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Trois Minutes À Méditer

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DU

MÊME AUTEUR
AUX ÉDITIONS DE L’ICONOCLASTE
– Méditer, jour après jour. 25 leçons pour vivre en pleine conscience, 2011 (avec un CD audio).
– Se changer, changer le monde, 2013 (avec Jon Kabat-Zinn, Pierre Rabhi
et Matthieu Ricard).
– De l’art du bonheur. 25 leçons pour apprendre à vivre heureux, 2010
(nouvelle édition avec un CD audio, 2014).
– Je médite, jour après jour, 2015.
– Trois amis en quête de sagesse, 2016 (avec Alexandre Jollien et Matthieu Ricard).

AUX ÉDITIONS ODILE JACOB


– Comment gérer les personnalités difficiles, 1996 (avec François Lelord), (poche, 2000).
– L’Estime de soi. S’aimer mieux pour vivre avec les autres, 1999 (avec François Lelord), (poche, 2008), (nouvelle édition, 2011).
– La Peur des autres. Trac, timidité et phobie sociale, 2000 (avec Patrick Légeron),
(poche, 2003).
– La Force des émotions. Amour, colère, joie, 2001 (avec François Lelord), (poche, 2003).
– Vivre heureux. Psychologie du bonheur, 2003 (poche, 2004).
– Psychologie de la peur. Craintes, angoisses et phobie, 2004 (poche, 2005).
– Imparfaits, libres et heureux. Pratiques de l’estime de soi, 2006 (poche, 2009).
– Les États d’âme. Un apprentissage de la sérénité, 2009 (poche, 2011).
– Sérénité. 25 histoires d’équilibre intérieur, 2012.
– Trilogie d’ouvrages collectifs sous la direction de Christophe André :
• Conseils de psys, 2008 (poche, 2013).
• Secrets de psys, 2011 (poche, 2013).
• Les psys se confient, 2015.
– Et n’oublie pas d’être heureux. Abécédaire de psychologie positive, 2014 (poche, 2016).

CHEZ D’AUTRES ÉDITEURS


– Trilogie avec le dessinateur Muzo, aux éditions du Seuil (« Points ») :
• Je dépasse mes peurs et mes angoisses, 2009.
• Je guéris mes complexes et mes déprimes, 2010.
• Je résiste aux personnalités toxiques et autres casse-pieds, 2011.
– Qui nous fera voir le bonheur ?, Le Passeur, 2014 (avec Martin Steffens), (poche, 2016).
– Méditations sur la vie, Gründ, 2016 (avec Anne Ducrocq et Olivier Martel).
Ouvrage publié sous la direction de Catherine Meyer.


Cet ouvrage est une coédition L’Iconoclaste/France Culture © L’Iconoclaste et France Culture, Paris, 2017
Tous droits réservés pour tous pays.

www.franceculture.fr

L’Iconoclaste

27, rue Jacob, 75006 Paris


Tél : 01 42 17 47 80
iconoclaste@editions-iconoclaste.fr

3 minutes à méditer se prolonge sur le site
www.editions-iconoclaste.fr
En hommage à mon ami Lucio Bizzini,
footballeur et psychologue de haut niveau,
qui a tant fait, dans l’ombre et la discrétion,
pour la diffusion de la pleine conscience
en francophonie et dans mon esprit :
affection, admiration et gratitude.
INTRODUCTION
SOYEZ
PRÉSENTS
À VOTRE VIE

Qu’est-ce que la méditation ?

L
a méditation est une pratique très ancienne. Voilà plus de deux mille
cinq cents ans que l’on médite, en Orient comme en Occident.
Aujourd’hui, elle connaît un engouement qui tient à plusieurs
facteurs : nous disposons de méthodes de méditation laïques (pas
besoin d’embrasser telle ou telle religion pour la pratiquer), faciles
d’accès (on peut s’y initier en huit semaines environ, sans qu’il s’agisse d’une
approche au rabais) et dont les bénéfices ont été confirmés par de nombreuses
études scientifiques.
À ces trois caractéristiques – laïcité, facilité et validation scientifique – s’ajoute
le fait que la méditation nous aide à résister aux grandes pollutions psychiques de
notre époque : matérialisme, consumérisme, dispersion digitale. En nous
permettant de nous recentrer sur l’essentiel, la méditation mérite bien son
appellation d’entraînement de l’esprit.

Comment je suis venu à la méditation


Je suis médecin psychiatre, spécialiste des troubles émotionnels, c’est-à-dire des
maladies liées au stress, à l’anxiété, à la dépression. Je me suis d’abord orienté vers
leur traitement, par les médicaments, et, surtout, par les thérapies cognitives et
comportementales (TCC), qui consistent à associer des mises en situation
concrètes aux discussions avec le thérapeute. Puis je me suis peu à peu intéressé à
la prévention de leurs rechutes, car dans ces troubles émotionnels, les récurrences
sont, hélas, très fréquentes : les patients doivent apprendre à réguler leurs
émotions durant toute leur existence, c’est-à-dire à introduire dans leur quotidien
des modifications durables de mode de vie, de nouvelles habitudes, de nouvelles
façons de vivre. Cela concerne l’alimentation, l’exercice physique, mais aussi leur
style psychologique : leur façon de voir le monde, de traverser leurs émotions, de
rencontrer les moments de bonheur et les moments d’adversité. C’est dans ce
cadre que j’ai commencé à utiliser la méditation de pleine conscience avec mes
patients.
Une précision importante : la pleine conscience est la méthode de méditation
que nous utilisons aujourd’hui dans le monde des soins. Elle est d’origine
bouddhiste mais a été modifiée et laïcisée pour être utilisée dans des contextes de
soins (je n’ai rien contre le bouddhisme, au contraire, mais nous n’utilisons tout
simplement pas d’approche religieuse pour soigner). J’ai commencé à m’intéresser
à la méditation à la fin des années 1990, en découvrant les premières publications
scientifiques sur la question. Le hasard, dont chacun sait qu’il fait bien les choses,
me permet alors de rencontrer Matthieu Ricard, qui répond à mes questions sur
la méditation bouddhiste, m’aide à la découvrir, et m’informe qu’il est en contact
avec certains des pionniers de l’époque, qui travaillent à étudier scientifiquement
la méditation. Je me forme donc avec eux, notamment Jon Kabat-Zinn et Zindel
Segal. Puis je commence, dès 2004, à proposer cette méthode à nos premiers
groupes de patients dans le service universitaire où j’exerce, à l’hôpital Sainte-
Anne, à Paris. Les résultats sont enthousiasmants, pour nous comme pour eux.
Nous avons aussi l’impression excitante de découvrir quelque chose de vraiment
novateur, très thérapeutique mais allant au-delà, pouvant modifier le regard sur
la vie des soignants comme des patients.
La méditation suscitait alors encore un peu de méfiance de la part de certains
patients, mais aussi de certains médecins. Ils avaient parfois peur que nous
fassions partie d’une secte ou que nous soyons en train de proposer une fantaisie
thérapeutique new age. J’ai toujours trouvé cela normal : pas question de soigner
avec des approches folkloriques ; les patients nous font confiance, nous ne
pouvons pas les trahir par manque de rigueur. Au début nous parlions donc, pour
ne pas inquiéter, d’« entraînement attentionnel ». Ce qui n’était d’ailleurs pas si
faux : la méditation aide notre attention à rester dans le réel, lui évite de se perdre
dans des ruminations virtuelles infinies, épuisantes et douloureuses…
Aujourd’hui, nous avons soigné de nombreux patients, formé de nombreux
soignants, et la méditation de pleine conscience a pris son essor dans notre pays
comme dans le monde entier. De plus en plus de recherches sont conduites et
publiées, de plus en plus de médecins et de thérapeutes l’utilisent ou la
prescrivent. Des diplômes universitaires ont été créés en France, pour les
professionnels du soin, par exemple le diplôme « Méditation et neurosciences » à
Strasbourg, ou « Méditation et relation de soins » à Paris, et bien d’autres
initiatives encore.
Désormais, la méditation de pleine conscience est considérée comme outil de
soin et de prévention pertinent et légitime, en médecine et en psychiatrie. Et ses
bénéfices commencent à être évalués à l’école et dans l’entreprise.

Ce que la méditation m’a apporté


À titre personnel, la méditation a joué un rôle très important dans ma vie. Si je
vous en parle, c’est parce que mon histoire, me semble-t-il, est proche de celle de
beaucoup d’autres personnes.
J’avais peut-être quelques facilités : j’étais un enfant contemplatif, avec le goût
du silence et de la solitude. Mais en grandissant, j’ai oublié cette dimension, pris
par les rythmes et habitudes de la vie adulte : agir et réagir, s’agiter et
entreprendre. Puis j’ai traversé un drame personnel. Car l’on vient rarement à la
méditation par hasard ou par simple curiosité. Il y a toujours en amont des
souffrances à alléger, des problèmes à résoudre. Je me souviens d’une collègue
qui, lors d’un séminaire, demandait : « Y a-t-il quelqu’un, ici, qui n’a aucun
problème, aucune souffrance ? » Personne ne lève le doigt, bien sûr. Puis elle
relance le public : « Et parmi celles et ceux qui ont des problèmes, qui préfère les
garder tels quels plutôt que les alléger ou les résoudre ? » Pas davantage de doigts
levés. Chaque humain connaît la souffrance, et chaque humain souhaite en être
soulagé.
Un drame personnel, donc : la mort de mon meilleur ami dans mes bras, après
un accident de moto. Choqué, j’ai pris refuge dans un monastère près de
Toulouse, dont m’avaient parlé plusieurs de mes patients, qui allaient s’y retirer
pour s’apaiser. J’y ai découvert la vie contemplative, le recueillement, le silence,
l’oraison. Je me souviens que ce n’était pas évident au début ; j’avais perdu
l’habitude de ne rien faire et de ne pas fuir mes épreuves dans l’action ou la
distraction. J’étais dans une situation personnelle douloureuse, j’arrivais avec des
tas de souffrances. Les premiers jours, je me confrontais à des montées d’angoisse
et de détresse, des doutes sur ce que ma présence ici pouvait m’apporter.
Exactement ce que vivent beaucoup de nos patients, lors des premières sessions
de méditation… Puis en persévérant, cela s’est doucement décanté. J’ai fait
l’expérience d’une transformation intérieure, alors qu’à l’extérieur, le monde
n’avait pas changé : c’est moi, mon regard, qui s’étaient modifiés. Je suis sorti du
monastère avec le pressentiment que j’avais vécu quelque chose d’important qui
allait m’être précieux, et vital. J’ai effectué ensuite différentes retraites et
formations à la méditation. J’ai toujours aimé cela au plus haut point, et j’y suis
toujours allé avec le même élan que si je partais en vacances. Les souvenirs de ces
séminaires sont un mélange de quelques moments difficiles (ennui, lassitude) et
de nombreux moments bouleversants (plénitude, harmonie).
Avec le recul, il me semble aujourd’hui que la méditation est sans doute l’outil
psychologique qui m’a apporté le plus sur un plan personnel. Elle m’offre par
exemple une très grande aide dans les moments de détresse émotionnelle : ils
sont désormais moins intenses, moins durables. De sorte que je sais mieux
affronter les mauvais passages et l’adversité. Elle m’a aussi apporté une aptitude à
mieux savourer les bons moments, à comprendre qu’il ne suffit pas que les
sources de bonheur possible soient là, mais qu’il faut leur ouvrir son esprit, leur
accorder de l’attention, leur ouvrir son cœur. Qu’il ne faut pas se contenter de
regarder le ciel ou une fleur en passant, mais s’arrêter, ne serait-ce que quelques
secondes, respirer, savourer l’instant que nous vivons… Ce mélange des deux
dons de la méditation – aptitude à mieux traverser l’adversité et présence accrue
aux instants de bonheur – m’a aidé à cheminer vers ce que je nomme un bonheur
lucide, un bonheur qui arrive à émerger, à se manifester, même en présence de
l’adversité.

Comment je médite ?
Concrètement ? Je fais comme tout le monde ! Pratiquer régulièrement n’est
pas si facile et me demande des efforts ! Mais je continue, car ces efforts me sont
payés au centuple.
Le matin, je commence par 5 à 10 minutes d’étirements en pleine conscience.
Puis je pratique une méditation assise de 10 à 30 minutes selon les jours ;
10 minutes pour les jours où j’ai peu de temps (parfois même 5 minutes :
l’important est de s’asseoir et de prendre conscience de son état intérieur) et 20
ou 30 minutes quand je suis en week-end ou en vacances. J’utilise un minuteur
pour ne pas avoir à penser au temps écoulé et être pleinement dans l’exercice.
Souvent, dans la journée, je fais de petites parenthèses de pleine conscience :
dans les moments d’attente et dans les moments d’émotion, agréables (pour
mieux savourer) ou désagréables (pour mieux affronter).
Enfin, le soir, je m’efforce de prendre un temps de pleine conscience avant de
m’endormir, pour apaiser mon corps et mon esprit.

Ce que montrent les études


sur la méditation
Les bénéfices de la méditation sur la santé sont nombreux. Elle a un impact
biologique favorable, améliore l’immunité, diminue les niveaux d’inflammation,
semble freiner le vieillissement cellulaire, modifier l’expression des gènes liés au
stress… C’est important, car parmi les facteurs qui influencent notre santé,
certains ne dépendent pas de nous (la génétique, la pureté ou la pollution de l’air,
de l’eau ou des aliments). Et d’autres dépendent de nous : l’exercice physique,
l’alimentation et la méditation !
L’autre bénéfice immédiat de cette pratique porte sur la stabilité
attentionnelle : l’attention est une faculté indispensable pour assurer un
minimum de continuité dans nos actions et nos pensées, pour approfondir notre
réflexion (ce que l’on nomme concentration). Or nos capacités de concentration
sont menacées par notre environnement moderne, qui nous agresse en
permanence : interruptions, sollicitations, incitations liées aux écrans, aux
publicités, à la société de consommation… Et, par manque d’autocontrôle, nous
cédons nous-mêmes bien souvent à ces incitations, impulsions et autres
tentations. Ce ne serait pas un problème si nous vivions dans un environnement
naturel, où elles sont rares. Mais nos environnements contemporains sont
artificiels, et trafiqués par les grandes firmes, qui font du profit en faisant naître
en nous d’innombrables impulsions, que nous prenons pour de vrais besoins. Et
qui ne reflètent en vérité que le besoin des actionnaires des dites firmes de
s’enrichir encore et encore.
La méditation est aussi un moyen d’approfondir notre connaissance de soi :
méditer nous aide à mieux observer et comprendre le fonctionnement de notre
esprit ; à mieux voir la vie et la mort de nos pensées et de nos émotions,
l’influence puissante qu’elles exercent sur nous, sur notre comportement, sur nos
impulsions. C’est essentiel, car beaucoup de nos souffrances viennent de nous-
mêmes ! La vie nous fournit l’adversité, mais nous en rajoutons ensuite une dose
par nos ruminations, nos inquiétudes, nos désespoirs… C’est une double peine.
La méditation nous permet de voir comment notre esprit quitte le réel pour
partir dans le virtuel de nos cogitations. Elle nous aide ainsi à revenir aux
problèmes réels et rien qu’à eux, sans en rajouter.
Les bienfaits de la méditation sur l’équilibre émotionnel sont également
avérés : elle amène peu à peu à ressentir moins d’émotions négatives, et plus de
positives. C’est étonnant, car on ne demande pas aux apprentis méditants de
ressentir volontairement moins d’émotions négatives et plus d’émotions positives.
Mais le simple fait de se rendre présents à notre vie, présents au bonheur,
présents au malheur, nous conduit naturellement vers ce rééquilibrage. C’est
important, car notre cerveau tend à privilégier l’action à la contemplation (même
dans les moments agréables, on tend à passer à l’instant suivant au lieu de
savourer l’instant présent). Et de même, notre cerveau tend à privilégier le négatif
(les problèmes à résoudre) plus que le positif (les belles choses à admirer ou à
savourer).
Les bénéfices de la méditation concernent également l’écoute et les relations :
grâce à la pleine conscience, on apprend à écouter vraiment l’autre, sans juger,
sans préparer sa réponse. C’est important, car nos habitudes sociales font que
nous abordons parfois mal les rencontres : en voulant convaincre autrui au lieu de
chercher à apprendre, en étant souvent pressé par le temps, soucieux d’efficacité,
d’aller à l’essentiel. Mais les relations humaines ne peuvent pas toujours
fonctionner sur ce registre. Là comme ailleurs nous avons besoin de lenteur et de
réceptivité.
Et puis, pour clore cette longue liste, il y a bien sûr les bénéfices de la
méditation sur la présence à soi et au monde : la pleine conscience est bien
davantage qu’un simple outil d’amélioration de nos performances cérébrales,
émotionnelles et comportementales (ce qui est déjà très bien). Elle représente
plus globalement, et progressivement, une manière de vivre qui va modifier notre
rapport à nous-mêmes et au monde. Elle est une voie pour cultiver sa spiritualité,
cette part de nous-mêmes qui n’obéit pas forcément aux règles de la logique, de
l’intelligence, qui n’est pas facile à décrire par des mots. La spiritualité, c’est la vie
de notre esprit lorsqu’il s’ouvre à tout ce qui est trop compliqué pour être
appréhendé par notre intelligence, et décrit par des mots : la vie et la mort, l’au-
delà, l’infini, l’univers, la création… La spiritualité peut être laïque, ou bien
s’inscrire dans une pratique religieuse. Le dalaï-lama disait un jour : « Nous
pouvons vivre sans thé, mais pas sans eau ; de même, nous pouvons vivre sans
religion, mais nous ne pouvons pas vivre sans spiritualité. » Sans spiritualité, nous
ne sommes plus des humains, mais des machines.

Comment méditer ?
Nous parlerons surtout, dans ce livre, de la pleine conscience, qui est l’approche
la plus simple, la plus centrale, et qu’on retrouve dans toutes les autres formes de
méditation.
La pleine conscience consiste à se rendre présents à ce que nous vivons.
Intensément, attentivement, d’une présence entière et non réactive.
C’est très simple de commencer, d’expérimenter. Faites-le, maintenant :
observez ce qu’est votre expérience à cet instant, sans chercher à la modifier :
souffle, corps, sons, sensations globales, pensées…
Dans le monde de la méditation, les enseignants insistent sur l’importance des
postures : la posture est ce qui facilite l’émergence de l’état méditatif. On ne force
pas sa venue, on met simplement en place tout ce qui en permet l’apparition. Il y
a deux postures à privilégier, celle du corps et celle de l’esprit.
En ce qui concerne la posture du corps, il s’agit simplement d’être assis, dos
droit, épaules ouvertes, pieds à plat, mains posées sur cuisses. Les yeux peuvent
être clos ou mi-clos, bien que certains préfèrent méditer les yeux ouverts.
Puis il y a la posture de l’esprit. Il s’agit de ne rien attendre, rien vouloir, rien
trier. Se rendre simplement présent, tout accueillir, tout observer. Ce n’est pas si
facile, car très inhabituel ! En général, nous cherchons à obtenir un résultat de
nos efforts, nous préférons ressentir des choses agréables et écarter les
désagréables. Dans la méditation de pleine conscience, on fonctionne
différemment. On accueille et on observe tranquillement tout ce qui vient, tout
ce qui est là. Les efforts ne relèvent pas du contrôle, mais de la présence.
Alors commence l’exercice méditatif à proprement parler. Il passe par quatre
étapes en général, dont la dernière est optionnelle.
Première étape : s’arrêter et s’asseoir. Ce n’est pas si simple pour nous qui
sommes habitués à être engagés dans une action ou une distraction, mais pas du
tout préparés à la non-action. La non-action n’est ni somnolence ni mollesse :
certes on ne fait rien, mais on le fait bien ! Le philosophe André Comte-
Sponville, qui pratique le zazen, plaisante en disant que l’art de la méditation
zen, c’est « ne rien faire, mais à fond ». Dans le temps que l’on consacre à la
méditation, on est vigilant, on ressent, on observe… Tout ce qui relève des
actions ou des décisions, cela viendra, mais ensuite.

Deuxième étape : stabiliser son attention par la présence au souffle. Pourquoi
stabiliser son attention ? Parce qu’en général, lorsque nous commençons nos
exercices méditatifs, nous sommes dispersés ou préoccupés. Souvent aussi, la
méditation entre en concurrence avec d’autres activités, et la motivation la plus
forte alors, à peine assis, c’est de nous relever pour faire autre chose, qui vient de
nous arriver à l’esprit, et que nous estimons (presque toujours à tort) plus urgent.
Pourquoi le souffle ? Parce que l’attention a du mal à rester fixée sur quelque
chose d’immobile : dans le zen Soto, on médite face aux murs blancs du dojo,
pendant des heures, et je peux vous dire que ce n’est pas facile pour les
débutants ! Inversement, l’attention se pose plus aisément sur un objet en
mouvement (comme ceux qui s’agitent sur les écrans de la télévision ou
d’Internet) ; on l’appelle une « cible mouvante ». Une excellente cible mouvante
toujours à notre disposition, c’est le souffle, toujours en mouvement tranquille,
toujours là, avec nous… Attention, il s’agit de ressentir son souffle, et non de
réfléchir au souffle. Ensuite, il faut faire l’exercice de manière prolongée, pour
s’entraîner à déceler les échappements attentionnels et les moments où la pensée
s’évade, et la ramener alors au souffle. Ces escapades de notre mental sont
normales : l’esprit produit des pensées comme les poumons produisent du
souffle. Le but n’est pas de faire le vide dans notre esprit, mais de prendre
conscience de ses tendances à vagabonder et à nous entraîner dans ses
vagabondages…

Troisième étape : élargir l’espace de sa conscience. Une fois l’attention
stabilisée, on s’efforce d’ouvrir l’espace de sa conscience le plus largement
possible, et de basculer dans une forme de conscience dite ouverte, ou sans objet.
Une forme de conscience dans laquelle on est simplement – mais intensément –
présent au monde et à ce que l’on ressent : souffle, corps, sons, idées, émotions et
toutes sensations qui vont et viennent… À chaque fois que l’on prend conscience
que notre esprit s’est resserré sur quelque chose (pensées, sensations corporelles,
sons désagréables ou agréables), on l’accepte mais on rouvre doucement et
régulièrement l’espace de notre attention à tout le reste : la pleine conscience du
souffle, du corps, des sons, la conscience du mouvement incessant des pensées…
Si l’esprit se rétracte à nouveau, on le rouvre encore, etc. Cette présence pure et
sans attente ni objectif, c’est la pleine conscience. On peut en rester là. Cet état
est déjà fécond et générateur de santé et de lucidité. Mais on peut aussi aller plus
loin.

Apprendre ces fondamentaux de la pleine conscience ne prend que quelques
semaines. C’est ce qui en fait la méthode de méditation la plus accessible et la
plus amicale envers les débutants : sa pratique est simple et ses bienfaits, rapides.
Approfondir ces fondamentaux prend ensuite quelques mois. Mais quand on est
familier de la pratique de la pleine conscience, on peut aussi aller plus facilement
là où l’on veut avec son esprit, ce qui permet d’explorer d’autres univers
méditatifs : c’est la quatrième étape. Car une fois l’attention stabilisée et la
conscience ouverte, on peut décider de rester là, dans le présent (il existe des
vertus nombreuses de la pleine conscience simplement en tant que telle, et on
peut en explorer les finesses et les richesses toute une vie durant). Mais on peut
aussi utiliser cet état mental de pleine conscience pour travailler à cultiver
certaines qualités de bienveillance, de compassion, d’amour altruiste, ou
s’orienter vers des exercices plus conceptuels (par exemple, dans la tradition
bouddhiste, examiner les phénomènes liés à l’interdépendance ou
l’impermanence). Mais on entre là dans des étapes avancées de la pratique
méditative, comme celles que proposent les différents enseignements
traditionnels, orientaux et occidentaux, qu’il convient alors de rejoindre si on veut
progresser sur cette voie.

Quand méditer ?
Méditer, c’est bien sûr s’arrêter et s’asseoir, pour accomplir des exercices
spécifiques, hérités de la tradition, et revisités par les études modernes. Mais c’est
aussi vivre différemment l’ensemble de son existence, autant que possible en
pleine conscience, au lieu de traverser tant de moments en pleine inconscience…
Il existe donc des exercices dits « formels », c’est-à-dire codifiés, des « figures
imposées », comme on dit en patinage artistique. On pratique ces méditations
formelles a priori tous les matins.
Mais il y a aussi des parenthèses de pleine conscience dans la journée : on
s’arrête et on se rend présent à sa vie, ne serait-ce que quelques minutes. Lors des
moments d’attente, lors des transitions d’une activité à l’autre. Mais aussi lors des
moments d’activation émotionnelle, que ce que nous ressentions soit agréable ou
désagréable : on s’arrête et on respire pour admirer quelque chose de beau, ou
pour savourer un moment heureux, tout comme on s’arrête et on respire pour
traverser et affronter en pleine conscience (sans fuite ni rumination) un moment
douloureux.
Enfin, la pleine conscience peut se pratiquer dans toutes les actions qui
composent notre quotidien : manger, cuisiner, faire la vaisselle, marcher,
conduire, lire une histoire à un enfant, dialoguer… Dans tous ces instants, on fait
de son mieux pour être vraiment présents à nos actes. Pas forcément tout le
temps, car c’est difficile (bien que savoureux et apaisant). On peut parfois
s’autoriser à manger en regardant la télé, ou à conduire en écoutant la radio !
Mais nous devons être vigilants : est-ce que cela se passe souvent comme ça ? Si
c’est le cas, peut-être devons-nous rééquilibrer la balance de notre esprit vers
l’instant présent, vers ce que nous vivons et non vers ce que nous mentalisons ?
C’est bien une question de rééquilibrage, et non de hiérarchie. La méditation
n’est pas forcément supérieure à l’action, l’instant présent n’est pas forcément
supérieur aux instants futurs ou passés, être centrés sur ce que nous faisons et
vivons n’est pas forcément supérieur à être dispersés et engagés dans de
nombreuses pensées ou activités. Il est inutile de chercher ce qui est mieux ou
moins bien donc : tout est bien, ou tout peut l’être ! Mais c’est une question de
moment, de conscience et de choix : de quoi avons-nous besoin à tel ou tel
instant de notre vie ? Sommes-nous vraiment conscients de ce que nous vivons ?
Et à cet instant, vivons-nous vraiment comme nous le souhaitons ? Ces questions
sont fondamentales. Et c’est pourquoi prendre le temps de la méditation nous
rendra en général un peu plus sages, un peu plus lucides, un peu plus sereins.
C’est peut-être dans cet esprit qu’Albert Camus écrivait, dans L’Envers et
l’endroit, cette phrase magnifique, qui sera notre conclusion : « Ce n’est plus
d’être heureux que je souhaite maintenant, mais d’être conscient. »
1
« Je chantais, mes amis,
comme l’homme respire,
Comme l’oiseau gémit,
comme le vent soupire.
LAMARTINE


LE SOUFFLE

D
epuis toujours, la respiration occupe une place centrale dans les
pratiques méditatives. C’est le moyen le plus puissant pour se
connecter à l’instant présent. C’est pourquoi l’un des conseils les
plus simples et les plus efficaces que l’on donne aux débutants,
c’est de prendre plusieurs fois dans la journée le temps de respirer,
seulement respirer, en pleine conscience, pendant deux ou trois minutes.
Car pour méditer, nous devons poser notre attention. Mais sur quoi ? En
général, le plus simple est de choisir ce qu’on appelle une « cible mouvante », un
objet en mouvement lent et régulier. Sinon, l’attention s’évade. Parmi les cibles
mouvantes que nous avons tous rencontrées figurent les vagues de la mer, les
flammes d’un feu de bois, les paysages défilant derrière la vitre du train. La
plupart d’entre nous avons alors fait l’expérience de méditations spontanées. Mais
il n’est pas toujours facile de contempler la mer ou d’allumer un feu de bois
quand on souhaite méditer. Alors qu’une cible mouvante est toujours là, avec
nous : notre souffle, et les mouvements de notre souffle.

EXERCICE
Laissez ce que vous êtes en train de faire.
Redressez-vous doucement si vous êtes un peu avachi, ouvrez les épaules, tenez votre nuque droite, sans raideur.
Ne cherchez pas à contrôler votre respiration… à respirer de telle ou telle façon… laissez juste votre souffle aller et
venir.
Ne réfléchissez pas à votre souffle, mais ressentez-le, simplement.
Reliez-vous aux sensations liées à la respiration : l’air qui entre, puis ressort, de votre nez et de votre gorge… les
mouvements de votre poitrine et de votre ventre, qui s’abaissent et s’élèvent, à leur rythme… Sentez tout votre
corps qui respire…
Si votre attention s’en va, ce n’est pas grave, c’est normal, revenez juste à la conscience du souffle, replacez toutes
les sensations physiques liées au souffle au centre de votre attention… conscience du mouvement de l’air qui
entre et ressort… conscience des mouvements de votre poitrine et de votre ventre… conscience de tout votre
corps qui respire, tout seul, tranquillement…


CONSEILS
• À quoi nous sert cet exercice ? Peut-être à rien. Mais peut-être peut-il nous
aider à développer nos capacités d’attention. Chaque fois que nous notons que
notre esprit a quitté le souffle et qu’il est parti dans nos pensées, et chaque fois
que nous revenons au souffle, nous « musclons » un peu plus notre attention.
• La pleine conscience du souffle est aussi le socle de toutes les pratiques
méditatives que nous aborderons ensemble dans ce livre. C’est pourquoi je vous
encourage à répéter ce petit exercice plusieurs fois dans la journée : pendant
quelques minutes, simplement se centrer sur ses mouvements respiratoires.
2
« Il est deux processus que les êtres humains
ne sauraient arrêter aussi longtemps
qu’ils vivent : respirer et penser. En vérité,
nous sommes capables de retenir
notre respiration plus longtemps
que nous ne pouvons nous abstenir
de penser. Et à la réflexion, cette incapacité
à arrêter la pensée, à cesser de penser,
est une terrifiante contrainte. »
GEORGE STEINER



LE BAVARDAGE
DES PENSÉES

I
l y a souvent une idée reçue à propos de la méditation : nous pourrions
arriver à faire le vide dans notre esprit, à stopper le flot incessant de nos
pensées, pour accéder enfin au calme intérieur.
Certains thérapeutes appellent en souriant « Mental FM » le bavardage
constant de notre esprit. Il peut être une source de gêne ou de souffrance,
par exemple lorsque nous voudrions nous endormir au lieu de cogiter, lorsque
nous nous rendons compte que nous sommes en train de ruminer, de nous
« prendre la tête », de nous angoisser, etc. Nous aimerions bien parfois couper le
son de Mental FM ! Mais ce n’est pas possible. Nos pensées ne s’arrêtent jamais !
Dès que nous nous éveillons, des idées, des projets, des images, des envies
envahissent notre esprit. Notre cerveau produit des pensées comme nos poumons
produisent du souffle. C’est normal. Et le bavardage de notre esprit est comme le
mouvement de notre souffle : toujours présent, impossible à arrêter. Notre
cerveau fait juste son boulot.
Cependant, nous pouvons prendre de la distance avec ces pensées. Les repérer,
les observer, mais ne pas y adhérer, ne pas les suivre. Nous apercevoir qu’elles
nous ont embarqués et nous en détacher, les laisser passer. Comme si, au bord
d’un fleuve, nous regardions passer les flots, au lieu de nous y débattre.

EXERCICE
Arrêtons-nous un instant.
Prenons le temps de ressentir le mouvement de notre souffle… Prenons conscience aussi du bavardage de nos
pensées… Souvent notre esprit est resserré sur le mental,
ouvrons-le plus largement.
Sans chercher à arrêter nos pensées,
prenons simplement conscience de leur présence…
et de notre respiration… de notre corps… prenons conscience des sons… conscience du monde qui nous
entoure…
Que les pensées soient présentes au milieu
de tout ça n’est pas un problème…
Mais à chaque fois que nous voyons qu’elles ont aspiré
toute notre attention, qu’elles prennent toute la place,
ouvrons à nouveau notre esprit à l’ensemble
de notre expérience de cet instant…
de notre expérience de cet instant…
et pas seulement aux pensées…
Ne cherchons pas à les chasser, mais veillons juste
à ce qu’elles ne soient pas seules à habiter l’espace
de notre conscience. Régulièrement, réinvitons nos sensations, élargissons notre expérience à tous nos ressentis,

souffle, corps, sons…


CONSEILS
• L’idée, bien sûr, n’est pas de ne pas penser ou de ne plus réfléchir : nos
pensées sont souvent précieuses et fécondes… Mais pas toujours, et, parfois, elles
tournent en rond et nous font souffrir…
• Si nous ne pouvons les chasser, ouvrons alors l’espace de notre conscience à
tout le reste, à toute notre expérience de cet instant.
• Pensez-y, si j’ose dire, tout au long de cette journée : de temps en temps,
baissez un peu le son de Mental FM pour ouvrir votre esprit à tout le reste et
écouter tous les autres sons de votre existence…
3
« Que mon dernier souffle, emporté Dans les parfums du vent d’été, Soit
un soupir de volupté ! »
CHARLES CROS


SAVOURER

E
n psychologie nous nous sommes longtemps centrés sur la manière
d’affronter les difficultés. Et nous avons longtemps négligé les côtés
plus lumineux et joyeux de notre vie : car, à côté des sources de
douleur, il y a aussi des sources de bonheur. Que nous oublions
souvent.
Si nous ne prenons pas le temps de savourer les instants agréables, que nous
restera-t-il ? Toute notre vie ne sera plus qu’une succession de problèmes à
régler, et d’adversités à surmonter. Bien sûr, on peut vivre, ou survivre ainsi. C’est
ce qui arrive par exemple aux personnes anxieuses : pour elles, l’existence consiste
à sauter d’un souci à l’autre, d’un problème à l’autre. Efficace souvent, mais peu
épanouissant.
Savourer ne signifie pas oublier les difficultés : il y aura toujours des soucis dans
notre vie. Mais c’est simplement ne pas oublier de tourner aussi notre esprit vers
ce qui va bien. Comme l’écrivait Paul Claudel : « Le bonheur n’est pas le but
mais le moyen de la vie. »
« Le moyen de la vie » : c’est-à-dire que le bonheur nous aide à affronter
l’adversité, à la traverser, à lui survivre ; pas à l’éviter. Sans lui, nous manquerons
d’énergie pour lutter. Sans lui, notre vie n’aura plus guère de sens. Car vivre, ce
n’est pas seulement affronter les malheurs.

EXERCICE
Pour savourer, il faut s’arrêter.
S’arrêter pour regarder le ciel, le soleil, écouter l’oiseau
qui chante, l’enfant qui rit. S’arrêter pour déguster
cette gorgée d’eau, de café, de thé, ce fruit. S’arrêter
sur n’importe quel petit rien, n’importe quel petit bout de vie
qui nous touche et nous réjouit.
Par exemple, que se passe-t-il de beau, de doux, de réjouissant, pour vous, autour de vous, à cet instant, juste
maintenant ?
Ne cherchez pas l’exceptionnel, l’ordinaire suffit. Même s’il y a
des soucis à venir, pour tout à l’heure, faites l’effort :
ouvrez vos yeux, et cherchez ce qu’il y a à savourer,
à cet instant, maintenant…
Respirez… regardez… vraiment… prenez le temps.
Faites entrer ce petit plaisir dans tout votre esprit,
tout votre corps, respirez-le ; faites-le entrer,
à chaque inspiration, dans toutes les cellules de votre corps ; respirez en savourant ce qui vous est offert. À cet
instant,
vous n’avez besoin de rien d’autre.


CONSEILS
• Nous commettons souvent cette erreur : voir ou sentir les instants de bonheur
ou de beauté, mais ne pas nous y rendre présents. Noter mentalement que le ciel
est beau tout en continuant nos petites affaires, ou tout arrêter pour savourer, ce
n’est pas la même chose.
• Car pour savourer, il faut s’arrêter, pour de vrai. Et inviter le corps au festin, à
la merveille de l’instant présent. Ressentir alors avec tout son corps, tout son
souffle, toute sa personne, ce que la vie nous offre.
• Arrêtons-nous chaque fois qu’une grâce simple nous tombe du ciel ou surgit
entre nos pas. Arrêtons-nous et savourons. Chaque jour, chaque jour…
4
« Quand je danse, je danse ;
quand je dors, je dors ; et quand
je me promène solitairement
en un beau verger, si mes pensées
se sont entretenues des occurrences
étrangères quelque partie du temps,
quelque autre partie je les ramène
à la promenade, au verger,
à la douceur de cette solitude
et à moi. »
MONTAIGNE


RIEN QUE…

I
l y a une imposture contemporaine qui m’agace, c’est celle du cerveau
multitâche. Certains vendeurs d’écrans voudraient nous faire croire que
dans notre nouvel environnement très sollicitant (écrans et téléphones,
multiconnexion et musique à flots), notre cerveau aurait évolué et serait
capable de faire plusieurs choses en même temps : travailler ou lire en
écoutant la radio, téléphoner en conduisant, etc.
Cela arrivera peut-être un jour, dans quelques dizaines de milliers d’années. En
attendant, ça ne fonctionne pas : chaque fois que nous faisons deux choses en
même temps, d’une part, nous les faisons moins bien et, d’autre part, cela nous
fatigue et nous stresse. L’équation est simple : multitâche = risque d’erreur
+ risque de stress.
C’est sans doute pour cela que de tout temps, les sages, comme Montaigne ou
comme les maîtres orientaux, ont encouragé la pratique régulière du « rien que » :
rien que manger, rien que marcher, rien que lire, rien que conduire. Malgré les
apparences, le « rien que » est difficile. Nous avons souvent la tentation de faire
plusieurs choses en même temps – manger en lisant, parcourir ses mails en
téléphonant –, ou de faire quelque chose en pensant à autre chose : prendre sa
douche en pensant à sa journée de travail, être à table en famille en songeant à
ses soucis. Ainsi, on fait tout en pleine absence et non en pleine conscience. On
se fatigue, on commet des erreurs, des oublis. Voilà pourquoi nous vous
recommandons de pratiquer régulièrement l’exercice du « rien que ».

EXERCICE
Régulièrement dans vos journées, quoi que vous fassiez,
pendant quelques minutes soyez pleinement présent
à ce que vous faites, et à rien d’autre…
Prenez alors le temps de respirer, de percevoir dans quel état
est votre corps, à cet instant… le temps de prendre conscience de vous-même et de l’endroit où vous vous
trouvez…
Pensez à vos journées : essayez-vous souvent de faire
plusieurs choses en même temps ? Dans quel état
cela vous met-il ?
Inversement, pensez aux moments où vous arrivez
à rester présent aux activités en cours…
Que ressentez-vous alors ?
Puis revenez à votre respiration…
à ce que vous êtes en train de faire, de vivre,
revenez doucement au « rien que »…
Et rappelez-vous ceci : on peut ressentir plusieurs choses
en même temps, ressentir, comme en ce moment,
et son souffle… et son corps… et les sons… mais on ne peut pas faire plusieurs choses en même temps. On ne peut
que les bâcler, et se stresser… Notre intérêt n’est pas là, jamais…


CONSEILS
• Les études scientifiques confirment aujourd’hui qu’on se sent bien mieux
lorsqu’on se consacre pleinement à l’activité en cours, quelle qu’elle soit, qu’il
s’agisse de travail ou de loisirs. La règle est donc simple : se rendre pleinement
présent à ce que nous faisons accroît notre bien-être ; agir dans la dispersion le
diminue.
• Ces travaux rejoignent les recommandations de toutes les grandes traditions
philosophiques et spirituelles, qui nous disent : « Du mieux que tu peux, rends-
toi présent à chacun de tes actes… »
• Lâchons donc un peu le multitâche, qui stresse et qui gâche, et adoptons
plutôt la philosophie du « rien que » : rien que faire la vaisselle, rien que sortir la
poubelle, rien que vivre centré, rien que voir combien la vie est belle. Observons
tout ce qui se passe lorsque nous décidons de pleinement nous consacrer à ce que
nous sommes en train de faire et prenons la mesure de ce que cela provoque en
nous.
5
« Tu es plein de secrets
que tu appelles moi. »
PAUL VALÉRY


PRENDRE CONSCIENCE
DE SON ÉTAT
INTÉRIEUR

I
l est étonnant d’observer combien nous sommes souvent absents à nous-
mêmes. Il ne s’agit pas ici de réfléchir à sa vie, mais de se tourner vers cette
connaissance de soi simple, amicale, qui consiste à régulièrement savoir où
nous en sommes, ici et maintenant. Dans quel état se trouve notre corps :
tendu, crispé, apaisé ? Et où se trouve notre esprit : dans le réel des faits, ou
dans le virtuel de nos pensées ?
Combien de fois par jour nous arrêtons-nous pour nous poser cette simple
question : « Que se passe-t-il, en toi, à cet instant ? » Et combien de temps
prenons-nous alors pour y répondre ? C’est drôle, cette négligence de soi.
Attention, il ne s’agit pas d’être toujours centré sur soi, comme un
hypocondriaque soucieux des bruits de son corps, ou un narcissique préoccupé en
permanence par son apparence. Mais plutôt de se conduire en être humain qui se
respecte, et qui régulièrement prend le temps de s’arrêter pour s’écouter et se
comprendre.
Imaginez un couple dans lequel aucun des conjoints ne demanderait jamais à
l’autre « comment ça va ? », notamment dans les moments de doute, de trouble,
de difficultés… Dans ce couple étrange que nous formons avec nous-mêmes,
prenons le temps de nous interroger amicalement et simplement nous-mêmes.

EXERCICE
L’exercice consiste à nous connecter à tout ce qui compose notre expérience intérieure… Sans chercher à la juger

ni à la modifier, du moins dans un premier temps…


Quand le faire ? À chaque fois que l’on doute, que l’on se sent faible, inquiet, que l’on a du mal à accomplir une
tâche,
à se concentrer, à comprendre ce qui se passe…
ou tout simplement à chaque fois que l’on n’a rien de précis
ni d’urgent à accomplir…
Alors, on s’arrête, et on observe…
On observe d’abord sa respiration, on ressent
les mouvements de son souffle…
Puis on se rend présent à toutes ses sensations corporelles, qu’elles soient agréables ou désagréables…
Puis on se rend présent à toutes ses sensations corporelles, qu’elles soient agréables ou désagréables…
Présent à la nature de nos pensées, aux images
qui sont présentes à notre esprit. Présent aux ressentis émotionnels : comment se traduisent-ils dans notre
corps ?
S’arrêter… respirer… ressentir… observer ses pensées…
Voilà, nous savons mieux où nous en sommes maintenant…
en tout cas, dans quel état nous nous trouvons.
Et peut-être que nous pourrons mieux comprendre
alors quoi faire… si toutefois quelque chose est à faire…
Car ce temps de rapprochement avec nous-mêmes est bien souvent un temps de discernement…


CONSEILS
• Nous éprouvons souvent le sentiment d’une dispersion ou d’un manque de
lien à nous-mêmes. Nos vies modernes facilitent grandement ces sentiments, par
l’accélération existentielle et la dispersion attentionnelle qu’elles nous infligent.
• La solution n’est pas si compliquée. Regarder calmement en nous-mêmes,
prendre le temps de nous rassembler lorsque nous sommes dispersés, le temps de
nous rendre présents à nous-mêmes, lorsque la vie nous tire par la manche en
nous disant : « Viens, viens, regarde, souci par-ci, achat par-là… »
• Plus l’existence nous sollicite ainsi, en tous sens, et nous attire à l’extérieur de
nous-mêmes, plus nous avons intérêt à régulièrement nous recentrer. À prendre
le temps de nous retrouver (« Où es-tu ? – Je suis là… – Dans quel état ? –
Comme ceci et comme cela »). Nous retrouver, toutes les fois où nous nous
sommes perdus de vue.
6
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure.
Parfois, à peine ma bougie éteinte,
mes yeux se fermaient si vite que je n’avais
pas le temps de me dire : “Je m’endors.”
Et une demi-heure après, la pensée
qu’il était temps de chercher
le sommeil m’éveillait… »
MARCEL PROUST


S’ENDORMIR

S
’endormir est un moment sensible : délicieux lorsqu’on sent
s’approcher le sommeil, douloureux lorsqu’il ne vient pas.
Le sommeil n’obéit pas à notre volonté, il est ce qu’on appelle un
phénomène émergent, c’est-à-dire qu’il survient seulement lorsque
certaines conditions sont réunies ; on ne peut forcer son cerveau à
s’endormir, on peut juste le mettre dans une situation telle que, tôt ou tard, le
sommeil arrivera.
Parmi ces conditions : avoir eu une journée suffisamment active, mais ne pas
avoir eu trop de stimulations dans la soirée. Et accepter de lâcher prise, surtout si
l’on est inquiet : lâcher la peur de ne pas dormir, la peur d’être fatigué le
lendemain, lâcher tous les soucis et inquiétudes qui nous attendent dans l’avenir,
proche ou lointain. Pas facile.
De nombreuses études ont montré que la pratique régulière de la méditation de
pleine conscience représente une aide au sommeil : méditer favorise
l’endormissement, surtout lorsqu’on médite allongé, dans le noir. Et cette
somnolence que redoutent tous les méditants (car dormir, ce n’est pas méditer)
deviendra alors une chance.
Voici comment procéder…

EXERCICE
Assurez-vous bien sûr que les conditions propices au sommeil soient réunies : vous n’avez pas trop mangé, pas bu
trop de café
ni d’alcool, pas regardé d’écran avant de vous coucher,
vous n’êtes pas dans une pièce trop chauffée…
Une fois tout cela vérifié, travaillez tranquillement à ouvrir
votre esprit à tout ce qui n’est pas des pensées ; ne cherchez pas
à chasser les pensées et les soucis, contentez-vous simplement de ne pas les suivre, de ne pas les alimenter…
Et délibérément, tournez votre esprit vers votre souffle,
vers la conscience de votre souffle, sentez la présence
de votre souffle, respirez, respirez, tranquillement…
Tournez aussi votre conscience vers votre corps,
prenez le temps de ressentir, une à une, toutes les parties
de votre corps, relâchez de votre mieux les zones de tension
si vous en identifiez…
La nuit, on s’inquiète parce qu’on est inactif, immobile,
dans le noir, avec rien d’autre à faire que cogiter. Répétez-vous
des phrases simples, rassurantes, mais justes et vraies : « C’est bon, c’est OK, tu t’occuperas de ces soucis demain ;
ne t’embarque pas là-dedans, reste dans ton corps, respire, respire bien, ramène ton esprit dans ton souffle… »
Souvenez-vous d’une règle simple : si l’on ne peut pas s’endormir, mieux vaut être éveillé et apaisé, qu’éveillé et
énervé ; tôt ou tard, le train du sommeil passera ; il ne vous embarquera pas
à son bord si vous êtes crispé, mais vous prendra seulement
si vous êtes apaisé…
Revenez, encore et encore, sur votre souffle et votre corps ; laissez filer les pensées et les images préoccupantes,
respirez, respirez…


CONSEILS
• Que cela concerne votre premier endormissement, ou les endormissements du
milieu de la nuit, commencez par accepter chaque moment d’insomnie.
Acceptez, et ne vous énervez pas, ne vous inquiétez pas. Profitez de cet éveil
dont vous ne vouliez pas pour vous centrer sur votre souffle et apprendre à laisser
passer vos pensées.
• Cela ne marche pas toujours du premier coup, mais peu à peu, vous y
arriverez : faire que, tôt ou tard, le sommeil vienne et vous prenne, enfin.
7
« Aucun homme n’a jamais imaginé
à quel point le dialogue avec la nature
environnante affectait
sa santé ou ses maux. »
HENRY DAVID THOREAU


CONTEMPLER
LA NATURE

V
oilà bien longtemps qu’on nous le répète. Depuis Aristote et son
sequi naturam (« suivre la nature »), nous savons combien ce lien
nous est indispensable.
Il serait dommage de prendre la nature comme un simple cadre à
nos moments de détente ou de loisirs. Elle mérite infiniment
mieux : notre hommage et notre attention approfondie. Elle mérite que nous lui
consacrions de longs moments de méditation, en prenant conscience de sa beauté
et de sa complexité, en lui rendant grâce, en réalisant notre chance immense d’en
faire partie et d’en savourer les bienfaits. Tout au long de l’année, il y a des
occasions illimitées de méditer sur et dans la nature.

EXERCICE
On peut simplement s’allonger sur le sol et contempler
la variété de ce qu’on nomme, par de pauvres termes génériques, « herbes » ou « insectes ». On découvre la
merveilleuse richesse silencieuse et inaperçue de ce petit monde. Ne rien penser : s’allonger, observer,
s’immerger dans cet univers discret, foisonnant d’activité…
On peut prendre le temps d’écouter longuement les bruits
du soir : cris d’oiseaux et d’enfants, bavardages dans le lointain, passages de moments de paix et de silence…
On peut contempler la nuit et les étoiles, évidemment.
Prendre conscience que cette beauté époustouflante
du ciel nocturne nous apparaît parce que la lumière du soleil
s’est éteinte. C’est un beau message à méditer, pour toute
notre existence : sans la disparition du soleil, nous ne verrions jamais les étoiles. Et ainsi, ce qui dans notre vie
ressemble parfois à un retrait, à une perte, à une disparition, n’est peut-être
qu’un prélude au dévoilement de joies plus grandes encore que celles que nous avons perdues…
On peut enfin, et c’est mon exercice préféré, méditer face
au soleil levant, face à ce qu’Homère appelait « l’aurore
aux doigts de rose ». La vie moderne nous éloigne souvent
de l’aube : soit nous nous levons trop tard, soit nous nous levons tôt, mais c’est pour partir travailler, pas pour
contempler.
Les dimanches et les vacances sont une occasion unique
de redécouvrir le lever du soleil. Nous pouvons bien nous lever tôt : il nous restera toujours la sieste ! Alors, dans le
calme
de la nuit finissante, nous pourrons contempler l’illumination progressive du ciel : lueurs pâles au levant alors que
le couchant est encore sombre, arrivée de la lumière, percée
des premiers rayons, réchauffement progressif du monde.


CONSEILS
• De nombreux travaux scientifiques confirment peu à peu que les contacts
réguliers avec la nature sont des sources de santé : la marche en forêt améliore
notre immunité, la vue sur des espaces verts raccourcit notre convalescence.
• Nous avons intérêt à contempler la nature. Contempler, et non lui jeter un
regard pressé, comme ça, en passant. Nous arrêter, la respirer, la faire entrer en
nous, dans tout notre corps ; c’est ainsi qu’elle nous soigne.
• La contempler régulièrement, pour nous sentir simplement vivants, pour
accroître notre conscience écologique, notre admiration, notre respect pour ce
monde et pour comprendre que, quoi qu’il nous soit arrivé auparavant, quoi qu’il
nous arrive désormais, c’est une grâce et une merveille d’être là, à cet instant.

8
« PHILAMINTE
Le corps, cette guenille, est-il d’une importance, D’un prix à mériter
seulement qu’on y pense, Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin ?
CHRYSALE
Oui, mon corps est moi-même,
et j’en veux prendre soin.
Guenille si l’on veut,
ma guenille m’est chère. »
MOLIÈRE


LE CORPS

E
n méditation, le corps est capital, central. On pense souvent les
pratiques méditatives comme des pratiques intellectuelles. Et en
Occident, méditer signifie volontiers « réfléchir de manière
approfondie à un sujet », comme un philosophe médite sur la vie, la
mort, ou la vanité de toutes choses terrestres. Mais dans la
méditation de pleine conscience, dont nous parlons ici, on médite avec toute sa
personne, et donc avec tout son corps.
Pourquoi ? Parce que cela nous permet d’être plus intelligents, d’utiliser notre
corps comme une source d’information précieuse (comme dans l’intuition, cette
intelligence souterraine), et parce que cela nous permet de découvrir une partie
passionnante de nous-mêmes.
Souvent, nous faisons un mauvais usage de notre corps. Nous nous en servons
comme d’un outil, qui doit nous obéir. Nous ne faisons attention à lui que
lorsqu’il nous fait souffrir ou qu’il nous donne du plaisir. Puis nous le négligeons,
et nous privilégions, encore et toujours, la pensée sur les ressentis.
En méditation, on apprend à utiliser son corps de manière plus respectueuse et
intelligente. En commençant par se mettre à son écoute, régulièrement.

EXERCICE
Commençons, comme toujours, par le souffle.
Prenons tranquillement conscience de toutes les sensations liées à notre souffle : mouvements de l’air dans notre
nez,
notre gorge, mouvements de notre poitrine
et de notre ventre. Prenons conscience de tout notre corps
qui respire, tranquillement…
Puis tournons-nous vers nos sensations corporelles…
D’abord celles qui se manifestent clairement : quelles sont
les parties de notre corps qui s’expriment à cet instant ?
Quelles sensations éprouvons-nous à ce moment précis ?
Qu’elles soient agréables ou désagréables, nous nous efforçons de les accueillir toutes, de les ressentir, de les
observer :
où siègent-elles, comment évoluent-elles d’instant en instant ?
Maintenant, élargissons notre ressenti à tout notre corps, en prenant le temps de le parcourir de bas en haut :
prêtons attention à nos pieds, nos jambes, nos hanches, ventre, dos, poitrine, bras, visage… Prenons le temps
d’ouvrir notre attention à tout notre corps, dans son ensemble…
et quoi que nous ressentions, de notre mieux, accueillons-le…

CONSEILS
• Dans nos programmes de méditation, nous prenons parfois 30 ou 40 minutes
pour bien explorer toute la richesse et la complexité de nos sensations corporelles.
Mais nous pouvons aussi, comme nous venons de le faire, rendre une petite visite
à notre corps de manière plus brève. L’intérêt est de la faire régulièrement, avec
curiosité et bienveillance. Même si notre corps est fatigué, souffrant, malade,
donnons-lui attention et affection. Il le mérite, ce corps qui nous donne tant.
• Plusieurs fois par jour, prenons le temps de ressentir dans quel état est notre
corps, de nous promener sur ses chemins comme sur un sentier dans une forêt
que nous aimons bien. Et souhaitons que notre corps pacifié nous permette un
esprit éclairé.
9
« Le seul moyen de se délivrer d’une tentation,
c’est de lui céder. Résistez, et votre âme
se rend malade à force de languir
après ce qu’elle s’interdit. »
OSCAR WILDE


RÉSISTER AUX TENTATIONS
ET AUX
IMPULSIONS

P
our une fois, je ne suis pas en accord avec la citation que je propose
en exergue pour amorcer notre réflexion. Et d’ailleurs, le malheureux
Oscar Wilde, qui résistait fort mal aux tentations, le paya bien cher
dans l’Angleterre prude et victorienne : par la prison, l’exil et la ruine.
Revenons à notre époque. Nous subissons de nombreuses
tentations venues de l’extérieur, qui se transforment en impulsions venues de
l’intérieur, le tout savamment organisé par notre société de consommation, qui
nous pousse toujours vers le « plus » de tout ce qui se vend : manger plus, boire
plus, passer plus de temps devant les écrans, plus de temps à acheter des choses
dont nous n’avons pas besoin, parce que c’est en vitrine ou en solde.
Mais il y a aussi des impulsions venues de nous-mêmes. Par exemple
l’impulsion à finir notre assiette alors que nous n’avons plus faim, à finir le plat
parce qu’il en reste. On se dit que « c’est dommage de le jeter à la poubelle »,
alors on le jette dans son corps.
Comment résister à ces pollutions incitatives ? La méditation nous offre un très
bon espace d’entraînement à la régulation des impulsions et des tentations. Voici
comment.

EXERCICE
Comme d’habitude, assis, les yeux fermés, on respire,
on ressent, on écoute…
Et, comme un pêcheur à la ligne, on attend que ça morde,
on attend les premières impulsions… En général, ce sont celles qui nous poussent à arrêter l’exercice, à faire autre
chose
que méditer… autre chose de plus marrant, ou de plus urgent,
ou de plus important : manger, ranger, dormir, travailler, téléphoner, bouquiner, surfer sur le Web…
Alors, on va résister, on va décider de rester quand même là,
on va se dire : « OK, OK, je vois bien arriver cette tentation,
qui me dit qu’il y a plus urgent à faire que rester assis là
les yeux fermés ; mais non, là je m’entraîne justement à muscler ma résistance aux impulsions… alors je ne bouge
pas… je laisse
la tentation tourner en rond dans mon esprit, essayer de me tirer par la manche, et je reste bien accroché à la
conscience
de mon souffle, de mon corps, à l’écoute des sons… »
Et en tout cas, je ne lui obéis pas tout de suite, à cette impulsion qui me dit de m’arrêter… je l’observe d’abord, je la
nomme :
« Ce n’est pas une obligation, juste une tentation qui me dit
de m’interrompre et d’aller envoyer un SMS, avec l’argument
que je tourne en rond, que je m’énerve assis comme ça
les yeux fermés, que je ne suis pas fait pour ça peut-être, etc. »
Je nomme donc la tentation et j’observe ses ramifications
dans tout mon être… Elle modifie peut-être déjà ma façon
de respirer, et je suis alors moins présent à mon souffle…
Elle a peut-être déjà commencé à dire à mon corps de bouger,
et mes muscles se sont déjà tendus, prêts à l’action, prêts
à me remettre debout… Elle a peut-être déjà commencé
à orienter mon attention vers l’action à accomplir
au lieu de méditer…
Très bien, très bien, je note tout ça… mais moi, je reste là !
Je désobéis à l’impulsion, à la tentation. Je reste là, à méditer,
à ressentir… Pour l’action, je verrai tout à l’heure…
Pour le moment, c’est le temps de la non-action, le temps
de la résistance aux impulsions… et c’est très bien comme ça,
vu le monde dans lequel je vis…


CONSEILS
• Oui, vu le monde dans lequel nous vivons, il est important de résister. Il ne
s’agit pas de vivre comme des ascètes rigides : on peut, bien sûr, céder parfois à la
tentation. Mais cela ne veut pas dire : céder à toutes les tentations… Sinon, c’est
la tristesse de la satiété qui s’emparera de nous, la tristesse de constater notre
faiblesse, la tristesse de découvrir notre manque de contrôle sur nos corps et nos
esprits.
• Résister, c’est s’offrir de la liberté : celle de choisir nos actes et nos plaisirs,
choisir de les déguster au lieu de nous en gaver.
• C’est bien comme cela que nous souhaitons tous vivre, n’est-ce pas ?

10
« Un regard bienveillant
réjouit le cœur. »
LA BIBLE, LIVRE DES PROVERBES


BIENVEILLANCE

L
a méditation peut nous aider à être plus présents et attentifs au monde
et à notre vie. Mais elle nous permet aussi de cultiver certaines
qualités fondamentales, comme la bienveillance qui consiste à
souhaiter le bien d’autrui. Elle est une intention qui peut parfois
sembler naïve, mais qui est d’abord généreuse et inspirée.
Ainsi, imaginez un instant un monde où chaque personne serait bienveillante.
Un monde où toutes les voitures freineraient pour laisser passer les piétons, où
tous les humains vous tiendraient la porte lorsque vous auriez les bras chargés, où
chacun se montrerait souriant.
Un rêve ? Pas forcément ! Ce monde existe déjà, en partie. Contrairement à ce
que nous pouvons croire les jours où nous sommes de mauvaise humeur, les jours
où nous avons trop regardé les infos à la télé, il y a déjà beaucoup de
bienveillance dans le monde. Et il ne tient qu’à nous de l’étendre encore plus, car
chacun de nous peut accroître la quantité globale de bienveillance et de douceur
déjà présentes, en y apportant sa part. Pour nous y aider, nous pouvons cultiver
régulièrement en nous ces capacités de bienveillance.

EXERCICE
Prenez le temps de vous poser dans l’instant présent…
en prenant conscience de votre souffle… de votre corps…
des sons qui vous entourent… du mouvement de vos pensées, que vous laissez passer, sans les nourrir…
Songez aux personnes que vous aimez, à tout le bien
que vous leur souhaitez…
Prenez le temps de voir passer leurs visages, le temps
de laisser venir ou revenir en vous tous ces visages, spontanément, dans l’ordre que vous voulez,
ou dans n’importe quel désordre…
Sentez la présence de la bienveillance dans votre corps,
sentez-la dans votre cœur ; ressentez physiquement l’affection, l’amour, la sympathie que vous éprouvez
pour toutes ces personnes…
Respirez dans ce sentiment de bienveillance ;
à chaque inspiration, imaginez par exemple que vous inspirez toute la bienveillance que vos proches ressentent
pour vous, tout l’amour qu’ils ont pour vous ; à chaque expiration, imaginez que vous expirez vers vos proches
l’affection que vous avez
pour eux…
Vous pouvez aussi étendre cette bienveillance aux personnes que vous connaissez et à qui vous souhaitez
également du bien : amis, collègues, voisins, connaissances…
Si vous voulez, vous pouvez même vous répéter doucement
une phrase comme celle-ci : « Je souhaite de tout cœur
que chacun soit heureux, autant qu’il est possible ; que chacun soit heureux, autant qu’il est possible… », en la
calant
sur le rythme de votre souffle…


CONSEILS
• Il n’y a rien de naïf dans cet exercice, et il n’est pas besoin de nous transformer
en Bisounours, mais juste de nous rappeler qu’il est préférable de vouloir le
bonheur d’autrui que de ruminer de mauvaises pensées. Cela nous prépare mieux
à accomplir le bien lorsque l’occasion s’en présente, et à passer alors de la
bienveillance à la bienfaisance.
• Sans douceur ni bienveillance, ce monde ne serait pas vivable. Même si nous
avons parfois l’impression qu’il ressemble, à certains moments, à certains
endroits, à une jungle violente, n’oublions pas que des actes de fraternité et de
bienveillance, aux mêmes endroits, aident à le tenir debout et préparent des
lendemains apaisés, qui viendront tôt ou tard…
• La bienveillance est déjà largement présente tout autour de nous, et c’est à
nous qu’il appartient de la rendre, chaque jour, encore un petit plus vivante en ce
monde.

11
« Il faut soumettre l’action à l’épreuve
de la pensée et la pensée
à l’épreuve de l’action. »
GOETHE


SE RECUEILLIR AVANT D’AGIR

E
tre immobile et coupé du monde ? Oui, les exercices de méditation
ressemblent effectivement à cela. Mais c’est seulement pour un
temps. C’est seulement une respiration entre deux périodes d’action.
On finit toujours par revenir à l’action. La méditation adore l’action,
sinon elle tourne en rond. On médite avant d’agir, après avoir agi, et
même dans l’action, que l’on peut accomplir, ou pas, en pleine conscience. La
pratique de la méditation ne nous condamne donc pas à une vie hors-sol, à nous
éloigner du monde, mais elle nous aide au contraire à nous en rapprocher et à
mieux l’habiter. Par exemple en examinant notre façon de nous engager dans
l’action.
Notre époque valorise beaucoup la rapidité, la réactivité, l’instantanéité. Et peu
à peu nous désapprenons l’art de nous préparer avant l’action, l’art de nous
préparer avant les événements importants de notre vie. Importants parce qu’ils
sont l’objet d’un enjeu : se préparer avant un entretien d’embauche, un examen,
une rencontre amoureuse ou conflictuelle… Ou importants parce qu’ils sont
fréquents : se préparer avant de commencer à travailler, de retrouver ses proches,
ou de manger…
Autrefois, les chrétiens, comme bien d’autres, récitaient une prière – le
bénédicité – avant les repas, ce qui rappelait le caractère sacré de toute nourriture,
la chance qu’on avait d’en disposer et d’être rassemblés autour de la table, en
famille ou entre amis.
Je me souviens aussi d’un patient qui, après avoir appris à méditer, se recueillait
dans sa voiture, le matin avant de démarrer, pour se préparer à bien entrer dans
sa journée de travail ; puis le soir, toujours dans sa voiture, mais en arrivant chez
lui, il méditait quelques minutes pour se préparer à lâcher sa journée de travail et
à se rendre présent à sa famille.
Prendre l’habitude de se recueillir avant d’agir, ça se passe comment ?

EXERCICE
Asseyez-vous, les yeux fermés, reliez-vous à votre respiration, sans chercher à la modifier… Prenez quelques
instants
pour laisser décanter vos pensées, les laisser se poser au calme, tout au fond de votre esprit… et laissez plutôt la
conscience
de votre souffle venir s’installer au centre de votre attention…
Songez à une journée habituelle, de travail ou de vacances… songez à toutes les activités que vous y conduisez, de
labeur ou de loisir, et posez-vous la question : comment allez-vous à la rencontre de ces activités ? Dans quel état
mental
vous y engagez-vous ? En pleine conscience ou
en pleine inconscience, l’esprit ailleurs ?
En pilotage automatique ou en présence attentive ?
Que faites-vous de votre esprit, par exemple, avant
de commencer votre journée de travail ? Avant de passer
un coup de fil à un proche ou un ami ?
Avant de commencer un repas ?
Pourriez-vous prendre, au moins de temps en temps,
un moment pour vous rassembler, un moment
pour vous centrer sur votre respiration, votre corps,
votre état mental et émotionnel, à cet instant ? Juste
pour savoir où vous en êtes et dans quelles dispositions
vous allez commencer cette activité…
Pourriez-vous prendre le temps de vous demander :
« Pourquoi suis-je ici, à faire ceci ? Comment, dans quel esprit accomplir cet acte au mieux, pour les autres et pour
moi ?
Est-ce qu’une meilleure qualité de présence me permettra de voir plus clair dans ce que j’ai à faire ? Me permettra
de m’approcher de mes attentes, d’agir selon mes valeurs ? »


CONSEILS
• Voilà, c’est simple. De temps en temps, au lieu de sauter d’une activité à une
autre, sans laisser notre cerveau souffler, sans nourrir notre motivation à bien
agir, prenons le temps de nous recentrer avant de nous engager, le temps de nous
demander pourquoi nous sommes là et pourquoi nous faisons ça.
• Le temps de respirer et de ressentir.
• Le temps de nous souvenir qu’il n’y a rien à réussir, juste à bien agir, en toute
présence, en pleine conscience.
• Et le temps aussi de nous rappeler ce que nous souhaitons faire de toute notre
vie.

12
« Le miracle, c’est de marcher
sur la terre. »
THICH NHAT HANH,

MAÎTRE ZEN VIETNAMIEN


MARCHER EN PLEINE CONSCIENCE

T
outes les images – et tous les clichés – sur la méditation nous
montrent la même chose : une personne assise et immobile, le visage
concentré, les yeux fermés, et parfois l’air un peu niais. Or nous
n’avons pas forcément besoin d’être immobiles pour méditer (pas
plus que nous n’avons besoin de prendre l’air niais). Dans de
nombreuses traditions, on propose par exemple de méditer en marchant.
Il s’agit de marcher lentement, parfois très lentement, en prêtant attention à
chaque pas, à chacun des mouvements qui composent un seul pas.
Cela peut paraître étrange au début. Puis cette sensation passe et l’on
comprend peu à peu l’intérêt de l’exercice.
Vu de l’extérieur, c’est encore plus étrange, et je vous conseille de débuter seul,
à l’abri des regards, dans une pièce calme, ou à un endroit où personne ne vous
observe.

EXERCICE
Mettez-vous debout, les pieds légèrement écartés, prêts
à marcher… mais ne marchez pas, pas encore… En gardant
les pieds au sol, balancez-vous, d’abord, de droite à gauche, d’avant en arrière, pour mieux percevoir les équilibres
de votre corps…
Prenez maintenant la décision d’accomplir un premier pas. Laissez faire votre corps, il a l’habitude, mais observez
bien
ce qui se passe… Commencez, tout doucement… Marchez…
Vous avez remarqué comment, avant même qu’une
de vos jambes ne bouge, votre corps s’est déjà incliné
pour prendre appui sur l’autre jambe ?
Voyez comment, maintenant, votre pied se soulève par le talon et avance doucement… Ressentez comment
l’autre jambe – votre jambe d’appui – se contracte doucement pour maintenir l’équilibre, et comment votre corps
repose sur elle…
Voyez maintenant comment votre pied va se poser sur le sol, doucement, par le talon encore… comment la
jambe,
l’autre pied, et tout votre corps vont suivre… Observez bien
tout ce déroulement de votre pas… et voyez comment l’équilibre de votre corps repose désormais sur une seule
jambe, pendant que l’autre avance et enchaîne un second pas, tranquillement.
Allez-y, recommencez à marcher, très lentement, et à observer votre marche…
Prenez bien votre temps pour explorer toutes ces sensations, pour découvrir toute la richesse et la complexité
des ajustements et des équilibres, qui se modifient sans cesse
pour vous aider à avancer sans tomber…
pour vous aider à avancer sans tomber…
N’est-ce pas incroyable ?


CONSEILS
• Prenez parfois le temps d’accomplir ainsi quelques pas en pleine conscience.
Si vous le pouvez, faites-le dès le matin, dans votre jardin, sur la plage, là où vous
êtes.
• Vous pouvez aussi marcher un peu plus lentement, lorsque la vie vous le
permet, et surtout sans rien faire d’autre (comme téléphoner ou ressasser vos
pensées).
• Marcher en pleine conscience est un très bon moyen de freiner l’emballement
de ses pensées. Un très bon moyen aussi de nous émerveiller (c’est bon de
s’émerveiller !) en découvrant à quel point notre corps est un allié intelligent. Un
très bon moyen enfin de comprendre que lorsque nous ouvrons nos yeux sur elle,
la vie est encore plus belle et plus généreuse que nous ne le pensons.
13
« Les oiseaux ont disparu dans le ciel,
Le dernier nuage s’est évanoui.
Nous sommes assis ensemble,
La montagne et moi,
Jusqu’à ce que, seule,
la montagne demeure. »
LI PO, POÈTE CHINOIS


LA FORCE INTÉRIEURE : MÉDITATION DE
LA MONTAGNE

L
a méditation de la montagne est un classique de la pleine conscience.
C’est un exercice pour s’apaiser et pour se rappeler toutes nos forces
intérieures, au-delà des agitations et des désarrois transitoires que
nous traversons en tant qu’êtres humains.
Pas besoin d’être en vacances à la montagne, ou d’y habiter, pour la
pratiquer, même si – c’est sûr – l’accomplir face à une vraie montagne est un plus.
Mais partout ailleurs, il suffit de vous asseoir, bien stable, dos droit, épaules
ouvertes, juste là où vous êtes, à cet instant.

EXERCICE
Maintenant, prenez le temps de trouver une position droite
et confortable… Fermez les yeux, et liez-vous à votre souffle…
Prenez conscience de sa présence, sa présence solide et fidèle, régulière. Ressentez le mouvement de l’air dans
votre nez
et votre gorge… votre poitrine et votre ventre qui se soulèvent et qui s’abaissent… Notez comment tout votre
corps participe
à votre respiration…
Maintenant, pensez à une montagne, une belle montagne,
une montagne que vous connaissez et que vous aimez,
ou une montagne dont vous rêvez, que vous imaginez…
Laissez venir à votre esprit l’image de cette montagne,
qui se détache sur un grand ciel bleu… et laissez émerger
les détails : y a-t-il de la neige, ou pas ? Voyez les sapins,
les mélèzes, les prairies, les rochers… Ces éléments
peuvent changer à votre esprit ; si c’est le cas, laissez-les varier, aucune importance…
Au bout d’un moment, identifiez-vous à la montagne, laissez-la vous imprégner de sa présence, ressentez-la en
vous,
fondez-vous en elle. Percevez votre propre corps
comme un écho de cette montagne, comme une montagne posée solidement au sol, et ressentez combien vous
êtes,
à cet instant, comme elle : posé, centré, stable…
Régulièrement, des vents, des tempêtes balaient la montagne : il y a de la neige, de la pluie, des avalanches…
mais elle reste là, toujours stable, quoi qu’il arrive…
Et pour vous aussi, des tempêtes peuvent souffler à votre esprit… des pensées, des émotions, des inquiétudes
douloureuses peuvent balayer votre conscience… mais vous aussi, vous pouvez rester là, posé, centré, à respirer,
quoi qu’il arrive… Les nuages passeront, et le ciel bleu reviendra, sur la montagne,
comme dans votre esprit…
Laissez votre conscience habiter votre souffle, votre corps… quoi qu’il arrive, vous êtes là, centré, posé, stable,
solide…
comme une montagne…


CONSEILS
• Parfois, nous avons peur de choses simples : méditer en s’identifiant à une
montagne, quelle drôle d’idée, tout de même ! Mais nous avons tort : les choses
simples sont souvent des choses fortes.
• Nous disposons de nombreuses études sur l’intérêt des exercices d’imagerie
mentale, comme celui que nous venons de faire, si rapidement. Et ces études
montrent qu’ils apportent apaisement et stabilité intérieure…
• Nous pouvons préférer méditer sur l’image d’un lac ou de l’océan, ou d’un
coin de campagne que nous aimons ; donnons-nous simplement le temps de bien
le visualiser, et de prendre conscience des forces et des vertus que ce lieu peut
nous inspirer et nous encourager à cultiver. La contemplation des montagnes,
des lacs, des océans, peut ainsi nous apprendre énormément, si seulement nous
nous attachons à leur ressembler un tout petit peu.

14
« Nous ne nous tenons jamais
au temps présent. Nous anticipons l’avenir
comme trop lent à venir, comme pour hâter
son cours ; ou nous nous rappelons le passé,
pour l’arrêter comme trop prompt :
si imprudents, que nous errons dans les temps
qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point
au seul temps qui nous appartient ;
et si vains, que nous songeons
à ceux qui ne sont plus rien, et
échappons sans réflexion
le seul qui subsiste. »
PASCAL


L’INSTANT
PRÉSENT

L
a méditation met volontiers l’accent sur l’instant présent.
Ce n’est pas parce que l’instant présent est supérieur à l’instant passé
ou à l’instant futur, mais parce qu’il est souvent négligé, oublié,
maltraité. Alors que lui seul est dans le réel. Oui, seul le temps présent
est réel, les autres sont virtuels : le futur n’existe pas encore, le passé
n’existe plus.
Et contrairement à nos croyances, il y a souvent plus de ressources pour nous
dans le réel que dans le virtuel, plus de ressources pour nous dans le temps
présent que dans les temps passés ou futurs. Pourtant, tout absorbés par nos
projets, endoloris par nos regrets, nous oublions bien souvent de vivre au présent.
Méditer, ce n’est donc pas renoncer à réfléchir au futur ou à songer au passé,
mais c’est décider de l’habiter plus souvent, ce temps présent…
Et si cela vous intéresse, voici comment…

EXERCICE
Notre esprit est capable de vagabonder dans le temps,
mais pas notre corps. Le corps, lui, est toujours dans le présent…
Alors, pour nous ancrer dans le présent, nous allons simplement nous ancrer dans notre corps, nous ancrer dans
notre souffle… dans chaque inspiration, dans chaque expiration…
Nous ancrer dans les sons de chaque instant…
dans nos sensations physiques à chaque moment…
Nous allons vivre chaque seconde comme si elle était unique. D’ailleurs, elle l’est, vraiment ! Jamais encore vous
n’avez vécu
cet instant… et jamais plus vous ne le revivrez…
Vous ne pouvez l’empêcher de fuir et de disparaître.
Mais vous pouvez décider de pleinement l’habiter.
Décider de pleinement habiter ce repas avec vos proches, malgré les soucis qui entraînent votre esprit ailleurs…
Décider de pleinement habiter, maintenant, cet instant
d’une après-midi d’été, ce matin de printemps, ce soir d’hiver,
ce jour d’automne…
De pleinement habiter ces vacances, même si la rentrée suivra…
De pleinement habiter toute votre existence, malgré
la mort qui viendra…
De pleinement habiter chaque instant de votre vie,
De pleinement habiter chaque instant de votre vie,
à commencer par celui-ci…


CONSEILS
• En matière de vie de l’esprit, la liberté, c’est d’utiliser toutes ses capacités. Pas
seulement la merveilleuse faculté de notre esprit à faire des projets ou à songer au
passé, mais aussi la capacité à habiter et à pleinement savourer le présent, et tous
les instants uniques qu’il nous offre.
• C’est merveilleux et vertigineux de comprendre cela. Tout comme il est
merveilleux et vertigineux de le pratiquer. Car souvent, l’instant présent nous
ramène à l’essentiel, et nous dit : « Toute ta vie se déroule ici et maintenant… »
C’est aussi ce qu’écrivait Goethe à sa manière plus poétique : « Alors, l’esprit ne
regarde ni en avant ni en arrière. Le présent seul est notre bonheur. »
• Le présent seul est l’essence de notre vie.

15
« Les animaux se repaissent ;
l’homme mange ;
l’homme d’esprit seul sait manger. »
JEAN ANTHELME BRILLAT-SAVARIN


MANGER EN PLEINE CONSCIENCE

M
éditer, ce n’est pas se couper du monde, mais se relier à lui avec
davantage de conscience, et donc d’intelligence. C’est pourquoi
de nombreux exercices de méditation se font en accompagnant
des gestes simples du quotidien, qu’on a tendance à accomplir
en pensant à autre chose. Comme le geste de manger.
En prenant l’habitude de manger plus souvent en pleine conscience, nous
allons découvrir des tas de choses sur notre rapport à la nourriture. Notamment
que souvent nous ne mangeons pas parce que nous avons vraiment faim, mais
parce que c’est l’heure, parce que ça sent bon, parce qu’on s’ennuie, parce que cela
nous permet de retrouver les autres à table.
Nous pouvons aussi mieux comprendre pourquoi nous mangeons parfois de
façon excessive : par exemple si nous prêtons trop attention à ce qu’il y a dans
notre assiette (parce que c’est très bon ou qu’on se dit qu’il faut tout finir) et pas
assez attention à ce que ressent notre corps (il nous signale souvent qu’il a assez
mangé, mais nous ne l’écoutons pas).
Bref, manger en pleine conscience peut nous aider à être à la fois plus
épicuriens (en savourant mieux) et plus sages (en ne mangeant que ce dont nous
avons besoin).
Voici comment il est possible de s’y entraîner…

EXERCICE
Pour cet exercice, un petit aliment est nécessaire.
Nous utilisons dans nos groupes un raisin sec.
Si vous n’en avez pas sous la main, un morceau de fruit
ou de légume fera l’affaire.
Prenez entre vos doigts et regardez bien l’aliment
que vous allez manger, dans tous ses détails de forme,
de couleur, de texture…
Reniflez-le… A-t-il une odeur ?
Passez-le sur vos lèvres pour voir
si de premières saveurs s’en dégagent…
Puis ouvrez la bouche, posez-le sur votre langue, et refermez
la bouche. Ne le mâchez pas, pas tout de suite…
Promenez d’abord l’objet dans votre bouche, avec votre langue. De nouvelles saveurs commencent-elles à
apparaître ?
À un moment donné, vous allez prendre la décision de mordre, une seule fois, dans l’objet. Allez-y… Que se passe-
t-il maintenant ? Prenez le temps d’explorer les nuances des saveurs
qui viennent d’arriver dans votre palais… attendez
que leur intensité diminue avant de donner
un nouveau coup de dent.
Prenez le temps de mastiquer lentement, à l’affût
des goûts dégagés par le travail de vos molaires…
Prenez ensuite, en toute conscience, la décision d’avaler… Observez comment s’y prennent votre langue et votre
bouche pour faire descendre cet aliment dans votre corps.
Restez encore un moment à observer le fantôme de l’aliment dans votre bouche, la persistance de sa saveur.
Jusqu’à
ce qu’il n’y ait plus rien, ou presque plus rien…
Avant de vous resservir, de continuer à manger, écoutez
votre corps : que vous dit-il ? Stop ou encore ?


CONSEILS
• Cet exercice, un peu étrange, est un classique de la méditation de pleine
conscience. Bien sûr, nous ne pouvons pas prendre tous nos repas ainsi, mais
nous pouvons, de temps en temps, nous apercevoir que nous engloutissons la
nourriture sans même y faire attention.
• Alors, nous pouvons décider de régulièrement déguster un aliment, un plat ou
tout un repas en pleine conscience : bouchée après bouchée, seul, sans
distractions, sans discussion, en silence. Juste ressentir le goût des aliments, et
aussi l’état de faim ou de satiété de notre corps, au fur et à mesure que le repas
avance.
• En procédant ainsi, nous allons redécouvrir le plaisir de nous nourrir, nous
remettre à manger intelligemment et calmement, en pleine conscience ; au lieu
d’avaler sans même y penser.


16
« Où est donc ma peine ?
Je n’ai plus de peine.
Ce n’est qu’un murmure
Au bord du soleil. »
PAUL FORT


ÉMOTIONS
DOULOUREUSES

N
os émotions ne parlent pas, mais elles s’expriment. Par des
sensations corporelles, des comportements, des pensées
automatiques, radicales et simplifiées. Et de même, pour les
calmer et les apaiser, les mots ne suffisent pas, en général. Il
faudra passer par le corps.
Il s’agit d’une des démarches les plus difficiles de la vie psychique : prendre de
la distance envers des pensées chargées, saturées d’émotions, auxquelles on croit
et on adhère, et qu’on ne peut guère empêcher ou expulser. On pense aujourd’hui
que cette nécessaire distance, il est plus facile de la mettre en place en accueillant
et en observant nos états émotionnels, plutôt qu’en s’acharnant à les supprimer,
ou pire, en leur obéissant.
Nos émotions, même désagréables, ne sont pas les « mauvaises herbes » de
notre esprit. Elles font partie de notre écologie psychique. Commencer par les
accepter est souhaitable, mais cela suppose que nous soyons conscients d’elles.
Les émotions tendent naturellement à s’imposer à nous ; c’est sur leur influence
que nous devons agir, pas sur leur présence.
D’ailleurs, le but de ce que l’on nomme en psychologie la « régulation
émotionnelle » n’est pas le vide, le zen ou le calme. En tout cas, pas tout de suite,
ou pas directement. Le but, c’est la conscience, la clarté, la lucidité.

EXERCICE
Est-ce que quelque chose vous tourmente en ce moment ?
Vous agace, vous inquiète, vous fait de la peine ? C’est parfait,
du moins pour notre exercice d’aujourd’hui…
Reliez-vous à votre souffle, vérifiez simplement
que votre posture est droite, vos épaules bien ouvertes,
pour laisser votre respiration se faire toute seule, sans gêne…
Laissez venir en vous tout ce qui gravite autour
de cette émotion : le souvenir de l’événement qui la provoque, et surtout la conscience de tout ce qui
l’accompagne en vous, cogitations et crispations… Observez ce qui se passe
dans votre corps : comment réagit-il
à cette émotion douloureuse ? Il y a dans la pleine conscience deux attitudes fondamentales pour approcher et
traverser
une émotion douloureuse…
La première attitude consiste à créer un espace intérieur
pour permettre une conscience globale de l’émotion ; conscience globale, c’est-à-dire conscience des pensées
et des images mentales, mais aussi du souffle, du corps,
des impulsions…
La seconde attitude consiste à accueillir
cette expérience émotionnelle globale, à commencer
par l’accueillir telle qu’elle est, à la laisser exister. Pour dépasser une souffrance ou un inconfort, il faut d’abord
avoir admis
qu’ils existent en nous. On ne peut pas quitter un endroit
où l’on n’a jamais accepté d’arriver : et on ne peut pas se libérer d’une souffrance qu’on n’a jamais accepté de
reconnaître
et d’accueillir…
Restez avec l’émotion… Observez toutes ses ramifications,
dans votre corps et dans votre esprit… Nommez-la, examinez-la, ne cherchez pas à la modifier ou à la chasser
avant de l’avoir explorée, comprise, apprivoisée…
Le plus souvent, dans cet espace ainsi ouvert et apaisé
de votre conscience, le caractère douloureux de l’émotion
et de tout ce qui lui est associé va alors doucement commencer
à s’estomper… Et on discernera peut-être mieux
ce qu’il y a lieu de faire, maintenant…


CONSEILS
• Lorsque je suis troublé, contrarié, inquiet, surtout ne pas passer à autre chose
pour m’en libérer, me soulager. Au contraire, si j’en ai le temps, observer ce qui
se passe en moi. Quelle est cette émotion qui m’habite ? Comment s’exprime-t-
elle ? Vers quoi me pousse-t-elle ?
• Cela semble très simple, mais évidemment ça ne l’est pas : comme pour nos
pensées, nos émotions s’imposent à nous, c’est-à-dire qu’elles ne se présentent
pas comme des phénomènes subjectifs, mais comme l’évidence, comme la réalité
non discutable. Alors, ne pas chercher à modifier ou effacer ce que je ressens, ne
pas chercher à me consoler ou à me calmer. Pas maintenant. Pas directement.
Juste me rendre présent.
• Bien respirer alors, ne rien vouloir d’autre que m’attacher à respirer en
observant ce qui se passe en moi. M’attacher à prendre le temps de la présence
apaisée et attentive, même face à ce qui est douloureux.


17
« Pour l’instant, je me contente
d’écouter le bruit que fait le monde
lorsque je n’y suis pas. »
CHRISTIAN BOBIN


ÊTRE LÀ
ET AILLEURS

L
a méditation nous encourage à être pleinement présents à ce que nous
vivons, mais cette présence passe parfois par un pas de côté, qui va
nous permettre de mieux observer et de mieux comprendre ce que
nous sommes en train de vivre, avant de nous y replonger.
Par exemple, lors d’un repas avec de nombreux convives, en famille
ou entre amis, c’est merveilleux de participer, de parler, de rire, de boire et de
manger, avec tout le monde, en pleine insouciance. Mais c’est aussi délicieux de
prendre un peu de recul, et de savourer la situation non plus dans l’action mais
dans la contemplation, dans la position intérieure d’une présence intense et non
réactive… Délicieux d’être comme un solitaire sociable, qui aime être au milieu
des autres, mais qui a besoin, aussi, d’un tout petit peu de distance dans sa tête,
pour mieux apprécier ce qu’il est en train de vivre, avant d’y revenir. Vous savez,
comme le peintre qui suspend son geste, se recule, contemple son tableau
quelques instants, puis s’en rapproche et se remet au travail.
Ainsi sommes-nous, éprouvant parfois le besoin de mettre entre nous et notre
vie un peu d’espace, un peu de recul, non pour nous en protéger mais pour mieux
la savourer…

EXERCICE
Fermez les yeux pour imaginer la scène. Lors
de votre prochain repas avec des gens que vous aimez,
et qui vous aiment, commencez par faire comme d’habitude…
Comme d’habitude : réjouissez-vous d’être là, participez, parlez, buvez, mangez, riez… Mais cette fois, savourez en
conscience : « Quelle chance de me trouver au milieu de ces gens que j’aime,
à bien manger, bien boire, à se parler et s’écouter,
se raconter et se faire rire… À cet instant,
je n’ai plus besoin de rien,
j’ai tout ce dont rêve un être humain… »
Puis prenez du recul dans votre tête…
Commencez par vous taire, restez souriant
(ne fermez pas les yeux, vous vous feriez repérer)…
Respirez tranquillement, tranquillement…
Ne vous attachez plus à rien qu’à respirer toute la joie présente, sentez votre souffle inspirer du bonheur, expirer
du bonheur… Ressentez comment votre corps bénéficie, lui aussi,
de cet instant… Ressentez comme il se détend, comme
de cet instant… Ressentez comme il se détend, comme
il se réjouit… Savourez lentement ce que vous avez
à manger, à boire…
Écoutez le son des conversations ; non plus leur sens,
mais leur son ; non plus les paroles, mais la musique joyeuse
des voix, comme un concert d’humanité et de fraternité… Écoutez le chant des choses, le cliquetis des couverts,
le tintement des verres, comme une symphonie
ou une cacophonie qui émerge
de tous ces petits gestes simples…
Si vous le pouvez, à la fin du repas, prétextez un petit coup
de fatigue, ou l’envie de savourer un instant de sieste,
et éloignez-vous un peu, cherchez un transat ou un siège… Allongez-vous, fermez les yeux et écoutez la rumeur
joyeuse
du groupe, à quelques pas de vous… Laissez ce moment
entrer dans toutes les cellules de votre corps, imprégner
tous les circuits de votre mémoire, afin qu’il reste en vous
pour toujours… Pour toujours…


CONSEILS
• Ils sont nombreux, les moments joyeux que nous pouvons savourer au milieu
de proches ou d’amis. Nous pouvons les goûter en nous engageant pleinement,
de tout cœur, dans l’action, la discussion, les jeux, les tâches, les échanges. Et
nous pouvons aussi les savourer d’un peu plus loin, dans le recul et la
contemplation.
• Ce sont deux voies d’accès au bonheur d’exister, et il n’y a rien de plus sérieux
que de nourrir ce bonheur-là.

18
« Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini
me montera dans l’âme. »
ARTHUR RIMBAUD


REGARDER
LES HUMAINS
AVEC TENDRESSE

L
es humains sont des êtres de lien et d’amour.
Sans liens forts, nous ne survivrions pas dans la nature : nous
sommes biologiquement trop mal équipés en tant qu’espèce vivante.
C’est pour cela que Montesquieu écrivait que « l’homme est un
animal sociable ». Il n’a pas le choix.
Mais sans amour, nous ne survivrions pas non plus. Lorsque le petit humain
vient au monde, il est inachevé, c’est une larve ; notre espèce se reproduit ainsi,
par néoténie. La petite larve deviendra un enfant autonome et débrouillard si elle
reçoit de l’amour. L’amour reste ainsi dans notre mémoire un besoin permanent
et vital, et le plus beau don que l’on puisse faire, ou recevoir.
Cet amour peut prendre de nombreux visages ; celui de la compassion, par
exemple. Dans son Dialogue des morts, Fénelon écrit ceci : « La compassion est
un amour qui s’afflige du mal de la personne qu’on aime. » On est sensible à la
souffrance d’autrui pas simplement pour s’en attrister, mais aussi pour y puiser
l’élan afin de l’aider de son mieux, par un sourire, une parole, un geste…
Il y a aussi le visage de l’affection, de la tendresse. Comme la compassion, la
tendresse n’a pas à être sélective, à choisir vers qui elle va se tourner ; nous
pouvons éprouver de la tendresse pour presque tous les humains. Je dis
« presque » pour ne pas nous compliquer la tâche : laissons aux saints et aux sages
le soin d’aimer les assassins, les violents et les méchants. Contentons-nous
d’aimer l’humanité ordinaire dont nous faisons partie, tantôt adorable, tantôt
détestable.
La méditation peut nous y aider, et voici comment…

EXERCICE
Asseyez-vous dans un endroit où passent des humains :
une place, une rue, une plage…
Reliez-vous à cet instant… à votre expérience de cet instant…
à tout ce qui se passe en vous et autour de vous, tranquillement, sans vous attacher à rien d’autre qu’à la qualité
de votre présence, ici et maintenant.
Observez vos frères et sœurs en humanité, de tous âges
et de toutes apparences, de toutes appartenances,
et de toutes apparences, de toutes appartenances,
qui passent sous vos yeux…
Voyez comment votre esprit tend tout de suite à les juger : certains vous semblent beaux et sympathiques,
d’autres moches ou désagréables…
Laissez filer ces jugements, laissez-les vivre leur vie…
ne les combattez pas, ne les alimentez pas… passez juste,
tout doucement, à autre chose…
À ceci, par exemple : tous ces humains qui vont et viennent
ont souffert… Comme l’écrit le poète Christian Bobin :
« Quelle que soit la personne que tu regardes, sache
qu’elle a déjà plusieurs fois traversé l’enfer. » Tous ces humains ont pleuré, ont connu le malheur, des trahisons,
des abandons. Parmi les plus âgés, beaucoup sont malades, ont vu mourir
des proches… Tous vont mourir un jour, peut-être prochain,
tous vont pleurer et trembler quand ils vont le comprendre. Comme vous, comme moi, comme nous tous…
Même ceux qui vous agacent, même les vantards,
même les bruyants : tous ne sont que de petites choses fragiles
et mortelles… tous méritent notre tendresse
et notre compassion…
Puissent-ils être protégés de la souffrance, puissent-ils
être aussi heureux que possible durant leur séjour
sur cette terre, puissent-ils rendre heureux le plus d’humains possible tout autour d’eux…


CONSEILS
• Nous pouvons parfois être déçus, agacés ou agressés par les autres. Mais nous
pouvons aussi commencer par les aimer, sans naïveté, avec sincérité.
• Commencer par les aimer, puis voir ce que cela donne.
• Nous pourrons alors continuer, ou non, de porter sur eux un regard
bienveillant, libre à nous, mais commençons toujours par donner et par aimer,
car la fraternité est le meilleur de tous les chemins qui mènent à autrui.


19
« Ce n’est plus d’être heureux
que je souhaite, mais d’être conscient. »
ALBERT CAMUS


À CET INSTANT,
JE SUIS VIVANT

L
a méditation nous encourage à être pleinement conscients de tout ce
que nous vivons, elle nous invite à ouvrir les yeux sur tout ce qui
compose notre existence.
Ouvrir les yeux plus grand permet de mieux voir. Mieux voir les
aspects tragiques de notre vie et de la vie humaine (même si ce regard
affûté sur le malheur, nous le possédons déjà), mais aussi et surtout ses aspects
merveilleux et tout ce qui peut nous rendre heureux (car cela, nous le négligeons
souvent).
Les philosophes nous disent – et ils ont raison – que le seul bonheur possible
ici-bas est un bonheur qui prend en compte les éléments tragiques de la vie
humaine, que le seul bonheur possible ici-bas ne peut être un bonheur aveugle,
qui fermerait les yeux sur les souffrances et les malheurs, mais un bonheur lucide,
qui sait que le malheur existe et qui s’efforce, lui aussi, d’exister malgré tout. Sans
la force du bonheur, nous ne pourrions pas affronter le malheur. C’est ce qui
arrive aux personnes déprimées : elles ont perdu leur énergie, elles ont perdu la
joie d’être en vie, même si rien n’est jamais simple ni facile.
Pour traverser notre existence, inutile de vouloir à tout prix s’aveugler, ne pas
regarder le malheur en face, mais plutôt s’efforcer de cultiver sa conscience du
bonheur, de renforcer sa joie d’exister, d’être en vie. Voici comment…

EXERCICE
Prenez conscience de ce qui compose votre expérience
à cet instant : souffle… corps… sons… pensées…
Prenez conscience aussi que beaucoup de malheurs,
de difficultés, de souffrances ont traversé votre vie.
Si des émotions de tristesse, de peur, de colère… se manifestent, permettez-leur d’être là, mais continuez de
rester dans le réel
de votre souffle, et de votre corps…
Respirez, respirez, en pleine conscience…
Prenez conscience que vous êtes en vie, à cet instant,
que le monde suit son cours, que la Terre tourne sur elle-même, que le Soleil éclaire une moitié de la planète, que
les abeilles butinent et font leur travail, que des oiseaux chantent,
que des enfants jouent, qu’il y a des gens qui vous aiment
et que vous aimez… Conscience qu’à cet instant,
et que vous aimez… Conscience qu’à cet instant,
vous êtes vivant…
Quoi qu’il se soit passé hier, quoi qu’il arrive demain,
à cet instant, vous êtes vivant…
Vous êtes vivant, et vous pouvez agir, pour vous, pour les autres, autant que vos énergies et vos ressources vous le
permettent…


CONSEILS
• Le premier et le plus profond des éléments qui fondent notre bonheur, c’est le
sentiment d’être vivants. N’attendons pas de nous trouver aux portes de la mort,
ou confrontés à la maladie grave, pour réaliser que vivre est merveilleux.
• Régulièrement, dans nos journées comme dans nos vies, arrêtons-nous.
Relions-nous à notre souffle, à notre corps, à la vie qui s’écoule en nous.
• Rappelons-nous que, pour l’instant, quoi qu’il arrive, nous sommes en vie.
Qu’un jour cette vie nous sera retirée et qu’en attendant il n’y a pas lieu de nous
en inquiéter à l’avance, mais plutôt de la vivre, de toutes nos forces.

20
« Celui qui atteint son but
a manqué tout le reste. »
ADAGE ZEN


TELOS
ET SKOPOS

I
maginez un archer qui ajuste son tir pour atteindre une cible. D’après vous,
à quoi doit-il s’attacher le plus ? À vouloir à tout prix atteindre la cible ? Ou
bien à s’efforcer de réussir au mieux le geste de son tir ? Depuis l’Antiquité,
les philosophes, et notamment les stoïciens, recommandent à l’archer de
s’attacher davantage à l’accomplissement du geste plutôt qu’à l’atteinte du
résultat, au telos plutôt qu’au skopos. Skopos, en grec, c’est l’atteinte de la cible.
Telos, la perfection du geste.
Le skopos, résultat de nos actions, ne dépend pas que de nous : il peut y avoir un
coup de vent, un bruit qui nous fait sursauter, et notre flèche passera à côté,
même si nous avons bien visé. Le telos, en revanche, la qualité de nos efforts,
dépend de nous : nul autre que nous ne peut respirer lentement, tendre son arc
en veillant à ne crisper aucun muscle, stabiliser l’œil de son esprit sur la cible, là-
bas, au loin.
Pouvons-nous cultiver cet état d’esprit ?

EXERCICE
Asseyez-vous, respirez tranquillement, et écoutez
ce qui va suivre, en laissant naître en vous images, pensées, souvenirs, sensations…
En Occident, nous agissons pour obtenir des résultats.
Nous nous engageons rarement dans l’action
pour le simple plaisir de l’action, sauf peut-être
dans le sport (nous courons mais
nous n’allons nulle part) ou dans l’amour
(nous donnons sans attente obsédante de retour).
Pourtant il est précieux d’apprendre à agir non
dans l’indifférence du résultat (le skopos)
mais dans l’attention portée à la qualité
et à la beauté de l’effort (le telos).
Par exemple, souvenez-vous de toutes les fois où vous avez passé un examen scolaire, universitaire, ou un
entretien d’embauche. Avez-vous connu l’inquiétude de ne pas réussir ? C’est-à-dire, avez-vous accordé trop
d’importance au skopos ?
Et n’auriez-vous pas mieux fait de vous centrer plutôt sur le telos : accomplir aussi bien que possible ce que vous
aviez alors à faire ? Vous détacher de l’obsession du résultat pour vous attacher
à tout ce qu’il y a à accomplir pour s’en rapprocher ?
Dans cet esprit, le but n’est alors pas de réussir, mais d’agir
au mieux (pour ce qui dépend de nous) et de s’en remettre
à la providence (pour ce qui n’en dépend pas).
Qu’il s’agisse de s’endormir, de se rendre heureux,
de réussir quelque chose, plus nous lâcherons le résultat
et plus nous nous attacherons à bien accomplir le geste
et à réunir les conditions favorables, mieux cela se passera…


CONSEILS
• Lorsque nous arrêtons le cours de notre vie pour méditer, nous ne visons pas
un objectif particulier (nous détendre, faire le vide dans notre tête), mais nous
nous attachons à bien faire ce qui nous est demandé par la méditation elle-
même : nous rendre présents à notre souffle, à notre corps, aux sons, observer le
passage des pensées. Nous savons alors que tout ce qui doit advenir viendra. C’est
facile de le comprendre, mais difficile à mettre en œuvre, surtout si les résultats
nous tiennent à cœur. La méditation peut nous aider à nous rapprocher de cette
sagesse.
• Quand nous sentons monter en nous l’obsession de la performance, asseyons-
nous, respirons, ressentons les crispations du corps et de l’esprit trop fortement
tournés vers l’atteinte du résultat, vers le skopos. Et amenons doucement au centre
de notre attention le telos, tout ce que nous avons à faire pour qu’advienne ce que
nous espérons.
• Il n’y a rien à réussir, il n’y a qu’à agir de notre mieux. Puis lâcher tout cela,
pour respirer, sourire, et vivre.
21
« Nous ne sommes pas seulement
agrippés aux choses par nos mains,
mais aussi par notre esprit. »
JON KABAT-ZINN


DU BON USAGE DES ÉCRANS

N
ous vivons une époque formidable ! Notamment grâce aux écrans
de nos téléphones et de nos ordinateurs, qui nous offrent un accès
rapide et permanent à toutes sortes d’informations et de
possibilités d’échanges à distance.
Une époque formidable donc, sauf que l’usage que nous faisons
de ces écrans semble largement dépasser ce qui serait souhaitable. Il y a un calcul
simple à ne jamais oublier : le temps passé sur les écrans est forcément du temps
volé à d’autres activités, souvent bien plus vitales pour nos équilibres.
Par exemple, le temps que nous consacrons à nos écrans le soir, une fois
revenus du travail ou de l’école, est du temps qui est pris sur nos moments
d’échanges familiaux et sur notre sommeil, deux activités fondamentales pour
notre équilibre. Une question se pose alors : est-ce que les formidables progrès
technologiques que représentent les écrans et Internet se sont accompagnés des
progrès psychologiques qui nous en permettraient un bon usage ? La réponse est
non ! Bien souvent nous ne savons pas résister à un usage compulsif de nos
écrans, et à une boulimie absurde de leurs contenus.
Mais tout n’est pas perdu ! Par exemple, j’ai régulièrement observé que la
pratique de la méditation est un des plus puissants antidotes qui soient pour nous
protéger de la folie digitale.

EXERCICE
Asseyez-vous, tournez votre attention vers votre souffle,
prenez le temps de ressentir les mouvements de votre poitrine et de votre ventre, à chaque expiration, à chaque
inspiration, respirez, rendez-vous présent à cet instant…
Maintenant, posez-vous la question : que faites-vous, par réflexe, toutes les fois où vous avez un moment pour
attendre,
si vous êtes en avance à un rendez-vous, si vous êtes en pause
à votre travail, si vous attendez un bus ou un train ?
Avez-vous le réflexe de sortir votre téléphone de votre poche, comme ça, pour lire ou envoyer un message, pour
jouer,
pour voir ? Sincèrement, à cet instant, ne feriez-vous pas mieux de relever la tête, de respirer et de regarder le ciel,
en vous détendant et en relâchant vos épaules ?
Autre question : que faites-vous lorsque vous êtes en train
de parler à un autre humain et que votre portable sonne
alors que vous n’attendez aucun appel urgent ? Est-ce
que vous faites patienter l’humain véritable en face de vous
pour répondre, même brièvement, à la machine qui vous hèle ? Ne feriez-vous pas mieux de continuer votre
échange
et de laisser le répondeur du téléphone faire son travail
de répondeur, et vous garder le message pour plus tard ?
Encore une question, la dernière : quel est votre premier geste
le matin ? Prendre les nouvelles du monde
et de votre réseau social sur vos écrans ?
Ou bien vous étirer, sourire et vous réjouir d’être en vie,
faire un peu de gymnastique ou vous asseoir pour méditer ?
Je n’ai pas de leçon à vous donner, bien sûr ; juste, en tant
que médecin, à attirer votre attention sur un phénomène
qui est bien loin d’être anodin…
Au fait, où en êtes-vous avec votre souffle, maintenant,
à cet instant ? Êtes-vous toujours bien relié à la conscience
de votre respiration ? À la conscience de votre corps ?


CONSEILS
• Nous passons trop de temps sur nos écrans, beaucoup trop. Nous avons des
excuses. D’abord, les écrans nous font accéder sans effort à des choses
passionnantes. Ensuite, nous sommes violemment manipulés par les firmes qui
commercialisent ces écrans et leurs contenus, car il y a beaucoup d’argent à
gagner en captant notre attention. Enfin, tout cela est arrivé très vite dans nos
vies : nous avons été séduits et rendus dépendants, et nous n’avons pas saisi les
dégâts possibles sur nos modes de vie…
• Mais le temps d’écran est du temps volé à nos moments de repos, de rêverie,
d’attention au monde et aux humains tout autour de nous. Il ne s’agit pas de
renoncer totalement aux écrans, mais de les considérer comme l’alcool ou les
desserts : ils sont délicieux mais dangereux, et donc à consommer avec
modération, c’est-à-dire avec prudence et intelligence. À nous de faire en sorte
que les écrans ne soient pas un obstacle entre le monde et nous, mais un lien,
parmi bien d’autres liens. C’est largement à notre portée, n’est-ce pas ?

22
« Je faisais la soupe à merveille ;
j’en recevais de grands compliments,
surtout quand je mêlais à la ratatouille
du lait et des choux, à la mode
de Bretagne. »
CHATEAUBRIAND


PRÉPARER UNE RATATOUILLE

A
ccomplir les actes de notre quotidien en pleine conscience, cela fait
partie intégrante de la pratique de la méditation. Il n’existe pas de
frontière entre les exercices assis, les yeux fermés, et ce qu’on
appelle bizarrement la « vraie vie ». Seuls les novices font la
différence, là où les maîtres savent que toute action peut être
occasion de pleine conscience. Et doit l’être, le plus souvent possible. Un manuel
de méditation célèbre s’intitule Après l’extase, la lessive. Il nous rappelle que nous
serons plus souvent amenés à faire la lessive qu’à connaître l’extase. Alors, autant
apprendre à nous approcher de l’extase en faisant la lessive, ou en faisant la
cuisine. Une bonne ratatouille, par exemple.

EXERCICE
Assurez-vous que vous disposez de suffisamment de temps
pour préparer votre ratatouille, car il n’y a rien de pire
et de moins méditatif qu’une recette que l’on doit accomplir dans la précipitation. Lorsqu’on manque de temps,
ou qu’on croit en manquer, alors même les choses agréables deviennent stressantes… Si vous êtes pressé, laissez
tomber… mieux vaut décongeler des surgelés puis aller vous asseoir
au soleil, pour respirer au calme quelques minutes…
Retour à la ratatouille, en pleine conscience de votre respiration, de votre corps, avec même, peut-être, un léger
sourire…
Ne vous jetez pas sur vos légumes pour les découper,
mais regardez-les tendrement… Admirez leurs formes,
leurs couleurs…
Prenez-les en main, percevez leur poids, leur texture,
reniflez-les…
Bien sûr, vous en avez déjà vu beaucoup, des tomates,
des poivrons, des courgettes, des aubergines, des gousses d’ail, des branches de thym… Mais pas celles-ci
précisément.
Celles-ci, vous les voyez pour la première et la dernière fois…
Accordez-leur toute votre attention… Prenez conscience
de la merveille que représente leur présence devant vous, conscience de tous les efforts que des humains ont
accomplis pour les semer, les soigner, les cueillir, les amener à vous.
Conscience du miracle de leur existence, à tous ces légumes : ils ont été hébergés et nourris par la terre, chauffés
par le soleil, désaltérés par l’eau, visités par les insectes pollinisateurs…
Tranchez-les respectueusement, écoutez le bruit généreux
de leur corps qui s’ouvre, portez les morceaux à votre nez,
et sentez leurs nouvelles odeurs, venues de l’intérieur…
Plongez-les dans la casserole, écoutez le bruit de leur cuisson, reniflez encore leur fumet qui se modifie et se
complexifie…
Tout à l’heure, ou demain, n’oubliez pas de savourer
votre ratatouille avec lenteur et recueillement, au moins
les premières bouchées…


CONSEILS
• Méditer, ce n’est pas se couper du monde, mais se relier à lui avec encore plus
de conscience, et donc encore plus d’amour et de gratitude. Certes, on se met
souvent à l’écart pour apprendre à méditer, ou pour approfondir sa pratique, mais
la finalité de la méditation, c’est d’aimer le monde et de mieux l’habiter.
• La pratique méditative nous apprend peu à peu à transformer chacun des
gestes de notre quotidien en acte de conscience, de présence, d’intelligence. En
prenant notre douche le matin, en préparant un repas, en lisant une histoire à un
enfant, en accomplissant toute tâche. En nous rendant ainsi présents, nous
pouvons prendre la mesure de la beauté et de l’intérêt de ce que nous faisons.
• Et tout deviendra alors beau et intéressant, parce que vivre est beau et
intéressant…


23
« J’écoute le chant de l’oiseau
non pour sa voix,
mais pour le silence qui suit. »
YONE NOGUCHI


ÉCOUTER
LA RUMEUR
DU MONDE

S
ans toujours nous en rendre compte, nous évoluons dans un bain
sonore permanent, comme les poissons évoluent dans l’eau. Et
comme les poissons ont besoin de l’eau, nous avons besoin des sons :
le silence absolu est anormal à nos oreilles et effrayant à notre esprit.
Quelquefois les sons nous charment et nous apaisent ; quelquefois ils
nous heurtent et nous déplaisent. Dans tous les cas, ils sont là, quoi que nous
voulions et quoi que nous fassions. Nous pouvons fermer nos yeux, mais pas nos
oreilles.
En pleine conscience, nous travaillons beaucoup à l’écoute des sons du monde,
et à la manière dont nous y réagissons : cela nous permet de mieux comprendre le
fonctionnement de notre esprit.

EXERCICE
Là où vous êtes, tendez l’oreille, maintenant…
Ne faites plus de bruit vous-même, n’ajoutez pas, à cet instant,
au bruit du monde…
Vous pouvez fermer les yeux pour mieux écouter.
Mais vous n’êtes pas obligé. C’est comme vous le sentez…
Prenez conscience du bain sonore dans lequel
vous vous trouvez. Il est différent, selon que vous êtes
à cet instant en ville ou dans la nature, selon que les lieux
sont ouverts sur l’extérieur ou fermés, selon l’heure du jour,
la saison. Mais quoi qu’il en soit, écoutez bien tout ce qui est là.
Quels sont les sons qui ne font que passer ? Et quels sont ceux
qui sont constants ou qui reviennent, régulièrement ?
Voyez comment votre esprit se mêle des sons : n’êtes-vous pas en train de penser sur les sons ? De les juger ? Par
exemple : celui-ci est agréable, celui-là, désagréable… Ou de les associer
à des images ? Le bruit d’une ambulance vous fait penser
à un accident, celui d’une conversation à telle ou telle personne…
Lorsque vous notez que des pensées se sont accrochées
aux sons, de votre mieux, revenez aux sons eux-mêmes,
à leurs caractéristiques premières : d’où viennent-ils ?
Sont-ils fixes ou se déplacent-ils ? Sont-ils permanents ou plus
ou moins intenses ? Prenez le temps d’observer les sons juste pour ce qu’ils sont, et plus pour ce qu’ils signifient…
En travaillant ainsi à différencier les sons et les pensées
qu’ils font naître à votre esprit, vous musclez vos capacités
de discernement, pour toutes les fois où vos pensées tenteront de se substituer aux éléments du réel, pour vous
entraîner
dans des mondes virtuels, qu’ils soient ceux de la rêverie
ou de l’inquiétude…
Et vous apprendrez aussi à goûter à la saveur et à la profondeur de la mélodie du monde. Écoutez combien les
sons du matin sont différents de ceux du soir, combien les sons de la pluie révèlent un tout autre univers que ceux
d’un plein midi…


CONSEILS
• Où que vous soyez, prenez régulièrement le temps d’écouter, juste écouter.
Soyez simplement une présence, un être vivant qui écoute la rumeur du monde.
• Et surtout, surtout, à chaque fois que vous vous trouvez dans la nature,
plongez-vous autant que possible dans cette écoute. Rendez-vous présent à tous
ces vieux sons bienveillants de nos racines animales : chant des oiseaux ou bruit
des vagues, passage du vent dans les branches, échos lointains de paroles
humaines…

24
« Nous sommes tous des farceurs,
nous survivons à nos problèmes. »
CIORAN


ANGOISSES,
INQUIÉTUDES
ET RUMINATIONS

L
’esprit humain est merveilleux. Il nous permet de réfléchir, de
conceptualiser, de nous projeter dans le futur, de revenir sur le passé.
Il nous permet d’imaginer des choses qui n’existent pas, de construire
des univers virtuels à partir de tout petits bouts de réel.
C’est merveilleux lorsque tout va bien. Mais ces mêmes capacités
peuvent aussi nous entraîner dans des torrents d’angoisse. Leur aptitude à nous
projeter dans un futur qui n’existe pas encore (et qui n’existera peut-être jamais)
et à revenir inlassablement sur les événements passés peut nous détruire si elle est
détournée et asservie par notre anxiété.
Voici une manière possible de traverser ses inquiétudes…

EXERCICE
Laissez venir à votre esprit une difficulté
qui vous tracasse en ce moment.
Laissez-la prendre autant de place qu’elle le souhaite
dans votre esprit. Ne la combattez pas…
C’est comme si vous étiez pris dans le courant d’un torrent
très puissant, le torrent de l’anxiété : pour ne pas vous épuiser, pour ne pas vous noyer, ne luttez pas, acceptez de
vous laisser porter par ce courant dans un premier temps.
Puis dirigez-vous doucement vers la berge, et asseyez-vous
sur le bord. Le torrent est toujours là,
mais vous le regardez passer, au lieu d’être immergé.
Pour faire cela avec le torrent de votre anxiété, simplement, tournez doucement votre attention vers votre
souffle…
votre corps… accostez sur la berge
de la pleine conscience de cet instant.
Il y a les pensées et images anxieuses, bien sûr, qui vous affolent… mais il y a aussi votre souffle… votre corps… les
sons… le monde qui vous entoure : plus vous vous tournerez
vers tout cela, mieux cela vaudra…
Ne vous posez pas de questions pour l’instant
sur les « pourquoi », les « ensuite », les « que faire ? ».
En ce moment, vous n’avez qu’à respirer, à sentir la vie
en vous, maintenant ; rien d’autre.
Vous n’avez qu’à prendre le temps de vivre cet instant,
juste cet instant… et à reprendre des forces, sur la berge
de votre anxiété, et à respirer encore et encore…


CONSEILS
• L’anxiété n’est pas un délire, mais une amplification et un emprisonnement.
Certes, les points de départ de nos inquiétudes se situent bien dans le réel, mais
si l’angoisse s’en saisit, elle nous entraîne alors dans le virtuel, le virtuel des
déformations et des dramatisations, puis celui du désespoir. Nous pouvons dans
ces moments perdre quelque temps tout contact avec le monde et la raison.
• Alors, il faut juste commencer par revenir dans le réel, pour nous accorder un
premier temps d’apaisement et de recul. Le réel, c’est notre souffle, notre corps,
les sons, et l’univers de l’instant présent. Le réel, c’est la cellule de dégrisement
pour nos angoisses, ces cuites d’affolements et d’inquiétudes. Le réel, le concret,
c’est ce qui va nous arracher au torrent de l’anxiété où nous sommes en train de
nous noyer.

25
« Autrefois, j’avais peur d’agir
quand c’était dangereux. Aujourd’hui,
j’ai peur de l’action, ou plutôt
j’ai le goût de l’inaction. »
JULES RENARD


NE RIEN FAIRE

D
ans la méditation, on demande souvent aux participants de se
désengager des actions et des distractions, et de ne rien faire. Ne
rien faire, cela ne consiste pas à somnoler ou à rêvasser, mais à
rester pleinement éveillé dans la non-action. Le cerveau des
méditants, tel que nous pouvons l’observer par les techniques
modernes d’électroencéphalographie ou de neuro-imagerie, est un cerveau très
actif ! Car la non-action, ce n’est pas l’inaction, c’est une pleine activité intérieure
dans la non-activité
extérieure. C’est un plein éveil ! On ne fait rien, mais on ressent tout, on voit
tout, on écoute tout. Comme le dit le philosophe André Comte-Sponville, en
parlant de la méditation zen : « Certes, il s’agit de ne rien faire, mais à fond. »
Pourquoi est-ce intéressant de découvrir le goût de la non-action ? D’abord,
parce que c’est inhabituel ! Et c’est bon, parfois, d’être dans l’inhabituel ! Ensuite,
parce que des zones spécifiques de notre cerveau ne s’activent que lorsque nous
ne faisons rien. L’ensemble de ces zones s’appelle le « réseau par défaut », et joue
un rôle important dans nos capacités d’introspection, de créativité, d’empathie.
Ainsi, la non-action rejoint ce qu’on appelle dans les traditions religieuses et
spirituelles l’attitude contemplative : une présence au monde dans laquelle on
n’accomplit aucune action, on ne poursuit aucun désir.
Essayons ensemble…

EXERCICE
Tout ce qu’il y a à faire, c’est de ne rien faire…
laisser venir… laisser émerger…
Arrêtez d’agir… ou de vouloir… ou d’espérer… ou d’attendre…
Attachez-vous simplement à être présent…
Faites un pas de côté pour prendre conscience de cet instant… passez sur le mode « être » plutôt que de rester
sur le mode « faire »… sur le registre du « ressentir » plutôt que sur
celui du « réfléchir »…
Laissez doucement émerger en vous toutes les sensations liées
à votre respiration… toutes les sensations liées à votre corps…
Laissez venir tous les sons sans vous attacher
à aucun d’entre eux…
Laissez circuler toutes les pensées sans vous accrocher
à aucune d’entre elles…
à aucune d’entre elles…
Vous n’avez aucun objectif à poursuivre, rien à faire,
nulle destination à atteindre…
Vous avez déjà tout ce qu’il vous faut, vous êtes déjà arrivé là
où vous deviez arriver… vous êtes juste les deux pieds
dans votre vie…
Restez-y… encore un peu…


CONSEILS
• Il y a des tas d’occasions de ne rien faire dans nos vies, même si nous sommes
pressés ; et surtout si nous sommes pressés ! La non-action peut prendre place
dans la bousculade, plus facilement qu’on ne le croit. Dans les files d’attente, les
salles d’attente, les quais de gare et halls d’aéroport, nous pouvons profiter de ces
instants pour ne rien faire, au lieu de téléphoner, de ruminer ou de regarder un
écran.
• Dans ces moments, au lieu de remplir encore notre cerveau de choses à faire
ou à penser, le laisser respirer, l’emmener là où il ne va jamais. Par exemple, dans
l’univers de la non-action, de la présence au monde immobile et éveillée. Vous
allez voir, ça va beaucoup lui plaire…

26
« L’esprit et le corps
sont-ils séparés ? Et si oui,
lequel vaut-il mieux choisir ? »
WOODY ALLEN


S’ÉTIRER EN PLEINE CONSCIENCE

N
ous passons trop de temps assis, nous avons tout à portée de main
ou de clic, et nous négligeons notre corps… À cela s’ajoute notre
tendance à trop mentaliser et à ne pas assez ressentir, bref notre
tendance à nous prendre pour de purs esprits.
Or, nous ne sommes pas de purs esprits ! Nous sommes des
esprits dont le destin est étroitement lié, du moins ici-bas, à celui de notre corps,
et nous avons à respecter les besoins de ce dernier. D’où la présence d’exercices
d’étirements lents, en pleine conscience, dans tous les programmes de
méditation.
En voici un petit exemple…

EXERCICE
Mettez-vous debout… bien droit… épaules ouvertes…
et rappelez-vous de ne jamais forcer, surtout
si vous n’avez pas l’habitude de solliciter votre corps…
Soyez bien à l’écoute de vos sensations, avant,
pendant et après le mouvement…
Levez doucement vos deux bras vers le ciel, lentement ;
une fois arrivé en haut, restez quelques instants
dans cette position, en respirant bien, en cherchant à monter
les mains le plus haut possible, puis redescendez
tout doucement les bras, en vous arrêtant à mi-chemin,
quand ils sont tous les deux à l’horizontale… respirez
et observez alors toutes les sensations présentes
dans vos bras, vos épaules et tout votre corps.
Laissez maintenant vos bras descendre
jusqu’en bas, laissez-les aller le long du corps,
sans effort… Ressentez ce qui se passe…
Respirez bien, puis reprenez l’exercice,
de la même manière,
mais cette fois-ci, un bras après l’autre…
Vous pouvez aussi inventer vous-même
les étirements dont votre corps a besoin :
vous mettre sur la pointe des pieds,
en levant les bras au ciel, puis sur la pointe
du pied droit, puis du gauche, etc. La seule règle
est de ne pas forcer, de respirer dans le mouvement,
et d’aller doucement pour bien ressentir, attentivement,
les sensations au fur et à mesure
de leurs apparitions et disparitions…


CONSEILS
• Plus notre vie est sédentaire, plus nous avons intérêt à faire régulièrement de
telles pauses, à nous étirer, toutes les heures par exemple si nous travaillons assis
à un bureau, ou lors des voyages en voiture, en train, en avion.
• Le matin, à notre réveil, plutôt que nous jeter sur notre ordinateur, notre
douche ou notre bol de café, ouvrons la fenêtre et étirons-nous. Nous ferons ainsi
du bien à notre corps et à notre esprit, c’est-à-dire à tout notre être.

27
« La gratitude se réjouit
de ce qu’elle doit, quand l’amour-propre
préférerait l’oublier. »
ANDRÉ COMTE-SPONVILLE


GRATITUDE

L
a gratitude, c’est la conscience de ce qu’on doit à autrui, et le fait que
cette conscience s’accompagne d’un sentiment agréable.
Si l’on y réfléchit un peu, la gratitude est un sentiment vertigineux.
Car en général, tout, ou presque tout, ce qui compte dans notre vie,
nous le devons à autrui, au moins en partie.
C’est pourquoi ne pas reconnaître joyeusement et humblement tout ce que l’on
doit aux autres est une erreur, et une illusion. Alors que l’accepter et se réjouir
nous rend plus lucides, plus forts et aussi plus heureux.
C’est pour cela que le travail sur la gratitude fait partie de nombreux exercices
de la tradition méditative… Comme celui qui va suivre…

EXERCICE
Asseyez-vous, fermez les yeux,
installez-vous dans l’instant présent.
Reliez-vous tranquillement à votre respiration… à votre corps… aux sons qui vous entourent… reliez-vous à tout ce
qui est là,
quoi que ce soit… À cet instant, soyez simplement présent
au monde tel qu’il est…
Et doucement, laissez venir en vous, dans le désordre,
les visages des personnes qui vous ont aidé, de près ou de loin,
à un moment ou un autre de votre vie…
Parents, enseignants, proches, amis, collègues,
parfois peut-être de parfaits inconnus…
Prenez conscience qu’ils ont choisi, à un moment de votre vie,
de vous donner de leur amour, de leur attention, de leur temps, de leurs conseils, de leur aide matérielle…
Rien ne les y contraignait, ils auraient pu ne pas le faire ;
mais ils l’ont fait…
Prenez le temps de revoir leurs visages, de laisser monter
les images et les souvenirs associés à ces personnes,
et à l’aide qu’elles vous ont apportée… Respirez bien
avec ces images, ces visages, laissez le sentiment de gratitude
se répandre dans votre esprit, votre cœur et tout votre corps…
Souriez… Souvenez-vous que chacune de ces personnes
vous a aimé à sa façon… toutes ces aides, grandes ou petites, étaient des actes d’amour, d’affection, de sympathie,
de bienveillance, de tendresse, d’amitié… Tout ceci
vous a été donné… n’est-ce pas bouleversant ?

CONSEILS
• La gratitude est une vertu qui nous ouvre les yeux. Sans les autres, nous ne
sommes rien, ou pas grand-chose.
• N’oublions jamais ce qui nous a été donné et n’oublions pas non plus de
remercier celles et ceux qui nous ont donné, puis de redonner, à notre tour.
• Nous pouvons régulièrement ouvrir un espace de gratitude à notre esprit.
Chaque soir, en nous endormant, en pensant à tout ce que nous avons reçu des
autres aujourd’hui. Ces autres qui nous agacent ou nous blessent parfois, mais à
qui, aussi, nous devons tant.

28
« La vie nous offre des tas d’occasions
de nous presser, d’accélérer, de nous
dépêcher et de faire tout un tas de bêtises…
Ces occasions, c’est à nous
de ne pas les saisir ! »
UN DE MES PATIENTS


RÉPONDRE
OU RÉAGIR ?

N
otre société nous incite volontiers à aller vite, à réagir rapidement,
sans trop réfléchir. Elle promeut la réactivité comme une qualité,
une vertu ; quelqu’un qui réagit vite à nos demandes, c’est
quelqu’un de bien ! Mais la réactivité n’est pas une vertu !
Dans la méditation, on fait ainsi une différence soigneuse entre
répondre et réagir. Réagir, c’est se comporter comme une bestiole, ou un chien de
Pavlov : on me stimule, je réagis, automatiquement, sans réfléchir. Répondre,
c’est prendre le temps d’examiner ce qui se passe, de comprendre ce qui nous est
demandé, et de décider quelle est la meilleure attitude à adopter.
Souvent, nous ne prenons pas le temps de répondre, parce que réagir va plus
vite et demande moins d’efforts sur le moment. Ce n’est pas toujours un bon
calcul.
Alors, répondre ou réagir ? Prenons un peu de temps pour bien répondre à cette
question…

EXERCICE
Redressez-vous doucement, respirez tranquillement,
souriez doucement…
Et songez à ceci : êtes-vous vraiment obligé de réagir
tout de suite à ce mail, ce SMS, ce coup de téléphone ?
Êtes-vous vraiment obligé de décider maintenant
si vous faites cet achat coûteux (bien que le vendeur
vous mette la pression) ?
Êtes-vous vraiment obligé de donner votre avis, ou de prendre une décision tout de suite, dans cette affaire
compliquée ?
Non… le plus souvent, vous n’êtes pas obligé de réagir si vite…
Pour répondre, plutôt que réagir, il faut prendre le temps
de voir naître en soi la réaction impulsive… Il faut se donner
un peu de temps, se poser, respirer, et observer…
Ce temps de discernement suppose de s’arrêter et de s’écouter, en entier, face à la sollicitation qui nous tombe
dessus… D’écouter, comme toujours, son souffle, son corps : comment réagit-il ? Que nous dit-il à propos de cette
pseudo-urgence ? Est-ce qu’elle le met en joie ou en stress ?
Prendre le temps d’observer ses pensées et ses impulsions…
de respirer encore et encore…
de respirer encore et encore…
Puis décider de ce que l’on va faire, décider de répondre lucidement au lieu de réagir instinctivement…


CONSEILS
• Finalement, il y a une question à toujours se poser : ce que je m’apprête à
faire, est-ce une réponse (qui vient de moi) ou une réaction (qui vient de la
pression qu’on exerce sur moi) ?
• Laissons-nous toujours le temps de décider et ne contribuons pas nous-
mêmes à accroître cette pollution des accélérations inutiles, ne participons pas à
cette contagion des injonctions à faire vite.
• Laissons aussi du temps à nos interlocuteurs,
permettons-leur, à eux aussi, de réfléchir plutôt que réagir. Nous nous ferons du
bien, et nous ferons du bien aussi à ce monde si beau, et parfois si fou.

29
« Insomnie à la campagne. Une fois,
vers 5 heures du matin, je me suis levé
pour contempler le jardin.
Vision d’Éden, lumière surnaturelle.
Au loin, quatre peupliers
s’étiraient vers Dieu… »
CIORAN


L’UTILE ET L’INUTILE : MÉDITATION
DE L’ARBRE

D
ans les premières recommandations que l’on prodigue aux
apprentis méditants figure celle-ci : « Lorsque vous méditez, ne
poursuivez aucun but, renoncez à atteindre quoi que ce soit… »
C’est sans doute un des aspects les plus déconcertants de
l’apprentissage. On se dit alors : « Me dépouiller de mes attentes,
faire des efforts sans poursuivre le moindre but ? Mais sans attentes, sans
objectifs, on ne va nulle part ! C’est inutile ! »
Parce qu’elle se refuse à poursuivre des objectifs immédiats, parce qu’elle se
refuse à être rentable, parce qu’elle déteste les questions du genre : « Si j’investis
du temps et de l’énergie là-dedans, au bout de combien de temps vais-je avoir un
retour sur investissement ? », la méditation peut en effet paraître inutile. Mais
elle propose en réalité une voie détournée et patiente, pour comprendre la sagesse
du monde, avant de prétendre l’asservir.
Voici un exercice – la méditation de l’arbre – concernant ces notions d’utile et
d’inutile…

EXERCICE
Vérifiez que vous êtes bien là, bien présent à vous-même…
Votre corps est ici, certes, mais prenez le temps
de vérifier que votre esprit y est aussi…
Si vous avez un arbre sous les yeux, c’est parfait…
sinon pensez à un arbre que vous connaissez bien,
que vous aimez bien… ou imaginez n’importe quel arbre.
Contemplez-le tranquillement… voyez comme il ne fait rien,
cet arbre, rien du tout… voyez comme il semble inutile…
En réalité, évidemment, il fait beaucoup de choses : il pousse,
il grandit, il filtre l’air, il rejette de l’oxygène, il donne de l’ombre,
il embellit le paysage, il offre un abri aux oiseaux, aux insectes,
il ralentit les vents violents…
Et vous, à cet instant, vous êtes semblable à l’arbre : en train
de méditer, immobile et apparemment inutile… juste là,
à suivre votre respiration qui va et vient… à prendre le temps
de ressentir tout ce qui se passe dans votre corps…
à écouter le murmure du monde…
Et pourtant, tout comme l’arbre, sans rien faire de visible,
sans effort, sans intention directe, vous permettez
à tout un tas de choses importantes et passionnantes
de survenir : vous apportez un peu de calme à ce monde bruyant et agité… vous vous faites du bien en donnant du
répit
à votre esprit… vous cultivez votre sensibilité
et votre discernement…
Simplement parce que vous avez décidé de rester là, immobile, attentif à votre souffle… à votre corps… aux bruits
du monde… laissant filer vos pensées… et ne cherchant rien, n’allant
nulle part… acceptant, pour un temps, de ne rien faire d’utile,
du moins en apparence…


CONSEILS
• Beaucoup de choses changeraient ici-bas si nous nous donnions plus souvent
le droit de ne rien faire, de ne rien produire, de ne rien poursuivre.
• Certes, l’action – certaines actions du moins – aide à changer le monde, aide à
le bousculer, à le détruire pour mieux le reconstruire ; mais la méditation, elle
aussi, aide à changer le monde, en le pacifiant.
• Action et méditation, utile et inutile sont donc tous deux nécessaires pour que
le monde bouge et que la vie continue.

30
« Nous nous faisons beaucoup
de tort les uns aux autres, et puis un jour
nous mourons. »
CHRISTIAN BOBIN


NE PAS FAIRE
DE MAL

N
e pas faire de mal à autrui est un principe fondamental, commun à
toutes les cultures, à toutes les religions, et indispensable à la vie
en société. C’est ce que les philosophes appellent la « règle d’or » :
ne pas faire à autrui ce qu’on ne souhaite pas subir soi-même.
On peut, parfois, faire du mal intentionnellement, mais le plus
souvent c’est par maladresse, par négligence, par égoïsme, par manque
d’attention et de discernement. C’est pourquoi vivre davantage en pleine
conscience peut nous aider à moins faire souffrir les autres.
Toutes les traditions méditatives proposent des exercices centrés sur la
bienveillance et la vigilance quant aux violences ou aux offenses que nous
pouvons infliger à autrui, par manque de discernement, ou par manque de
stabilité intérieure. En voici un exemple…

EXERCICE
Posez-vous, fermez les yeux, laissez votre corps prendre deux
ou trois inspirations tranquilles et profondes…
Prenez conscience de votre souffle… conscience
de vous-même… conscience de l’instant…
« Ne pas faire de mal »… ce n’est pas un programme si difficile, finalement… La vie se chargera de nous faire du
mal.
De la naissance à la mort, chaque humain rencontrera
bien assez de souffrances (maladies, accidents, deuils)…
Alors, pourquoi en rajouter ?
« Ne pas faire de mal »… simplement s’efforcer, de notre mieux, de ne pas mentir, ne pas mépriser, ne pas
agresser,
ne pas humilier…
S’efforcer de ne pas prononcer de paroles offensantes, blessantes… même si nous avons été blessés nous-
mêmes…
Il ne s’agit pas de nous transformer en victimes, subissant
toutes les violences des autres sans jamais riposter ;
mais d’apprendre peu à peu à se défendre des violences,
sans être violents nous-mêmes ; c’est presque toujours possible… Ne jamais renoncer à dire non ou stop,
mais le dire sans intention de faire mal…
Est-ce que vous vous réveillez le matin en vous disant :
« Tiens, aujourd’hui, je vais faire du mal à quelqu’un ? » Probablement jamais… Alors, pourquoi en arriver là,
par manque d’attention, par manque de préparation ?
En vous reliant à votre souffle, à son mouvement tranquille, rappelez-vous simplement, souvent, ceci : « Ne pas
faire
de mal. » Ne pas faire de mal et essayer, chacun à sa manière,
de ne pas ajouter au malheur du monde…
il y en a déjà suffisamment comme cela…


CONSEILS
• Certaines personnes étranges pensent que la non-violence est fade, qu’elle est
une perte de piment existentiel, que les vacheries agrémentent la vie. C’est peut-
être vrai pour elles, mais pas pour la plupart des humains. Faire du mal, dire du
mal, c’est augmenter la souffrance de tout le monde : celui qui a reçu le mal, celui
qui l’a émis, et toute l’humanité qui se trouve alourdie d’une souffrance qui aurait
été évitable, avec un peu plus d’attention, un peu plus d’affection.
• Alors, souvent, le soir, posons-nous la question : « Ai-je fait souffrir
quelqu’un aujourd’hui ? Si oui, pouvais-
je l’éviter ? En me comportant différemment ? En exprimant autrement ce que
j’avais à dire ? » Et le matin, rappelons-nous régulièrement ce souhait, ce
programme simple : « Autant qu’il me sera possible, faire du bien, et ne pas faire
de mal. »
• C’est un programme écologique. De la même façon qu’on ne jette pas ses sacs
plastique ou ses piles usées dans la rivière ou dans la forêt, on ne jette pas ses
vacheries et ses méchancetés dans l’océan des liens humains. Que chacun s’y
applique, de son mieux, et le monde changera.


31
« Si vous avez le temps de respirer,
alors vous avez le temps de méditer. »
AJAHN CHAH, MOINE DE LA FORÊT

ET MAÎTRE DE MÉDITATION


ESPACES
DE RESPIRATION

L
a respiration est au centre de toutes les pratiques de méditation.
Parmi ces pratiques, il est un exercice classique et fondamental, sans
doute l’un des plus pratiqués par les méditants : l’espace de
respiration.
Il s’agit simplement de suspendre toute activité, plusieurs fois par
jour, pour ne rien faire d’autre que respirer, en pleine conscience, selon une
séquence codifiée. Prendre un tel espace de respiration nous permet de nous
reconnecter à nous-mêmes, de nous recentrer, de prendre conscience. Cela
comporte de nombreuses vertus.

EXERCICE
L’exercice prend 3 minutes (mais vous pouvez aussi y passer plus de temps si vous le souhaitez) et se déroule en
trois temps, d’environ une minute chacun.
Arrêtez vos activités ou vos réflexions, adoptez
une posture assise et droite, fermez les yeux si vous le voulez…
Commencez l’étape 1 en observant ce qui se passe
dans votre esprit et dans votre corps, ici et maintenant.
À quoi ressemble votre météo interne ? Quelles sont les pensées qui circulent dans le ciel de votre esprit, les
émotions
que vous ressentez, les sensations présentes dans votre corps ? Ne cherchez pas à changer quoi que ce soit,
ouvrez-vous simplement à ce qui est déjà là…
Puis passez à l’étape 2. Portez votre attention
sur votre respiration. Soyez présent au mouvement
de votre souffle. Observez les sensations physiques
qui changent doucement tout au long de l’inspiration,
puis tout au long de l’expiration.
Et si l’esprit s’évade, voyez simplement où il s’en est allé…
et ramenez-le à chaque fois avec douceur sur votre souffle.
Enfin, troisième étape, élargissez votre conscience autour
de la respiration pour englober tout le corps, comme
si tout votre corps respirait, des pieds à la tête.
Ayez conscience de votre posture, de l’expression
de votre visage, de vos sensations corporelles.
Soyez pleinement présent à cet instant.
Voilà, c’est terminé… Reprenez le cours de vos activités…
Un tout petit quelque chose a changé…


CONSEILS
• Nous pouvons pratiquer très régulièrement de tels espaces de respiration tout
au long de nos journées. Soit quand nous passons d’une activité à une autre, pour
bien nous recentrer sur ce que nous sommes en train de faire ou de vivre, soit
quand nous sommes en difficulté, que nous ressentons des émotions
douloureuses, que nous sommes perdus.
• S’arrêter, prendre conscience, respirer, se recentrer avant de reprendre le cours
de nos activités permet souvent un peu d’apaisement et de discernement.
• Mais on peut aussi prendre 3 minutes d’espace de respiration quand tout va
bien, pour mieux savourer encore l’instant que nous sommes en train de vivre.
C’est aussi simple que cela.

32
« Il me faut vraiment devenir un peu plus simple.
Me laisser vivre un peu plus. Cesser de vouloir
que ma vie porte ses fruits dès maintenant.
Mais j’ai trouvé le remède. Je n’ai qu’à
m’accroupir sur le sol, dans un coin, et ainsi blottie,
à écouter au-dedans de moi. Ce n’est pas
de penser qui me tirera d’affaire. Penser,
c’est une grande et belle occupation dans les études,
mais ce n’est pas ce qui vous tire de situations
psychologiques difficiles. Il faut savoir
se rendre passif, se mettre à l’écoute.
Retrouver le contact avec
un petit morceau d’éternité. »
ETTY HILLESUM


RECUEILLEMENT

S
e recueillir, c’est se recentrer, se réhabiter, reprendre contact avec soi-
même, là où précisément beaucoup de nos actes et de nos
environnements nous coupent de nous-mêmes et écartent de notre
esprit ces moments où l’on se sent exister, où l’on se sent « être »,
parce qu’on s’est arrêté de « faire ».
Certains endroits, tels que les églises ou les lieux de prière, facilitent ces
moments de recueillement. La nature aussi y est favorable, et c’est sans doute
pour cela que sa fréquentation est propice à notre santé, comme le montrent de
plus en plus d’études. Dans la nature, nous retrouvons calme, lenteur et
continuité. Ces « nourritures » de l’esprit qui aident à la pleine conscience. Mais
on peut aussi se recueillir dans le tumulte de la vie ordinaire, et, dans notre
environnement habituel, décider de s’arrêter, de prendre un instant de recul. Ces
instants, volés à la bousculade, volés à cette vie en pleine inconscience qui est
souvent la nôtre, peuvent parfois être des moments culminants. On y a le
sentiment, tout à coup, de plus d’espace intérieur, de plus de clarté intellectuelle,
d’un étrange et inhabituel apaisement émotionnel.
Peut-on en faciliter la venue ?

EXERCICE
Oui, c’est possible… Décidez simplement
de prendre un instant de recueillement, de passer,
pendant quelques minutes, d’une vie où vous vous agitez
à une vie où vous existez… (C’est souvent nécessaire
de s’agiter, mais il ne faut pas oublier de se sentir exister,
n’est-ce pas ?)
Immobilisez-vous… prenez conscience de la dispersion
de votre esprit, sollicité par une multitude de choses…
certaines importantes, d’autres anodines ;
certaines magnifiques, d’autres nulles…
Prenez la décision tranquille de vous rassembler…
la décision de revenir vers le réel, le réel de cet instant précis…
Ancrez-vous dans le lieu où vous vous trouvez : regardez-le, attentivement, dans tous ses détails, rendez-vous
présent
aux sons, aux odeurs, à l’ambiance de cet endroit, quel qu’il soit…
Puis tournez-vous vers vous-même, ressentez bien
votre souffle, votre corps…
Et ramenez inlassablement l’essentiel de votre attention
à ce qui est présent et tangible, à cet instant : votre souffle,
votre corps, ce que vous voyez, entendez, reniflez
de cet endroit… faites cela de votre mieux… et laissez filer
tout le reste… pas d’objectifs, pas d’attentes,
juste de la présence…


CONSEILS
• Saint François de Sales écrivait : « Une demi-heure de méditation est
essentielle chaque jour, sauf quand on a une vie très occupée. Dans ce cas, une
heure est nécessaire. » Plus vous êtes bousculé, plus vous devez vous accorder des
temps de recueillement réguliers.
• Profitez de tous vos passages près d’un lieu de prière pour y rentrer, de tous
vos passages près d’un environnement naturel pour vous y arrêter.
• Recueillez-vous aussi dans votre cuisine ou dans votre bureau, sur un banc
public.
• Recentrez-vous doucement et régulièrement pour ne pas être emporté par le
grand vent de la dispersion et des sollicitations, qui souffle si souvent sur notre
monde.

33
« Souffrir, c’est donner
à quelque chose
une attention suprême… »
PAUL VALÉRY


FACE À LA SOUFFRANCE :
LE REFUGE DE LA
PLEINE CONSCIENCE

I
l y a mille et une façons de faire face à la souffrance. On peut s’efforcer de
la fuir, par la distraction, ou par l’action : souvent les humains fuient ainsi
leurs angoisses en se jetant sur leur travail ou leurs écrans. On peut aussi
tenter de résoudre le problème qui nous fait souffrir : c’est l’idéal, mais ce
n’est possible que si le problème est comme un caillou dans une chaussure,
que l’on pourrait enlever facilement ; c’est moins facile lorsque le problème
concerne, par exemple, la santé d’un proche ou l’avenir d’un enfant.
Tout cela (actions, distractions, recherche de solutions) peut fonctionner… ou
non. Dans ce cas, il existe une autre voie : celle de la pleine conscience, qui
représente une alternative à nos manières habituelles d’affronter la souffrance et
les difficultés. Au lieu de fuir ou de modifier le problème, on commence par
observer notre réaction au problème, pour y voir plus clair, et comprendre quel
type d’attitude adopter.
Voyons ensemble comment cela peut se passer…

EXERCICE
Face à la souffrance, la première chose à faire, c’est de s’arrêter et d’accepter sa présence. Personne n’aime l’idée
d’« accepter la souffrance », mais il y a un malentendu
sur la notion d’acceptation…
Accepter, ce n’est pas dire : « C’est bien », mais : « C’est là. »
Accepter, ce n’est pas subir, ce n’est pas se réjouir,
mais c’est renoncer aux vaines luttes…
Accepter, ce n’est pas facile, car face aux difficultés
ou aux souffrances qu’elles entraînent, notre esprit nous crie :
« Fais quelque chose, agis ! Ou, au moins, inquiète-toi, fais-toi
du souci ! » « Non, pour le moment, ne fais rien,
nous recommande la pleine conscience. En tout cas,
ne fais rien de ce que tu fais d’habitude. »
Alors, on se tourne, comme toujours, vers notre souffle…
On prend le temps d’observer et de ressentir ce qui compose notre expérience de cet instant : que suis-je en train
d’entendre ? De ressentir ? De penser ?
Puis la détresse revient, le problème revient,
Puis la détresse revient, le problème revient,
la rétraction de l’esprit sur le souci revient…
On ouvre alors plus largement encore l’espace
de sa conscience.
Et c’est ainsi, inlassablement, lorsqu’on souffre…
L’esprit se rétracte sur ce qui nous fait souffrir
et sur notre souffrance elle-même… et nous nous efforçons, encore et encore, de l’ouvrir, d’élargir notre espace
mental
à tout ce qu’il y a autour du souci.
Au lieu de laisser notre esprit se rétracter, vainement approfondir, creuser, tourner en rond, nous repoussons
les murs, inlassablement, pour que cela reste respirable
à l’intérieur de notre tête… Nous ouvrons des fenêtres
vers notre souffle, notre corps, vers les sons,
vers tout ce qui nous vient du monde…
Surtout, ne pas rester enfermés en nous-mêmes
avec notre seule souffrance… mais ouvrir
notre esprit à tout le reste…


CONSEILS
• La méditation est comme une écologie de l’esprit : on y recommande de
commencer toujours par accueillir la souffrance dans le refuge de la pleine
conscience, c’est-à-dire dans un esprit large et fluide, qui ne se rétracte pas sur la
seule souffrance, qui ne s’y accroche pas, mais qui note qu’elle est là et ne se
limite pas à elle…
• Face à ce qui nous fait souffrir, nous pouvons ouvrir notre esprit, élargir
l’espace de notre conscience… respirer… élargir, élargir, élargir, à chaque fois
que la souffrance replie, replie, replie… Respirer encore…
• Bientôt, quelque chose va changer, je dois juste accepter de ne savoir ni quoi
ni quand.


34
« Il faut donc méditer sur ce qui procure
le bonheur, puisque, lui présent, nous avons tout,
et, lui absent, nous faisons tout pour l’avoir.
Ce que je te conseillais sans cesse,
ces enseignements-là, mets-les en pratique
et médite-les, en comprenant
que ce sont là des éléments
du bien vivre. »
ÉPICURE


TROIS
BONHEURS

L
orsque nous méditons, nous ne cherchons pas à être heureux, du
moins pas de manière directe et délibérée. Or, toutes les études dont
nous disposons montrent que méditer régulièrement nous rend, tout
doucement, un peu plus aptes à savourer les bons moments de notre
vie, au lieu de les négliger. Méditer accroît de ce fait la fréquence des
émotions agréables. On observe la signature biologique de ce phénomène en
analysant le cerveau des méditants. Chez eux, l’activité électrique du cortex
préfrontal gauche est augmentée, ce qui est associé à une élévation des émotions
agréables.
Si méditer accroît en général notre aptitude au bonheur, c’est sans doute parce
que cette pratique nous rend plus conscients, et qu’en étant plus conscients, nous
arrivons à mieux ouvrir les yeux sur tout ce qui va bien autour de nous, au lieu de
nous concentrer uniquement sur ce qui ne va pas.
Nous pouvons aussi délibérément et facilement amplifier cet effet, en tournant
notre attention méditative vers certains moments agréables de notre journée,
comme dans l’exercice des Trois Bonheurs.

EXERCICE
La démarche est simple : il s’agit, lorsque
vous vous endormez le soir, de tourner votre esprit
vers trois moments agréables
que vous avez vécus durant cette journée.
Pas forcément des bonheurs majeurs…
De petites choses suffisent : un moment de ciel bleu,
un sourire offert par un ou une inconnu(e), un travail
bien conduit, un plat que l’on a savouré,
un fou rire avec un proche…
Il n’est pas nécessaire d’avoir passé une très bonne journée,
une journée merveilleuse ; au contraire, l’exercice
est encore plus riche lorsque la journée a été ordinaire, compliquée, ou difficile… Car il nous apprend à voir que,
même dans de tels contextes, il y a toujours
des parenthèses agréables, qu’il ne faut pas oublier…
Lorsqu’on s’endort, donc, prendre le temps de songer
à trois moments agréables… se souvenir du plus grand nombre possible de détails, notamment sensoriels :
lumière, sons, visages… Bien respirer dans chaque souvenir… bien l’inscrire
dans notre corps, l’associer
à des sensations physiques agréables…
Lentement, rendez-vous pleinement présent aux situations que vous ramenez à votre mémoire. Ne vous
contentez pas de penser ou de réfléchir trop vite aux trois moments,
mais ressentez-les profondément dans tout votre corps.
N’oubliez pas de sourire, tranquillement, doucement,
tout en vous endormant…


CONSEILS
• Pourquoi cet exercice ? Parce que, lorsque nous nous endormons, notre esprit
va plus volontiers chercher les problèmes à résoudre, les soucis du jour ou du
lendemain, que ce que nous avons connu de bon ou de beau. Nous avons intérêt,
non pas à supprimer ce mouvement de notre esprit vers les soucis, mais à
l’équilibrer, en nous rappelant aussi les bonnes choses de notre vie.
• En songeant ainsi chaque soir à trois moments heureux de la journée, en les
inscrivant encore plus profondément dans notre esprit et notre corps, nous
musclons nos capacités de discernement envers ces petits bonheurs, nous nous
entraînons à ne pas oublier ce qui va bien, aussi, dans nos vies.
• Nous, pauvres humains dont le mental va si souvent s’en retourner vers tous
les malheurs du jour, de la veille ou du lendemain, survenus ou à venir, nous
avons tout à gagner à ruminer aussi nos bonheurs. Il y en a bien plus que nous ne
le pensons.
• On commence ce soir ?


35
« J’ai un mot à dire à ceux
qui méprisent le corps. Je ne leur demande
pas de changer d’avis ni de doctrine,
mais de se défaire de leur propre corps ;
ce qui les rendra muets. »
NIETZSCHE


RÉFLÉCHIR
AVEC
SON CORPS

N
ous réfléchissons toujours de la même façon : volontairement, avec
notre cerveau. En général, cela fonctionne plutôt bien, et nous
arrivons ainsi à résoudre de nombreux problèmes et de
nombreuses difficultés de notre vie. Mais parfois cela ne marche
pas. Nos pensées tournent en rond et nous ne réfléchissons plus,
nous ruminons ; nous n’avançons plus, nous tournons en rond.
Dans ces moments, il est inutile d’insister ; la réflexion traditionnelle, mentale,
cérébrale, nous a apporté ce qu’elle pouvait nous apporter, et il faut emprunter
une autre voie. Passer sur un autre registre, plus intuitif, par exemple réfléchir
avec notre corps, comme nous apprend à le faire la méditation. Il ne s’agit pas de
ne plus penser, de ne plus réfléchir avec notre esprit, mais de faire un petit détour
par le corps avant de revenir aux modes de pensée et de résolution de problèmes
qui sont habituellement les nôtres.
Voici comment il est possible de procéder…

EXERCICE
Si vous vous sentez bloqué, coincé face à une difficulté,
grande ou petite, si votre réflexion n’avance plus et tourne
à la rumination stérile, arrêtez-vous de penser uniquement
avec votre cerveau…
Arrêtez tout, asseyez-vous, et fermez les yeux…
Notez la présence de vos pensées, et laissez-les continuer
sans vous, laissez-les aller et venir à votre esprit, sans chercher
à les chasser, mais en veillant à ne pas les alimenter…
Pendant ce temps, tournez-vous vers tout le reste :
prenez conscience de votre respiration, ressentez bien
les mouvements de votre souffle ; prenez conscience
de tous les sons présents à cet instant, à l’endroit
où vous vous trouvez, accueillez-les tous, quels qu’ils soient ; soyez simplement présent à cet instant,
sans rien vouloir d’autre…
Observez ce qui se passe dans votre corps ; de quelle manière réagit-il au blocage et à l’impasse de vos réflexions ?
Pouvez-vous vous occuper un peu de lui ?
Pouvez-vous vérifier si vous êtes bien assis, le dos droit,
les épaules ouvertes, les mâchoires relâchées ?
Prenez conscience des zones de votre corps où siègent
des tensions ou des sensations inconfortables ou douloureuses ; permettez-leur d’être là, amenez doucement
votre respiration dans ces zones, imaginez que votre souffle les traverse,
à chaque inspiration, à chaque expiration…
Puis élargissez votre conscience à toutes les autres parties
de votre corps, même celles qui ne s’expriment pas,
même celles qui ne sollicitent pas votre attention…
Pour le moment, ne cherchez plus de solution
à ce qui vous tracasse, préoccupez-vous simplement
d’être présent à votre corps, votre souffle,
à tout ce qui compose cet instant…
Laissez vos pensées circuler dans cet espace élargi
de conscience, laissez-les vivre leur vie de pensées…
simplement, ne leur consacrez plus l’essentiel de votre énergie
et de votre attention…
Respirez… ressentez… restez quelques minutes ainsi…


CONSEILS
• Quand notre réflexion se bloque, quand ça ne passe plus, nous pouvons
emprunter d’autres voies. Nous pouvons lâcher nos pensées, et nous tourner vers
nos ressentis corporels, quels qu’ils soient.
• N’attendons pas de résultat immédiat, mais prenons simplement le temps de
solliciter d’autres parties de nous-mêmes, qui contribueront peut-être à ce que
des éléments de solution émergent, tôt ou tard.
• Réfléchissons avec l’ensemble de ce que nous sommes, et pas seulement avec
notre cervelle ; ça peut servir, plus souvent que nous ne le pensons, ou que notre
cerveau, peut-être un peu jaloux, ne voudrait nous le faire croire.


36
« Cherche, parmi tous ces objets misérables
et grossiers de la vie paysanne,
celui, posé ou appuyé et n’attirant point l’œil,
dont la forme insignifiante, dont la nature
muette peut devenir la source
de ce ravissement énigmatique,
silencieux, sans limite. »
HUGO VON HOFMANNSTHAL


VOIR L’INVISIBLE

I
l y a, dans la méditation, un paradoxe à propos du regard : certes, on
s’entraîne souvent à méditer les yeux fermés ; mais c’est pour ensuite mieux
les ouvrir sur le monde. Vivre en pleine conscience, c’est prendre le temps
de contempler. Contempler, c’est regarder sans intentionnalité. On ne
regarde plus pour utiliser, contrôler, maîtriser, mais pour se rendre présent,
pour voir ce qu’on ne voit jamais avec notre regard habituel, utilitaire,
fonctionnel, pressé. Et souvent, on découvre alors ce qu’on ne regarde jamais : les
objets du quotidien, par exemple, ceux que l’on croise chaque jour et que l’on
oublie, parce qu’à force, on ne les voit plus.
Mais les objets ordinaires ne sont pas ordinaires : ils sont merveilleux. L’eau, le
verre, la cruche, la table, le mur, les abricots, les gousses d’ail : merveilleux. Boire,
manger, fabriquer, appartenir à une espèce intelligente, curieuse et industrieuse :
merveilleux. Ouvrir les yeux sur toutes les richesses insondables et inestimables
que nous côtoyons sans les voir : merveilleux.
Chaque objet est une malle au trésor, si on le regarde en pleine conscience.
Celui-ci nous a été donné, celui-là nous l’avons acheté à tel endroit, à telle
époque. Cet autre a été inventé et créé par des humains d’un continent lointain,
d’un passé très ancien. Et celui-là vient de si loin. On regarde un peu ensemble ?

EXERCICE
Vous êtes seul, au calme ?
Alors, regardez tranquillement tout autour de vous, dans la pièce ou là où vous vous trouvez, à cet instant…
Laissez votre regard
se poser sur les objets qui vous entourent, particulièrement
ceux que vous ne regardez plus parce qu’ils sont toujours là,
à vous rendre service silencieusement et humblement
jusqu’à s’effacer de votre attention.
Vous pouvez vous installer à un endroit inhabituel de cette pièce, un endroit où vous ne vous placez jamais, pour
modifier
votre regard sur ces choses jusqu’alors invisibles à votre esprit.
Prenez la table, un verre, une éponge, ce que vous voulez, observez sa matérialité : couleur, forme, contours…
Passez doucement un doigt dessus pour éprouver sa texture… Prenez du temps pour vous plonger dans les
détails…
Respirez, ressentez votre corps, souriez dans ce dialogue silencieux avec l’objet choisi, fraternisez, fusionnez avec
lui.
Puis élargissez votre regard : depuis quelle époque cette chose fait-elle partie du quotidien des êtres humains ?
Et cet objet précis, ici, a-t-il une histoire ? Si c’est un fruit
ou un légume, où a-t-il été cultivé, par qui a-t-il été amené
dans cette pièce ? Qui vous l’a vendu, qui vous l’a donné ?
Si c’est un objet, qui l’a conçu, qui l’a construit ? Voyez-vous,
dans le fruit ou le légume, tout le soleil et toute l’eau
qui lui ont permis de pousser, tous les efforts humains,
tous les soins et tout le chemin parcouru jusqu’à cette pièce ?
Restez encore un peu dans la contemplation de cette chose,
elle le mérite…
Doucement, laissez refluer les pensées
et ne restez qu’avec l’essence de l’objet, sans rien lui demander de plus que sa présence silencieuse.


CONSEILS
• Pas besoin de télescope, ni de microscope, pour aller au-delà de notre regard
habituel : il suffit d’ouvrir plus grand les yeux de notre esprit.
• Régulièrement, prenons le temps de nous abandonner au vertige de la
contemplation des objets quotidiens : une noix, une chaussure, un brin d’herbe,
un téléphone… Prenons le temps de nous en approcher, de les observer. Le
temps de nous laisser gagner par tout ce qu’ils peuvent nous dire : tant
d’intelligences et d’efforts les ont conduits à exister, tant d’histoires les ont
conduits là, devant nous, dans nos vies ! Mystique apaisante et étonnante de la
casserole ou de la fleur, négligées et oubliées. Sauf maintenant, à cet instant.
• Ces visites à l’insignifiant sont comme des remerciements et des hommages
rendus à cette chance ahurissante : je suis un être humain, vivant et conscient.


37
« Un sourire nous semble
peu de chose et sans effet sur l’humeur ;
aussi ne l’essayons-nous point.
Mais la politesse souvent, en nous tirant un sourire
et la grâce d’un salut, nous change tout.
Le physiologiste en sait bien la raison ;
car le sourire descend aussi profond
que le bâillement, et, de proche en proche,
délie la gorge, les poumons et le cœur.
Le médecin ne trouverait pas,
dans sa boîte à remèdes,
de quoi agir si promptement,
si harmonieusement. »
ALAIN


SOURIRE

I
l y a des sourires qui agacent, comme ceux des politiciens ou des stars,
lorsqu’ils veulent plaire ou séduire : ce sont les sourires superficiels,
artificiels, affichés à l’approche des objectifs des caméras ou des appareils
photo ; sourires sans intérêt. Et puis il y a des sourires qui touchent, qui
émeuvent, celui de la Joconde ou du Bouddha, celui de l’enfant ou de
l’inconnu, celui de l’émerveillement ou de la bonté ; sourires profonds, pleins de
force et de douceur.
Le sourire a de nombreuses vertus, pour ceux à qui on l’adresse, bien sûr,
pourvu qu’il soit sincère, mais aussi pour la personne qui sourit. Il entraîne un
apaisement du corps et de l’esprit. Car les liens entre le sourire et l’esprit sont à
double sens : si notre esprit est heureux, il fait sourire notre visage, mais si notre
visage est heureux, il fait sourire notre esprit.
Parfois, il n’y a pas de quoi sourire dans nos vies. Alors, ne sourions pas, ce
serait inutile, contraint, douloureux même. Mais souvent, nous pourrions sourire,
sincèrement. Pas seulement lorsque tout va très bien, lorsque de bonnes nouvelles
nous arrivent, mais aussi lorsque la vie suit son cours ordinaire ou lorsque nous
ne sommes confrontés qu’à de petites adversités.
Pourquoi ne pas sourire alors, dans nos instants de vie ordinaires ?

EXERCICE
Maintenant, par exemple… arrêtez-vous, fermez les yeux,
si vous le voulez.
Prenez conscience de l’état de votre corps, de vos pensées.
Prenez conscience de l’expression de votre visage.
Vos mâchoires sont-elles crispées ou détendues ?
Les muscles de votre front sont-ils contractés ou relâchés ? Comment respirez-vous, à cet instant ?
Vérifiez que vous permettez bien à votre souffle
de se dérouler librement, amplement, à sa guise…
Ouvrez vos épaules, redressez-vous doucement…
Que se passe-t-il en ce moment dans votre vie ?
Quelles adversités affrontez-vous ? Quels bonheurs
et quelles chances sont les vôtres ?
Pourriez-vous sourire, malgré ce qui est compliqué ?
Pourriez-vous sourire aux petits bonheurs présents
ces temps-ci dans votre existence ?
Laissez doucement venir un sourire à votre visage, sans forcer… voyez jusqu’où il peut s’installer… en vous
rappelant
qu’à cet instant, vous êtes en vie, et que c’est
chose savoureuse que d’être là, d’exister
et de sourire doucement, quoi que vous ayez à affronter
ou à accomplir ensuite…


CONSEILS
• Sourire nous fait du bien, bien plus que nous ne le pensons. Alors, ne
manquons jamais une occasion de sourire, doucement.
• Ne nous forçons jamais à sourire si nous sommes en train de vivre de grandes
difficultés, mais n’oublions jamais de sourire quand notre vie suit son cours, de
sourire souvent, doucement, discrètement, intérieurement aussi, dans la rue, dans
le métro, en nous endormant le soir dans notre lit.
• Sourions, maintenant, pour toutes les fois où nous ne le pouvions pas et pour
nous rappeler notre chance d’être ici, en vie.

38
« De toutes les maladies,
la plus sauvage,
c’est de mépriser notre être. »
MONTAIGNE


BIENVEILLANCE AVEC SOI

Q
u’est-ce que l’autobienveillance ? Ce n’est pas de l’égocentrisme
(qui consiste à toujours tout ramener à soi), ce n’est pas non plus
du narcissisme (qui consiste à toujours commencer par soi), ce
n’est pas davantage de l’autocomplaisance (qui consiste à se
donner toujours des excuses). L’autobienveillance, c’est
simplement faire preuve de respect pour soi, de douceur avec soi, notamment
lorsqu’on souffre. Comment s’évalue l’autobienveillance ? Sans doute à notre
réaction quand nous venons de vivre une blessure de l’ego : un échec, un rejet.
Que se passe-t-il alors ? Est-ce que nous nous abandonnons à des réactions
d’autoagression
et d’autopunition, de colère contre nous-mêmes ? Est-ce que nous nous livrons à
l’autocritique, l’abattement, l’isolement, la prostration ? Autant de manières de
nous faire du mal en nous coupant des sources de réconfort. Ou bien éprouvons-
nous un désir de douceur, de consolation, de réparation ?
Quand un enfant tombe, se blesse et pleure, par quoi commençons-nous ? Par
le réprimander et lui faire la leçon ? Ou par le consoler, le rassurer et le soigner ?
L’autobienveillance, c’est cela : lorsque nous sommes blessés, d’abord nous
consoler, nous apaiser, nous réparer ; avant de nous corriger pour éviter de
retomber dans les mêmes pièges. Et ne jamais nous faire de mal, jamais : la vie
s’en occupe.

EXERCICE
Arrêtez ce que vous êtes en train de faire,
pour prendre conscience de votre souffle…
respirez tranquillement…
Songez à une souffrance, une peine récente, une inquiétude,
un événement qui représente à vos yeux un échec, un rejet,
une menace, quelle qu’en soit l’importance, du moment
qu’il vous a fait souffrir…
Pensez à ce qu’a été votre première réaction lorsque
cet événement vous est arrivé. Qu’avez-vous fait alors ?
Avez-vous eu le réflexe de continuer, de ne pas vous arrêter ? Avez-vous eu le réflexe de négliger votre
souffrance ?
Ou le réflexe de gémir, de vous plaindre, à vous-même
ou à d’autres ? De refouler ou cogiter votre peine ?
Ou pire encore, le réflexe de vous insulter,
de vous agresser, de vous dévaloriser ? Il existe
une voie différente, qui passe par trois étapes…
La première étape est celle de la pleine conscience.
Lorsque vous êtes blessé, arrêtez-vous, ne passez pas
à autre chose, mais prenez le temps de ressentir et d’accueillir, d’observer ce qui survient en vous à cet instant…
Prenez la mesure de ce qui s’est passé, et de ce que
vous ressentez, maintenant, dans votre chair, dans votre corps ; observez quelles pensées, quelles impulsions
cette souffrance fait naître en vous…
La deuxième étape est celle de l’appartenance à l’espèce humaine : prenez conscience que la peine qui est la vôtre
n’est pas unique, n’est pas anormale, mais fait partie
à un moment ou à un autre de toute vie humaine,
que des millions d’autres humains la ressentent, comme vous,
en ce moment. Il ne s’agit pas de vous dire : « Ne te plains pas », mais plutôt : « Tu n’es pas si seul. »
La troisième étape est celle du discernement : à ce moment
de détresse, vers quoi vous poussent vos impulsions ?
Vers l’autocritique ou vers le ressentiment, envers le monde
ou envers vous-même ? Vers l’envie de vous faire du mal
ou d’en faire à autrui ? Réfléchissez encore : de quoi
avez-vous vraiment et d’abord besoin, à cet instant ?
N’est-ce pas plutôt de douceur et de consolation ?
Voilà, vous en êtes arrivé à l’évidence de l’autobienveillance et de l’autoconsolation : lorsque la vie nous fait
souffrir, consolons-nous, réparons-nous ; nous verrons mieux ensuite
ce qu’il y a lieu de faire et de décider…


CONSEILS
• Le message de l’autobienveillance, c’est qu’il est inutile de s’infliger une
double peine : la vie se charge de nous envoyer la première flèche, car, à l’origine,
c’est bien le réel qui nous blesse une première fois. Inutile d’ajouter une seconde
blessure, une seconde peine, en nous malmenant, en nous agressant, en nous
critiquant, ou en ignorant nos besoins de consolation et de réparation.
• Prendre soin de soi est alors le meilleur moyen pour ne pas rester bloqué dans
la plainte, la rumination ou le ressentiment, qui nous éloignent de toute forme de
réparation, de consolation et d’action lucide.
• Vivre en amitié avec nous-mêmes nous aide ainsi à vivre en amitié avec le
monde.


39
« Pourquoi un jour d’avril 1994
alors qu’il faisait beau, alors que le soleil
éblouissait, alors que je sortais du Louvre,
ai-je soudain hâté le pas ?
Un homme qui hâte le pas traverse la Seine,
il regarde sous les arches du Pont-Royal
l’eau entièrement couverte
d’une étincelante blancheur, il voit le ciel bleu
tout au-dessus de la rue de Beaune, il pousse
en courant une grosse porte en bois
rue Sébastien-Bottin, il démissionne
d’un coup de toutes les fonctions
qu’il exerce. On ne peut pas être à la fois
un gardien de prison et
un homme évadé. »
PASCAL QUIGNARD


ILLUMINATIONS

D
isons-le d’emblée, si vous ne méditez que pour atteindre
l’illumination, le nirvana, le satori, l’extase, laissez tomber tout de
suite. Ce n’est pas le but. Et ce n’est pas raisonnable.
Mais, sans être un grand maître ou un grand mystique, il est
fréquent que, durant les exercices de pleine conscience, on traverse
quelques instants troublants. Des instants où les mots se mettent à manquer pour
décrire le sentiment étrange qu’on éprouve, le sentiment qu’on a basculé dans un
autre univers, un univers où des certitudes tranquilles s’imposent à nous, où nos
peurs se dissolvent, où ce qui nous semblait mystérieux devient une évidence.
En général, cela ne dure pas ; et on éprouve le plus grand mal à comprendre ou
à raconter ensuite ce qui s’est passé, qui est ineffable et indicible.
Parfois, comme dans les mots de Pascal Quignard cités en préambule, cette
illumination étrange nous pousse à prendre des décisions radicales et brutales.
Parfois, rien ne bouge extérieurement, mais on en reste marqué à vie : un voile
s’est déchiré et entrouvert, une vérité profonde a ébloui notre esprit. Mais
laquelle ?
Ce qui va suivre n’est pas un exercice d’illumination, simplement quelques
remarques sur la méditation. Mais sait-on jamais !

EXERCICE
Posez-vous, où que vous soyez, et n’ayez d’autre objectif
que d’être présent à cet instant, à ce moment unique
que vous êtes en train de vivre…
Renoncez à toute forme de compréhension ou d’analyse
de ce que vous traversez, instant après instant…
Soyez simplement dans la présence, une présence pure
et dépouillée : présence à votre respiration…
présence aux sons… présence à votre corps…
Laissez filer vos pensées, comme des enfants qui jouent
en criant dans le jardin, laissez-les filer et jouer au loin,
sans vous…
Puis du mieux que vous pouvez, prenez conscience
de votre appartenance au monde… Souvent,
nous nous enfermons en nous-mêmes,
nous construisons des murs entre nous et les autres,
entre nous et le monde… Il y a Moi et il y a le reste,
entre nous et le monde… Il y a Moi et il y a le reste,
il y a Moi et il y a les autres… laissez tomber tout ça…
Laissez votre esprit partir vers ce sentiment inhabituel d’appartenance au monde… Notre corps, notre esprit
ne sont qu’un petit bout de l’univers… mais ils sont, aussi,
partie intégrante de cet univers… Écoutez ce que nous dit l’écrivain Tiziano Terzani : « Abandonne tout,
abandonne
tout ce que tu connais, abandonne, abandonne, abandonne.
Et n’aie pas peur de rester sans rien, car, à la fin, c’est ce rien
qui te soutient… » Écoutez ce que nous dit la philosophe
Simone Weil : « Que l’âme d’un homme prenne pour corps
tout l’univers. S’identifier à l’univers même. »
Restez encore un peu là, immobile, à respirer
et ressentir l’univers…


CONSEILS
• Si vous traversez parfois des instants de transcendance lors de vos moments
méditatifs, réjouissez-vous et ne cherchez surtout pas à les reproduire, à les
retrouver dès le lendemain matin.
• Quand vous retournerez vous asseoir sur votre banc de méditation, attachez-
vous simplement à travailler inlassablement la qualité de votre présence au
monde.
• Tôt ou tard, une autre grâce surgira. Mais, à cet instant, vous ne pouvez
même pas imaginer quel sera son visage.

40
« Pour qu’une chose se termine,
il faut qu’une autre chose commence –
et les commencements,
c’est impossible à voir. »
CHRISTIAN BOBIN


LES CHOSES
FINISSANTES

J
’aime beaucoup cette phrase de l’ami Bobin, mais il est aussi possible
de dire exactement l’inverse : « Pour qu’une chose commence, il faut
qu’une autre chose se termine. »
Cette chronique est la dernière de ce livre. Nous sommes donc dans
quelque chose qui se termine, et ce serait bien que, maintenant, une
autre chose commence et prenne naissance de cette fin.
Tout au long de nos brefs exercices, nous avons essayé, vous et moi, de notre
mieux, de nous rendre présents à nos vies, d’être plus présents au monde, aux
autres, à nous-mêmes. Nous avons travaillé avec tout ce que nous étions, pas
seulement avec notre esprit, mais avec notre personne tout entière, corps inclus.
Nous avons compris ce qu’était l’inscription corporelle de l’esprit, ce terme des
chercheurs qui désigne le fait que tout ce qui se passe dans notre esprit retentit et
résonne dans notre corps. Ensemble, nous avons découvert et expérimenté
comment notre corps pouvait, de ce fait, nous aider à affronter bien des
problèmes, des difficultés et parfois des mystères, que notre seule intelligence,
notre seule volonté n’arrivent parfois pas à résoudre ou à clarifier. Ensemble,
nous avons vu que la méditation n’est pas seulement un exercice intellectuel, mais
aussi une démarche corporelle, et ensemble, nous allons le vivre, une dernière
fois.

EXERCICE
Prenons simplement le temps de ressentir notre souffle,
cet allié précieux, qui nous aide à tout traverser,
à tout comprendre, à tout savourer…
Conscience du passage de l’air en nous, à chaque inspiration,
à chaque expiration…
Conscience des mouvements de notre poitrine,
de notre ventre, à chaque inspiration, à chaque expiration…
Prenons le temps de ressentir notre corps, à cet instant…
tout notre corps, qui respire, tranquille…
Le temps d’écouter la rumeur du monde, seconde
après seconde… Le temps d’observer le passage de nos pensées, comme des nuages dans le ciel de notre esprit…
Le temps de voir notre esprit partir ailleurs…
Le temps d’en prendre conscience et de le ramener ici
et maintenant…
Le temps de nous réjouir de pouvoir traverser
tout cela en pleine conscience…


CONSEILS
• C’est beau, les choses qui se terminent.
• C’est beau, les crépuscules.
• Mais ce qu’il y a de plus beau encore, ce sont les aurores. « Pour qu’une chose
commence, il faut qu’une autre chose se termine… »
• Ce petit cycle d’exercices méditatifs se termine, et j’espère que ces rendez-
vous vous auront donné envie de continuer à méditer, plus longuement, plus
profondément, plus régulièrement encore que nous ne l’avons fait. Envie de
commencer à vivre sur un nouveau registre, celui de la présence attentive, celui
de la pleine conscience à tout ce qui nourrit notre existence.
• Merci d’avoir cheminé à mes côtés sur ces petits sentiers méditatifs. Et
surtout, chaque jour désormais, pensez-y : soyez présents à votre vie…
REMERCIEMENTS
Merci du fond du cœur

à Sandrine Treiner et Béline Dolat, qui ont imaginé et porté ce projet
de chroniques quotidiennes durant l’été 2016
sur les ondes de France Culture,
et m’ont accordé leur confiance pour le réaliser,
à Sophie de Sivry et Catherine Meyer, mes très chères amies et éditrices de
L’Iconoclaste, qui m’ont conseillé et accompagné
avec talent et clarté, comme d’habitude,
à Olivier Helle, l’architecte sonore du projet, souriant, bienveillant et efficace,
à mes patientes et mes patients,
qui m’ont raconté, de séance en séance, comment ils utilisaient la pleine
conscience tout au long de leurs journées,
et sont donc la source vive de ce travail.
COMMENT UTILISER
LE CD MP3
Le CD joint à ce livre contient quarante méditations guidées, soit plus de deux
heures d’enregistrement. Il est au format MP3 et peut être lu sur tous les
appareils compatibles avec le format MP3, c’est-à-dire l’ensemble des ordinateurs
personnels et un grand nombre de lecteurs de CD.

Pour utiliser ce disque, veuillez choisir


une des options suivantes : Lecteur de CD ou de DVD
compatible MP3
Si vous possédez un lecteur de CD ou de DVD muni du logo MP3, votre
disque devrait pouvoir être lu normalement. Ce genre d’appareils est de plus en
plus courant mais tous ne sont pas compatibles avec le format MP3. Même si
c’est le cas de votre autoradio, nous vous déconseillons formellement d’écouter
ces méditations en conduisant.
Ordinateur personnel Vous pouvez écouter ce disque sur votre
ordinateur personnel. Les logiciels multimédias varient en fonction
des systèmes, mais les plus courants, comme iTunes et Windows
Media Player, lisent le format MP3. Insérez le disque dans le lecteur
optique de votre ordinateur. Dans la plupart des cas, le logiciel
multimédia démarre automatiquement et vous pouvez sélectionner
les pistes que vous voulez. Si votre logiciel ne démarre pas
automatiquement, vous devriez pouvoir ouvrir l’application et choisir
la piste que vous souhaitez écouter dans le menu.
Lecteur portable
Grâce à votre logiciel multimédia, vous pouvez transférer le contenu de ce
disque sur un lecteur portable de type iPod ou Zune. Veuillez vous référer aux
consignes du fabriquant pour effectuer des téléchargements sur votre propre
appareil.
COMMENT
TÉLÉCHARGER
LES MÉDITATIONS
Vous pouvez, si vous le souhaitez, écouter les exercices sur un smartphone ou
une tablette.

Pour les télécharger, il suffit de scanner ce code depuis un mobile, ou de
recopier l’URL suivante dans la barre de votre navigateur :
http://www.iconoclastefranceculture.fr/

Les méditations sont aussi disponibles sur le CD.


POUR ALLER
PLUS LOIN
Pour plus d’informations sur la méditation de pleine conscience, pour trouver
des praticiens qualifiés, des séminaires, des formations, nous vous
recommandons le site de l’ADM (Association pour le développement de la
mindfulness) :
http://www.association-mindfulness.org
L’EXEMPLAIRE QUE VOUS TENEZ ENTRE LES MAINS
A ÉTÉ RENDU POSSIBLE GRÂCE AU TRAVAIL DE TOUTE UNE ÉQUIPE.

MISE EN PAGE : Soft Office
CONCEPTION DE LA COUVERTURE : Sara Deux PHOTOGRAVURE : Les Artisans du Regard RÉVISION : Fabrice
Emont et Nathalie Mahéo FABRICATION : Marie Baird-Smith
COMMERCIAL : Pierre Bottura
COMMUNICATION : Audrey Siourd
RELATIONS LIBRAIRES : Jean-Baptiste Noailhat
DIFFUSION : Élise Lacaze (direction), Katia Berry
(grand Sud-Est), François-Marie Bironneau (Nord et Est), Charlotte Knibiehly (Paris et région parisienne),
Christelle Guilleminot (grand Sud-Ouest), Laure Sagot
(grand Ouest) et Diane Maretheu (coordination),
avec Christine Lagarde (Pro Livre), Béatrice Cousin
et Laurence Demurger (équipe Enseignes), Fabienne Audinet
et Benoît Lemaire (LDS), Bernadette Gildemyn
et Richard Van Overbroeck (Belgique), Nathalie Laroche
et Alodie Auderset (Suisse), Kamel Yahia
et Kimly Ear (Grand Export).

DISTRIBUTION : Hachette

DROITS FRANCE ET JURIDIQUE : Geoffroy Fauchier-Magnan DROITS ÉTRANGERS : Sophie Langlais
ENVOIS AUX JOURNALISTES ET LIBRAIRES : Patrick Darchy LIBRAIRIE DU 27 RUE JACOB : Laurence Zarra
ANIMATION DU 27 RUE JACOB : Perinne Daubas
COMPTABILITÉ ET DROITS D’AUTEUR : Christelle Lemonnier
avec Camille Breynaert SERVICES GÉNÉRAUX : Isadora Monteiro Dos Reis
ISBN papier : 979-10-95438-29-8
ISBN numérique : 979-10-95438-34-2
Dépôt légal : janvier 2017

Cette édition électronique du livre 3 Minutes à méditer de Christophe André
a été réalisée le 24 novembre 2016 par Soft Office.

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