Fiche de Lecture L'Afrique Dans La Mondialisation de Makhtar Diouf Par Portia Lewis
Fiche de Lecture L'Afrique Dans La Mondialisation de Makhtar Diouf Par Portia Lewis
Fiche de Lecture L'Afrique Dans La Mondialisation de Makhtar Diouf Par Portia Lewis
I. Résumé de l’ouvrage
Depuis quelques années, la mondialisation et ses effets sont le sujet des débats
intenses. Le concept est peut-être nouveau mais les traces de ce phénomène remontent loin
dans l’histoire. Dans son ouvrage, L’Afrique dans la mondialisation, Makhtar DIOUF suit
l’évolution de ce phénomène dans l’histoire du continent africain et montre la continuité de la
mondialisation en Afrique. Selon DIOUF, la mondialisation a suivi trois étapes en Afrique :
1) la colonisation, 2) la période des indépendances (une période favorable), et 3) la nouvelle
mondialisation.
Dès ses premiers contacts avec l’Occident, les intérêts commerciaux des « maisons de
commerces » et les firmes nationaux ont joué un rôle majeur dans les relations de ses pays
avec les pays africains. Les grands artisans de la colonisation ont été les sociétés
commerciales qui préfiguraient les sociétés multinationales de l’époque moderne. Dans les
colonies britanniques, les hommes d’affaires gérant les « chartered companies » sont les
agents de l’exécution de la colonisation britannique. Bien que les méthodes de la colonisation
française fussent se différerait de la colonisation britannique, l’insertion des économies
africaines dans les circuits d’économie marchande s’y faisait aussi. Comme en témoigne
Léopold Senghor, « Nous découvrions…que la politique ‘coloniale’ n’était faite ni par le
Gouvernement ni pour les ‘indigènes’. L’Empire colonial…était gouverné par une caste de
fonctionnaires dont les grandes compagnies coloniales tiraient les ficelles » (p. 40).
L’intégration de l’Afrique dans la mondialisation s’est fait dans un deuxième temps
depuis le début des années 1980. Cette fois-ci opéré par les organisations économiques
internationales comme le Fonds monétaire internationale, l’Organisation mondiale du
commerce, et la Banque mondiale qui sont, selon l’auteur, sous le contrôle « d’organisations
mondialistes puissantes ». La nouvelle phase de la mondialisation est en effet une
recolonisation de l’Afrique. Pour Monsieur Diouf, la mondialisation dans ses diverses formes
est un projet réfléchi, planifié qui s’est progressivement mis en place depuis plus d’un siècle
par des agents économiques.
La nouvelle forme de la mondialisation diffère aussi de celle de la période coloniale.
Dans sa première phase, l’initiative venait de l’Europe, dans la seconde, l’initiative vient des
Etats-Unis. La transformation du monde multipolaire ou même bipolaire à un monde sous
l’emprise de l’Amérique a eu pour conséquence la propagation d’un paradigme universel pour
le développement économique et culturel, dans la forme du Consensus de Washington dont
les caractéristiques majeures sont la force du marché et la démocratie libérale. Dans un tel
système, il y a peu de considération pour les spécificités historique et culturelles.
Bien qu’il y ait certains avantages de la mondialisation notamment dans les secteurs
de l’information et de la communication, ses effets dévastateurs en Afrique-surtout sur
l’économie et la culture- ne doivent pas ni peuvent pas être ignorés. Dans la conclusion du
texte, l’auteur souligne que l’objectif de ce livre est d’éclairer les Africains sur les enjeux de
la mondialisation et les véritables acteurs dans ce projet. Il ne se proclame pas adversaire de
la mondialisation en tant que telle parce qu’elle peut « permettre un développement
harmonieux de toutes les parties constitutives de l’économie mondiale au profit des
populations » mais il est contre la mondialisation dans sa forme d’impérialisme économique
et culturel. Il s’interroge cependant s’il est possible de faire du mondialisme autrement.
II. Commentaires et critiques personnels
En lisant ce texte, l’obstacle majeur pour la légitimité des idées de l’auteur est son
avancement des théories du complot qui voit dans les affaires internationales l’influence
louche de la franc-maçonnerie. Pour moi, cette idée a sérieusement affaibli la crédibilité de
l’auteur. La franc-maçonnerie est le sujet de plusieurs théories du complot dont on trouve des
milliers sur l’Internet.
A part ce hic initial, je trouve sa démarche chronologique efficace et bien choisie. De
cette façon, il montre la continuité de l’exploitation des ressources africaines par les pouvoirs
occidentaux. Une exploitation camouflée dans l’époque coloniale par la notion de la
« mission civilisatrice » des colonisateurs puis, à l’ère moderne par institutions financières
internationales avec les programmes de réformes économique qui se basent sur l’exportation
des matières premières sans développement local.
Pourtant, il place son argument dans une optique trop binaire qui rejette tout la
responsabilité sur les européens et américains. Une approche non critique est improductive
parce que, au minimum elle renforce les notions de faiblesse statique et constante et de
manque d’ « agency » sur la part des africains. Ou, au pire, elle sape la nécessité et
l’opportunité d’avoir un esprit critique.
Il place tous les pays africains dans la même rubrique sans parler de la différenciation
des situations économiques de ces pays. C’est bien vrai que seulement une minorité des pays
africains sont prêts à exploiter les bénéfices possibles de globalisation mais on ne devrait pas
ignorer ceux qui peuvent bénéficier. L’Afrique n’est pas un continent homogène et on ne peut
comprendre les défis et les opportunités pour chaque pays sans analyser les contrastes
émergents.
On ne peut pas nier que la globalisation dans toutes ses formes a eu des conséquences
négatives pour les pays africains mais on ne peut pas nier non plus que la participation à
l’économie mondiale est une condition sine qua non pour la croissance économique. C’est
évident que la globalisation n’est pas une panacée pour les problèmes économiques sur le
continent. Sans la mise en place des politiques et des institutions complémentaires, les pays
africains ne vont pas en tirer les bénéfices possibles.
C’est un autre domaine que l’auteur a ignoré. Pour certains analystes, l’une des raisons
pour la marginalisation de l’Afrique est le manque de « bonne gouvernance ». Bien qu’on
puisse commencer avec l’héritage de la période coloniale qui est l’existence des Etats
artificiels et faibles ainsi que les effets de la Guerre Froide, on ne peut pas nier qu’il y a une
prépondérance de leadership inefficace et des mauvais gouvernements. Les systèmes
politiques et la qualité des services publics à travers lesquels les politiques sont exécutés
restent très faibles.
Même s’il ne le fait pas explicitement ou expressément, l’idée qui sous-tend le livre
s’appuie en grande partie sur les analyses des théories dépendantistes qui voient dans les
mutations de l’économie capitaliste mondiale les facteurs déterminant l’historicité de sa
périphérie. Pour ces auteurs, les économies africaines sont structurellement maintenues dans
une fonction périphérique par rapport au centre du capitalisme international. Comme ces
théories, l’analyse de l’auteur de ce livre peut être critiquée pour le caractère un peu réducteur
de son analyse. Cette approche masque la complexité des sociétés et des systèmes africains.
En outre, il met de coté l’agency des acteurs africains.
Dans un ouvrage de William Zartman, cité par Ukoha UKIWO, il critique les théories
dépendantistes pour leur perspectif des sociétés stagnants en disant qu’ « En arguant que les
choses n’ont pas vraiment changé depuis l’époque coloniale, il nie à la fois les changements
du passé et ignore la possibilité des changements dans l’avenir… » Dans son article, il
affirme qu’il y avait des changements progressifs dans les rapports entre l’Europe et l’Afrique
ce qui est à l’opposé de l’idée dépendantistes qui considère les indépendances politiques une
façade car la métropole a toujours le pouvoir.
Jean-François Bayart a vivement critiqué cette idée et il argue que le meilleur moyen
pour comprendre le rapport de l’Afrique avec le reste du monde est le paradigme
d’extraversion. Son paradigme rejette la perspective de la marginalisation de l’Afrique en
confirmant que l’Afrique a toujours fait partie du système mondial qui a évolué au fil des
temps. Il basait sa thèse initial sur l’idée que « les acteurs dominants des sociétés
subsahariennes ont incliné à compenser leurs difficultés à autonomiser leur pouvoir et à
intensifier l’exploitation de leurs dépendants par le recours délibérés à des stratégies
d’extraversion, mobilisant les ressources que procurait leur rapport –éventuellement inégal-à
l’environnement extérieur» (Bayart, p. 98). Selon lui, « les Africains ont été les sujets
agissants de la mise en dépendance de leurs sociétés, tantôt pour s’y opposer, tantôt pour s’y
associer » (Bayart, 98). En suivant l’historicité de ces méthodes d’extraversion, Bayart essaie
de montrer comment la traite négrière, le colonialisme, la dépendance, la fuite des cerveaux,
etc. font partie des stratégies d’extraversion, que « l’assujettissement est bien une forme
d’action » (ibid.)
La théorie de Bayart est un peu excessive comme celle de Diouf. Donc je dirai que la
vérité reste quelque part entre les deux. L’approche de M. Diouf met à coté l’agency/les
stratégies des acteurs africains. L’analyse de Bayart par contre sous-estime ou ignore
l’importance de la structure du système. C’est important de considérer les actions et
motivations des acteurs aussi que la structure du système dans lequel ils agissent.
Bien qu’on ne puisse pas ignorer que l’histoire des Etats et sociétés africains qui étaient
pillés par les pouvoirs européens et américains, l’histoire n’explique pas tout. On devrait
aussi examiner les actions des leaders africains dans cette nouvelle forme de mondialisation.
Un exemple intéressant est le programme de NEPAD
Le programme de NEPAD (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique)
avancé par l’Union Africaine pour développer l’Afrique semble être une bonne initiative.
NEPAD est présenté comme un programme socioéconomique qui aidera les pays du le
continent sortir de la pauvreté. Les principaux objectifs de ce programme sont : 1)
l’éradication de la pauvreté, 2) placer les pays africains sur la voie de croissance de
développement durable, 3) mettre un terme à la marginalisation de l’Afrique dans le contexte
de la mondialisation, 4) promouvoir le rôle des femmes dans le développement socio-
économique. Le document reconnait les racines historiques et coloniales du sous-
développement africain mais il affirme aussi que l’avenir de l’Afrique est dans les mains des
africains.
Pour leur part, les auteurs de l’article, « Making African poverty history : Interrogating
NEPAD » constatent que les initiatives du NEPAD se basent sur un cadre néolibéral qui
préconise davantage la privatisation, la libéralisation, et la dérégulation. Selon eux, si la
mondialisation ne l’Etat devrait jouer un rôle majeur pour neutraliser les conséquences de la
mondialisation.
Dans son article, « The Politics of One-Sided Adjustment in Africa», E. Prempeh lui
aussi affirme que l’un des aspects clés pour le développement africain est la bonne
gouvernance. Lui par contre parle de la bonne gouvernance au niveau international. Son
article est une réponse à un article écrit par Professeur Daniel Tetteh Osabu-Kle. Comme
l’auteur de L’Afrique dans la mondialisation, M. Osabu-Kle prend une démarche historique
en situant les politiques de l’ajustement dans un contexte historique. Il trace l’évolution de
l’histoire africaine commençant par l’esclavagisme et la faiblesse économique continue des
pays africains dans un rôle subalterne et dans le discours de l’impérialisme et du
néocolonialisme. Le but de son article est de “critiquer les prescriptions dominantes de
l’économie néolibérale et d’esquisser un agenda alternatif qui s’avérait radical et
transformatif » (Prempeh, 563). L’idée de Prof. Osabu-Kle est que l’ajustement est en effet
un projet politique : «un combat pour le pouvoir entre les institutions de Bretton Woods qui
agissent de la part du capital provenant de l’Ouest et les Etats africains concernant qui reçoit
quoi, quand et comment en Afrique » (Osabu-Kle, 523). Dans son introduction, il nous
rappelle qu’ « On peut concevoir ce combat comme un essai par les institutions de Bretton
Woods de recoloniser l’Afrique de la part de leurs alliés tandis que les leaders africains
essayent de résister à cette nouvelle forme de colonialisme » (Osabu-Kle, 515). Prof. Osabu-
Kle observe l’hypocrisie des IFI et les gouvernements des pays occidentaux qui malgré leurs
engagements aux principes des politiques financiers et politiques néolibéraux, les pouvoirs
occidentaux pratiquent le protectionnisme et il se servent des politiques monétaires et fiscales
pour protéger leurs intérêts (p. 517). Pour éviter les conséquences de la dépendance sur les
économies extérieures, Prof. Osabu-Kle propose un modèle alternatif qui donne la possibilité
aux Etats africains de reconstruire les rapports de pouvoir entre l’Afrique et l’Occident à
travers un cadre autonome et durable.
Bien qu’il qualifie l’analyse de Professeur Osabu-Kle de « rafraîchissante », il lui
reproche l’omission dans son analyse du concept de la bonne gouvernance. Dans l’article de
Prof. Osabu-Kle, il affirme que « les institutions de Bretton Woods ne rendent des comptes à
personne ». Les institutions internationales financières ne sont pas sujettes aux exigences
d’un électorat et donc peuvent instituer les programmes qu’elles veulent sans se soucier de la
responsabilité ou de la transparence. Selon M. Prempeh, le redressement des économies
africaines dans le contexte du marché mondial se fera dans deux étapes : «Premièrement, les
communautés locales devraient s’organiser pour s’opposer à l’ordre économique néolibéral…
Deuxièmement, ces groupes associatifs locaux devraient s’allier avec des forces progressistes
à travers le monde pour réclamer la réforme des IFIs dans la lignée de la bonne gouvernance »
(Prempeh, 576). D’après l’auteur, si les IFI sont tenues de suivre ces concepts de bonne
gouvernance qu’elles promeuvent, un pourrait voir des changements vastes et radicaux. Dans
son article, il cite Noam Chomsky qui a dit à l’égard des mouvements altermondialistes
présent à Seattle que « si la réaction populaire prend un forme organisée et constructive, elle
peut retourner l’avancement des arrangements politiques internationaux qui s’impose au
monde » (p. 578).
Les travaux citant les effets néfastes de la mondialisation sont plusieurs. Les critiques de
ce phénomène soulignent l’aggravation des inégalités entre et au sein des nations, les
conséquences sur l’environnement, les droits de l’homme, et l’assistance publique engendrées
par les processus de la mondialisation. A la fin du livre, l’auteur se demande s’il y a un autre
moyen de mondialiser sans toutes les conséquences négatives. Je suis d’accord avec M.
Prempeh qui met en avant l’importance d’une sorte de globalisation-from-below pour
contrebalancer les conséquences néfastes de la globalisation-from-above.
Bibliographie