Gargantua
Gargantua
Gargantua
L'histoire de Gargantua,
racontée par Jean-Luc Langlais
Gargantua
d'apres Gargantua
et illustrée par Sébast ien Mourrain.
de François Rabelais
« À Théo et M a/one »
Éditions
amaterra
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A peine né, Gargantua cria:
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- A boire ! à boire ! à boire !
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On l'entendit par tout le royaume et Tous ceux qui étaient là convinrent
chacun crut être invité à boire. Le géant qu'il fallait appeler l'enfant Gargantua.
Grandgousier, le roi, prit son fils dans Ainsi fut dit, ainsi fut fait.
ses bras et s'exclama :
- Quel grand tu as !
Il parlait du gosier du bébé.
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On amena dix-sept mille neuf cent treize Chaque jour, Gargantua gagnait en force
vaches, car le lait de la reine, la géante et en taille. Il avait une bonne tête ronde
Gargamelle, ni celui d'aucune nourrice prolongée par dix-huit mentons bien gras.
du royaume ne pouvait suffire à apaiser
la soif du nouveau-né.
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Bientôt, on le promena dans une charrette
tirée par des bœufs et, s'il pleurait, on lui
apportait à boire. Alors, immédiatement,
la joie du paradis se répandait sur son visage.
Ainsi se passèrent dans le bonheur les
premiers mois de sa vie.
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De trois à cinq ans,
Gargantua passa son temps
à boire, manger et dormir,
puis à dormir, boire et manger.
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Il aimait aussi se barbouiller le visage, courir On habilla Gargantua aux couleurs du
après les papillons, pisser sur ses souliers. royaume : le blanc et le bleu. Sa chemise
Son père avait des petits chiens, Gargantua fut taillée dans neuf cents mètres de toile.
mangeait dans leurs écuelles. Pour amuser Il fallut plus d'un kilomètre de tissu pour
le garçon, on faisait tinter les verres et les les chausses. Quant à la braguette, son
bouteilles avec un couteau. Puis il se laissait ouverture faisait bien un mètre quatre-vingts.
chatouiller par ses nombreuses nourrices
en riant aux éclats.
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Un jour, ses parents lui offrirent un magni-
fique cheval de bois. L'enfant devint un
grand cavalier. À ses ordres, le cheval allait
au trot, au galop. Il le faisait dormir avec
lui dans sa chambre.
À la fin de sa cinquième année, Gargantua
démontra brillamment à Grandgousier,
par expérience et raisonnement, quelle
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était la meilleure façon de, disait-il, se torcher
le cul. Devant tant d'intelligence, son père
Gargantua eut un premier
jugea alors qu'il était temps de le confier
à des maîtres, pour qu'il commence précepteur qui lui apprit
de sérieuses études.
à lire et à écrire sur
une écritoire pesant plus
de sept mille quintaux.
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Au bout de cinq ans et trois mois, il savait Juste avant le départ de Gargantua, un roi
son alphabet à l'endroit et à l'envers. africain offrit une jument à Grandgousier.
Il récitait par cœur ses livres de grammaire Elle était aussi grande que six éléphants
et le calendrier, sans rien comprendre. et elle voyagea sur quatre bateaux.
Au bout de treize ans, six mois et deux Quand Grandgousier la vit, il s'écria :
semaines, il avait tant et si mal appris que - Voici l'animal qu'il faut pour porter
son père crut qu'il était devenu complètement mon fils jusqu'à Paris!
stupide. Il décida de l'éloigner de son premier
Gargantua partit sur sa belle jument,
maître et de l'envoyer à Paris pour suivre
entouré de ses gens et de Ponocrates,
des études capables de le rendre intelligent.
son nouveau professeur.
Passé Orléans, ils pénétrèrent dans une
grande forêt où bourdonnaient des millions
de mouches. Elles attaquèrent aussitôt la
jument. Pour se défendre, l'animal battait
l'air si fort avec sa queue qu'il abattit tous
les arbres et transforma la forêt en campagne.
Voyant cela, Gargantua dit à ses gens :
- Je trouve beau ce pays.
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Depuis ce jour, on appelle cette région
« la Beauce » .
Les Parisiens regardaient
Enfin, Gargantua et Ponocrates entrèrent
dans Paris.
le géant avec curiosité.
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À Notre-Dame, Gargantua s'amusa à dérober
les cloches pour les mettre en clochettes au
cou de sa jument. Les habitants se révoltèrent
et demandèrent qu'on leur rende les cloches.
Ce que fit gentiment Gargantua, en expliquant
que ce n'était que « par ris* » qu'il l'avait
fait. La ville, qui s'appelait alors « Lutèce »,
changea de nom et devint Paris.
• Par ris signifie ici pour rire.
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Ponocrates ne tarda pas à constater que - Quoi? N'est-ce point assez de me retourner
son élève avait de curieuses habitudes. six ou sept fois dans mon lit quand je dors ?
Il se levait à neuf heures, se peignait avec
Il étudiait une demi-heure en pensant à ce
ses doigts, et pensait que se laver faisait
qu'il allait manger. Le reste du jour, il jouait.
perdre du temps. Si Ponocrates lui conseillait
quelques exercices, Gargantua répondait :
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Ponocrates décida de lui faire perdre À midi, il passait à table. En même temps
ces mauvaises habitudes. Il imposa qu'il mangeait, on lui expliquait la nature
un nouvel emploi du temps à son élève. des aliments qu'il avait dans son assiette.
À quatre heures du matin, Gargantua
s'éveillait. Pendant qu'il se lavait,
on lui faisait la lecture. Venaient ensuite
l'observation du ciel, puis deux ou
trois heures encore de lecture et enfin
une séance d'exercices physiques.
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Puis, Ponocrates sortait un jeu de cartes,
mais c'était pour faire des mathématiques.
Suivaient les cours de musique, d'escrime,
de natation. Le soir, Gargantua mangeait
sobrement. Il se couchait après avoir
longuement révisé ses leçons. Une fois
par mois, ils allaient faire un tour dans
les environs de Paris.
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Un jour, Picrochole,
qui régnait sur un royaume
proche de celui
de Grandgousier, entra
en guerre contre lui.
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Une dispute avait éclaté entre quelques-uns de Armé d'un gourdin, frère Jean fondit sur
ses sujets et des bergers du père de Gargantua, les soldats de Picrochole. Peu en réchappèrent.
pour une histoire de brioches. Picrochole était Sous le bâton du moine, les dents volaient,
bête et méchant. Il utilisa ce prétexte pour les os éclataient, les cervelles étaient réduites
envahir ses voisins. La surprise fut totale, en bouillie et les ventres se fendaient en deux.
personne ne résista. Seul un moine, qui se
nommait frère Jean des Entommeurs, fit
preuve d'un grand courage. Il défendit avec
vigueur les vignes de son abbaye car, disait-il :
- Le service du vin est utile au service divin.
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Grandgousier était bon et pacifique.
Il envoya une ambassade à Picrochole pour
que cessent les combats. Mais ce dernier ne
voulut rien savoir. Il se rêvait déjà en maître
du monde. Alors, Grandgousier se résolut
à faire la guerre. Il écrivit à Gargantua:
- Mon fils bien-aimé, reviens le plus vite
possible pour secourir, non ton père, mais
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ton roya ume.
Aussitôt, Gargantua se mit en route sur
sa grande jument.
Par prudence, Gargantua
envoya un éclaireur
pour connaître la position
de l'armée ennemie.
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Il apprit que des soldats occupaient, non Les soldats cherchaient à atteindre le géant
loin de là, un château et les bois alentour. à coups de canon. Mais il croyait recevoir
C'étaient des pillards et des brigands sans des noyaux de prunes ou des grains de raisins.
discipline. Gargantua déracina un grand Il projeta son grand arbre contre le château,
arbre pour en faire une lance, et partit qui s'effondra. Ceux qui étaient dedans
à l'assaut du château. périrent écrasés.
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Peu après, il arriva chez son père. Un grand Furent engloutis ce soir-là, parmi beaucoup
festin fut organisé. Pendant que Grandgousier d'autres friandises, des tripes, des jambons,
racontait les exploits de frère Jean des des salaisons par quintaux, des milliers
Entommeurs, les convives bôfraient dans de poulets, perdrix, oies, chapons, homards,
la bonne humeur. écrevisses, poissons, veaux, vaches, cochons,
des montagnes de légumes et de fruits,
sans compter les desserts. Le tout arrosé
des meilleurs vins.
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Quand le repas fut terminé, ils décidèrent
de dormir un peu, puis de partir à minuit
pour voir ce que faisait Picrochole.
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A minuit, Grandgousier
laissa partir son fils
et ses compagnons, entourés
de ses vingt-cinq plus
valeureux guerriers.
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Picrochole envoya contre eux mille six Retranché dans une forteresse, Picrochole
cents chevaliers. Mais à peine virent-ils redoubla de colère. Mais déjà, Gargantua
Gargantua et sa troupe qu'ils s'enfuirent donnait l'assaut. Picrochole n'eut que
presque tous. Ceux qui restèrent furent le temps de s'échapper. Depuis, on ne sait
tués ou faits prisonniers. ce qu'il est devenu.
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Après la bataille, Gargantua rassembla Gargantua eut bientôt devant lui les hommes
les soldats vaincus : qui avaient déclenché les hostilités pour
- Je vous pardonne et vous rends votre liberté. quelques brioches.
Mais comme les méchants se moquent
Il ordonna qu'on les fasse travailler à quelque
du pardon, je veux que vous livriez ceux
chose d'utile. Comme il avait une imprimerie,
qui ont poussé Picrochole à faire la guerre.
il les embaucha pour fabriquer des livres.
Pendant ce temps, Grandgousier récom-
pensait généreusement les vainqueurs.
Aux uns, il distribuait de l'or, aux autres,
des terres ou des châteaux.
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Gargantua voulait aussi
remercier le frère
Jean des Entommeurs.
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Or le moine avait un rêve : construire une Là, se trouveraient une piscine, un théâtre et
abbaye à nulle autre pareille. Il l'imaginait un hippodrome. Les bâtiments seraient hauts
au milieu des champs, entourée d'un verger de six étages. Les salles seraient tapissées
et d'un grand parc. de tentures magnifiques. On pourrait se voir
tout entier dans de grands miroirs aux cadres
garnis de perles. Au centre de l'édifice, il y
aurait une cour avec une fontaine d'une
blancheur éclatante.
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Contrairement aux autres abbayes, les Gargantua suivit les conseils de frère Jean à
femmes et les hommes vivraient ensemble. la lettre et fit construire l'abbaye de Thélème.
Chacun pourrait sortir et entrer comme Il ne le regretta jamais, car dans ces lieux
bon lui semble. Tous partageraient leur régnaient la paix et l'harmonie.
temps en jeux, lectures, musique et douces
conversations. Il n'y aurait qu'une seule règle
: « Fais ce que voudras. » Chacun ferait ce qui
serait agréable à tous, car tous
seraient bien instruits et libres.
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Qui est François Rabelais ?
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