La Recherche en Psychologie Clinique
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Lydia FERNANDEZ,
Maître de Conférences en Psychopathologie et de Psychologie Clinique, Habilitée à diriger
des recherches. Université de Provence, Aix-Marseille I, UFR de Psychologie/Laboratoire PsyClé
Jean Louis PEDINIELLI,
Professeur de Psychopathologie et de Psychologie Clinique. Université de Provence,
Aix-Marseille I, UFR de Psychologie/ Laboratoire PsyClé
RÉSUMÉ
La psychologie clinique désigne à la fois un domaine (celui de la psychopathologie) et une métho-
de (clinique) qui s’insère dans une activité pratique visant la reconnaissance et la nomination de
certains états, aptitudes, comportements dans le but de proposer une thérapeutique, une mesu-
re d’ordre social ou éducatif ou une forme de conseil permettant une aide, une modification
positive de l’individu. Les domaines d’intervention se composent de multiples champs qui ne se
limitent ni aux sujets atteints de troubles mentaux ni à la stricte référence à la dimension indi-
viduelle. L’évolution de la discipline a entraîné l’apparition de nouvelles pratiques, de nouveaux
lieux, de nouveaux objets : aide aux mourants, handicap, marginalité, souffrance sociale…, insti-
tutions non psychiatriques (crèche, hôpital général, prison…), moments du développement nor-
mal (nourrisson, adolescent, sujet âgé…). Quatre types de recherche existent : la recherche en
clinique ; la recherche clinique ; la recherche-action et la recherche évaluative. Les méthodes et
les techniques sont : l’observation clinique, l’entretien clinique, les tests et les échelles et les
questionnaires.
Lagache (1949), l’un des « inventeurs » français de la Cette particularité sémantique (« clinique » comme
Psychologie Clinique estimait qu’elle visait à envisager la domaine et/ou comme méthode) explique que la recherche
conduite dans sa perspective propre, à relever aussi fidèle- en Psychologie Clinique correspond à plusieurs types d’ac-
ment que possible les manières d’être et de réagir d’un être tivités dont certaines peuvent paraître opposées, selon
humain concret et complet aux prises avec une situation. qu’elles tentent de satisfaire aux exigences de la méthode
Il revendiquait ainsi le domaine de l’humain (« homme en clinique ou de l’objectivation nécessaire à toute recherche.
situation ») comme celui de cette discipline et l’étude des Mieux, ces différences tiennent aussi aux moments de la
cas singuliers comme sa principale méthode. Les principes recherche (temps exploratoire, temps de la validation d’hy-
de la méthode clinique sont donc la singularité, la fidélité à pothèses, temps de production d’une théorie…). Mais l’ori-
l’observation, la recherche des significations et de l’origine gine de la discipline est aussi déterminante dans les spéci-
(des actes, des conflits) ainsi que des modes de résolution ficités de la Psychologie Clinique qui, tout en partageant
des conflits. La référence à l’individualité et à la pluralité des certains de ses principes, se distingue de la clinique médi-
fonctions était évoquée par Lagache qui, au-delà d’une cale (primat du voir et des signes, distance avec l’expérience
méthode, évoquait une position épistémologique et une subjective du malade cf. Foucault, Canguilhem, Leriche). En
conception anthropologique du sujet psychologique. se référant à Janet et à Freud, à la fois elle se fixe un objec-
La pertinence pratique de cette conception en fait un tif scientifique et établit une nette dépendance de la patho-
modèle indépassable vers lequel devrait tendre tout travail logie et de la subjectivité. Pratique de terrain, elle est déter-
clinique, mais il serait problématique d’y voir une condition minée par le type de problèmes qui lui étaient posés et par
obligatoire de toute approche pour qu’elle soit considérée le souci de produire une théorie pertinente qui ne soit pas
comme clinique. L’état actuel des travaux psychologiques une « praxéologie » (théorie de la pratique).
montre que s’il est essentiel de ne pas se fixer sur certains En tant que praticiens, les psychologues cliniciens se sont
symptômes en ignorant tout de leur contexte et de la vus confier, par la psychiatrie ou les services sociaux, tant
manière dont le sujet les perçoit, il est néanmoins possible les examens psychologiques que l’approche concrète des
de recueillir certaines informations sans s’engager dans une patients: on demandait en fait aux psychologues cliniciens
étude de cas exhaustive. Si le résultat d’un patient à un test d’affiner les diagnostics psychiatriques par une perception
fine des phénomènes psychologiques, de comprendre la Le premier niveau de la méthode clinique (recueil des infor-
subjectivité des malades (leur monde intérieur, les déter- mations) suppose la présence du sujet, son contact avec
minismes psychologiques de leurs comportements et de le psychologue, mais aussi la liberté d’organiser le matériel
leurs pensées), de prêter une attention à leur histoire sin- proposé comme il le souhaite, du moins pour certaines
gulière, d’aider à la prise en charge. Pour caricaturer, si le techniques (tests projectifs, jeux, dessins…). Ces tech-
psychiatre pouvait dire que tel malade était atteint de schi- niques sont : l’entretien, les tests, les échelles d’évaluation,
zophrénie, le psychologue tentait de savoir comment il le dessin, le jeu, l’analyse de textes écrits, l’observation, les
était schizophrène, chaque malade possédant sa spécifi- informations pouvant faire l’objet de différentes analyses.
cité. Cette position a permis à la Psychologie Clinique des Lorsque ces méthodes s’appuient sur un matériel stan-
allers et retours permanents entre la théorie et la pra- dardisé, lorsqu’elles visent une objectivation (tests, échelles,
tique: convoquée au nom d’une théorie psychologique observations standardisées…), on parle de « clinique
dont la psychiatrie et le travail social avaient besoin, la armée ». Par opposition la clinique « naturaliste » est par-
Psychologie Clinique a produit un savoir empirique, fois appelée « clinique à mains nues ». Le second niveau de
concret (une « clinique » qui a modifié les théories dont la méthode clinique peut être défini à partir de trois pos-
elle se servait). Dans cette démarche, elle s’est ouverte à tulats: la dynamique, la genèse et la totalité. Tout être
différents systèmes de pensée: la phénoménologie, l’exis- humain est en conflit, tant avec le monde extérieur qu’avec
tentialisme, le systémique, la non directivité, l’humanisme, les autres et avec lui-même, il doit donc chercher à
la psychanalyse, puis le comportementalisme et le cogni- résoudre ces conflits et se situe toujours en position d’équi-
tivisme. Ces doctrines n’ont toutefois pas été fondues libre fragile. Tout être humain est une totalité inachevée
dans une théorie unique mais ont représenté des cou- qui évolue en permanence et ses comportements s’expli-
rants de la Psychologie Clinique, courants parfois en conflit quent par son histoire. La méthode clinique qui trouve son
ouvert. Il est vrai que les principes de base de la psycha- origine dans la démarche médicale s’est ainsi édifiée de
nalyse, par exemple, ne sont pas compatibles avec ceux de manière autonome en tentant de sauvegarder à la fois la
la phénoménologie ou du cognitivisme. rigueur de l’approche et la restitution de l’individualité.
D’autre part, elle est avant tout celle qui permet au psy-
chologue de parvenir à une évaluation du problème pré-
senté par le sujet et de conduire une intervention efficace.
LA MÉTHODE CLINIQUE EN Mais le corpus de connaissances nommé « Psychologie
PSYCHOLOGIE Clinique » suppose la production d’un savoir, des activités
de recherche qui permettent d’assurer au domaine clinique
un corpus de connaissances, un « logos » autre qu’un
La méthode clinique est avant tout destinée à répondre ensemble d’informations empiriques tirées de l’expérience
à des situations concrètes de sujets souffrants et elle des praticiens. Peut donc être considérée comme clinique,
doit se centrer sur le cas, c’est-à-dire l’individualité, mais la méthode qui vise à recueillir des informations fiables dans
sans pour autant s’y résumer. La « méthode clinique » le domaine clinique (étude, évaluation, diagnostic, traite-
s’insère dans une activité pratique visant la reconnais- ment de la souffrance psychique ou des difficultés d’adap-
sance et la nomination de certains états, aptitudes, com- tation) et qui réfère en dernière instance ces informations
portements dans le but de proposer une thérapeutique à la dimension individuelle. La méthode clinique se compose
(psychothérapie par exemple), une mesure d’ordre d’une série de techniques qui peuvent être utilisées tant
social ou éducatif ou une forme de conseil permettant dans la pratique que dans la production des connaissances,
une aide, une modification positive de l’individu. La spé- certaines visant le recueil du matériel (entretien par
cificité de cette méthode réside dans le fait qu’elle refuse exemple) alors que d’autres sont des outils de traitement
d’isoler ces informations et qu’elle tente de les regrou- de l’information recueillie (analyse de contenu par exemple).
per en les replaçant dans la dynamique individuelle. L’ensemble de ces techniques a pour objet d’enrichir la
La méthode clinique comporte deux niveaux complé- connaissance d’un individu (activité pratique) ou des pro-
mentaires: le premier correspond au recours à des tech- blèmes qui l’assaillent (production des théories).
niques (tests, échelles, entretiens…) de recueil in vivo
des informations (en les isolant le moins possible de la
situation « naturelle » dans laquelle elles sont recueillies
et en respectant le contexte) alors que le second niveau DOMAINES ET OBJETS D’INTER-
se définit par l’étude approfondie et exhaustive du cas. VENTION DE LA PSYCHOLOGIE
La différence entre le premier et le second niveau ne CLINIQUE
tient pas aux outils ou aux démarches mais aux buts et
aux résultats: le premier niveau fournit des informations
sur un problème, le second vise à comprendre un sujet, Les domaines d’intervention de la Psychologie Clinique,
ce que n’impliquent pas toutes les situations cliniques, - en tant que pratique ou en tant que théorie - se com-
notamment celles qui concernent la recherche sur des posent de multiples champs qui ne se limitent ni aux sujets
faits psychopathologiques ou d’adaptation. atteints de troubles mentaux ni à la stricte référence à la
L’évolution de la discipline a entraîné l’apparition de nou- L’institution judiciaire et celles qui collaborent avec elle
velles pratiques, de nouveaux lieux, de nouveaux objets: (Aide Éducative en Milieu Ouvert notamment) consti-
aide aux mourants, handicap, marginalité, souffrance tuent un autre domaine: victimes, prévenus, détenus,
sociale…, institutions non psychiatriques (crèche, hôpital condamnés, enfants maltraités, mineurs en difficulté…
général, prison…), moments du développement normal Les recherches portent tant sur les modalités et critères
(nourrisson, adolescent, sujet âgé…). Dans le domaine des expertises et évaluations que sur les effets des prises
en charge. La psychologie Clinique s’est aussi intéres- la recherche clinique – RC- (non objectivante) ; la
sée au domaine large de l’éducation (enseignement ini- recherche-action (R-A) en psychologie clinique ; la
tial, enseignement spécialisé, formation…). Elle étudie recherche évaluative (RE).
plus particulièrement la transmission des connaissances,
les attentes des sujets demandeurs d’une formation. La recherche clinique ou recherche
Enfin, les transplantations culturelles et les phénomènes non objectivante (RC)
d’acculturation, suscitent de nouvelles questions: inté-
gration dans la nouvelle culture, conflits entre les géné- La RC tente de répéter la démarche clinique où des
rations, mais aussi difficultés à traiter les pathologies. approches descriptives et interprétatives peu contrô-
Sous le terme d’« ethnopsychiatrie » se développent des lées semblent fournir des résultats plus intéressants
pratiques et des recherches issues de la Psychologie pour les cliniciens. Elle repose sur l’idée que la situa-
Clinique et permettant de comprendre l’inefficacité de tion clinique est la source d’inspiration et le lieu d’éla-
certaines de nos pratiques soignantes et d’en proposer boration de la recherche. Elle porte une attention par-
de plus adaptées. Les personnes transplantées provien- ticulière à l’engagement de l’observateur et procède
nent de cultures dans lesquelles existe un savoir empi- à une description minutieuse de la spécificité de la
rique sur la folie, des pratiques soignantes; la Psychologie situation en se fondant, sur le plan méthodologique,
Clinique s’intéresse à la mise en place de techniques per- sur des études de cas comme source de connaissance
mettant de les restituer en tant que sujet dans un cadre du fonctionnement psychique qui vise à construire en
thérapeutique cohérent avec leur expérience culturelle. une structure intelligible des faits psychologiques dont
Si l’on se reporte aux travaux publiés récemment sous un individu est la source (Perron, 1979, Schmid-
le terme de « Psychologie Clinique », on perçoit claire- Kitsikis, 1999).
ment cette évolution de la pathologie mentale vers les
situations plus générales de souffrance: les abus sexuels Ce type de recherche permet une étude approfondie
chez l’enfant, l’expertise, la résilience, la vieillesse, les d’un sujet fondée sur une pratique de la communica-
répercussions psychologiques des traitements antiré- tion langagière, satisfait aux critères de reproductibilité
troviraux, la précarisation du travail, la violence sociale, et favorise de nouvelles conceptions théoriques. La
l’impact de la précarité sur la vulnérabilité, l’impossible recherche correspond à une succession d’élaborations
séparation des adolescents, le féminin/masculin, la cli- conceptuelles, de moments de relation avec les sujets
nique de l’examen en neuropsychologie, la bientraitance. (Giami, 1989) et de retours vers le matériel clinique,
l’objectif étant de comprendre certains processus et de
formuler des significations. Elle permet d’aborder des
phénomènes complexes en évitant leur réduction inhé-
LES TYPES DE RECHERCHE EN rente à la connaissance de type scientifique. Il n’y a pas
PSYCHOLOGIE CLINIQUE une hypothèse formulée au départ mais un corps d’hy-
pothèses avec des questions issues de la pratique qui se
posent au chercheur et que la recherche va contrôler
Il existe quatre types de recherche en psychologie cli- à partir du matériel recueilli traité selon les principes
nique: la recherche en clinique – ReC- (objectivante) ; de l’analyse clinique.
Les principaux intérêts et les principales limites de la RC sont (Reuchlin, 1992 ; Pedinielli, 1994) (Tableau 1) :
Les principaux intérêts et les principales limites de la ReC (Reuchlin, 1992 ; Pedinielli, 1994, Bourguignon, 1995) sont (Tableau 2) :
menées à coup d’interprétation ou de calculs), opé- la recherche-action existentielle (R-A.E) qui est une
rationnelle (car elle définit un espace référentiel d’ac- recherche effectuée par les praticiens à partir de leur
tions dont l’efficacité reste problématique), hypo- propre pratique sur les lieux de leur activité. La R-A
thétique et aléatoire (car la décision qui engage devient la science de la praxis exercée par des prati-
l’action s’impose sans que tout risque d’erreur ou ciens au sein de leur lieu d’investissement.
d’échec soit éliminé). La R-A naît de la rencontre
d’une expérience théorique qui est celle de la théo- La recherche évaluative (RE)
rie de la pratique (réflexion des acteurs sociaux sur
les actions qui sont des recherches, des question- La RE est « l’utilisation systématique des procédures
nements, des reformulations avec des temps d’éva- de la recherche sociale (par exemple, la production
luation, de critique, de bilan, d’analyse) et d’une de connaissances scientifiques, la vérification d’hypo-
expérience pratique (réflexion des acteurs sociaux thèses de recherche, l’usage de méthodes scientifiques
sur leurs actions prochaines). La R-A est une action pures) dans le but d’évaluer la conceptualisation, le
de recherche et une recherche d’action. En régulant protocole, l’implantation et l’utilité des programmes
les rapports de la théorie et de la pratique, elle sociaux [et/ou de santé] d’intervention » (Rossi et
déroule une démarche propre aux sciences humaines Freeman, 1993). La RE ne vise pas seulement à por-
et transposable sur le champ du travail clinique, poli- ter un jugement sur différentes composantes d’un
tique, économique, esthétique. La R-A implique une programme d’intervention à partir de critères objec-
organisation (espace clairement délimité, calendrier tifs et de méthodes de recherche reconnues dans le
précis, équipements spécifiques). Elle a pour sujet et champ sanitaire et social mais consiste à porter un
pour objet des usagers de terrain et des chercheurs jugement dans le but d’améliorer le programme, d’ap-
professionnels ou experts. Elle déroule le profil d’une porter des changements nécessaires, de mieux des-
méthode globale qui correspond à la formalisation de servir les clientèles ciblées par les programmes et de
tout travail de formation et est aussi le discours de guider la prise de décision à l’égard d’une programme
la méthode : la matrice à laquelle se rattachent les pour l’amélioration de l’intervention (Rossi et
diverses méthodes qui ont cours en sciences Freeman, 1993; Tard et al., 1997).
humaines (Resweber, 1995).
Tableau 3 : Caractéristiques différentielles de l'observation clinique structurée et relationnelle selon Kohn & Nègre (1991)
Barbier, R. (1996). La Recherche Action. Paris: Canguilhem G. (1956) Qu’est-ce que la psycho-
Éditions ECONOMICA. Collection Anthropos. logie? Cahiers pour l’analyse: 1/2, 79-93.
Barthélémy, C., Lelord, G. (1991). Les échelles Canguilhem, G. (1972). Le normal et le patho-
d’évaluation clinique en psychiatrie de l’enfant. logique. Paris: P.U.F.
Paris: Elsevier.
Chahraoui, K., Bénony, H. (2003). Méthodes,
Benony, H. Charahoui, K. (1999). L’entretien cli- évaluation et recherches en psychologie cli-
nique. Paris, Dunod. Les topos. nique. Paris: Dunod.
Blanchet, A. (1991). Dire et faire dire: l’entre- Chiland, C. (1989). L’entretien clinique. Paris,
tien. Paris, A. Colin. PUF.
Pedinielli, J. L. (1994). Introduction à la psy- Tard, C., Ouellet, H., Beaudouin, A. (1997).
chologie clinique. Paris : Nathan université. L’évaluation de l’action des organismes dans le
Collection 128. cadre du programme d’action communautaire
pour les enfants (PACE) : Manuel d’introduc-
Pedinielli, J. L. (1995). Recherche clinique et tion. Sainte-Foy ; Université Laval, Centre de
méthodes quantitatives. In. O. Bourguignon et recherche sur les services communautaires.