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Quel processus de construction des activités scolaires en EPS ?

Musard Mathilde*, Mahut Nathalie**, Robin Jean-François***

LIREST (ENS Cachan), LASeLDI ** UFR STAPS de Besançon, LASeLDI,


*** UFR STAPS de Créteil, GEDIAPS

Le but de cet article est de réfléchir à la manière d’envisager les rapports entre école et
société en EPS. Une revue de la littérature en didactique des disciplines met en évidence
différentes conceptions. Chevallard, didacticien des mathématiques (1985) développe le
concept de « transposition didactique » pour montrer que le savoir enseigné résulte d’une
transposition du savoir savant. Les didacticiens de différentes disciplines utilisent ce
concept, en proposant éventuellement d’autres sources de transposition didactique que le
savoir savant (savoirs experts, savoirs de référence ou pratiques sociales de référence).
D’autre part, Chevallard évoque aussi les « créations didactiques » : le savoir enseigné
n’est plus transposé à partir du savoir savant, mais crée par l’école. Martinand (2001),
didacticien de la physique et de la technologie considère qu’il y a en réalité ni transposition
didactique, ni création didactique. Il défend l’idée d’une « composition sous influences »
pour caractériser la construction des activités scolaires par les enseignants. Nous nous
interrogeons donc sur l’emploi de ces différentes notions en didactique de l’EPS, en
prenant en compte les spécificités de cette discipline.

1. Le concept de transposition didactique


Verret (1975) utilise le premier le concept de transposition didactique dans le champ de la
sociologie de l’éducation. Il postule dans sa thèse que « toute pratique d’enseignement
d’un objet présuppose en effet la transformation préalable de cet objet en objet
d’enseignement ». Cinq conditions sont nécessaires pour élaborer le « savoir
scolarisable » : la désyncrétisation, la dépersonnalisation, la programmabilité de
l’acquisition du savoir, la publicité du savoir et le contrôle social des apprentissages.
Chevallard (1985), didacticien des mathématiques reprend le concept de « transposition
didactique » apporté par Verret. La métaphore musicale de la transposition met l’accent
sur un changement de forme du savoir : du savoir savant au savoir enseigné. L’écart entre
savoir savant et savoir enseigné, aussi appelé « épistémologie scolaire » est obligatoire et
nécessaire mais il doit être contrôlé. Pour Perrenoud (1998), Chevallard rétrécit le champ
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d’application de la notion de transposition à la forme scolaire, aux disciplines et aux
savoirs savants.

Deux étapes sont identifiées dans le processus de la transposition didactique :


- Première étape : la transposition didactique externe
La « noosphère » assure le passage du savoir savant au savoir à enseigner, représenté
par les programmes ou les manuels. Elle désigne « la sphère où l’on pense – selon des
modalités parfois fort différentes- le fonctionnement didactique » et se compose de
l’organe politique qui rédige les programmes officiels, des enseignants, des universitaires,
des auteurs de manuels, des inspecteurs, des didacticiens, des parents d’élèves...La
noosphère cherche à rétablir l’équilibre, la compatibilité entre l’école et la société avec une
double contrainte : le savoir enseigné doit être suffisamment proche du savoir savant et
suffisamment éloigné du savoir des parents.
L’expression « le savoir savant » montre que le savoir des spécialistes, des
mathématiciens est déterminé, discursif et légitime. Le point de départ de la transposition
didactique est défini (le savoir savant) et pas remis en cause. Dans le cas de l’EPS, il
existe des savoirs savants, mais ce sont des savoirs sur la pratique, des outils qui
permettent de penser la pratique et non les objets de savoirs qui sont enseignés. Il y a
parfois confusion entre les savoirs de l’EPS et les savoirs des STAPS. Amade-Escot
(1991) rappelle à juste titre qu’en EPS, « les savoirs savants ne s’enseignent pas, ou alors
ponctuellement. Les contenus de l’EPS sont relatifs à des transformations motrices,
cognitives et relationnelles d’élèves engagés dans des pratiques d’APS. »
- Seconde étape : la transposition didactique interne
Ce sont les enseignants qui prennent en charge cette étape du savoir à enseigner au
savoir enseigné. L’objet à enseigner (programmes, manuels) est transformé ou interprété
en objet d’enseignement. Nous remarquons que cette étape pose à nouveau des
problèmes en EPS, puisque pour certaines activités comme l’acrosport, les programmes
ne font qu’entériner les pratiques scolaires avec plusieurs années de décalage.
La question de la transposition didactique est donc une question de mécanisme de
passage du savoir savant au savoir enseigné. Il ne s’agit pas de discuter ce qui se situe à
la source de la transposition didactique, mais plutôt de considérer le processus de
transposition selon un mécanisme descendant et unilatéral, de la société vers l’école.
Selon nous, ce modèle linéaire et unidirectionnel ne convient pas à l’EPS, car les
enseignants s’appuient sur des éléments divers pour construire les activités scolaires.
Nous montrerons que la conception de Martinand apparaît plus adaptée à notre discipline.
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2. Le concept de « pratique sociale de référence » (Martinand, 1983)

Martinand expose dès 1983 le concept de « pratique sociale de référence », qui renvoie
aux trois aspects suivants :
- « ce sont des activités objectives de transformation d’un donné naturel ou
humain (« pratique »)
- elles concernent l’ensemble d’un secteur social, et non des rôles individuels
(« social »)
- la relation avec les activités didactiques n’est pas d’identité, il y a seulement
terme de comparaison (« référence ») »
Pour Martinand, la référence aux pratiques sociales est nécessaire, puisque les activités
scolaires veulent être des images d’activités sociales réelles. Comme Chevallard, il s’agit
d’étudier les écarts entre ce qui est produit dans la société et ce qui se fait à l’école mais
en terme de pratiques (« transposition élargie ») et pas seulement de savoirs
(« transposition restreinte »), (Martinand, 2001). De plus, il faut rechercher une cohérence
des activités scolaires en référence aux pratiques sociales. « L’origine de la notion de
pratique de référence est moins l’indignation devant l ‘écart entre pratique vivante et
activité scolaire que le besoin d’effectuer un choix explicite de référence, de contrôler les
écarts entre la pratique choisie et les activités scolaires, d’assurer une cohérence entre les
différentes composantes de l’activité scolaire en relation avec une pratique de référence »
(1989). Parfois, il y a une pluralité des références possibles et il est indispensable de
choisir une référence dominante, voire exclusive. «Il ne semble pas possible de prendre à
la fois et également plusieurs références : exclusions et différenciations doivent être
explicites. » (Martinand, 1986). Certaines pratiques de référence sont donc valorisées,
alors que d’autres sont mises à l’écart ou abandonnées. Mais les enseignants ne
choisissent pas toujours une seule pratique de référence. Garcia-Debanc (2001) remarque
en didactique du français que les références peuvent se combiner pour la constitution de
nouveaux objets d’enseignement. D’autre part, Martinand (1993) précise que les
références peuvent être virtuelles : « certaines formations sont même inventées pour
changer les pratiques ; la pratique de référence peut alors être virtuelle ». Dans le cas où
les enseignants d’EPS combinent la pratique de l’acrosport avec une autre APS comme la
gymnastique rythmique ou le cirque (Musard & al., 2001), nous pouvons nous demander
s’il s’agit de références virtuelles.
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3. Les rapports entre pratiques et savoirs : émergence d’un débat
En didactique des disciplines, les chercheurs ne sont pas d’accord sur la manière
d’envisager les rapports entre pratiques et savoirs. Quelques uns préfèrent ne pas
trancher ce débat (Arsac, 1992), mais il semble indispensable de choisir un
positionnement à partir des caractéristiques de sa discipline scolaire. Pour quelques
auteurs (Martinand, Raisky, 2001), ce sont des pratiques qui sont enseignées : les savoirs
ne sont qu’une composante de la pratique. Pour certains (Chevallard, Joshua et Tavignot),
il y a transposition de savoirs, les pratiques étant secondaires. Enfin, d’autres comme
Develay ou Perrenoud privilégient ni les pratiques, ni les savoirs, mais les juxtaposent.
Des savoirs et des pratiques sont donc transposés.
Martinand considère les pratiques au sens global. C’est par rapport à toutes les
composantes d’une pratique (culturelle, familière, de production, d’ingénierie…) que la
question de la référence doit être posée. La pratique est en effet caractérisée par des
objets de travail, des instruments matériels, intellectuels, des problèmes, des savoirs, des
attitudes, des rôles sociaux (1989). Les savoirs notamment sont véritablement contenus,
inclus dans la pratique et ne peuvent être contextualisés ou isolés des pratiques. Raisky
(2001) adopte la même posture que Martinand dans le cas de l’agronomie : « les
références sont des situations, des activités et non d’abord des savoirs ». La situation,
construite à travers une activité humaine met en œuvre et génère des savoirs. Ce ne sont
donc pas les pratiques qui sont des habillages de savoirs, ce sont les savoirs qui sont
contenus dans la pratique pour pouvoir les faire fonctionner. Il faut « prendre en compte
des pratiques dans tous leurs aspects y compris dans leurs composantes de savoirs,
discursifs ou non, explicites ou implicites, individuels ou collectifs » (Martinand, 2001). En
considérant les pratiques sur un plan global, il s’agit d’analyser les activités scolaires sous
la forme de curriculum, plutôt qu’en terme de rapport au savoir. Le mot anglais curriculum
« désigne moins une catégorie spécifique d’objets (tels les programmes scolaires) qu’une
approche globale des phénomènes éducatifs » (Forquin, 1989). Le curriculum représente
un parcours scolaire , un « ensemble continu de situations d’apprentissages auxquelles un
individu est exposé au cours d’une période donnée dans le cadre d’une institution
d’éducation formelle ». Martinand (2000) distingue trois plans d’analyse : le curriculum
« formel » ou prescrit (représenté par les programmes de la disciplines), le curriculum
« potentiel » (il désigne tous les curriculums possibles que peuvent imaginer les
enseignants compte tenu des contextes réels) et enfin le curriculum « réel », enseigné en
classe.
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Chevallard défend une autre position. Ce sont les savoirs qui sont au centre des activités,
les pratiques sont secondaires. Ce positionnement différent par rapport à Martinand peut
sans doute s’expliquer par les caractéristiques différentes des disciplines scolaires.
Joshua (1996) défend également l’idée d’une transposition de savoirs, mais pas
exclusivement de savoirs savants. Il propose alors l’idée de « savoirs experts » pour
maintenir la problématique de la transposition restreinte. Il n’est donc pas d’accord avec
Marsenach qui pense la transposition en EPS à partir de pratiques sociales : « ce sont
bien des savoirs qui sont transposés, non ces pratiques elles-mêmes ». Si Joshua
reconnaît qu’il y a toujours une mise en relation entre la théorie et la pratique, les savoirs
sont privilégiés par rapport aux pratiques. L’école ne peut que transmettre des savoirs, fut-
ce des savoirs sur la pratique. D’autre part, Tavignot (1991) pense que la transposition
didactique se réalise en mathématiques à partir de « savoirs de référence », composés
non seulement de savoirs savants, mais aussi de savoir faire.
Un troisième point de vue quant aux relations entre savoirs et pratiques peut être mis en
évidence. Develay (1992) n’accorde en effet de privilège ni aux pratiques, ni aux savoirs,
mais il juxtapose savoir savant et pratiques sociales de référence. « Savoirs savants et
pratiques sociales de référence sont donc à l’origine des savoirs scolaires ». Pourtant, le
savoir savant produit par la pratique de recherche ne représente qu’une pratique sociale
parmi d’autres. Séparer savoirs savants et pratiques sociales de référence semble
incohérent. Martinand (2001) critique fermement la proposition de Develay : « cela revient
à proposer une sorte de dualité instable qui se résout en fait en une centration sur le
savoir avec prise en compte des contextes pratiques du savoir ». Perrenoud (1998)
semble se situer dans la même position que Develay : « on peut admettre que l’on travaille
désormais avec deux sources de la transposition didactique : d’une part, des savoirs,
savants ou experts, d’autre part des pratiques sociales ». Pourtant, il reconnaît qu’il « y a
confusion lorsqu’on laisse entendre que savoirs et pratiques sont des réalités clairement
distinctes » et tente de montrer « qu’il n’y a pas de pratiques sans savoirs, ni de pratiques
sans savoirs ». Pourquoi alors différencier savoirs et pratiques en définissant deux
sources de la transposition didactique ?

4. Quel débat en didactique de l’EPS ?


Comment les didacticiens de l’EPS se positionnent-ils dans le débat sur les rapports entre
savoirs et pratiques ? Il est indispensable de réfléchir à « la question fondamentale de la
référence en EPS » (Marsenach & Amade, 1995) en fonction des spécificités de notre
discipline.
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Certains didacticiens de l’EPS (Barbot, Dufor ou Robin, 1998) se situent dans le contexte
d’une transposition didactique élargie entre pratiques sociales prises comme références et
activités scolaires. De même, pour Marsenach (1991), la transposition didactique en EPS
est « l’ensemble des transformations que fait subir aux pratiques sociales d’activités
physiques et sportives la volonté de les enseigner ». Ces auteurs reconnaissent donc
avec Martinand qu’il faut prendre en compte les différentes composantes de la pratique et
pas seulement les savoirs. Cette orientation s’articule avec les spécificités de l’EPS,
puisque c’est en pratiquant les APS que les élèves construisent des savoirs. Ce sont
essentiellement des savoirs de la pratique. Ils ne sont pas apportés de façon isolée de
l’action, mais au contraire élaborés dans la pratique même de l’activité, au cours
d’expériences vécues. L’EPS ne peut donc se contenter de transmettre uniquement des
savoirs savants ou même des savoirs de référence. Elle enseigne avant tout des
pratiques, considérées ici au sens global, c’est-à-dire incluant les savoirs. Pourtant,
certains didacticiens de l’EPS ne semblent pas d’accord sur ce point et accordent une
place plus importante aux savoirs en EPS.
Par exemple, Léziart (1997), Genet Volet & al. (1998) utilisent un modèle proche de celui
de Develay en juxtaposant savoir savant et pratiques sociales de référence. Selon Léziart,
l’EPS « n’enseigne pas non plus uniquement des pratiques. Son inscription scolaire la
conduit à adjoindre à la transmission des techniques, qui n’est jamais stricte, des savoirs
de et sur les activités physiques et sportives enseignées ». Cet auteur retient finalement
qu’il y a transposition à partir de « savoirs de référence ». Ce terme contourne « les
utilisations didactiques trop rigides des termes pratique et savoir » et intègre « toutes les
disciplines scolaires sous un même vocable », mais ne serait-il pas plus judicieux de
prendre réellement en compte les spécificités de la discipline EPS ? Peut-on considérer en
EPS que « les savoirs de référence (et seulement aux) sont pris en compte pour
déterminer les savoirs à enseigner » ? Nous pensons qu’il est réducteur de s’interroger sur
les savoirs en EPS, plutôt que sur les pratiques.
Terrisse (1998) se situe dans la même direction que Léziart, puisque la transposition se
réalise de la même manière à partir du savoir de référence. A nouveau, il y a
prépondérance du « savoir de référence », transposé selon plusieurs étapes inspirées
largement de Chevallard en savoir à enseigner, puis en savoir enseigné et enfin en savoir
appris.

5. Les notions de création didactique et de contre-transposition didactique


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Parfois, le savoir savant est mis à l’écart. Le savoir à enseigner demeure « étranger au
champ de la conscience de l’enseignant comme tel », et le savoir enseigné vit donc
refermé sur lui-même, dans une douce autarcie. Il y a alors « créativité didactique ». Pour
Chevallard (1985), ces « créations didactiques » (par exemple le grand cosinus, le grand
sinus ou encore les nombres complexes) sont suscitées par les besoins de
l’enseignement plus souvent qu’on pourrait le croire. Plusieurs auteurs évoquent ces
créations en didactique des disciplines. Darot, Ginsburger-Vogel & Toussaint (1997)
confirment cette création originale de nouveaux objets de savoirs dans le domaine de la
physique, en citant quelques exemples (la notion de circuit électrique, la mécanique sur le
coussin d’air, les chaînes énergétiques). Simmoneaux (2001) remarque que la formation
agricole suppose aussi la création didactique d’objets d’enseignement. Enfin, l’historien
Chervel (1988) pense que la grammaire scolaire du XIXème siècle participe de la
créativité de l’école, qui cherche à répondre en urgence à une demande sociale
d’apprentissage de masse de l’orthographe liée à une démocratisation de l’école.
Chevallard emploie d’autre part le terme de « contre-transposition didactique » pour
désigner la création d’un savoir pseudo-savant, réellement reconnu comme
mathématique, à partir duquel il y a ensuite à nouveau transposition didactique. « Dans le
cas où aucun savoir savant adéquat n’existe, l’intention d’enseigner a souvent abouti, ou a
accompagné la tentative de créer un savoir savant ou, plutôt, un savoir pseudo-savant,
duquel il était possible de montrer que le savoir qu’on avait l’intention d’enseigner
découlait (le calcul du comptable et son corps de connaissances associées, la
comptabilité, en sont un parfait exemple » (1989). Arsac (1992) donne l’exemple de « la
géométrie descriptive (crée par Monge) donnant sa légitimité à l’enseignement du dessin
technique ». L’idée de contre-transposition didactique ne convient pas à l’EPS, puisqu’il y
a finalement transposition didactique à partir d’un savoir crée.
En ce qui concerne plus précisément l’EPS, les « créations didactiques» sont également
évoquées. Tout d’abord, l’historien Arnaud (1989) écrit que « la culture scolaire résulte
d’un processus de création didactique perpétuel ». « Les pratiques de terrain sont
marquées du sceau de l’orthodoxie scolaire ». En didactique de l’EPS, Amade-Escot
(1991) donne l’exemple du volley-ball. Cette activité inventée par le pasteur Morgan en
réaction à la violence du football américain « devait pouvoir être pratiquée par des jeunes
gens et des jeunes filles dans les collèges américains ». De même, Terrisse (1998)
avance que le basket-ball et le volley-ball sont construits de toute pièce par l’école à la fin
du XIXème siècle pour répondre aux valeurs de solidarité et d’entraide. Dufor (1998)
ajoute que la « contrainte du temps et des lieux de pratiques à l’école pèse sur
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l’enseignement des APS et oblige les enseignantes à transformer les activités scolaires en
créations didactiques d’objets ». Mais pouvons nous affirmer que certaines pratiques sont
entièrement et exclusivement crées par l’école ?
Nous pensons comme Martinand qu’il n’y a pas vraiment une création totalement scolaire.
L’école ne peut être complètement isolée de la société, les enseignants entretiennent
forcément des relations avec l’environnement extérieur. C’est pourquoi l’auteur ne retient
pas le terme de création, mais plutôt celui d’« autoréférence ». Il souligne la tendance
permanente des disciplines scolaires à « s’enfermer progressivement dans
l’autoréférence, dans une boucle contenus - pratiques d’enseignement - évaluation des
apprentissages - contenus. » (1993). Il y a plutôt « une part de créativité, une part
d’initiative » (Chatel, 1995) des enseignants, mais pas une créativité totale. Perrenoud
(1984) confirme cette existence d’une « culture partiellement réinventée par le maître » :
« la culture scolaire effectivement enseignée…est en partie crée et recrée au jour le jour ».

6. La question de la référence : une question de construction, de composition sous


influences plutôt que de transposition,
Nous avons montré que les didacticiens de l’EPS se focalisent sur le processus de la
transposition didactique, à partir de savoirs de référence et/ou de pratiques sociales de
référence. Pourtant, la question de la référence développée par Martinand ne se limite à la
question de la transposition didactique. Elle est plus complexe et plus ouverte, car centrée
sur la construction des activités scolaires : dans la construction d’activités en classe, avec
quoi pense-t-on ? avec quoi travaille-t-on ? Il n’y a pas toujours un « déjà-là » identifié ; la
transposition re représente donc qu’un cas particulier parmi une multitude de processus
possibles. « Il importe de garder l’idée de transposition mais en lui conférant un sens fort
portant sur la construction, l’invention même d’activités scolaires en relation à des
pratiques de référence. Il s’agit en effet d’ouvrir des possibles et non seulement de mieux
habiller ou de critiquer un mauvais habillage » (1989).
Pour Martinand (2001), il y a en réalité ni transposition didactique, ni création didactique,
mais plutôt une « composition sous influences (sociales, idéologiques, politiques,
pédagogiques) »... « Ni transposition didactique de savoirs savants, ni invention scolaire
d’une vulgate et de ses exercices, cette reconception est envisagée ici comme
composition sous influences ». Nous pensons qu’il n’y a pas de transposition didactique
descendante en EPS. L’enseignant ne fait pas que transposer une pratique sociale de
référence, mais prend en compte diverses « influences ascendantes » (Joshua, 1996).
D’autre part, il n’y a pas non plus de véritables créations didactiques, dans la mesure où
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certaines pratiques inventées par les enseignants entretiennent quand même des relations
avec les pratiques sociales. La notion de « composition sous influences » semble alors
caractériser le travail de l’enseignant, ce « bricolage qui prend en compte un ensemble de
paramètres hétérogènes » (Develay, 1992). Mais quelles sont ces influences ? Comment
les catégoriser ? Ce travail de recherche est encore peu exploré et reste ouvert. Quelques
auteurs apportent des pistes en évoquant des influences, sans privilégier ce qui
constituerait la source de la transposition didactique. Vergnaud (1983) souligne l’existence
de nombreuses contraintes dans la définition des contenus d’enseignement, comme par
exemple l’état des connaissances scientifiques et sociales au moment considéré, les
pratiques sociales des élèves et leur rapport au savoir, les buts généraux de l’institution
éducative et les finalités professionnelles, les partenaires extérieurs et intérieurs au
système, le développement cognitif et le désir des sujets en formation, leurs
connaissances antérieures et leurs représentations spontanées. La prise en compte des
élève est ici mise en évidence. En EPS, Amade-Escot & Marsenach (2000) définissent
trois sources de données à articuler : les finalités de l’institution, les besoins des élèves
objectivement évalués et les connaissances relatives à l’APS qui constitue le support de
l’apprentissage. Elles ne déterminent pas une unique source de transposition didactique.
Nous pensons que ces trois sources de données peuvent être élargies. Par exemple, les
enseignants ne se limitent pas aux finalités de l’institution (donc à une partie du curriculum
formel), mais ils peuvent s’inspirer des différents curriculums (formel, potentiel ou réel).
D’autre part, des acteurs autre que les élèves peuvent influencer les enseignants, comme
des collègues, des formateurs, des inspecteurs, des parents d’élèves, etc…Enfin, nous
avons montré que la question de la référence se pose par rapport à toutes les
composantes de la pratique, et pas seulement par rapport aux connaissances relatives à
l’APS.
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Références.

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