4 Musard
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Le but de cet article est de réfléchir à la manière d’envisager les rapports entre école et
société en EPS. Une revue de la littérature en didactique des disciplines met en évidence
différentes conceptions. Chevallard, didacticien des mathématiques (1985) développe le
concept de « transposition didactique » pour montrer que le savoir enseigné résulte d’une
transposition du savoir savant. Les didacticiens de différentes disciplines utilisent ce
concept, en proposant éventuellement d’autres sources de transposition didactique que le
savoir savant (savoirs experts, savoirs de référence ou pratiques sociales de référence).
D’autre part, Chevallard évoque aussi les « créations didactiques » : le savoir enseigné
n’est plus transposé à partir du savoir savant, mais crée par l’école. Martinand (2001),
didacticien de la physique et de la technologie considère qu’il y a en réalité ni transposition
didactique, ni création didactique. Il défend l’idée d’une « composition sous influences »
pour caractériser la construction des activités scolaires par les enseignants. Nous nous
interrogeons donc sur l’emploi de ces différentes notions en didactique de l’EPS, en
prenant en compte les spécificités de cette discipline.
Martinand expose dès 1983 le concept de « pratique sociale de référence », qui renvoie
aux trois aspects suivants :
- « ce sont des activités objectives de transformation d’un donné naturel ou
humain (« pratique »)
- elles concernent l’ensemble d’un secteur social, et non des rôles individuels
(« social »)
- la relation avec les activités didactiques n’est pas d’identité, il y a seulement
terme de comparaison (« référence ») »
Pour Martinand, la référence aux pratiques sociales est nécessaire, puisque les activités
scolaires veulent être des images d’activités sociales réelles. Comme Chevallard, il s’agit
d’étudier les écarts entre ce qui est produit dans la société et ce qui se fait à l’école mais
en terme de pratiques (« transposition élargie ») et pas seulement de savoirs
(« transposition restreinte »), (Martinand, 2001). De plus, il faut rechercher une cohérence
des activités scolaires en référence aux pratiques sociales. « L’origine de la notion de
pratique de référence est moins l’indignation devant l ‘écart entre pratique vivante et
activité scolaire que le besoin d’effectuer un choix explicite de référence, de contrôler les
écarts entre la pratique choisie et les activités scolaires, d’assurer une cohérence entre les
différentes composantes de l’activité scolaire en relation avec une pratique de référence »
(1989). Parfois, il y a une pluralité des références possibles et il est indispensable de
choisir une référence dominante, voire exclusive. «Il ne semble pas possible de prendre à
la fois et également plusieurs références : exclusions et différenciations doivent être
explicites. » (Martinand, 1986). Certaines pratiques de référence sont donc valorisées,
alors que d’autres sont mises à l’écart ou abandonnées. Mais les enseignants ne
choisissent pas toujours une seule pratique de référence. Garcia-Debanc (2001) remarque
en didactique du français que les références peuvent se combiner pour la constitution de
nouveaux objets d’enseignement. D’autre part, Martinand (1993) précise que les
références peuvent être virtuelles : « certaines formations sont même inventées pour
changer les pratiques ; la pratique de référence peut alors être virtuelle ». Dans le cas où
les enseignants d’EPS combinent la pratique de l’acrosport avec une autre APS comme la
gymnastique rythmique ou le cirque (Musard & al., 2001), nous pouvons nous demander
s’il s’agit de références virtuelles.
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3. Les rapports entre pratiques et savoirs : émergence d’un débat
En didactique des disciplines, les chercheurs ne sont pas d’accord sur la manière
d’envisager les rapports entre pratiques et savoirs. Quelques uns préfèrent ne pas
trancher ce débat (Arsac, 1992), mais il semble indispensable de choisir un
positionnement à partir des caractéristiques de sa discipline scolaire. Pour quelques
auteurs (Martinand, Raisky, 2001), ce sont des pratiques qui sont enseignées : les savoirs
ne sont qu’une composante de la pratique. Pour certains (Chevallard, Joshua et Tavignot),
il y a transposition de savoirs, les pratiques étant secondaires. Enfin, d’autres comme
Develay ou Perrenoud privilégient ni les pratiques, ni les savoirs, mais les juxtaposent.
Des savoirs et des pratiques sont donc transposés.
Martinand considère les pratiques au sens global. C’est par rapport à toutes les
composantes d’une pratique (culturelle, familière, de production, d’ingénierie…) que la
question de la référence doit être posée. La pratique est en effet caractérisée par des
objets de travail, des instruments matériels, intellectuels, des problèmes, des savoirs, des
attitudes, des rôles sociaux (1989). Les savoirs notamment sont véritablement contenus,
inclus dans la pratique et ne peuvent être contextualisés ou isolés des pratiques. Raisky
(2001) adopte la même posture que Martinand dans le cas de l’agronomie : « les
références sont des situations, des activités et non d’abord des savoirs ». La situation,
construite à travers une activité humaine met en œuvre et génère des savoirs. Ce ne sont
donc pas les pratiques qui sont des habillages de savoirs, ce sont les savoirs qui sont
contenus dans la pratique pour pouvoir les faire fonctionner. Il faut « prendre en compte
des pratiques dans tous leurs aspects y compris dans leurs composantes de savoirs,
discursifs ou non, explicites ou implicites, individuels ou collectifs » (Martinand, 2001). En
considérant les pratiques sur un plan global, il s’agit d’analyser les activités scolaires sous
la forme de curriculum, plutôt qu’en terme de rapport au savoir. Le mot anglais curriculum
« désigne moins une catégorie spécifique d’objets (tels les programmes scolaires) qu’une
approche globale des phénomènes éducatifs » (Forquin, 1989). Le curriculum représente
un parcours scolaire , un « ensemble continu de situations d’apprentissages auxquelles un
individu est exposé au cours d’une période donnée dans le cadre d’une institution
d’éducation formelle ». Martinand (2000) distingue trois plans d’analyse : le curriculum
« formel » ou prescrit (représenté par les programmes de la disciplines), le curriculum
« potentiel » (il désigne tous les curriculums possibles que peuvent imaginer les
enseignants compte tenu des contextes réels) et enfin le curriculum « réel », enseigné en
classe.
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Chevallard défend une autre position. Ce sont les savoirs qui sont au centre des activités,
les pratiques sont secondaires. Ce positionnement différent par rapport à Martinand peut
sans doute s’expliquer par les caractéristiques différentes des disciplines scolaires.
Joshua (1996) défend également l’idée d’une transposition de savoirs, mais pas
exclusivement de savoirs savants. Il propose alors l’idée de « savoirs experts » pour
maintenir la problématique de la transposition restreinte. Il n’est donc pas d’accord avec
Marsenach qui pense la transposition en EPS à partir de pratiques sociales : « ce sont
bien des savoirs qui sont transposés, non ces pratiques elles-mêmes ». Si Joshua
reconnaît qu’il y a toujours une mise en relation entre la théorie et la pratique, les savoirs
sont privilégiés par rapport aux pratiques. L’école ne peut que transmettre des savoirs, fut-
ce des savoirs sur la pratique. D’autre part, Tavignot (1991) pense que la transposition
didactique se réalise en mathématiques à partir de « savoirs de référence », composés
non seulement de savoirs savants, mais aussi de savoir faire.
Un troisième point de vue quant aux relations entre savoirs et pratiques peut être mis en
évidence. Develay (1992) n’accorde en effet de privilège ni aux pratiques, ni aux savoirs,
mais il juxtapose savoir savant et pratiques sociales de référence. « Savoirs savants et
pratiques sociales de référence sont donc à l’origine des savoirs scolaires ». Pourtant, le
savoir savant produit par la pratique de recherche ne représente qu’une pratique sociale
parmi d’autres. Séparer savoirs savants et pratiques sociales de référence semble
incohérent. Martinand (2001) critique fermement la proposition de Develay : « cela revient
à proposer une sorte de dualité instable qui se résout en fait en une centration sur le
savoir avec prise en compte des contextes pratiques du savoir ». Perrenoud (1998)
semble se situer dans la même position que Develay : « on peut admettre que l’on travaille
désormais avec deux sources de la transposition didactique : d’une part, des savoirs,
savants ou experts, d’autre part des pratiques sociales ». Pourtant, il reconnaît qu’il « y a
confusion lorsqu’on laisse entendre que savoirs et pratiques sont des réalités clairement
distinctes » et tente de montrer « qu’il n’y a pas de pratiques sans savoirs, ni de pratiques
sans savoirs ». Pourquoi alors différencier savoirs et pratiques en définissant deux
sources de la transposition didactique ?