Manioc
Manioc
Manioc
Récolte,
opérations après
récolte et valeur
ajoutée
Aliment pour le ménage, fourrage pour
le bétail et matière première pour une large
gamme de produits à valeur ajoutée,
de la farine grossière aux gels d’amidon issus
de technologies avancées, le manioc est vraiment
une culture polyvalente.
Chapitre 7: Récolte, opérations après récolte et valeur ajoutée 89
U
ne des grandes qualités du manioc est de ne pas avoir de
saison de récolte spécifique. Les racines tubéreuses peuvent
être récoltées n’importe quand, de six mois à deux ans après
la plantation. En période de pénurie alimentaire, on peut les
récolter au fur et à mesure des besoins, souvent une plante – ou même une
racine tubéreuse – à la fois. La récolte pour consommation humaine a
en général lieu à 4-10 mois environ; pour les utilisations industrielles,
attendre un peu plus permet normalement un rendement racine et
amidon plus élevé. Après la récolte, les racines tubéreuses peuvent
être consommées directement dans le ménage du paysan,
données au bétail ou vendues comme matière première pour
toute une gamme de produits à valeur ajoutée, de la farine
grossière aux gels d’amidon issus de technologies avancées.
La racine tubéreuse n’est pas la seule partie utilisable de la
plante. En Afrique, les jeunes feuilles cuites servent de légumes.
Dans beaucoup de pays, le haut vert de la tige, feuilles et pétioles
compris, est donné aux vaches et aux buffles, tandis que les feuilles
vertes servent à nourrir les poules et les porcs. En Chine, en Thaïlande
et au Viet Nam, les feuilles vertes servent à élever des vers à soie. Les
souches servent de bois de chauffage, et les tiges ligneuses sont broyées
pour fournir un substrat de culture pour champignons.
d’une perche portée sur l’épaule; en RDP Lao, les agriculteurs utilisent
des hottes en bambou. En Chine, la récolte est en général transportée
dans des remorques tirées par des tracteurs à deux roues, tandis qu’en
Thaïlande les agriculteurs utilisent souvent des camionnettes agricoles.
Une fois les racines tubéreuses récoltées, les parties aériennes sont
souvent laissées sur le sol pour sécher, et ensuite enfouies pour aider
à entretenir la fertilité du sol (voir chapitre 5, Nutrition des cultures).
Cependant, les agriculteurs peuvent multiplier le volume total de feuillage
disponible pour l’alimentation animale en coupant les parties aériennes
tous les 3 mois ou tous les 2 mois et demi au cours du cycle de croissance
de la plante. Après chaque coupe, le restant de la tige va refaire des rejets
et une nouvelle récolte de feuilles sera disponible dans les 2 ou 3 mois.
Pour une production maximale de feuillage, l’espacement des boutures
doit être réduit à environ 60 x 60 cm.
Les jeunes feuilles ainsi collectées à intervalles réguliers au cours du
cycle de croissance du manioc tendent à être plus riches en protéines
et moins fibreuses que celles récoltées en même temps que les racines
tubéreuses, à l’âge de 11 à 12 mois en principe. Ces feuilles plus jeunes
sont mieux appétées et constituent un fourrage de meilleure qualité. De
même, la farine de feuilles faite uniquement à base de feuilles est plus
riche en protéines et moins fibreuse que celle qui incorpore également
des pétioles et des tiges vertes.
Au cours d’une expérimentation menée en Thaïlande, le rendement
total en feuilles sèches était de 710 kg/ha si les feuilles étaient récoltées
uniquement lors de la récolte des racines tubéreuses, à 11,5 mois après
plantation (tableau annexe 7.1). Mais ce rendement passait à 2,6 tonnes
si les feuilles étaient coupées à cinq reprises dans le même temps. Le
rendement total en protéines foliaires augmentait également, de 170 kg/
ha pour une seule coupe de feuilles à 650 kg/ha, comparable à une
bonne récolte de soja1, 2. Cependant, plus la fréquence des coupes de
feuilles augmentait, plus le rendement racine final déclinait, passant
d’environ 40 tonnes/ha pour une unique récolte de feuilles à moins
de 25 tonnes pour cinq récoltes de feuilles2. L’intérêt économique de
ce système dépend du coût de la main-d’œuvre et des prix relatifs des
racines tubéreuses fraiches et des feuilles séchées.
De plus, prélever 4 ou 5 fois en une année les parties aériennes de la
plante revient à exporter de grandes quantités de nutriments – notamment
de l’azote – à partir du champ, et la pratique ne saurait être durable sans
l’application de volumes importants d’engrais minéraux pour préserver
la fertilité du sol.
Chapitre 7: Récolte, opérations après récolte et valeur ajoutée 91
les fibres, puis mise à reposer dans des réservoirs ou à circuler dans des
canalisations pour laisser déposer l’amidon en suspension. Une fois l’eau
de surface éliminée par siphonage, l’amidon humide est récupéré, broyé
et étalé sur des tapis de bambou ou des sols de ciment pour sécher au
soleil. Dans ces systèmes artisanaux, la productivité par ouvrier varie de
50 à 60 kg/j d’amidon, tandis que la transformation semi-mécanisée peut
aller jusqu’à 10 tonnes/j8.
Dans certaines régions de la Colombie, l’amidon humide reste à
fermenter durant quelques jours avant d’être séché au soleil. Il en résulte
l’amidon acide, ingrédient principal de préparations boulangères appelées
pan de bono. Dans l’État indien du Tamil Nadu, l’amidon humide est
collecté, broyé puis secoué sur une toile de chanvre pour former de petites
boulettes d’amidon, qui sont tamisées puis cuites quelques minutes à la
vapeur, donnant des perles de tapioca. En Indonésie, un mélange d’amidon
de manioc avec de la pâte de crevettes, un colorant alimentaire et de l’eau
subit une extrusion avant d’être débité à la main en tranches fines. Après
une cuisson vapeur sur des tamis en bambou pendant 15 minutes, et un
séchage au soleil sur le sol d’une cour intérieure pendant une demi-journée,
on obtient des chips dures appelées krupuk. Passé à la friture, le krupuk
gonfle pour donner des pétales de crevettes croquants et tendres, un
amuse-gueule apprécié qui figure à presque tous les repas.
L’extraction de l’amidon donne toutes sortes de sous-produits utiles. Les
épluchures des racines tubéreuses peuvent être recyclées comme engrais
et comme fourrage. Les fibres éliminées, après séchage, sont vendues à
l’industrie minière comme agent de floculation, tandis que l’amidon à
faible densité non récupéré par sédimentation sert d’aliment pour porcs8.
Utilisations industrielles
Dans certains pays comme la Thaïlande et la Chine, une bonne partie de
l’amidon natif de manioc subit des transformations supplémentaires pour
donner toute une série d’amidons modifiés, qui sont incorporés dans des
produits alimentaires ou servent de matière première pour la production
d’édulcorants, de fructose, d’alcool et de monoglutamate de sodium. Au
même titre que la farine de manioc de haute qualité, l’amidon modifié
est également utilisé dans la fabrication de contreplaqué, de papier et de
produits textiles.
En Chine et en Thaïlande, des usines entièrement mécanisées
procèdent au lavage, à la coupe et au râpage des racines tubéreuses de
manioc, après quoi la pulpe est mélangée plusieurs fois à de l’eau pour en
extraire les granules d’amidon. Le «lait d’amidon» – l’eau contenant les
granules en suspension – est alors séparé de la pulpe, puis les granules
eux-mêmes séparés de l’eau par sédimentation ou centrifugation. À cette
étape, l’amidon doit être débarrassé de son humidité par séchage solaire
ou artificiel, avant d’être moulu, bluté et conditionné en sacs de 50 kg ou
94 Produire plus avec moins: Le manioc
Alimentation animale
Tant les racines tubéreuses que les feuilles des plants de manioc peuvent
être utilisés pour nourrir les animaux de la ferme, ou comme matières
premières pour la production industrielle d’aliments du bétail. Cependant,
en raison de leur teneur en cyanure, les racines tubéreuses et feuillages
frais ne peuvent être donnés aux animaux qu’en quantités très limitées.
Les racines fraîches sont débités en copeaux ou en tranches, tandis que
les feuilles sont hachées menu. Avant d’être distribués aux animaux, les
fourrages de manioc sont étalés par terre durant une nuit pour laisser
l’évaporation éliminer une partie du cyanure. Les copeaux de racines et
le hachis de feuilles peuvent également être séchés au soleil, puis, arrivés
à une teneur en eau de 12 à 14 pour cent, entreposés pour utilisation
ultérieure. Ou bien encore, les morceaux de racines et de feuilles peuvent
être entassés bien serré dans des sacs plastiques ou des récipients étanches
à l’air, pour produire un ensilage par fermentation (voir p. 96) Tant le
séchage solaire que l’ensilage éliminent l’essentiel du cyanure, de sorte
que ces produits peuvent être consommés sans danger par les porcs, le
bétail, les buffles et les poules.
Chapitre 7: Récolte, opérations après récolte et valeur ajoutée 95
feuilles et de très peu de jeunes tiges, récoltées sur des plantes ou des rejets
de moins de trois mois. Après récolte, le feuillage est haché et étalé sur
une aire en ciment pour séchage au soleil. La teneur en eau doit baisser
de 70 pour cent environ à 12-14 pour cent pour permettre la mouture et
l’entreposage du feuillage.
En raison de sa forte teneur en fibres, la farine de feuilles de manioc
est surtout destinée aux ruminants. Des recherches ont montré qu’une
supplémentation de 1 à 2 kg/j/animal de foin de manioc augmente la pro-
duction des vaches laitières et fait monter la teneur du lait en thiocyanate,
avec la possibilité d’effets positifs sur la qualité du lait et son aptitude à
se conserver. Par ailleurs, la forte teneur en tanins de la farine de feuilles
limite la prolifération de nématodes gastro-intestinaux, suggérant une
activité anti-helminthique de ce produit12. Pour les non-ruminants, il vaut
mieux limiter l’apport en farine de feuilles de manioc à 6-8 pour cent de
l’aliment total pour les porcs en croissance et à moins de 6 pour cent pour
les poulets de chair. Pour les poulets, l’intérêt de la farine de feuilles de
manioc réside dans son action comme pigment naturel – sa teneur élevée
en pigments xanthophylliens (500-600 mg/kg) améliore la pigmentation
de la peau des poulets de chair ainsi que celle des jaunes d’œuf13.
L’ensilage de feuilles est produit en mélangeant les feuilles hachées
avec 0,5 pour cent de sel et 5 à 10 pour cent de farine de racine de manioc
ou de son de riz, avent de placer le tout dans de grands sacs plastique ou
des récipients étanches à l’air. Les sacs sont scellés après un tassement
des feuilles pour en expulser tout l’air. Dans ce milieu anaérobique, les
feuilles se mettent à fermenter, d’où une chute rapide du pH, ainsi que de la
teneur en cyanure. Au bout d’environ 90 jours de fermentation, l’ensilage
est prêt pour alimenter les animaux, en général des porcs et des bovins.
L’ensilage peut se garder sans détérioration dans des sacs rigoureusement
étanches pendant au moins cinq mois. L’ensilage de feuilles a une teneur
d’environ 21 pour cent de protéines brutes et 12 pour cent de fibres brutes.
Sa teneur en cyanure d’hydrogène n’est plus que de 200 ppm, contre plus
de 700 ppm avant fermentation. Au cours d’expérimentations menées au
Viet Nam, l’adjonction de 15 pour cent d’ensilage de feuilles de manioc
à la ration de porcs a amélioré leur prise de poids quotidienne, tout en
réduisant de 25 pour cent le coût de leur alimentation14.
Chapitre 8
La marche à suivre
Les pouvoirs publics doivent encourager
la participation des petits exploitants
à un programme de développement durable
du manioc et soutenir les approches
de recherche et de vulgarisation qui
«laissent les agriculteurs décider».
Chapitre 8: La marche à suivre 99
L
e présent guide dresse un panorama de pratiques «Produire plus
avec moins» reposant sur des bases scientifiques, qui contribue-
ront à l’intensification durable de la production du manioc. Elles
constituent la base de systèmes de production agricole compétitifs
et rentables, qui stimulent la productivité par unité de facteurs de produc-
tion, tout en protégeant et en alimentant l’agroécosystème.
Cependant, l’impact de ces recommandations sera quasiment nul si
elles ne sont pas intégrées aux programmes de développement agricole à
grande échelle et si elles ne sont pas adoptées par la plupart des agriculteurs.
Pour que cela se produise, les politiques publiques devront encourager
l’ensemble des parties prenantes, et en particulier les petits producteurs,
à s’impliquer dans une dynamique de développement durable du manioc.
Le succès de l’adoption de l’approche «Produire plus avec moins» dépendra
également de la compréhension que pourront avoir les agriculteurs des
fonctionnalités des agroécosystèmes, et de leur capacité à faire les bons
choix technologiques. Pour cela, il sera nécessaire de renforcer de façon
substantielle les services de vulgarisation, et d’introduire des approches
innovantes en matière de transfert de connaissances et de technologies1.
sol et de la lutte contre les insectes ravageurs, les maladies et les plantes
adventices. Dans de nombreux pays, des pratiques essentielles de «Produire
plus avec moins» comme le labour réduit ou zéro, les cultures de couverture
et le paillage, et les cultures mixtes, ont déjà été intégrées à des systèmes
de production de manioc à faible intensité d’intrants. Le rôle joué par les
services de vulgarisation et de conseil – tant émanant du secteur public
et du secteur privé que d’ONG – dans l’amélioration de ces pratiques,
en assurant un accès aux connaissances extérieures pertinentes et en les
connectant aux trésors de connaissances détenus par les petits agriculteurs
eux-mêmes, sera essentiel. Des approches participatives de la vulgarisation
seront nécessaires pour aider les agriculteurs à tester et à adapter les
nouvelles technologies. Les nouveaux moyens de communication comme
la radio, la téléphonie mobile ou l’internet pourront contribuer à réduire
les coûts d’interface de la vulgarisation.
Les producteurs de manioc pourront également avoir besoin d’inci-
tations – par exemple, être payés pour les services environnementaux
rendus – pour passer à de nouvelles pratiques culturales et à la gestion de
services écosystémiques allant au-delà de la production alimentaire, tels
que la conservation des sols et la protection de la biodiversité. L’adoption
de la lutte intégrée peut être facilitée par l’abandon des «subventions
perverses» sur les pesticides synthétiques, la réglementation de leur vente,
et la mise en place d’incitations à la production locale de biopesticides et
d’insectariums pour l’élevage des prédateurs naturels des ravageurs.
celles-ci peuvent créer une dépendance; dans le long terme, une source
de financement plus durable devra être recherchée du côté des crédits
rotatifs collectifs. Une fois que les producteurs de manioc auront constaté
par eux-mêmes l’amélioration de leur rendement et de leur revenu grâce
à l’utilisation d’engrais et de variétés améliorées, ils seront désireux d’en
acheter davantage – et disposeront des moyens financiers nécessaires. Il
en résultera une stimulation de la concurrence, qui pèse à la baisse sur les
prix des intrants et les rend meilleur marché.