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Cours Flaubert

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Gustave Flaubert (1821-1880)

Gustave Flaubert est le meilleur exemple d’une existence consacrée entièrement à la création
littéraire, existence vécue dans le culte fanatique de l’art : «J’ai toujours vécu poursuivant mon but, la
littérature, sans regarder ni à droite, ni à gauche».
Né à Rouen, en Normandie, Gustave Flaubert est le fils d’un chirurgien. Il passe une enfance
assez malheureuse dans l’atmosphère glacée de l’hôpital ; délaissé au profit de son frère aîné, il se réfugie
à la fois dans la littérature et dans la dérision. Il accumule dès son adolescence des textes inspirés par les
élans et les passions romantiques. En 1836, sur la plage de Trouville, il rencontre Élisa Schlesinger,
femme d’un éditeur de musique. Elle sera le secret de sa vie et peut-être une source de L’Éducation
sentimentale.
Après un voyage dans les Pyrénées, Flaubert s’installe à Paris, en principe pour étudier le droit ;
mais il fréquente surtout les milieux artistiques. En 1844, une première crise d’épilepsie l’oblige à
renoncer à ses études ; il s’établit dans la propriété familiale de Croisset, au bord de la Seine, où il mènera
désormais une existence de «solitaire», interrompue parfois par de longs séjours à Paris (où il rencontre
Louise Colet, qui sera sa «Muse» et sa confidente épistolaire), et par des voyages dans l’ouest de la
France, et surtout en Égypte, Tunisie, Palestine et Grèce, où il prend des notes pour ses romans à venir,
comme Salammbô.
Sa vie se confond avec la rédaction de ses œuvres. L’élaboration de celles-ci est douloureuse tant
il est exigeant envers lui-même : modifications multiples, insatisfaction permanente. La publication de
Madame Bovary (1857) lui vaut, comme à Baudelaire, un procès retentissant pour «immoralité», dont il
sort acquitté, et qui lui assure dans les milieux littéraires une position de premier plan. Le succès de
Salammbô, en 1862, lui ouvre les portes des salons officiels du Second Empire. Mais L’Éducation
sentimentale (1869), roman auquel il a travaillé de nombreuses années et où il retrace la faillite de toute
une génération romantique, la sienne, est un échec ; à cette déception s’ajoutent de nouveaux accès de
maladie, la perte de ses meilleurs amis et de sa mère, les bouleversements provoqués par la guerre de
1870. Le pessimisme de l’écrivain s’exprime encore dans Bouvard et Pécuchet (1881), tentative
inachevée de répertorier la bêtise humaine. La vénération dont il est l’objet de la part des écrivains de la
nouvelle génération (notamment Maupassant) ne compense pas l’amertume de ses dernières années, face
à la maladie, à une situation financière désastreuse, et à l’épuisement que lui causent ses recherches
incessantes. Flaubert dépense sa fortune à essayer d’empêcher sa famille de tomber dans la faillite. En
1880, atteint de dépression grave, il meurt d’une hémorragie cérébrale.
Dans sa Correspondance (janvier, 1852), on retrouve une phrase qui décrit bien la nature de
l’homme Flaubert : « Il y a en moi deux bonshommes distincts, un qui est épris de gueulades, de lyrisme,
de grands vols d’aigle, de toutes les sonorités de la phrase et des sommets de l’idée ; un autre qui creuse et
qui fouille le vrai tant qu’il peut, qui aime à accuser le petit fait aussi puissamment que le grand, qui
voudrait vous faire sentir presque matériellement les choses qu’il reproduit.» Il y a en effet deux
personnages dans Flaubert, l’un contaminé par le romantisme du temps de sa jeunesse, l’autre épris par
réaction d’exactitude et d’objectivité. S’il est devenu l’ennemi impitoyable de la sottise prétentieuse qui
se cache parfois derrière les aspirations romantiques, il conserve pourtant du romantisme l’enthousiasme
de l’imagination et du cœur, un penchant pour le lyrisme, la haine de la médiocrité et surtout le mépris du
bourgeois qu’il définit comme «quiconque pense bassement».

Madame Bovary (1857)


La plus connue des créations flaubertiennes part d’un fait divers de l’époque : Delphine
Delamare, épouse d’un officier de santé de Ry, en Normandie, s’était suicidée après avoir perdu ses
illusions romanesques et la fortune de son ménage dans des liaisons exaltées avec deux jeunes hommes.
Le roman de Flaubert sera lui aussi le drame d’une jeune provinciale, femme de médecin, déçue dans le
mariage, qui a voulu trouver dans l’adultère une échappatoire à son existence médiocre, étouffée par les
convenances. Elle finit lamentablement, en s’empoisonnant, après avoir fait une série de dettes, pour
satisfaire son goût du luxe.
La trame de l’intrigue est assez mince. L’esthétique romanesque flaubertienne demande une
«précision des assemblages» et une «rareté des éléments» - principe qui annonce une direction du roman
moderne : la dévalorisation du sujet. Charles Bovary, officier de santé médiocre, épouse en secondes
noces Emma Rouault, fille d’un riche fermier normand. Le couple s’installe à Tostes : Madame Bovary
est insatisfaite de sa vie «plate comme un trottoir de rue», si différente de la vie rêvée à travers les
lectures romanesques de son adolescence. Un bal à la Vaubyessard, chez les châtelains du voisinage, lui
entrouvre les portes d’un monde merveilleux, avant de la replonger, plus amère, dans l’ennui et le
dépérissement. Pour changer les idées et le cadre de vie d’Emma, Charles déménage à Yonville, gros
bourg à l’esprit aussi mesquin que Tostes. Les Bovary fréquentent M. Homais, le pharmacien, caricature
du petit-bourgeois libre penseur, qui n’opine que par idées reçues. Emma se laisse courtiser par Léon,
jeune clerc de notaire assez fade, malgré ses allures romantiques, qui se lasse bientôt d’aimer sans
résultat. Apparaît alors Rodolphe, gentilhomme fermier habitué à séduire et à quitter promptement les
femmes : Mme Bovary succombe et vit cette passion avec exaltation et frénésie. Effrayé et déjà las d’une
liaison aussi encombrante, Rodolphe rompt lâchement. Emma, atterrée, tombe gravement malade. Charles
l’emmène, une fois rétablie, à Rouen pour un spectacle : elle y revoit Léon. Elle se laisse séduire par lui,
et, sous prétexte de leçons de piano, se rend de plus en plus souvent à Rouen pour l’y retrouver. Elle
commet des imprudences, ses dépenses deviennent exorbitantes. Elle s’endette auprès de l’usurier
Lheureux. Les Bovary sont menacés de saisie et de ruine. Après avoir fait appel en vain à la générosité de
Rodolphe, Emma se suicide en absorbant de l’arsenic dérobé dans l’officine de Homais. Charles, malade
de chagrin, perd goût à la vie quand il apprend les infidélités de son épouse : il s’éteint peu après sa
femme. Monsieur Homais prospère insolemment.
Chef-d’œuvre du roman réaliste, Madame Bovary fut commencé lors du voyage du romancier en
Orient et écrit durant cinq années (1852-1856) d’un labeur stylistique très éprouvant. Comme l’indique
son sous-titre Mœurs de province, le roman s’inscrit dans la tradition balzacienne de l’étude sociale : le
gros bon sens et l’âpreté du paysan riche (le père Rouault), la vanité désœuvrée de l’aristocratie terrienne
(Rodolphe) et surtout la mesquinerie et la bêtise de la toute petite bourgeoisie (M. Homais) sont observés
et révélés par mille détails ou traits de langage (clichés, formules toutes faites). Le romancier, à la
différence de Balzac cependant, ne commente pas, ne théorise pas : il montre le geste ou l’objet
significatifs, il laisse se dévider le langage de la bêtise. Tel est le fondement de l’objectivité flaubertienne.
Il ne juge pas ses personnages. Il s’en détache.
Madame Bovary est aussi une étude de femme et, à travers le personnage, l’étude d’une maladie
psychologique à laquelle on donnera désormais le nom de «bovarysme» (état d’âme de ceux qui se
conçoivent autrement qu’ils ne sont, rêverie stérile dans laquelle se réfugient certains esprits maladifs). Le
parallèle entre ce personnage flaubertien et Don Quichotte s’est toujours imposé aux exégètes du
romancier. Ridicules et pitoyables, ces deux grands types littéraires, d’une vérité universelle, sont les
victimes des mêmes rêveries vaines, du pouvoir de dédoublement, des mêmes lectures dangereuses. Mais
ils sont, en même temps, des non-conformistes, par leur incapacité d’accepter le réel, une situation donnée
de la vie, par leur refus d’un bonheur quelconque.
L’ironie du romancier à l’égard des rêves et des clichés sentimentaux dont se nourrit l’héroïne
frappe le lecteur. Le rapport de l’écrivain à son personnage est toutefois complexe : car Emma porte en
elle une tendance de Flaubert lui-même, poussée jusqu’à la caricature. Elle incarne l’idéal de jeunesse de
Flaubert, prisonnier des rêves romantiques, mais un idéal dégradé dans le banal. Aussi est-elle à la fois
ridicule et pathétique, comme tout être qui s’aveugle. Le pathétique y est mis à distance par l’ironie, le
lyrisme, par la dénonciation des excès, le tragique, par la médiocrité des êtres. Les thèmes qui dominent
dans la présentation d’Emma sont le rêve et le désir sublimé, devenus principes de l’existence, sources de
compensation.
Le style a coûté au romancier des efforts et des souffrances rares : une heure parfois pour écrire
une phrase ! Flaubert a pourchassé les répétitions, les épithètes trop attendues, les métaphores rendues
banales par l’usage ; il a recherché l’effet rythmique à l’intérieur de la phrase ou du paragraphe,
l’harmonie phonique. Pas un mot n’a été laissé au hasard et tout effet est intentionnel. Le souci de la
forme se manifeste aussi dans l’équilibre entre la part de la description et celle de la narration, dans le
passage insensible de l’une à l’autre, qui crée un effet de fondu enchaîné très habile. Grâce au style
indirect libre, employé fréquemment, le point de vue d’Emma et celui du narrateur se confondent, de sorte
que les rêveries de l’héroïne sont amplifiées et simultanément minées par l’ironie sourde du romancier.
C’est toujours grâce au style indirect libre employé dans les monologues d’Emma, que la vie intérieure de
l’héroïne s’extériorise expressivement. Il permet l’exploration de la pensée dans sa formation.

L’Éducation sentimentale (1869)


La première ébauche de ce roman date de 1863. D’abord conçu comme un récit autobiographique
retraçant le grand amour de sa vie, il s’est peu à peu élargi au point de retracer la vie de toute une époque.
C’est par le personnage de Frédéric Moreau que Flaubert entreprend une étude pénétrante de la
lâcheté et de l’indécision. L’existence manquée du protagoniste correspond, d’ailleurs, à celle de toute
une jeunesse désorientée, incapable d’agir, perdue dans la rêverie. L’insuccès de la révolution de 1848,
l’événement historique autour duquel tournent les personnages du roman, est symbolisé par l’échec de
Frédéric et de sa génération. Frédéric Moreau est un jeune parisien ambitieux, mais faible. Un jour, il
rencontre Madame Arnoux dont il tombe amoureux. Mais ses sentiments se dispersent, tout comme la
conduite de sa vie. Tout en cherchant à faire carrière et en dépit de ses aventures amoureuses, il garde
toujours au fond de lui le souvenir de cette femme exquise et pure. De nombreuses années plus tard, il la
revoit ; leur entrevue est poignante de tristesse et de banalité, la tristesse et la banalité de ceux qui n’ont
rien su faire de leur vie et qui le savent.
Velléitaire et faible, Frédéric fait figure d’anti-héros : il s’oppose à l’individu balzacien
(Rastignac, par exemple) consumé d’énergie vitale. Ce qui noue et dénoue les intrigues, c’est ici le hasard
des rencontres et des circonstances. Aussi les personnages apparaissent-ils moins les acteurs que les
spectateurs de leur destinée. Le monde extérieur est appréhendé dans une contemplation passive ou
désabusée. L’absence de tout désir authentique fait de L’Éducation sentimentale «le roman de la facticité»
(Michel Raimond).

Caractéristiques du roman flaubertien :


Peintre de l’humanité moyenne, Flaubert décrit avec un réalisme minutieux, presque chirurgical,
la mesquinerie, la cupidité, l’égoïsme, l’ignorance des milieux bourgeois de son époque. Par une
accumulation de détails et de remarques justes, l’écrivain s’attache à reproduire le pittoresque du milieu
qu’il décrit. Son ambition est de donner « la sensation presque matérielle des choses». Ce qui distingue
son réalisme de celui de Balzac ou de Stendhal, c’est la conception de l’impersonnalité de l’écrivain,
l’absence de l’auteur de son œuvre, un sang froid, une réserve voulue devant les faits et les personnages
décrits.
Le héros flaubertien «rêve d’amour et d’action, mais de telle sorte que, constamment coincé entre
l’imparfait du souvenir et le conditionnel d’un futur improbable, l’instant présent ne cesse de lui échapper
» (Marthe Robert). Les personnages ne font pas leur vie, ils se contentent de subir les conséquences
désastreuses d’une existence intérieure désaccordée. L’ambition vague et illimitée, privée d’intelligence,
venant se briser sur la réalité décevante: tel est le thème central des romans de Flaubert, romans de
l’échec. Flaubert reste le grand romancier de l’inaction, de l’ennui et de l’immobilité.
Le rêve de Flaubert a été d’écrire un livre sur rien, qui se «tiendrait de lui-même par la force
interne de son style (…), un livre qui n’aurait presque pas de sujet» (Lettre à Louise Colet). L’obsession
flaubertienne du style comporte plusieurs degrés de signification. Il s’agit d’abord d’une volonté de
perfection formelle, d’autant plus nécessaire que le sujet de l’œuvre est dépourvu de beauté intrinsèque.
L’importance du style acquiert aussi une dimension métaphysique : il devient à lui seul une manière
absolue de voir les choses. Selon l’auteur, le livre devient moral grâce à sa perfection. Comme pour
Mallarmé, la littérature est seule capable de répondre à la question suscitée par tout objet : «Qu’est-ce que
cela veut dire ?». Flaubert, à travers ses fameuses descriptions (la casquette de Charles Bovary, Rouen vu
par Emma…), charge les objets d’un poids symbolique, crée entre eux un système d’appels et d’échos.
Tous les points de l’univers fictionnel, saturés de signification, font l’extraordinaire richesse des romans
de Flaubert que tant de romanciers du XXe siècle (Marcel Proust, James Joyce, Nathalie Sarraute, Milan
Kundera) considéreront comme le Maître.
Flaubert est le premier romancier de la modernité. Il met l’accent sur l’écriture et le langage au
détriment de l’aventure, de l’histoire narrative. Le romanesque subit sous sa plume des transformations
profondes. L’écrivain est le premier à prendre conscience des limites de la littérature et du langage. La
confiance que Balzac avait dans les mots et dans la crédibilité de son univers se transforme en méfiance,
en doute, en conscience des limites. Flaubert invente le thème de la crise du roman, thème récurrent
tout le long du XXe siècle. Son roman propose aussi un autre type de relation avec le réel, avec les
choses, une relation essentiellement poétique, de type baudelairien, qui cherche à établir des rapports
entre les différentes sensations – les correspondances.

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