’Algérie parmi les pays
arabes où la liberté d’expression et la protection des droits de l’homme sont
consacrés ».

Page 286
Alkarama : Pour la dignité des peuples

Cet épisode démontre que l’accès à une information fiable est


un droit fondamental et il demeure primordial ; il est également
paradoxal de relever que la publication de « fausses nouvelles » est
le plus souvent le fait des agences de presse gouvernementales
elles-mêmes.

7.2. Petit exercice de différenciation information et


désinformation à destination de tout citoyen(ne)

Enfin parce que l’une des missions d’Alkarama est d’informer les
sociétés civiles sur leurs droits inaliénables, et étant donné que le
droit à une information fiable fait partie de ces droits, nous nous
permettrons de proposer pour conclure un exercice utile pour
distinguer l’information de la désinformation. Cet exercice destiné
à la jeunesse et aux étudiants algériens offre des clés de lecture
simples en leur permettant d’exercer leur esprit critique face à la
propagande et à la désinformation. Il est exposé dans l’annexe.

8. Conclusion

En conclusion, nous ne le répèterons jamais assez, assimiler les


mouvements populaires dans notre région aux « révolutions
colorées » c'est nier leur autonomie intellectuelle, morale, et
politique aux individus et aux peuples qui participent à ces
mouvements. C’est également réduire et mépriser les
revendications dont ils sont porteurs. Il est un devoir impérieux
pour nous de remettre en question les stéréotypes néocoloniaux
qui dépeignent le monde arabe comme une source d'insécurité et
d'instabilité, peuplé d'individus qui doivent être contrôlés et
surveillés ; des stéréotypes qui ont fait la place à des dictatures
jusque-là inamovibles.
Enfin, il est également un devoir d’agir avec la ferme conviction
que rien n'est immuable et que ces systèmes politiques qui
survivent grâce à la violence et à la peur peuvent être renversés.
En alimentant les théories du complot pour discréditer les
acteurs du hirak, Ahmed Bensâada procède de la même façon que
la France coloniale pour asservir l’Algérien : Elle le dépossède de
toute autonomie et tente de le rendre vulnérable à toutes les

287
Direction juridique, Alkarama

manipulations. Ainsi, le sujet colonisé doit être « éduqué » afin de


ne pas tomber dans le piège des « libérateurs » du mouvement
national. Comme les citoyens algériens qui descendent dans les
rues le vendredi sont bien incapables de voir que des « ténors
autoproclamés » ne sont que des agents de l’étranger essayant de
« colorer » leur révolution, il faut les discréditer et rendre suspect
tout discours appelant au respect de leurs droits et de leurs libertés.
Toute analyse objective de la situation montre que la réalité du
hirak est loin de correspondre à la vision étriquée d’Ahmed
Bensâada, et va à l’encontre de son argumentation qui tente à tout
prix de faire rentrer le mouvement algérien dans un moule qui
n’est pas le sien.
Pour notre part, 15 ans d’activité de défense des droits humains
dans le « monde arabe » nous a permis d’observer que celui-ci
s’inscrit dans un cycle de changement structurel inéluctable et qu’il
est tout à fait impossible de revenir au statut quo ante quels que
soient les moyens mis en œuvre pour arrêter le changement et quel
que soit le soutien apporté aux dictateurs arabes.
Au cours de la dernière décennie, nous avons assisté à un
véritable changement de paradigme qui nous laisse deviner ce
changement sociétal à venir qui fait suite à une prise de conscience
accélérée de la nouvelle génération qui s’est aussi appropriée, avec
exigence, la question des droits de l’homme.
C’est d’ailleurs ce qui se passe en direct avec le hirak en Algérie,
avec l’expression de revendications, toujours de plus en plus
politiques, qui ont évolué en une année seulement de l’annulation
du « mandat de trop » à l’exigence de l’instauration d’un Etat civil
et non militaire, un Etat qui respecte les droits civils, politiques,
économiques, sociaux et culturels de tous. Un réel Etat de droit.
Notre mission a toujours été de faire en sorte que les droits de
l'homme ne soient jamais considérés comme inaccessibles, ni
comme une faveur, mais plutôt comme une valeur inhérente à la
dignité, al-karama, que chaque être humain détient de manière
égale. C’est vers cela que tendent tous les soulèvements, y compris
le hirak, et la désinformation faisant passer des revendications
légitimes pour des atteintes à la sécurité des Etats, eux-mêmes

Page 288
Alkarama : Pour la dignité des peuples

responsables de l’insécurité humaine de leurs citoyens, ne saurait


aujourd’hui passer sans être critiquée et désavouée.
Alors que le monde traverse une période historique caractérisée
par un recul des principes fondamentaux de la dignité humaine
universelle, de nombreux défenseur(e)s des droits humains, des
militants pacifistes et les populations elles-mêmes poursuivent ce
combat contre l'injustice face à l'adversité, avec toujours plus
d’obstacles mais toujours plus d'ingéniosité. Ce sont ces
mouvements que nous soutenons, sans autre agenda que celui de
protéger le droit de tous de jouir de tous les droits et libertés.

Annexe
Pour l’histoire, c’est en 1994 que les libraires NorthPark College à
Chicago aux Etats-Unis avaient mis en place un programme
destiné aux élèves leur permettant de faire la différence entre une
réelle recherche scientifique ou académique et de la propagande.
Cette formation avait été introduite face à la multiplication
d’ouvrages d’apparence académiques ou du moins prétendant
offrir une analyse scientifique et objective d’une situation, mais qui
s’avéraient être de la désinformation, voire de la propagande67. Le
but de cette formation était de permettre aux étudiants de faire
usage de leur esprit critique pour « démasquer » les ouvrages de
propagande, qui pouvaient à première vue les impressionner (par le
niveau d’éducation de l’auteur par exemple).
Comment éviter aux étudiants de tomber dans le piège des
ouvrages – ou tout autre support – offrant du « prêt-à-penser »,
fondés sur des stéréotypes et des préjugés et se présentant comme
des études objectives d’un sujet ? Comment leur apprendre à
distinguer l’analyse objective de l’auteur(e) qui souhaite partager un
point de vue, de celle biaisée d’un(e) propagandiste qui veut
imposer le sien ? La solution consistait alors à donner des clefs de
lecture critique de toute œuvre, mais ceci n’était pas sans difficulté
pour les étudiants. Ainsi, les travaux de la sociologue Eileen Gam-
Brill les avaient aidés à identifier quelques éléments de distinction.

289
Direction juridique, Alkarama

Elle explique qu’il y a tout d’abord deux types de travaux non


scientifiques. D’une part, ceux des auteurs biaisés qui se fondent
sur des préjugés et qui essayent de persuader les lecteurs mais sans
forcément que ces auteurs ne s’en rendent réellement compte, car
il a un bais inconscient. Ils utilisent des raisonnements erronés
dans le but de produire une acceptation sans examen critique ou
une acceptation émotionnelle en faisant référence à des peurs
collectives qu’ils feront raisonner chez le lecteur (typiquement la
peur de « l’ingérence » et de « l’islamisme » dans notre cas). Les
propagandistes sont quant à eux parfaitement conscients de leurs
faits et de leurs intérêts et les dissimulent intentionnellement à
leurs lecteurs. Leurs messages sont formulés de manière à être
acceptés sans critique.
Jacques Ellul, un éthicien français avait fait des recherches sur
les conséquences éthiques de la propagande dans le monde
contemporain. Il avançait, quant à lui, que notre monde « adore »
les faits, et les considère comme la réalité ultime en ce qu’ils nous
permettent d’en tirer des preuves tangibles (ceci s’est passé tel jour,
etc.). Or, la propagande utilise certes des « faits » mais va les
distordre en leur donnant des interprétations erronées et contraires
à la vérité. La propagande va manipuler ces faits et créer pour le
bien de son argumentation, différentes sortes de « vérité » : « une
moitié de vérité », « une vérité limitée », « une vérité sortie de son
contexte ». C’est ce pourquoi nous sommes tous si vulnérables à la
propagande, elle repose sur des faits et nous pensons donc que
c’est la vérité, alors que le mensonge se trouve au-delà des faits :
dans leur interprétation, dans leur mise en contexte, dans les liens
et interactions créés de toutes pièces entre un fait et un autre fait
pour insinuer des choses fausses sans besoin de fondement
valable…68
Pour distinguer la propagande des travaux scientifiques, il faut
garder à l’esprit que les travaux académiques ont tendance à
exposer et discuter des points de vue différents et divers autour
d’un sujet, avant d’avancer des arguments pour celui considéré
comme le plus raisonnable. La propagande, au contraire, a pour
objectif de présenter un seul point de vue comme le seul et unique
point de vue valable sur ce même sujet. Ainsi, la propagande a été

Page 290
Alkarama : Pour la dignité des peuples

définie comme « l’expression d’une opinion ou d’actions menées


délibérément par des individus ou des groupes avec pour objectif
d’influencer les opinion ou actions d’autre individus ou groupes
pour un ou des but(s) déterminé(s) et ce à travers des
manipulations psychologiques ».
L’étude sociologique avec les étudiants a donné lieu à un
ensemble d’indicateurs pour permettre aux étudiants de
différencier aisément les travaux scientifiques de la propagande.
Les valeurs requises de l'érudition, la recherche de la vérité
comprennent la modestie intellectuelle, l'opiniâtreté et la capacité
d'enseignement, la conscience de soi, l'équité/la justice, la
cohérence et un ton modéré et raisonnable. Leur étude a donné
lieu au tableau suivant :

Tableau 1. Indicateurs de différence propagande vs travaux scientifiques69


Différence entre propagande et travaux scientifiques
Propagande Travaux scientifiques
Fonctionne avec de multiples degrés Recherche la vérité et admet sa
de vérité (« une moitié de vérité », faiblesse lorsqu’il n’est pas sûr d’un
« une vérité limitée », « une vérité fait. Ajoute des « caveat ».
sortie de son contexte ») et de
mensonges.
Présente son point de vue comme le Présente d'autres points de vue et peut
seul point de vue valable. inclure des points de vue dissidents
dans son argumentaire.
Induit délibérément en erreur son Tente d'être juste et admet un parti
lecteur en faisant passer son point de pris ou un point de vue personnel
vue comme la vérité seule. comme tel.
Manipule les tableaux, les graphiques, Interprète soigneusement les données
les statistiques, les documents et les et les faits, qu'ils soutiennent ou
faits pour étayer son hypothèse. réfutent son hypothèse.
Fournit des réponses et des solutions Invite à la réflexion critique pour
toutes faites aux problèmes qu’il ne résoudre le problème et offre des
convient pas de contredire. pistes de réflexion.
Si la propagande réussit, elle entraîne En cas de succès, une analyse
alors un changement d'attitude et/ou scientifique incitera d'autres
de motivation du lecteur tel que voulu chercheurs à poursuivre leurs
par l’auteur (par ex. le rejet d’une recherches sur le sujet et incitera les

291
Direction juridique, Alkarama

catégorie de personnes par la société, lecteurs à poursuivre leur réflexion


l’adoption de certaines croyances, etc.) sans idées préconçues, avec une
approche critique.

En d’autres mots, les travaux scientifiques constituent une


tentative honnête de représenter un point de vue alors que la
propagande constitue une tentative délibérée d’induire en erreur ou
d’exagérer.70 Une propagande qui fonctionne, c’est une propagande
qui réussit à changer les attitudes et/les motivations dans l’action
comme le souhaiterait l’auteur de la propagande.
Or, dans des sociétés où l’information n’est pas fiable et où la
presse n’est pas libre, la propagande offre un sentiment de
maîtriser le chaos et l’illusion d’apporter des solutions à nos
problèmes. Les fausses solutions avancées par les propagandistes,
annihilent le sens critique de ceux qui les adoptent et le « prêt-à-
penser » s’offre alors comme une voie facile dans des temps
incertains.
Enfin, alors qu’il est possible de débattre avec celui qui
propose un point de vue réfléchi, pour le propagandiste seul son
point de vue compte, et si vous lui opposez des arguments
raisonnés, il vous opposera les mêmes arguments fondés sur des
interprétations fallacieuses et s’empressera de vous accuser d’être
« un ennemi de la vérité ». Pire, en temps de crise politique, d’être
un « ennemi du peuple »71 ou de la nation et vous infliger les pires
persécutions s’il est au pouvoir.

Notes de référence

1 https://www.alkarama.org/fr/articles/alkarama-pour-la-dignite-des-peuples
2 Ahmed Bensâada, Qui sont ces ténors autoproclamés du hirak algérien ? APIC, Alger 2020.
P 62.
3« Droits-de-I'hommisme » et droit international, Conférence donnée le 18 juillet 2000
par le Professeur Alain Pellet, Professeur de droit international à l'Université de Paris X-
Nanterre, Membre de la Commission du droit international
4 Edith Salès-Wuillemin, La catégorisation et les stéréotypes en psychologie sociale, DUNOD,
pp.365, 2006.

Page 292
Alkarama : Pour la dignité des peuples

5 Gordon W. Allport, The Nature of Prejudice, Basic Books, 1979, p. 6.


6Chloé Leprince, « "Droit-de-l'hommisme" : histoire d'un néologisme péjoratif », 10 décembre
2018, Savoirs, disponible en ligne :

https://www.franceculture.fr/histoire/droit-de-lhommisme-histoire-dun-neologisme-
pejoratif
7 Professeur Alain Pellet, « Droits-de-I'hommisme » et droit international », Conférence
commémorative Gilberto Amado, 18 juillet 2000, disponible en ligne :

http://pellet.actu.com/wp-content/uploads/2016/02/PELLET-2000-Droit-de-
lhommisme-et-DI.pdf

8 Conseil des droits de l’homme, Groupe de travail sur les disparitions forcées ou
involontaires, Communications, cas examinés, observations et autres activités menées par
le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, 108e session (8-12
février 2016), UN Doc., A/HRC/WGEID/108/1, 15 avril 2016, p.21 concernant quatre
jeunes irakiens arrêtés par les forces armées américaines à Bagdad entre 2005 et 2011 et
encore portés disparus à ce jour. Voir également : Alkarama, « ‫ اختفاء ثالثة مواطنين‬:‫العراق‬
2005 ‫» عراقيين اعتقلهم الجيش األمريكي سنة‬, 27 juin 2014, en ligne :

https://www.alkarama.org/ar/articles/alraq-akhtfa-thlatht-mwatnyn-raqyyn-atqlhm-
aljysh-alamryky-snt-2005

Alkarama, « ‫ اختفاء إثنين من رجال الشرطة بعد توقيفهما من قبل الجيش العراقي واألمريكي‬:‫» العراق‬, 3
septembre 2015, en ligne :

https://www.alkarama.org/ar/articles/alraq-akhtfa-athnyn-mn-rjal-alshrtt-bd-twqyfhma-
mn-qbl-aljysh-alraqy-walamryky
9 Rapport du Comité contre la torture, Cinquante et unième session (28 octobre-22
novembre 2013), UN.Doc. A/69/44
10 Rapport du Comité contre la torture, Assemblée générale Documents officiels
Soixante-douzième session Supplément no 44 (A/72/44), par 58-71.
11 Alkarama, « ‫ لماذا تنتهك حرب طائرات الدرونز‬،‫ ترخيص بالقتل‬:‫ الواليات المتحدة األمريكية‬/ ‫اليمن‬
‫األمريكية باليمن القانون الدولي‬. », 17 octobre 2013, disponible en arabe et en anglais :

https://www.alkarama.org/ar/articles/alymn-alwlayat-almthdt-alamrykyt-trkhys-balqtl-
lmadha-tnthk-hrb-tayrat-aldrwnz-alamrykyt
12Alkarama, « ‫ سياسة القصف بطائرات الدرونز األمريكية في اليمن تخلف أثارا نفسية خطيرة‬:‫تقرير جديد‬
‫» على المدنيين وتشكل سابقة خطيرة للمجتمع الدولي‬, 26 juillet 2015, disponible en ligne en arabe et
anglais :
https://www.alkarama.org/ar/articles/tqryr-jdyd-syast-alqsf-btayrat-aldrwnz-alamrykyt-
fy-alymn-tkhlf-athara-nfsyt-khtyrt-ly
13 Ahmed Bensâada, Op. cit.

293
Direction juridique, Alkarama

14Michael Rubin « Alkarama Doubles Down on Al-Qaeda », The Commentary Magazine, 7


février 2014, disponible en ligne :

https://www.commentarymagazine.com/michael-rubin/alkarama-doubles-down-on-al-
qaeda/

Notons que le Commentary Magazine est un mensuel de la droite néo-conservatrice crée


par le l’American-Jewish Commitee en 1945 pour défendre des idées néo-conservatrices
et pro-israéliennes.
15 UAE publishes list of terrorist organisations. Gulf News, 15 novembre 2014,
disponible en ligne :

https://gulfnews.com/uae/government/uae-publishes-list-of-terrorist-organisations-
1.1412895
16 Voir notre charte en ligne :

https://www.alkarama.org/fr/a-propos/comment-nous-travaillons
17Pour voir toutes les contributions et comparer, il est possible d’accéder à toutes les
contributions sur cette page du site des Nations unies :

https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/UPR/Pages/UPRUnitedArabEmiratesStakehol
dersInfoS29.aspx
18‫ وكشفنا أكذوبة االختفاء «القسري» في مصر‬..»‫ بيان المفوضية السامية «سياسي‬:»‫رئيس «ماعت للسالم‬,
Shourouq News, 20 octobre 2018, disponible en ligne:

https://www.shorouknews.com/news/view.aspx?cdate=20102018&id=a99257ef-5d0a-
4e8d-8b40-af51d3e2a9da
19Middle-East Monitor, “Inside the secret world of Gulf 'GONGOS'”, 22 Septembre
2014, en ligne :

https://www.middleeastmonitor.com/20140922-inside-the-secret-world-of-gulf-gongos/
20 Voir par exemple: ‫ الدورة الثالثة لالستعراض الدوري الشامل تسلط الضوء على السجل الحقوقي‬:‫قطر‬
‫للبالد‬, “Qatar: Third Upr Cycle Sheds Light On The Country’s Human Rights Record »,
Alkarama, 31 mai 2019, en ligne en anglaise :

https://www.alkarama.org/en/articles/qatar-third-upr-cycle-sheds-light-countrys-
human-rights-record et arabe :

https://www.alkarama.org/ar/articles/qtr-aldwrt-althaltht-llastrad-aldwry-alshaml-tslt-
aldw-ly-alsjl-alhqwqy-llblad
21 Conseil des droits de l’homme, Groupe de travail sur la détention arbitraire, Avis
adoptés par le Groupe de travail sur la détention arbitraire à sa quatre-vingt-unième
session (17-26 avril 2018), Avis n° 29/2018, concernant Abdulrahman bin Omair
Rashedal Jabr al Nuaimi (Qatar).

Page 294
Alkarama : Pour la dignité des peuples

22 Andrew Hudson, « Not a Great Asset: The UN Security Council’s Counter-Terrorism


Regime: Violating Human Rights », Berkeley Journal of International Law, 2007, vol. 25,
p. 203‑227.

Groupe de travail sur la détention arbitraire, Avis n° 29/2018, concernant


23

Abdulrahman bin Omair Rashedal Jabr al Nuaimi (Qatar), op.cit., par


24 Effet des mesures de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent sur l’espace
civique et sur les droits des acteurs de la société civile et des défenseurs des droits de
l’homme Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits
de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, UN.Doc.
A/HRC/40/52, 1er mars 2019, par. 17
25 Ibid. par. 20
26 Voir : Confédération Suisse, Registre du Commerce, Alkarama, disponible en ligne :

https://www.shab.ch/shabforms/servlet/Search?EID=7&DOCID=1641359
27Michael Rubin, « Human Rights Watch Should Rescind Reports”, Commentary
Magazine, 3 january 2014, en ligne :

https://www.commentarymagazine.com/michael-rubin/human-rights-watch-should-
rescind-reports/

« L’ancien président d’une ONG genevoise accusé de liens avec Al-Qaida », Tribune de
28

Genève, 1 0ctobre 2014, disponible en ligne :

https://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/ancien-president-dune-ong-genevoise-
accuse-liens-alqaida/story/11153159
29 Rachid Mesli, « De la difficulté de défendre les droits de l’homme dans le monde
arabe », Le Temps, 20 novembre 2014. Disponible en ligne :

https://www.letemps.ch/opinions/difficulte-defendre-droits-lhomme-monde-arabe
30 « List of groups designated terrorist organisations by the UAE », The National UAE,

16 novembre 2014, disponible en ligne :

https://www.thenational.ae/uae/government/list-of-groups-designated-terrorist-
organisations-by-the-uae-1.270037
31 Sylvain Besson, Les services secrets suisses ciblent des islamistes pro-Qatar, Le Temps,
5 janvier 2018, disponible en ligne :

https://www.letemps.ch/suisse/services-secrets-suisses-ciblent-islamistes-proqatar
32 Alkarama, Le quotidien Le Temps condamné par la justice genevoise pour un article diffamatoire
contre Alkarama, 24 décembre 2018, disponible en ligne :

295
Direction juridique, Alkarama

https://www.alkarama.org/fr/articles/le-quotidien-le-temps-condamne-par-la-justice-
genevoise-pour-un-article-diffamatoire
33 La France n'extradera pas l'opposant algérien Mourad Dhina, Le Monde avec AFP,
4 juillet 2012.
34Alkarama, La cour d'appel de Turin autorise Rachid Mesli à quitter l’Italie, 16 septembre 2015,
disponible en ligne :

https://www.alkarama.org/fr/articles/la-cour-dappel-de-turin-autorise-rachid-mesli-
quitter-litalie
35 Rachid Mesli, « De la difficulté de défendre les droits de l’homme dans le monde
arabe », op. cit.
36Olivier F., « La Ville de Genève a financé une ONG accusée de liens avec Al-Qaida »,
Le Temps, Genève, disponible en ligne :

https://www.letemps.ch/suisse/ville-geneve-finance-une-ong-accusee-liens-alqaida
37Voir également : ISHR, « Entraves à l’accès et à la participation de la société civile aux
mécanismes de l’ONU, intimidations, restrictions et représailles : 10 études de cas »,
Rapport disponible en ligne :

https://www.ishr.ch/sites/default/files/documents/mappingreport_fr_web.pdf
38 Voir : Economic and Social Council Denies Consultative Status to Non-governmental
Group with Alleged Terrorism Ties, Fills Vancancies in Subsidary Bodies, disponible en
ligne:

https://www.un.org/press/en/2017/ecosoc6867.doc.htm
39 Voir sa page sur le site du Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies
ici :

https://www.ohchr.org/EN/Issues/Terrorism/Pages/SRTerrorismIndex.aspx
40Voir le rapport « Effet des mesures de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent
sur l’espace civique et sur les droits des acteurs de la société civile et des défenseurs des
droits de l’homme, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection
des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste », UN
Doc. A/HRC/40/52, 1er mars 2019, par. 4.
41Comments by Assistant Secretary-General for Human Rights, Andrew Gilmour, at
OHCHR side event “Intimidation and reprisals against those engaging with the UN on
human rights: Examining trends and patterns”, New York, 24 October 2018, disponible
en ligne:
https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=25511&
LangID=E

Page 296
Alkarama : Pour la dignité des peuples

42 Ibid.
43 Mandates of the Special Rapporteur on the promotion and protection of the right to
freedom of opinion and expression and the Special Rapporteur on the situation of
human rights defenders, REFERENCE: OL OTH 29/2017 4 January 2018, disponible
en ligne en anglais:

https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Opinion/Legislation/OL-OTH-29-
2017.pdf
44 Ibid. p.3.
45Belhimer: le Hirak, un mouvement "parasité par certains courants politiques", Lundi,
16 Mars 2020, APS, disponible en ligne :

http://www.aps.dz/algerie/103092-belhimer-le-hirak-un-mouvement-parasite-par-
certains-courants-politiques
46Comments by Assistant Secretary-General for Human Rights, Andrew Gilmour, at
OHCHR side event, Intimidation and reprisals against those engaging with the UN on
human rights: Examining trends and patterns, New York, 24 October 2018, disponible
en ligne :

https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=25511&
LangID=E
47Jean-Pierre Filiu, « Règlements de compte entre les généraux algériens », Le Monde,
25 août 2019, disponible en ligne :

https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2019/08/25/reglements-de-compte-entre-les-
generaux-algeriens/
48Adlène Meddi, « Algérie : retour sur une journée de mobilisation inédite contre la
candidature de Bouteflika », Le Point, 22 février 2019, disponible en ligne :

https://www.lepoint.fr/afrique/algerie-retour- sur-une-journee-de-mobilisation-inedite-
contre-la-candidature-de-bouteflika-22-02-2019- 2295605_3826.php
49 Voir également les observations finales du Comité des droits de l’homme concernant
l’Algérie, CCPR/C/DZA/CO/4, 17 août 2018
50Farid Alilat, Algérie : pourquoi les amendements du code pénal sont-ils critiqués ?
27 avril 2020, Jeune afrique, disponible en ligne :

https://www.jeuneafrique.com/935520/societe/algerie-pourquoi-les-amendements-du-
code-penal-sont-ils-critiques/
51 « Effet des mesures de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent sur l’espace
civique et sur les droits des acteurs de la société civile et des défenseurs des droits de
l’homme », Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des
droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, op.cit., par 54.

297
Direction juridique, Alkarama

52 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Article 1, disponible en ligne :

https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/ccpr.aspx
53 Comité des droits de l’homme, Observation générale no 12: Article premier, Droit à
l’autodétermination, disponible en ligne :

https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno
=INT%2fCCPR%2fGEC%2f6626&Lang=en
54 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, disponible en
ligne :

https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/cescr.aspx
55 Comité des droits de l’homme, Observation générale no 12: Article premier, Droit à
l’autodétermination, op.cit.
56Aller sur la page du Comité des droits de l’homme
(https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/CCPR/Pages/CCPRIndex.aspx) puis sur la
section « Observations générales » afin de trouver en détail la signification de chaque
droit protégé par le pacte.
57Voir: Comité des droits de l’homme, Observation Générale N° 37 (2020) concernant le
droit au rassemblement pacifique (article 21), UN. Doc CCPR/C/GC/37, 17 septembre
2020.
58 Ibid.
59 Comité des droits de l’homme, Observation générale no 34, Article 19: Liberté
d’opinion et liberté d’expression, UN.Doc CCPR/C/GC/34, 12 septembre 2011.
60 Le Bureau des Contentieux de l'ONU rejette la plainte contre les autorités algériennes,
1er septembre 2020, disponible en ligne

http://www.aps.dz/algerie/109221-le-bureau-des-contentieux-de-l-onu-rejette-la-plainte-
introduite-contre-les-autorites-algeriennes
61 Voir en ligne : https://bit.ly/2HgpQzd
62Le journal télévisé en français est disponible en ligne à cette adresse, à 5 minutes et 23
secondes :

https://www.youtube.com/watch?v=IOffvI5nheo
63 Joint declaration on freedom of expression and “fake news”, disinformation and
propaganda, Déclaration conjointe du rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté
d'opinion et d'expression, du représentant de l'Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe sur la liberté des médias, du rapporteur spécial de l'Organisation
des États américains (OEA) sur la liberté d'expression et du rapporteur spécial de la
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples sur la liberté d'expression et

Page 298
Alkarama : Pour la dignité des peuples

l'accès à l'information. Daté du 3 mars 2017, ci-après “Déclaration conjointe », principe 2


c), disponible en ligne : https://www.osce.org/fom/302796
64 Ibid., Déclaration conjointe, Principe 3(a).
65 Ibid., Déclaration conjointe, Préambule.
66Algérie- ONU : Alkarama saisit le haut-commissariat suite à la campagne officielle de
désinformation selon laquelle l’ONU aurait rejeté une plainte contre l’Algérie, 4
septembre 2020, disponible en ligne :

https://www.alkarama.org/fr/articles/algerie-onu-alkarama-saisi-le-haut-commissariat-
suite-la-campagne-officielle-de

Voir le démenti du HCDH : Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de


l’homme met en lumière des informations fallacieuses concernant l'Algérie, 4 septembre
2020, disponible en ligne :

https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=26208&L
angID=F
67 Sonia Bodi, « Scholarship or propaganda: How can librarians help undergraduates tell
the difference? », The Journal of Academic Librarianship, 1 janvier 1995, vol. 21, no 1, p.
21‑25.
68 Jacques Ellul, Propagandes, Paris, Economica, 1990, 361 p.

69 Sonia Bodi, « Scholarship or propaganda », op. cit.

70 Jacques Ellul, Propagandes, op. cit., p. 147‑149.

71 Emma Graham-Harrison, “Enemy of the people: Trump's phrase and its echoes of

totalitarianism”, The Guardian, disponible en ligne https://www.theguardian.com/us-


news/2018/aug/03/trump-enemy-of-the-people-meaning-history

299
Direction juridique, Alkarama

Page 300
RACHAD DANS LE HIRAK

Secrétariat du Mouvement Rachad


Article publié le 15 août 2020 sur Rachad.org1

1. Introduction .............................................................................. 301


2. Le Mouvement Rachad ............................................................ 302
3. La non-violence ........................................................................ 303
4. Islam et islamisme .................................................................... 304
5. Rachad et le Front Islamique du Salut ..................................... 306
6. Identité nationale et laïcité ....................................................... 307
7. Consensus national et pratique démocratique ......................... 308
8. Souveraineté et environnement international ........................... 309
9. Financement de Rachad ........................................................... 310
10. Conclusion .............................................................................. 311

1. Introduction
La révolution pacifique (hirak) engagée par le peuple algérien le
22 février 2019 n’a pas encore atteint tous ses objectifs. Elle a
cependant surpris le monde entier par son adhésion absolue à la
non-violence, son ampleur, sa durée, sa diversité, son unité, ainsi
que la clarté de ses revendications politiques. Le mouvement
Rachad, à l’instar d’une multitude d’organisations de la société
civile et de millions de citoyens et citoyennes non structurés, a
participé au hirak dès son lancement. S’il est vrai que Bouteflika a
Secrétariat du Mouvement Rachad

été poussé à la démission et que nombre de ses ministres et


soutiens sont aujourd’hui emprisonnés pour corruption, la nature
même du régime n’a pas changé et l’exigence essentielle du hirak
« Etat civil et non militaire » n’est pas encore satisfaite. Le régime
en place tente depuis quelques mois, profitant notamment de la
situation imposée par crise Covid-19, de briser le hirak. Pour ce
faire, il utilise la répression, en multipliant arrestations et
condamnations de militants, et encourage – et initie parfois – une
propagande visant à discréditer le hirak. La rhétorique utilisée
repose essentiellement sur deux volets : exacerber les différences
idéologiques et brandir la menace extérieure en accusant des
figures du hirak d’agir à la solde de pays étrangers. Si Ahmed
Ouyahia, ancien premier ministre aujourd’hui emprisonné, a
menacé les Algériens d’une « syrianisation » du pays où les « les
fleurs du hirak » finiraient « en flots de sang », le régime actuel
semble séduit par un cynisme similaire en rejouant la carte des
divisions et tensions qui ont mené au drame des années 1990. C’est
dans ce contexte qu’il faut comprendre la campagne lancée depuis
quelques mois contre le mouvement Rachad. Le but de ce papier
est de répondre à quelques questions en relation avec cette
campagne.

2. Le Mouvement Rachad

Mouvement (et non parti) politique créé en avril 2007, Rachad


entend contribuer à un changement fondamental en Algérie, pour
rompre avec les pratiques politiques en cours depuis
l’indépendance et libérer le peuple algérien de toute tutelle. Il
œuvre pour l’instauration d’un Etat de droit, civil, régi par les
principes démocratiques et la bonne gouvernance. Le Mouvement
est ouvert à tous les Algériens et Algériennes dans le respect de
leurs différences, bannit toute forme d’extrémisme, d’exclusion ou
de discrimination et prône la non-violence pour amener le
changement.2 La charte du Mouvement définit ses valeurs et
principes.3
Les questions de l’Etat civil et du contrôle démocratique des
forces armées, et des services de renseignement en particulier,
représentent des priorités pour le Mouvement Rachad et ce depuis

Page 302
Rachad dans le hirak

sa constitution. Le Mouvement a fait des propositions concrètes


pour mettre fin à la prédominance du militaire sur les institutions
civiles de l’Etat et de la société.4
Rachad considère que les citoyens et citoyennes en Algérie,
affranchis de la tutelle du régime en place, doivent utiliser leur
droit fondamental inhérent à la liberté d’association pour
s’organiser et œuvrer pour le changement que seule une société
civile structurée, indépendante et patriote pourra amener.

3. La non-violence

Bien avant la constitution du mouvement, ses futurs fondateurs


ont entamé un travail intellectuel de fond sur les stratégies et
méthodes qui pourraient amener le changement en Algérie. Très
tôt le choix s’est porté sur la non-violence stratégique et s’ensuivit
une étude détaillée de quasiment toutes les expériences de
changement qu’a connues l’humanité. La bibliographie étudiée est
très vaste et comprend aussi des adeptes que des critiques de la
non-violence, qu’elle soit principielle ou stratégique.i Ainsi ont été
revus aussi bien des textes classiques (Sun Zhu, La Boétie,
Thoreau, Tolstoi, etc.), que religieux (Coran, Bible, etc.), que des
écrits et expériences plus récents (Gandhi, Luther King, Mandela,
Malcolm X, Holmes, Sharp, Galtung, Jawdat Said, Ash, Dolci,
Camara, Nagler, Dellinger, Arendt, etc.). Ce choix de la non-
violence a été clairement affirmé dès le lancement du Mouvement
en 2007 que ce soit dans sa charte ou les milliers d’interventions de
ses membres dans les médias ainsi que toutes ses publications et
communiqués. Par ailleurs, le Mouvement a produit une série de
documentaires vidéo explicitant la méthode non-violente5 et
présentant aussi les arguments du Mouvement contre le recours à
la violence, les coups d’Etat, l’intervention étrangère ou les
changements par l’entrisme dans « les institutions du système en
place ». Il faut aussi noter que la stratégie non-violente adoptée par
Rachad a été, au début, considérée comme utopique et n’ayant

i La non-violence principielle appelle à l’adhésion à la non-violence par principe

(religieux ou moral) alors que la non-violence stratégique adopte la non-violence par le


fait qu’elle est la voie la plus sure pour atteindre l’objectif de changement et ceci sans
nécessairement se référer à son aspect moral.

303
Secrétariat du Mouvement Rachad

aucune chance d’aboutir dans le Monde arabe, plutôt habitué aux


coups d’Etat et aux insurrections armées. Les révolutions arabes de
fin 2010 ont apporté la preuve que la non-violence était non
seulement possible dans cette région du monde mais qu’elle était
aussi efficace. Il faut cependant noter que les régimes autoritaires
arabes, d’abord surpris par les révolutions populaires non-
violentes, se sont attelés à mener des contre-révolutions (coup
d’Etat en Egypte, interventions étrangères et violence armée en
Syrie et Libye). Au même moment, leurs porte-voix s’acharnaient à
discréditer la méthode non-violente, la présentant comme une
« manipulation de puissances occidentales » visant à déstabiliser les
pays arabes. Pour ces derniers, la résistance non-violente est une
« preuve » de soumission aux intérêts US ! Le Mouvement Rachad
réfute ces thèses ubuesques qui ne font en définitive que servir des
régimes qui desservent leurs peuples et qui sont eux, sans aucun
doute, à la solde de puissances étrangères. Rachad reste plus que
jamais convaincu que la méthode non-violente est non seulement
une nécessite historique, au vu des couts ruineux des violences
politiques dans la région, mais elle est aussi la plus adaptée pour le
changement radical. Elle jouit en Algérie d’une adhésion populaire
forte, garante de l’unité et de la souveraineté.

4. Islam et islamisme

L’Islam occupe une place centrale dans la société et l’histoire


algériennes. Il est la religion dans laquelle se reconnait la quasi-
totalité des Algériens et Algériennes. Il est donc tout à fait normal
et légitime que Rachad considère l’Islam comme un élément
essentiel de l’identité de la société algérienne. Il y a lieu cependant
de ne pas associer cette posture à une supposée adhésion à un
agenda « islamiste ». En effet, ce terme galvaudé et lié à des
problématiques politiques et sécuritaires diverses est le plus
souvent brandi pour tenter de discréditer et exclure divers acteurs
de la vie politique, associative, intellectuelle, culturelle et même
sportive. Dans cette optique, le mot « islamisme » rime souvent
avec théocratie, déni des droits humains, refus de la démocratie ou
carrément terrorisme.

Page 304
Rachad dans le hirak

On remarquera aussi que dans certains pays occidentaux,


l’accusation « islamiste » est parfois l’expression d’une véritable
islamophobie, jouant sur des amalgames sordides du genre « un
musulman est un islamiste potentiel donc un terroriste en
devenir ».
Quant aux dictateurs arabes, ils brandissent la menace
« islamiste » contre tout ce qui met en péril leurs régimes illégitimes
et se vendent en vassaux à leurs maîtres étrangers comme remparts
contre l’« islamisme ». Le Mouvement Rachad refuse donc d’être
labellisé « islamiste », d’abord parce qu’il conteste par principe que
d’autres lui accolent une dénomination chargée, ensuite parce
qu’une telle appellation n’a pas d’origine dans notre culture
musulmane (la dénomination conforme à notre religion est
« musulman » et non pas « islamiste »), et enfin parce que ce qu’elle
sous-entend est antinomique avec la vision de Rachad.
En effet, Rachad, tout en réaffirmant la place de l’Islam dans la
société algérienne, refuse la théocratie, œuvre pour le respect et la
sauvegarde des droits de l’homme et interdit le recours au
terrorisme. Par ailleurs, il considère que l’Etat doit être géré par
une autorité civile librement élue et les lois doivent être votées par
les représentants du peuple, eux aussi élus au suffrage universel.
Dans le contexte algérien, et notamment durant la guerre civile des
années 1990, le pouvoir a tout fait pour exacerber les clivages entre
« démocrates », « islamistes » et « nationalistes », le but étant bien
évidemment de diviser pour régner. Rachad considère que les
Algériens et Algériennes sont en majorité musulmans, nationalistes
et démocrates, en même temps, et qu’il appartient aux différents
acteurs politiques d’être à la hauteur de ces qualificatifs et de ne
pas tomber dans le piège de la division et de l’exclusion, car aucune
personne ou structure ne peut s’octroyer le monopole de l’une de
ces composantes.
Le projet de Rachad est un prolongement du projet de la
déclaration du 1er Novembre 1954, et son objectif est un Etat ou
règnent la justice et la bonne gouvernance et où l’Islam représente
une composante essentielle de la société algérienne. Bien
évidemment, cette société et l’Etat auquel elle aspire resteront
accueillant et respectueux des droits de tous les citoyens ou

305
Secrétariat du Mouvement Rachad

résidents, y compris ceux qui ne sont pas musulmans. Nous


rejetons l’Etat théocratique mais nous refusons aussi le chantage
qui veut discréditer l’attachement des Algériens et Algériennes à
l’Islam sous prétexte de « danger fondamentaliste ».

5. Rachad et le Front Islamique du Salut

Le Mouvement Rachad considère que ce qui s’est passé le


11 janvier 1992 est un coup d’Etat qui a entrainé l’Algérie dans une
guerre civile horrible dont les plaies resteront ouvertes pendant des
décennies. Le Front Islamique du Salut (FIS), parti politique
légalement reconnu a largement remporté toutes les élections
auxquelles il a participé, notamment celles du 26 décembre 1991
qui ont été avortées par le commandement militaire. En tant que
parti, le FIS peut bien évidemment être contesté dans ses choix et
programmes et aussi combattu politiquement par ceux qui ne
partagent pas ses idées. Il ne peut cependant être arbitrairement
interdit ou privé de ses victoires électorales par un pouvoir
illégitime ou une junte militaire. Ceci étant, le Mouvement Rachad
n’a aucun lien organique avec le FIS, ni ne revendique son
programme. Il n’entend aussi certainement pas se substituer à ce
parti, ni à aucun autre d’ailleurs, car Rachad n’est pas un parti
visant la participation à une compétition électorale. Enfin, Rachad
considère que le FIS a encore des leaders connus, une présence
certaine parmi la population et a donc à ce titre le droit, comme
toute autre courant de pensée, d’activer politiquement. Certains
invoquent le fait qu’un membre fondateur de Rachad a été
responsable du FIS par le passé afin de prétendre que Rachad n’est
qu’un « FIS-bis ». Il convient de préciser à cet effet, que le membre
en question, Mourad Dhina, a effectivement rejoint le FIS bien
après son interdiction pour protester contre le coup d’Etat de
janvier 1992 et les violations massives des droits de l’homme qui
s’ensuivirent. M. Dhina n’avait auparavant jamais fait partie du FIS
ni été candidat en son nom à une quelconque élection. M. Dhina a
quitté définitivement le FIS en 2004, bien avant la constitution du
Mouvement Rachad en 2007.

Page 306
Rachad dans le hirak

6. Identité nationale et laïcité

Rachad considère que chaque communauté, petite ou grande, a le


droit d’utiliser et de développer sa propre culture, langue ou
dialecte. L’Etat de droit respecte le peuple dans toute sa diversité,
car il est construit sur une légitimité populaire. Nous espérons voir
un jour notre Etat soutenir toutes les particularités culturelles qui
composent et enrichissent la nation. L’identité algérienne, brassée à
travers des siècles d’histoire, est basée essentiellement sur l’Islam,
l’Amazighité et l’Arabité. Elle a aussi reçu un apport, dans une
moindre mesure, venant d’autres religions, cultures et civilisations.
Rachad prône donc le respect et l’épanouissement des constituants
de notre identité nationale. Ils sont la propriété de la société qui se
chargera, à travers des associations, des fondations et autres
institutions libres, de les préserver et les développer pour le bien
commun. Cependant, les constituants de l’identité ne doivent en
aucun cas être bafoués ou monopolisés par le pouvoir politique en
place. L’Etat n’a pas vocation à imposer une lecture ou une
approche relevant des éléments constitutifs de notre identité. Ceci
nous amène donc à un autre point suscitant des débats
passionnés : la laïcité.
Il s’agit là bien sûr d’un débat nécessaire et utile mais qui doit
être abordé avec rationalité, mesure et clairvoyance. La cité doit
être gérée par une autorité civile élue et ceci ne contredit en rien
notre attachement à l’Islam, car en Islam il n'y a pas de clergé qui
pourrait prétendre gouverner le peuple « au nom de Dieu ». Nous
sommes pour un espace politique qui garantit l’inclusion de tous, la
non-discrimination sur une base idéologique ou de croyance, le
respect des minorités, et qui assure la coopération saine de tous les
Algériens pour la construction de la société et l’édification de
l’Etat, chacun partant de sa propre référence. Cependant, on ne
peut s’empêcher de noter que nombreux parmi ceux qui prônent la
laïcité en Algérie ne font en définitive que la desservir. En effet,
une certaine aliénation culturelle fait que pour certains d’entre eux
« Le » modèle de laïcité est celui prévalant actuellement en France.
Or, tout esprit rationnel, critique et ouvert sur le monde constatera
que ce modèle est en fait une aberration, décrié même dans la
plupart des pays occidentaux. Dans ces pays, la laïcité se limite à

307
Secrétariat du Mouvement Rachad

protéger la religion contre les abus de l’Etat et garantir la non-


intrusion de l’Eglise dans les affaires de l’Etat, alors qu’en France
elle a pris aussi la forme d’un extrémisme antireligieux qui
s'exprime de la façon la plus hostile surtout envers la religion
musulmane.
Pour le Mouvement Rachad, l’ordre politique préconisé ne
devrait pas refuser au religieux ou au défenseur d’une langue ou
culture de participer au débat politique. Ce serait là une grave
erreur, d’abord parce qu’elle restreint la liberté de participer au
débat politique, et ensuite ceci risque de mener à la victimisation
d'un pan de la société qui tôt ou tard se rebellera contre son
exclusion du champ politique. Laisser les citoyens et citoyennes
s’exprimer librement et même faire des propositions politiques en
adéquation avec leurs convictions religieuses ou culturelles est
légitime et nécessaire. Ceci est d’ailleurs ce que défendent nombre
d’éminents philosophes contemporains comme Jurgen Habermas.6

7. Consensus national et pratique démocratique


Le Mouvement Rachad a toujours érigé le débat et le
rapprochement entre les forces politiques en Algérie comme une
nécessité. Même avant la constitution du mouvement, certains de
ses membres étaient présents dès janvier 1992 avec d’autres
militants politiques et défenseurs des droits de l’homme,
d’horizons idéologiques divers, pour dire non au coup d’Etat et
aux violations massives des droits de l’homme qui s’ensuivirent. Ils
étaient présents – ou ont apporté leur soutien – au Contrat
National de Sant’ Egidio (1995), ainsi qu’aux rencontres de
l’opposition que ce soit en Algérie7 ou à l’étranger.i Rachad croit au
débat et a toujours agi pour initier ou répondre favorablement
pour rassembler tous les acteurs de la société civile sans exclusion.
Il s’agit là d’un principe fondamental pour Rachad : encourager la
concertation et la coopération avec tous les acteurs politiques et la
société civile.

i En 2000 avec Louiza Hanoune, Ali Yahia Abdenour, Abdelhamid Brahim,

Mohamed Harbi, et d’autres. En 2008 avec Abdelhamid Mehri, SalahEddine Sidhoum,


Lahouari Addi, Ahmed Benmohamed, Rachid Malaoui, et d’autres. Rencontres diverses
en 2018-2019 avec le FFS, FIS, HMS, RCD, etc.

Page 308
Rachad dans le hirak

8. Souveraineté et environnement international

Le Mouvement Rachad revendique son droit à discuter et débattre


avec tous les acteurs politiques non étatiques, ONG et
intellectuels, aussi bien dans le Monde arabe qu’en Occident. Ces
contacts sont toutefois toujours menés dans la transparence et
dans le respect des buts et principes du mouvement, notamment
son indépendance et son refus de toute ingérence étrangère dans le
présent et l’avenir politique de l’Algérie. Des membres de Rachad
ont ainsi participé à des conférences ou des rencontres avec des
militants politiques et de la société civile d’horizons idéologiques
divers (nationalistes, islamiques, laïques, etc.). Il est cependant clair
que rencontrer ou débattre avec de telles entités ou personnes
n’implique nullement une adhésion à toutes leurs opinions ou
actions. A ce titre, les attaques menées récemment contre Rachad,
l’accusant tantôt de travailler pour un « agenda turque et/ou
qatarie » ou de faire partie des « Frères Musulmans » ne reposent
sur aucun fait qui donnerait à ces affirmations une quelconque
véracité. Rachad n’entretient aucune relation avec quel qu’Etat que
ce soit et a toujours refusé l’ingérence étrangère. Il faut aussi
souligner que les gouvernements qatari et turc entretiennent les
meilleures relations avec le régime algérien et ne soutiennent pas le
hirak. Certains membres de Rachad sont d’ailleurs interdits
d’entrée dans ces pays.
Par ailleurs, le mouvement des « Frères Musulmans » a des
représentants attitrés en Algérie et Rachad n’est pas lié
structurellement à cette organisation. Ceci étant, nous
n’accepterons jamais que des dictatures du Golfe ou d’Egypte, en
guerre contre les « Frères Musulmans », notamment depuis le coup
d’Etat contre le président Mohamed Morsi, utilisent leurs relais en
Algérie pour « criminaliser » tout contact avec les « Frères
Musulmans ». Rachad n’a aucun lien organique avec les « Frères
Musulmans » mais refusera catégoriquement que qui que ce soit lui
impose ou interdise de rencontrer ou de débattre avec tel ou tel
acteur politique.
Un autre sujet qui est invoqué par les mêmes cercles en croisade
contre Rachad est le prétendu soutien de Rachad à l’agression de

309
Secrétariat du Mouvement Rachad

« l’OTAN en Libye ». Il y a lieu d’abord de préciser que Rachad a


toujours condamné l’interventionnisme impérialiste de OTAN
dans le Monde arabe, de même que la participation avérée de
l’armée algérienne dans des manœuvres et exercices de l’OTAN,
en présence de l’armée sioniste. La révolution de 2011 en Libye est
une révolution citoyenne contre une dictature et c’est dans ce sens
que Rachad l’a applaudie. Certains membres de Rachad ont visité
la Libye en 2011 sur invitation de confrères et amis libyens,
militants des droits de l’homme bien connus.i Cependant, aussi
bien en Lybie qu’en Syrie, Rachad a toujours encouragé ses
interlocuteurs à ancrer leurs luttes dans la non-violence, comme il a
dénoncé l’intervention étrangère qui a été la principale raison du
dévoiement des révolutions non-violentes et fait sombrer ces pays
dans des guerres civiles horribles.

9. Financement de Rachad
Rachad n’accepte de financement d’aucun gouvernement ou de
personnes non algériennes. Il compte sur les dons et cotisations de
ses membres et les encourage aussi à verser la zakat aux
nécessiteux (notamment prisonniers politiques et leurs familles).
Les pontes du régime dilapident des sommes faramineuses de
l’argent public et certains de leurs larbins dépensent des millions
d’euros dans la luxure tout en se permettant d’accuser un
mouvement comme Rachad d’être financé par des Etats
étrangers, sans en apporter bien entendu la moindre preuve. Le but
est de semer le doute et de faire en sorte que les citoyens
renoncent à s’organiser librement et assurer par eux-mêmes le
financement de leur action. Pour les dictatures, la règle est simple :
celui qui n’est pas financé, donc contrôlé par elles, est un traitre à
la solde d’intérêts étrangers !

i Dont Fathi Terbil, défenseur des droits de l’homme qui avait notamment travaillé

sur le massacre de la prison de Bouslim où plus de 1000 prisonniers avaient été exécutés
en 1996.

Page 310
Rachad dans le hirak

10. Conclusion

Le but de cet article était de réitérer les positions du Mouvement


Rachad dans un contexte où des forces politiques, alliées de fait du
pouvoir actuel, tentent de diviser le hirak. Nous avons tenu à
répondre à des accusations infondées avec un esprit de
transparence tout en refusant d’adopter une posture apologétique.
Notre mouvement active de façon transparente et ses méthodes et
objectifs sont légitimes, légaux et honorables. Nous affirmons
aussi que ce qui dérange le plus les régimes autoritaires ce sont les
forces de la société civile qui s’affranchissent de sa tutelle et
s’organisent pour opérer un changement. C’est sans l’ombre d’un
doute ce point-là qui explique l’acharnement du régime et ses relais
contre Rachad. Le régime craint que d’autres structures organisées
et libres entrent en action. Et c’est justement ce à quoi appelle
Rachad : encourager les citoyens et citoyennes à s’organiser dans
des structures (associations, partis, syndicats, clubs etc.) libres et
qui appuient le hirak. Ceci constituera aussi la meilleure réponse et
parade à toute tentative, d’où qu’elle vienne, de vouloir s’accaparer
le hirak. Nous sommes convaincus que de telles structures, libres
et citoyennes, sauront engager un débat entre elles et arriver à un
consensus et une feuille de route qui amènera le changement
souhaité par le peuple algérien. Il faut bien sûr débattre des aspects
idéologiques, des projets de société mais la priorité actuelle doit
rester l’association de toutes les forces libres pour garantir :
• La souveraineté de notre pays et le droit de tous ses
citoyens d’y vivre libres et jouissant de leurs droits
fondamentaux ;
• La consécration du suffrage universel comme seul moyen
de choix des dirigeants et des programmes politiques tout
en respectant les libertés individuelles et les droits
fondamentaux ;
• Le droit à l’action politique, syndicale et associative à tous
les citoyens sans avoir à obtenir un quelconque agrément
de l’autorité en place ;
• Le droit de choisir librement les gouvernants et la mise en
place de contre-pouvoirs ;

311
Secrétariat du Mouvement Rachad

• Le contrôle démocratique effectif par les représentants du


peuple des forces armées et des services de sécurité ;
• L’indépendance du Pouvoir judiciaire ;
• La liberté des médias ;
• La répartition équitable de la richesse nationale.

Notes de référence

1 https://rachad.org/fr/?p=1777
2 www.rachad.org/fr/?page_id=231
3 https://rachad.org/fr/?p=506
4 https://rachad.org/fr/?p=38
5https://www.youtube.com/playlist?list=PLeQmfqtiCnlCgmgK_ZmqsXL6MPRKv1IM
N
6 https://www.ssrc.org/publications/view/habermas-and-religion/
7 http://aljazair24.com/national/29295.html

Page 312
INDEX

Abdelhai, Abdessami, 212 Arabie saoudite, 5, 115, 135, 142

Abhath, Al-Thuraya Consultancy Assoul, Zoubida, 4, 18, 30, 31, 35,


and Researches, 16, 155, 160, 39, 43, 44, 53, 58, 196, 218, 226,
164, 165, 166, 167, 168, 171, 227, 230, 235, 236, 237, 238,
182 239, 241, 242, 246, 249

Adam, 87, 93, 107, 108 Barkhane, Opération, 125, 128, 130

Addi, Lahouari, 4, 18, 30, 31, 35, Belhimer, Ammar, 53, 211, 215,
36, 39, 44, 47, 52, 53, 55, 180, 223, 224, 277, 280, 281, 297
193, 196, 218, 226, 229, 231,
Ben Ali, Zine el-Abidine, 69, 73,
235, 236, 237, 239, 241, 251,
83, 156, 157, 158, 160, 162, 167
308
Bendjama, Mustapha, 212
AFD, Agence Française de
Développement, 180, 193 Benhabylès, Saida, 15, 152, 153,
181
AFRICOM, 41, 132, 140
Bennabi, Malek, 104, 106, 107, 117
Afrique, 14, 15, 21, 41, 50, 53, 57,
60, 76, 81, 121, 124, 125, 126, Bensaad, Ali, 215, 223
129, 130, 132, 137, 139, 160, Beti, Bongo, 123, 126, 137
164, 166, 167, 168, 184, 217,
218, 227, 228, 231 Bonnet, Yves, 149, 152, 153, 165

Al Magharibia, 31, 36, 50, 214, 246 Bouazizi, Mohamed, 69, 83, 113,
157
Aljazeera, 160, 187
Bouchachi, Mostefa, 30, 31, 35, 38,
Alkarama, 4, 18, 31, 36, 235, 253, 39, 43, 44, 45, 47, 52, 53, 196,
255, 256, 257, 258, 260, 261, 235, 241, 242, 246, 251
262, 263, 264, 265, 266, 267,
269, 270, 271, 272, 273, 274, Bouhamidi, Mohamed, 50, 57, 214,
275, 276, 282, 285, 287, 293, 215, 222, 223
294, 295, 296, 299 Bouzouzou, Mahmoud, 104, 105,
Antar, Centre, 211 106, 117
Index

Burkina Faso, 81, 129 Dhina, Mourad, 24, 31, 39, 180,
193, 218, 227, 230, 237, 247,
Canada, 51, 146, 162, 174, 216,
263, 265, 271, 296, 306
217, 219, 221, 234, 243
Djir, Belkacem, 49, 212
Canvas, 33, 40, 79, 80, 84, 99, 151
Drareni, Khaled, 49, 138, 212, 223
CF2R, 15, 16, 126, 129, 132, 147,
149, 150, 151, 152, 153, 165, Droits de l’homme, 18, 19, 36, 71,
166, 168, 179, 181, 184, 185 73, 77, 172, 176, 197, 203, 204,
205, 212, 213, 216, 235, 256,
Chikh, Adel Azeb, 212
257, 258, 260, 261, 262, 263,
Chypre, 160, 200, 201, 202 264, 265, 266, 267, 268, 270,
CIA, 41, 54, 140, 184, 236, 243 272, 275, 276, 278, 280, 282,
283, 285, 286, 288, 293, 294,
CIGPA, 3, 14, 15, 16, 55, 123, 137, 295, 296, 297, 298, 299, 305,
147, 148, 152, 155, 156, 159, 306, 308, 310
160, 161, 162, 163, 164, 166,
167, 168, 179, 182, 186, 188, Droits humains, 128, 131, 174, 175,
189, 195, 196, 197, 198, 199, 191, 205, 246, 255, 256, 257,
200, 202, 204, 205, 206, 207 258, 267, 272, 273, 274, 275,
276, 277, 281, 288, 289, 304
CIRET-AVT, 153, 179, 185
DST, 149, 152, 153, 165
Complotisme, 1, 2, 3, 12, 27, 28,
29, 42, 47, 48, 49, 51, 59, 137, Egypte, 5, 6, 7, 14, 22, 41, 69, 71,
149, 215, 223, 224 111, 112, 113, 115, 164, 170,
171, 172, 173, 174, 200, 202,
Complotiste, 14, 16, 17, 19, 27, 28, 203, 204, 205, 246, 260, 263,
29, 30, 32, 34, 37, 39, 43, 46, 47, 266, 304, 309
48, 49, 51, 62, 81, 148, 159, 171,
213, 220, 226, 231 Emirats Arabes Unis, 5, 48, 115,
167, 169, 170, 172, 174, 260,
Conspiration, 28, 29, 35, 45, 122, 262, 264, 266, 270, 272, 274
129, 168
Erdogan, Recep Tayyip, 159, 166,
Dahlan, Mohammed, 16, 155, 160, 186, 197, 198, 199, 200, 206
164, 166, 168, 172, 182, 186,
189, 190, 193 Etats-Unis, 5, 22, 38, 41, 74, 98,
101, 115, 131, 132, 133, 134,
Deeb, Loai Mohamed, 172, 173, 158, 159, 162, 169, 172, 196,
174, 177, 178 213, 245, 246, 258, 259, 267,
DGSE, 150, 152, 184 268, 274, 289

Page 314
Index

Extrême-droite, 161, 177, 178, 192, Main étrangère, 3, 12, 17, 49, 50,
229 114, 128, 183, 209, 210, 214,
220, 239
FBI, 41, 132
Mali, 81, 94, 128, 129, 130, 139
FIS, 19, 30, 39, 234, 235, 251, 306,
308 Maougal, Mohamed-Lakhdar, 50,
57, 214
Françafrique, 14, 125, 126, 130,
137, 139 Mesli, Rachid, 263, 270, 271, 272,
295, 296
Frères musulmans, 48, 151, 159,
160, 161, 163, 203, 204, 263, Morsi, Mohamed, 5, 73, 309
266
Moubarak, Hosni, 5, 70, 71, 73,
Gaïd Salah, Ahmed, 33, 50, 57, 202, 203, 204, 205, 206
133, 134, 210
NED, 30, 38, 43, 46, 62, 215, 226,
Gandhi, Mohandas, 79, 93, 98, 104, 243, 244, 245, 251, 281
106, 108, 113, 303
Non-violence, 3, 13, 14, 19, 21, 22,
GNRD, 168, 171, 172, 173, 174, 23, 25, 32, 42, 51, 62, 71, 79, 80,
175, 176, 178, 179, 182, 190, 81, 94, 97, 98, 100, 101, 102,
191, 192, 266 104, 105, 106, 107, 108, 109,
110, 111, 112, 113, 114, 130,
Guinée, 129
267, 301, 302, 303, 304, 310
Irak, 7, 22, 36, 40, 68, 81, 98, 106,
NSA, 41
108, 112, 122, 128, 200, 218,
230, 268, 270 ONU, 111, 133, 176, 190, 216, 268,
272, 275, 278, 282, 285, 296,
Islamo-atlantisme, 15, 159, 182
298, 299
Khan, Abdulghaffar, 108
Otpor, 43, 45, 62, 64, 71, 80, 98,
Kifaya, Mouvement, 112 115
Liban, 7, 22, 68, 71, 81, 98, 112, Palestine, 22, 123, 125, 171, 218,
174, 217, 260, 269 229, 231
Libye, 6, 7, 113, 124, 153, 164, 170, Paréidolie, 29, 30, 42
171, 185, 190, 200, 201, 203,
Pétrole, 73, 132, 133, 139, 140, 151
246, 304, 310
Propagande, 10, 11, 13, 15, 28, 33,
Līn, 107
47, 111, 122, 126, 127, 128, 136,
148, 151, 153, 167, 211, 213,

315
Index

216, 218, 276, 281, 282, 285, Syrie, 6, 7, 14, 40, 68, 69, 71, 73,
286, 287, 289, 290, 291, 292, 107, 112, 113, 152, 153, 170,
302 171, 173, 178, 199, 200, 203,
246, 304, 310
Qatar, 48, 115, 158, 159, 160, 165,
166, 167, 182, 190, 192, 198, Tabbou, Karim, 19, 30, 31, 36, 39,
212, 265, 267, 270, 294, 295 43, 44, 46, 47, 53, 196, 235, 242,
261, 278, 279
Rachad, Mouvement, 4, 18, 30, 36,
46, 52, 53, 112, 113, 140, 184, Théorie du complot, 13, 15, 21, 22,
196, 206, 212, 218, 230, 234, 27, 28, 29, 30, 49, 50, 182
235, 236, 237, 238, 247, 261,
Tunisie, 5, 6, 7, 14, 68, 69, 75, 76,
263, 264, 301, 302, 303, 304,
90, 112, 117, 156, 157, 161, 162,
305, 306, 307, 308, 309, 310,
164, 170, 171, 172, 174, 186,
311
187, 196, 200, 203
RAJ, 31, 43, 46, 196
Turquie, 48, 115, 152, 159, 164,
Renseignements Généraux, 164, 166, 167, 182, 197, 198, 199,
201 200, 201, 202, 204, 205, 206,
207, 212
Révolution de couleur, 6, 13, 15,
25, 32, 33, 34, 39, 40, 42, 59, 60, Union africaine, 133
61, 62, 63, 64, 66, 67, 68, 69, 70,
Union européenne, 150, 162
71, 72, 74, 75, 76, 79, 80, 82, 83,
84, 85, 98, 99, 123, 134, 139, USA, 13, 15, 19, 20, 21, 28, 35, 36,
227, 282 40, 47, 48, 66, 80, 165, 196, 217

Rifq, 106, 107 Yémen, 7, 14, 36, 68, 69, 71, 73,
113, 171, 203, 260, 263
Royaume-Uni, 101
Zeghileche, Abdelkrim, 212
Sahel, 14, 23, 41, 125, 128, 129,
130, 139, 141 Zeghmati, Belkacem, 211

Said, Jawdat, 104, 303 Zitout, Mohamed Larbi, 31, 36, 39,
247
Sissi, Abdelfattah, 73, 152, 203,
204, 205, 206, 266

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EN DÉFENSE DU HIRAK
L e hirak algérien subit depuis le début du printemps dernier une
campagne de propagande particulièrement agressive et sournoise,
entretenue par un large spectre d’organes médiatiques et animée par divers
acteurs politiques et académiques. Un groupe d’universitaires algériens a
pris l’initiative de préparer ensemble un travail académique pour faire
face à un échantillon de ces attaques. Ces différentes contributions sont
rassemblées dans ce livre.

« En défense du Hirak: Déconstruction du complotisme contre-révolution-


naire » examine l’opuscule de Bensâada « Qui sont ces ténors autoproclamés
du Hirak algérien ? » sous différentes perspectives. L’ouvrage se divise en
quatre parties. La première comprend trois articles dédiés à la critique
substantielle du contenu de cette publication. La seconde partie est
consacrée à jeter la lumière sur Bensâada ainsi que Majed Nehmé et
Richard Labévière qui ont pré- et postfacé son opuscule, respectivement.
La troisième partie de cet ouvrage approche l’opuscule de Bensâada sous
une perspective médiatique. La quatrième et dernière partie de ce livre
rend compte de quelques réactions provoquées par les allégations précises
avancées par Bensâada pour étayer sa thèse complotiste.

« Comme l'esclavage a été aboli après des milliers d'années de souffrance,


et le colonialisme démantelé, même au prix fort payé par certains pays
comme l'Algérie, la défaite de la tyrannie est un processus que rien ni
personne ne pourra arrêter. »
Dr Moncef Marzouki
Ancien président de Tunisie

www.hoggar.org
Photo: Premier anniversaire du Hirak, 22 février 2020, Alger
Couverture: © Movi-Design

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