Ries 7162
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79 | décembre 2018
Figures de l’éducation dans le monde
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/ries/7162
DOI : 10.4000/ries.7162
ISSN : 2261-4265
Éditeur
France Education international
Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2018
Pagination : 139-147
ISBN : 978-2-85420-620-3
ISSN : 1254-4590
Référence électronique
Livia Cadei et Chiara Sità, « Maria Montessori : penser l’éducation des jeunes enfants », Revue
internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 79 | décembre 2018, mis en ligne le 01 décembre 2020,
consulté le 24 juin 2021. URL : http://journals.openedition.org/ries/7162 ; DOI : https://doi.org/
10.4000/ries.7162
Maria Montessori :
penser l’éducation
des jeunes enfants
Livia Cadei
Université Catholique du Sacré-Cœur de Brescia
Chiara Sità
Université de Vérone
N° 79 - Décembre 2018
tification au mouvement de l’éducation nouvelle, sa pensée et sa méthode déve-
loppent cependant assurément les principes précités d’une manière originale.
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Une autre conception de
l’espace et de l’intervention
de l’adulte
La pédagogie Montessori accorde une grande importance à l’environ-
nement qui, dans cette conception, combine à la fois l’espace dans lequel évoluent
les enfants et le rôle joué par les adultes. Il est nécessaire que l’enfant puisse agir de
manière autonome, exprimer sa créativité dans un environnement prêt à stimuler
son activité spontanée, mais il a aussi besoin de se corriger sans intervention directe
de l’adulte. Le travail de l’adulte est de favoriser la meilleure acquisition par l’enfant
au cours de la période sensible, et ce de manière progressive. L’adulte est responsable
de l’environnement. Il exerce son rôle en observant l’action de l’enfant et en l’accom-
pagnant de son propre regard attentif (« aidez-moi à le faire seul »).
L’insoluble tension entre autorité et laisser-faire, qui sous-tendait la nécessité de
« dresser » l’enfant par la contrainte, semble dès lors laisser place à une vision plus opti-
miste, faisant davantage confiance en la bonté naturelle de l’enfant. (Schetgen, 2016)
La relation éducative est profondément modifiée :
En éducation, on ne peut donner de directions précises, mais seulement des orien-
tations. Par exemple, le fait que l’adulte doit respecter l’enfant, son ego et le rythme
avec lequel il se construit. Chaque fois que l’adulte agit envers l’enfant, il ou elle sent
son consentement et laisse de côté son ego pour ne pas l’obliger à faire ce qu’il a pensé
pour lui. Je ne veux pas dire que vous devez demander la permission à votre enfant.
142 On ne dira pas « enfant, permets-moi de te dire… », mais ce n’est pas une question de
violence. Si vous voulez faire une promenade avec un enfant qui ne parle pas encore,
quelle permission pouvez-vous lui demander ? Il ne s’agit donc pas de cela, mais de dire
respectueusement, en douceur, l’enfant a alors le temps de ressentir comme une invi-
tation, et son Ego va agir dans ce sens. Si vous voulez lui donner quelque chose, ne le
lui donnez pas mais mettez-le près de lui, attendez que son Ego l’accueille et le prenne
pour lui-même. De cette façon, nous aidons l’enfant à se sentir, à avoir confiance en
ses possibilités d’action ». (VII conferenza al XV corso internazionale di Roma, 1931)
Le matériel est un autre point essentiel de la pensée Montessori. Il s’agit d’un
matériel bien spécifique et qui a les caractéristiques suivantes : il isole une seule qualité
pour amener l’enfant à distinguer une chose à la fois ; il permet le contrôle de l’erreur sans
besoin de faire appel à l’adulte ; il est beau pour que l’enfant prenne plaisir à manipuler un
objet ; il se prête à l’activité de façon à ce que l’enfant se mette en action tout naturellement.
1. La méthode de la pédagogie scientifique est un ouvrage publié en cinq éditions qui se succèdent de 1909
(première édition) à 1950, date de la cinquième édition, qui paraît avec un nouveau titre La découverte de l’enfant.
Les deuxième, troisième et quatrième éditions sont publiées en 1913, 1926 et 1935.
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Dans d’autres parties du monde, au contraire, la pensée montessorienne a
connu dès le début puis au fil du temps de plus en plus d’échos. À cet égard, Viaud
(2017) propose une reconstitution claire de sa diffusion en indiquant que « de toutes
les pédagogies, des questions alternatives de l’éducation nouvelle, c’est la seule à être
diffusée sur tout le continent », et même bien au-delà (comme en Inde où, pendant
la Seconde Guerre mondiale, Maria Montessori a prononcé de nombreuses confé-
rences). Actuellement, on dénombre plus de vingt mille écoles Montessori dans le
monde, que l’on peut classer en cinq grands types :
– des écoles élitistes internationales et bilingues : il s’agit d’écoles implantées
dans la plupart des grandes capitales du monde et qui mettent en avant l’attention
individuelle et la qualité de l’offre ;
– des écoles d’apprentissage précoce au service de l’ascension sociale : fréquen-
tées par les nouvelles classes moyennes et supérieures locales, ces écoles mettent
l’accent sur les apprentissages ;
– des écoles visant l’épanouissement, la confiance en soi, la socialisation : ces
écoles sont celles qui insistent le plus sur l’importance des interactions sociales, de
l’entraide et de la solidarité ;
– des écoles au service des plus défavorisés : elles sont fondées par des mouve-
ments humanitaires pour les enfants les plus déshérités, comme les orphelins ou les
enfants des rues ;
– des écoles confessionnelles, qui insistent sur leur volonté de concevoir un
enseignement religieux fondé non plus sur la mémorisation ou l’obéissance à des
préceptes mais sur l’appel à l’intelligence et à la sensibilité de l’enfant, dès le plus
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jeune âge.
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Une contribution
à la pédagogie spéciale
Au départ, la pédagogie Montessori a été développée à partir de l’éducation
des enfants handicapés et a modifié profondément l’éducation spéciale, non seule-
ment en ce qui concerne la didactique, mais aussi dans l’engagement contre la stig-
matisation et pour l’implication des familles, notamment à travers le soutien aux
mères dans l’accompagnement des enfants. Maria Montessori a consacré beaucoup
de temps à la relation avec les mères du quartier populaire de San Lorenzo, pour leur
transmettre le sens du travail que leurs enfants faisaient à la Casa dei Bambini et les
liens avec leur vie quotidienne (Bello, 2016).
La fonction de l’adulte
La pédagogie montessorienne a contribué à l’idée fondamentale, dans la
didactique contemporaine, de la fonction éducative d’accompagnement de l’appren-
tissage par l’enseignant, qui se réalise à travers la planification et la préparation du
contexte d’une part, et d’autre part à travers l’observation systématique des enfants
tant dans la découverte que dans l’expérimentation autonome.
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Le féminisme
et l’engagement social
de Maria Montessori
L’attention à la condition et aux droits des femmes, visible dans ses
interventions et dans son engagement politique et culturel, est présente dans
la figure publique de Maria Montessori bien avant l’expérience de la Casa
dei Bambini. Sa conception de l’enfant et de ses infinies possibilités produit
une pédagogie où – comme dans sa propre biographie - le genre n’est pas un
destin (Babini, 2000) ; des témoignages attestent de l’aversion du fascisme
pour les activités montessoriennes de vie pratique qui incluent des activités de
nettoyage des espaces éducatifs et de lavage de la vaisselle confiées aussi aux
garçons.
En ce qui concerne l’engagement social, Maria Montessori a développé
une profonde confiance dans le pouvoir de l’enfant et dans sa capacité d’au-
to-éducation qui s’associe à un engagement en faveur des enfants défavorisés
pour des raisons de naissance, sociales ou de manque de considération. Il semble
que dans les écoles actuelles, la conception montessorienne de l’enfant soit plus
utilisée comme base pour la didactique qu’en termes d’engagement social à
finalité inclusive, de parité de genre, d’égalité, autant d’aspects qui sont plutôt
confiés à la sensibilité des enseignants et des chefs d’établissements.
Le discours sur Montessori, qui dure depuis plus d’un siècle et dans les pays les plus
146 divers, n’est pas simplement répétitif ; sa leçon est captée en fonction de sa sensibi-
lité culturelle et historique ; elle est interprétée en considérant la manière dont elle a
eu lieu au fil du temps ; étonnamment elle a réussi à souder l’analyse positiviste de
l’Occident avec celle plus spiritualiste de l’Orient ». (Cives, 2001)2
Maria Montessori
entre réseaux de relations
et d’influences
Les choix, la recherche et les visions pédagogiques de Maria Montessori
décrivent une figure complexe, insérée dans un contexte également complexe.
L’éducation universitaire de Maria Montessori, ses premiers pas dans le monde de
la recherche, sa sensibilité aux thèmes pédagogiques, ses études anthropologiques et
médicales, l’élaboration de sa méthode et de son matériel, jusqu’à la naissance des
premiers foyers pour enfants sont des développements réalisés dans un contexte
fortement marqué sur le plan culturel.
Parallèlement à la rigueur de la méthode scientifique, la sensibilité éducative
de la chercheuse a mûri dans un ensemble de relations significatives qui articulent
anthropologie phénoménologique et attention à l’être humain, à la base de son enga-
gement féministe et social.
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