Abel Kouvouama
Abel Kouvouama
Abel Kouvouama
PAR
Ahel KOUVOUAMA
Université de Brazzaville
Laboratoire de Philosopie Comparée
Introduction
CONSIDÉRATIONS PREMIÈRES
4. Ce travail s'appuie sur les enquêtes de terrain effectuées en 1995, 1996 et 1997 à
Brazzaville, en collaboration avec Elisabeth Dorier-Apprill dans le cadre de l'Equipe ORS-
TOM/CNRS, "Citadins et religions". Elles feront l'objet d'une publication ultérieure.
5. Voir notamment Bidima (J.-G.), La palabre. Altérité et juridiction de la parole, Paris,
Editions Michalon, 1997.
390 QUESTIONS SENSIBLES
C'est alors qu'au moment de rendre publics les différents rapports des com-
missions, des divergences apparaîtront dans la désignation des dirigeants qui
auraient commis des crimes politiques et économiques. Le front établi cette
fois-ci par les "aînés" politiques, toutes tendances confondues, ainsi que les
pressions ethnocentriques et clientélistes quotidiennes assorties de menaces de
toutes sortes qu'ils ont faites à l'endroit des "cadets" politiques fragiliseront
davantage les positions de ces derniers. C'est en cet instant précis que la
Conférence nationale prendra une autre tournure à peine perceptible au cours
du 4ème mois des travaux. Elle verra s'affronter au dernier tour pour la candi-
dature au poste de Premier ministre, des personnalités venues de l'étranger, en
l'occurrence, Pascal Lissouba et André Milongo. Même si l'élection de ce der-
nier pouvait symboliser la victoire d'un candidat non soutenu par les partisans
du parti unique qui ont réellement participé au jeu démocratique tout au long
de ladite Conférence, elle montrait par ailleurs l'échec d'un renouvellement de
la classe politique. Cela devait se traduire quelques mois plus tard dans l'attri-
bution aux "aînés" sociaux des postes politiques et administratifs stratégiques
au sein du gouvernement et de l'appareil d'Etat; le prétexte du "manque
d'expérience" des "cadets" sociaux était évoqué pour leur disqualification poli-
tique du reste renforcée par les rares erreurs de quelques uns d'entre eux.
10. Les participants à la Conférence nationale utilisaient les mots "scuds", "patriotes" par
allusion aux armes utilisées au cours de la même période pendant le guerre du Golfe.
11. En tant que délégué de la Société Congolaise de Philosophie (SOPHIA) à la Conférence
nationale, nous avions été désigné parmi l'un des conseillers consulté de temps en temps par
Mgr Kombo pour la bonne conduite des travaux.
394 QUESTIONS SENSIBLES
- La Rumeur, c'est nous les pas sérieux, bâtards oufils de putains: pousseurs,
vendeurs à la sauvette, escrocs, récureurs de poubelles, filles de joie, enfants de la
rue 12 ••• Nous sommes faits pour gérer la rumeur, la vraie! avec sa saleté et son
mensonge. La rumeur n'est-elle pas la mère de l'opinion publique?
Nous sommes la crasse de la société, ses rebuts, des cailloux sur le trottoir, men-
diants de la charité. Pour cette vie si moche, nous vous offrons le rire allègre,
l'angoisse et l'interrogation. Au commencement était la rumeur, et celle-ci devint
politique.
Nous ne sommes que punaises faites pour sucer vos saloperies les plus insoup-
çonnées, boire vos vomissures et vous les recracher en pleine figure, pour vous écla-
bousser de cette vérité - là, la nôtre, la vérité âcre des sans-voix, lumière des taupes.
Moustiques têtus, nous venons siffler à vos oreilles ces mots d'intrigue qui vous
donnent la chair de poule, vous irritent et vous enragent. Et quand vous n'y prenez
garde, noui ! nous vous piquons.
- Pourquoi la rumeur vous inflige-t-elle le frisson ? je vais vous le dire : vous
êtes comme moi, des songeurs, friands de biparla-parla, potins, ragots, quolibets,
cogitations les plus saugrenues. Et vous courez ensuite dégueuler le songui-songui.
Comme moi, vous voulez la primeur mais l'exclusivité de toute congonnerie. Et
vous prêtez l'oreille, haletant d'impatience l'œil moite pour être seul à savoir «les on
dit», oubliant souvent que moi qui vous le dit, je le sais bien avant vous. La rumeur,
c'est la grand'gueule dans un emballage de confidences. Toujours et toujours.
Prêtez-moi l'oreille, pas votre confiance. J'ai tendu un piège épineux aux trop cré-
dules. Si je forge l'opinion, je ne livre guère d'informations. Parce que je suis la
rumeur. C'est pour flatter vos oreilles que je maquille les mensonges avec un peu de
vérité. Mensonges, rien que des mensonges. Mais je sais à quel point vous en avez
besoin pour votre santé mentale. Votre cœur n'adore-t-il pas lefard ? Vrai: la véri-
té toute nue vous rebute. Vous aimez le maquillage. Alors La Rumeur est toute faite
pour vous: l'homme a bien plus besoin de doute que de certitude.
- Dans tout mensonge il y a un brin de vérité. L'un et l'autre ne sont que les
revers d'une seule et même médaille. Pour vous, la vérité importe peu si elle est
porte ouverte. Vous cherchez le brin, l'insignifiant, la racine, le grain qui porte
l'essentiel. Un brin de vérité, rien qu'un brin. Et si je suis avare avec les nouvelles
vraies, c'est parce que je trouve mes lecteurs pas trop suspicieux. Ils adorent le
caché, le secret, le mystérieux. Or si la vérité est nue, seul le brin est mystère.
Mensonge et vérité seront donc d'égale valeur tant que manquera ce brin-là. Brin
12. La référence au roman Les Misérables deviendra explicite lorsque le journal créera le
personnage de P'tit David, "Le Gavroche de la rue congolaise", et éditera même une bande
dessinée sous son nom.
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de vérité ou brin de mensonge, peu importe. Ce qui compte, c'est ce brin qui vous
donne des pulsions; et vous fricotez des montagnes d'imaginations et d'invraisem-
blances. Alors permettez que la Rumeur sécrète son mensonge-vérité en débutant
par la formule intriguante : "il paraîtrait que... » "'3
13. Pour l'étude détaillée de cette presse congolaise de l'ère démocratique, Nicolas Martin-
Grane! a consacré une analyse fine dans notre ouvrage collectif à paraître au cours du premier
semestre 1998 sous le titre Vivre à Brazzaville, Dorier-Apprill (E.), Kouvouama (A.), Apprill
(C.), Martin-Grane! (N.) (dir.), Paris, Karthala.
396 QUESTIONS SENSIBLES
droits définis par la Charte internationale des Droits de l'Homme des Nations
Unies de 1948, la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples
adoptée en 1981 par l'Organisation de l'Unité Africaine et la Charte des
Droits et Libertés adoptée en 1991 par la Conférence Nationale Souveraine".
14. Enquêtes menées par Elisabeth Dorier-Apprill dans le cadre de l'équipe "Citadins et
religions" .
CONFÉRENCE NATIONALE ET MODERNITÉ RELIGIEUSE AU CONGO 397
du que c'étaient les céphalées, que je me suis soignée de toutes les manières
possibles sans résultat. Elle a mis la main dans son sac, en a sorti un mou-
choir et m'a dit: «Désormais, quand tu auras mal à la tête, pose-le sur ta
tête. S'il se salit, tu le laves, mais ne le repasse jamais». Elle m'a ensuite com-
muniqué l'adresse d'une de ses sœurs qui a un don de Dieu et qui soigne les
malades et m'a demandé de lui écrire (... )". Deux mois plus tard, "Au cours
de la messe, j'ai commencé par trembler, puis j'ai senti une impression très
pénible. Si cette impression avait duré dix minutes, j'aurais beaucoup souf-
fert. De son autel, le prêtre a annoncé alors que le Seigneur venait de «saisir»
une des femmes présentes dans l'église. Après qu'il ait dit cela, j'ai ressenti
une grande paix intérieure et j'ai commencé à m'interroger sur ce qui venait
de m'arriver ( ... ) Une nuit, on m'a demandé (une voix de femme) ce que
j'allais chercher chez une guérisseuse: «qui t'a dit que tu as le mwandza.
Dimanche, je t'ai saisie à l'église tu as désormais le don de guérison en toi.
Tes démangeaisons, c'est moi qui te les provoque» ( .. .) Aussitôt, on m'a mon-
tré une cuvette blanche, avec de l'eau et trois pierres à l'intérieur. J'étais per-
plexe, car si je pouvais trouver facilement une cuvette et de l'eau, il me
paraissait difficile de trouver les trois pierres. Et voilà que je me suis souve-
nue que lors de mon pèlerinage, j'avais ramassé deux pierres dans le
Jourdain, et une autre dans les Tibériades, le lieu où Jésus avait nourri plu-
sieurs personnes avec peu de pain. Or ces pierres je les avais placées sur une
tablette de prière comme simple souvenir de voyage. On m'a révélé alors que
les pierres en question étaient celles que j'avais rapportées des lieux saints
(...J". Revenue chez elle de retour du marché où elle est allée acheter la cuvet-
te blanche, elle vécut cette autre expérience: "Tout à coup, j'ai senti un coup
en moi, je me suis levée dans ma chambre, je me suis allongée sur le lit et je
me suis mise à parler lari, viii, téké et d'autres langues congolaises.
Brusquement, un tableau m'est apparu. Sur ce tableau étaient présentées
toutes les façons de soigner les malades: les femmes stériles, les aveugles, les
muets, etc. "16.
16. Voir les analyses de Tonda (J.) et Kouvouama (A.) dans Prophètes, prophéties et mou-
vements religieux dans le Congo contemporain, Gruenais (M.-E.), Kouvouama (A.), Tonda
(J.) (dir.), Rapport de recherche, Paris ûRSTûM, Septembre 1992, pp. 61-112.
CONFÉRENCE NATIONALE ET MODERNITÉ RELIGIEUSE AU CONGO 399
La plus importante est l'Eglise de Jésus Christ sur terre par le prophète
Simon Kimbangou (EJCSK, ou Eglise kimbanguiste), dont le foyer et la ville
sainte (Kamba) se trouvent au sud de Kinshasa, et qui possède aujourd'hui
une envergure mondiale. Depuis la mort du prophète en déportation en 1951,
elle a été dirigée tour à tour par les deux fils de S. Kimbangou. Elle s'est déve-
loppée au Congo-Brazzaville dans les années 20 à Kounzoulou, puis à Kinsasa
à 5 km de la ville de Boko au sud de Brazzaville, sous l'action principale de
Samuel Matouba, premier représentant légal et ancien catéchiste de la mission
suédoise de Musana. Mais c'est surtout en 1957 que deux groupes de kimban-
guistes se rencontreront dans le quartier Poto-Poto sur l'initiative du pasteur
Victor Mfikéwé, l'actuel représentant national du kimbanguisme au Congo-
Brazzaville. Outre les activités religieuses intenses, le kimbanguisme s'inscrit
fortement dans la modernité urbaine à travers des actions sociales (création
d'un centre de santé primaire et de nombreux dispensaires), des activités agri-
coles, avicoles, etc.
17. Sur le kimbanguisme, cf. Asch (S.), L'Eglise du Prophète Kimbangu de ses origines à
son rôle actuel au Zaïre (1921-1981), Paris, Karthala, 1983, 342 p. ; sur le ngounzisme, cf.
MacGaffey (W.), Modern Kongo Prophets : Religion in a Plural Society, Bloomington,
Indiana University Press, 1983,285 p.
400 QUESTIONS SENSIBLES
Dans les quartiers nord de Brazzaville il existe également des églises néo-
traditionnelles comme l'Eglise Dzibari-Amour mêlant au christianisme de forts
éléments empruntés aux cultures du nord Congo notamment de la région des
Plateaux.
Les Eglises de Réveil désignent principalement ici de très jeunes églises (la
plupart ont moins de 10 ans) qui s'inscrivent dans la lignée croyante pentecô-
tiste, attachant une grande importance au contact personnel avec Dieu, et à
"l'effusion de l'Esprit" qui se manifeste souvent par le "parler en langues" ou
même par des formes de transe lors des cultes 19 •
18. Voir notre travail, "Du devenir du matsouanisme dans le Congo contemporain" in
Gruenais (M.-E.), Kouvouama (A.), Tonda (J.) (dir.), Prophètes, prophéties et mouvements
religieux dans le Congo contemporain, Paris, ORSTOM, septembre 1992, pp. 61-74.
19. Cox (J.), Le retour de Dieu, voyage en pays pentecôtiste, Paris, Desdée de Brouwer,
1995,296 p. Corten (A.), Le pentecôtisme au Brésil. Emotion du pauvre et romantisme théo-
logique, Paris, Karthala, 1995,307 p.
20. Mouvement du 5 février 79. Eviction et arrestation de J.-J. Yhombi Opango destitué
pour "corruption et dérive droitière" par le congrès du PCT.
402 QUESTIONS SENSIBLES
- celle des petites Eglises de Réveil indépendantes qui ont moins de dix ans
et sont animées par de très jeunes pasteurs, étudiants et diplômés sans emploi
frappés par le chômage et les plans d'ajustement structurel. Certaines de ces
églises sont dirigées par de jeunes pasteurs venus du Congo-Kinshasa (ex-
Zaïre). La plupart de ces petites Eglises de Réveil se sont regroupées pour for-
mer la Communauté des Eglises de Réveil (C.KR.). Notons qu'au début du
début de l'année 1997, lors de la période préélectorale, la mairie de Bacongo a
tenté de canaliser la vie religieuse dans l'arrondissement 2 au moyen de recen-
sements et de modes bureaucratiques de regroupements, avec la création du
"Bureau de coordination des Eglises de Réveil à Bacongo".
24. Voir notamment Mbembe (A.), Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et Etat en
société postcoloniale, Paris, Karthala 1988 ; Bayart (J.-F.) (dir.), Religion et modernité poli-
tique en Afrique noire, Paris, Karthala, 1993 ; Chrétien (J.-P.) (dir.), L'invention religieuse en
Afrique. Histoire et religion en Afrique noire, Paris, Karthala, 1993.
CONFÉRENCE NATIONALE ET MODERNITÉ RELIGIEUSE AU CONGO 405
"Dieu ne parle que de vous enrichir, c'est ce qu'il a dit à Abraham: «enri-
chissez vous»! Mais comment on peut s'enrichir en restant comme ça là ? Dieu
compare le chrétien à un laboureur, ilfaut seulement bosser, Dieu a tout dit.
J'aime Paul, Paul a dit avant de venir ici j'ai d'abord bossé, j'ai mon argent
et avec ça je vais évangéliser. On glorifœ Dieu à travers votre travail. Dieu
n'aime pas la paresse, si les gars étaient réellement chrétiens ils bosse-
raient.[. ..]
Si je suis tout le temps à l'Eglise, est ce que je suis en accord avec Dieu
?"».[...]
Les gens occupent ce temps pour flâner sous prétexte de Dieu! [ ...]
Jésus le dit clairement, dans la Bible - c'est dans Mathieu 6 - quand il
dit que n'est pas chrétien celui qui dit «Seigneur, seigneur... mais celui qui
fait la volonté de son père ... et que veut Dieu le père ? Il faut s'enrichir! il
faut être riche pour aider les pauvres fComment voulez vous aider les autres,
les pauvres si vous n'êtes pas riches? Si tu n'as pas d'argent comment peux tu
aider les autres ?» [ •..]
Ce qu'avait déclaré Néhémie «levons-nous et bâtissons», c'est l'idée de la
construction, mais quand vous lisez la Bible de A à Z ce n'est que l'idée de la
construction.[. ..] D'ailleurs les pays anglo-saxons qui sont protestants, ils ont
mis l'accent sur le travail... ''25 '
25. Dorier-Apprill (E.), Kouvouama (A.), Entretien avec V.D., scientifique de haut niveau
et membre de l'Eglise Philadelphie et du Full Godspel.
26. Voir notamment Barbier (J.-C.), Dubourdieu (L.), Dorier_Apprill (E.), Kouvouama
(A.) et Meyrargue (C.), D'une citadinité de rente à une citadinité de crise: recherche de soli-
darités élargies, recompositions sociales et renouvellement des élites. Du local au mondial par
le biais du religieux, Equipe ORSTOM/CNRS, Bondy, 1997.
406 QUESTIONS SENSIBLES
27. Ces questions ont été développées lors de nos enseignements de janvier-février 1997 à
l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, sur le thème "Anthropologie de la modernité
en Afrique", dans le cadre des séminaires de Elikia Mbokolo. Elles seront approfondies au
cours du second trimestre de 1998 dans ces mêmes séminaires.
CONFÉRENCE NATIONALE ET MODERNITÉ RELIGIEUSE AU CONGO 407
Les élections municipales et législatives d'Avril 1992 seront gagnées par les
partis politiques des deux camps qui miseront davantage sur un ancrage terri-
torial et ethnique: il en est ainsi du MCDDI dans la région du Pool et dans les
quartiers sud de Brazzaville, du RDPS dans la région du Kouilou, du PCT et
du RDD dans la région de la Cuvette et dans les quartiers nord de Brazzaville,
et l'UPADS (Union Panafricaine pour la Démocratie et le Progrès Social),
dirigé par Pascal Lissouba dans les régions du Niari, de la Bouenza et de la
Lékoumou, en abrégé NIBOLEK28.
Mais à la suite des divergences nées de l'irrégularité des résultats des élec-
tions et de la proclamation de résultats par le Ministre de l'intérieur en lieu et
place de la Commission Nationale d'Organisation de Supervision des Elections
Législatives Anticipées - proclamation du reste désapprouvée par la Cour
Suprême consultée par le Président de la République - l'alliance de l'opposi-
tion dresse des barricades. La Mouvance présidentielle organisera elle seule le
second tour des élections anticipées et installe le nouveau bureau de
l'Assemblée nationale. Un nouveau Premier Ministre est nommé en la person-
ne de Joachim Yhombi Opango.
28. Pour une lecture de cet ancrage territorial et ethnique, voir notamment Dorier-Apprill
(E.), "Jeunesse et ethnicités citadines à Brazzaville" in Politique Africaine, 64, Paris,
Karthala, Décembre 1996, pp. 73-88.
408 QUESTIONS SENSIBLES
Or, cette ville est le fief politique de son adversaire politique Joachim
Yhombi-Opango, ancien Président de la République et directeur de campagne
de Pascal Lissouba ; il y avait dans cette visite pré-camp~gne de Denis Sassou
Nguesso à Owando, des enjeux politiques et symboliques: enjeux politiques,
ceux de conquérir l'électorat des populations kouyou, électorat important
pour la reconquête de toute la région de la Cuvette où l'effondrement du
niveau de vie comme partout dans le pays et la non réalisation des promesses
électorales par Pascal Lissouba le disqualifiaient déjà pour l'élection présiden-
tielle de juillet-août 1997 ; enjeux symboliques, par l'usage du tipoye (fauteuil
royal porté par quatre personnes, signe de respect et de distinction historique-
ment réservé aux dignitaires) qui permettait à Sassou Nguesso d'entrer "roya-
lement" dans Owando, au grand dam de Yhombi-Opango et de Jacques
Okoko, président du Conseil Régional de la région de la Cuvette et adversaire
déclaré de Sassou-Nguesso. Aussi, ne devait-il pas déclarer auparavant sur les
ondes nationales contrôlées par le pouvoir d'alors que "tous les moyens seront
mis en œuvre pour empêcher Sassou d'entrer comme Jules César à Owando".
Le jour de l'événement, un capitaine des Forces Armées Congolaises proche de
Yhombi-Opango "infiltré" dans le cordon de sécurité sera abattu par le com-
mandant Aboya. Selon Patrice Yengo, "C'est la guerre d'Owando qui com-
mence avec des vendettas et des contre-vendettas au point qu'une semaine
après, quatre mille personnes non ressortissantes d'Owando se réfugient à
oyo. Dans un meeting à Talangaï, (arrondissement 7 de Brazzaville) à lafin
(suite note 30) en Mrique" in Yengo (P.) (dir.), Identité et démocratie, Paris, L'Harmattan
et Association Rupture, pp. 269-281.
410 QUESTIONS SENSIBLES
du mois de mai, Sassou n'hésite pas à monter le ton: «combien de temps vont-
ils encore bafouer l'honneur de l'armée? Combien de temps vont-ils encore
s'attaquer à ma personne ?». La réponse du gouvernement ne se fait pas
attendre. Il encercle tout de suite la résidence de l'ancien Président.
L'attaque n'est pas donnée tout de suite, car différée par l'arrivée de F.
Mayor qui leur fait signer un pacte de paix qui ne tardera pas à être bafoué
trois jours plus tard"31.
- La guerre civile qui durera cinq mois, de juin à octobre 199732 se termine-
ra par la défaite militaire du Pouvoir dirigé par Pascal Lissouba et ses alliés
traditionnels de la mouvance présidentielle y compris ses alliés de dernière
heure comme Bernard Kolélas, leader du MCDDI et maire de Brazzaville qui
jouait pourtant le rôle de médiateur entre les belligérants. Mais celui-ci accep-
tera de former avec Pascal Lissouba et ses partisans, un front politique appelé
Espace Républicain de Défense de la Démocratie et de l'Unité Nationale
(ERDDUN). De plus sa nomination au poste de premier ministre au mois de
septembre 1997 fera de lui un allié de Pascal Lissouba dans la guerre contre
Denis Sassou Nguesso qui bénéficiera du soutien militaire décisif de l'Angola.
31. Yengo (P.), "Questions autour d'une guerre" in revue Rupture, nO 10, 2è trimestre,
Pointe-Noire 1997, p. 45.
32. Dorier-Apprill (E.), "Guerres des milices et fragmentation nrbaine à Brazzaville" in
Hérodote nO 86-87, Paris, La Découverte, 3è-4è trimestres 1997, pp. 182-220.
CONFÉRENCE NATIONALE ET MODERNITÉ RELIGIEUSE AU CONGO 411
33. Communiqué final des travaux du Forum National pour la Reconstruction, l'Unité, la
Démocratie et la Reconstruction in, La Rue meurt, l'hebdomadaire de Brazzaville, nO 216 du
15 au 21 janvier 1998, p. 7.
412 QUESTIONS SENSIBLES
mais dans les hommes qui ont en charge la conduite des affaires publiques. A
cet égard, le Forum a préconisé l'assainissement de l'aréopage politique
national par la moralisation de la vie politique, l'application des règles du jeu
démocratique assortie des contraintes sur le fonctionnement et le financement
des partis politiques"34. Concernant la réconciliation nationale, tout en affir-
mant "qu'une partie du peuple ou région de la République ne peut s'appro-
prier le monopole de l'exercice du pouvoir, ni être pris en otage par un parti
ou par un leader politique", le Forum a vu la nécessité d'élaborer une
"Charte de la Réconciliation nationale dont le contenu serait harmonisé avec
les actes pris à la Conférence Nationale Souveraine". Que le Forum ait fait de
temps en temps référence à certaines décisions prises lors de la dernière
concertation nationale de 1991 indique la nature des enjeux démocratiques
qui se posent pour la nouvelle période de transition de "trois ans flexible" qui
commence maintenant. Ces enjeux démocratiques informent entre autre sur le
mode de gestion "consensuelle" du pouvoir politique par plusieurs forces poli-
tiques dont les rapports de force sont inégaux au sortir de cette seconde guerre
civile où la citoyenneté a été mise à rude épreuve.
34. Id., p. 7.
35. Voir le journal catholique La Semaine Africaine, nO 2143 du Jeudi 22 janvier 1998,
Brazzaville, p. 8.